Full text of "Romania"
HANDBOUND
AT THE
UNIVERSITY OF
TORONTO PRESS
ROMAN lA
ROMANIA
RECUEIL rUIMESTRIEL
CONSACRÉ A l'étude
DES LANGUES ET DES LITTÉRATURES ROMANES
PUBLIÉ PAR
Paul MEYER et Gaston PARIS
Pur remenbrer des ancessurs
Les diz et les faiz et les murs.
S" ANNÉE - 1886
PARIS
F. VIEWEG, LIBRAIRE-ÉDITEUR
67, RUE DE RICHELIEU
0-.
4-
o
F.TUDES SUR LES ROMANS DE LA TABLE RONDE
GUI NGLAIN
LE BEL INCONNU
Ce roman, un des plus agréables à lire de tout le cycle breton, en est
aussi, à divers points de vue, un des plus intéressants. Laissant de côté
pour le moment la rédaction en prose du xvi'' siècle, la version anglaise,
le poème italien de Carduino et le poème allemand de Wigalois, sur les-
quels nous reviendrons, ; ous allons nous occuper du poème français de
Renaud de Beaujeu. Il nous a été conservé dans un seul manuscrit, le
recueil bien connu qui fait partie de la bibliothèque de M. le duc d'Au-
male à Chantilly, et il a été imprimé, d'une façon déplorable-, en 1860,
par C. Hippeau.
Le récit est très simple et, sauf en un point, ne s'écarte guère du
cadre banal des compositions de ce genre; mais la banalité du thème est
rachetée par le charme des détails. A la cour d'Arthur, à Carlion-sur-
Mer, se présente un jour, accompagnée du nain Tidogolain, une « pu-
cele « nommée Hélie, demandant pour sa dame, fille du roi Gringas de
Galles, le secours d'un chevalier, qui doit venir seul, être preux entre les
preux et capable d'accomplir l'aventure du « fier baiser ». Un jeune che-
valier, qui ne connaissait ni son père ni même son nom 3, et qu'on avait
1. Le tome XXX deVHistoire littéraire de la France s'ouvre par un grand
article collectif sur les romans en vers du cycle de la Table Ronde. J'extrais de
cet article, dont la première partie est déjà imprimée, la notice du roman de
Guinglain. en demandant aux lecteurs de la Romania les additions et rectifica-
tions qu'ils pourront me lournir.
2. Voyez les observations de M. Fœrster, Zdtschrift jùr. rom. Philologie,
t. II, p. 78.
5. Aux questions qu'on lui fait à son arrivée, il répond : « Certes ne sai,
Mais que tant dire vos en sai Que hiel fil m'apeloit ma mère, Ne je ne sai se je
Romania, XIV. i
appelé le Bel Inconnu, venait d'arriver à la cour et avait obtenu du roi
la promesse qu'il lui accorderait sa première requête. Il demande à être
chargé de cette aventure, et Arthur le désigne, malgré les plaintes dHélie,
qui aurait voulu obtenir un des chevaliers renommés de la Table Ronde^
au lieu de ce jouvenceau qui n'a donné •encore aucune preuve de sa
prouesse. Elle s'éloigne sans même faire attention au Bel Inconnu, qui la
rejoint et l'accompagne, mais qu'elle engage à renoncer à une aventure
au-dessus de ses forces. Cependant, arrivé au <( gué périlleux «, le Bel
Inconnu renverse d'abord Bliobliéris, qui en défendait le passage, puis
ses trois amis qui essaient de le venger • ; il tue ensuite deux géants qui
voulaient faire violence à une demoiselle dans la forêt. Hélie reconnaît
alors le mérite du champion qu'elle a dédaigné, et lui demande pardon de
son injustice. Sa confiance toute fraîche dans la valeur de son compagnon
lui inspire une présomption fort peu louable : elle s'empare d'un « bra-
chet )) ou petit chien de chasse qu'elle rencontre, et refuse, malgré les
prières du Bel Inconnu, de le rendre à son maître, l'Orgueilleux de la
Lande ^ ; ce caprice a pour suite un combat terrible, où l'Orgueilleux est
vaincu. Vient ensuite un épisode qui se rencontre souvent dans nos ro-
mans, celui de l'épervier donné en prix de la beauté : Margerie, fille du
roi d'Ecosse, y a prétendu, et a vu son ami tué en voulant soutenir ses
droits ; le Bel Inconnu la venge, et triomphe en effet de Giflet, le fils de
Do 3, qui revendiquait l'épervier pour sa belle.
Toutes ces aventures ne servent guère qu'à allonger le récit. Celle qui
suit est plus intéressante. Nos voyageurs arrivent devant un château
admirablement construit, qui appartient à « la demoiselle aux blanches
mains ». Cette demoiselle
Les set ars sot et encanter,
Et sot bien estoiles garder,
Et bien et mal, tôt ço savoit :
Merveilious sens en li avoit. (V. 1917)
Elle avait établi une singulière coutume pour se trpuver le mari le plus
vaillant possible. Tout prétendant à sa main devait garder un pont qui,
oi père ». Perceval non plus ne sait pas son nom, et sa mère ne l'appelle aussi
que Beûus fias. De même Chev. ju Cygne, éd. Hippeau, v. 881.
1. L'histoire de ce second combat est préparée seulement ici et n'est racontée
qu'après la dé.'aite des géants; mais le poème anglais place les faits dans rordf
que nous avons suivi.
2. Ce nom provient du Perceval. \
5. Encore un personnage de Chrétien de Troies, par exemple dans £r«. L'éd^
teur imprime à lort « le fils d'O » pour « le fils Do. »
GUINGLAIN OU LE BEL INCONNU î
devant le château, fermait la route, et combattre avec tout chevalier qui
se présentait : s'il était vainqueur pendant sept années consécutive?, il
devait être l'époux de la demoiselle ; s'il trouvait un vainqueur, celui-ci
prenait sa place aux mêmes conditions. Ce poste périlleux est occupé en
ce moment par Mauger le Cris, qui a triomphé déjà pendant cinq ans
de tous ceux qu'il a combattus : cent quarante-trois têtes de chevaliers
garnissent les pieux qui entourent sa tente ; mais s'il est vaillant, il est
discourtois et félon ; la demoiselle le hait et souhaite sa défaite ; autant
en font tous ses vassaux. Aussi, quand, après un combat terrible, le Bel
Inconnu le tue, on lui fait un accueil enthousiaste, et la demoiselle,
charmée de sa beauté autant que de son courage, déclare qu'elle abolit
l'ancienne coutume et qu'elle épousera dans huit jours le vainqueur de
Mauger. .Mais cela ne fait pas l'affaire d'Hélie, qui rappelle à son compa-
gnon l'aventure qu'il a entreprise, et tous deux concertent le moyen de
s'enfuir le lendemain matin du château. Le Bel Inconnu a quelque mé-
rite à tenir sa parole, car la demoiselle aux blanches mains avait employé
de grandes séducnons auprès de lui. Au milieu de la nuit, quand tout se
taisait et qu'il ne dormait pas. il vit la maîtresse du château franchir la
porte de sa chambre :
Sans guimple estoit, eschevelee.
Et d'un mantel lu afublee
D'un vert samit o riche hermine.
Meut estoit bêle la mescine.
As {éd. Les) ataces de son mantel
De fin or furent li tasse! :
Desus sa teste le tenoit,
L'orle lés sa face portoit :
Li sibelins, qui noirs {éd. voirs) estoit,
Lés le blanc vis meut avenoit.
N'avoit vestu fors sa cemise,
Qui plus estoit biance a devise
Que n'est la nois qui siet sor branche;
Meut estoit la cemise blanche,
Mais encore ert la cars moût plus
Que la cemise de dessus.
Les ganbes moût blanches estoient.
Qui un petit aparissoient :
La cemise brunete estoit
Envers les ganbes (éJ. la dame) qu'il veoit.
A l'uis la dame s'apuia.
Et vers le lit adiès garda,
* Puis demanda se il dormoit...
1 0 Dort il, fait ele, qui ne dit.? » (V. 237^)
4 G. PARIS
Sur sa réponse, elle s'approche de lui et le serre tendrement dans ses
bras ; mais quand il veut lui donner un baiser,
Se il a dit : « Ce ne me plaist :
Tôt torneroit a lecerie.
Saciés je ne! feroie mie
De si que m'aies esposee :
Lors vos serrai abandonee. >•
De lui se parti (éd. parai maintenant.
Se li dist : « A Diu vos commant, » . . .
Celi a laissé esbahi,
Qui meut se tient a escarni. (V. 2428)
Il n'en quitte pas moins furtivement, le lendemain matin, ce séjour de
délices, et il reprend sa marche avec Hélie. Avant d'arriver au terme, il
soutient encore un combat contre Lampart, le seigneur du « chastel Ga-
ligan », qui n'héberge que ceux qui l'ont vaincu. Renversé par notre
héros, il l'accompagne jusqu'à la ville de Senaudon (v. 3561, 3822^ ou
Sinaudon v. 6078I, qui est le but de son voyage, et dans laquelle il faut
sans doute reconnaître le nom des montagnes du Snovvdon ' ; mais
Lampart ne peut y entrer avec lui ; il lui explique ce qui l'attend dans
cette ville qui, depuis la dévastation à laquelle elle est en proie, ne s'ap-
pelle plus que la Gaste Cité. Au milieu des rues désertes et des édifices
en ruines, il verra un palais de marbre magnifique, qui n'a pas moins de
mille fenêtres : à chacune se tient un jongleur avec un instrument et un
cierge ardent devant lui ; ils salueront courtoisement l'arrivant, mais qu'il
ait bien soin de leur répondre : « Dieu vous maudisse ! » Il entrera dans
la salle et attendra son aventure, en se gardant de pénétrer dans la
chambre voisine.
Le Bel Inconnu arrive en effet au palais, répond par une malédiction
au salut des mille joueurs d'instruments, puis entre à cheval dans la grande
salle, dont on ferme la porte après lui, et qui est vivement éclairée par^
les mille cierges des jongleurs. Un chevalier armé sort d'une chambre
et vient l'attaquer; le Bel Inconnu le met en fuite et le poursuit jusqu'ai
seuil de la chambre ; il va franchir ce seuil, oubliant la recommanda-
tion de Lampart, mais il s'arrête à temps en voyant des haches levée
pour le frapper. Un nouvel adversaire se présente, monté sur un chevj
qui porte une corne au front et dont la bouche jette des flammes. Apre
un combat auquel ne se comparent pas, d'après le poète, ceux deTristal
\
1 . Nous voyons également figurer le Snowdon dans le roman latin de ;
riadoc ; voy. W^rd., Catalogue of romances, t. I, p. 375.
GUINGLAIN OU LE BEL INCONNU .;
contre le Morhout, de Mainet contre Braimant et d'Olivier contre Roland
V. 50IO-1 5\ le Bel Inconnu tue son ennemi, dont le corps, tombé aus-
sitôt en décomposition, exhale une fumée infecte ; en même temps les
jongleurs disparaissent avec leurs cierges, un fracas terrible se fait en-
tendre, et, r'ongé dans l'obscurité la plus profonde, le jeune héros sent
l'épouvante le gagner ; mais il se signe et reprend courage en pensant à
la demoiselle aux blanches mains, dont il espère obtenir le pardon. Sou-
dain une « aumaire » s'ouvre, il en sort une guivre, dont le corps était
gros comme un baril et long de quatre toises, et qui avait une bouche
vermeille d'où partait du feu, des yeux luisants comme des escarboucles,
et une queue, quatre fois nouée, brillant de toutes les couleurs. Le Bel
Inconnu met la main à l'épée, mais la guivre s'incline :
Semblant d'umelité il tait,
Et cil s'espee plus ne trait:
« Jo ne la doi, fait il, tocier,
Puis que la vol humelier ». (V. 3133)
La guivre cependant s'approche de plus en plus, et il met de nouveau
la main à l'épée, mais elle lui fait de nouveau des démonstrations ami-
cales : elle est tout près, il va la frapper, mais elle l'apaise encore, et il
admire la bouche qu'elle a si belle, il s'absorbe dans cette contemplation,
quand elle se lance sur lui et le baise à la bouche, après quoi elle
s'éloigne et rentre dans 1' « aumaire », qui se referme. Le Bel Inconnu a
fait « le fier baiser », mais il craint que la guivre ne soit le diable et
qu'il ne soit perdu. Une voix se fait entendre et le rassure. Elle lui ap-
prend d'abord qu'il s'appelle Guinglain ' et qu'il est fils de Gauvain et
de Blanchesmainsla fée-, qui lui a préparé cette aventure pour sa gloire
et son bonheur. Epuisé par tant d'émotions, Guinglain s'endort ; à son
réveil il voit près de lui une jeune fille d'une merveilleuse beauté : c'est
Blonde Esmerée, celle qu'il a délivrée, la reine de Galles ; elle lui raconte
1. Telle est la forme constante du manuscrit (voy. Zeitschrijt fur rom. Philo-
logie, t II. p. 78); elle répond au nom gallois Winwaloen ; c'est aussi celle du
poème anglais 'voyez ci-dessousj. L'éditeur du poème français, sans prévenir,
imprime partout Giglain (sauf au v. 3266 Guiglain), sans doute à cause du roman
en prose du xv'= siècle qui porte Giglan.
2. Ce nom est malheureusement choisi, faisant une confusion gênante avec
c.p\u\ de la demoiselle >• aux blanches mains ». M. Kœlbing s'y est trompé : « La
e du héros, dit-il, semble devoir à sa nature de tée le privilège de pouvoir
! la maîtresse de son propre fils i. Les vers 4878 et suivants auraient dû lui
', r cette idée singulière. La rédaction en prose appelle la mère de Giglan
■' mchcvalec.
6 G. PARIS
qu'après la mort de son père deux enchanteurs, Eurain et Mabon (qu'il
vient de tuer l'un après l'autre), ont dévasté sa cité, frappé de folie ou de
mort les habitants, et l'ont changée elle-même en cette guivre mons-
trueuse qu'il a vue ; elle aurait pu acheter sa grâce en consentant à
épouser Mabon, mais elle s'y est toujours refusée, sachant qu'elle serait
délivrée si elle pouvait donner un baiser au meilleur chevalier de la Table
Ronde, c'est-à-dire à Gauvain ou à son fils Guinglain. Celui-ci l'a en
effet désenchantée; du même coup elle redevient maîtresse de sa ville et
des trois royaumes qui en dépendent, et elle offre à son libérateur et sa
personne et son empire.
Il est clair que le roman devrait s'arrêter là pour ressembler aux autres
romans biographiques, ou du moins se borner à nous raconter le retour de
Guinglain à la cour, sa reconnaissance avec son père, et son mariage
avec Blonde Esmerée, et nous verrons en effet que le récit qui a servi
de source à Renaud de Beaujeu se terminait de cette façon naturelle.
Mais notre poète l'a abandonné pour donner à la première partie du
roman une suite qu'il ne comportait pas et qui n'a pas laissé de l'embar-
rasser pour son dénouement : évidemment séduit, comme son héros, par
la belle hôtesse de l'Ile d'Or, il lui a attribué, pour cette seconde partie,
un rôle assez différent de celui qu'elle devait avoir dans le conte original
et qui re cadre pas bien avec le reste. Il est de règle, en effet, dans les
romans de ce genre, que le héros n'a qu'un amour, celui qui le meneau
mariage final, ou que du moins, s'il en a d'autres, ils disparaissent devant
celui-là ; mais ici c'est tout le contraire que nous voyons arriver. Quand
Blonde Esmerée déclare à son libérateur qu'elle veut faire de lui son
époux, Guinglain lui montre « beau semblant «, mais il déclare qu'il ne
peut prendre d'engagement avant d'avoir le consentement du roi Arthur.
En réalité, il ne songe qu'à la « fée » (on lui donne ici ce nom pour la
première fois) de l'Ile d'Or; il la revoit sans cesse telle qu'elle lui est
apparue dans cette nuit où elle l'a visité, il se reproche la façon discour-
toise dont il a agi envers elle, et doute qu'elle lui pardonne jamais. Au
moment où la reine de Galles, qui a présenté Guinglain à ses barons
comme son futur époux, s'apprête à partir avec lui pour la cour d'Ar-
thur, il lui déclare qu'une affaire pressante l'oblige de la laisser aller
seule. Elle s'en désole, mais continue son chemin, et Guinglain, accom-
pagné de son fidèle écuyer Robert, se dirige aussi rapidement que pos-
sible vers l'Ile d'Or.
Il rencontre la fée, puisqu'elle s'appelle désormais ainsi, qui revient de
la chasse; il s'approche d'elle et demande à lui parler à part ; il implore
son pardon ; elle feint d'abord de ne pas le reconnaître, puis lui reproche
sa conduite et lui déclare qu'elle ne le punit pas comme elle le devra'
cause de l'amour qu'elle a éprouvé pour lui, mais qu'elle ne l'aimera ^
^ViS
r.UINGLAlN OU LE BEL INCONNU 7
jamais, a Éh bien ! dit Guinglain , je resterai au moins dans votre voisi-
nage, et j'y mourrai assurément sans beaucoup attendre. » En effet, il
va prendre son logis non loin du palais de sa belle, et bientôt l'insomnie,
le jeûne, le chagrin, le rédi lient près de l'extrémité. Mais un jour la
dame le fait mander; il arrive et lui parle de ses maux. « Je ne crois pas,
dit-elle, que ce soit pour moi que vous souffriez,, et en tout cas je serais
bien folle de vous donner une seconde fois mon amour : vous me trom-
periez encore et vous en iriez comme l'autre jour. « Guinglain proteste,
s'excuse, et
La dame li fait un regart,
Et Guingiains li de l'autre part:
A iols s'enblent les cuer.s andui...
Puis li a dit : « Li miens amis,
Meut mar i fu vostre proece,
Vostre sens et vostre largece.
Qu'en vos n'a rien a amender
Fors tant que ne savés amer.
Mar fustes quant vos ne savés ;
Totes autres bontés avés.
Et je vos di en voir gehir...
Plus vos amasse que nului
Se vos iço faire saviés. » (V. 432^)
Elle l'invite cependant à venir habiter avec elle, et chacun lui fait fête.
Le soir venu, elle lui indique un lit magnifique, où il doit reposer, et lui
recommande, bien que la porte de la chambre où elle dort soit toute
proche de ce lit et qu'elle la laisse ouverte, de ne pas y entrer pendant
la nuit :
« Gardés ne soiés tant engrès
Que en ma cambre entrés a nuit :
Paor me fériés vos, je cuit;
Ne le faites sans mon commant. » (V. 4414)
Guinglain ne peut résister longtemps à la tentation. Au milieu de la
nuit, il se lève et veut aller chez la fée ; mais il ne peut trouver la porte,
et se voit tout à coup au milieu d'une étroite planche, au-dessus d'un
torrent tumultueux, n'osant ni avancer ni reculer. Le vertige le prend,
il tombe et se retient à la planche ; il sent ses bras s'affaiblir et lâcher
prise, et se met, éperdu, à demander du secours :
« Signor, fait il, aidics, aidiés
Por Dieu ! car je serai noies.
Secorés moi, bone gent france,
Car je petit ci a une plance.
Ne ne me puis mais retenir.
Signor, ne m'i laissiés morir ! » (V. 4487)
On accourt avec de la lumière, et on trouve Guinglain se tenant par
les mains à la perche d'un épervier. L'enchantement dont il était victime
se dissipe dès qu'on arrive, et tout honteux il se remet dans son lit. Il n'y
reste guère. Il s'étonne de s'être laissé prendre à cette « fantosmerie >-
et se décide à aller voir son amie, qui est si près de lui. Il se lève ;
mais à peine a-t-il fait quelques pas qu'il croit soutenir sur sa tète et ses
épaules toutes les voûtes de la salle. Plein d'angoisse, il s'écrie :
« Signor, fait il, aiue ! aiue !
Bone gens, qu'estes devenue ?
Sor lo col me gist ois palais :
Ne puis plus soustenir cest fais;
A mort, ce cuit, serrai grevés
Se de venir ne vos hastés ! »
Lors se relievent maintenant,
Cierges ont espris li sergant :
Guinglain ont trové corne fol,
Son orillier deseur son coi,
Et si n'avoit autre besoigne.
Quant il les vit, si ot vergoigne :
Jus jeté le plus tost qu'il pot
L'orillier, si ne sona mot
Ne les sergens pas n'araisonne ;
De nule rien mot ne lour sonne :
Son cief a enbrucié en bas,
Puis s'est couciés en es le pas
Ens en son lit tosesmaris,
Et de honte tos esbahis. (V. 4557)
Cette fois il ne songe plus à renouveler sa tentative, et il se désole si-
lencieusement; mais la dame le trouve suffisamment puni, et elle l'envoie
chercher par une demoiselle, qui l'introduit dans la chambre magnifique
et longuement décrite de la fée. Celle-ci n'a plus les scrupules qu'elle
avait montrés lors de leur première entrevue nocturne, elles deux amants
sont heureux. La fée raconte à Guinglain qu'elle l'aime depuis son en-
fance, où elle le voyait chez sa mère, qu'elle aurait pu le retenir la pre- ^.^
mière fois, mais qu'elle voulait lui laisser accomplir l'aventure où elh^j,
savait qu'il se couvrirait de gloire et qu'elle lui avait d'ailleurs procurée ei- "^
envoyant Hélie à la cour d'Arthur ; c'est elle aussi dont la voix, après L'
GUINGLAIN OU LV. BKL INCONNi: 9
défaite de Mabon et le fier baiser, a appris à Guinglain qui il était. Le
lendemain matin elle convoque tous ses barons et leur fait reconnaître
Guinglain pour seigneur, mais elle ne parle plus de l'épouser.
Cependant Blonde Esmerée est arrivée à la cour d'Arthur et y attend
vainement Guinglain. Elle rdconte qui il est ' et comment il l'a délivrée,
puis a disparu. Pour le retrouver, on proclame un grand tournoi, pen-
sant qu'il voudra y prendre part. En effet, apprenant cette nouvelle,
Guinglain annonce à son amie qu'il va la quitter pour aller au tournoi,
mais qu'il reviendra aussitôt. Elle lui prédit qu'il ne reviendra pas, qu'il
trouvera à la cour une femme qu'on lui fera épouser, et qu'il est perdu
pour elle. Mais voyant sa résolution, elle prend elle-même son parti, et
le lendemain matin Guinglain, à sa grande surprise, se réveille dans une
lande, ayant à côté de lui ses armes, son cheval et son écuyer. Il se rend
au tournoi, dont il obtient le prix, après quoi il se fait connaître. Arthur
lui demande d'épouser Blonde Esmerée :
Li roi et tuit l'ont tant proie
Que Guinglains ior a otroié. (V, 60471
C'est, comme on le voit, un mariage de raison. Le cœur du poète est
tout entier à la fée de l'Ile d'Or et, bien qu'après son mariage Guinglain
ne dût plus penser à elle, Renaud de Beaujeu, dans les jolis vers qui
terminent son roman, manifeste le projet de les réunir dans une suite de
son ouvrage :
Ci faut ii roumans et define.
Bele, vers cui mes cuers s'acline,
Renais de Biauju moût vos prie
Por Diu que ne l'obliés mie :
De cuer vos veut tos jors amer,
Ce ne li poés vos veer.
Quant vos plaira dira avant,
U il se taira ore a tant ;
Mais por un biau sanblant mostrcr
Vos feroit Guinglain recovrer
S'amie que il a perdue...
Se de çou li faites délai,
Si est Guinglain en tel esmai
Que ja mais n'avéra s'amie.
I . On s'attendrait à ce que Gauvain, quand il apprend que le jeune héros est
SOT -, manifestât une grande joie. Le poète dit simplement (v. ^142): Et
\V*' ' (jueses fius cstoit Et que la fa amcc avait. Il est vrai qu'il y a une lacune
^\>iS -es vers, mais elle doit être d'un vers seulement.
D'autre vengeance n'a il mie;
Mais por la soie grani grevance
Ert sur Guinglain ceste vengeance,
Que jamais jou n'en parlerai
Tant que le bel sanblant avrai. (V. 6105)
Il faut croire que notre aimable poète n'obtint pas le « beau semblant >^
qu'il demandait, car nous ne trouvons aucune trace d'une continuation
de son poème. Dans ce poème, à plus d'un autre endroit, Renaud de
Beaujeu se met en scène et s'adresse à sa dame, et ces passages sont
parmi les plus agréables de son oeuvre ; ils rappellent les interruptions
du même genre qui se trouvent dans Partenopeus de Blois. C'est pour
plaire à celle qu'il aime « outre mesure », nous dit-il dès le début, qu'il
a composé son roman, et pour lui montrer ce qu'il sait faire. Plus loin,
et sans que le récit fournisse un prétexte à cette digression, il insiste sur
sa loyauté envers celle qu'il n'a pas le droit de nommer « amie », mais
qu'il peut appeler « bien amée, » et parle avec une indignation peut-être
habile de ceux qui prennent l'amour légèrement :
Ce dient cil qui vont trecant,
Li uns le va l'autre contant :
« Peciés n'est de feme traïr. »
Mais laidement sevent mentir,
Ains meut est grans peciés, par m'ame.
Or vos penserés d'une dame
Qui n'avéra talent d'amer :
Vers li irés tant sermonner
Que sera souprise d'amor,
Tant li prières cascun jor
Bien li pores son cuer enbler...
Por vos tos ses amis perdra
Et son mari, qui Pâmera :
Quant en avrés tôt vo voloir,
Adont la vaurés décevoir !
Mal ait qui s'i acostuma
Et qui ja mais jor le fera !
Cil qui se font sage d'amor.
Cil en sont faus et traïtor.
Por ço mius vueil faire folie
Que ne soie loiaus m'amie:
Ce qu'ele n'est l'ai apelee;
Que dirai dont .? la moût amee. f
S'cnsi l'apel, voir en dirai ; "
S'amiedi, lors mentirai, à
GUINGLAIN OU LE BEL INCONNU I I
Car moi n'en fait ele sanblant.
Las ! por li muir, et por li cant ! (V. 1232)
Il se plaint encore ailleurs de la cruauté de celle qu'il a aimée dès le
premier jour qu'il l'a vue :
De moi ocire ne repose,
Et je l'aim plus que nu!e cose ! (V. 41 18)
Et en racontant le bonheur de Guinglain, il fait un retour sur lui-
même, et déclare encore que toutes les peines de l'amour sont largement
payées par la récompense qu'il peut donner. Il part de là pour faire
l'éloge des dames et blâmer sévèrement ceux qui médisent d'elles :
Dius les fist de si grant vertu :
De tes biens les forma et fist,
Et biauté a eles eslist ;
Et Dius nos vaut, ce cuic, former
Por eles toutes honerer
Et por lor comandement faire. (V. 4751)
Si nous ne possédons pas d'autre roman de Renaud de Beaujeu, nous
avons une chanson dont il est l'auteur, et qui nous permet d'établir
approximativement le temps où il vivait. En effet le premier couplet de
cette chanson est cité ' sous le nom de « Renaut de Biauju », dans le
roman de GullLiume de Dole ^ qui, comme on peut l'établir par un ensemble
de preuves convergentes, a été écrit dans les dix ou douze premières
années du xiii'' siècle. Renaud de Beaujeu a donc composé, sinon son
roman, au moins sa chanson, avant 1 2 1 2, et sans doute un certain temps
avant, puisqu'elle était dès lors devenue célèbre. Elle présente bien d'ail-
leurs les sentiments et la manière de l'auteur du fie/ /«connu. On en jugera
par le premier couplet, qui ressemble de fort près aux passages qui
viennent d'être cités :
Loial amor qui en fin cuer s'est mise
N'en doit ja mais partir ne removoir,
Que la dolor qui destreint et justise
Semble douçor quant l'en la puet avoir.
Qui en porroit morir en bon espoir
Gariz seroit devant Deu au juïse;
Por ço m'en lo quant plus me fait doloir.
Jûhrbuck fur romanischc Literatur, XI, 161.
Cette chanson soulève en outre une question assez curieuse. Elle ne
porte le nom de Renaud de Beaujeu que dans Guillaume de Dole^ qui a
d'ailleurs une autorité exceptionnelle ; elle est anonyme dans deux ma-
nuscrits de Paris ', mais dans le célèbre chansonnier de Berne elle se
retrouve (fol. 124] accompagnée de cette rubrique : Li alens de dallons.
On a cru voir - dans ces mots l'altération du nom d'un chevalier dont
nous avons trois autres chansons, Alart de Chaus ou de Caus, mais c'est
une conjecture peu vraisemblable ; il est bien plus probable que le rubri-
cateur du manuscrit de Berne, qui était, comme on sait, fort ignorant et
fort distrait, a mal lu et mal reproduit l'indication qu'il devait copier et
qui portait : Li cuens de Challons. Cette restitution nous ferait voir dans
Renaud de Beaujeu un comte de Chalon ; malheureusement nous ne
trouvons pas, à l'époque où il vivait, de comte de Chalon qui ait porté le
nom de Renaud, bien qu'il y ait eu plus d'un rapport entre la maison de
Beaujeu et celle de Chalon ; nous ne rencontrons pas non plus, à l'époque
où a dû vivre notre poète, de Renaud parmi les membres de la famille
de Beaujeu dont le nom est venu jusqu'à nous. Nous croyons toutefois
probable que l'auteur du Bel Inconnu appartenait à cette grande maison
de Beaujeu qui donna à la France tant d'illustres hommes de guerre, et
qui, dès le milieu du xii*^ siècle, lui avait donné un poète célèbre, Gui-
chard de Beaujeu. Le roman de Renaud a bien l'air d'avoir été écrit par
un chevalier, par un homme du monde, plutôt que par un poète de pro-
fession ; les négligences même qu'on y remarque décèlent cette origine,
et on peut en retrouver des traces jusque dans les libertés que l'auteur a
prises avec son sujet, et qui dépassent celles que se sont permises d'or-
dinaire les auteurs de romans analogues.
Nous avons déjà dit en effet que Renaud, pris d'un intérêt particulier
pour la belle habitante de l'Ile d'Or, lui avait sacrifié la véritable héroïne
du récit, et avait détruit par là même l'unité et la proportion de ce récit.
C'est ce qui résulte clairement de la comparaison de son œuvre avec un
poème anglais qui a certainement la même source, mais qui la représente
plus fidèlement. Ce poème, appelé d'un titre français Ly beaus desconus,
n'est pas, comme on l'a dit 5, une traduction abrégée du roman de Re-
naud de Beaujeu. C'est ce que suffit à montrer une comparaison rapide
des deux ouvrages. Pour la faire nous nous servons des trois manuscrits
du poème anglais qui ont été imprimés ou collationnés, et qui présentent
entre eux certaines différences que nous signalerons quand elles en vau-
1. B. N., ms. fr. 846, /o/. 78 a; ms. fr. 20050,70/. 19.
2. Raynaud, Bibliographie des Chansonniers, t. II, p. 175, 231.
;. Hippeau, Le Bel Inconnu, p. xxiv; Ward, Catalogue of romances, p. 400.
GUINGLAIN OU LE BEL INCONNU I 5
dront la peine. L'un de ces manuscrits, conservé depuis longtemps au
Musée Britannique (Bibl. Cottonienne, Caligula A. ii.l, a été publié au
XYiii*^ siècle par Ritson ' ; M. Hippeau, le croyant inédit, l'a réimprimé
à la suite du poème de Renaud , en demandant pardon aux savants anglais
de les avoir devancés. Un second manuscrit, qui se trouve à Naples, a
été l'objet d'une collation soigneuse de la part de M. E Kôlbing En-
glische Stiidien, t- 1, P- 121 et suiv.). La troisième copie, qui n'est que du
xvii"' siècle, est dans le fameux manuscrit que possédait l'évêque Thomas
Percy et qui est maintenant au Musée Britannique [Addiîional 27879; ;
elle a été imprimée avec le manuscrit entier par MM. Haies et P^urni-
vall -. Des trois autres mss. on ne connaît que quelques passages com-
muniqués par les éditeurs du manuscrit Percy.
Le poème anglais, bien que beaucoup plus bref que le français, pré-
sente une introduction qui manque à ce dernier. Nous apprenons tout de
suite que Guinglain ? a été engendré par Gauvain « à la lisière d'une
forêts i. ; il a été élevé dans cette forêt par sa mère, et c'est parce
qu'un jour il a rencontré un chevalier dont il a admiré l'armure qu'il se
rend à Glastonbury, à la cour d'Arthur, et lui demande d'abord de le
faire chevalier, ensuite de lui accorder le premier combat qui se pré-
sentera. Arrive Elene (c'est le nom que porte ici Hélie) accompagnée
de son nain Teaudelayn, et les aventures se succèdent, avec de légères
différences 5, comme dans le roman français. Mais le caractère et le rôle
de la belle châtelaine de l'Ile d'Or sont autres, et tels que nous avons sup-
posé qu'ils devaient être originairement. Elle est appelée « la Dame
d'amour, » et est une véritable enchanteresse, qui ne fait qu'arrêter le
héros dans le cours de sa vraie carrière. Elle le retient fasciné '= pendant
i. Ritson, Ancicnt Engleish metrical romances, t. II, p. i ; Hippeau, Le Bel
Inconnu, p. xxiv, 241.
2. Percy's Folio manuscript, t. II, p. 41 5.
3. Les mss. parlent : Gyngelayn, Ginglûine, Gingclyane, Gingelagne, Geyn-
leyn, Gynleyn.
4. Cf. ci-dessous, p. 18. Ainsi le poème anglais se rattache au conte inséré
dans le Pcrceval.
5. Voy. ci-dessus, p. 2, n. i. Bliobliéris est appelé ici William Cele-
bronche (confusion avec le Guillaume de Salebrant qui, dans le français est un de
ses trois amis); la jeune fille délivrée des géants se nomme Violette et a pour
père le comte Antor, qui l'offre à son libérateur; Gifflet, ' le fils Do, devient
■( Gyfiroun le fludous » ; l'épisode de l'Orgueilleux de la Lande (ici « Otes de
Lile ») est assez différent, etc. Le poème anglais contient même en plus un ou
deux épisodes d'ailleurs insignifiants.
6. « Cette belle dame savait beaucoup de sortilège ; elle lui faisait entendre
des mélodies de toutes les sortes d'instruments qu'on pouvait imaginer. Quand
il voyait son visage, il lui semblait qu'il était vivant en paradis; ainsi elle lui
troublait les yeux. »
14 ti. PARIS
douze mois et plus ' , et c'est alors seulement qu'Elene réussit à lui faire
honte, à lui rappeler l'engagement auquel il manque, et à le faire sortir
du château de l'Ile d'Or, où il ne revient plus. Cet épisode, dans l'anglais,
est d'ailleurs traité fort brièvement, et a sans doute, comme nous le ver-
rons, omis des traits importants. Arrivé à Sinaudon, Guinglain, après
un combat qui ressemble d'assez près à celui du poème français, délivre,
en recevant le baiser du serpent, la princesse enchantée sous cette forme
elle n'est pas nommée) ; ce qui est plus naturel que chez Renaud, c'est
que la délivrance a lieu dès que le baiser est donné, et que la princesse
est aussitôt devant lui, « nue comme quand elle est née, et tout son
corps tremblant ». L'épisode de la voix qui parle à Guinglain fait complè-
tem.ent défaut: après la délivrance de la princesse, Guinglain, qui natu-
rellement accepte avec joie la main qu'elle lui offre, et qui reçoit aussitôt
les hommages de ses nouveaux vassaux, se rend avec elle à la cour
d'Arthur. Là vient aussi la mère de notre héros , qui dans le poème
anglais n'est nullement une fée ; elle présente à Gauvain le fils qu'elle a
eu de lui et qui fait tant d'honneur à son père. Gauvain bénit les jeunes
époux, la noce se célèbre, et le poème finit-.
L'auteur dit expressément qu'il suit un modèle français S et les noms
français qui sont restés dans son ouvrage suffiraient à le démontrer ; mais
l'analyse qu'on vient de lire prouve que ce modèle n'était pas le poème de
Renaud. C'était un poème qui ressemblait beaucoup à ce dernier, et qui
présentait déjà les noms du « Bel Desconeù », de 1 Ile d'Or, de Mauger le
Gris, de Lampart, de Sinaudon, des enchanteurs Eurain (angl. Irain) et
Mabon, mais qui ne faisait du séjour de Guinglain auprès de l'enchante-
resse de l'Ile d'Or qu'un épisode au milieu des autres et n'y revenait pas
une seconde fois 4. Renaud de Beaujeu a eu ce même poème sous les
yeux et l'a transformé comme on l'a vu, au détriment de l'unité d'action
de son poème et du caractère de son héros. Quant au récit lui-même,
nous pouvons en indiquer une forme plus ancienne encore que celle du
1 . Dans le manuscrit de Naples il n'est parlé que de trois semaines.
2. Cette fin n'est complète que dans deux mss (Naples et Ashmole) ; dans le
ms. de Lincoin's Inn, il manque la strophe où paraît la mère de Guinglain ; les
mss. Cotton et Lambelh omettent les trois strophes relatives au père et à la
mère ; le ms. Percy s'arrête au moment où Guinglain et sa fiancée partent pour
la cour.
j. V. 222, 2 122 des éditions Ritson et Hippeau
4. On pourrait croire aussi que l'auteur anglais a remanié et simplifié le
poème trançais; mais c'est fort peu vraisemblable : le poète anglais aurait re-
trouvé d'instinct la forme que la comparaison avec Cardinno nous montre avoir ■
été la forme primitive. M. Kœlbing, dans le travail cité plus haut, a porté Icj
même jugement que nous sur le rapport des deux poèmes. \
GUINGLAIN OU LE BEL INCONNU I 5
poème où ont puisé à la fois Renaud de Beaujeu et l'auteur de la version
anglaise.
Cette forme nous a été conservée, plus ou moins fidèlement, dans le
petit poème italien àeCarduino, quia éié composé dans la seconde moitié
du xiv-' siècle, peut-être par Antonio Pucci, auteur de plusieurs ouvrages
du même genre, et dont M. Pio Rajna nous a donné il y a quelques an-
nées la première et très bonne édition. Carduin, qui joue ici le rôle de
Guinglain, n'est pas le fils de Gauvain : son père Dondinel a été empoi-
sonné à la cour d'Arthur, dont il était le favori, par Mordretet ses frères
parmi lesquels, l'auteur le dit expressément, était Gauvaim, et à cause
de cela la mère s'est retirée avec l'enfant dans une forêt sauvage, où il
grandit seul, dans l'ignorance absolue du monde, croyant même qu'il n'y
a pas d'autres humains que sa mère et lui, vivant et se couvrant de la
chair et de la peau des bêtes qu'il tue. Mais un jour il rencontre le roi
Arthur avec ses hommes : les chevaux et les chevaliers l'émerveillent ; il
déclare à sa mère qu'il veut connaître le monde qu'il a entrevu, elle y
consent, et le mène à la ville, où elle lui procure des vêtements et des
armes. La ressemblance entre ce début et celui du Perceval est évidente ;
M. Rajna ■ a cependant remarqué avec raison que certains traits sont ici
plus primitifs que dans l'œuvre de Chrétien de Troies, et il a conjecturé
que l'auteur de Carduino pouvait bien avoir connu une forme du Perceval
'< plus simple et plus authentique ^ ». La supposition est juste au fond,
mais il n'est pas nécessaire d'admettre que dans la source du rimeur ita-
lien le héros de l'aventure ait déjà été Perceval. Si nous comparons à son
récit celui du poème anglais, nous voyons que là aussi la mère de Guin-
glain habite une forêt solitaire, et élève son fils dans l'ignorance du
monde, d'où le tire une rencontre avec des chevaliers. Ce trait de l'ancien
conte est déjà bien atténué dans l'anglais, et Renaud de Beaujeu l'a
presque tout à fait supprimé 5, mais ce qui reste suffit à nous montrer
qu'il était primitif. C'est d'ailleurs un lieu commun celtique, et Chrétien
l'a pris n'importe où pour l'appliquer au héros de son Conte du graal ;
nous le retrouvons par exemple, avec des traits tout particuliers et d'autres
qui ressemblent de fort près à ceux du poème champenois, dans le lai de
Tyolet4 et ailleurs encore.
1. Rajna, Carduino, p. xxviï.
2. M. Rajna n'aurait pas dû d'ailleurs comprendre dans .«a comparaison les
6oo premiers vers de l'édition du Perceval, particuliers au manuscrit de Mons.
et qui ne sont certainement pas de Chrétien.
3. On en trouve des traces, comme l'ignorance oij Guinglain, appelé seule-
; lement Bels fils par sa mère, est resté de son vrai nom (voy. ci-dessus), etc.
4. Romania, t. VIII, p. 40.
Carduin se rend à la cour d'Arthur, et l'aventure du désenchante-
ment de la belle changée en serpent se présente aussitôt à lui. Elle s'ap-
pelle ici Béatrice, et sa sœur, qui remplit le rôle de la demoiselle Hélie,
raconte tout de suite au roi qu'il s'agit pour un chevalier hardi de déli-
vrer Béatrice d'un enchanteur, qui, pour se venger de son refus, a désolé
son pays et l'a réduite elle-même au plus triste sort. Entre le départ de
la cour et l'arrivée à la ville enchantée, Carduin ne rencontre que trois
aventures : l'une est le meurtre d'un chevalier qui veut lui ravir sa com-
pagne de route, et qui se trouve, à la grande )oie de Carduin, êtreCuer-
riès, frère de Mordret,et celui même qui avait remis le poison au père de
notre héros ;la seconde est celle delà jeune fille délivrée des deux géants,
dont le récit présente une remarquable coïncidence tant avec le poème
anglais qu'avec le poème français ; enfin la troisième (qui est la première
dans l'ordre du récit) mérite de nous arrêter un instant : c'est au fond
celle de la fée de l'île d'Or, mais avec des traits particuliers. Carduin, la
sœur de Béatrice et le nain arrivent dans un château dont la dame, une du-
chesse, était une puissante « maîtresse d'art. » Elle dit fort nettement à
Carduin, après lesouper:« Tu connais la coutume constante : je veux que
tu dormes avec moi cette nuit. » Seulement elle ajoute cette restriction:
« Ecoute-moi bien. Quand je t'appellerai, ne viens pas; si jeté dis de ne pas
venir, tu viendras. Fais toujours le contraire de ce que je te dis. » Carduin
le promet, mais quand, de sa chambre voisine, elle l'appelle et lui dit :
« Entre ici, chevalier » , il oublie la recommandation et s'élance. Aussitôt il
entend des mugissements comme ceux d'une mer irritée et il sent un vent de
tempête ; des géants le saisissent et le pendent par les mains au-dessus
de l'eau qu'il croit voir, il passe ainsi toute la nuit à dondolare, jusqu'à
ce que le jour rompe l'enchantement. Carduin tout confus quitte le château
sans prendre congé. La sorcière joue ici, comme dans le poème anglais,
un rôle purement épisodique, quoique bien moins important. Mais ce
qui est remarquable, c'est la présence dans le poème italien du trait de
la fascination du héros, que le poète anglais a supprimé ou s'est borné à
indiquer vaguement, et que le poète français a retiré de l'endroit où il
devait se trouver pour le reporter ailleurs et le motiver tout autrement.
Il est probable que la source commune accordait à l'épisode de l'enchan-
teresse à peu près l'importance et la durée qu'il a dans le poème anglais,
et y insérait l'histoire de la fascination subie, une nuit seulement ou deux
nuits de suite, par le héros. Cette fascination même est tout à fait du
genre de celles que nous trouvons dans plusieurs romans ou chansons
de geste du moyen-âge, et paraît répondre plus particulièrement à cer-
taines conceptions de l'imagination germanique.
Le dénouement du poème mérite aussi notre attention. Il n'y a icil
qu'un enchanteur au lieu de deux, ce qui est plus naturel, et non seulemera
//
GUlNCLAlN OU LE BEL INCONNU I7
il a changé Béatrice en serpent, il a encore métamorphosé en toutes
sortes de bêtes tous les habitants de la cité, et en rochers les édifices et
les maisons qui la formaient, sauf le palais où il habite. Instruit par le
nain qui remplace ici Lampart ', Carduin tue le magicien, et brise un
anneau qu'il trouve dans sa ceinture et auquel était sans doute attachée
sa puissance-. Ensuite a lieu le « fier baiser " ; seulement, au lieu que
ce soit la guivre qui le donne au héros, comme dans les deux poèmes
sur Guinglain, c'est lui qui a le courage de la baiser in bocca, ce qui
est encore visiblement plus naturel et plus ancien. Aussitôt non seulement
Béatrice, mais tous ses sujets reprennent forme humaine, et te poème se
termine par le mariage de Carduin, devenu un des premiers chevaliers
de la Table Ronde, avec la belle princesse qu'il a délivrée.
On voit que le poème italien, quoique bien postérieur au poème fran-
çais, représente plus fidèlement, au moins dans les traits essentiels, le
vieux conte, dont celui-ci s'éloigne au contraire beaucoup. Une première
modification de ce conte, qui a consisté a faire du héros le fils de Gau-
vain, s est produite dans la source commune, perdue aujourd'hui, du
rimeur anglais et du poète français ; ce dernier a fait volontairement
d'autres chan-gements, dont il est maintenant facile de se rendre compte.
Le vrai sujet du récit, devenu déjà moins important dans le poème anglais
et encore plus effacé dans le poème français, c'est le « fier baiser », sur
lequel il nous reste à dire quelques mots.
Cette histoire d'une jeune fille changée en serpent et qui ne peut
reprendre sa forme humaine que s'il se rencontre un mortel assez coura-
rageux pour lui donner un baiser se retrouve ailleurs encore dans la lit-
térature arthurienne. Elle forme un épisode^, d'ailleurs fort altéré et
maladroitement rattaché au reste du récit, du roman de Lancekt, mis
en allemand par Ulrich de Zatzikhoven 3 . Mais ce n'est pas seulement dans
les contes bretons que cette merveilleuse histoire figure ; elle paraît
d'origine orientale ou au moins byzantine, et nous la trouvons localisée
1. Un détail montre combien est incontestable, malgré tant de divergences, le
lien qui attache les différentes versions de notre conte. Le nain dit ici à Carduin:
« Quand tu auras frappé ton adversaire, il fuira dans une chambre voisine ;
garde-loi bien de l'y poursuivre, car son dessein est de revenir par un détour
connu de lui et de te frapper par derrière «; et en effet c'est ce que l'enchanteur
essaie plus tard de faire. Ce trait n'est pas dans l'anglajs ; mais il a laissé dans
le français une trace visible. Lampart dit à Guinglain (v. 2807) : Et tant corn vos
amis xo vie, Si gardes que vos n'entres mi: En la cambre que vos verres; mais le
motif a été changé (voy. ci-dessus, p. 4).
2. Nous avons ici un vrai trait de conte de fées, comme le montreraient des
•'-orochements où nous ne pouvons entrer, mais assez gravement altéré.
"'■' Voyez Rom. X, 476, 477.
i<om.in:a, XIV. 2
en Grèce et singulièrement reliée à des souvenirs de l'antiquité classique.
Le voyageur anglais Jean de Mandeville, connu par ses fables, rapporte
qu'en passant devant l'île de Lango (Cos), il entendit raconter que la
fille du fameux Hippocrate habitait cette île sous la forme d'un dragon.
Un jour un jeune homme, ignorant cette circonstance, avait débarqué
dans l'île et y avait rencontré une jeune fille d'une grande beauté, qui
lui avait dit de revenir le lendemain, et de lui donner un baiser, sans
s'effrayer de l'apparence sous laquelle il la verrait : il la délivrerait ainsi,
et jouirait avec elle de Tîle et de ses trésors. Le jeune homme revint ;
mais quand' il vit le terrible dragon qui s'avançait vers lui, la peur le
saisit et il s'enfuit, en sorte que la fille d'Hippocrate ne fut pas désen-
chantée. Elle l'aurait été plus tard, si Ton en croit l'auteur de Tirant le
Blanc, qui, ayant sans doute lu Mandeville, fait mettre l'aventure afin par
un certain Èspertius, lequel d'ailleurs, comme le héros de notre poème,
reçoit le baiser au lieu de le donner. La légende de la fille d'Hippocrate,
à en croire des témoignages récents, n'est pas encore oubliée dans l'île
de Lango, et, malgré le récit de Jacques Martorell, on croit qu'elle a
conservé sa forme de serpent et qu'elle attend toujours un libérateur ' . On
a rattaché cette légende au fait qu'Hippocrate aurait eu un petit-fils (et
non un fils) du nom de Dracon. Il est plus probable que dans l'attri-
bution de cette métamorphose à la fille d'Hippocrate il y a un souvenir
de l'ancien rôle du serpent dans le culte d'Esculape, qui a dû être facile-
ment confondu avec le « divin « médecin de Cos. Quoi qu'il en soit,
l'aventure même se retrouve dans bien d'autres endroits, par exemple
dansV Orlando furioso duBojardo, dans les Contes amoureux de ]ean Flore,
et dans beaucoup de récits et de chants populaires de divers pays qui ont
été savamment réunis et commentés -. Elle a pénétré dans les contes celti-
ques, mais, comme bien d'autres éléments de ces contes, elle n'est pas
d'invention celtique et provient d'une source étrangère.
Le personnage auquel le poème qui est la source de la version an-
glaise et du roman de Renaud de Beaujeu a rapporté l'aventure du
« fier baiser « n'est pas, en dehors de cette aventure qui lui est originai-
rement étrangère, inconnu à la littérature arthurienne. La première con-
tinuation du Perceval de Chrétien de Troies raconte que Gauvain eut
d'une demoiselle qu'il avait rencontrée dormant sous une tente dans une
forêt 5 un fils, qui tout enfant fut enlevé du château de Lis, oii il vivait
1. Duniop's Geschichtc der Prosadichtung, ûbcrsdzt von Liebrecht, p. 175.
Nous devons dire que malgré nos recherches nous n'avons trouvé aucune trace
de la survivance actuelle de ce conte dans l'île de Cos. ,
2. Child, The tnglish and scoUish popular Ballads, part II, p. 307. |
3. Cette demoiselle a un père, Méiiant de Lis, et deux frères, Morre dt^
GUINGLAIN OU LE BEL INCONNU l C)
avec sa mère, plus tard adoubé par un chevalier, et recueilli par la « de-
moiselle esgaree ' '>. La manière fort abrégée dont l'auteur parle de ces
aventures montre qu'il se référait à une source où elles étaient racontées
en détail ; ce qu'il ditsuffit en outre pour nous faire voir que l'enfance du
fils de Gauvain ressemblait beaucoup à celle de Perceval et de Tyolet ;
le héros primitif de l'aventure du « fier baiser » avait aussi une pareille en-
fance, et c'est sans doute ce qui a été cause qu'on a attribué cette aven-
ture au fils de Gauvain. Le récit qu'avait sous les yeux le continuateur
du Perceval lui prêtait d'ailleurs beaucoup d'autres exploits auxquels ce
continuateur s'est contenté de faire rapidement allusion : après avoir
rappelé le merveilleux écu d'or dont le jeune chevalier se rendit maître,
il ajoute v. 20691 et suiv. :
Mais ne me loist mie arester
De ceste aventure conter
Ne des autres, dont meut i a :
Si com la sale délivra,
Ne l'abatement del plancier
U on le dut jus trebucier,
Ne ke il tensoit sor le pont
Ciaus ki furent monté a mont,
Ne le hardement des degrés
Que il fist quant il fu armés,
Dont li pules s'esmerveilla
Et li rois quant il l'esgarda,
Car moût estoit jovenes d'eage 2 ;
En la chambre a l'orne sauvage
S'en entra, qui 5 moût estoit biaus,
Et si avoit nom Yoniaus ;
A sa fin vos voel amener ;
Ceste oevre me fait sorparler.
et Bran de Lis; ils surprennent Gauvain auprès de leur sœur et le défient:
Gauvain tue le père et l'un des frères, et combat plus tard l'autre en pleine cour
d'Arthur, puis se réconcilie avec lui, la demoiselle jetant entre eux deux l'en-
fant qu'elle a de Gauvain. La première partie de ce récit (Perceval, v. 16885-
17481) a fourni le sujet d'un poème anglais du xve siècle, dont on ne possède
qu'un long fragment (Madden, S}t Gairayne, p. 207 et suiv.). Il est remarquable
que l'aventure de Gauvain avec la demoiselle est racontée une première fois,
dans une des rédactions de cette continuation, tout autrement que dans le récit
''àisç^''*''^ plus tard Gauvain lui-même (v. i 1987 ss.).
" . ^^erceval, v. 20387 et suiv.
• çn|Le ms. suivi par M. Potvin porte : Car moût fu jovenes ses'eages, et au
fil^giivant : a l'orne sauvages.
._ .^e ms. de Mons porte et au liei* de qui.
Un jour il rencontre Gauvain, joute avec lui sans résultat ; Gauvain
lui demande son nom, mais il ne le sait pas lui-même : au château de
Lis on ne l'appelait que « le neveu de son oncle ». Gauvain le reconnaît
pour son fils, se fait reconnaître pour son père, et tous deux s'en vont
joyeux à la cour d'Arthur. — Nous retrouvons dans ce conte un lieu
commun de la poésie épique de tous les peuples : le combat d'un père
et d'un fils qui ne se connaissent ou ne se reconnaissent pas'. Dans
les vers que nous venons de citer il faut voir le résumé d'un poème
perdu qui racontait la vie du fils de Gauvain, tout autrement, sauf au
début, que les romans que nous avons étudiés jusqu'ici. Dans ce résu-
mé, aucun nom ni surnom n'est donné à ce fils. Mais dans la seconde
continuation du Perceval, celle de Gaucher de Dourdan, qui, suivant
toute vraisemblance, n'a pas connu la première, il apparaît, d'ailleurs
seulement pour un instant (v. 24523 ss.), sous le nom du « Bel Desco-
« neù ». Sous ce surnom et le nom de Guiglain, il fait aussi une courte et
insignifiante apparition dans le roman de Tristan en prose ,voy. le ms.
franc. B. N, 750, fol. 921. « Lo bels Desconogutz » est cité dans le ro-
man provençal de Jaujré parmi les chevaliers de la cour d'Arthur.
Si nous avons pu nous rendre un compte à peu près exact du rapport
qui existe entre notre poème, le poème anglais et le poème italien, il est
beaucoup plus difficile de comprendre celui qui l'unit au poème allemand
de 11 7^^/o/5_, composé en Bavière, vers 12 10, par Wirnt de Gravenberg.
Les ressemblances sont incontestables, mais intermittentes : Wigalois,
qui porte visiblement le même nom que Guinglain, est fils comme lui de
Gauvain et d'une fée ; comme lui il se présente à la cour d'Arthur et
réclame le droit de suivre l'aventure que vient annoncer une jeune fille
accompagnée d'un nain ; comme lui encore, il est d'abord l'objet des
mépris de la demoiselle; il lui arrive en chemin plusieurs des aventures
que rencontre Guinglain, celle de Lampart ifort différente et mise en pre-
mier lieu), celle de la jeune fille délivrée des deux géants (avec des traits
absolument pareils', celle de la demoiselle à qui il pssure le prix de la
beauté lil s'agit ici non d'un épervier, mais d'un cheval et d'un perro-
quel^), celle du chien que son maître veut reprendre à la compagne du
héros (le récit allemand est plus près de l'anglais que du françaisi ; mais
l'aventure principale n'offre qu'une vague ressemblance : il y a bien un
dragon, une bête merveilleuse qui reprend sa forme humaine et qui révèle
au héros le nom de son père, une princesse délivrée et épousée par lui,
1. Voy. les remarques de M. R. Kœhler dans l'cdition des lais de Ma
France de M. Wanrke, p. xcvii. 'rie de
2. Comme dans le Conk du papcgaut. petit roman épisodique encore |l
/inédit.
GUINGLAIN OU LE BEL INCONNU 2 1
mais tout cela ne rappellerait guère l'histoire de Guinglain si la similitude
du nom et la ressemblance d'autres épisodes ne provoquaient à la com-
paraison. Au reste, l'histoire de Wigalois, déjà très longuement racontée
dans cette dernière partie, ne s'arrête pas encore là : le roman a toute
une fin qui ne correspond à aucune partie du roman français ; il a de
même une longue introduction, oiï sont racontées les amours deGauvain,
dans le pays des fées, avec Florie, la mère de Wigalois, qui pourrait
bien être sortie de l'imagination du poète allemand '. Pour le reste, la •
question est aussi compliquée : Wirnt dit à deux reprises qu'il ne tire
pas son sujet d'un livre, qu'il l'a entendu raconter à un écuyer -, et se
plaint des difficultés qu'il a ainsi eues à le bien connaître '. Quelle qu'ait
été la source où Técuyer avait puisé et la fidélité avec laquelle il a com-
muniqué son information, on ne peut guère douter que le chevalier bava-
rois n'ait pris à son tour de grandes libertés avec le récit qu'on lui faisait,
ne l'ait amplifié notablement et ne l'ait beaucoup changé 4. Il termine
son ouvrage en nous disant que Wigalois et la belle Larie (c'est le nom
de l'héroine eurent un fils dont l'histoire est bien plus belle que celle
de son père et demande, pour être dignement traitée, un talent que lui,
Wirnt, ne se sent pas; cependant il s'y essaiera peut-être si un meilleur
ne se met pas à la tâche. Ce héros s'appelait d'après lui (<■ li fort Gawa-
nides » s, nom singulier, qui parait plus latin que français; il est complète-
ment inconnu d'ailleurs, et il nous semble fort probable que le bon Wirnt,
1. Cependant dans le roman inédit de Rtgonur (cf. Rom. x, 495), nous
voyons que Gauvain a pour amie une fée appelée Lorie, ce qui ressemble d'assez
près à Florie.
2. Wigalois, V. 152, 596, 11623.
5. Racontant que Gauvain fut renversé et pris par un chevalier inconnu
(grâce, il est vrai, à une ceinture magique), le poète croit devoir dire : « Jamais
de lui on n'avait raconté pareille honte, et elle ne sortirait pas non plus de ma
bouche, si un écuyer ne me l'avait dit comme une entière vérité, mais j'en dis-
pute tout le temps avec lui y. C'est. un passage à joindre à ceux qui sont cités
ailleurs sur la tradition qui présente Gauvain comme invincible.
4. M. Kœlbing, dans le travail cité plus haut, admet que le poème anglais
et le poème allemand représentent deu.x poèmes français perdus ; ces deu.x poè-
mes (Det \V) forment avec le poème français (R) trois dérivations indépen-
dantes d'une source perdue (.v), qui était sans doute déjà un poème français, et
dont nous avons l'imitation la plus fidèle dans D, la plus éloignée dans W.
Mais M. Mebes iUcber dcn Wigalois, progr. de la Realschuk de Neumùnster,
ç^79) a montré qu'il y avait dans W des passages qui ne pouvaient s'expliquer
c|4e comme une traduction des passages correspondants de R. Il conclut avec
„ aisemblance que l'écuyer de Wirnt avait des fragments manuscrits du poème
■ Renaud ; pour le reste, :l l'avait entendu raconter : sa mémoire avait fort mal
■.enu le récit, et l'imagination de Wirnt s'est efforcée, mais sans grand
nheur. de compléter ce récit tronqué et incohérent.
; . Wigalois, v. 1 1639.
tout en se donnant des airs d'ami scrupuleux de la vérité, comptait tirer
de sa cervelle toute l'histoire du petit-fils de Gauvain. En tout cas il en
a été de son projet comme de celui que Renaud de Beaujeu annonce en
terminant son œuvre : rien ne nous autorise à croire qu'il ait été exécuté.
En effet, un autre ouvrage de VVirnt de Gravenberg n'aurait sans
doute pas disparu sans laisser de traces, attendu le succès considérable
qu'a obtenu celui qu'il nous dit être son premier et qui paraît être resté le
seul. Non seulement les manuscrits en sont nombreux, mais il a été mis
en prose et ainsi imprimé plusieurs fois au xvi'' siècle ; il a même été
l'objet d'une curieuse version en judéo-allemand'. En outre, une 5agu
islandaise et un livre populaire danois sur Gauvain et Vigolès n'ont pas
d'autre source que le poème de Wirnt, ou plutôt que le roman en prose
allemande qui en est issu.
Le poème de Renaud de Beaujeu, auquel nous revenons en terminant,
a été, lui aussi, l'objet d'une rédaction en prose. On en possède trois
éditions, l'une sans date, l'autre de 1 550, la troisième de 1 539, toutes
trois parues à Lyon chez Claude Nourry, et toutes trois fort rares. L'au-
teur, qui se nommait Claude Platin et était religieux antonin', a réuni
bizarrement deux romans qui n'ont rien à faire ensemble ; c'est ce qu'in-
dique déjà le titre de la publication : L'hystoire de Giglan, fdz de messire
Gauvain, qui fut roy de Galles^ et de Geoffroy de Maience son compagnon,
tous deux chevaliers de la Table Ronde. Ce Geoffroy, mal à propos sur-
nommé de Mayence, n'est autre que le héros du roman provençaWau/rf.
Claude Platin a entrelacé son histoire avec celle de Guinglain, sans même
essayer de les unir quelque peu intimement. Dans son prologue, il nous
dit : « Moy frère Claude Platin, humble religieux de l'ordre monseigneur
sainct Anthoine, ung jour en une petite librairie la ou j'estoye trouvai ung
gros livre de parchemin bien vieil escript en rime espaignolle assez diffi-
cile a entendre, auquel livre je trouvay une petite hystoire laquelle me
sembla bien plaisant, qui parloit de deux nobles chevaliers, qui furent du
temps du noble roy Artus et des nobles chevaliers de la Table Ronde, dont
1. Graesse, D(> grossen Sagenkrcise, p. 225-227.
2. Frère Claude Platin ne se contentait pas de mettre en prose française du
provençal qu'il prenait pour de l'espagnol ; nous lui devons encore le Débat de
l'homme et de l'argent, plusieurs lois imprimé su xv" et au xvi<= siècle, et que
M. de Montaiglon a inséré dans !e t. VII (p. 502-529) de ses Anciennes Pocsu
françaises. Cette pièce, qu'on a voulu, dans certaines éditions, faire passer poi
l'œuvre du poète Maximien, est précédée d une préface où on lit : « Laquel^
disputation moy, frère Claude Platin, religieux de l'ordre de monseigne' "
sainct Anthoine, ay translaté de langaige ytalien en rime françoyse ». Le Dèb\
est traduit d'un poème italien : // Contrasta dcl danaro e deW iiomo; voyez Tat de
mirable Ca'alogiic des livres des M. lebaron James de Rothschild, t. I, p. 557^
''lit.
GUINGLAIN OU LE BEL INCONNU 2]
l'un des chevaliers fut nommé Giglan, qui fut filz de messire Gauvain
nepveu du roi Artus, lequel Giglan fut roy de Galles qu'il conquist
par sa prouesse ; et l'autre eut nom Geoffroy, fils du duc de Maience.
Ay voulu translater ladicte hystoire de celle rime espaignolle en prose
françoise au moins mal que j'ay peu selon mon petit entendement, a celle
fin que plus facilement peust estre entendue de ceux qui prendront
plaisir a la lire ou ouyr lire. « Malgré cette déclaration, il ne faudrait
pas croire, comme on l'a fait ', que Claude Platin a réellement traduit un
roman espagnol fondé lui-même sur le poème de Renaud de Beaujeu : il
est certain, et par la forme des noms propres = et par d'autres rapproche-
ments, que c'est ce poème même sur lequel a travaillé le prosateur. Ce qu'il
dit de « rime espaignolle » ne s'applique qu'au roman de Jaufré ; il a
pris, comme bien d'autres de son temps, du provençal pour de l'espa-
gnol, et il a étendu à l'autre ouvrage qu'il mettait en prose ce qui ne
s'appliquait qu'au premier. C'est donc en vain qu'on rechercherait l'ori-
ginal de Claude Platin parmi les manuscritsdes bibliothèquesespagnoles '.
La rédaction de frère Claude nous a paru généralement fidèle ; il faut
remarquer seulement qu'au début du récit elje intercale un épisode assez
intéressant qui n'est pas dans le poème. Giglan vient d'arriver à la cour
d'Arthur, quand une demoiselle s'y présente, accompagnée d'un cheva^
lier qui vient, dit-il, se disculper d'avoir tué Gauvain en trahison et pro-
voque ceux qui douteraient de sa loyauté. Au milieu du deuil que la
nouvelle de la mort de Gauvain répand dans la cour, le Bel Inconnu
demande et obtient la faveur de le venger ; il est cependant prévenu par
le sénéchal Keu, mais celui-ci, selon sa coutume, subit un échec ridicule.
Le combat entre Giglan et le chevalier inconnu reste longtemps indécis ;
enfin celui-ci lève son heaume et se nomme: c'est Gauvain lui-même ;
il raconte qu'un félon chevalier avait pris son nom, et, sachant que la
demoiselle qui l'accompagne s'était éprise de Gauvain sur sa renommée,
avait voulu, sous ce masque usurpé, non seulement la séduire, mais lui
faire violence : Gauvain était survenu précisément à temps pour la sauver
1. Hippeau, Le licl Inconnu, p. i.
2. Le r.om « Giglan » semblerait seul avoir une forme méridionale, mais
Emerie (Esmerie), la Gaste Cité, l'Ile d'Or et plusieurs autres n'ont certainement
pas passé par une langue étrangère. Nous avons déjà vu que la mère de Giglan
est appelée « Blanchevalee » (fol. O ii vo) ; il est singulier que dans le premier
chapitre, énumérant les principaux chevaliers de la Table Ronde, l'auteur dise:
Il Giglan qui fut filz de messire Gauvain et de la f;ie[e] Helinor ».
3. Il existe bien en espagnol une imitation, assez libre et fort médiocre, de
Jaiiftc, le roman de Tablante de Ricamonte ; mais en comparant ce roman à
celui de Claude Platin, on voit clairement qu'ils ne proviennent pas l'un de
l'autre, et que tous deux remontent directement au poème provençal.
24 G. PARIS
et tuer l'usurpateur de son nom. A cette révélation, la joie est grande,
comme on pense, et la demoiselle, charmée d'apprendre que ce Gau-
vain qu'elle aimait n'est ni indigne ni mort, est encore plus contente de
le prendre pour époux. Nous avons là sans doute le résumé d'un petit
poème épisodique sur Gauvain, qui peut compter parmi les plus heu-
reusement imaginés ; l'auteur de ce poème avait habilement utilisé un
trait qui se retrouve souvent dans nos romans, où plus d'une jeune fille,
sur la grande réputation du neveu d'Arthur, déclare, sans l'avoir vu,
qu'elle n'épousera jamais que lui. Ce récit n'avait originairement rien à
faire avec Guinglain, et c'est un troisième élément que Claude Platin a
fait entrer dans sa compilation ; en donnant à Guinglain le rôle du che-
valier qui combat Gauvain, il a produit une nouvelle variation du thème
du combat d'un fils contre son père, que nous avons déjà rencontré dans
le Percerai, également appliqué à Gauvain et à son fils.
L.e roman en prose de frère Claude Platin a été analysé par le comte
de Tressan, dans la Bibliotliècjiie des Romans i octobre 1777', avec
l'inexactitude et les enjolivements qui caractérisent les « extraits » de ce
galant vulgarisateur '.
Gaston Paris.
I. M. Koelbing, dans le travail plusieurs fois cité, a cru à la fidélité de l'ana-
lyse de Tressan, ce qui l'a induit à porter un jugement erroné sur la version de
Claude Platin.
LES
PROVERBES DE GUYLEM DE CERVERA
POEME CATALAN DU XliT SIECLE
Le poème que nous publions ci-dessous in extenso pour la pre-
mière fois a été signalé à diverses reprises par les savants qui ont
travaillé à la bibliothèque Saint-Marc de Venise. Le bibliophile Jacob ',
Keller^ Paul Heyse?, K. Bartsch4 ont donné quelques extraits du
manuscrit CIV 6 qui nous a conservé la majeure partie de l'œuvre de
Guylem de Cervera, Milâ y Fontanals s a reproduit les soixante premiers
quatrains et les six derniers, qui avaient été publiés par Heyse, et les a
fait précéder d'une notice sur l'auteur, ou plutôt sur la famille catalane
de Cervera. Est-il bien sûr que notre auteur appartînt à cette famille i*
On trouve dans les Layettes du Trésor des Chartes une lettre adressée au
roi de France Louis VIII, vers la fin d'avril 1226, par un seigneur du
nom de « Cuillelmus de Cervaria », qui lui offre ses services contre les
Albigeois et annonce que l'abbé de la Grasse fournira au roi des détails
plus précis à ce sujet. Teulet, qui a publié cette pièce 6, a cru qu'il
s'agissait en effet d'un seigneur catalan de Cervera; mais Boutaric 7
pense avec raison que Cervaria désigne, dans cette lettre, la localité de
Serviés-en-Val, près de l'abbaye de la Grasse, dans le département
I . Dissertations sur t^uel^ues points curieux de l'histoire de France et de l'Iiis-
toirc littéraire^ t. VII, p. 149.
2. Romvarf^ p. 1.
3. Romanischi Inedita, p. 13-20.
4. C/irw/. /TOI'., 3« éd.,col. 305-506.
y Los Trovadores en Espana, p. 551-357.
6. Lavettes, t. II, pièce n" 1776.
7. Saint Louis et Alphonse de Poitiers, p. 37.
2b A. THOMAS
actuel de l'Aude. Faut-il de même retirer notre poème à la Catalogne
pour le rendre au Languedoc? Je ne le crois pas. L'origine catalane de
l'œuvre, et par suite de l'auteur, y est trop fortement empreinte pour
qu'on puisse la méconnaître. Je ne parle pas de l'orthographe du manus-
crit: il se pourrait que le scribe seul en fût responsable. Mais ce qui
trahit bien un auteur catalan, ce qui ne pourrait en aucun cas se trouver
chez un Languedocien, c'est le mélange à la rime des e fermés et des e ou-
verts que nous offre fréquemment notre poème. En voici quelques exem-
ples: qu. 19 ligèts: trobaréts; 28 trobaréts : -^^bés: adès ; 76 pè : bé;
226 jés: portés; 371 pogués : senyoragès ; 527 es : adcs, etc.
La supposition de Milâ y Fontanals est donc juste. D'autre part, je
pense avec lui que les vers du huitième quatrain contiennent une allu-
sion à la croisade de 1 270 : par conséquent il ne faut pas songer à iden-
tifier notre poète avec le personnage historique du même nom qui joua
un rôle important en Catalogne dans la première moitié du xiir siècle et
qui mourut en 1245. Il est possible que notre Guylem soit le même que
Guylem de Cervera, surnommé el gordo, ainsi que MiLi incline à le
croire ; mais cette identification est en somme d'un mince profit, puisque
nous ne savons à peu près rien sur ce personnage, sinon qu'il apparte-
nait à la même famille que le précédent.
Le poème de Cervera n'a aucun titre dans le manuscrit de Venise. Je
lui ai donné celui de Proverbes, me conformant à la pensée exprimée par
l'auteur au quatrain 22, où il appliquée son œuvre le nom de verses
proverbiiils, en l'opposant aux vers légers qu'il avait autrefois composés.
Ces Proverbes ne sont pas toutefois, comme on l'a dit ', une simple para-
phrase des proverbes de Salomon. Cervera a emprunté beaucoup au
Livre des Proverbes comme aux autres livres de la Bible, mais son œuvre
est dans une certaine mesure originale, sinon pour le fond des pensées,
du moins pour la forme qu'il leur a donnée. Nous avons affaire à un
recueil de maximes et de préceptes de conduite analogue au Libre de
Seneca publié en 18)6 par M. Bartsch; c'est, en plus petit et moins les
allégories, une encyclopédie morale assez semblable aux Documcnti de
Barberino. Cervera, il est vrai, est loin d'avoir l'immense érudition du
docte notaire florentin. Pourtant quand il déclare au début de son poème
ne pas savoir le latin, il ne faut pas trop prendre sa déclaration au pied
de la lettre. Il est bien difficile de croire que pour les nombreuses sen-
tences qu'il a empruntées à la Bible, aux Pères de l'Eglise et au Pseudo-
Caton, il se soit servi de traductions en langue vulgaire. Ce qui est
1. Bartsch, Gniminss dcr prov. Lit., p. 4^.
LES PROVERBES DE GUYLEM DE CERVERA 27
exact, c'est que beaucoup de ses lectures, à en juger par les réminis-
cences qu'elles lui ont laissées, sont celles d'un laïc instruit plutôt que
d'un clerc. Il connaît le roman de Renart (qu. 625), la chanson de geste
de Basin;i 14$, les poèmes sur Alexandre ipassim] et sur Tristan 997 et
surtout une quantité de fables, de contes et de nouvelles dont la mention est
peut-être pour nous la partie la plus intéressante de son poème '. Ce ne
sont pas seulement ses lectures, mais sans doute aussi ses voyages qui
lui ont laissé des souvenirs : c'est vraisemblablement au delà des Alpes
qu'il a appris les vers italiens qu'il nous a transmis (166 .
Le texte de Cervera s'arrête dans le manuscrit de Venise au milieu du
feuillet 49 v% après le quatrain 1 169. Une main postérieure a ajouté en
manière d'explicit : Finiio libro sit Lus gloria. Hamen ; mais il est évident
que ce n'est pas là la véritable fin de l'œuvre. Les feuillets 50 et 5 1 ont
été laissés en blanc, et la même main [de la fin du xiii'' siècle) qui a écrit
le poème de Cervera a transcrit, à partir du f" 52, une composition de
Serveri de Gerona dont le début fait défaut ^. Notre manuscrit semble
donc copié sur un autre manuscrit où deux feuillets auraient été
arrachés : ces deux feuillets devaient contenir à la fois la fin des Pro-
verbes et le début du petit poème de Serveri de Gerona. Si cette conjec-
ture est juste, il ne nous manque que peu de chose de l'œuvre de Guy-
lem de Cervera.
Au xv" siècle, un Majorquin nommé Pach, qui se qualifie de sobrecoch
cuisinier en chef) de Jean 1, roi d'Aragon, a cité plusieurs fois notre
poème dans une composition morale dont la Bibliothèque nationale pos-
sède deux mss. complets ifonds espagnol n'* 54 et 55 3), et qui a été
publiée à Barcelone, d'après une copie incomplète, dans le tome XIII de
la Coleccion de documentas inedkos dei archivo de la Corona de Aragon^
pp. 186 à 301. Par une bizarrerie singulière, Pach cite constamment les
couplets qu'il rapporte sous le nom de Serveri : E per ço diu Serveri. . .
ou simplement ^m Se/Tm. Il est probable qu'il avait un ms. où, comme
dans celui de Venise, l'œuvre de Guyllem de Cervera était jointe à quelque
poème de Serveri, et qu'il n'aura pas fait la distinction des deux auteurs.
Mon ami M. Morel-Fatio a bien voulu me copierles passages cités dans la
compilation de Pach. Ils avaient du reste été indiqués pour la plupart dans
1. Voyez le mot istoria à l'Index.
2. P Heyse a donné des extraits de cette composition, extraits reproduits
par Mila y Fontanals. J'avais copié le texte complet de Serveri en même temps
que celui de Cervera, c'est-à-dire au mois d'octobre 1880, avec l'intention de
les publier, mais j'ai été devancé par M. Suchier dans ses Dcnkm.:lcr prov.
Literiitur luid Sprachc, p. 256-271.
;. N"^ 21 et 22 du Catalogue de M. Morel-Fatio.
28 A. THOMAS
les Tromdores en Espana de Milâ y Fontanals, (p. 5721, qui les avait
tirés de l'édition.
Je n'ai fait au texte du manuscrit que le minimum indispensable de
corrections, c'est-à-dire que j'ai conservé toutes les inconséquences gra-
phiques quand elles ne gênaient ni le sens ni la mesure. Je publie les
vers de Cerverasous forme de quatrains de six syllabes à rimes croisées;
dans le manuscrit ils sont disposés comme des vers de douze syllabes
rimant à la fois par le premier et par le second hémistiche. Il m'a semblé
que la disposition du manuscrit était purement matérielle et ne préjugeait
pas la question de savoir dans quel mètre a voulu écrire Cervera. Or,
pour une œuvre de ce genre, il est plus naturel d'admettre des vers de
six syllabes que des vers épiques de douze : Serveri de Gerona écrit
en vers de six syllabes rimant deux à deux et Guiraut Riquier égale-
ment. J'ajoute — et c'est M. P. Meyer qui me suggère cette remarque —
que le catalan ne connaît guère de vers de douze syllabes avec la césure
épique.
Antoine Thomas.
I . Sitôt letra no say, /. i
Eu Guylem de Cerveyra
Als plans comenseray
Plan' obra vertadeyra.
^ . Mas am ezay amat
Es enquer amaray,
E pas etz ay passât
E ligeligiray.
2. Mas nom conexeran,
Jes ne m'entendran be:
Can mon nom ausiran
Nels sovendra de me.
6. Car ligir ditz emblar,
Per qu'emblar volgra mi
A tôt vil malestar,
C'aytal emblar vey fi.
] . No conosc ablatius,
Singulars ni plurals,
Verbs, oblicz, sostantius,
Ne mudes ne vocals,
7. E ligirs coylir dits,
Per qu'eu volgra cuylir
Amor, plasers, servis,
Ab poder de servir.
4. Prétérits ne presens,
Consonans, leonismes.
Ne absens ne accens,
Ne comtes d'argorismes.
8. R ligirs passar dits,
Per qu'eu volgra passar
Ab los très reys, guarnits
De tôt arnes, la mar.
coylir.
b Heyse i7 /u en . — 4 c dragorismes. — 6 </ ney.
E ligits dits
8 a K li^its.
9. E ligirs dits ligir
Can hoin la letra lig
E iriar ez eslir,
Siiot be no config
LES PROVEKbES DE GUYLEM DE CERVERA
17
b»
E no podrets far re
Ni menar ab les mas
Quel cor noy an dese.
En bocha ni en nas
29
0. Eslir volgr' e triyar,
Si pogues, mal e be
El be pendre, laixar
Lo mal, c'axis cove.
No pot hom re sentir
Quel cor ades noy an.
Tuyt me poran ausir,
Mas be no m'entendran.
1 1 . E volgre ligir libre s
On conagues cals suy,
Ecolmonvay, con gibrefs)
Cals seray e cals fui.
12 . Fiyl, per vos altres die
Aquestz dits planamen,
Car volgra fossats rie
De saber e de sen.
9. Fiyl, vos cuylets enblan
E pessats e ligets
Axi con dits devan,
Que iigen trobarets,
!o. Si sebets legir be
E triar, tal seber
Que vos metex e me
Complirets de plaser.
1 5 . Esguardan m'escoutats i'"
E de cor m'entendets,
E can be m'entendais
Mos plans dits retenets,
14. Qu'escoutars sens entendre
Fa mays trop mal que be.
Qui escouta, rependre
Se fay, can no rete
15. Lo be c'als bons aus dire
E laix'anar lomal,
Corn no deu re escriure
Hon perda son jornal.
16. Tots vostres.v. sens vuyl
Metats en l'escoutar,
Car lay hon guardon l'uyl
Fan desel cor virar.
21 . Sitôt non ay seber,
Engeyn subtil eprim,
Cor ay c'a mon poder
Ades aplan e lim
22. Verces proverbials,
En loc de ceyls c'ay fayts
Leugers e venarsals
C'ay en cantan retrayts.
23 . Dels proverbis que fe
Le savis Selamo
Hi pauseray granre
Per gensar la reyso.
24.
Si volets c'om vos am,
Amats de bon' amor ;
No camjets per aram
Aur, ne seyn per foylor.
q f E matez eslir. — 24 <? i Se\ec.\., Epist. ix. 4 : Si autem vis amari, ama
2 5- Ab re tan be nos pren if.
Focz, corn ab autre foc;
Amors aman s'encen
Mils c'ab als, en tôt loc.
32 . Re no pren comensar,
Si non a bona fi.
Not cal tu eys lausar,
Qu'els fayts conex hom mi.
26. Sobre tôt amats Dieu
E vostres pruymes si
Com vos metex, car grieu
Porets falir axi.
3 3 . Puys Deus asira cel
Qui s'engana, can part.
Que pora far de ce!
C'assi no rete part ?
27, Trop fayrets gran foldatis:
E fait descuminal
S'essér cuyats amat si
Fer cel cuy volets mal.
14. Tu qui parts tot[sjtos bes,
Si tu matex non as
E rendras comt' ades
A Dieu^ que li diras ?
28. Ab mi no trobarets
Bon' amor paternal,
Fiyl, si vos no m'avets
Bon'amor filial.
3 S . Gardar vols de morir
Lo cors qui t'aduts mort,
E l'arma vols aucir ?
A tu matex fas tort.
29. A l'un ensenyarai,
E si vol l'autre apendre,
Ascolt so que diray,
Car be s' i pot entendre.
36. Qui non es passiens
Non a autruy ni si;
Passiencia vens
E s'esforsa ses fi.
30. Ja no ams ton paren
Aytant cant us ne sia
Ab lo teu malvolen,
Car tôt ton dan volria.
37. Tots hom savis soana [v"
Lo foyl e sa paria :
Qui si metes enjana,
A cal leyal séria .''
3 1 . Mos parents sis restrayn
En far mon desplaser,
Aytant con plus me tayn
Me doblemal seber.
Tu qui vius, aies cura
Que la mort no t'enjan;
Forts causa es e dura
Que mort an vius sobran.
[cité dans le Moralium dogma public sous le nom de Gautier de Chdtillon, chap.
xviii). —26 a amenas. — 50 b uesia. — 36 /> atruy {lu par He)scz\v\mu\^\
— 36 . es sesforsa.
1 ES PROVERFiEi DE GUYLEM DE CERVERA
46
59. Le coloms guard' el riu
L'ombra de l'esparver;
Ans que perdes ton briu.
Guardet de Lucifer.
Si corn la flors se te
El ram contrel fort ven,
Beyla dompnas soste
Ab soptil parlamen.
40. Veri, glay, ni turmen
No son tan temedor
Con desordenamen
De mal e brau senyor.
47 . L'estopa lexeras
Près del foc, pus vent fay ?
Car no l'enlèveras,
A gran ventura stay.
41 . No deu hom desirar
Sobr' autre senyoria
Mas pel poble selvar
E c'als bashumils sia.
48. Ben es orb qui orb guia.
Es orb qui orb aten.
Et orbs qui'n femnas fia.
Tal m'au qui no m'enten.
42. Sil vis te fay doler
E vols massa parlar,
Cayla e vay jaser
E fay l'autr' enayguar.
49. Qui no a hoyls.orbses 1/.
E pus orbs qui liuyls a,
Pus no ve mais ni bes
Ni cone.x so que fa.
43 . De parlar pots apendre
Caylan, e no parlan
De caylar sens rependre:
Savis rete caylan.
50. Qui fer en l'aguylo
Mal se fay de la ma.
Cavaylssens espero
A se volentat va.
44. Can la rosa métras
Fresqu'en aygua buylen,
Ja puys no l'en trayras
Beyla ni be olen.
45 . Si dona met la ma
En aygua d' amaror,
Tant tost no l'en trayra
Que noy laix sa valor.
5 1 . Greu pot hom d'avol mayre
Bona fiyla tenir ;
Pero vist ay de payre
Bon avuel fiyl noyrir.
^2. Can humilitats raya,
Bas estan a pleser;
Car non ha [hom] on caya,
Per so no pot caser.
41 b autra. — 4^ b de maror. — 47 d uenturas. — 51 c Heyse a lu de bon
paire, mais il y a dans le ms. un signe indiquant qu'on doit intervertir les mots
it lue comme nous taisons.
5 5 • Can humilitats mon
Pus ait que res qui sia,
Pus bays que res del mon
Crey eu c'orgoyls estia.
5 4 . Can orguyls puia ait
Que bas no pot estar,
Cax bas e pren tal sait
Que puys non pot levar.
5^ . Si vol cuylir plaser,
Plasers deus semenar :
Qui bon fruyt vol aver,
Bon arbre deu plentar.
6i . En foyl merce atens,
Tu qui non as merce?
Si aus e no entens,
Sos dits pert quit diu re.
62 . Can il senyor an guerra,
Compren ho a cabal
Li mesqui de la terra
Qui'n re no meton mal.
65. Molt mays te val li affars
De l'amie quit désira
Que no fa le baysars
D'enemic qui t'asira.
V")
56. Can senyer sofer fayts
Desordonats als seus,
Sobre luy tornal trayts
Cals fassens defar deus.
64. Janot fassa sotmes
Peccats a ton vesi,
C om d'aytants servents es
Corn a peccats en si.
57. Ben guarda ta mayso
De companyo malvat,
Car en mal companyo
Pert hom l'onor el grat.
65 . Nuyls hom no pot valer
Pus c'autra, so sapchats,
Mas ceyl, so say per ver,
Cuy drets enjeyns es dats.
58. Hom conox en la plasa
Si dona val ho no
Can la serventa passa
Menant vil fayt 0 bo.
GG. El libre dits dels Reys
Que als no es noblea
— Guarda tu cossit creys
Masentigua riquesa.
5 9 . Not vuyles far amichs
D'ome fais ne hyros,
Quelis) fais aduts destrichs
E l'hyros mou ten
67 . Si âmes la riquesa
Del mon, no auras fruyt ;
No camjes te certea
Per altruv nesi cuyt.
60. Leyals fa leyaltats,
Guardan de feyliments,
E l'hyros no trempats
Adoucix pasients.
68. Seguir la voluntat
Fayts vas es d'equest mon
Pus Deus t'a dreyt format,
Guarda tos fayts com son.
H a Car. — 58 t^ ni! fayt. — G<, b sosebgats. — 66 Cdtc c'Uatlon m semhh
pas se retrouver dans I: livre des Rois.
LES PROVERBES DE GUYLEM DE CERVERA
69. Deus te guarde de mais 76. Lo porchs met aytant leu
Et donals bens don vius; Al fane lo morr col pe;
E s'al diable vais, Tu qui deus lausar Dieu
Sils bensperts, not n'esquius. Fay laus laigs laxan be.
70. Mal fas tu, qui del meu
Tefas manents e richs,
E puys dones lo tieu
A mos mais enamichs.
77, Sil porchs el caix ténia
D'aur .j. asaut anel,
Pus lieu lo pausaria
Al fa[n]c qu'en mi loc beyl.
Dona al creador
So que l'auras promes :
Membret del pescador
E del guat, cossil près.
Menys es que porchs, quels
No vols al fane pausar [pas
E mes la lengua t'es
Als laigs peccats lausar.
72 . Aytant es mays lausats
Bas, can conquer honor.
Con auts es meyns preats,
Merman prêts e valor.
79. Beyl dit son anel d'aur,
Lausan Dieu quils meylura
No meteston tresaur
Dins avol tencadura.
73. Qui apeyla freytura /. 41
Tots los abondaments
D'aquest mon, dits dretchiura
E no li fayl sos sens.
80. Volpeyls mor en trepayle,
Metges va mal querent,
Ardits viu en batayle
El pro van prêts seguent.
74. Mays val esser amats
Trop mays per sos sotsmes
Que lemuts ni duptats :
Notât lo fayt cals es.
i . Can bielas raysos dias,
Si les vols enantir,
Garda près tais esties
Qui les sapchon gresir.
7^ . Malvade voluntats
Non es fesels ni ferma.
Per que fug trop ivats,
E qui la te, bes merma.
82,
Le savi dits: Tôt di
Garda ab qui seras,
C'autra fera foylia
Etu la compreras.
'/O b fayts. — ji en marge: Nota asi istoria de .j. pescador. —75 c iuats;
sur attc forme qui semble dériver d'une fausse lecture du prov. viatz, voy. Mus-
safia, au glossaire de son édition des Sept Sages, sous ivas. On trouvera plus loin
ivasosamens (quatr. 435) dans le même sens. — 78 c mets.
Remania, XV 3
54 A. THOMAS
85. Per estranya 'ncontrada 90.
Ne de tiemps per lonjansa
No deu esser trencada
Entra amichs amistansa.
84. Tais cuyda esser estons, 91.
Can fug de la batayla,
Qui s'es per vida morts,
Puys remor près la fayla.
85. Tota ren vol son par v») 92.
E tira son semblan ;
Orgoyls no pot durar
Ab altre orgoyl(si ses dan.
86. Dones, pus tant punyats 95 .
En crexer la bautat,
Prec que punya metats
En aver castedat.
Sitôt eu^ qui be dich,
Be no fas, no guarts mi,
C'om val mays quens castich
Per autre que per si.
Macips fa bon senyal.
Si vergonya se dona ;
Ve ne hom el portai
Si la mayso es bona.
Can lo caps mal se sen,
Jes lo cors no es sas;
Can fan mal tey serven
Dison que tu lo fas.
Vergua ecastiar
Aporton saviesa.
Vols ton fiyl aretar ?
Castiel en tenresa.
87. Dona deu ben guardar
No perda se valor ;
Lo bon deu hom selvar
Be, e myls losmiylor.
94. L'aguila, ensenhan
Sos pauchs poyls a volar,
Sobr' eyls ades volan
Los vol jent ensenyar.
88. A grieu ensemps estan
Foldats e saviesa;
Ab gran contrast estan
Castedat e balesa.
89. Mantes vêts pus se tarda
Quis cuyde cuytar may,
Eîn) qui enan no guarda
Soven areyra cay.
95 . La berbayrits natura
Fugir del lop ensenya ;
Si del fiyl no as cura,
Mal aventurât venya.
96. Fiyls savis es del payre
Gloria, benenansa;
Si'n joven nol faybrayre,
Can es veyls n'a pesansa.
85 EccLi. XIII, 19, 20: Omne animal diiigit simile sibi... Omnis caro ad
similem sibi conjungitur. — 92 Cf. qu. 349 cl la note. — 93 Prov. xxix, i 5 :
Virga atque correptio tribuit sapientiam. — 96 Prov. xiii, y. Filius sapiens
doctrina patris.
LES PROVERBES DF. GUYLEM DE CERVERA
97. Mani arbre fan fruyt tal 105. So que par senyoria
Fer que la brancha frayn ; Es gran subjeccios;
Per fiyl pren payre mal Tais n'a, cuy meyls séria
En loc d'alire guasayn. f.y Que pa[u]bre romeu fos.
98.
Enans c'autra casti,
Deu hom si castiar;
Qui mal fa e ben di
Si eys vol guatiar.
06. Un say que pot aver
Dos, et duy no may d'u
D'ayso podon saber
Lo ver per lor cascu.
99. S'autre volsmeynspresar ,
Esservols meynspresats.
Qui no vol autre honrar.
No vol esser honrats.
07. Cant seras covidats,
Derrer vuyles ceser;
Aven humilitats
Vey bas aut romaner.
!Oo. So c'a hom es pus car,
Soes pus vil a Dieu;
So que vols mays amar
Poras perdre pus leu.
108. Lay es caps de la taule
Hon seon li miylor ;
Pus Deus lo joch t'entaule,
No prendeslo pigor.
ICI . Aytant tart corn la mar
Tenras femna bestada ;
Tant nol poras donar
Que jan sia payada.
109. Car hom hon pus ait es fv"
Es en periyl major,
Et hon mays a conques,
Del perdr'a mays dolor.
02 . Us marits asaget
C'ab diables bestes
Sa muyler, quils uget
Ans que fer se pogues.
10. Qui dona senyoria
A foyl, obra 'naxi
Com si peyres metia
Al mon di Mercuri.
105 . No désirs dignitat
La quai no pots aver
Sens tort e sens peccat;
Mays te val pauc d'aver.
II. Si gran compte tenets
Entre mans et comptats,
S'una peyre hi meiets,
Lo compte er torbats.
104. Altesa de ricor
Es guardaris de vicis;
Per puiar en honor
Porta mants homscilicis.
2 . Can hom al layra tray
Los oyls, sab bo a l'orp :
Tôt or so quel lops fay
Ve a pleser al corp.
102 ci poques. — 102 d paus.
104 b guardans.
?6
I M.
Qui savis vol usar
Savis coven que sia ;
Qui ab foyls volenar
Apendra de folia.
114. Trebucansa de gents
Ve per mal regidor;
Bos ho mais noyriments
Ensenyon li senyor.
115. Tu voiries aver
Be, e.no esser bos;
Bes nos pot romener
Mas ab ios valoros.
THOMAS
120.
Mays es menifestats
Del savi us sol dia
Que la tota états
Deceyl qui sec folia.
Lo foyls fera tal re \j 6)
Hon hom perlara mays
Que sil savis fay be ;
Mas de be far not lays.
122. Si com als cors es bos
L'esauts d'efermetat,
A l'arm' es seboros
Aver mal de peccat.
116. Nuyls hom re no volria
De mal dins sa mayso,
E plats li mala via :
Guardats com vol son pro !
Reys cesen en cadeyra
De judici leyal
A la gendreytureyra
Dona be, lo[njyan mal.
117. Nuyla causa non es
Tant vils com mala vida;
Pauc etrop an après
Tal c'an l'arma delida.
1 24. Trop es enjanayrits
La gloria del mon;
Guarda las trixarrits
Cals an estât e son.
118. Aytant can es malvats
En major dignitat,
Dieu esser meynspreats
Equi l'i a pujat.
119,
Un' obra de just val
.c. mil de peccador;
Non perdon lur jornal
Li bon laborador.
125. De so que cuyderas
Mays en est segla aver,
Meyns e pus tart n'auras;
Donchs fay a Deu plaser.
126. Guarda que no ajusts
Aver don autres plor :
Les lagremes dels justs
Pujon al sol senyor.
120 c la don a estais. — 120 Seneca.: Unus dies hominum eruditorum plus
patet quam imperiti longissima aetas [cïtè dans la Summd. de virtutibus de Guil-
laume^ Pcrraut d'où Guylem de Cervera l'aura sans doute tiré). — 126 bannes
plor.
LES PROVERBES DE GUYLEM UE CERVERA
Tota aygua avayl cay,
Aquesta puia amon.
Pus lieu que res s'en vay
Lagloria d'est mon.
1 34. Voler de fornicar
Es engux' e falensa ;
Compliment, ses duptar,
Es trop greus penedensa.
28. No cants quan foc se tenya
A l'alberch del vesi ;
Garda qu'el tieu nos prenya
E, si pots, tostl'ausi.
135. Qui m'a l'arme lonyada
De Dieu, ab mais acorts ?
Vils volentat malvada,
Que es trop dura e forts.
I 29. La resits soste l'arbre
El baro leyaltats,
Sots la lausa del marbre
Met hom los pus honrats.
1 56. En la terra dels fais
Manjon les rates fer ;
A cobrir desleyals,
Estrayns reysos requer.
30. Reys. ausen entendets
So que dison li san :
Grieu caus' es car falets^
Viats vos rcspondran.
37. En terra dels enjans
Milans infans enporte
A fais re no comans,
Que tenrat via torta.
Li reys de les abeyles
Car no porton fiblo
Son pus humils que [ejyles
Et l'autra divers [s]o.
58. Tant pauc no poyn l'espina
La fresca flor del lis
Quel punt cel qui si clina
No trop sia prim vis.
132. Non a en voluntat
Neguna causa gran ;
Nel proisme vol foudat,
Al poc nom entendran.
159. No m'esaut de mayso
D'ivern, can plou el foc,
Nim pac d'oste felo.
Ni can vil femna joc.
133. No pot esser trobada
Nuyls temps fma dousor
Tant fort non es cercada
Per dura amaror.
140. Si comptes ta revso
Denans tos enamichs,
Can non as fayt ton pro,
Fas los de plasers richs.
I 28 t de ton uesi. — 1 32 c nol sou dat. — 133^ maror. — 1 56 en marge:
asi ha istoria. Nous ne relèverons plus cette mention (jui revient de loin en loin;
voyez l'index au mot istoria. — 137 c sen porte — 139 i com pion. —
1 56-1 57 Allusion i) une 'able connue qui se retrouve dans Lajontainc (ix, 1) sous le
le titre de : Le dépositaire infidèle. — 159 i/ cam — 140 d desplasers.
Sil misatges qu'emvies
Lay on vay malvenguts,
Mal a tos obst'i fies,
Que non seras cresuts.
142 . Qui fa oracios
Ab la lengua a Dieu,
On fa mans fais sermons,
Sos prechs acabagrieu.
14;. Si tremets vil misatge
En cort d'onrat senyor,
Aportar ta dempnatge
E tolrat te lausor.
148. En la lengua esta
La vida e la morts ;
Per la lenguat vendra
Bos 0 mais desconorts.
149. Lengua es pauch' e lieus,
Pero no la poria
Governar res mas Dieus,
Tant no y punyaria.
1 50. Paucha es, pero tant val
Quel mon no[i] a re
Qui fassa tant de mal
Ni mostre tant de be.
144. Si misatge[s] tremets
Irats, lay on iran,
Guarda 'n cal fayt te mets,
Tots tos fayts vireran.
) I . Ben esguarda te porta
Que mais hostal noy prengua ;
A la lengua fe porta
E guarderasla lengua.
14^ . Gara trista caylar /'. 7
Fa leu gens mal disents,
Si con pluyas anar
Aquilos le gransvents.
^2. Domdad'es la natura
De tota res del mon
Per home, l'Escriptura
Ho dits e ho despon ;
146. Volenters cayleras,
Que nom voiras re dir,
Pus queconexeras
Que not volray ausir.
I ^ ^ . Lengua non es dondade,
Car es mal senes fi.
Qui ha lengua trempade,
Non a trésor pus fi.
47. Vis entre dous et len,
Mays puys mort et ausi :
Lengua fols lia, pren
Et comfon autresi.
^4. Car es e precios
Lo fruyt que lengua porta.
La cal Dieu glorios
Governaetcomforta.
144 c fayts. — 145 </ agiles. — 1^8 a b Prov. xviii, 21 : Mors et vita in
manu iinguae. — 149 Prov. xvi, i : Domini gubernare linguam. — 152-155
Jacobi Epist. Calh. m, 7-8 : Natura bestiarum et setpentum, volucrum et ce-
terorumdomatur a natura humana, sed linguam nemo domare potest. — 1 S > c ^^
Prov. x, 20: Argentum electum lingua justa.
'H
LES PROVERBES DE GUYLEM DE CERVERA ^,9
Lengua ciutats murades 163 . Paraula nafra grieu
D'emperadors dérocha. Sitôt s'es trop leugiera ;
Et les dompnes preades. De loyn fa grans colps lieu,
E fen la pus fort rocha. Tant esfortz,ei sobranseyra.
1 56. Maie lengua es t'ochs
E universitats
De tôt mal en tots lochs,
Plena d'iniquitats.
157. Home conexeras (v°\
En la lengua menar :
Sil lauses, feliras
Ans que l'auges parlar.
1^8. Nuyla res tant d'onransa
No pot can lengu' aver.
Quant Dieus volch a sem-
De lengua aperer. [blansa
1 59. Ab sen deu hom guardar
So que venir poyria
E si jen castiar
Perl'estranya folia.
160. Pauc val cel quis trebayla
Par si sol aver be,
E tots hom a cuy cayla
Mays d'autruy que de se.
161. Trempaments, horaysos,
Ènsenyaments e laus
De Dieu, comfacios
Esgloriae repaus.
162. Per consolacios
De pruysmes e per far
Gracies es hom bos
E per foyls ensenyar.
164. Guarda si fa gran guerra
La lengua no feels.
Que sitôt s'es en terra
Aicel toyl qui es al cels.
16s . Guarda com parleras
Ni a cuy ne de que,
El loch on o diras.
El temps, c 'axis cove.
1 66 . Tôt so qu'el cor t'avenya
En ta lengua no sia ;
L'axemples te sovenya
Dels jagsdeLombardia :
1 66 bis En est albe[r]ch se fatxic
So que miser no satxe ;
Por dicier la vertadc
He morte lo meu frate ;
Si tu voy vivere in pacie
Aude et vide e tacie.
167. Pus Dieus mande penjar
Los reys no dreture[r]s,
Que volgra de tu far
f^u'es vils et sobrancers ?
168. Dompne sejornial so /.
Par del mal enemic,
Quils seus met em preso
El man volent fainlric.
1 ^6 c tôt lochs.
dieus.
d sobrenters.
40
169.
Tais t'ame quet valria
Trop mays quet volgues mal
Mal volent not feria
Lo mal quet fa mortal.
1 70 . Per re no m'esteria,
Pus axir m'en pogues,
En alberch, sis plovia,
Can defors sol faes.
171. L'espina nafral cors,
Don le cors es sénats ;
Can es sénats lo cors,
A l'arma ve sentats.
THOMAS
'76.
D'un arbre ay vist poms
L'uavol, altrebo;
A vêts l'us frayre [es] bos
E l'autre no te pro.
1 77 . Lo pom hon lo verm es
Pren ans lo jovenceyls
Que ceyl on no n'a jes,
Car li semble pus beyls.
178. Bon fruyt no pot levar
Mais arbres, ne bos mal:
Ja not'ansacordar
Ab jutge desleyal.
172. Tots hom punyar deuria
En bons fayts acabar,
C'un briant trobaria
Al sol, ab be sercar.
179. Er ausirets contrari,
Que mays val bo que bel
Ets un vil clau d'ermari
Ama mays c' un castel.
175 . Fum geta de maysos
Senyor, so sap cascus,
Estellyns et dregons
Et maie femnapus.
174. Meylor estar faria
Ab dues grans serpents,
Que ab femna qui sia
Mala ettropsebents.
180. Arbres tremet dousor fv"
Als rams, don noyrit so ;
Del payredeuclamor
Far fiyls, can no te pro.
181. Tal vesets be vestit
E beyl et penxinat
C'a lo cordinspoyrit
E pie demalvestat.
175 . Qui a sa beyla uxor,
Guart la d'avol vesina ;
Nô esta sens paor
Près la volp la gualina.
1 82 . Aur ez argent e perles
Fan dompnes escalfar;
Le vents mena les ferles
Tant que les fay cremar.
169 a uolria. — 170 <f defores. — 173 La même pensée se trouve souvent ex-
primée au Moyen Age : Très coses giten hom de casa : fum, pluge e mala fembra.
(Le.livre des Trois choses, p. p. Morel-Fatio, Remania, 1885, p. 234, § 26).
Cf. Le Roux de Lincy, II, 173 : Fumée, plu}e et femme sans rauon ] Chassent
l'homme de sa maison. — 174 c quab. — 178 c aus. — 180 </ con. — 181 d
uestits. — 181 /> beyls et penxinats. — 181 c can, poyrits. — 181 </ maluestats.
i85,
LES PROVERBES DE GUYLEM DE CERVERA
So dits Agust César 190. L'austors no vel filat,
Q^ue tots SOS fiyls aucis:
^< Mays amera estar
Porchs d'eyl que fiyl, » sodis.
Tant voll'ausiel guardar;
Tu conoys le peccat,
E no t'en voislunyar ?
184. Ceyl auciu planament
Sos fiyls, quiyls lax périr
Per gran defeliment
De guard' e de noyrir.
Mas .). moment no dura
Lo délits d'equest mon ;
Be sec maia ventura
Qui'n délits se comfon.
85 . Molts son, quilbestiyar
An pus cars quels enfants ;
Besties castiyar
Et no fiyls, es mais grans.
192. Tota res qui turmen /. 9)
Dona mays c'autra res ;
Qui tormen per Dieu sen,
Durables délits es.
186. Guardar se vol l'ausiels
No cag' en la tesura ;
Tu not guardes, qu'es veyls.
De la mala ventura.
Non a en saviesa
Trebayl, mas bo seber ;
Can en prim cor es mesa,
No désir' autr' aver.
187
Sil cas en l'aygua cay,
Exir s'en vol nedan;
Sil foyls al peccat jay,
Per sa colpay roman.
194. Enseyn qui vol saber.
Qu'ensenyan pot apendre ;
Mays en vol retener
Qui mays en vol despendre.
L'auseyl es près al las
El pex de l'aygua en Tarn
Hom es près en peccats,
No per set ni per fam.
9^. Saviesa ligen
En me cas am déport;
Als laigs peccats fugen
Fugiras a la mort.
189. Si lo pex Pam vesia,
Si com ve lo menjar,
Jal menjar no pendria,
Ans volria endurar.
1 96 . Can vergu' es tenr' e moyls,
Miels la pot hom pleyar;
Hom veyls peccayre foyls
Mal es per castiyar.
185 Sins,ulùrc altération d'un mot attribut à l'empereur Auguste par Macrobe
tSaturn. 11, 4, ?; 11) a propos du meurtre des fils d'Hérode : MâWem Herodis
porcum esse quam filium, — 184 ^ planaments. — 184 c defeliments. — 19^ /'
Corr. ?
Vaxels mostra tôt' ora
Que y ha primer estât
Tos fayts ara bos fora,
Qui t'i agues usât.
THOMAS
204.
Si'n bona viat mets.
Bona via tendras;
Si bon présent tremets,
Bo guasardo auras.
198. Donar nonauseras
Al bax i'avol gualina.
Es a Dieu offerras
Tota la pus mesquina t
199. Dignes ofFertes porta
A Dieu, de! miyls que auras.
Car s'el te clau la porta,
Ab luy no entreras.
200. Soven ve mal per be
E soven bes per mal ;
Not guarts de Dieu et re
Als, mas guardar, not cal.
201 . Can l'oyl no veson clar,
Lo cors es tenebros ,
Longuat de mal guardar,
Si vols esser joyos.
202 . Guardan ne pessan mal
No pot hom aver be;
Si vols fer bon jornal,
Pessat so quit cove.
20^ . Nuyls hom sens pietat
No deu merce querer;
Qui ab Dieu se combat
Infern vol conquerer.
205 . So on punyat auras
Detz ayns a guasenyar
En .j. moment perdras,
Si no 0 sabs guardar.
206. No compres la meyso
De ceyl qui l'aura feyta ;
Si as bon companyo,
Not fera re sofrayta.
207. Ayceyl fo compayn bo
Qui'n la preso se mes;
E ceyl pus coratjos
Quil jorn vench que promes.
208. Qui fa mal en joven,
El cami sempna espines
On ey! metex se pren
Ab maies disciplines.
■ 209. Qui'n joven mal far voyla
Can al cors san e tendre,
La lenya ab aygua moyla
C'ab bon foc deu encendre.
210, La candela muylada
No s'ensien lieu en loch.
Car resos es provada
C'aygua contrastel foch.
\c)-] a b HoRATius, Epist. l, 11, 69-70: Que semel est imbuta recens ser-
vabit odorem | Testa diu (aft!' </j«5 /t- Moralium dogtna, f/i. 32). — 199 fCarcei.
— 205 è mersa.
LES PROVERBES DE GUYLEM DE CERVERA
218
2 11. Can melesa s'es mesa
Primer en ovencieyl,
Contraste la bonesa,
Vedan qu'en bes capdeyl
Can fan mal li major
Li menor lo vol far ;
Cil te mostron foylor
Quit degron castiar.
No vol metr'en vaxel
Laig Dieu se dignitat
Tantost com fa al biel ;
Donchs mondet de peccat.
219. Mays perfeta [es] la vida
De meestra leyal
C'oracios gresida
Ne paraula no val.
21;. Perdiment de tiemps es
Dur'e estranya causa,
Car tiemps val mays que res.
Qui en ben far lo pausa.
220. Dels temps c'as meynscabat
Te deus per foyl tenir;
So que non as sempnat
Jove, vols vieyl cuylir ?
214. Nuyla res mays presada
Que tiemps esser no sol,
Mas er tant es pujada
Viltats, c" om tiemps no vol.
Tots savis crey mays huyls
Que aureyles no fay ;
Tu qui mas reysos cuyls,
Ab leyaltat hi vay.
215, S'as bes, nolays del dia
Passar sol una part
Ses be far, car foylia
Fa qui de be se part.
Qui per comendamen
E per paraul' ensenya,
Punya hi trop lonyament,
Per molt que cor destrenya.
216. Dompn' es si consendats,
Que can hi cay laydura,
Non es beyls ni mundats
Per nuyla levadura. /. 10
Hom ensenya molt lieu
Et profitosam.ent
Ab l'exemple Si de Dieu
Et leyaltat siguent.
Si dues vêts t'enjan
Ne très, Dieus mal me do
Can no t'en vas guardan
Etz a tu, si mays so.
:24. De ceyls vuylas conceyl.
Si vols sen retenir,
On mays te meraveyls
De veser que d'ausir.
212c can ta.
-221c mavs.
2136 durs estranya. — 21^ <j Ses bes. — 219 ^ parauia.
44 A.
225 . Vergony' es , c'om enseyn
Be, et que fassa mal;
Ja d'ome qui mal reyn
No auras bon jornal.
252. Can diras, be comferma
Tos dits ab obra bona ;
Mais faytsbos dits desfferma
Els dients ocaysona.
226. Tais fay lum as altruy
C'a si eixnon fay jes,
Ez an trop mays d'enuy
Q^ue si lum no portes.
23^. Con tu as so mostrar
Q^ue conegut non as ?
Si vols mi ensenyar
Ne autre, apendras.
227. Ceyl es trop desestruchs
Qui lum porta e no ve ;
Mays li val c'an huyls cluchs
C'oberts, oz eu 0 cre.
234. Trop bona disciplina
Ue maestr' es calars,
Troban puys la doctrina
C'apendras ensenyars.
228. No t'asauts de senyor
Si, quant l'auras servit,
Per noveyl servidor
Te meta en oblit.
255
Ans que parles, aprin.
Et can l'autra aura dit,
Respon pla bonamen
Asso c'auras ausit.
229. Mendaments es lucerna
Dreyta o la leys luts ;
Si bos sens not gover[n]a
Viats seras perduts.
230. En so que jutgeras
Autr' a mal ni a tort,
Tu exs condempneras ;
Donchs euardet de la mort.
256. En sciencia homil
Es saviesa vera ;
Ab fayt franc e gentil
Nobla ricor espéra.
237. Lo^rjgoylos cre saber
.M. causes que no sab ;
Qui no sab abstener.
Grieu er que no meynscab.
Beyls parlars ab mal vivra
Non es als mas dampnars,
Hon hom confon délivra
Ab SOS propis parlars.
258. Ses loquencia bona
Pauch profetcha sabers ;
A savia persona
Cove dits de plasers.
226 a fan, altruyl. — 227 c uuyls. — 229 b dreyUi & la. — 229 Prov
VI, 25 : Mandatum lucerna est et lex lux. — 2]i, a lui. — 25^ ii aprin.
LES PROVERBES DE GUYLEM DE CERYERA
45
259. Noy ha beyla rayso
C om no pusch' afolar,
Fa) t tan dreyt ni tant bo
Lieu ab mal recomptar.
240. Loquencia me ura [f. 1
Con sciencia custume,
Que la bona natura
Per la malas consuma.
247. Quel profetcha claus d'aur
Pus que non potsobrir
So que vols, e tresaur
As don nol pots servir ?
248. [E] claus de fust quetnotz
Pus so c' obrir en vols
Obrir et tencar pots ?
Per pauc de mal te dois.
241. Us foyls afoleria,
.iiij. tantsab foldats
C'us ab sen no feria
Ab sinquanta asenats.
249. Saviesa madura,
Manifesta, suaus,
Brieus, profitable, pura
Cove. s'aver vols laus.
242. Le savis dits ;<' natura
Pot lieu dessimular
No loquencia pura,
Qui be la sap guardar.
250. Saviesa cove
Manifestar per tal
Que tuyt l'entendon be,
Car estiers re noval.
245 . La lengua graciosa
En bon home habunda ,
Virtuts es preciosa
Qu'agensa obra et munda.
251. La doctrina es laugera
Dels savis et plasents
A ceyis qui an maneyra
D'aver entendiments.
244. Qui si eys amonesta
Denant tots de far be,
Pus gloriosa festa
No pot mandar asse.
252. No deus ta saviesa.
Pus la as, amegar,
C'onors es e noblesa
Ques deu menifestar.
(V)
24^ . Qui si a ensenyat,
Miyls pot autr' ensenyar ;
Maestra mal usât
No vuyles demendar.
: ^ ^ . Maneyr'es molt lusents
D'ensenyar e doctrina
D'exemplis justamens,
C'autra non es pus fma.
246. Onraments covinables
Es en pronunciar ;
Bels dits es agredables
Debe acustumar.
254. Albirar e stimar
Deus ceyls qui primamen
Ab cuy as a perlar
E son enlendimen.
243 d qua guens aobra. — 2^4 /> corrigez tôt primamen.
46
255-
Viula, saltiris, tibre
Fan dous e suau so;
Lengua suaus ses libre
Mostran suau reso^,
262 . La vergonya not dos
De demendar altruy
S'aprendr'en vols rasos,
Mas guarda co ni cuv.
256. E francha de paraules
Brieus fa mants ausidors ;
Ignorans a vetz faules
Monstron sen ses folors.
257. So retra sans Bernats
Et es vera resos :
No pot esser vertats
Vist' ab oyl argoylos.
258. Fochs es desobr'els cauts
E no veson lo sol;
D'aytal foc no t'asauts
C^'estar fay fol caut sol.
2^9. Aycel focchs cauts es ira
E le sols es vertats,
Per que Dieus cel asira
Qui n'es trop escalfats.
260. ira no jutge be
Ne amors la vertat,
S'om donch non a en se
Amor e pietat.
261 Ventres gros et fersits
No resep soptil sen.
Que sent Johan 0 dits,
Qui parla soptilmen.
265 . Can ben dison li mal
No so menspreador
D'ausir, car lor dits vais,
Sil fayt non an velor.
264. Sitemps Dieu,noseras 1/. 1 2
En nuyl fayt negligens;
Ja re be no feras
S'es vas Dieu no chalens.
26^ . Savis, per que dreyt an,
Endresa be sa via ;
No savis meynspressan
Los sieus l'estrayna guia.
266. Ja no vuyles contendre
Per peraules disen,
Nels prims soptils rependre
Nels fats c'an pauc de sen.
267. Contendres per laudura
Corn pessan nos ajuda
Que lectors don foyls cura
Sia per ver vensuda.
268. Perseverans' es mayre,
So vesem, de les arts;
Ja not diran d'arts payre
Si de la mayret parts.
260 c non a seen. — 264 d sen. — 26^ d lestrayan aguia. — 266 Prov.
III, 30: Ne contendas adversus hominem frustra, etc. — 267 a Corr. par-
laduraP
,ES PROVERBES DK GUYLEM DK CF.RVERA
269. Negligencia es
D'ensenyaments mayrastra ;
Si volsesser après
Guardat d'aytal desastra.
J76. Axicon trop parlars /.
A mants parladors nots.
Sis fa masa caylars,
Et massa calfar cots.
70. Ignoranci'es caps
De tôt mal, don peresa
S'engenra, be lo saps.
E foli' e peguesa.
277. Qui no guarda raso.
Raso délivre pert ;
Guarda dins ta mayso
Te teinjyon per espert.
271 . Le ferr es agusats
Ab ferr, pus hom t'en pic,
Ez hom agusa fats
Ab fas de son amie.
278. Guarda tes escudiers
Not sia trop privais.
Net sia conseylers,
Sin vols esser preats.
272. A los fiyls compteras
Sen, caylan la folia;
Can arrar lo veyras,
Ab exemplis castia.
279. Si mon servici prens,
Obligats me seras,
E ja mos mal volens
A dreyt no jutgiaras.
175. Medicin'escrusels
De primer es amara,
E puys dousa com mels,
Can s'ave, fma cara.
280. Menasses valon mays
A vêts que betiments ;
Qui de castichs'iraxs
No pot esser valents.
274 . Ton fiyl anic ensenya
E no l'en desespers,
C'ans acove que prena
Senab dits de plasers.
275 . Cals caus' es que no gir
Custuma e usansa r
Cax, c' om no la pot dir.
Donchs ben usant'enansa.
281. Can deu picar l'espina,
Aguda nax e par;
S'aver vols valor fma,
En be deuscomensar.
282. Del proverbi vedans
Com dits entre no ables
Qui en joven es sans.
Can es vieyls es diables.
269 h (Jesensenyaments. — i/u ^ ui..ig^...o. - ^
274 d pour fin'e cara.'' — 277 b de! ura, — 281 b ua
dengenra. — 270 d folia peguesa.
28^ . Ab crusels medicines
Poras de mal guarir;
Mas si sempnas espines,
No cuyts resims cuylir.
291 . La boccha er maldiciha
D'ayceyl qui parlera
— So es raysos escritxa
Lahoncaylar deura.
284, Qui mays deu ensenyar
Mays de sen deu apendre;
Reysqui deu mays mostrar
Deu mays de bon seyn pendre.
292.
Si fas tan gran honor
A un ton cominal
Con a ton bon senyor,
No teras bon jornal.
285. Metges deu bons senyals
Del melaute lausar,
Qu'estiers nonesleyals,
Et cuyt be comensar.
29^ . Si de jenoyls sey[n"lan
Entres dins ta mayso,
Tuyt t'en escarniran
Et no feras ton pro.
286. Estudi es la obra
De fayts malvats 0 bos ;
Al cal d'u e d'als obra,
Don pus es volontos.
294.
Si vas dins lo moster
Cantan e gabs disen,
Tendran te per lauger
E perdesconaxen.
La régla dels santspayres
Servan qui son pessats
Es hom dits fiyls e frayres
De dieu, tant heretats.
29^ . Si fas so de caresma
Que feras de carnal,
Tôt ton dan t'en aesma.
Sil temps fas cominal.
Be guarda la persona i/. 1 ^)
A cuy deus dir 0 far;
Tais caus' es ab l'u bona
C ab autr' en pot errar.
296. E si fas so d' ivern
Que feras en estiu,
Tuyt s'en feran esquern
Si con de rat e niu.
289.
290.
Tais caus' es covinens
Denan avesc' 0 rey,
Qui es descovinens
Denan autres que vey.
Lochs et sasos cove
A dire etz a far ;
En loch poras far be
On te feras blesmar.
297. En primer apendras
So qui es corporals,
E puys miyls entendras
So qu' es espiritals.
298. La maysos non es ferma
Senes bos fundamens;
Ab leyeltat te ferma,
Si vols esser valens.
285 a bon. — 289 a comeus. — 292 a ten. — 297 d ipiritals.
LES PROVERBES DE GUYLEM DE CERVERA 49
299. Hom a la carn aciis 507. Sil servienl' es vestida
Et a ses volentats,
Corn sent Jeronim dis,
Per besti' es comptats.
;oo. Lo malvat no entes v^i
Pausats en gran honor
En aylan con hom es
A mens que porcs valor.
Miels quel dona, dan> t' er,
Quel dona n' er marrida
E redrat mal loguer.
Hom deu la dompn' onrar
Enans que la sirventa ;
La carn vey tant presar
Que l'arme n' es dolenta.
501 . Sil lops pogues far clam
Ne perles ses duptansa,
Dixera : veus Adam !
A la nostra semblansa.
509. So es causa sebuda
Entrels fais els leyals,
C onors costumes mudi
0 en bes 0 en mais.
202 . No deu senyorejar
Sobrels princeps negus
Mas Dieu, qui es ses par.
Toi sols senyer ses pus.
503. Sobrel senyor le sierfs
No tayn que senyorey;
Si tôt clerg fan iloi reviers,
Cleyrc e layc compte rey.
P4. Le vils cors senyoreja
Sobre l'esperit tan
Ab argoyl le' per envega
C'amduy hi auran dan.
305. L'esperit ab lo cors
A comparar no fay;
Can l'esperits n' es fors,
Lo cors a tierra vay.
306. S(i) âmes mays la serventa
Que la dona no fas,
Cascuna n' er dolenta
El dol tôt tu l'auras.
310. Pigor causa no say
De bas en ait pausat,
Que can cossech decay
Ab sa gran cruseltat.
311. Terra es comoguda
Per .ii). causes sofrir,
Per la quarta es vensuda
Que no pot sostenir.
312. Per nuyla re la terra f. 14
No trop tant se destrenya
Acata mortal guerra
Con en temps que serf renya.
313. Causa fayta com flors
No dura, ans vay lieu,
Ja per autres senyors
Fayta, mas sol per Dieu.
314. Aspra caus' es e mala
Qui fa de serf senyor,
E de senyor ser tala.
E de iuglar comdor.
299 a com acIis. — joo d pores. — 302 c Corr. A tanta. — ^o-j d reiral.
Romania, XV. 4
3'5
Le portaments el ris
D'orne el cubrimens
Mostre s'es fais o fis
Els dits vilso plasens.
316. Si a tu no perdones
Per tu metex sivals,
Si asso t'abandones,
Conexeran si vais.
517. A tu metex perdona
Per Dieu, car de tu fe
Cas'a SOS obs si bona,
Casa no es per te.
318. Lusia la lumneyra
Denan les gents per tal
Que visson lamaneyra ;
Bon' es l'obre ses mal.
THOMAS
322.
Cascus deu far fasenda
Tal con li tayn a far,
Per quels oyls no offenda
Quil volran esguardar.
52?. Cascus dels membres tieus
Deu far so que li tayn ;
Vil causa ese grieus
Qui so que deu far frayn.
324. La ma no deu parlar
Ne la bocca veser
Ni l'aureyla guardar
Ni oyl dar ni tener.
32$ . Tais n' i a, per orgoyl
Tenon la bocha oberta
E tenon tancat l'oyl
E no fan obra certa.
tv°\
319. Aytal es disciplina
Com bona vestedura
Ab odor bona e fma
A Dieu, quils bons milura.
320.
Isach l'odor senti
Dels vestirs de son fiyl,
Per que lo benesi
El tench per son espiyl.
321. « L'odors dels vestiments
» Teus es tais », dix Isach,
)) Con d'encens qu' es plasens
A son fiyl, tant li plach.
326. No lieus parlan les ceylas
Ni estendras les mas
Nel coyl sots les aureyias
Ne les cambes on vas.
327. Ses be parlar seber
No pre ni tenc per biel,
Ne qui no a poder
El poyn on tel couteyl.
328. Ris es desordonats
D'emveya, e qui ri
Can no deu rir', es fats;
Com freneticz fa si.
318 d perts se. — 320-321 Cf. Gènes, xxvii, 27: Ut sensit vestimen-
torum iliius fragrantiam, etc. — 325 Couplet cité par Pach : Per ço dit Ser-
ver! : Tais hi a qui per ergoli | Tenen la bocha uberta, | E tenen tancat
l'ull, I E non fan hobra santa (sic) {Esp. 54, fol. -j a ; 55, fol. 3 b).
LES PROVERBES DE GUYLEM DE CERVERA
5^6
529. Tots savis mays volria
Esser sas et plores
C'ab tan gran malautia
Franaticz e rises.
5^0 Ris del foyl son plasen
E les peraules fines
Con lo sonet que fan,
Can cremon, les espines.
Rire trop en est mon f. i s
No tayn, ans es folors,
C'ab peccat quins comfon
Esbrieus e vayls de plors.
:^7. Una paraula tayn
A savi^ autr' a foyl ;
Lo privât e l'estrayn
Guarda se dur e moyl.
1 , Aytal guasayn farets
Costal fols fats cesens,
Con can prop foc serets
D'espines verts cruxens.
38. A l'u tayn parlars aut
Ez a 1' altre suau ;
Sil^oi cor as d' ira caut,
Ab fenx semblant t'esjau.
2 . Foyls malign argoylos
Sobre biels ri axi
Conlair' emtre layros
Qui d'altruy mal se ri.
^9- Rasos asaut e suau com-
Dir a foyl no cove, [posta
C'a rasos no s'acosta,
Ans respon mal per be.
533. Can canteras, not ries
Ab crits, co vey mans rire,
Per alegre que sies,
S(ii escarns no vols ausire.
??4. Can hora se ri e canta
Mermen prenon tuyt trey ;
Com fa el ris, par canta,
El cant si pert son drey.
340. Paraula non es biela
En la bocha del foyl,
Ho es causa noviela,
Si be lai passai coyl.
341 . Non es tan solamen
Foyls qui savis non es ;
Masceyl qui malamen
Viu es per foyl fat près.
335. Le fats se ri ab crits
El savis pla e gen :
Ris fats es melasits,
En vil trop non a sen.
342. Si parles as aureylas
Dels foyls, meynspreseran
Tos dits, si bels conseyles,
E jare non feran.
330 EccLE. vu, 7; Sicut sonitus spinarum ardentium sub olla, sic risus
stuiti. — 331 c can con, — 334 a serri. — 335 Eccli. xxi, 23 : Fatuus in
risu exaltât vocem ; vir autem sapiens vi.x tacite ridebit. — 338 /> Ezel. —
358 (i ie fian. — 339 Prov. xvii, 7 : Non décent sîultum verba composita.
— 341 (f e es. — 342 Prov. xxiii, 9: In auribus insipientium ne loquaris,
quia despicient doctrinam eloquii lui.
S2
543
No pots ab foyl parlar
Guayre ses repentir,
Ne l' escarnit gaubar
Ne l'usât descarnir.
344. Le frayres aiudats
De son frayr' es axi
Com la ferma ciutats :
Le proverbiso di.
345 . Tart parle raso brieu,
Plana, can parleras,
Ab vots bassceta, lieu,
Que plus grasit seras.
346. Sent Jeronim estima
Zo don par que bet prengua
Ans aports a la lima
Tos dits, que a la lengua.
350. So c 'hom al pruysme do
No deu dir ni cutjar
Que per gratia fo ;
Voyl' 0 no, ho deu far.
551. Molt mays val sens periyl
Pa etz aygua manjar
Que perdits ni conils
Ne vi, ab mal usar.
:; 5 2 . Nos corromp causa biela
Per una vetz veser,
Mas corromp se punciela
Per una vetz tener.
353. S'una vetz prens olor
De causes ben olens,
Non perdran lor valor
Ni ja non velran meyns.
347. Le savis el cor a
La boca, el foyls te
Lo cor, c' a lieu et va,
En la bocha dese.
348. Per savi es tenguts ivi
Le foyls, can va caylan ;
Molt es noble virtuts
Can hom val cor sobran.
549. Can l'us membres sent mal,
Sis fan per semblan tuyt ;
Si fas bos croy j ornai,
Alt leveran lo bruyt.
354. Nuyla res not tenra,
Aygua, vens ne presos,
Tant cant femna fera,
On pus seras gurayos [sic] .
355. Lo corptremet Nohe
De l'archa, vertats es,
E no tornet. Per que ?
Car dix que muyler près.
3 $6. A metremonis tayn
Que ses solvimen sia;
Del metremonis playn
Qui ab malvat se lia.
544 Prov. XVIII, 19: Frater qui adjuvatur a fratre quasi civitas firma. —
347 EccLi. XXI, 29: In ore fatuorum cor illorum. — 348 a b Prov. xvii,
28 ; Stultus quoque si tacueril sapiens reputabitur. — 348 d Con. — 349 c Si
fas. — 349 a C] . Le Roux de Lincy, Livre des prov. 1, 276; Cui li chiés deut
est {lis. el) tuit ii membre. — 351 ^ Pas. — 35" '^ Nenis.
LES PROVERBES DE GUYLEM DE CERVERA
5^5
Deleyts es metremonis
Et torn' en maltrayt grieiis
Ez ajustel demonis
Et re nol solv mas Dieus.
y^
Le baros no faels
Es ver santificats
Per muyler qu' es faels
Et monda de peccats.
^58. Si vols plasen manjar.
No vuylesenans d'ora;
Désirs fa meylorar
Manjar c' om asebora.
^66. Santa Cicilia fe
Son espos bo, can 1' ac,
El converti dese.
Tan disen c' a Dieu plac.
559. Nabugadonasor
Emfants ensenyava ;
Per aver soptil cor.
Pauc a menyar los dave.
560. Entre quinz' e .xx. ans
Artfocdejoventpus; 'f. 16
Qui vol saber d'enyans,
Ab avols femmes us.
567. Muylers ama merit
Qui no la fir falona ;
Cel tenc per benesit
Qui la pot aver bona.
568. Saber, aver, honor
Poi payre fiy[l] donar ;
Mas muyler ses foylor.
La pot hon al fiyl dar
561 . Qui sa fiyla ajusta
Ab amant, be ho fay,
Can es ver[g]es et justa ;
Mas miyls fa, sis n' estay.
362 . Qui necis vol peccar
Necis pert ses govern,
E pers de perdonar
Met mans bocs en infern.
56 ^ De proar se folia
Muyler horn, pus l'a presa ;
Tenya la, quai que sia,
Pus en l'alberch l'a mesa.
564. Muyle[r]s es gaugs durable
O durables torments ;
Muylers gen resonables
Dona alegraments.
369. Si prens muyler, ben gara
Sia del tieu semblan;
Qui d'aytal fayt s'empara,
Ops es c' ap sen hi an.
570. Dieus can det a Adam
Muyler, dis ses doptansa :
■<; Adjutori fasam
A eyl de sa semblansa. »
571 . Dieus no fets del cap Eva,
Per que dir no pogues
So don mans mais s'éleva
Et no senyorages.
572. Eva nofo moguda r ,
Del pe d'Edam, que fos
Per sirventa tenguda,
Car no fora resos.
557 d solem. — 359 i emfauis.
bon. — 569 c Que.
365 Cf. I Cor. VI
568 </ pot
37^ . Eva fo del meg loch
D'Edam per raso bona;
Per aysodel mig moc
Que fos sa companyona.
THOMAS
380.
L'alberc sia per tu
Coneguts bonaments,
Si quey miron cascu
Mays tu quels ornaments.
174. No vuyles de noblea
Ab ta muyler contendre;
De jovent, de bellea,
Te semblant vuyles pendre.
?8!
La verga on es batuts
Xastian deus baysar;
Gels es sers et creguts
Quis laxa xastiar.
575 . Si estret es l'anels
Pus quel det no cove,
Nol ports net sia beyls,
Que no t' estera be.
382 . No mor cel quis castic
Per verga ; can ferras
Ab verga ton amie,
D'imfern lo lunyaras.
576. Can l'aneyls ampl' estay,
En prim det no s'enpar,
Que mentement en cay,
C om no l'en pot gardar.
377. No deus pendre muyler
Mas per cessar peccat,
E c'aies heratier
Que tenya te heretat,
378. No désirs fiyls aver
Mas per crexer t'onor
E c'aion bon seber
D'onrar nostre Senyor.
379. En ton alberch no vuyles
Esser reconaguts
Per senyor, ney acuyles
Re don sies perduts.
383 . Verga de diciplina
Aygua de peyra tray.
Si con la verga fina
De Moysen, se say.
384. Cil c 'an dur cor con peyra,
Verga d'emfermetat [(/". 17
0 be d'autra maneyra
L'a tost a Dieu tornat.
385 . Liada es folia
Dins el cor de 1' emfan.
Mas verga l'en desliya
E fug d'eyl castian.
386. Disciplina aduts
Saber et saviesa ;
Ceyl es qui viu perduts
Sens tant nobla riquea.
375 c mig nex. — 379 Mart. Dumiens., Formula honestas vitas, cap. III :
Nec dominum velis esse notum a domo, sed domum a domino. —380 Martin.
Dumiens., op. de Moribus : Sic habita, ut potius laudetur dominus quam do-
mus. — 381 c sers = certs .?
l87
LES PROVERBES DE GUYLEM DE CERVER/
Salamos fo aytan
Fols con desemparet
Disciplina, don dan
E mal nom en portet.
595 . Le[s] lagrimes del hoyl
Sant et del piado(r s
Torcara ses orgoyl
Deus, qui's sols poderos.
No digues que ton frayre
Ams mays que tu no fas
Sil lays son voler fayre
E tu castiar l'as.
196. Axi corn les esteles y°]
Del cel pots lieu comptar,
Si tu meteysno celas,
Porasautra celar.
389.
Herater vuyl ceyl fiyl
Qui betuts es per mi ;
L'autra laix en periyl
Que no bat ne casti.
597. Can en rocha veyras
Lo pas de la serpen,
De ta moyier sebras
Tôt son entendimen.
590. Le simis la nots lansa _
C a vert escorxeamare,
Don con foyls l'abondansa
Del gra dois desempare.
398. Hom no sap de 1' ausiel
Volan hos pausara ;
Nos fay del jovenciel
Si bos 0 mal seras.
591. Disciplin' esamare
Que aporta douçor
Fina, plasent e cara :
Donchs not fasa paor.
599. Tôt axi com la luna
Crexen poras mermar.
Pots per ver .j. ne una
Sens alcun crim trobar.
592. Benuyrat seran
Ceyl quis ploron, c'apres
Lo plor s'alegreran,
C ab plor ve gaug ades.
595 . Ben sabs que les abeyles
Fan pic amar con fel.
Mas hom vol noyrir eylas
Per amor de la mel.
400. Can veyras lo cami
Qu'en la mar fay la naus^,
Poras far bona fi
C'ab vil femnat repaus.
401. So qu'esser no poria
Cre fols et fais semblans ;
Si nuyls hom en tus fia,
Guardet que no l'engans.
594. Hom poda lasermen
Per fayre fruyt meylor;
S'avia sentimen
Sentir n' i a dolor.
402 . Per amor de la mayre
Vey demorar Temfant;
Jamays de fais compayre
No vendra pro ses dan.
d castian. — 399 d Cens.
56
403.
De guasayn qui mal sia
No feras obra bona ;
Tôt can guasayn falcia
Tôt a desastr' o dona.
404 . Si falcia guasanya,
Ne 0 met dins la porta,
Nuls hom non es qui planya
Can desastras n' 0 porta.
405 . Aytant me deus grasir
S'a ton amich fas be
Per tu, corn de servir
Tu eys et mays gran re.
406. Aytant am mon amich,
Si no m' 0 fay saber,
Com tem mon enamich,
Si nom fay desplaser.
407 . Soven te hom per mal
Lo bo, el mal per be;
Tal re dits hom que val
Qui nots et pro no te.
408. Francs senyer et compayns
Sies dins ton ostal ; [(/. 18I
Gint recip los estrayns,
Mas no tots per egual.
409. Si vols leyo semblar
Aucient tos sotsmes,
No pots guayre durar
Pusnot venca merces.
410. Altres vencre toyl força;
Mas homil vencimens
Donan poder esforça
Tots cels que merces vens.
THOMAS
41 I .
412
Mant sabon grat aver
De so que no feran ;
A moûts vey conquerer
Desgrat de tôt can fan.
Mays vuyl de mon misatge
Beyl respos ses re far,
Ques ab respos selvatge
Fa[r] so que vuyl mandar.
41 ^ . Diables fe duptan
Entrepretacio
A Eva, don es gran dan
Prin la melor raso.
414.
Pus benenans séria
Trencan roques de grat,
Que si rosas cuylia
Contra ma volentat.
415. Reys vens ab paciencia
Ez ab dous faytz pus gen
Tots quants paciens vensa
Que ab enfortimen.
416. Meylor venser faria
Una gen c' un baro ;
Qui son fel cor vencia,
Faria fayt maysbo.
417. Pus leu aturaria
Nau en mar en gran ven
Us foyls, que no faria
Sa lenga mal disen.
418. Moli vey aturar
Per .j. homa, can mol.
Lenguar no castiar
Per mil, can parlar vol.
403 a cia. — 403 c fais sia.— 403 ^destrodona. — 410 e força. — 415 biec.
LES PROVERBES DE CUYLEM DE CERVERA
57
419. Pus lieu sera usada
Lenguavil, cant es lonja,
Que no er [sjaiiada
D'usar en dir mensonja.
427. A l'arbre loyl dels rams
Mais, et membret dels bos ;
Pel fruyt don me creys fams
Quel pus disgracies.
420 . Bestias, peys, auciel
An abitacio
En est mon ses capdiel,
Mas lo fiyl de Dieu no.
428. La mala volentat
Pot hom d'ome partir
E metra la bontat
Don hom pot fruyt cuylir.
42 I . Con ymages aiam
De terra qui pauc val,
Per que no la portam
Del ciel bon e reyal ?
429. Qui sa volentat fa
No aten guaserdo
Mas de si ; no l'aura
Per dreyt ni per rayso,
422. Fiyls desobediens
Ho destreitzd'obesir,
Can ho presera mens
Es jutgats a morir.
423 . Utero jutgamen
Donet per dret jutgat :
' Fiyl desobedien
Sion alapidat. >>
424. Mayr' es obediensa
De totes les virtuts.
Mayrastra's de falensa
Et de vicis sebuts.
450. Qui volentat d'autruy
Vol far e no de si
Aten grat de seluy
Et de tu et de mi.
45 1 . Selamos ac contrari
Per desobediensa
Un home adversari
Can fe tan gran falensa.
4^2. La clau de paradis /. 19)
Trobet obediensa
(^is perdet — so m'es vis —
Per desobediensa
425
Obediensa es
De merits poderosa,
Seluts ferm'en tots bes
E forsa greciosa.
435. S'en vida vols intrar
Durable bonamens,
Guardet de mal obrar
Et servels mendaments.
426. Desobediens fo
Adam, per que perdet
Son poder per raso :
De senyor serfs tornet.
434. Obediensa quer
.vij. causes veramen:
Obesir vol primer
Ez aqueyl simplamen,
419 d miada? — 425 c form.
^8
A. THOMAS
4^5.
E vol alegramen
Et ivasosamens,
Volenterosamen
Queretberonilmens,
445-
Mas en franch cor omil
Non es obediensa ;
Franques' e fait jantil
Fan beyla continensa.
456.
Continuadamens,
Et la entencios
Del voler francamens
Es grans melorasos.
444.
Si ab mi vols estar, (V"i
Mos mendaments feras,
Ab que not man mal far;
E ja no arreras. 1
457. Dieu no guarda la causa
Que hom fa, mas lo cor ;
Qui'n malvoler se pausa,
Per lo malvoler mor.
445
Si tu fas a te guisa,
A ma guisat daray;
Si tu fas a la mia
A la tua faray.
458. A fait no guarda Dieus,
A pesni quantitat,
Sil fayts es grans 0 lieus,
Mas sol la volentat.
446. Poder desordonats
Not moua ne riquesa ;
On pus seras pugats
Aies mays de simplea.
4;9. Ipocras pauset ley
Et Octopigoras
Sobrels lors — fe que dey
Que negus per nuyl cas
447. Membret qu'el mon poder
Non a mas ceyl de Dieu;
Qui poder vol aver,
Am ceyl e meynsprel sieu
440. Non auses demendar
Desentencia lor,
Per ques diria mar
Fosson resebador ;
448. Alegra donador
Ama Dieus e te car,
E pug' e creys s'onor
Al do gaserdonar.
441 . Segonsso quel disen
Aurion be parlât
Fosson il entenden
De la auctoritat.
449. Bieyla car'e douçors
De paraules plesens
Son d'obesir colors,
Servan los mendaments.
442 . Nuyia virtut non as
Mager ops que simplea;
E vergonya auras,
Car no es sens franquesa.
4^0. Pus per obra plesen
D'obesir es pastz Dieus:
De fel li fas presen,
Si l'obesir t' es greus.
448^(fjgas ordonar.
LES PROVERBES DE GUYLEM DE CERVERA
59
4P . Lopsalm dits, qui belguarda:
.c Deron [mej man gar fel. »
Nol dons vianda amara,
Tu qui dar li deus mel.
458. La verga d'arbre bo
Lia hom a .j. pal
Per aquesta rao
Que no trenc per vent mal.
452. Tota bonesas tutcha,
Car es propis mestiers
De cel, can trop noy lucha.
Qui G fa volontiers.
459. Emfants quan es laxats
A sa volentat fayre,
S'al pal non es liats
Estreyls, confon sa mayre.
453. D'avso son molt preyat
Li princep, que lur man
Sion tost acabat,
C hom de re nols desman.
460. A fiyl de re cove
Sobra tots entendensa,
E sia liyats be
Al pal d'obediensa.
454. Tu qui volontiers fas,
Co c' affar as fay tost,
Pus vius e léser n'as,
Que puystem prop not cost.
46 1 . Qui a molt ha mandar
Cove c' ai' obesit,
Qu'esters no pora far
Plasenment ne grasit.
45 <, . Vesist l'orne espert
Denan lo rey estar;
L'obra don no s'espert
Li fara aturar.
462. Si tu vols obesir,
Temps de mendar atens;
Per re no pots feylir
D'aver obediens.
456. Ja per aspra paraula /'. 20) 46:
No lays obediensa,
Ne no parles a taula
Tro que raysos t'en vensa.
Tu qui obesit as,
Dels mans qui t' eron grieu,
Sim creus, te guarderas,
Que ja nols faras lieu.
457. On pus l'arbr' es cargats
De fruyt, pus fort s'enclina ;
On mays seras bestats
De bes, homils t' afina.
464. S'aital grat corn voiras
Del tieu be obesir
Als tieus mandats randras.
Faries te grasir.
4^1 b Ps. Lxviii 22: dederunt in escam meam fel. — 4^5 Prov. xxii,
29 : V^idisti virum velocem iti opère suo ; coram regibus stabit^ nec erit
3nte ignobiJes. ~ 459 Prov. xxix, i j : Puer autem qui dimittitur voiuntati
suae confundit matrem suam.
6o
465,
Fiyls, obeyits als payres
Vostres et al senyor,
Ez amats vostres frayres
Si queus porton honor.
472. Bos compayns en la via
En cax carrera es ;
De companyos tôt dia
Bos apendras tot[s] bes.
466 . Vertats emfanta ira
Et servirs fay amies ;
Pero en verta[t] vira,
S'esser vols d'onor richs.
475 . Fats no sab guasenyar
Ni servar amistats,
E ho pots bejurar,
C'amichs non ha hom fats.
467 . Lenya de benifaits
Encen lo foc d'amor;
D'auîramen er desfaits
Et mor qui noy ha cor.
474. Savis faper sos dits
Amar a gen presada ;
La gracia ab crits
Dels foyls es escampada.
468. Si peguacaldaprens
Senyal t'en porteras ;
S' ab orgoylos aprens
Superbiat vistras.
[V") 475. Fiyls, ab humilitat
Acaba tots tos fayts ;
De fayts d'iniquitat
Lexan es lieu desfayts.
469. Tôt aytal companyia
Corn al lop [e]s l'anyel
A ceyl qui malvat sia
A cel c' a bon capdel.
476. Manera d'ayman ha
Franc[a] homilitats,
Car axi va tiran
Coratges, dits, passais.
470. Ab los meylos de tu
Conversa ez estay,
Quel carbos morts ab .j.
Viu torna viu, so say.
471 . Axi corn les abeylas
Se paxon en les flors,
Se pexon a seyn d'eylas
Li bo ab los meylors.
477. No cal erbes cercar,
Sorceras ne devines ;
Ama, faras t'amar :
Vet les meylos metzines.
478. Honorar e servir
Voyles et fayre be,
E feras t' obesir
Al pruymes portan fe.
466 d Cesser. — 469 d capdeiel. — 470 c Cal carbos. — 475 Ecci.i-
XX, 17: Fatuo non erit amicus. — 474 Eccli. xx, 15 : Gratiae autem ta-
tuorum effundentur.
479- Estrecha companyia
Es obligacios,
C'ans assi dan daria
Que a tu compayn bos.
480. Si pots trovar amie 1/.
Savi, benign e ferm.
Non auras enamic
Des'amor te desferm.
481 Bénignes tayn que sia
Amichs, per tal que re
No fassa qui greu sia
A son amie, mas be.
LES PROVERBES DE CUYLEM DE CERVERA
487.
61
La poma vert toylras
Per força del pomier ;
La madura veyras
Chaser, sil vent hi fer.
Hom joves mor per forsa
Kt viels per madurea;
Fuyla, flors es escorca
Pert l'arbres perveylea.
489. Si us arbres floria
Can deu son fruyt aver,
Part natura faria,
Obran contra plaser.
482 . Savis tayn si' amichs,
Que sabcha con ne can
T'ajut, set crex destrichs,
De cor no re dubtan.
490. Si hom veyls cavelcava
En una cana lonja
E con enfants manjava,
Sariel gran vergonya.
485 . D'amie tayn fermetatz,
Que de 1' autra nos toyla,
Can sia fadiats,
En luy mens be nol voyla.
484. Qui SOS veyls amichs laxa
Per novels, es folors,
C'axis par, sis biaxa,
Us d'amiehs com de flors.
485 . Les flors con fresques so,
Plasens et agredables;
Tal vey de primer bo
Que puys es vius diables.
486.
Ligen 0 as trobat,
Si as après Chato :
« Conseyl sacret celât
Livra ton eompanyo. »
491 . Sabches que malesits
Es emfans de .c. ayns;
Can seras veleyits,
Guardet d'obres d'emfans.
492 . Piyor es bestials (v")
Q^ue bestiaestar;
Si bestia fa mais,
Natura ho fay far.
495 . Si bestia fa re
De mal, fa ho natura;
Si bestial ave,
Per vicis, part mesura.
494. S'ab negu prens paria,
Guarda nsi que bes capdel :
Membret la companyia
Del lop et de l'anyel.
486 Dyon. C.\to, II : Consilium arcanum tacite committe sodali.
G2
495
496.
Si tu parts, honra gen
Lo meylor per raso :
Membret del partimen
De l'ase et del leyo.
Joe far can no cove
Aduts blasm' e folor :
Membret lo jochs que fe
Alas a son senyor.
497. Qui pus lo carbo mena
Ab lo foc, pus s 'i pren ;
Qui de saber s'apena
Saber menan apren.
498. Poders et saviesa
No son senes bontats;
Car hom val ses bonesa
Meyns on pus es pujats.
499. No deu hom aver cura
D'autre meynspresan si;
Trop fa mort aspr' e dura
Qui per autre s'ausi.
500. Can d'amie parleras,
Guarda que, ne a euy;
Testimoni feras
Per eyl 0 contra luy.
501. No voyles esser glots ;
Trop manjar mai perpren,
Si com es bos a tots
Manjar eominalmen.
503. Peresos, la formiga
Guarda, que fa d'estiu,
E senyor qui rel diga
Non a; veies con viu.
504. Si desfa tos compayns [f.22]
So que tu auras fayt,
Mas te velra l'estrayns ;
En foyl auras maltrayt.
S 04. Ceyl vol mays mal parlar
Qui pus en vol bestir
E degra s'en passar,
Noab far ho ab dir.
5 06. La brasa pren l'emfans
Per lo foc que ve bjel,
Que no sap si 1' es dan,
Ez un taylan coutiel.
507. Si tu fas aytal obra
Com l'emfans, mala creis :
La mameyia recobra,
O guarda tu mateys,
508. Emfans s'alegra mays
Per joc que per senbiel
E[ll perdres pus l'irays
D'un pom que d'un castiel.
509. Ben lieu tal re pendras
Que tendras per guasayn,
Don tu matex perdras
Et serat trop estrayn.
502. Ezahu mal obret
Et fet trop gran mercat.
Que per lantiles det
Tota sa heratat.
510. Mays ama pauca causa
Emfans soven que gran,
E per eolps se repausa
Et per be va ploran.
LES PROVERBES DE GUYLEM DE CERVERA
Femna si pert leumen
Sa fama, con la flors
Marfa lieu per lo ven
Et rams fraygtz per calors-
)i'~). Femna qui! cors no gar
Trop lieu en gran mal cay :
S'om se tard' el guardar,
Si els amichs decay.
Can va entre setmana
Defors, pren 1' en axi
Con près a na Diana,
Can de l'alberch s'eixi.
520. Femna vagan enclausa
Trop lieu cay en peccats ;
Trop es estranya causa
Le repentirs s'er dats.
5 n . Na Diana y anet
Per les dones veser ;
En Xixen l'en trobet
Qui'n fe tôt son plaser.
^21. César fiyles avia :
Per tal que no cessesson,
Car guardar les volia,
Voie que lana obresson.
514. Sobra gracia es
Crans gracia pausada
Castedat, mays que res
A biela femna dada.
522. Si com biela penchura
Es sobre blanch pausada,
Sobre castedat pura
Es vestadura onrada.
515. Verges solon guardar
Denan honestamens ;
Ara volon parlar
E far ardidamens.
5 2 î . Femna verges esquiu
Trop manjar et fort vi,
Con passar .j. gran riu
Et serpen e veri.
^16. Si tu as fiyla, voylas
Quel marit let deman ;
Per re no li acoyles,
Qu'il an marit sercan.
517. Qui fiyla laxa anar
Defors, con ops hi ha.
No voira dins estar
Tots jorns c'ops hi aura.
524. La talpa camjet mal
Can oyls per coa det ;
Guardet de camj' aital,
Cane bos no s'axorbet.
525. So dits al lop Raynarts :
Tais de letra sebia
Qu'era pecs et musarts.
Guardet c' hom no t' 0 dia.
^18. Si dompnes met en joch
Ni en femne laugera,
Nol pot hom tener loch
De tener vil carreyra.
526. Tais s'en cuya portar
Saber et lum ab si ;
Can nol sap gen guardar,
Us pauc de vent l'auci.
^20 d repentits cerdats.
64 A.
527. Sabers si com lums es
Que no merma, qui'n pren.
Ans creix cascus ades
Can horn autra n'ancen..
554. Dona de bis vestida
Et de porpre es bona,
Qu'estiers non es gresida
Si non a cot' et eona.
^28. Janotdostropd'esmayi/. 251
Per noves ne per perdre,
Me per guasayn trop jay,
Ne re not fassa sperdre.
^55 . Bis es dats a vestir
Per aver castedat,
E porpre ses falir
Per aver caritat.
529. Ma sors voil so escriva
Que sans Jeronim dis ;
^< Verges de Dieu, esquiva
Vi axi com veris. ■'
!6. Ho femna, tu qu'es biela,
De peccar persabuda,
Mentanent c' hom t'apela
Tabelesa 's perduda
5 30. Lots can fo ambriachs
Ab sa fiyla pequet ;
Per so da vi not pachs, [ret.
C'ab Lotisi mans homs n'er-
537. Tu biela, c' al segl' es
Vils ez imferns t'agatcha,
Mays te valgra t'agues
Nostre Senyor desfatcha.
5 ? I . Dis a una donzela
C'avia nom Foria
Sans Jaronims, per eyla
Esquivar de folia :
538. Qui son biel tresaur porta
Denan tots per la via,
Del tresaur s'aconorta,
Car vol que toit li sia.
532. « Ho donzela, pausada
En fervor de joven,
No es asegurada
De fayre felimen ;
539. Si savis es presats,
A tos obs ho sera[s] ;
Savis serats onrats
S'a Dieu sirven t'en vas.
^33. Plena de fort vianda
De salses et da vi
Ab meraveyla granda
Es femna casta axi. »
540.
Savis cal caus' a mays
Que fols, sino car vay
Layon es vid' e jays,
E foyls areres tray ?
(v°]
529 HiERON. Epist. XVIII ad Eastochium . Sponsa Chrisli vinuni fugiat
proveneno. — 531 Furia ctait une de ces dames romaines dont sain! Jérôme fut
cjuelque temps le directeur de conscience. — ^3 2-5 55 Cj. Hier. Epist. XVIII ad
Eastochium: Vinum et adolescentia, duplex incendium voluptalis est. — 537 /»
tagratcha. — 537 c ta.
LES PROVERBES DE GUYLEM DE CERVERA
541. Mercadiers, si cobria 549. Le manjars s'asabora
De biels draps laigs trosiels. En la boca testan,
Escarnils en séria, E bos motz s'acolora
Si com de laigs los biels. En la boca menan .
65
^42 . Vist ay mants bos trossiels
De trop (si laigs draps cuberts,
E cuberts ab draps biels
Mafnjs avols, don suycerts.
S 50. L'aur del foc giteras
Qui motle intrera,
Es aytal l'en trayras,
Con lo motle sera.
545 . Dieus mes, a liey de franch
Qu'es tôt sol poderos,
Dins cuberta de fanch
Esperitprecios.
551. Paraula ve del cor,
Mas en la bocas forma.
Es hom fai la defor
Segons que s'es la forma.
544. Jes pes de fust non es
Gloria de cuil'a;
Aytant pauc preye arnes
A home, can breu va.
552. Heu ay femna trobada
Pus amara que mort ; /. 24^
Femna jalosa fada
Plors de cor ses comfort.
545 . Moylers vils be vestida
Esquerns es de marit,
E cil es exernida
Ez il pecz fal mal dit .
5 <i :; . A verges son .vij. causas
Sobre tôt temorosas:
Superbia e pauses
— Fa d'ayso totes hores -
546. Be se gloriyaria
S'avia gran balea
Qui se gloriyal dia
Tôt en sa gran legesa .
5 54. E taca de peccat
Et de perseveransa,
Fal et tebesetat
Et vils desesperansa.
^47. Fiyl et cavelier so
L'argoylos del diable,
Qui es et er et fo
Reys d'argoyl asirable.
555. La meylor causa qu'es
El mon es pus esquiva;
E la pus avol res
El mon, pus agradiva.
5 48 . Senher es bona nats.
Don hom ha gaugcon manda,
E senyer asirats.
Quilsbos mendats desmanda.
5^6. Aquest segl' es plo[m]bats
De matrimonis gen,
E per verginitats
Paradis bielamen.
^42 u Uits. — 544 b descasca. — 546 a Bes gloriayaria.
^^2 Cf. EccLE., vu, 27 : inveni amariorem morte mulierem.
Romania, XV
^6 ( quis.
66
557-
Si corn lis entr' espines
La mia amigastay
Entre les fuyles clines
Al vent qui las dechay.
558. No voyles longiamen
Sols ab parenta star ;
Aies remembramen
Del sogra de Tamar.
559. Cinc grans en semblan d'or
Ha en la flor del lirs ;
La verges rich tresaur
Ha dins al cor assis.
560.
Dousamen et fortmens
Am'e saviamens
Con fi aur finamens
Dieu ; l'als es niens.
565. L'enamics cèlera
Lo be, can lo faras,
E l'envejos dira
Mays mal que no diras.
566. Tal obra penss' a far
Que per loc ne (per) fenestra
No la deies laxiar,
Per mar ne per tempesta .
567. Princep deu esquivar
Si molt perfetamen
Nuyl peccat non empar,
Altra peccat giquen.
568. Princep deu abacort
Es ab cossirer far
. Bos fayts, guardan de tort
E dels sieus a raubar.
^6\ . En blanca vestadura
Par miels qu'en autra taca ;
Sis fay en verge pura,
Mays que vert sobre laça.
562. Maysc'angels an poder
Verges la carn sobran ;
So dits le viers per ver,
Etl'angel carn no an.
563 . No voyles c' hom t'apeyl
Per semblan foyl repres;
Nés deu vestir la peyl
Del lop, qui lop no es.
J64. Tais ha cross' e aniel, (v°)
Non oac bonament;
Tal porton lonc mantel
Q^ui galion la gen.
569. Can princep guasa[n]yes
Tôt lo mon, nol valria,
Pus si metex perdes ;
Tôt l'als re nol séria.
570. Princep se deu guardar
Que no sia argoylos,
Monsonges ne guabar,
Mal parlier ni iros.
571 . Princep se guart d'emvege
Et de rependre be,
E monsongiers no crege,
Per cuy tots mais rêve.
^72. Lo nosavis desplats
Can miyls cuyda plaser ;
Per tal es dos donats
Qui non sab grat aver.
557 Cant. II, 2 : Sicut liliutn inter spinas, sic arnica mea inter filias. —
55b Thamar, bru du patriarche Judas; voy. Gènes., xxxviii, 6 et suiv. — 564
crossa aniel. — 571 c no creyre.
S7?
LES PROVERBES DE GUYLEM DE CERVERA
Exempli pren sotsmes
Del prélat al peccar ;
Si pecca cel cuy es,
Tuyt volon aytal far .
581
Dieus me donet lo cor
Per penssar en tôt be,
E dins pens e defor
Mal d'autruy e de me.
67
574. La pistola primeyra
Als Corinthis disen
Dis : <:< prélat son carreyra,
Del mon esguardamen. »
I2 . Pes e cambas avem
Per anar salvamen ,
Es anam e querem
Blasme et falimen.
575 . Si als mirayls tecats
Vols esguardar te cara,
Ja non seras payats;
D'aytal mirayl te guara
Can hom la fiyla ve
Plasen ab gran bautat,
De la mayrel sove,
Con ne quais ha estât.
576. Puslaigspeccatsnonesî/. 25!
Ne pus durs de cobesa ;
Hom de cobeitat pies
Compon tota malea .
584. Can princep tort estay
Qui en dreyt es pausats,
Si el poble decay
Ab aximplis malvat.
577. Ceyl es benuyrats
Qui senes taca viu;
E senyor asirats,
Pus los sleusfranchs esquiu.
^85 . Sus pes te vay entort,
El cap mal te fera ;
Guarda si seran fort
Tort qu'aïs deys mandara.
578. La lengans era dada
Per nostra ben parlar,
Es avem la virada
En tôt lo corstecar.
^86. Qui sa boca gen guarda iv°i
L'anima gara be;
Qui a parlar nos tarda
Sens causir, mal lui ve.
79. Dieu nos det les aureyles
Per tots bos fayts ausir,
E si mal me cosseylas
Nom pots mays plaser dir.
^87. Cel qui molt vol parlar
Usan moites paraules.
Vol s'anima nafrar
Meten per vertats faules.
580 . Les mas nos eron dades
Per bones obres far,
Es avem lespausadas
A l'arma imfernar.
Axi con savis fay
Per son parlar grasir,
Foyls al contrari vay :
Als prims non cal pus dir.
i74 I CoRi. IV, 9 : Puto enim quod Deus nos apostolos novissimos ostendit. .
quia spectaculum facti suinus mundo et angelis et hominibus. — S^S '^ entorn.
68
589
Le malvats comfondra,
Qui sera comfonduts ;
Fais tant nos rescondra
Que no sia sebuts.
590. Per les tuas paraules
Seras justificats,
Si con gint les entaules,
0 ben lieu condempnats.
591. David dix: « Senyor Dieus,
Pessats ay en mes vias
E girats los peus mieus. »
A tu enseyn c'o dias.
592. Hom es pus bestials,
C'a raso, can no n'usa,
Que bestia, els mais
Sobrar l'a, per que musa.
593 . Causes no covinents
Serion als prélats
Tais, que les autres gens
O serion assats.
5 94 . Fayts no covinents es
Tais als religios,
Cals seglars f[r]anchs entes
0 séria et bos.
THOMAS
595
La paraula del fat
En la boca' s represa,
Car loch ne temps ne grat
Noy a ne rayso mesa.
^96. Riquesa, dignitats
Fay autr' omeliar
Es a las volentats
De si aperaylar.
597. Axi com es l'avars
Devasceluy que ve
Empes assolassars
Entorn celuy qui se.
598. Homilmen aclinar 1/. 26)
Can li passa denan,
Can s'en va, solats far,
Seguir plasers comtan .
599. Estan de jonoylons
Sirven devan senyor ;
L'Apostols en somos
Romans d'aytal honor.
600 . Si trobes via torta,
No la tendras per bona ;
Guarda tort con comforta
Da reys, c'a tort se dona.
07 Couplet cité par En Pach: Cell qui molt vol parlar | Husant moites pa-
raules I Vol sa anima nafrar | Mêlent per veritat falcies {Esp. ^4, fol. 40 d;
55, fol. 2] d\ Documentos, p. 248). — ^9 Prov. xiii, 5 : Impius autem con-
fundit et conlundetur. — 590 Couplet cité par En Pach: Per les tues perau-
les I Seras justifichat | Si com gint les entaules | 0 ben leu condempnat (Esp.
54, fol. 40 V"; ^^, fol. 23 v«; Documentos, p. 248). — 591 Psalm. cxviii,
^9 : Cogitavi vias meas et converti pedes meos. — 595 Eccli. xx, 22 : Ex
ore fatui reprobabitur parabola. — 599 d Remans. On ne voit pas bien à quel
passage de l'épitre aux Romains Ccrvera fait allusion.
LES PROVERBES DE GUYLEM DE CERVERA
60 1 . Si portes .j. besto
Tort, no t' estera gen ;
Sis fa poble felo
Princep, can tort cossen.
608. Tais cuyde SOS fayts far
Prim' et celadamen,
Quils fai a tos comptar,
Esquerns et gabs disen.
69
602. Can hom .1. mot tort dits
Als ausens es esquiuiSi;
Princeps trop es maldits
C'a tort, loyndedreyt, vi^s)
609. A ceyl dey comendar
Sacret, si l'ay a dir,
C'a vergonya d'arrar
Et paor de faylir.
60^ . Cobeitats es enveja
Fa mants a tort aucir ;
Cel qui l'autruy emvegia
Al rey n'a c'ap servir.
610. Sit vey tots jorns felir
Et vergonya non as,
Eu con pusc avenir
En aquo que tu fas ?
604 . Le bos profeta di :
« Aucesist, possessist.
D'aytal mort pendras fi
En breument con faist. >:
611. Si no voyl celar mi,
Tu per que celarayi'
Pus tu metex desfi,
Autre ja no faray.
60 s. Tots aytal tayn que sia
Senyer als sieus, com vol
Que Dieus vas luy estia,
Qu'estiers als sieus fai dol.
612. Très causas son plasens iv")
D'enluminacio :
Bêles', endressaments,
Segurtats ab raso.
606. Axi deus voler vivra
Be ab lo tieu menor,
Ab franc cor et délivra,
Con vols de ton major.
61?. Lengua no endressada,
A causir desgrasida_,
Enans, car mays l'agrada.
Vole chausirmort que vida.
607 . Les causas ton amich
En ton alberch veyras,
E sil vols far destrich,
Bon solas los auras.
614. A cel honor deras
Cuy honors es deguda ;
Tan d'onor no feras
Que not sia renduda.
604 Sans doute inspire d'un passage mal compris de Jérémie, Thren. iii,_ 4} :
Occidisti, nec pepercisti, etc. — 605 b can uoL — 609 Couplet cité par
En Pach.A cel! deig comenar j Secret, si 1' aja a dir | C'a vergonya d'errar j E
pahor de fallir. {Esp. 54, fol. 42; ^^,fol. 24 vo; Documentos, p. 2^0). —
615 EccLi. XXVIII, 13: Lingua testificans adducit mortem.
70
6i5
Sans Peyres dix axi :
« Amich, lo rey honrats.
El rey deu aitressi
Honor far als presats.
THOMAS
622,
Li fiyl d'Aron maseron
Als ansencies lo foc ;
E l'encens que doneron
Denant Dieu el sant loc,
616. Lig se en Levitich :
« Denan lo cap canut
Te leva, e l'antich
Honra, car es degut. »
6 [ 7 . E Malachies fo
D'est proverbi auctors :
« Donchs, si eu payre so,
Hones la mia honors? »
618. Cil qui son regidor
D'esglesa en loc so
De Dieu, perque honor
Cove be c 'om lur do.
623 . Car nols era mandat,
Foc de Dieu dexendet,
E car feron peccat
Amdos los devoret.
624. Elyodorus fo (/. 27 1
Ferits per un cavayl,
Car raubet la mayso
De Dieu, on man foyls fayl.
625. En .). sant loch devenc
De parlar(s1 muts e cechs
Us foyls, car no s'abstenc
De far mal part sos dechs.
619. L'avesque el prélat
D'esgleya regidor
Tuyt son Dieu apeylat
Et del mon guardador.
626. Si us laychs tray .j. pa
D'esgleya, er vedats ;
El clerchs estorciera
La crots, et er honrats ?
620. E nuyl temps no feras
Als Dieus detreccio,
Ne no malesiras
Aycels qui princep so.
621 . Miracles ai ausits
Que Dieus vole de laycz far;
Declergues non m'es dits
Us, per glesas trancar.
627. Pus li laych prendon mal,
C'a la glesa mal fan,
Per quel clerch, desleyal
Als laychs, no prendon dan ?
628. Dits G. DE Cerveyra
Solven la questio :
Clerchs no fa de maneyra
Contra si mencio.
615 I Pet. 17 : Regem honorificate. — 616 Levit. xix, 52 : Coram cano
capite consurge et honora personam senis. — 617 Malach. I, 6: Si ergo pater
ego sum, ubi est honor meus? — 619 C . le quatrain 574. — 624 La mort
d'Eliodorc est rapportée au livre II des Machabèes^ chap. m.
LES PROVERBES DE GUYLEM
629. Membret de l'Elizeu 6^6.
E del seu foyl misatge,
Corn ac, car près do grieu,
Mal, ab tôt son linatge.
DE CERVERA
Superbia es mayre
De tôt asiramen,
E cel es d'argoyl payre
Qu' en superbia 'nten.
630. Als vesis malamen
No trenchs la carn ne l'ossa
Membret de la serpen,
De l'osqu' e de la fossa.
637. Soperbia no quer
Mas pau de cobramen ;
Homelitats requer
Trossels seguramen.
651. Cals causa S; pus lieu dura ?
Lamps. Et de lamps, que r Vens.
De vens ? femna, can dura.
De femna, que ? Niens.
6^8. Homelitats désira
Lo gra per que s'esforça ;
Soperbia asira
Lo gra et vol s'escorça.
652. Gran meraveylam do
Can femna ri e plora
Lieu per pauc de raso
En .). pauch es demora.
6^9. Homelitats repren
En tôt loc la baxesa ;
Soperbia enten
En pendra la autesa.
6 ^ ^ . Non es jes cosa grans
En paubres exilats,
Vils, bas e malenans.
Esser homiliats.
640. La pus auta montanya
Vol superbi' aver;
Homilitats se lanya
Dels vils a retaner.
634. En ait honrat et rie,
Biel et de loc jantils
Es gran causa, sous die,
Es es tart cor homils.
641 . Soperbia s'en vay
Als mons on vental ven,
Per que el pus bas chay
Et seca mentanen.
6-}S ■ Sodis Crisostomus:
« Homilitats es bona
Noyrissa; v mas cascus
Ab argoyl esperona.
642 . Sans Agustis 0 dits :
« Secas son les altures,
Els bas lochs aemplits
De bes ab grans verdures. »
629 c Car; allusion un peu confuse à l'histoire de Giézi, serviteur d'Elisée, qui
se retrouve au quatrain 762 ; voy. Reg., IV, ^. — 630 Allusion à une fable con-
nue; voyez l'édition de la Chanson de la Croisade des Albigeois par M. Paul
Meyer, IL 281. — 651 Quid levius flanima? Fulmen; quid fulmine? Ventus.
Quid vente? Mulier; quid muliere ? Nihil. {Voyez Hauréau, Journ. des Savants,
1884. p. 401). — 640 c seslaya.
72
645
Be deuries entendre,
Aven de saber cor,
De cel c'anava pendre.
Qu'en la mar gitet l'or.
644. Homils fug [l]a lausor.
Et lausor[s] l'omil s) sec ;
Orgoylos a lausor
Cor, laus fug, (e) nolcossec.
645. De Senacherip rey
Se deu tots hom penssar,
Con orgoylsab des^fjrey
Fes ses gents pois tornar.
646. Con cil de la ciutat
Axi con lamps pendre, isic)
E non fo als trobat
Mas pois e terra ab cendre.
647 . Terra pus baxia es
Dels autres elamens,
E Deus de terrans fes,
Sens aur e sens argens.
648. Per que terrans enduts (/. 28)
A gran homilitat.
Car tant nuyla vertuts
No dona dignitat.
649. Si t'esguardes d'un ves,
Gran vergonya auras ;
E temor auras près,
Si cossires on vas.
THOMAS
6jo.
651
6^2
(^Sh
En les estelas pots
D'omilitat apendre
Eximpli, et nol nots,
Quil pot de si eus pendre.
Con pois e cenra sia,
Parleray al senyor
Mieu ? et d"est' obra mia
Met Abram per auctor.
Reys fats, en la cadeyra
Cesen,estotaxi
Con bugia maneyra
Enterrât, sousafi.
S'entres per bassa porta,
Lo cap as a dinar,
E quil cap bas no porta,
Ses mal no pot passar.
654. Pus Dieus lo cap baixet
El sant foro homil,
Dieus gran aximpli det
Contrai' orgolos vil.
655. Al ser par que no iproibast.
C'axi con senyer es ;
Guarda tos sens nos guast
Per obra dels rapres.
60. Le sers mager non es
Quel senyer, nés deu far ;
Can sers es d'orgoyl pies,
Senyor cuya sobrar.
6^6 b Corr. Axiron las gens prendre ? — 6p Gen. xviii, 27 : Cum sim pulvis
et cinis, ioquar ad dominum meum? — 60 Jo. XIII, 16, x\, 20: Non est
servus major domino suc.
LES PROVERBES
657 Tortra vol soletats
Et Colomba companya ;
Qui val entre malvats,
Doble valor guasanya.
6s8. Vols esser emperayre
Es aver gran honor ?
De tu eys governayre
Sies, lonyan d'error.
6^9. Res no sofer pus grieu
Terra, mas car hom n'es.
Rei la qui la sustien {sic\
Cals non es tant li pes.
660. Pus aspre caus' el mon iv"! 668.
Non a d'orne, e par.
Que l'ayr corromp et fon,
Can vol desmesurar.
DE GUYLEM DE CERVERA
7^
665 . Ja, a Roma anan,
Ab cels no l'acompayns
Qui a sent Jacme(s) yran,
Car fayts séria estrayns.
666 . Ces companyo no mena
Nuyls hom, maslay on vay;
Mas mal senyor fa pena
A ceyl qui mal no fay.
667.
Compenyo délicat
Te feran départir
Del be c 'as custumat,
Si no t'en vols fugir.
El oyl poras vesser
De ceyl quit voira be,
Qu' el cor met oyls plasser
De cel on l'amor ve.
661 . Li princep, toledor
Del paubre no colpable,
E l'ofecial lor
Son pus mal que diable.
662. Ab gran discrecio
Deu prin.ceps eligir
Ceyls qui entorn luy so
Es al poble ponir.
665. Ja no cuygs esser sas,
Sit dolon li costat;
Ne ja bos no seras
Fasen mal a ton grat.
664. Not sera S) sanitats,
S'ab mesel prens companya ;
Qui s'acost' als malvats,
Grieu er que no s'en planya.
669. L'aureyla de celuy
C'a de ton be pesar,
Si parles denan luy,
Not voira escoutar.
670. Be pots ton mal volent
Entre .v. sens chausir :
En lalengua disen,
Si prims dits sabs eslir.
67 1 . Conoxer pots en l'obra
Del fasen say et lay,
Per asaut que s'en cobra.
Si a ton dan la fay.
672. S'es usteus enamichs (/. 29)
El loc on tu seras,
Entre .D. amichs
Lo pots causir al nas.
74
673.
En l'anar pots saber
Cel qui no t'ameran,
En l'obrar el ceser,
Cascus en lor semblan.
674. Cavelaria es
Trebayls, periyls d'afîan ;
Rey, duc, compte, marques
Paciencia obs an.
675 . Princeps e cavaliers
E[s]quiu gloria vana ;
Ira de reys sobres
Es d'autres sob(r)eyrana.
676. Guerra es temedora
A pri[n]ceps et peccats;
Ez es esquivadora
Paraula ab vil solats.
677. L'amonsi c' a pats Dieus ac
Deu princeps esquivar,
E ja d'ome nos pac
Meten foc per cremar.
678. Le pus grans bos sabers
D'aquest mon es guasayns,
El major desplasers,
Perdres, el pus estrayns.
679. Senyor son li juglar
Dels temens di maldir ;
Aytant deu hom duptar
Falimenconmorir.
THOMAS
680.
681
682.
Si not guardes d'arror,
Arros te sotsmetra,
E affar auras senyor
D'aqueyl quit jutyara.
Q^ui vol sa cossiensa
Pausar en lengu' estranya,
Ades es sa valensa
Miendre, ez ades manya.
Si con savis seras,
Si seras paciens;
Ligen 0 troberas,
Si ben es entendons .
68^. Volenterosamen
A ceyls perdoneras
Da cuy nuyl honramen
Del venyar no auras.
684. Si savis es ne grans,
Ja no diras quet sia
Anta fachia, enans
Cobriras ta feunia.
685 Dique tos enamichs
Not nots ne t' a nogut.
lEJsII ve nuyl destrichs,
Not sia conagut.
686 Can lo tieu mal volen
Veyras en ton poder,
Pren ho per venjamen
Et fay lison plaer.
677 b esquivar est évidemment une faute du scribe. Con. esgardar ? — 680 c
Corr.J — 684-686 Cf. Martin. Dum. Formula honestae vitas, II : Si ma-
gnanimus fueris, nunquam judicabis tibi contumeliam fieri. De inimico dices :
Non nocuit mihi, sed animum nocendi habuit; et cum illum in potestate tua
videris. vindictam putabis, vindicare potuisse.
LES PROVERBES DE GUYLEM DE CERVERA
687 . Li home son semblan
De cas, c' us l'autr' asira
Es nafron, don an dan ;
Et serps a sa par tira.
75
694. So di sant' Escriptura
Que gran es la malea
Dois princeps ses masura
A la gent d'eyls sotsmesa.
Bestia es ausiels *
Aten tiemps a peccar ,
A hom estostiemps biels
On pusca peccats far.
695 . Pasls de layo e d' ors
Es en ermps boscz solius ;
Si s'es dels riez senyors
Sobrels paubres caytius.
689 Membret de l'escudier,
Que fets a son senyor,
E con per la muyler
Ac (peri le marits paor.
696 . Can vel paubr' escorjar (/. jol
Son ben al raubador,
No poria portar
De si eys mays dolor.
690. Le pas dels fraturans
Es de! bas paubres vida,
E quil n'es arrepans,
Es hom desanc aunida.
697. Jal paubres no deria
Al metge sopaucc' a,
Si morir en sebia :
Donchs qui li 0 tolra P
691 . Davis ques do a Dieu,
Que la mort de ses jens
Tornes sobr' el em brieu,
Qui n' era mal mirens.
698. Si ses colpa prendia
Le senyer son sirven,
En axi faliria
Con sers senyor prenden.
692. Fel, can es de bon ayre,
Deu tots hom soffertar,
E lo vil qu'es tritchayre
Deu senyer esquivar.
699. Qui fa al sieu sotsmes
Magermal c'a l'estrayn,
Ab diable après,
C'a us quels sieus gavayn.
695 . Mays ha ops qui mays te
Saviesa madura
A foyl non a ops re,
Car de re non a cura.
700 . Dels dits non ayes cura
Cal pol dits le mila ris:
Ne prendas part masura,
Mas tin so c' ab dreit as.
690 EccLi. XXXIV, 25 : Panis egentium vita pauperum est; qui defraudat
illum, homo sanguinis est. — 690 b Et. — 690 d aunida ne donne aucun sens.
— 695 EccLi. XIII, 25 : Venatio leonis onager in eremo ; sic et pascua divitum
sunt pauperes // semble qi.c l'auteur n'ait pas su traduire onager. — 698 d senyer.
76
701
Femn' e diable fan
Peits a cel quil[s] serv mays,
C a cel no tenon dan
Qui contra lors'irays.
Greuyan cels d'Irael
Roboan se mermet,
Car en sos fayts mes fel
De .X. trips que perdet.
703 . Cel qu'es de paucs bes bos
Et fesels et verays,.
Es per tots gracios,
Et Dieus comandal mays.
704. Cel qui ha gran poder,
Si be nossapguardar,
Dieus qui no fayl al ver
L'en vol despoderar.
70 ^ . Si con es gloriosa
Causa e gran donars,
Es vergonya antosa
Als homils demanda[r]s.
706 . Bos pri[nlceps deu voler
Mays amor que tamor
Dels sieus, car ab temer
No l'auran fin' amor.
707. El senyoris) se desmen
So c' a dompna disem :
« Non ama finamen
Qui sa dompna no tem. *
708. Amans tem si dons perdre,
Et sil senyer fasia (v°]
Gens en los sieus esperdre,
Hom perdre nol tembria.
709. Per mal de mala gen
Dona Dieus mal senyor;
A Roman[s] fets presen
D'un vil emperador.
710. Dels trebayls sofertar
Pels sieus, et de can dona,
Deu reys grat esperar
De Dieu, ses pus persona.
711. Sans Bernats es auctors
D'ayso, don dis vertat :
« En arror de senyors
S'enboscon man malvat. »
712. Aujats paraula estranya :
Eu die qu'ergoyls es bos ;
Qui ha argoyl, guasanya
Contrel segl' argolos .
71^. Per femn' es tais vensuts,
Qui per homes nos vens ;
Tal pert per vi virtuts,
Per fer non es perdens.
714. Orgoyls va tota via
A maneyra de rey,
Menan gran companyia,
Mas no tem fene ley.
7 1 5 . Tal re dits hom que nots,
Qui val, et que val tal
Qui ten dan; et si pots,
Guardet de caus' aital.
716. Eu die que trop pessars
Crex trebayls e tristors
Ez aduts mays affars
Et pessaments majors.
70^ a ues bos. — 7 ! o è per sieus. — 7 1 s que nots tal.
LES PROVERBES DE GUYLEM DE CERVERA
724
717. No voyles ton amich
A son dan trop proar,
— PelsditsdeJobhodich —
Ne l'enamic blasmar.
Ceyl qui mal te voira
Not trop ab cara irada
A vêts bays' om tal ma
Que veser vol taylada.
718. Sifas causa ceiada,
De ta moyler te guarda,
Que, si la fas irada,
Cridan dira c' om t' arda.
719. Tal ha cara d'anyel
Qui a cor de serpen,
Ê fa pits c' ab coutiel
Ab honest vestimen .
720. Qui la coa tolia 1/. ]\'
A la serp can es viva,
Meyns de coa vivria
Pus mala. pus esquiva.
72^ . La sigala acoyl
Lo moscaylo sots l'ala,
Puys l'auci et no voyl
Companya ta mala.
726. Peressos vol far (soni pro,
Et nol vol, c' ades di :
« Paras ayço? — Hoc, no ;
Aspera t' al mati. -
727. Als bos es laigs fayts durs
Ab mais perseverar ;
Anyels non es segurs
Si vol si ab lops estar.
721. Qui serp al coyl tocava,
Ab l'als gran mal faria,
E quil cap li trancava,
De mentanen morria.
722 . Superbia es caps
Detots mais, et quil cap
Nol toyl, re aïs no saps
Qui d'aucir los acap.
728. Pus Dieus te manda trayre
L'oyl, sit fa dan mortal,
Guarda quet manda fayre,
S'ab foyl prens ton ostal.
729. Li aut senyormal fan.
Car cuyon c' hom nol dia;
Per quel fait no diran
Qu'en se dits que fayts sia.
723. Si vols ton cors sanar
De tots los mais c 'auras,
Voiles desemp[ar]ar
Soperbia, si l'as.
7^0. Cuyan fan la .i. mal
Que nuyl hom no l'aus dir
L'autra, car nols en cal
Et no temon faylir.
718 Couplet cité par En Pach : Si fas cosa selada, | De ta muller te guar-
da, I Que si la fas hirada | Cridant dira c'om t'arda {Esp. <,4,Jol. 42 a; 55,
fol. 24 c; Documentes, p. 2jo). — 722 Eccli x, i 5 : Initiam omnis peccati
est superbia. — 722 d ausir. — 726 Prov. xiii, 4: Vult et non vult pi-
ger, etc.— 728 M.\TTH. v, 29: Quod si oculus tuus dexter scandaiizat te,
crue eum.
78
7?'
L'un fan cuyan falcia 7^9.
Que no sia sebuda
Desque passada sia
Es als disens venguda.
7p. Enans son .c. mais fayt (v°) 740.
C us be non es pessats ;
En be far ha mal trayt,
En mal sejorns pessats.
75 j. Li regidor de mar 741.
Trason pats quels sotsmes ;
En terra degron far
Aital, mas revers es.
7^4. Nauchies guarda la nau 742.
De la rocha ferir ;
En terra ab gran frau
La fan premier périr.
Membret le pots de Roma
Et cel qui per paubresa
Intrct dins et vi soma
C hom prenmal per malesa.
Pauc as armes duras
Defors, si'n ta mayso
Cosseyl(si aut non [aurlas
Ab to cosseler bo .
Tuyt dese periran
Qui cuyon far per forsa,
Qui en batayla van
Ses cosseil quils estorsa.
Le cosseils deu régir
La forsa el poder,
Qu' estiers no pot complir
Princep son bo voler.
735 . A princeps ez a rey
Es bes, s'a conseyl bo,
Car .V. cauzes hi vey
Nobles ez ab raso.
745 . No fasses nuyla causa
Sesbo cosseilador ;
Si refrenar no t'ausa.
Non al cosseil valor.
736. Conseil a demendar,
Eslir cosseylador,
Del cosseil a donar
Que tayn a bo senyor,
737. Examinar cosseyl,
Segons lo cosseil far :
Ab aquest apareyl
Pot tots reys be regnar .
7^8. Lay on governador
Non a, poble laig cay ;
Sobre malvat senyor
Tornal mal tôt ques fay.
744. Pus no t'aus refrenar \f. ?2i
Tos cosseils de malesa,
Pauc val, ne rexidar
No t' ausa ta paresa.
74^ . Reprenden si t'orgolias
Ne vols sobrepujar
Castian et .i. voilas
Bo denant tots triar.
746 . Can tots tos cosseils sia
En Dieu, no pot périr ;
Roboam car cresia
Fol cosseil, fets falir.
738 Prov. XI, 1 4 : Ubi non est gubernator, populus corruit. — 746 f cor cresia.
LES PROVERBES DE GUYLEM DE CERVERA
79
;47. Joyas fan cechs ab dos
Et muts jutges et reys,
Giran contriccios,
Castichs et durs esfreys.
754. La via del foyl es
Als sieus oyis dretchureyra,
Per que t'es mal perpres
Si secz aytal carreyra .
748. Princep no son fael,
Pcr so car amon do
Qui ha sebor de feK
Reseb en gasardo.
7S 5 . Fondaments de drelura
Es qui no vol noser
As alcu ez a cura
Dels cominals valer .
749. Si con joyes prenden
Pot dona cast' estar,
De cel on prêts enten
Pot jutgeis) et reys dreit far.
756. Resebimens de dons (v^i
Fa jutges e senyors
Cecz e muts, et dels bos
Fa vils et sordeyors.
750. Tûtes causes me so
Lagudes, pus no sia
Sotsmes d'autra per do
Ne per autra paria.
757. Crans dons corromp gran
E met en servitut [fama
De mort cel qui dons ama,
Car dos l'a lieu vencut.
7^1. Si la resebedora
De pessa en prendia
De tu per do nuyl' hora,
Rependre not poria
758. No voyles dos recebre,
Car los savis orbs fan
El tort del dreit percebre,
Les paraules viran .
7^2. Aicel es melasits
Qu' es de do resabens,
Per que cel es ferits
Qui non es mal mirens.
759. No resebes pressonas
Ne dos, quels oyls fan cecz,
E si per dos îedones,
De savis venras pecz.
75?. Cosseil demanderas
Als tieus meilors amichs,
Los quais lonyar veyras
De tos mais enamichs.
760, Cil seran melasit
Qui justificaran
Ceils qu' auran mal merit,
Los no miren[s]dampnan.
747 EccLi. XX, j I : Xenia et dona excaecant oculos judicum. — 748 b
cor amon. — 754 Prov. xii, 15: Via slulti recta in ocuiis ejus. — 756 d
sordeyros. — 70 Cf. le couplet 747. — 7^8 c El toil.
8o A.
76 1 . Gobes reseben do
Cuya los dos grans pendre
Per benediccio,
Et Dieus vol lo car vendre .
768. Mais focz dévorera [f.
Palays e tabernacles
De cel qui dos pendra,
Et sera vers miracles.
n'
762. Car Gesai près do
Mal, no degudamen,
En malediccio
Li tornet mantanen .
769. Qui met dins sa mayso
Tal qui 1' exorp, es fais
Assi, et per raso
Deu li venir tots mais.
76 ^ A cadescu linatge
Dels homens respost da,
Que no prend' ab dapnatge
Mays qu'escrit Dieus non a .
770. Ne le savis quais es
C'ama aquesta causa,
G' aiso li toyl tôt bes
Es en mal crim lo pausa.
764. Nuyls hom non a désir
De re, pus n' a assats,
E femna deu fugir
A far ses volentats.
771 . Trobat so al meu poble
Alcu mal guaytador
Paran ate mal no noble
Gon d' auciels prendador.
76^ . Aquo qui es meillor
Gonquer hom pus greumen,
E lo conqueridor
Fa bo enfortimen.
772. Gan lo tieu aurai près,
Mantanen viraray;
Jusi qui non drits es
Jutge Dieus say e lay.
766 . Trebayls es conquerers
Et posseirs paors
Ez afïans reteners
Et pendres grans dolors.
77 ^ . Giyl qui son vendador
De justicia, son
Jutgat per lo Senyor,
Jutge dreyt d'equest mon.
767 . Les mas se guardaran
De dos d'equels malvats
Emvagos, qui seran
Tuyt pie d'iniquitats .
774. Ja alcu no trebayls
Per lo tieu jutgiamen :
Axi con l'omil tjiayls,
Te talaray coscen .
761 b Guya est répété dans le ms. — 762 Même allusion qu'au quatrain 629,
— 769 c assir. — 771 Jer. V, 26: Quia inventi sunt in populo impii insi-
diantes, quasi aucupes laqueos ponentes et pedicas ad capiendos vires. —
771 c Corr. Par artimal.?
77^ • Princeps qui volontiers
Vol monsonyes ausir
Esquivais vertadiers
Et vol malvats soffrir .
LES PROVERBES DE GUYLEM DE CERVERA
782
81
Le richs non es repres
Par toyira solamen,
Mas car no part sos bes
Entre la paubra gen .
776 Diable valon may
Que raubador no fan,
Car no fan mal ne glay,
Mas a cels quil faran .
Adonchs dira le reys :
" Via al foc d'infern,
Vos qui des malavey r s
Als mieus bas ses govern.
777. Le raubayre pendria
De frayre, de cusi ;
Dels homils pren tôt dia.
No del forts .j. teri.
784. Can grans fams me prendia.
Nom dones a manyar;
So que manyar volia
Me tolgues ab raubar. «
778. Diable re no fan,
Mas per dreyt jutyamen;
El raubayre desfan
A tort la bona jen.
785 . Dieus no meynspresara
Preyeres de pobils ;
Vidues ausira,
Esguardan lorsperiyls.
779. Mays val lops part mesura
Que raubador no fan,
C us lops da nuyt s'atura.
Ho tuyt, can lors obs an.
786. Laixals termes pauquets
Els camps dels pobils bas.
Car los proysmes altetz
Forts, don jutgat seras.
780. Le raubayre no pausa v"
De raubar nuyt ne jorn,
Ans l'es estranya causa,
Can ve, c' ades noy torn.
]~ . Si fas als paubras forsa,
Car lurs homils seran,
De tu aura 1' ascorsa
Le droyt (sic jutges c'auran,
781 . Car Dieus celuy repren
C als bas no part son be,
i^nie fera cel qui pren
Los bes lors ses merce ?
788. Los paubres. que auran
Raubats et despuyiats,
D'aqueyls jutge seran
Quils auran mal jutgats.
783-784 Matth. XXV, 41-42: Discedite a me maledicti in ignem aeter-
num, etc. — 785 Eccli. xxxv, 17: Non despiciet preces pypilli nec viduam.
— 786 Prov. xxiii, 10 . Ne attingas termines parvulos ; agrum pupillorum
ne introeas. — 787 Prov. xxii, 22 : Non facias violentiam pauperi quia
pauper est.
Romania, XV 6
789. Q^ui vol fayt comensar
Noble, primeramen
Se deu ab Dieu pausar,
Es après ab se gen.
790 . Qui combatres voila
Es guarnia d'argen,
A l'autrels vis toylria
Contrel sol resplanden.
791. Li nat fiyl dels malvats
No montiplicaran;
Doncs malais veyran nais
Et mal' engenreran .
A. THOMAS
796.
La gracia no val
Dels auts tan con nots ira
Dels bas, enans fa mal
Quil comperar s'albira.
797. D'oliver porte ram,
Qu'el tiemps antic faras,
E pats, que desiram,
Membran lay on iras.
798. Reys dreturies endressa
La tierra, e 1' avars
La destruy, car no pensa
Mas mais e braus affars.
792. Li malvat sobre terra (/. ^4) 799.
Seran toit et perdut,
Sil proverbis non erra ;
Mal' aura mal viscut.
Rey qui jutga sa gen
A dreyt es ab vertat
Pot ceser fermamen
En seti endressat.
793 , Per pus maltenc raubar
Qu'enblar, et die raso,
C ab manifest peccar
Esmeyns que a layro.
800 . Reys deu savis eslir
Desobre se companya
E fesel a régir,
Per so c' us no s'en planya ,
794. E par en aolteri;
Quim manda con rt^spondre.
Eu respon c' als no queri
Declinar ne espondre.
. Car si savis no es,
Leumens es galiats,
E no-fesiels repres
Es d'enjanar cotchats.
795 . Volp son li raubador,
Card'Erodes dix Dieus :
« Volp « que vi prendador
Dels autruys et dels sieus.
802. Non es hom dreits jutjats,
Sitôt sarayso's bona,
Per jutges despayats,
Si ans del sieu nols dona.
792 Prov. II, 22: Impii vero de terra perdentur. — 795 d & meyns. —
795 Luc. XIII, 32: !te et dicite vulpi illi. — 795 a reubador. — 797 c de-
siran. — 798 Prov. xxix, 4: Rex justus erigit terram ; vir avarus destruet
eam. — 801 b liuemis.
LES PROVERBES DE GUYLEM DE CERVERA
805 . Tal re te hom per pro 811. D'emfan foyl nom desfi
Qui es perda trop grans;
Qui no conoix raso
Non es jutges bestans.
Per mal comensamen,
Car vist ay bona fi
Comensan malamen.
804. Qui de si vol parlar
Deu pendre la maylor
Raso, et so laxiar
On agues desonor.
80^ . Mantes vêts ay ben dit
So don volgra mal dir ;
Lo lau de l'escarnit
Deuis] pendre per aucir.
812. Qui son voler asira
Mal, no pot re miyls fayre;
Del philosoph cosira
Veyl, quefets del viupayre.
81 :; . Be tenc celuy per orp
Qui laxa son viatge
Per grayla ne per corp,
Fasen vas Dieu oltratge.
806. Rev d'Egiptes livret
A Josep cant avia;
Don sans Bernât parlet
Que vergonya séria
807. C hom da Crist no livres
Lo sieu a crestia ;
So c'hom ses fe feses,
Nol tendria per pla r
14. Vist ay malvat tornar
Per sobres de mal dir,
Quis fesia presar
Ab sobres de servir.
I ^ . Qui prosomes no fay
Non es pros acabats;
Mays aycel quils desfay
Es de vert ai laus lonyats.
Vensut de camp, exit
D'orda, ne trasidor
No vey gen acoylit
En cort d'onrat senyor.
No livres ton peccat
Al boc qui lo seu port,
Mas al clergue segrat
Per penedensa fort.
Aguylo de parlar
Son bo entendador ;
Entendr' e escoltar
Aguson parlador.
816. Ab tôt aytal mesura /. ^ 5
Con tu mesureras,
Lo cabal et l'usura
El guasayn cobreras.
817. Qui no sab esmendar,
Per dreit no deu rependre;
Si vols fayt comensar.
En la fi deus entendre.
818. Princeps bénignes dona
Al[sl sieus gran fermetat;
Homils bassa pressona
Puganbenignitat.
2 d qui fets del nin p.
84
819.
A tot(Si senyor cove
Pietats, per semblar
Sels don poder li ve,
Per poder de mermar.
826. Misericordios
Merce conseguira;
Sans Luchs dis : « piados
Benauyrats sera. «
820. Dieus del celavalei
Pietat, can carn près.
Epels sieus se vendet
Pertal quels resames.
821. Per c' a tôt senyor tayn
Que fas' als sieus ajuda
Contra tôt hom estrayn.
Sils es tensos moguda.
822 . Senyer deu sacors far
Als paubres c'an freytura,
Es als frevols aydar
Contrels forts, ab mesura.
823 . Jhesus fo oyls de[riS sechs,
Dels contrets dressaments,
Entendens dejusts pechs,
Del bas sosteniments.
827. Li riu secan corren
Et fonts axecaran ;
Sans Agostin non men,
Qui 0 va recomtan.
828. E Ysayes dits : r"
'( Amichs, trenca ton pa,
E seras benesits,
A ce! qui fam aura, »
829. Pietats, qui promet
Aquesta présent vida
E l'autra ti sotsmet,
Per qu' es foyl qui l'oblida.
8:?o. Preyem lo poderos
Qu'el deu per nos preyar.
Si tôt em freturos,
Et preyan ajudar.
824. Per la gran mesquinea
Dels freyturans di.x Dieus :
« Levarm'ay; «gransimplea
Dix et fetz per los sieus.
1^1. Per tus combat, amichs,
L'almoyna ses duptansa,
Ab los tieus enamichs,
Ab escutes ab lansa.
82 $ . Princeps deu mays aver
De merce, qu'e major
Péril c' autres, per ver,
Es en loc pus ausor.
1^2
Re tan amar no fay
A Dieu con pietats;
Cel c'ap pietat vay
Es sobre tots amats.
8iç) a senyer. — 826 Ce n'est pas dans saint Luc, mais dans saint Mathieu
qu'on lit: Beat! miséricordes (V, 7). — 828 Isai.e lviii, 7: Frange esurienti
panem tuum. — 829 d toblida. — 8^2 a amat.
8v
LES PROVERBES DE GUYLEM DE CERVERA
Tu sies als pubils
Misericordios,
Axi con a sos fiyls
Es payres piados.
Ja no meynspreseras
La tua carn per re;
Dels tieus proismes auras
Pietai e merce .
14. Als pubils sies payre
Bos. en fayts es en dit[s]
E sies a lor mayre
Ses mal. si con merits.
842. No vuyles paubre u
Per ton plaser destrenyer.
Car niembr' es, si com tu,
De Dieus, qu'es de tu senyer.
8; s . Qui a sel quis déclina
Misericordios
Es, vol far vida fina
Es es benuyros.
8;6. Senyer no deu ser far
Ce! qu'esser franc deuria,
Qu'en franc senyorayar
Vey noble senyoria.
8^7. Mant son de sers senyor
Qui son paubr^ e malvat,
Mas pels franchs an honor
Qui son sobr' els pausat.
845 . E si r us membres dol
Tuyt s'en an a doler ;
A los membres se vol
■ Le cap sas sostener.
844. Cel ama son amie
Qui lo mal que pren sen,
E can paubre vel rie,
Ques teny^ ab cor manen.
845 . So e'hom als paubres fay
Comta Jhesus per si ;
Honra los mieus, sit play
C onrats sies per mi.
8:;8. En oli de merce
Art foc de mal' amor ;
Can l'olis fai dese,
Princeps se claror [sic).
Princep deu aver fe
Esperans' e temor
De Dieu, part tota re,
Et la carta, amor.
839. Senes merce dretura
Es si com seehs aurats.
Qui d'aucir homes cura,
Can deu aucir peccats.
847 . Ses fe plaser a Dieu
Jes possibles non es ;
Plasens es, so say hieu,
A Dieu fes e merces.
840. TotaxicomLamechs /. ;6 848.
Ab l'areh Caym alcis
Per so car era seehs ;
Non ofera si vis.
Senyer Dieu, li teu oyl
Esguardon be la fe,
E 1' amor ses orgoyl
Esgardon tey oyl be.
853 EcCLi. IV, 10: Este pupiilis misericors ut pater. — 8?7 b fayre. —
^o c cor era. — 84:; Cf. le quatrain 349.
86 A. THOMAS
849. Jhesu Crist no perdona
A cels qui fe non an ;
Desespers ocaysona
Pus c' als cels quey estan.
857. Nos amam per la fe
Et no per esperança,
Mas emparam gran be
Aver per alegrança.
50. Ja non aura durable
Vida, qui no creyra
Al fiyl, ne profitable
En est mon ne delà.
I58, Lo cors imfernal ponya
Rompre l'oyl de la fe,
El corporal nos lonya
De 1' oyl, tant can mort ve.
i $ I . Qui fa be ans de fe
Ha trop gran leugeria,
Con hom leus qui cor be
Et vay fora de via.
859. Peccats no pot valer
Aytant con la fes val,
Ans fa fes dechaser
Tôt peccat et tôt mal.
1 5 2 . Re no viu en mar morta {v"l
Per vida corporal,
Ne hom ses fe no porta
Vida espiritual.
860. Jes les portes d'imfern
No valon tan — so say
Del poder de l'estern
Diable, con fes fay.
I5 ^ . Tant es fe causa grans,
C'oltra la fe nos mostra
A vid' esser pessans
Maylor c' aycesta nostra.
861. Ceyl qu'en gran benenansa
Tôt son sejorn (sic)
En sol . I . punt se lansa
En imferm ses retorn.
1^4. L'arbres per la rasits 862
Fay foyles, (et) flors et fruyt(s) ;
Hom per fe fay et dits
Totsbes; masnolsfan tuytfsl.
Fes es forts saviesa
Pus que casteyls en rocha ,
Guarda s'es lonc estesa :
Del cel en imfern tocha.
«55. La fes es saviesa
Que malesa no vens.
Ans fe vens la malesa
C auci lo[s] mal mirens.
Si causes demendam
Be dousas et plasens,
Ans cove les soffram
Amares et cosens.
1 $ 6 . Fes es lusens lanterna
Qui l'arme lumi' e guida
En la nuyt fort escura
D'aquesta présent vida.
864. Qui'n primer non aprenf/. ^71
De servir, can servir
Cuya, desser ses sen,
Per ques fay escarnir.
85 j <J es répété dans le ms
doit probablement être corrigé.
85^ c Ans se. — 856 c escura ne rime pas et
|i LES PROVERBES DE GUYLEM DE CERVERA
865. Nabugadenosor 871
87
866.
Fo punits, car cresia
Senyorajar part for
So que d'autre ténia.
Bo ministre feray,
Dits Dieus, es entenden,
Qu' esser cuyg, si fayl ay.
Ministre solamen.
872,
Per la fe de las gens
Le murs de Jherico
Casegron ; ver disens
L'Apostol es d'ayco.
.Ananias, pausats
Ab los .ii). a cremar.
Fo per fe delivrats,
Que hom nol poc mal far.
867 . Ministres deu aver
Gran cura de complir
Al senyor son voler,
No pausan de servir.
868. Nécessitât avem
De gran pr o]esa far.
Si donchs no la volem
Del tôt dissimolar.
873 . Alexandris qui fo
Gentils, car fe avia,
Li fe miracle bo
Dieus els mons que clausia.
874. Guarda que fara Dieus
Per SOS faels, car tan
Fe ab precs paucs et brieus
Per no fasels preyan.
869. Tots ministres deu far
A guisa del senyor,
Dels sieus bes no terdar
Al paubre queredor.
870. La part del menscresenis'i
Et del tenen sera
Estayns de foc arden.
Ab sofïre quey aura.
875 . Alexandris per fe
Lo prever ahoret
En Jérusalem be,
Quil nom de Dieu portet.
876. Nos deu [hom] enuyar (v"'i
De preyar leyalmen,
Can no pot acabar
Sonfayt delivramen,
871 cSasegron. Hebr. xi, 50: Fide mûri Jéricho corruerunt. — 875 Cela
signifie que bien qii Alexandre Jût paien, Dieu fit pour lui, parce qu'il avait
la foi, un miracle dans la montagne {cor. el mon) qui se fermait. Il semble qu'il
so.t fait allusion ici au récit du Val périlleux, qui n'a été rencontré jusqu'à pré-
sent que dans le roman en alexandrins (éd. Michelant, pp. J20-9K Alexandre et son
armée se sont engagés dans une vallée enchantée d'où ils ne peuvent srtir. Alexandre
cependant, ayant invoqué Dieu « le roi du paradis » découvre une inscription
disant que ceux qui sont entrés en ce val ne peuvent sortir qu'à une condition: c'est
que l'un d'eux consente, de son plein gré, à y. rester. Alexandre se dévoue. L'ar
met s'éloigne, et lui-même peu après trouve moyen de sortir aussi, — Le quatrain i 1 06
contient une allusion au même épisode.
A. THOMAS
877. Pero al preyador
Creix gaugs de cabar lieu,
E grats al donador
C'o fa ses semblan grieu.
Quecz, per so que solia
Jutgiar, jutgat sera,
E d'ayso mays feunia
Del jutgiamen aura.
878. Mas l'evangelis dits
Que la femna preyet
Tant Dieu, tro fo ausits
Sos precs, que la sanet.
886. Lerichs,quanpaubrestorna,
Es cen tans pus irats
Qu'iceyl qui nos sajorna
E es de mal usats.
879. Die que comensamens
De saviesa es
Temors certanamens
De Dieu, caps de tots bes.
Josaphat dis pels jutges :
« Guardet quel jutgiamens
Non n'es d'ornes que jutges,
Mas de Dieu solamens. »
880. Al far tayn conoxiensa
De vera saviesa,
E can hi es temensa,
Conquer majer noblesa.
No sie excepcios \f.
Fatchia d'ornes c'axi
Jutya, es es rasos,
Paubres et richs con mi.
881. Hom no temens de mais
Es — le savis ho dits —
Castiels qui pels portais
Es primes esvasits.
Nos no voylam jutgar
Et no serem jutgat,
Ne devem desirar
Senyoriu ne jutgat.
882 . Pels portais dels castiels
Entron tuyt, mal et bo,
Per que portais apiel
Los .V. seyns qu'en tu so.
890. Can los dos lexeras
A pendrel tieu emfan,
Molt meyns lo presaras
Que con ca mal usan.
E sil porties se tem,
Los portais gen guardan,
Nom dels justs li direm
Qui temon tôt quanfan.
891. Ceyl qui benifeyts dona
Es resemblans de Dieu,
Majormen can s'adona
C'a paubres do lo sieu.
Aycel qui son pausat
Sobrels autres jutyar
Seran pus durjutgat(h)
Per Dieu de lor mal far.
892. Con princeps savis sia.
Net, suaus, libérais,
Meynsprean tota via
Les causes temporals.
879 EccLi. I, 16: Initium sapientiae, timor domini. — 885 Matth. vu, 1 :
Noiitejudicareutnonjudicemini. — 892 a an lieudeCon, corr. Tayn.? — 892 ^Nec
LES PROVERRES DE GUYLEM DE CERVERA
S95. E deu esser homils 901. Homelitats es bona,
Es ab leyal amor,
No ab dits femanils
Ne fasen lo pigor.
89
S94. De saviesa es
Fis atelentaniens;
Nedesa, part tots bes,
Es al senyor plasens.
895 . Saviesa raquer
Ans que als castedat.
Don nets de Dieu conquer
Amor et pruysmetat.
Que David fo faits bos
Can ac homil pressona
Segons Dieu piados.
902 . Enfants paucs es homils
Et nol sove greujansa,
E Dieus es tant gentils
C'aver vole d'eyl semblansa.
90^ . Franca homilitats
Fe homil Benjamin,
Don fo per Dieu amats,
Segons quel libres di.
S96. Susans es resemblans.
Dix Dieus, don Moysens
Fo susans et presans
Per Dieu entre les gents.
897. Savis deu esser reys.
Tan que nol trop malesa,
Si que met' en esfreys
La gen qui l'es sotsmesa.
904. A princep tayn amors
De Dieu et de sa gen ;
Amors de Dieu de cors
Vay lanostra seguen.
905 . Per que nons amera
Dieus si l'amam, qu'enans
Que nos l'amessam ja
Nos amav' ab mais grans?
898. Per liberalitat,
Qui es la quarta causa.
En Pau deu resemblar,
Qui de dar bes no pausa.
899. Qui benifayts sab dar,
De Diu es resemblans,
E vol Dieu contrafar
Reys, can n'es arrapans.
900. Reys qui te loc de Dieu
Sembla Dieu ses malesa,
Guardan l'autruy el sieu
Dona[n| per sa franquesa.
906 Les causes temporals
Deu princep menspresar ;
Aman sos naturals,
E Dieus voirais amar.
907. E dits ho sans Mathieu,
Senequ' e sans Bernats :
Amans les causes, greu
Seras per Dieu amats.
908 . L'us dels meylors senyals
Es, c'om en princep ve,
S'ama Dieu con leyals,
Can en Dieu pessa be.
'éçf'i cC est s ans doute le Aom d'un contemporain (fui devait être célèbre par sa bien-
90
909.
Vas lay on l'amor an
Tenon tuyt l'oyl del cor,
E qui'n Dieu va pessan
Non a pus rie trésor.
917. Con Dieus asir peccais
Et no voyP autra re,
Mays valgra no fos nats
Qui de peccat nos te.
910. Can trobet Magdaiena
En Tort nostre Senyor,
Demande! l'ab gran pena,
Car l'avia amor:
9ii
Les vertuts son noyrides
Per tu benignamen,
Per so car les faylides
Portes a veniamen.
911. « Si tul n'as levât, senyer,
Digues on l'as pausat,
Car lay nol poc atenyer,
On l'avia sercat,
919. E David al salm di :
« Agui los enamichs
En ira per cami,
Tu Dieus fossas amichs.
912. Sitôt ab gran cossir (/. ^91
D'el seber ho volia. »
Aytan volia dir
Qu'ela el cor l'avia.
920. Qui payr' e mayr' el sieu
Per Dieu no desempare,
Non es dignes de Dieu,
Don s'amor desempare.
915. Ceyl ha forsa d'amor
Qui tots temps cre conoxer
Els autres ab laudor
D'amor no meynsconexer.
921. Le ters senyals es bos,
Can be princeps soffer
Tots SOS fayts volontos
Per Dieu, don grat raquer.
914. Le segons senyals es
Can princeps celuy ama.
Sitôt s'es d'eyl sotsmes,
Que cre per bona fama
915. Sia per Dieu amats.
Et can celuy asira
Qu'es per Dieu asirats,
Et vas tort far nos vira.
922. El foc arden s'aseya
S'es bos aurs es argens;
Hom, al foc, qui no pleya
D'omelitat soffrens.
923 . L'enap de passio
Pie que mos payrem dona
■No.-
No vols que be\
Obres obra falona.
916. Volers 0 no volers
Dits aitan a la fi
Con amors, es es vers
Vera dona dor fi [sia .
924. Pena certa demanda fv"
Le suaus qui be ama,
Soffren toi quan comanda
Dieus a cel quil reclama.
Jaisance.
11, 56s).
909 Cf. le prov
-914 sostmes. -
.• Ou li amors est, Il cuers est \Le Roux de Lincy^
921 c uoiontes.
LES PROVERBES DE GUYLEM DE CERVERA 91
925 . Bel senyal ha al quart, 93^ . Propria causa es
Don princeps es amats Del fiyl, con que repayre,
Per Dieu, so es que guart Venya li mal 0 bes,
Los lochs sants et segrats. Veny' al alberch del payre.
926. El be e las franquesas
Dels lochs sion servades,
E qui fera malessas.
Que sion car comprades.
9^4. Reys qui te loch de Dieu
Deu far de Dieu jornal,
C'anar deu al loch sieu,
Enans qu'en altr' osdal.
927. Anna al templ'astava.
Ja^Sj fos so que duptes,
Per so car no levava
Fruyt c'a Dieu Si no pases,
9:;^ . El princep, can ira
El loch, sil loch noil' ama.
Ja grasits noy sera
Ney aurabona fama.
928. Mas per so car avia
Amor a Dieu ten gran,
Del temple nos movia,
Mas per obs. Dieu aman.
956. E com poras preyar /. 40
Celuy cuy mal voiras ?
Sil mal nol pots celar,
Obesits non seras.
929. El temps c'avia Dieus
Dots' ans, al templ' estava,
Can sa mayr' ab plans grieus
Et Josep lo s) sercava.
937. Le quint es, quels reys onre
Los ministres de Dieu,
Qu'eu not pusch jen respon-
Si desondres lo mieu. ^dre
9:50. E can s'en plays se mayre,
Respos qu'en la mayso
L'er estât de son payre,
Que en les autres no.
9:18. Qui honrals loch s' lenents
De Dieu, Deu vol honrar,
E s'il fan falimens,
A Dieu ve del venyar.
931 . E can en la ciutat
Entret primeyramen,
Al tiempl' a Dieu donat
S'en anet homilmen.
9:; 9. Le sise es, can reys
Vol volontiers parlar
De Dieu qui l'honra el crex
El fay senyorajar.
9J2. Per quens donet raso
Qu'en la casa devem
Anar d'oracio,
Ans que d'als no|s] penssem.
940. Car amichs parla mays,
Can ausa, de s'amor
Que d'als on ha pantays,
Can enten parlador.
926 b Si son. — 929 b tots ans. — 938 c Ecil.
92
941
Magdelena parlava
Da Dieu soven ades ;
Perso car molt l'arnava,
L'era de! cor tam près.
942. El sete pots causir
Los rieys per Dieu grasits,
Can soven vol ausir
Dieu els fayts bos els dits.
945. So es con el sermo
De Dieu (u)ausen s'atura,
Donan aximpli bo
Al sotsmes de dreitura.
944. E so qu'en ausira
Nuyl temps nol dessovenya,
E tôt quan li dira
En son cor dins retenya.
945 . Qui au los mandamens
De Dieu els serv' els te,
Aymé Dieu fmamens
Et Dieus iuy aytambe.
946. Lo vuyte senyals es,
Can reys volantiers dona
Per Dieu, et part sos bes,
Toylen a sa pressona.
947. E can ihomt per Dieu deria
Tôt son sostenimen,
Encaral cuydaria
Aver dat caymen.
948.
E nuyla re tan lieu
No conex hom amor,
Con en donar lo sieu
Es en fayre honor.
949.
950.
9)1
Le noves, can rey vol
Obesir so quel manda
Far Dieus, can al rey dol.
Qui de re lo desmanda.
Dieus dits c' hom onr' es am
Sos amichs leyalmen,
E si an set ne fam,
Quels [sjason bonamen.
Le proverbis retray
Que la major besonya,
Si la ricors s'en vay,
L'amich sldelpaubr'eslonya.
9^2. Sil princep paubre ama,
No l'ama per lo sieu.
Que menifesta fama
Es que l'ama per Dieu.
955. Ja tu no ameray
Be, si no am los tieus ;
Dieu t'amera — so say —
Si be âmes los sieus.
954. Membret del rey de F'ransa
Quel juglar terra det,
E con non ach duptansa
Con l'ostias levet.
9^ ^ . D'eiso quels reys tolia
Vol al paubre donar,
E so que be cresia
No volch ab oyls guardar
(v"i 90. Membret de sent Johan
Qiaels dexebles preyava
Qu'ânes l'us l'autr' aman.
Que res als nols parlava.
949 f Can dieu. — 95 1 Au besoing voit l'en qui amis est. Le Roux de Lincy
LES PROVERBES DE GUYLEM DE CERVERA
9?
9^7. No voyles apeylar
Nagun payr en la tierra,
C'un n"as al cel, et par
Con soffri per tu guerra.
96s . A rey lare no cal murs,
Barreyra ne fossats,
Qu'en pia es si segurs
Con en castiels obrats.
958. Segons Dieu tuyt em frayre,
Pero pauc nos semblam ;
Pus tuyt avem .j. payre.
Per que tuyt nons amam ?
966. Castiel ne fermetats
No val a rey avar
Que no sia sobrats ;
El larch nos pot sobrar.
9^9. Tu qui als morts t'en vas
F'orsat et mal ton grat,
Aytan can viu seras,
Hi vay de volontat.
967 . Rey avar al sotsmes
Es assi, no pre[s] re ;
Pus be no part sos bes,
Res de be nol cove.
960. Tu qui portes la flor, /. 41
Guardel mort qu'il s'en porta ;
Penssa de far conor,
Qu'els pes tens près la porta.
968. Reys can es larchs als sieus
Es assi, es presats,
El sieu l'amon e Dieus,
Per que régna honrats.
961. Tu portes la guarlanda
El mort portel sudari;
Laxian la beyla landa
Tens lo cami contrari.
969. Reys qu'es avars assi
Per c'als autres mays do,
Be valors per pus fi
Et mays sec se reso.
962. Es es dreits fil d'aranya
Que re fort no atura^
Que mentenen no franya
Mas frevol creatura.
96:; . Dreyts fo faits pels malvats,
No jes per los valens ;
Er confon los presats,
Als croys non es nosens.
970. Tan can rey es valens,
Donan et fasen be.
Es can vol presar mens
L'altruy, el sieu rete.
971 . Ops es c'hom se délivre
De peccat et d'enyan,
C'ab ayso no pot vivre
Sos jorns ne tan ne can.
964. Reys als autres avars
Et larchs assi, pauc val,
E sil creys grans affars,
Laxar l'an a cabal.
972. Si con l'oyl an plaser {v°)
De veser biela flor,
Ha l'arme bon saber
De sentir bon' odor.
Livre des prov. II, 272 ««485. — 958 a en. — 964 c E cil.
94
A. THOMAS
975-
Volontats et sabers
Acaba tota re,
E poders et lasers
Et majormen tôt be.
980. Vist ay ab mal malvat
Qui guarir no volia,
E vist que mal son grat
Le metges lo guaria.
974. si us parla entre cen,
Ades guard' al meylor
0 al pus entanden
O cel cuy port amor.
981 . Sans Mertis guarilfsi sec
Mal son grat el contrait ;
E tenc celuy per pec
Qui desraso son playt.
97^. Molt miyls deu hom parlan
Lospechsquelscertsguardar,
Quel cert ben entendran
El pechis) no ses tornar.
982 . No so eguals franquesa
Es obliguacios,
Nés fay segons riquesa
Aculimens ne dos.
976 . Si puges en ricor
E sents orgoyl sobrar,
Membret del texidor
Els mirayls que vole far.
977. Ciyl cuy valors destreyn
No deu hom pusdestrenyer,
Car forts destreyt l'ateyn ;
Sobre tôt s'en guart senyer.
985 . Donar et franchs coratges
Acolirs et honra[riS
Aporta bos usatges
Et lunya fayts avars.
984. Savis es bos amichs (/• 42)
E foyls non es, pot far;
Ans te dura destrichs,
Si no t' en sabs lonyar.
978. E sembla causa stranya
Qu'eu digua que valor
En pla et en montanya
No segon li miylor.
98^ . Un sol amich volria
Aytal con la mas es
A l'oyl, car non auria;
Mas al mon non es ges.
979. Qui te loch de senyor,
Mays deu temer falir ;
Sil senyor ha valor,
Pus c'altrel deu punir.
986. Si [l'joyl nuyl mal se sen,
La mas hi cor délivre
E donal guarimen
Ans c'als prenda ne livre.
979 Couplet cité par En Pach: Qui te lloch de senyor | Mes deu tembre
fallir I Sil senyor a valor | Pus que altre deu punir. {Esp. S^-,fol. 52 c;
SSJol. 51).
LES PROVERBES DE GUYLEM DE CERVERA
99?-
95
987. Si l'oyl deu .j. colp pendre,
La mas denan se pare
Per lo colp a deffendre;
Neys al pendre nos guare.
Femna esquivaras.
Si vivra vols adreyls,
Ho tu car compreras
Los tieus els sieus nalets.
988. Nostres perents amem
Si co la nostra stranya,
Car veramen sabem
C'amars amors guasanya.
994. Femna fets Selamo
De sa fe delivrar,
E sa muyler Semso
A l'estrayn axorbar.
989. Li prevera qui vivon
Be es ensenyan be,
Doblamen tayn que sion
Honrat, es eu 0 cre.
99$ . Ceyl per cuy fol portais
De Roma derocats
Fo entrels fmestrals
Per l'amfanta penjats.
990. A ceyls qui mal vivran
Ensenyan fais jornal
Deu hom doblar l'aflfan
La desonor el mal.
996.
Vergilis l'encantayre
Vole con besti' anar
Si com vi l'emperayre
Tant saub sa fiyla far.
991 . Manjar deu desirar
Hom, per tal c'aia vida,
No vivra per manjar
Voler, qu'es vida aunida.
997 . Sa moylers fets Tristayn
Morir. car noy jasia,
Que d'als tôt son coman
Et son voler fasia.
992. Per tal que fassa be
Ddu hom vivra voler
Qui de be no fay re,
No deu vida querer.
998. La reyna al bayn
Fets son marit aucir
E restauret l'estrayn.
Et fo durs fayts d'ausir.
991 Couplet cité par En
/Ida.
Pach: Menjar deu i'om desijar | Per tal que aia
la, I No viure par menjar | Voler, que es vida hun\da. (Esp. 54, fol 15 ; 55,
fol. 8; Documentos, p. 203). Ce mot, que Molière a rendu célèbre, vient origi-
nairement d'une parole de Sacrale rapportée par Plutarqae, Stobéc^ Aulu-Gclle et
autres ;voy. le Molière de la collection des Grands Ecrivains delà France^ VII, 129,
note. — 995 a b Nous ne voyons pas qui l'auteur veut désigner par cette péri-
phrase ; quant à la légende elle-même, les écrivains du moyen âge l'attribuent gé-
néralement à Virgile. Voy . Comparetti, Virgilio nel medio evo, II, 103. — 996
Légende ordinairement attribuée, au moyen âge, à Aristote.
96
999-
La reyna d'Espanya
Volch son fiyl matzinar,
E fo be causa stranya,
Pel Sarrasi usar.
1000. L'indienchs vole ab femna
Alaxandri aucir;
Qui'nvilfemnalsieusemna.
Blasme vol recuylir.
1001 . Le reys Davi julget
Si mateys a périr
Per femna, et pequet.
Don vole tormens soffrir.
1002. La causa pus malvada
Del mon e la mays bona
Es femna be usada
Ho can a mal se dona.
THOMAS
1007
Mays ameria anar
Ab trobador leyal,
C'ab playdes rasonar
Meyns de seyn natural
1008. Barayl[a] et pinxura 1/. 45)
Voyles de loyn guardar;
Quax que non âges cura
Net vols meraveylar.
1009. Ab quais oyls guarderas
Ton amich, sil fas mal
Can denan li seras ?
Not tenra per leyal.
1010. Grieu feras son plaser
Del tieu a ton amich
Si del sieu ex aver
Li fas dan et destrich.
1005 . Femn' es pus abstenens
Com er ab sen mayor,
Que semblans fa c'am mens
So que te per meylor.
1004. La femna vils no fora,
S' om no fos vils, es es
Hom vils es desonora
Ses femna morts et près.
1005 . Mays volria estar
Ab .). trobador bo,
C'un conquister tener
Don hom no fa son pro.
1006. Meylor estar faria
Ab .). bo trobador,
C'ab metge qui tôt dia
Fa de gran mal pigor.
1011. L'amistansa del[sl fats
Lieu se pren et lieu frayn
Grieu l'amor del[sj sénats
S'apren e grieu remayn.
1012. Larguesa dison qu' es
Vicis et vicis mais,
Don sobre totas res
Es lausats libérais.
\on, . No désirs lay ricor
On senyoreg vilas,
Ne milas pren d'ostor,
Ne orps, tu qui veyras.
1014. Le guayls se fay emblar
El cavayls atressi
E son senyor sobrar
0 venir a la fi.
1000 Cf. couplet 1 149.
1009 b Cil.
I c Leu.
LES PROVERBES DE GUYLEM DE CERVERA
1021
97
101 ^ . No duptes a servir
De pauc dos grans senyors
C'axit feras grasir
Et duptar als menors.
Moyiers vol mal soven
A ceyl quel marit ama,
E vol be axamen
A celuy que desama.
ioi6. No duptes a querer
Per pauc molt a senyor.
Que per .j. pauc plaser
Fay senyor gran honor.
1022. Si ton amich castias
Et not cre mentanen,
Ja per so no estias
De castiar soven.
1017. Ameras tos amichs
Axi que non seras
De tu eix enamichs,
Qu'els et tu serviras.
Homils et paciens
Conquer sirven amichs;
Ergoylos, negligens
Desserven, enamichs.
1018. No t'acorts ab celuy
Qui ab sis desacort ;
Grieu s'acord' ab autruy
Qui ab sis desacort.
1024. Si vols, can veyl seras,
Los autres fayts comptar,
Guarda so que faras
Non âges a laxiar.
1019. La causa desempar
Quet sia dampnamens
On pus te sera care,
Et valra'n mas tos sens.
102^. Si hom te lausa mays
Que no deu, per plaser,
Ja no t'en fenyeras
Guays et fay en dir ver.
1020. Ta moyler no creyras (V)
Can a tort se rancur
Dels serfs que tu auras
Eraa (?) ab sen segur.
1026. No cresas de tos fayts
Negu, mas tu metexs,
Car trop [es] malvat plaits
Et crims et dans en crexs.
1015-16 Cf. Caton, I, 35; Ne dubites, quum magna petis, impendere
parva ; | His etenim rébus conjungit gratia caros. Ccrvira n'a pas compris le
texte latin. — loi 7 Caton, i, 1 1 : Dilige sic alios, ut sis tibi carus amicus.—
1018 Id., I, 4 : Sperne repugnando tibi tu contrarius esse: I Conveniet nulli,
qui secum dissidet ipse. — 1019 Id., i, 6 : Quse nocitura tenes. quamvis sint
cara, reiiiique. — 1020-102 1 Id., i, 8 : Nil temere uxori de servis crede que-
renti : | Saepe etenim mulier, quem conjux dil git, odit. — 1022 Id , i, 9 :
Quum moneas aliquem, nec se velit ille tr.oneri, | Si tibi sit carus. noii désistera
cœptis. — 1C24 Id., 1, 16 : Multorum quum facta sene.\ et dicta recenses, | Fac
tibi succurrant, juvenis quae leceris ipse. — 1025-1026 Id., i, 14: Quum te
aiiquis laudat, judex tuus esse mémento : | Plus aliis de te, quam tu tibi, cre-
dere noIi.
Romania, XV
98 A. THOMAS
1027. Si tu servici prens, 'Oî4-
A mans 0 deus comptar,
E sil fas, majormens
0 deus a tots celar.
1028. Qui parla ab feunia 'o?5-
Be et adrechamens,
Ab alegra diria
Beyis dits dous et plasens.
No ternes mort, ne re
No deus tan fort temer,
Si vols finar en be
Ni viven gaug aver.
Si[tu] vols tos amichs
Al tieu servir respondre,
Non deusesser enichs
Nel teu servir confondre.
1029. Ja no curs ne demans, 1036. Si as deconaxens
S' us ab autra cosseyla Servit, guarda enan
De nuyls fayts pauchs ne grans Que serves conexens,
Denan tu; clau l'oreila. Car grat t' en refferran.
1030. Ce! quis sent mal mirens
Ades cuya c' hom dia
Sos mais captenimens,
El cuyars es foylia.
1031. Entre mil non es us
Da morir asinats,
E te es ha cascus
La mort entre sos bras.
1037. De re tan no m' es grieu
Corn dels jorns c'ay perduts
En obra contra Dieu
Ab fais crois dits menuts.
1038. Celuy que tu pories
Lieu venser combatten,
Per que mays preats sies,
Vuyles venser soffren.
1032, Lefoylsmets'esperansa(/. 44) 1039.
Soven en mort d'autruy,
E lieu aytal fiansa
Tornadel'autra'n luy.
1033. Ab cosselier avar
No t'acorts de larguesa.
Ne de leyaltat far
Ab cel c' an ab falcesa.
1040.
Be guarda tôt quant as
Et majormen la causa
C* ab treybal conquerras
Et Dieu conquiren lausa.
Can hom la causa pert
Que conquer ab treybal,
Cent tans mays s' en espert,
Per qu' el no guarda! fayl.
1027 Caton, I, 1 5 : Officium alterius multis narrare mémento, | Atque,
aliis quum tu beneieceris ipse, sileto. — 1029-1030 Id., i, 17 : Ne cures, si
quis tacito sermone loquatur: | Conscius ipse sibi de se putat omnia dici. —
1030 a cent. — 1031-1032 Id., i, 19 : Quum dubia et fragilis sit nobis vita
tributa, | In mortem alterius spem tu tibi ponere noli. — 1034 Id., ii, 3 :
Linque metum ieti, nam sultum est tempore in omni, | Dum morlem metuis,
amiltere gaudia vitae. — 1038 Id., i, 38 : Quem superare potes, interdum viiice
ferendo; | Maxima enim morum semper patientia virtus. — 1039-1040 Id., i,
LES PROVERBES DE CUYLEM DE CERVERA
1047
99
1041 . Si lo libre aprens
De Vergili, sebras
Tots los cultivamens
De terra et veyras.
1 042 . S'apendre vols la forsa
De les erbes presen,
Le libres no t'estorsa
De Marcer lo valen.
1048.
Mays entra de la nau
Per Tayga dousa sana
Que per la mar; tal m' au,
Que resos no l'es plana.
Mays entra d'amor bona
En noble criatura
Qu'en malvada presona
On nuyls bes no s'atura.
104? . De la[s] batayles soma
Et comtet mostrera
D'Affrica et de Roma
Le libres de Luca.
1049. Axi apren, cosi
Tots temps dévias vivra,
E viu si con la fi
Dévies far délivra.
1044. No voyles conquérir (v°) 1050.
Sacrets celestials ;
Pensât c'as a morir
Et penssa dels mortals.
1045 . Alegret de so qu'es
Pauc es amasurat,
Si quet sobre merces
Es âges pietat.
1 046 . La naus es en major
Periyl en alta mar [cor;
Qu'en pauc flum qui pauc
Mas nauchier non 0 par.
Mays voiles sol soffrir
Ira, que si disies
So don fessas aunir
Mas per so que diries.
1051. Notcuyts c'hom segur sia
De mal, lo mal fasen,
Sitôt lo primer dia
Non pren Dieus venjamen.
1052. No vuyles meynsprear
Home poc ne sa forsa,
Car mantes vêts sab dar
Cosseil, don mans estorsa.
39: Conserva potius, que sunt jam parla labore : j Quum labor in damne est,
crescit mortalis egestas. — 1040 d guardat. — 1041-1043 Caton', ii, préface:
Tellurissi forte velis cognoscere cultus | Virgilium legito. Quod si maie nosce
laboras j Herbarum vires, Macer tibi carminé dicet. | Si Romana cupis vel
Punica noscere bella, | Lucanum quaeras, qui Martis prœlia dicet. — 1044 Id.,
Il, 2 : Mitte arcana De! cœlunique inquirere quid sit : | Quum sis mortalis,
quae sunt mortalia cura. — 1045-6 Id., ii, 6: Quod nimium est fugito, parvo
gaudere mémento; | Tuta mage est puppis, modico quum flumine fertur. —
1047 ^ ^^l nau. — 1051 Id., ir, 8: Nolo putes, pravos homines peccata lu-
crari : ] Temporibus peccata latent, sed tempore parent. — 10^2 Id., ii, 9:
Corporis exigui vires contemnere noli : | Consilio pollet, oui vim natura ne-
gavit.
105?. Lochuria, emvega
Es orgoyl fan mais mais
Que nuyla res qu' eu vega
A senyors terrenals.
THOMAS
1059.
No lays la covinen
Causa que ops auras.
Que corn n'auras talen
Aver no la poras.
1054. Luchurios fai mal
Als autres es a si
Major et pus mortal,
Segons quel savis di.
1060. Jener vuyles semblar
Qui guarda l'an pessat
El vinen vol guardar
Per vivr' ab si honrat.
1055. Orgoyl fay de senyor
Soismes et mens de ser,
E senyer de valor
Nol cossen nel sofer.
[061. No sia meynspresada
La causa sol per tu
Qu'es pels autres presada
Per plaser de sol .j.
1056. Novoylesperperaula(/.45
Ab ton amie contendre,
Car grans temors s'entaula
Per vil rayso défendre.
1062. Si puges en riquesa,
Quan mays poder tenras,
Te membre la pobresa
Que sofferta auras.
1057. De long te guayteras
Lo mal quit deu venir,
C'a miyl s] t'en cubriras
Ab cor de mal soffrir.
1 06 3 . Qui soffer malenansa
Et blasmel tiemps, pejura,
Si non a be membransa
C'aia de selut cura.
1058. Can hom ve lo cayrel,
Miyls s'en pot escudar,
Qu'el mon escut pus beyi
Non a de be guardar.
1064.
Qui soffer gran dolor
Deu aver membramen
Que la cura meylor
Aia primeramen.
1055 Messer. — 1056 Caton,' ii, m : Adversus notutn noii contendere
verbis: | Lis minimis verbis interdum maxima crescit. — 1057 1d., ii, 24;
Prospice, qui veniant, lios casus esse ferendos ; | Nam levius iaedit, quidquid
prasvidimus ante. — 1059 1d., 11, 26: Rem tibi quam nosces aptam, dimit-
tere noIi : | Fronte capillata, post est occasio caiva. — 1060 1d., ii, 27:
Illum imilare Heum, partem qui spectat utramque. — 1061 1d., 11, 29 : Ju-
dicium populi nunquam contempseris unus, | Ne nulli placeas, duni vis con-
temnere multos. — 1062 Couplet cité par En Pach: Si pujes en riqueses | Quant
may poder tendras, | Te membra la pobresa | Que soferta aras {Esp. ^,
fol. 55 (j ; J5, fol. 32 d). — 1063-4 Id., II ,30: Sit tibi prascipue, quod pri-
muni est, cura salutis: | Tempora ne culpes, quum sis tibi causa doloris.
LES PROVERBES DE GUYLEM DE CERVERA
1071
106^ . So on mets [tos] alurs
Veilan, pensses dormen;
Per qu'en sompnis no curs
Mas en Dieu solamen.
Guardat de far anuy
Tostiemps et de mal dir ;
Quil fa nel dits d'autruy
Pendrel volet aucir.
1066. Vida ses be saber
Es de mort ressemblans ;
Donchs met tôt ton poder
En apendre tos ans.
1072 . Per cobesa d'argen
Ja muyler non pendras;
Laxe la, mantinen
C'a altra la sebras.
1067. Can tu vivras leyals
Et poderosamens,
Si hom dits de tu mais
Sies en non chalens.
1075 . Qui no sab cosseilar
Que deu segr' 0 fugir,
Los fayts dels altres guar
Can blasmar 0 ben dir.
1 068 . Nuyls hom non a poder 1 v»)
Que pusca chastiar
Los dits de desplaser
Ne las bocas tencar.
1 074 . Faits d'autres bos 0 mais
Es dreyts chastiamens
Dels emendens leyals
Et dels bos noyrimens.
1069. Sil blasme vols celar
Nel mal de tos amichs,
A testimoni far
Ta fe guardan noy trichs.
1 07 ^ . Can hom vol fayt celar
Pausat contra dretchura,
Aycel vol recemblar
Qui fa la desmesura.
1070. Qui vol los dits rependre
Dels necis et dels fats,
A tal re se vol pendre
Que sia meynspresats.
1 076 . Paciens sofferras
So quit vendra per dreyt,
E tu eus puniras
Si sabs c'ages neleyt.
106s C.A.TON, II, 31 : Somnia ne cures: nam mens humana quod op-
tans, I Dum vigilat, sperat, persomnum cernit id ipsum. — 1066 In., m, i :
Instrue praeceptis animum, nec discere cesses; | Nam sine doctrina vita est
quasi mortis imago. — 1067-68 Id., 111,5 • Qyuni recte vivas, ne cures verba
malorum : | Arbitrii non est nostri, quid quisque loquatur. — 1069 Id., m,
4: Productus testis, salvo tamen ante pudore, | Quantumcumque potes, celato
crimen amici. — 1071 d ausir. — 1072 Id., m, 13 : Uxorem fuge ne ducas
sub nomine dotis, | Nec retinere velis, si cœperit esse molesta. — 1072 dCorr.
c'aoltra? Coupla cité par En Pach: Per cobdicia d'argent | Ja muiler no pen-
dras, I Lexala mantinent ] Que aduiteri li sebras {Esp. ^, j^o/.4^ c; SW /o'-
27 d\ Documentes, p. 2^7). — 1075 Id., m, 16 : Quod nosti haud recte fac-
tum, noiito tacere, | Ne videare malos imitari velle tacendo. — 1076 Ip., m,
18 : Quod merito pateris, patienter ferre mémento : | Quumque reus tibi sis,
ipsum te judice damna. — 1076 a soffirens.
1077.
Si vols esser cortes,
Non âges parlaria,
Car trop parliesnon es
Ensemps et cortesia.
1083 . Fiyls bos ha bon saber
Can ve sa mayre honrar;
Qui Dieu vol retener,
Sa mayre deu lausar.
1078. Ta moyler despegada
No cresas tota hora :
Dits de muyier irada
Descep marit, quan plora.
Tots bos fiyis ama mays
Can ve servir se mare
Que si, e pus s'irays
Sii ve desonor fayre.
1079. De soffrir no volers
Trop maie causa es ;
De caylar no poders
Es grans mal et repres.
I5 . Aytan amaras Dieu
Con sa mayr' amaras,
Es aytan l'amich sieu
Con los sieus honreras.
1080. Pus segurs es qui mena
Nau arriban al port (/. 46)
Que quan puja l'antena
En l'auta mar et fort.
1 086 . No voyles esquern far
Delsveyls,si prop te stan,
Qu'entot vieyl, sensduptar,
Haalcu sen d'enfan.
1081 . Tal causa asagia a far
Que pugues traur' a cap,
C hom no deu comensar
Nuyl fayt, pus no l'acap.
1087. Tôt quan hom ha, pert lieu,
Massolamen saber,
Per que not sia greu
Siy mets tôt ton poder.
1082 . Tos perents ameras
Bonamen et te mare
De re no greujeras,
Si vols plaser (al ton pare.
1088. Altressi con la cura
Ajuda a l'angeyn,
Us ab obra s'atura,
Per c' us tôt art ateyn.
1077 Caton, m, 20 : Inter convivas fac sis sermone modestus, | Ne dicare
loquax, dum vis urbanus haberi. — 1078 Couplet cité par En Pach: Ta
muller despagada | No creges tota hora; | Dits de muller yrada, | Decep
marit quant plora. {Esp. 54, fol. 45 c; ')'>:> f°l- 26 d; Documentos, /?. 257).
Cf. Caton, III, 21 : Conjugis iratae noii tu verba timere. | Nam lacrymis
struit insidias cum femina plorat. — 1081 Id., 11, i^: Quod potes, id tentes,
operis ne pondère pressus | Succumbat iabor, et frustra tentata relinquas. —
1082 Id., II, 25 : Aequa diligito caros pietate parentes; | Nec matrem offen-
das, dum vis bonus esse parenti. — 1083 c Que. — 1086 Id., iv, 18:
Quum sapiasanimo, noIi ridere senectam; | Namquicumque senet, pueriiis sen-
sus in illo est. — 1087 Id., iv, 19 : Disce aliquid; nam, quum subito fortuna
recessit, | Ars remanet, vitamque hominis non deserit unquam. — 1088 Id..
IV, 21 : Exerce studium, quamvis perceperis artem: j Ut cura ingenium, sic et
manus adjuvat usum.
LES PROVERBES DE GUYLEM DE CERVERA
1096
105
Si as alcuns lausats,
Guarda non digues mal,
Car seras ne blesmats
De lieu sen venertzal.
Nuyis homs non esnafrats
De nafra tan mortal
Con le nafra peccats
Al quai dûlors molt val.
1090. Los homilspus quels braus
Asaia quais seran,
Carenflom si qu'es su islaus
Moron mans no guardan.
1091. Quan trebayl soflFerras
De perdre 0 de mal,
Los autres guarderas
Qui soffron atretal.
1092. Can tu tôt sol seras [v°)
En affayn a soffrir,
Trebaylar te poras,
Mas no del tôt alcir.
1095. Can les riquesas van,
Foyl es qui s' en espert ;
Hom no pren ten gran dan
Con quan [son] amie pert.
1097. Si tu not vols presar,
Ja no seras presats,
Si quet voyles guardar
De far vils fayts malvats.
1098. Can inquisicio
Fa senyer sobrel sieu,
Non i a .). tam bo
Que nol deg' esser grieu .
1 099 . Que si Dieus la fasia
Contrels angiels del ciel,
Cascus paor auria.
Sitôt son sey fesel .
1 1 00. L'aut puig se baxon jos
E s'aclinon las sierres,
Can inquisicions
Fay senyer per les terres.
1094. Tôt axi con la ombra
Sec son cors, sec la morts
Homa, qui lieu encombre,
Can non es lieu ne forts.
1095 . Can hom la naffr' a sana,
La gran dolors que sen
Es medicina plana
Del naffrat veramen.
1101. L'arbre lexon les flors
E li prat la verdor
Per pavor dels senyors,
Can enquer lor arror.
1 1 02 . Les bestias els peys
Se laxon de manjar,
Can vesen que fal reys
Obra per lor dempnar.
1089 Caton, IV, 25: Laudaris quodcumque palam, quodcumque pro-
baris, | Hoc vide, ne rursus levitatis crimine damnes. — 1090 Id., iv 3 1 : Dé-
misses anime ac tacitos vitare mémento: | Qua flumen pincidumest, forsanlatet
altius unda. — 1091 Id., iv, 32 : Quum tibi displiceat rerum fortuna tua-
rum, I Alterius specla, quo sit discrimine pcjor. — 1093 Id., iv, 55 : Ereptis
op bus noii mœrere doiendo. — 1094 Id., iv, 37: Tempora longa tibi noli
promittere vitas. | Quocumque ingrederis. sequitur mors, corporis umbra. —
1095 Id., IV, 40: Vulnera dum sanas, dolor est medicina doloris. — 1102 e
104
I 10^
La tierra n'es pus dura,
En axecon li riu,
E l'aygua s'en atura
Per senyor trop esquiu.
1104. Guardet de far tal obra
Que d'enquisicio (/. 47)
Not ternes, quels fais sobra,
Per drei menan reso.
1 105 . Membret de! jutgiamen
De Dieu, nol fases tort;
Per un pom solamen
Jutget tôt segl' a mort.
A. THOMAS
1 1 1 1
M 06. Los fiyls d'Aron cramet,
Car feron part son man,
Els Indienchstanquet
Part la montanya gran.
1107. Nabugadenosor
Fets bestia tornar ;
A ceyls fet[s] barba d'or
Quil volgron contrafar.
1 r 08 . Nostre Senyor sofer 1 1 1 6 .
Maysquenuylshomsvivens,
Mays puyspren, qui mal mer,
Pus mais d'autres lurmens.
I 1 09 . Mans mais pessamens ve 1 1 1 7 .
Per la tierra guardar;
El ciel guardan per re
Non pusch nuyl mal pessar.
1 1 1 G. De nuyl fayt no m'asaut 1 1 1 8 .
Pus ca Dieus s'en [corn] planya;
Tais cuyda far gran saut
Qui roman en la fangua.
Fayts don la us se lausa
Et l'altres vay cleman
Es bona mala causa
Et nos part per guaran.
1 1 1 2 . Fayt tench per covinen
Can de cascuna part
S'en van payadamen
Et dreyt jutges lo part.
1 1 1^. Cavaliers deu estar
Cavaliers et servens
E senyer, si vol far
So qu'es dels mendamens.
11 14. Cavaliers d'ardimens
Far e de cortesia,
E ques renda sirvens
De Dieu, tan can viu sia.
1115. Senyer deu esser tais
Que tenya als sotsmes
Drechur' ab fayts leyals,
Ho frayn so c'a promes.
E deu esser compayns (v°)
Als sieus del sieu aver,
Quels privats els estrayns
Pot axi conquerer.
Senyers deu tais estar
Que de ceyls quil deurion
Deffendra, a guardar
No s'aia, que l'aucion.
Mays valria senyor
Moris, qu'en ses ciutats
De ceyls aver tamor
Hon deg' esser guardats.
uesdeu. — wod c d Cf. k quatrain 875 et la note. — 1 118 i quan.
LES PROVERBES DE GUYLEM DE CERVERA
1 119. Alexandris moric 1 126
Per .j. pauc de veri,
Car fets del sieu amie
[En]emic, don près fi.
io<
Ab aguyla punyen
T'as a trayre l'espina,
S'anar vols drechiamen :
A fort mal, fort metzina.
1120. Puselatge ne tiemps
Ne mort nos pot cobrar;
Tots très losguarda 'nsemps
C'hom not pus^cja blesmar.
1121. Per tal que lengua es
Pus fort que re c'hom port,
Nostre Senyor la mes
En loch c'hom ha pus fort.
II 27
No pot[s] aver lausor
Ses coinpanya 'ndressada,
C'om dits : A bon senyor
Tots temps, bona maynada.
Les companyes del bo (/. 48)
Acompanyon l'estrayn,
El sirven del feylo
Fan so donqierts se playn.
1122. Que als oyls no fets Dieus
Mas sol .'f. coberta
E la lengua qu'es lieus
N'a mais — raysoescerta — .
112^. Car esta dins dos murs
Con castiels ben guardats
De mal pendre segurs
Ab d'aiga pies fossats.
1124. Membreusdelscersquefan:
Deus tos pruysmes sofrir,
C'us cers va l'autr 'aydan
Al cap a sostenir.
! I 29. Sil senyer es avars
Sis sera se companya;
S'a senyor plats donars
Noy ha .). qui s'en planya.
1130. Del fiyl te guarderas
Non anpar re del tieu ;
Del ostor apendras
Go noyrix lo fiyl sieu.
1 1 j 1 . Axi con conexensa
Es caps d'ensenyamens,
Axi desconoxensa
De tots fais falimens.
112^. Can lo cers mal se sen
Ho vieyls, per s'en tornar,
Manya .j*. serpen
Quil fay renoveylar.
I U. Paraules et badayl
Se mudon d'u en u ;
S'eu per valor no vayl,
Ja no velray per tu .
1 121 <î ta! can.— 1123/» guandats. — 1 124 a c et 1 125 a sers. — 1 125 d
sacen. C'est la croyance à laquelle Serveri de Gironc fait allusion au commence-
ment d'une de ses pièces: Tolz hom deu far aco quel vielhs cers fa. (Mila.
Trov. en Esp. p-ijs)-— "25 è santomar.
io6
un
Ab aygua ne ab foc
Ne ab senyor contendre
No deu hom, qu'en nuyl loc
Not pot mas mal atendre .
1 1 ?4. Las ymages de Roma
Fasen gran mesastria
Per cel quel fais consoma
Mostravon senyoria :
11^5. Can negus s'elevava
Contra ceyl senyoratge,
L'imatges se girava
Estan en son estatge.
1 1 ?6. D'aysos deu hom pensar
Qu'era obra de mal,
C'hom non deu contrafar
Son senyor natural .
iny. Senyori' es tan forts
Que senyer laxals sens
De lôyn lay on naix torts
El cor per pessamens.
1 1 38 . Enveg' es causa justa
De las justes del mon.
Car ceyl c'ab si l'ajusta
Primeramen comfon.
! I J9. S'us hom tôt segla avia
Enquer volria mays;
Entro lay tornat sia
On fo, non er trop guays.
A. THOMAS
I 140.
De sant Esperit fo {v°\
Hom et non er payats;
Del tôt ne aura pro
Tro lay sia tornats.
I 141 . La terra tôt be dona
Et tôt lo vol cobrar ;
Als us gaug abandona
Els autres fay plorar.
1 1 42 . De terr' es hom et par,
Que sit laves la cara
En vols .j. drap passar,
Aygu' en trayras no clara.
114^. So que nos pusca far
Atorga, can obs sia,
S'entrels braus vols usar
Fasen be tota via.
I 144. Us abats en Castela
Emparet de mostrar
A un poli ses ciela
De letra, de chantar.
1145. Caries Maynes fo layre
Et Basi SOS compayn
A cels quil volgron trayre
A mort de plaits estrayn.
1146. Femne es d'ome lats
Si com filats d'ausiel ;
Ab femn' es enjanat
Ans c'ab autra sembiel.
1 134 Voy. sur cette légende de la Salvatio Romas, à laquelle le nom de Virgile
a été souvent attaché, l'ouvrage de M. Comparetti, Virgilio nel medio evo, H, 64
etsuiv. — 1 139 i uabria. — m 45 Sur cette légende, voy. G. PariSyHhl. poét.
de Charlemagne, ;?. 315. — 1 146 Cf. Eccl. vu, 27: laqùeus venatorum est,
et sagena cor ejus.
LES PROVERBES DE GUYLEM
1 147. Qui vol son enamich
Pendre, ab femnel gatcha;
Per sol proverbi dit
Quetguartsd aquela patcha.
155
DE CERVERA lO'
Hanc Dieu no vole far re
Que desfar nos pogues
E quel poder a se
Del tôt no retengues.
1 148. De dos te guarderas
Perpendre no deguts ;
Acels remembreras
C'an mal do confonduts.
1156.
Es ab sacrificar
Es ab oracios
Es ab preyeras far
Es ab devocios,
I 149. Alexandri près do
D'Indis et la puciela
Quel cuydet passio
Dar, car era tam biela.
1 1 50. Aristotils no fos
Apres d'astronomia,
Alaxandri per dos
Perdera quant avia.
1 1 5 1 . Dieus no vole per nien
' Qu'en estelas agues
Tan gran entendimen
Mas per c'hom se guardes.
1 1 57. Ab dejunis fasen,
Be esquivan tots mais,
Alieuga Dieus tormen,
Si con reys terrenals.
11^8. Sans Bernât carn manjet
Pel frayre chastiar,
Don miyls lo castiet
Que sil fases liyar.
II 59. Non voyles far esquem
Si Deus te fay honor ;
Membret del guat d'imfern
Que fets al fort senyor .
1 1 52. De 80 qu'es a venir (/. 49)
Trop miyels te guarderas
Si ho saps, que cubrir
Estiers no t'en poras.
1 1 60 . Al metge di vertat
Es a ton comfassor
Es a ton avocat:
Si no, perdras t'onor.
11^}. Car l'ivern e Pestats
Sab hom c'a venir sia,
Mieyls n'es apereylats
Que si re non sabia.
1154. So die per mans disens
Que nos deu hom guardar
De les causes vivens
Que nos podon mudar.
1161. Femnal pus prim enjana
Tant hasaber sobrer;
Membret la Soriana
Que fes al cavalier.
1162. La moylers al marit
Fets la torta tener ;
Cel tenc per exernit
C'a femna pot saber.
1 149 Cf. coupl. 1000. — 1 1 50 /> dostronomia. — 1 1 51 d saguardes
I08 A. THOMAS
1 165 . Can ton amie felo 1 167. Guarda quit servira
Veyras, no deus gabar Ot voira far plaser,
De re, car nol sab bo, Si per amor 0 fa
Si nol te vols lonyar. O vol del teu aver.
1 164. Can le fiyls soffer mal iv) 1168. Car tal ser vex altruy
Le payr' en sen dolor ; C'o fay per so que agia
Del payrel fiyl no cal Dos tans 0 may de !uy,
Sil payr' a mal major. No per amor que l'agia.
116^. Pus femna vol entendre 1169. La donzeyla cuydet
En far sen 0 folor. Un burgues veyl desebre
Geyn et maneyra pendre Ab servir, mas guardel
Sab de manta color. S'en lo veyl ab recebre.
1 166. D'un preyicadorfe,
Ab semblan de bonesa,
Alcavot, so say be,
.']'. richa burgiesa.
i
LES PROVERBES DE GUYLEM DE CERVERA
109
INDEX DES NOMS PROPRES
ET DES MOTS ET FORMES REMARQ.UABLES.
Abr.\ai, 65 1.
Adam, 50., 370, 372, 373, 426.
Affrica, 1043.
Agostix (S'), 642, 827.
Agust César, 183.
Alas, 496.
Alexandris, 873, 875, 1000, 1119'
1 149, 1 1 50.
Ananias, 872.
Anna, 927.
jrelar, 93 (=: heretar).
Aristotils, I 1 50.
Aron, 622, 1 106.
atorgar, 1143 (rr autorgar).
axir, passim (zr: eissir).
dxorbar, 524 (rr eissorbar).
Basi, 1 145.
Benjamin, 903.
Bernart (S»), 257, 711, 806,907,
1158.
Carles-Maynes, 1145.
Castela, 1 144.
cayment (?), 947.
Caym, 840.
César, 183, 521.
Chato, 486.
CiCILIA (S'3), 366.
Corinthis (pistola als), 574.
David, 45 i, 919, looi.
délivre^ employé adverbialement, avec
le sens de « sur-le-champ », 231,
277. 986.
Diana {Na), J12, ^13.
Egiptes(/o rey d'), 806.
Elizeu (/'), 629.
Elyodorus, 624.
enayguar, v. act., couper d'eau (en
parlant du vin), 42.
Erodes, 795.
Espanya (la reyna </'), 999.
(spiyl, héritier, 320.
estellyns (?), 173.
EvA, 371, 372, 373.
Ezahu, 502.
ferles, papillons, 182.
FoRiA, 531.
Fransa {to rey de), 954.
Gesai, 762.
gibrar^ tourner, 1 1 .
Guylem de Cerveira, 1 , 628.
Indiench (/'), 1000. — Indienchs
(los), 1 106.
Indis, 1 149.
Ipocras, 439.
ISACH, 320, 321.
istorias ' ; del pescador e del guat, 7 1 ;
del mark e dels diables, 102; du dépo-
sitaire infidèle, 136-137; d'ayceyl
quin la preso se mes, 207; del lop e
de l'anyel, 494 ; de l'ase e del leyo,
495 ; de la talpa, S2^;de la serpen,
de l'osqu e de la fossa, 630; de cel
c'anava pendre, 643 ; de l'escudier e
de son senyor, 689; del pol e del
mita, 700; del philosoph veyl, 812;
del texidor, 976 ; de ceyl per cui fol
I. Nous réunissons ici les renvois aux nouvelles dans lesquelles ne figurent
pas de noms propres.
portais de Roma derocats, 995 ; de
la reyna que Jets aucir son marit al
bayn, 998 ; del guat d'infern, 1 1 59;
de la moyier, del marit e de la torta^
1162; del preyicador e de la bur-
giesa, 1166; de la donzela e del
burgues, 1 169. Voyez en outre Cas-
tela^ Espanya^ Fransa, Roma^ So-
riana, Tristayn, Vergili, etc.
ivasosamens, adv., rapidement, 435.
Jacme (S'), pèlerinage, 665.
jags (?), 166.
Jéricho, 871.
Jeronim (S*), 299, J46, ^29, ^31.
Jérusalem, 875.
Job, 717.
Johan-Baptiste (S'), 956.
JOHAN l'EvANGÉLISTE (S'), 26 1.
Josaphat, 897.
JosEP, fils de Jacob, 806.
JosEP, époux de Marie, 929.
Lamechs, 840.
lenguar, bavard, 418.
Levitich, 616.
l0mbardie, 166.
Lots, 530.
LucA (Lucain), 1043.
LucH (S»), 826.
Magdalena, 910, 941.
Malachies, 617.
manifest (ab), ouvertement, 793.
Marcer (zr Macer), 1043.
marfar, v. n., se flétrir, 511.
Mathieus (S<), 907.
/ne/, s. fém., miel, 393.
Mercuri (la mon de), 1 10.
Mertis (S»), saint Martin, 981.
MoYSEN, 383, 896.
Nabugadonasor, 3^9, 865, 1107.
Nohe, 355.
Octopigoras (Pithagore?), 439.
Peyre (S'), 615.
pic, s. m., piqûre, 393.
Psalm {Lo)^ voy. David.
Raynart, 625.
Reys [Livre dels), 66.
RoBOAM, 702.
Roma, 665, 739, 995, 1043, 11 34.
Roman (/;), 709.
Salamo, 23, 387, 994.
sejornial, adj., de loisir, 168.
Semso iSamson), 994.
Senacherip, 645.
Seneq.ua, 907.
SoRiANA (la), 1 161.
Tam.\r, 558.
teri, -j-jj, espèce de monnaie; voy.
Raynouard, Lex. rom.^ V tari, et
Du Gange, Gloss., \° tarenus.
tesura, filet, 186.
Tristayn, 997.
tutchar (?), 452.
ugar (.?), 102.
Utero (Deuteronome), 423.
venarsal, venertzal^ adj., léger, frivole,
22, 1089.
Vergilis, 996, ÎO41.
Xixen (En), 51}.
Ysayes, 828.
L'ESCRIVETO
CHANSON POPULAIRE DU MIDI DE LA FRANCE
J'avais réuni quelques versions de la chanson de l'Escriveîo avec
l'intention de les publier dans Mélusine et de provoquer une enquête sur
ce sujet, lorsque je vis qu'il venait d'être traité d'une manière très appro-
fondie par M. le comte Nigra dans la Romania (XIV, 2^1-273), so^s
le titre de : // Moro Saracino, canzone popolare piemontese. La question se
trouvant être ouverte dans la Romania, il était à désirer que les supplé-
ments d'information relatifs à cette chanson parussent également dans
cette Revue. C'est ce qui m'a engagé à publier ici les quelques versions
que j'ai rassemblées '.
Eugène Rolland.
I
VERSION DE BRASSAC (tARN*)
Lou viscont' se marido lou visconte joli,
2 N'a preso l'Escrivoto la flou d'aquest pais.
La n'a presa tan jouve noun s'en sap pas vesti.
4 Quand la ne mand' a l'aygo noun s'en sap pas veni.
S'en va set ans en guerro per la laissa nouiri.
6 Al cap d'set ans arrive lou visconte joli.
S'en va tust' a la porto : « Scrivoto, dourbis me? »
8 Soun pero i responde : « L'Escrivot' n'es p' aici,
1. Depuis la publication de l'article de M. Nigra, M. G. Guichard a publié
dans la Revue des langues romanes (août 1885, p. 89-95) une version dauphi-
noise de VEscrivcto qu'il a fait précéder de considérations d'une valeur fort con-
testable.
2. Cette version a été recueillie par M. Jolibois et publiée dans le Revue du
département du Tarn, 1877, p. 6. — Cette Revue n'étant probablement pas
entre les mains de la plupart de nos lecteurs, nous avons jugé opportun de la
reproduire.
E. ROLLAND
« Lous Mouros l'a t'an preso lous Mouros Sarazis.
10 — Que l'anarei be querre quand saurio d'i mouri!
« Farei fair' uno barco tout' or e argen fi. »
12 La barco lou transporto dejouts un albrespi.
Rencontre très lavairos que lavoun lour drap fi :
14 « Dias mi, vautros lavairos, quun caste! es aici?
— Aco's castel das Mouros das Mouros Sarazis.
16 — Dias mi, vautros lavairos, quuno dam' y a dedins?
— Y a madam' Escrivoto la flou d'aquest pais.
18 — Dias mi, vautros lavairos, coum fa per i parlai
— Vou cal avilh'en paure, en paure pèlerin,
20 « Ana de port' en porto, l'almoyno demanda.
— Scrivoto, fai l'almoyno als gens dal teu pais.
22 - Aco seri' impoussible que sias del meu pais
« Que les auzels que voloun s'en savoun pas veni,
24 « Soun 00 las iroundelos que voloun tan poulit.
— 0 si! soun ieu, Scrivoto, ieu sui lou teu amie!
26 L'Escrivot' met la taulo de boun pa, de boun vi.
0 Dio mi, tu l'Escrivoto t'en vouidrios pas veni.?
28 — Si fait, cert', lou visconte. vouldri' estr' a miex cami.
L'Escrivot' s'en v'as cofTres prene cinq cens lois,
30 L'Escrivot' v'a l'estable cauzi pus bels roussis.
i( Vous mountares lou rouje, ieu mountarei lou gris. »
32 Sieroun pas dins la barco lou Mouros sier' aqui.
a Set ans la t'ei nourido de boun pa, de boun vi,
54 « Set ans la t'ei vestido de vairtz e de sati.
« So que lario pas aro dal maiti jusqu'al ser,
36 « Aro, ieu la gardavi per un petit moun fil. »
VERSION DU CANTON DE BRIVE (CORREZE'
&-i'~--ir- z=f-;-?=z
:z=:i-_,
-g-
.___,-_.
__,!_
r K l>r-|
'■— •
._t_j_
Ma - ri - doun lo lA - je - to, Lo Li-je ■ to jo-
_ ^^ — tzt:__t:pz=::ï! — >_t
-^ — - — >■
II', Ma - ri - doun lo Li - je -
lo Li ' je - to jo-
I . Cette version m'a été communiquée par M. G. Godin de Lépinay.
l'escriveto llj
li\ Lo ma ri doun tun dzeou, - no que chen po pas vech-
ti, La ma - ri-doun tan dzeou-no que chen po pas vech- ti.
Maridoun lo Li)eto lo Lijeto joli';
2 Lo maridoun tan dzeouno que ch'en po pas vechti.
Choun paire lo courdedzo ', choun eiman lo vechti.
4 L'o leichado a cho mero chet ans per lo nouiri.
« Apren' a couje, ma mero, couje iou lindze fi. »
6 Quand lo Lijeto ei grando damando choun mari.
« Ount' l'anirai atteridre? — Churlou pount dî Paris. .
8 Tout choun tsami rancountro rancountro Barbari.
<i Ount' ana vous, Li|eto.? — Voou tsartsa moun mari.
10 — Lei anyas pas, Lijeto, que ieou l'ai vi mouri;
« Ai vi ferra lo caicho et Iou mettre dedin ;
12 « Ai tegu lo tsandelo mai l'ai vi deifeni 2;
« Me voudrias vous, Lijeto, per Iou vochtre mari?
14 — Lou meou quo n'er' un dzecune vous ches un barban. J 1
Lo prend et lo n'en niounte déchu choun tsaval gris,
16 Lo prend et lo n'emmeno al tsachtel charaji4.
Al bout de chet anados choun eiman revingait;
18 Ch'en vai, frapp' a lo porto que li venioun drubi.
Cho mero n'ei tan lechto, che prend li vai drubi.
20 « Ount aves lo Lijeto, que venio pns drubi.? »
— Lo vous ooun emmenado al tsachtel charaji.
22 — Didza me doun, ma mère, qu'ei bien lort lound'eichi?
— Huet cheiit chinquanto legos et tretan de tsami. •
24 Trobo las budzadairos, budzavavou en d'un rioou.
« Didza me, bud/.adairos coumo l'yappclou' eichi.' •
26 — Mouchur, eichi i appeioun al tsachtel charaji.
— Didza me, budzadairos, ma qu l'i recht' eichi?
28 — 0 qu'ei uno ritso damo qu'ei d'un estran poïs.
— Didza me, budzadairos, pourio pas ieou l'oouvi s ?
1 . Lui passe les cordons.
2 . Je l'ai vu mourir.
j. Un vieux, un barbon.
4. Au château sarraziii.
5. L'entendre.
Romania, XIV
114 ^- ROLLAND
50 ■! Poouja me l'abit roudze, prene lou peleri • ;
'Na damanda l'ooumorno al noun de Dzieju-Cri. >
32 Del temps que lo demande n'i 0 dzita qu'un yardi î.
Del temps que l'amachavo lou paoure cherijioJ.
34 « De que vous rijais, paoure? n'amachas qu'un yardi
— Voudria tourna, Lijeto, voudria tourn' al pois?
36 — Attendais qu'un quart d'ouro vous me veirei veni.
Ch'en vai a l'echcurio, brido choun tsaval gris;
38 Del temps que lou bridavo lou vieillard n'en vengait.
« Lou diable lo te pialo4, bougre de peleri;
40 « Chet ans te l'ai nouirido de boun po, de boun vi,
« Chet ans te l'ai couidzado dedin del lindze fi,
42 (t Chet ans te l'ai bicado ( lou cher et lou matin. »
m.
VERSION DU CANTON DE LASALLE (GARD'').
Maridou l'Escriveto flou de nostre pais,
2 La maridou tan jouve que si sab pas vesti.
Soun paire la courdelo, sa maire la vestis.
4 Soun ome ni vo'n guerro per la laissa nourri.
Al bout de set anados soun ome vo veni ;
6 Del pe piqu'a la porto : « Escriveto, dourbis ».
La maire ni davalo per li veni dourbi.
8 « Ount es moun Escriveto que mi ven pas dourbi? 1
— L'aven mandado a l'aigo, la vezen pas veni;
10 Cl Lous Morous l'aurôu preso lous Morous Sarrazis. »
— Ounte l'ôu emmenado? » — « Cent legos ièn d'aici.
12 — 0 ! ieu l'anarai querre quand saupriei de mouri ;
(I Farai fa 'no barqueto tout d'or et d'argen fi,
14 "Se lou ven be la buto 7 mi veirez Ieu aici. »
S'en vo de ribo en nbo per elo descouvri.
16 Après de semanados el touquet al païs
Ounte restou lous Morous lous Morous Sarazis.
18 Troubet très bugadieiros, lou long de soun cami :
t Adieussias, bugadieiros, lavairos del drap fi,
1. Laissez-Ià l'habit rouge, prenez celui de pèlerin.
2. Elle ne lui a jeté qu'un liard.
3. Se mit à rire.
4. Que le diable te la pèle.
5. Baisée; voy. le dict. de Mistral, bica.
6. Cette version m'a été communiquée par M. P. Fesquet.
7. Si le vent bien me la pousse, c.-à-d. si le vent m'est favorable.
l'escriveto 1 1 s
20 « De eau es, vous en pregue, lou c^stel qu'es aqui?
— Es lou castel des Morous, des Morous Sarazis.
22 — Digaz. coumo s'apelo la qu'en el si gauzis ' ?
— S'apelo l'Escriveto l'Escriveto joli.
24 — Et coussi pourriei faire per elo entreteni ?
— Vou C3U ablhia 'n paure, en paure pelegri,
26 0 Piei demanda raumorno al noum de Jésus Christ.
— Chambrieiro, fai l'aumorno al paure peregri.
28 — Fasez lo vous, madamo, qu'es de vostre pais.
— Ah! coussi vos que vengou = de gens de moun pais i*
50 <( Lous ausselous qui voulou podou pas sai veni,
— Assetat las liroundos que vôu per tout pais. »
52 — Chambrieiro. sus la taulo met bon pan e bon vi
f Et bailo li a beure en tasso d'argen fi. ^>
54 Après vôu a soun coffre per de Iidors5 cauzi,
Davalou din Testable per prene dous roussis ;
]6 Un monîo sus lou rouge et l'autro sus lou gris.
Erou p'ancaro a l'aigo. lou Morou si f'auzi 4 :
]8 — Emb l'or que tu mi prenes la mar vo treluzi ;
« Lous roussis que m'emmenos la terro lou treni;
40 I Set ans la t'ai nourrido de bon pan, de bon vi,
« Set ans la t'ai veslido de velou, de sati,
42 • Set ans la t'ai caussado embe de marouqui;
i Se la ti poudiei téne la ti fariei mouri.
44 — L'as be que trop tengudo; d'elo aro passe ti. »
Ansin l'o preso as Morous as Morous Sarazis.
IV.
VERSION DE LA LOZÈRE 5.
:t.-â:7=i=^:riT:;:i^:^^r:j-^j:z:^Tzi;Ti::^=z^-:^i_I„.N_r^3
Bla - ri - dou F Es-cri -be- to, ma - ri ■ dou V Es-cri - be- io, IjEs-
cri -be - to jo - U\ V Es-cri - be - to jo - Zi'.
1. Comment s'appelle celle qui en lui se réjouit, c.-à-d. celle qui y habite.
2. Ah ! comment veux-tu que viennent,
3. Des louis d'or
4. S'est fait entendre.
5. Cette version a été recueillie, en 1857, par M. Liebich. alors pasteur dans
!6 E. ROLLAND
Maridou l'Escribeto, l'Escribeto joli'.
2 La maridou tan sjuno qe si sa pas besti.
Sou mari bai en guerre per la laissa nourri.
4 Al bout de sel anados sou mari bai béni.
D'un pefrapo la pouerto; « Scribeto, bien m'ouvri.
b — Lous Maouros l'oou emmenado, lous Maouros Sarazis.
— Icou l'anarai be querre qon saoubrio de lai mouri;
8 « Farai faire uno barqueto d'or ou d'arljen fi
« Et la métrai sus aigo sus aigo ou sus cami. »
10 Qon seguet al bout d'une rivieiro',
Troubet dos bugadieiros qe labou lous dra fi :
12 « Diga mi, baoutres bugadieiros, coumoapelou iou casteld'aqui?
— L'apelou Iou castel des Maouros, del Maouro Sarazis. »
14 — Coumo apelou ladamo, la damo q'es dedin .?
— L'apelou l'Escribeto l'Escribeto joli.
16 — Coumo poudrai ieou faire per li poudre parla ?
— Bous caou abiye en paoure, en paoure peieri,
18 « Li demanda l'acumorno al noun de Tjesus-Christ.
— Douna qoucon, Madame; un paouro q'ey ici.
20 — Tsanibrieiro, fai l'aumorno al paoure peltrin.
— Façet la bous, Madame, qu'es de boste pais.
22 — Coumo poudrie estre estre de moun pais.''
« Qe lous aousselous qe bolou s'i peuedeu pas gandi 2,
24 « Ammi l'iroundelete qe sai 0 pas soun nis 5.
— Si soui Le! leou. Madame, qe soui beste mari.
26 — Tsambrieiro, m.e la taeulo, al pan et al boue bi,
c Barlet, bai a l'estapie, selle Iou tsabal gris. »
28 Lous Maouros .sortou de la fenestre, per les beire parti :
« Adieou nost' Escribete, l'Escribeto joli'. »
le départen'ent de la Lozère. Elle se trouve dans Poésies fop. de la France,
Ms. delà Bihl. Nat., t. 11 (Nouv. acq. Ir. J339), feuillet 290.
1 . Pass.^ge corrompu.
2. Ne peuvent pas s'y rendre.
3. EAcepté 1 hirondelle qui, ici, n'a pas son nid.
L'ESCRIVETO
V.
117
VERSION LANGUEDOCIENNE (SANS INDICATION DE LOCALITÉ ").
Ma ■ ri'âou lEs-cri - 6c - ta. Ma - ri-douVE&-cri'
be - ta, VEs - cri - be • ta jo - W, La fleur de
Mandou TEscribeta, maridou l'Escribeta,
2 L"Escribeta joli', la fleur de ce pays.
La maridou tan chouina, que se sap pas besti.
4 Soun marit bai en guerra per la laissa grandi.
Aou bout de sept annadas soun mari rebeni.
6 « Ount' es moun Escribeta, ount' es moun Escribeta,
L'Escribeta joli', la fleur de ce pays ?
8 — L'abian mandada a l'aygua a pas sachut béni;
« Lous Morous nou l'an presa tous Morous Sarasins.
10 — leou bole l'ana quere quan saouprie de mouri,
1 Farai faire une barca tout d'or et d'archen fin,
12 (I Que lou ben la transporta cinq cent legas d'aici. -
Arribait co das Morous das Morous Sarazins;
14 Aqui troubait de fennas que derabalou de lin 2 ;
— Digua me, baoutres fennas que derabas de lin,
16 « Deques aqueta tourrc et lou castel qu'es aqui? »
— Es lou castel das Morous das Morous Sarasins.
18 — Coussi ieou pouriey faire per ye intra dedin ?
— Bos caou abiya en paoure en paoure pèlerin,
20 « Demandares raoumorna aou nom de Jésus Christ.
— Dounas quicon, madame, as chens de bostre peys.
22 — Coussi bous pourias estre des chens de mon peys?
« Lous aousselous, que boulou lai podou pas beni;
24 '< Y a que las chiroundelas que fan soun nis aici.
— Si fe be. yeou, madame. ne sabe lou cami. >•
26 Sus aquela paraoula elle chita un grand cri,
Elle chita un grand cri, recounoui soun marit,
28 Et la pren et l'emporta dessus soun chibal gris.
- ys.
1. Cette version a été recueillie en 18^4 par M. Al. Germain, probablement
dans les environs de Montpellier. Elle se trouve dans le recueil ms. des Poésies
pop. de la France, t. II, feuillet 279.
2. (^ui arrachaient du lin.
ti8
E. ROLLAND
VI.
VERSION DE GANGES (ARRONDISSEMENT DE MONTPELLIER)
K . . . K
ffizîz:^
i-'zzf-=ïii^_-!^-5i|:z*=;^.^^
• 0
Ma • ri-dounVEs-cri - vè - to, Ba - ra boumboumboumboum
boum ba - ra boum Ma - ri-dou V Es -cri • vè - to, L'Es-
jo - li\ aïe aïe aïe aïe, VEs-
cri - ve - to
en - vè
- U\
^ii
- to jo - /*', VEs - cri - ve - to jo - IP.
Maridoun l'Escriveto^ — baraboitm, boum, boum, boum, boum
2 baraboum
Maridoun l'Escriveto aie, aïe, aïe, aïei,
4 L'Escriveto joli' TEscriveto joli'.
La maridoun tan jhouino que si sa pas vesti.
6 Soun mari vai en guerro per la laissa nourri.
Al bout de set anneios soun mari vai veni.
8 « Ent' es moun Escriveto, l'Escriveto joli'? »
— Es anado querre d'aigo, la vesen pas veni.
G « Lous Maurous la to 'ou preso, lous Maurous Sarasins.
— Yeou l'anarai be querre quan saouprie de mouri. »
12 Ni faguèt uno barco tout d'or et d'arjhen fi;
Marcliét set ans su l'aigo sans veire res veni.
1 . Cette version se trouve dans les Poésies pop. de la France, Ms. précité de
laBibl. nat., t. 11, feuillet 286.
2. Vieux mot signifiant femme de petite taille et chétive. Il est encore d'usage
dans le pays [note de la personne qui a recueilli la chanson].
^ Les mots en italique forment le refrain.
l'escriveto 119
14 Trovo très bugadieiros que lavoun de dra fi:
a Adisias, bugadieiros. — Amai a vous, daouphi.
16 — Diga mi coumo s'apelo lou castel qu'es aqui?
— Aco 's lou castel des Maurous, des Maurous Sarasins.
18 — Coumo yeou pourrie faire per lai intra dedins.
— Vous cal abiya en paoure, en paoure pèlerin,
20 « Et demanda raoumorno al nouni de Jésus Christ. »
S'en vai pica a la porto : « Servante, douvri mi. •
22 Si met a la fenestro, recounoui soun mari,
Et se ly mest la taoulo, al bon pain, al bon vi.
24 Se lou menou al coffre al coffre de l'arjhen :
(I Et prenos ni que gnague per fa nostre cami. »
26 Lou meno a l'estable per veïre lous poulis:
• Mountarés su lou roujhe et ieou dessu lou gris. »
VII.
VERSION DE LODÈVE (HÉRAULT').
^^ ^.^ ,
:F „. * *— F-* — jts » *— ^
Ma • ri - doun V Es-cri - ho • ta, VEs - cri - bo - ta jo-
Ma - ri - doun VEs - cri - bo - - ta, La
fleur de ce pa - ys.
Maridoun l'Escribota l'Escribota joli",
2 Maridoun l'Escribota la fleur de ce pays.
Se Louis se marida Louis, Comte Louis,
4 Ne pren una Escribota la fleur de ce pays.
Se l'o presa jouina, que se sap pas vesti.
6 Louis s'en bo en guerra per la daissa grandi
I. Cette version a été recueillie en 18^5 par M. Jules Calvet. Elle se trouve
dans le recueil ms. des Poés. popul. de la France, t. II, feuillet 282.
E. ROLLAND
Al bout de set anadas, soun mari bo bini ;
8 S'en bo pica a la porta: * Escribota, veni me droubi. »
Sa mera dilig^nta dit: « Bo vite droubi.
10 — Ount' ai mon Escribota, mon Escribota joli'? s
— L'aben mandara a l'aiga, n'es pas sachu rabeni ;
12 « Lous Morous l'oourou presa lous Morous Sarasis.
— leou l'anarai la querre quan saouprio de lai mouri ;
14 « Farai una barca tout d'or ou d'argen fi. »
Lou ben me lai transporta dins un tan bel jardi.
16 • Digas me, labairetta, qu'es aquel castel d'aqui ?
— Lou castel des Morous des Morous Sarasis.
18 — Comei s'apelo la dama la dama qu'es dedins i*
— S'apelo l'Escribota, TEscribota joli'.
20 — Comei yeou pourio faire per di dintra dedin ?
— Vous cal abilla en paoure, en paoure pèlerin,
22 « Et demanda l'aoumorna al noum de Jésus Christ.
— Dounas quicon, madama, al paoure pèlerin,
24 « Que demandj l'aoumorna al noum de Jésus Christ.
— Chambriera, me t' en fenestra per beire cal i 0 aqui.
26 — Madama, acos un paoure, un paoure de vostre peïs.
— Couci aco pourio estre un paoure de moun peïs ?
28 <- Lous aousselous que bolou lai sabou pas veni ;
« Soun que les giroundettas que boou per tout peïs. »
}o Al prumi boussi que copa ' d'y jetta un grand soupir.
— Aquel soupir que jetta sembla un soupir de moun marit.
}2 — Oui, jouina Escribota, ieou soui bostre marit;
« Soui aici per bous queri se bous boules veni. »
34 Bai faire un tour des coffres et pren tout l'argen fi,
Bai faire un tour d'esîable, , caousis lous gros roussis.
36 — Ieou mountarai lou rouge, et moun mari lou gris. »
Siogurou pas al pont d'Arma, lous Morous boou béni :
î8 — Set ans te l'ai nourida de boun pan et de boun bi ;
« L'argent que tu m'emportas la mar lairio lusi;
40 « Lou chabais que m'emmenas la mar fairio lusi. »
Vin.
VERSION DE l'arrondissement DE BÉZIERS (hÉRAULTI
Maridou l'Escriboto la flou de soun païs;
2 L'aou maridado jouino que se sa pas vesti. *
1. Au premier morceau que (la servante lui) coupe.
2. Cette version recueillie par M. de Portalou, vers 1854, se trouve dans le
recueil ms. des Pois. pop. de la Fr., t. II, feuillet 288.
l'escriveto
Soun marit ba a la guerro per la laissa- grandi.
4 Ay bout de set années soun mari ba béni;
Daou pe pico la porto: « Escribolo, doubris !
6 — Soi pas toun Escriboto, mais ta mero, moun fils.
— Ount' ai moun Escriboto, la flou de soun pais?
8 — Es annd' querre d'aigo, la besen pa béni;
<i Lous Morous l'aouran preso, lous^Morous Sarazins.
lo — Mais ieou l'ar.arai querre, quan saouprio de mouri.
Faguèt fayre uno barco tout d'or et d'argen fi.
12 Lou ben li la trasporto dejous un tamari.
Troubet très bugadieiros laban soun linge fi.
14 a Diga me, bugadieiros, qu' es lou castel d'aqui ?
— Es lou castel des Morous, des Morous Sarazins.
16 — Coussi ieou pourrio tayre per yedmtra dedin ?
— Abilla bous en paoure, en paoure pèlerin,
18 « Demanda ye l'aoumorno al noun de Jesu Cri.
— Fases l'aoumorno, madamo, aou paoure pèlerin.
20 — Diou bous assiste ! paoure, n'ai pas ni pan ni bi.
— Fases l'acumorno, madamo, as gens de bostre pais.
22 — Y a que las hiroundelos que sai fagou lou nis.
— Fafes l'aoumorno, madamo, a bostre cher marit. »
24 Faguet serbi uno îaouio de pan et de boun bi,
S'en anet a soun coffre prene soun argen fi :
26 li Préparas me mas malos ambe moun chabal gris. »
Qu.m sou a niiecho ruo, trobou lou Sarazi :
28 « Ounte bas, Escriboto, ambe aquel pèlerin?
— Tu n'as mentit, gran Morou, aco's moun cher marit.
}o — Ieou que l'ay pla nourido de lebres, de lapins,
« Ieou que l'ay abillado de drap et de satin,
52 • Que l'ay tengut caoussado de pel de marouquin,
« Aro tu m'abandounes per aquel pèlerin! •
IX.
VERSION DES ENVIRONS DE MONTAUBAN
Guilalmes se marido, Guilalmes, tant joli,
2 Ne pren uno fenneto que se sap pas besti.
Lou ser la desabillo, la bestis lou mati,
4 Et la baillo a sa mayro per la i fa nouiri.
Guilalmes ba a la guerro, a la guerro set ans.
Cette version recueillie vers 1857 se trouve dans le recueil ms. des Pois.
de la Fr., t. II, feuillet 281.
E. ROLLAND
6 Al cap de sel anados, Guilalmes es tournant;
S'en ba tusta a sa porto: « Escriboto, djrbis. »
8 Mais sa mayro en fenestro respoun : a N'es pas aici;
« Lous Meures la t'aou preso, lous Mouros Sarazis.
10 — Troubarai l'Escriboto quan saxo di mouri. h
Rencountro de labairos que laboun linge ti.
12 « Digas, baoutros labairos, qu'es lou castel d'aqui?
— Es lou castel des Mouros. dal Mouro Sarazi.
14 — Digas, baoutros labairos, péri dintra, coussi?
— Abilla bous de suito en paoure peleri,
16 « Demandares l'armoino, l'armoino al noun de Di.
— M'en (arias pas l'armoino, al noun de Jesu Cri?
18 Escriboto en fenestro i en tito un ardit '.
— Digas, belle Escriboto, coussi bous ses aici?
20 — Lous Mouros m'en au preso et m'au menado aici.
— Digas, bello Escriboto, coussi pourries sourti ?
22 — Anas a l'escurio scia lou bel roussi;
« lou baou mounta a ma crambo per serca mous abits,
24 « Passa de crambo en crambo per serca l'or pu fi.
« Bous me mettrie en sello de bostre gran roussi.
26 « Si qualqu'un bous demande: Que ne pourtas aqui ;'
« Dires : qu'es de l'aboueno d'aboueno pel roussi 2. »
28 — Lou Diables lou t'engulo, lou traite peleri!
« Set ans iou l'ai nouirido de pa et de boun bi;
30 « Set raoubos ye croumpades de! bel dra de Paris. »
X.
VERSION DE VENCE I ALPES-MARITIMES) '
-I ..N-
$i^=5=^^3=É3i^Jli_^î^=^
Oou cas • teou de Li - an - dro U - no fil-
1. Lui jette un liard.
2. Il doit manquer ici un vers ou deux, car l'intervention du Maure n'est
pas annoncée.
3. Cette version est tirée des Poésies pop. de la France, recueil manuscrit de
la B. N-, t. III, feuillet 244. Quoique obscure, elle semble se rapporter à notre
thème.
L'ESCRIVETO 12?
lo Vij a Se lou rei îoii soou pessé
:^izizj>:
L'a -na - rie de - roou ' ha.
Oou casteou de Liandro uno fillo ly a;
2 Se lou rei lou soupesse, l'anariè deroouba.
Lou rei s'abillo en padre en pèlerin rouman ;
4 Oou casleou de Liandro rooumouino demandât! :
« Filletto de Liandro, filleto de quinze ans,
6 0 Fagues en paou rooumouino oou pèlerin rouman.
La fillo es caritouso, l'ooumouino n'y a fa;
8 En li faguen rooumouino, li a coustré la man '.
f 0 fillo, la miou fillo, laisse lou pura fa,
10 0 Aco es caouque jouin" orne que si voou marida. >
a 0 fillo, bello fillo, filleto de quinz' ans,
12 « Moustres en paou la routo oou pèlerin rouman. i
La fillo es caritouso. la routo li a moustra.
14 En li moustran la routo, la fillo a deroouba.
Leis sourdas sur leis armos, encaro leis garçouns
16 Et vivo noustro reyno, espouso nouastre patroun.
XL
VERSION DU PÉRIG0RD2 FRAGMENT!.
Margarito se bagno e lavo din la mer.
An tal coumo se bagno passo treys galouneys.
« Dieu l'adjut, Margarito, de toun pays venen.
— De mon pays, ah! paouro !
« Y 3 qu'a d'aouzel que bolo que n'en saougue béni
« Nouma Tirondelle que bay pertous pays,
t Fay lou tour de la France may torno rebeni.
1. II lui a serré la main.
2. Ce fragment a été recueilli par M. de Gourgues avant 1857. Il se trouve
dans le recueil m?, des Poésies pop. de la France, t. VI, feuillet J58.
124 E ROLLAND
XII.
VERSION DU TARN-ET-GARONNE ' (FRAGMENT! .
Quand Margarido se bagno a l'alo de !a mer
2 Se praqui ne passaboun très cabaliersou dous.
Lou dous l'an saludado, l'aoutre non y a re dit
4 Sounquo: « Adiou, niaynado, benen de toun pays.
— De moun pays, lou paoure, que n'es ta loun d'aici ?
6 « Y a pas aousel que bole que n'i posque béni,
• Soi'nque l'iroudeleto, que posque tourna aici.
8 — N'as unftay que se marido, ta sorre prcn mari.
« Tal tu farios, maynado, s'erez al teou pays;
lo « Ta mayre pla malaoudo, toun payre ensebelit ,
« N'eroun quatre pourtayres — et lou cure fan cinq.
XIII.
VERSION DU TARN-ET-GARONNE (FRAGMENT).
— Fasez mi Parmouineto, Guinoto, la jolie,
2 * Fasez mi l'armouineto, damo de moun pays.
Fragment communiqué par M. J. Daymard ainsi que le suivant.
MÉLANGES
LE DÉCASYLLABE ROMAN.
Le vers principal de tout le moyen âge grec est le trimètre iambique
paroxyton, prosodique dans toute son étendue et, de plus, tonique en sa
pénultième. Cela est bizarre, mais cela est. Voici deux échaniillons, avec
la coupe tantôt hephthémimère, tantôt penthémimère ' :
'loo'j [jpyai; dj/O'joa Ppaa|iôy -/apoia;.
"E/£'.; t6 -/.auLta tôiv aicvayfjLXTajv ^iov.
Supposons qu'au commencement du moyen âge ce type se soit cons-
titué chez les Latins comme chez les Grecs (pour avoir l'accent sur la
pénult'ème, il n'y a qu'à finir par un mot comme hâbet] . Le premier hé-
mistiche a la pénultième longue ; en latin, elle sera toujours accentuée.
Ainsi notre trimètre latin aura deux accents fixes, soit sur la sixième syl-
labe du premier hémistiche et la quatrième du second, soit inversement.
Il n'aura pas d'autre accent fixe.
Cela supposé, raisonnons. Dans un tel trimètre, un sujet de Dagobert
ou de Charlemagne eût senti l'accent, non la quantité. S'il eût essayé de
le reproduire, il eût fort bien mis Jlivit au lieu de hàbet à la fin, ou hàbet
pour flâv'it à la coupe ; il eût de plus oublié la règle de clore par un di-
syllabe, et il eût terminé le vers indifféremment par multos habet ou par
quos ajflavit. Avec le temps, d'après ce que nous savons en phonétique,
latone finale de chaque hémistiche se serait ou conservée ou perdue,
selon sa nature, car, dans notre trimètre hypothétique tout comme eu
prose, bona eût fait bune et bonum eût fait bon. Ainsi, en latin parlé du
Assoc. pour l'tncourag. des et. grecques, J88j, p. 20.
126 MÉLANGES
XI* siècle, notre trimètre à la byzantine eût pris naturellement quatre
formes penthémimères :
Fors Saragûce kist en une muntâigne
N'i ad castél ki devant lui remâigne,
Li reis Marsllies out sun conseil! finét
Si 'n apelât Clarin de Balaguér.
ainsi que les quatre formes hephthémimères correspondantes.
Je conclus que le principal vers roman et le principal vers byzantin
ont des chances d'être identiques. Cette idée m'est venue en lisant un
excellent travail de M. V. Henry, Contribution à l'étude des origines du
décasyllabe roman iParis, Maisonneuve, i886i; M. Henry y réfute avec
force les systèmes antérieurs, et présente une hypothèse nouvelle, qui
fait du décasyllabe un cousin de Tiambique scazon de Martial. Cette hy-
pothèse est irréprochable au point de vue métrique ; historiquement elle
manque de vraisemblance en ce que le scazon est un vers savant. C'est
à peine si je m'écarte de M. Henry en proposant de remplacer le scazon
par le paroxyton byzantin, qui représente par excellence la phase ro-
mane, si l'on peut ainsi parler, de la versification grecque'.
Louis Havet.
ALCUNl APPUNTI SUl « PROVERBl VOLGARl DEL 1 200 »
ED. GLORIA 2.
9. De ogni carne magna el lovo aster de la soa. Cosî la stampa ; il
Marciano : dastira. Il Gloria annota: « reputo l'uno e l'altro vocabolo
(i. On trouvera plus loin mon appréciation du travail de M. Henry. L'hypo-
thèse de M. Havet, outre qu'elle a l'inconvénient de postuler un vers lat n dont
l'existence n'est attestée nulle part avant l'apparition, au x siècle, des plus an-
ciens décasyllabes romans connus, a le défaut de toutes celles qui cherchent
l'origine, non de la versification romane, mais d'un vers roman. Je crois que
c'est là une méthode détectueuse, qui ne saurait mener à un résultat assuré.
Mais en elle-même, celte hypothèse est fort bien conçue et mér/tail en tout cas
d'être communiqufr. — G. P.].
1. Atti de! r. istituto vcnelo di scienze, httere ed arti, série sesta,tomo terzo,
pag. 95 segg.— Sono estratti dall' opéra di Geremia Uor\U^T\ox\ç Compendium
moralium nolabiliurn 0 Epiionia sapienttae. Il Gloria si valse dell' unica stampa
di Venezia 1^05 e del codice Marciano Lat. VI, 100. Il Rajna mi communica
chéri sono aitri quattrocodici : Riccardiana (816, Laurenziana (Gadd. Reliqu.46)
Nazionale di N.^poli (VII. E 2), Darmstadt. I soli proverbii volgari nel
Magliab. Palch. IV, cod. 128. — Sul lavoro del Gloria si legga la bella disser-
tazibne del Salvioni nel Giornale stor. délia tctler. ital., VI, 2jj.
1 PROVERBI VOLGARI DEL 1200 1 27
scorrezione di s'asten si astienei ». Ma l'Ascoli [Arch. glottol. III, 278)
aveva già ricordato l'cîi/fr délie Rime genovesi « eccetto che », cor-
rispondenie a\V estiers àe\ provenz. ed ant. fr. Nella cronica veneziana
dastier; « riviene a de-exterius... È la prima volta, se non erro, che
s'incontri codesta combinazione preposizionale ». Ora ne troviamo aitro
esempio nella vicina Padova. La / è riduzionedi ie ; quantoall' -a, desi-
nenza che ricorre di fréquente negli indeclinabili, vedi Arch. III, 254,
n° 13. — Si confronti ora altresî il Flechia nelle annotazioni ai testi
genovesi [Arch. VIII, 517) s. v. aster.
12. Chi vol morireel te po alcire ; il Gloria : ^ Chi vuol morire ti puô
uccidere » senza altra spiegazione. E si puô intendere : Chi non si cura
délia viia è pronto a commettere qualunque enormità, persino un omi-
cidio; giacchè in vero, che cosa di peggio puo accadergli, che d'esserne
punito con la morte, la quale egli appunto desidera.?'. Molto più efficace
è il proverbio, se corne ha la stampa e secondoil Rajna anche il codice),
leggiamo el re po alcire , « il disperato attenta persino alla vita del re » .
16. La stampa non ha l'ara, come dice il Gloria aggiungendovi un sic.
ma lara = ital. latra, che corrisponde al baja del codice.
44. H rd/e délia stampa non sla per rétine, che non è ne del toscane
ne del dialetto, ma va letto retié.
47. La guera alargà entra e streta ensuà. L'ultima voce viene spiegata
« sen va ». Ma come s'ha ad intendere ciô ^ H Gloria, per felice intui-
zione, dichiara : '< La guerra cittadina entra pur per le larghe ed esce
per le strette ». E questo in vero dice il proverbio, che va letto : La guera
à larga entra e streta ensûa i« uscita »t.
58. Mal compra clesura chi toi dinari a osura. Clesura è spiegato
u chiusura », ma in toscano questa voce come notô il Tobler nel glos-
sario aggiunîo alla sua edizione di Uguccione da Laodho s. v. closura)
non ha precisamente il significato délia dialettale; questa significa :
« TERRENO, PODERE chiuso da sicpc, muro » e cosî via.
64. Lo stampâio : quel che povolo endevina de rado ch'el no sea ; che
su per giù è il vox populi vox Dei. Il Gloria accetta la lezione del mano-
scritto, il quale seconde lui ha cundenna. Anche cosî si potrebbe
capire; ma, come ognuno vede, la santenza non sarebbe altrettanto
chiara. Ora il Rajna lesse nel codice endeuna, che è la lezione dello
stampato ; il copista ommise una délie cinque astedi uin.
1. Il copista del Riccard. scrive anstcrc de fuora che de la sua, accetlando la
voce dialettale e la glossa che avrà trovato nel suo originale. Il Laurenziano, che
volta le forme dialeltali in toscano ed il Magliab., ad esso affine, non capirono
nulla; esii leggono : ogni carne mangia el (il) lupo. Astore de la sua..
128 MÉLANGES
70. El no è seno repenare a rasejo. Il Gloria : « repennare è voce antica,
che vale impennarsi, inquietarsi per cosa che non piaccia. Asejo è scor-
rezione, reputo, di asio...; inierpreto cosi : Egli non è senno di far atto
di riirosia 0 d'inquieiudine in posto commodo ». Ma fra le sentenze latine
che precedono il proverbio volgare è quella del vangelo : Durum est contra
stimu'.um recalcitrare; ed in vero il venez, asejo (oggidi asegio] vale non
solo « pungiglione délie api », ma altresî « pungolo dei buoi »; cfr.
Flechia, Arch. III, 167.
77. Aseno cargà ben amblà. Vuolsi senza dubbio accentare dmbla. Ma
anche cosî non intendo che cosa significhi il proverbio. Suppongo che in
luogo di due ben ne sia stato scritto uno solo, e leggo as. cargà ben
(« asino caricato in modo coveniente, cosi che d'ambedue i lati la soma
sia eguale ») ben ambla, e sarebbe variante del n" 17: enguar (cosi il
Marciano, a detta del Rajna, non eugual) soma uon rumpe el doso.
ijj. Massara dura fa jameja jura. « Significa, mi sembra, rendere
ladra la famiglia quella donna che non è buona massaja ». « Buona
massaja » vuol dire « padrona di casa, che amministra bene le cose sue »
e dicesi specialmente di colei che usa saggia economia e non sciupa il
proprio; ond' è che, secondo il Gloria, il proverbio verrebbe adiré che
la dissipatrice dà alla serviiù occasione di rubare, le lascia libertà di
rubare. E sarebbe sentenza giusia. Ma il proverbio non vuol dire questo ;
dice anzi che la padrona di casa soverchiamente dura e taccagna obliga
quasi al furto i suoi servi, giacc'nè costoro, non ricevendo quello ch' è
loro necessario per vivere, se lo pigliano da se di soppiatto. Si confronti
il latino che précède : jurari famulos dominas compellel avarus.
1 58. Non eser largo ai sol.ii e scarso a le medaie (lo stampato ha mane,
che va letto maiie z=zmïje = fr. mailles]. « Re'ativo l'odierno : Chi tien
le man strcte, no ghe ne cava, ma gnanca ghe ne mete ». Non ravviso la
corrispondenza fra i due proverbii. Quello registrato dal Montagnone si-
gnifica : non fare spese grandi e piccole économie.
164. Chi ha el mal si ha le scherme. S'intende da se che va corretto
schernie. La forma antiquata schernia è registrata nella Crusca.
168. Amore no guarda palazo ne richeze. Cosi, secondo il Gloria, il
Marciano ; la stampa p.iraco [c = ç =z z). Ma il Rajna lesse anche ne!
Marciano paraço, che è l'italiano anî. paraggio, fr. parage; amore non
guarda ne a nobiltà di naîali ne a richezze.
A. MUSSAFIA.
P.-S. — Il Rajna mi fa ora sapere che. secondo una communicazione del No-
vati, v'ha un altro codice delT opéra di Geremia, contenuto in una collezione di
provenien/.a Belgiojobo che il niirchese Triai ha venduto 0 sta per vendere al
librajo Hoepfli.
UN NOUVEAU MANUSCRIT DU «OMAN DE JULES CÉSAR I 29
UN NOUVEAU MANUSCRIT DU ROMAN DE JULES CESAR
PAR JACOT DE FOREST.
On n'a signalé jusqu'à présent, du moins à ma connaissance, qu'un
seul manuscrit da poème de Jacot de Forest sur Jules César : le n^ 1457
du fonds français de la Bibliothèque nationale, dont ont fait usage
Amaury Duval, dans le t. XiX de VHistoire littéraire, et M. Settegast,
dans le t. Il du Giorn.ile de Filologia romartza '. Bien que ce roman ait
une valeur assez petite, si, comme M. Settegast a cherché à l'établir, il
est non la source, mais la mise en vers du roman en prose de Jean de
Thuin, il peut n'être pas sans utilité d'en signaler un second ms. que
j'ai trouvé à la bibliothèque de Rouen il y a peu d'années. C'est un livre
en parchemin, de 26 centimètres sur 17, orné de quelques miniatuns à
fond d'or bruni, et ayant, sauf dans les pages qui contiennent ces
miniatures, ]o lignes à la page. L'écriture est de la fin du xiiT siècle,
et m'a paru être du nord de la France, C'est un des mss. qui proviennent
du chapitre de Rouen. Il est coté actuellement U. 12. Je l'ai comparé
attentivement avec les deux morceaux, formant en tout 80 vers, que
M. Settegast a publiés d après le ms. de Paris, et jai constaté que lés
différences entre ces deux copies étaient peu nombreuses. Voici, en
laissant de côté les variantes purement graphiques, les seules divergences
que j'aie notées pour ces 80 vers :
PREMIER MORCEAU.
MS. DE PARIS. MS. DE ROUEN.
v. 2 2 Qui tant fist en sa vie. Que tant fist et conquist ^
^2 qe qu'enviouz en die. coi que nus voz en die.
56 doutent. doutoit.
44 reprenderont. atorneront.
47 mes tant lor en respont. mes itant lor.
5 1 qu'il de lor bonté ont. que il de lor biens ont.
55 porra. porroit.
^8 menteor. envious.
I. Voy. Romania, IX. 622.
2 C'est la répétition d'un hémistiche placé un peu plus haut. La bonne leçon
est donc celle du ms. de Paris.
Romama, XV. 9
I?0
MÉLANGES
DEUXIÈME MORCEAU.
6 Quar o. Qu'aveuc.
7 cornues. agues.
8 cis tempes. icis tans.
9 Quar les pierres les erent. Que les pierres les vont.
1 1 s'iert. s'est
I ^ parmi les dras ne fust, p. le dos n' i soit.
Après le V. 14 [Si ronpoient tes pierres. ..) il y a dans le ms. de Rouen
un vers de plus : Et si vont les Roumains moût durement blesans.
P. M.
IV.
QUELQUES PARTICULARITÉS GRAMMATICALES DU
DIALECTE WALLON AU XIII« SIÈCLE.
LES PRONOM PERSONNEL, RÉGIME INDIRECT.
Le pronom les est employé fréquemment comme datif dans le sens de
leur :
... En tesmoingnage de nos homes de fiez et par lor jugement celé dime
grosse et menue de Pères rendiemes nos à la maison deuant dite por tenir et
reciuoir perpetuement si corn luur dime ligement et les afFaitames loianient tôt
ensi ke nostre home de fiez jugarent ke nos en deuiens faire. Et a guerpissemenl
de nostre frère deuant dit par le jugement de nos homes pais les fu jugie per-
petuement.
(Mai 1265. — Chartes de l'abbaye du Val Saint Lambert, n° 284).
Dans un double de cette charte qui se trouve aux mêmes archives, les
deux les sont remplacés par lor.
Et de ceste pais li abbes et couens deuant dit misent auant lettres ki de ce
furent faites et saeleies des saeaz maistre Ribert Doien del glize de Saint Martin
de Liège et sangnor Thirri doien del concilhe d'Uffeyet sangnor Nichole doien
del concilhe de Hozemont et une autre lettre ki est saeleie del saeal mon sangnor
Gerart de Heran marescaus mon sangnor Henri pir la grasce de Deu esueke
de Liège, en la quele ilh tesmong ke li maires et li eskeuien de Ramelhu en sa
présence auoient reconu qu'ilh et li masuir de Rameilhu auoicnl l\iit al abbeit et
a couent del vaus saint Lambert bone pais et ki bien les sulfioit del bois de
Rameilhu.
... Apres nos disons ke Hanons n'ot droit en bois de Rameilhuel qu'ilh
clamoit, fors k'en cinquante boniers ki furent asseneil et liureit a masuirs quant
LE DIALECTE WALLON AU Xlll* SIÈCLE 1 5 1
la pais fut fait del bois entre eaz et l'abbeit et le couent et ki puis les furent
aboneit.
(20 mars 1272. — Chartes de l'abbaye du Val Saint-Lambert, n" 324).
Je pourrais multiplier les exemples, car cet emploi de les est assez
commun dans les chartes liégeoises du wif siècle. On le rencontre fré-
quemment plus tard dans les chroniqueurs liégeois, surtout dans Jean
d'Outremeuse.
Le patois moderne l'a conservé :
Le[s] promettont tote assuronce.
Et qu'on Us freut mâïe pus nuisonce ' .
Dans les textes wallons du xii'' siècle nous trouvons également cet
emploi de les.
pans le Poème moral du manuscrit Canonici 74 d'Oxford :
Sovent les disoit: Faites ce ke vos ai mostreit...
Or et argent et terre et posteit les dona 2.
Dans la vie sainte Juliane, même manuscrit :
V. ^97 Illoc baniomes les chaitis,
Ankor les faisomes nos pis 3.
Dans le Job :
Quant il dotent de ce ke il encor ne seuenl ke a uenir tes est4.
Le seul exemple que j'aie rencontré dans un texte non-wallon de cet
emploi de les se trouve dans le Psautier de Metz, civ, 14:
Il ne volt point soffrir que nul Us nuisit ne ne feisit grevance.
Il faut, je crois, voir simplement dans ce régime indirect les la [forme
de l'accusatif employée pour le datif, cas analogue à lor, génitif dont
l'emploi s'est de si bonne heure étendu au datif. La langue, dans son
travail inconscient de simplification, aboutit ici à créer une forme super-
flue; on comprend que lor ait prévalu et que l'usage de les régime
indirect soit resté cantonné dans un coin du domaine d'oïl. Ce qui doit
nous étonner, c'est la persistance de cette forme du xii* siècle jusqu'à
nos jours 5 .
1. Choix de chansons et poésies wallonnes^ recueillies par M. El. B. et D.
p. 56.
2. Archiv's des missions, série IL 2« série, V, pp. 200 et 202 (Rapport de
M. P. Meyer: pp. 196 et 198 du tiré à part).
3. Li vtT del jais , af Hu^o von Feiht/en. Upsala, 1883.
4. Li Dialogc Giegore herausg von W Focrstér, p. 325, I. ^.
5. [Cela n'a rien de parliculièrement étonnant. Il n'y a pas création d'une
forme nouvelle et superflue, mais emploi de Us au lieu et place de lor, leur.
ij2 mélanges
2. — Conjugaison du parfait en ont
La 5* pers. plur. en ont du parfait des verbes en a est assez fréquente
dans les chartes liégeoises. Cette forme de la ^^ pers., qui se trouve
souvent dans les textes lorrains, est maintenant bien connue, mais je ne
crois pas qu'on ait jusqu'ici rencontré la i^'' pers. de ce parfait. On com-
prendra d'ailleurs que cette r* pers. soit rare, attendu qu'elle était iden-
tique à la r*" pers. plur. du présent de l'indicatif. Dans ces conditions,
elle ne pouvait pas persister longtemps à côté de la désinence habituelle
en âmes du parfait.
... Et nos Thiris del Preit cheualirs deuant dis, après che ke nos eûmes eut
le bone veriteit et veùes les Chartres et les esplois ki de che parloient et les iu-
gemens ki lais en astoient par ceas ki.iugier en deuoient et lugiet en auoient,
desimes par sentence arbitral et par droit ke mes sires Wilheames d'Astenois
cheualirs deuant dis n'auoit droit en cel daim ne en cel hiretage qu'ilh clamoit.
Apres che, nos demandons a mon Saingnor Wilheame deuant dit s'ilh tenoit
nostre dit, ilh respondil k'oilh et tenir le voloit, puis ke drois et iugemens l'en
osteuet, quitte le clamoit ne iamais nient n'i clameroit. . .
(2j juin 1270. — Charles de l'abbaye de Robermont, ancien n" 2).
... Et nos, après chon, a la proiere de proudomes et des parties desor no-
meies et a lor requesle, presimes le dit en nos si corn arbitre en tel manire que
desor est deviseit, et apcllons par devant nos les parties et oïens lor raisons ;
et, après chon, nos apcllons cheaz ki auoient esteil a couens de mariage et a
Même fait s'observe dans certaines parties du midi de la France, principalement
dans le S.-O., où !os tend à se substituer à /or, dans l'emploi pronominal. Ainsi
dans la chanson de la croisade albigeoise:
4-60 Et ago la vianda, cla quels (pour que lor) fo mestier.
5624 E so quels remandra.
7216 Franc caval.er, deni los (en rime).
8472 Quels con:iec las novelas.
Des exemples analogues pourraient être recueillis en grand nombre dans le
poème de la guerre de Navarre [quels pour que lor, v. 22; disso los, en rime,
v. 2654).
Voici une phrase où lor et los sont employés dans le même sens: « E qui
plus lor deman:ava, l'orssa tes fara » (Coutumes de Prayssas, L.-et-Gar.,
§40^.
Les exemples de los pour lor foisonnent dans les textes de la Gascogne et du
Béarn, où lor se conserve, surtout lorsqu'il est construit avec une pré|.osJlion.
Ainsi, dans les r gistres de la jurade de Bordeaux but lor, per lor, maïc « los
ac drven deiiunciar » (Arch. munie, de Bjrdeuux, III, 18) M. Bauquier s'est
trompé lorsqu'il a supposé (Rtv. des langues rom., 2, VI, 249-'jo) que /ou5
employé comme rég. indirect était pour /ou/5. C'est l'ancien los, l'équivalert du
français Us. On irouve aUiSi, mais plus rarement, lo pour /; au sing. : « E deu
|lo portierj lare adobar las portas am lo bosc quels senhors lo devon donar »
(Coût, de Prayssas, § 21;. — P. M.]
LE DIALECTK WALLON AU XIII^ SIÈCLE I?5
doiement délie dame et les fcsimes |urer sor sains de voir a dire en quel manière
Il dame auoit esteit doiei et cornent cm lediet doier des .xviii. mars desor dis
et sor quees biens ; cl lor aeriteit csimes mètre en escrit et nos conseilhons sor
chon a proudomes, a sauoir est a bon clers, a prechoirs, a menoirs, a cheua-
liers, a maioirs et a tôt le sains del pais, et mesimes jor par deuant nos, après
chon que nos fumes conseilhiet, les parties desor dites d'oir nostre senlenche
arbitral sor les querelles ki astoient entre caz.
(14 mars 1274. — Chartes de la Collégiale Saint-Denis de Liège, ancien
n«7)-
Je pourrais donner d'autres exemples, mais je crois que ceux-ci suffi-
ront : encadrés, comme ils le sont, entre d'autres formes du parfait, ils
ne laissent aucun doute sur la valeur du temps.
Ces exemples confirment la théorie de la formation par analogie du
parfait en ont: le singulier du parfait habituel ayant les mêmes désinences
que le singulier du fuiur, le pluriel s'est trouvé entraîné, pour ainsi dire,
à adopter également les désinences du futur pluriel. Je ne crois pas que
ce pluriel analogique du parfait remonte au delà du xir siècle. Parmi les
textes littéraires wallons je ne le trouve (à la ]" pers.) que dans le Job
dont la langue est évidemment postérieure à celle des Dialoge Gregore et
du manuscrit Canonici 74 d'Oxford.
J. — PARFAIT EN INS.
La i"= pers. plur. du parfait pour les verbes en ë, ë, i, peut se former
par ns au lieu de mes, autrement dit être nasalisée. D'autre part la
1''^ pers. plur. des autres temps peut, comme en picard, ne pas être na-
salisée, de sorte que si avoines existe à côté à'avons, en revanche fesins
se rencontre auprès àefesimes.
... Et nos Thiris deuant dis, a le requeste et par le volenteit des parties
deuant dittes, presimes l'arbitre et le dit en nos et cnquesiens le bone veriteit et
veimesles oeures et les Chartres ki faites en astoient et escritesetsaieleesdel saial
le noble damme me damme Ysabeal ki iadis fut femme mon saingnor de Was-
senberg.
(25 juin 1870. — Chartes de l'abbaye de Robertmont, ancien n" 2).
... Et nos li home de la Cise Deu ', après chou, donames et fesins dun et
vesture a dant Henon trecensoir de la maison de la val Saint Lambert desoir
escrite des vint bonier d'aluen desoirdis a ces de la maison de la val Saint
Lambert deuant nomeie.
(31 mai 1274. — Chartes de l'abbaye du val Saint-Lambert n" 529).
... lequel don et lequel lansage je Giles maires deuant dis mis en warde des
I . Casa Dei, Cour allodiale de Liège.
I ^4 MÉLANGES
eskeuiens dcsordis, a la requeste des parties et des tenans deuant r.omeis Et*
je li maires et li eskeuin et li tenan desordit en owins nos droitures,
(lo avril 1275. — Chartes de l'abbaye du val Saint-Lambert, n» 341^.
Dans l'extrait de la charte de la collégiale Saint-Denis que nous avons
donné plus haut, on trouve encore un exemple de cette forme du parfait ;
« Nos... apellons par deuant nos les parties et oïens lor raisons ». ,
On rencontre le parfait en )ns plusieurs fois dans les Dialoge Gregore ;
je mets entre parenthèse le mot correspondant du texte latin: atcndins
(exspectauimus) p. 88, 1. 8, poins (potuimus), p. 212, 1. 10;
quant nos deparlins de la p. 265, 1. 20, desins (diximus), p. 266, 1. 7,
oins (audiuimus) p. 277, 1. 5.
Si la désinence en ins de la r^ pers. plur. du parfait ne s'est pas
maintenue, c'est sans doute parce que cette forme nasalisée, avec l'or-
thographe picarde et wallonne où ie =: /, et / =- ie, était fort souvent
identique à la i" pers. plur. de l'imparfait de l'indicatif. Si, dans les
exemples cités plus haut, enquesiens et owins ne peuvent pas se confondre
avec les imparfaits {aviens, enqueriens), fesins pourrait être simplement
une forme graphique de /^/5/>n5. Voici un exemple où le parfait, écrit
iens, ne diffère en rien de l'imparfait :
... Et nos, entre les dois parolhes, a le requeste dant abbeit et mon sangnor
Lowi deuant dit, turnames a un de nos homes de fiez, a sauoir mon Sangnor
Johan de Parfontriw cheuaiier, et li somungniens sor le feaute ke ilh noj deuoit
qu'illi nos raportast par droit de cui mes sieres Lowis deuant dis deuoit tenir
le dit fies.
(j octobre 1298. — Chartes de l'abbaye du val Saint-Lambert, n° 408).
Je crois que cette forme du parfait en ins n'existe guère que dans le
dialecte wallon ; si on la rencontre parfois dans des textes picards en
vers, c'est seulement à la rime comme licence poétique.
Emmanuel Pasquet.
V.
L'ADJECTIF POSSESSIF FÉMININ EN LYONNAIS.
J'ai vainement cherché dans la dissertation de Hermann Flechtner:
Die Sprache des Alexander-Fragmentes des Al erich von Besançon (Breslau
1882) et dans la Phonétique lyonnaise au xiV siècle que M. Philipon a
publiée dans le tome XIII de la Romania, la mention et l'explication des
deux adjectifs possessifs la min et la sin que nous rencontrons dans les
Œuvres de Marguerite d'Oingt et dans les Conventiones dominorum et B. de
Varey visitatoris operis [Romania, XIII, ^76-581). La singularité de ces
L ADJECTIF POSSESSIF FEMIMIN EN LYONNAIS |^^
formes, que nous lisons dans les passages suivants, aurait dû, ce semble,
éveiller leur attention :
Je desirro vostra salut assi corne jo foy la min (Marg. d'Oingt, p. 36).
Le servis de nostron Seigneur Jhesu Crit et de la 5;V(gloriousa virginamare,
(p. 49);
D'atra main seignia et aprova de la sin (Conventiones, p. 580).
Malgré leur aspect étrange, l'explication en est fort simple et c'est
peut-être pour cela que ni Flechtner ni M. Philipon n'en disent mot. Si
l'on considère que Va tombe dans bateri, cortesi, maladï, il est clair que
la mia a dû donner la mi devenu la min par l'influence de la nasale initiale.
La min a donné naissance à la sin.
Le phénomène que présente la min n'est pas isolé en lyonnais. Les
œuvres de Marguerite d'Oingt nous donnent menais, p. 36, = médis,
midi; et manques, p. 36, = masque, maques, maqae, meque, proprement
(( mais que, sinon ». Dans les dialectes de la suisse romande mei « rien «
n'est pas minus comme le pensait le bon doyen Bridel. Meï répond
au fr. mie et remonte aux formes hypothétiques mi mï; cf. la mi de
pan.
Des exemples nombreux du même phénomène ont été recueillis par
nous au Val-de-Bagnes; voir Phonologie du Bagnard, § 252, où j'ai cité
nin «nid » et « nuit », tenin, vinin, etarnin « éternuer », furnin, femin
« fumier », min « plus » et « mais», min « pétrissoire », mingro
« maigre » driimin « dormir », en attribuant à tort à 1'/ le développe-
ment de la résonnance nasale. Le portugais, comme on sait, a des
exemples tout pareils. Voir Romania 1882, p. 90.
Dans le Jorat Vaud) les adjectifs possessifs toniques ont aujourd'hui
les formes suivantes : la meîna, la seina, la feina, à côté de la myôna, la
tyôna, la xôna. Les premières remontent à la min, latin, la sin, formes
auxquelles on a ajouté un a pour mieux marquer le genre. Malgré la
ressemblance qu'elles ont avec la mienne, la tienne, la sienne, ce serait
se tromper étrangement de les expliquer comme les formes françaises.
J. Cornu,
VL
LA POÉTIQUE DE BAUDET HERENC.
Dans leur rapport sur leur mission littéraire en Italie [Archives des
Missions, \. I, p. 267-2781, MM. Renan et Daremberg ont donné, d'après
le ms. du Vatican Reg. 1468, d'assez longs extraits d'une Poétique,
ou, pour prendre le mot employé au xV' siècle, d'une Seconde rhétorique
I ;6 MÉLANGES
composée en i4p par un auteur que le ms. appellerait Baoldet Hercut.
Ce nom étrange a de bonne heure provoqué des doutes, et on a pensé le
corriger avec vraisemblance en lisant « Raol de Thercut ». Mais, outre que
la forme Raol pour Raoul est un peu étonnante au milieu du xV siècle,
le nom de Thercut est fort invraisemblable. J'ai conjecturé que Baoldet
Hercut était une mauvaise lecture, qui s'e.xplique facilement, pour B<3uWgf
Herenc, et je me suis adressé, pour vérifier cette conjecture, à M. Ernest
Langlois, membre de l'Ecole française de Rome, qui a bien voulu me ]
faire savoir que le manuscrit du Vatican portait en effet Bauhiet
Herenc. C'est donc le nom qu'il faut désormais donner à l'auteur de
cette Poétique. Baudet Herenc n'est pas absolument un inconnu. Il faut
évidemment l'identifier avec le « Baudet Harenc de Chalon » qui, en
1449 ou 1450, « faisait des ballades devant mon seigneur « Charles
d'Orléans (voy. A. Champollion-Figeac, Louis et Charles d'Orléans,
p. 361).
M. Langlois a copié en entier la poétique de Baudet Harenc', il est à
désirer qu'il l'imprime. Elle est la troisième que nous connaissions; la
première est celle d'Eustache Deschamps, la seconde celle qui appartint
à Monmerqué, puis à A. Firmin Didot, àonlWoli [Ueber die Lais, p. 141)
a imprimé des fragments, et dont on trouve une description assez étendue
dans le Catalogue Firmin- Didot, 1 88 1, p. 5? et suivantes. Il y a entre
ce traité, qui doit remonter environ à 141 $, et celui de Baudet Herenc
des rapports qui indiquent que ce dernier a utilisé l'œuvre de son pré-
décesseur (cf. Zschalig, Die Verslehren von Fahri, Du Pont und Sibilet,
Leipzig, 1884, p. 74I, et qui font souhaiter que les deux œuvres soient
publiées ensemble; mais je ne sais où est aujourd'hui le ms. Monmerqué-
Didot.
G. P.
I . Je suis informé, du reste, que M. G. Servois l'a copié de son côté il y a
bien des années.
COMPTES-RENDUS
Contribution à l'étude d^s origines du décasyllabe roman, par
Victor Henry, chargé de cojrs à la Faculté des Lettres de Douai. Paris, Maisonneuve,
1886, in-8', 47 p.
Le jeune auteur de ce mémoire, déjà connu fort avantageusement par d'ex-
cellents travaux linguistiques, présente avec beaucoup de modestie une hypo-
thèse nouvelle sur l'origine du décasyllabe roman : il serait p!us juste de dire du
décasyllabe gallo-roman car on est aujourd'hui assez généralement d'accord
pour croire que les Espagnols et les Italiens nous l'ont emprunte (voy. Rom,
XIII, 622). Ce vers répondrait au trimètre iambique scazon:
Baiana nostri, Basse, villa Faustini.
Entendons bien ce que veut dire l'auteur. Il n'a pas l'idée qu'un vers rythmique
provienne d'un vers métrique par la substitution de l'accent à la quantité; il
pense que, d'une versification grécc-latine préexistante, et fondée d'ailleurs sur
la quantité, il est sorti parallèlement un vers métrique (grec, puis latin) et un
vers rythmique (latin vulgaire).
Je n'entrerai pas dans la discussion de l'ingénieuse hypothèse de M. Henry.
Elle est à coup sûr plus admissible que toutes celles qui ont été proposées jus-
qu'à présent, et de la façon dont la présente l'auteur, elle peut ne pas trop
souffrir du fait que le trimètre scazon métrique est assez rarement employé en
latin ou que le trimètre scazon rythmique ne se rencontre jamais. Mais Tensemble
de la méthode suivie par l'auteur me paraît déîectueux, et j'ai eu plus d'une
fois occasion de le dire. Ce n'est pas tel ou tel vers français qu'il faut rattacher
à tel ou tel vers latin; c'est là un travail mécanique plus ou moins facile, mais
toujours inutile. Les vers f-'ançais ne nous apparaissent qu'après l'élaboration qui
s'est opérée dans la langue aux temps mérovingiens, et qui, bouleversant dans
la langue les conditions de la tonalité, a profondément modifié celles du rythme.
Avant d'essayer de montrer comment s'est constitué le système de la versifi-
cation française, il faut étudier comment s'est établi, à l'époque antérieure, le
principe de la versification rythmique en regard de la versification métrique.
Une fois ce principe constitué, les différents vers en sont naturellement issus,
sans que chacun d'eux ait un rapport direct avec une des formes de la versi-
fication métrique, d'origine grecque, devenues toutes, pour le peuple, incompré-
M 8 COMPTES-RENDUS
hensibles avec le principe même de cette versification. C'est donc la question
préalable que j'oppose aux recherches du genre de celles de M. Henry, tout en
rendant justice à la science et à la pénétration dont il fait preuve.
Je n'ajouterai qu'un mot, sur un sujet qui me tient au cœur. M. Henry,
d'accord avec M. Meyer, de Spire, trouve exagérée l'importance que j'accorde
au septénaire rythmique, dont les chansons populaires de l'époque impériale
nous ont conservé quelques fragments. Il est cependant impossible de nier
que les vers des soldats d'Aurélien, où le rôle de l'accent est incontestable, se
rattachent à ceux des soldats de César, oii l'accent est encore joint à la quantité.
Non seulement dans ces vers, et dans tous ceux du même genre que nous con-
naissons, le second membre se termine par un proparoxyton ou par un mono-
syl'abe; mais encore dans tous le nombre des syllabes est rigoureusement le
même ; le vers se divise en deux membres, l'un de huit, l'autre de sept syllabes;
dans le second membre l'alternance régulière des toniques et des atones est sans
exception; dans le premier il n'y a d'exceptions (et encore bien rares) que pour
les trois premières syllabes. Voilà des caractères qui, dès la première apparition
de ce vers, le différencient nettement du tétramétre trochaïque catalectique tel
que nous le rencontrons ailleurs. Je n'insiste pas, ayant l'intention de revenir,
dans un travail spécial, à cette question de première importance.
Je tiens, en terminant, à faire remarquer que j'ai depuis longtemps abandonné
l'idée que la versification latine ait pu être rythmique dès l'origine, et que le
saturnien fût fondé sur l'accent. Il était peut-être permis d'avoir des opinions
semblables il y a vingt ans; ce serait moins excusable aujourd'hui, et je demande
à mes contradicteurs de vouloir bien ne plus me les attribuer. Je ne puis
d'ailleurs souhaiter d'en rencontrer de plus courtois que M. Henry.
G. P.
La Chanson de Roland. Nouvelle édition classique, précédée d'une introduction
et suivie d'un glossaire, par L. Clédat, professeur à la Faculté des Lettres de Lyon.
Paris, Garnier, 1886, in-12, xxxv-223 p.
Ce qui distingue la « nouvelle édition classique » de M. Clédat des éditions
antérieures, et notamment des « éditions classiques » de M, Gautier, c'est sur-
tout, à ce qu'il nous dit lui-même, qu'il a francisé le texte d'Ox''ord. « C'est-à-
dire, ajoute-t-il, que nous avons adopté l'opinion de la majorité des romanistes,
qui considèrent la chanson de Roland comme d'origine française. La langue de
la Chanson de Roland, telle que nous la rétablissons, est donc le français du
xi« siècle, d'où dérive le français actuel. Ce n'est plus (?) le dialecte d'où est
sorti le patois normand. »
Il y a plus d'une observation à faire, et sur le point de départ du système
du nouvel éditeur, et sur la façon dont il l'a appliqué. Est-il sûr d'abord que
« la majorité des romanistes » regarde le Rollant comme français ou plutôt
francien.? L'absence de formes en -ui pour 0 tonique plus / et surtout déformes
en i(S3uf j/rc, qui est sans doute une forme empruntée, et engignent. qui peut
s'expliquer autrement), pour è tonique plus /, indique au contraire, comme
je l'ai remarqué {Rom., IX, 407), la marche de Bretagne, pays dont Roland
était comte, comme le berceau de la chanson où il est célébré, et cela
CLÉDAT, La Chanson de Roland i ^9
s'accorde fort bien avec la f^rande place faite, non à saint Michel en générai,
mais à saint Michel du Péril de la Mer. Je ne m'arrête pas à demander à
M. Clédat ce qu'il entend par « le patois normand », ni à rechercher si le lan-
gage du copiste du ms. d'Oxford (car il ne s'agit que de lui) peut être l'ancêtre
d'un parler normand quelconque; ce qui est certain, c'est que le vernis dont ce
scribea revêtu le texte est un vernis anglo-normand, et que M. Clédat a bienfait
de l'effacer. Entre la langue du RolLmt et celle qu'on parlait à Paris au xie siècle,
il n'y avait sans doute pas grande différence, et, surtout dans une édition clas-
sique, il valait mieux en tout cas raporocher le Rollant du français de France
que de l'anglo-normand. Mais la tâche n'était pas aussi facile que semble l'avoir
cru l'éditeur : « L'opération, dit-il, consistait surtout à remplacer par des 0
les u provenant d'o longs ou d'u brefs latins ». C'est là une question de graphie
qui n'a d'importance que pour l'œil : qu'on l'écrive 0, qu'on l'écrive u, le son
en question n'est pas celui du français. Le français moderne (voy. Rom., X, 40)
rend, comme on sait, ô tonique du latin vulgaire (ô, «classiques) par ou quand
il est entravé \tour), par eu quand il est libre (fleur) ; il ne peut descendre d'un
idiome qui ne tait aucune différence entre les deux (tor et flor, ou tur t\ flur ri-
ment ensemble). La langue du Rollant n'est donc pas « le français d'où dérive
le français actuel ». J'ai indiqué plus haut une autre différence. On peut encore
en signaler d'autres pour des mots isolés, comme D.u pour Dieu, chadir pour
chadeir\ peut-être m.disme pour medesme. Je me borne à celles qui sont attes-
tées par l'assonance, et que l'éditeur ne pouvait faire disparaître ; si on exa-
minait chaque mot du texte, on pourrait se demander si le nouvel éditeur a
toujours bien mis la forme française au lieu de formes dialectales: cons, par
exemple, n'est-il pas, à ce point de vue, préférable à cuens, ah à as, charnels à
chameilz, etc ? Mais en général il faut reconnaître que M. C. .a rempli avec
soin et attention la tâche qu'il s'était assignée.
Il ne s'est pas borné à franciser le texte du Rollant; il l'a encore archaïsé,
notamment par une importante innovation, dont il ne parle p^s dans sa préface,
et qui est pourtant ce qui. au premier coup d'oeil, distingue le plus nettement son
édition de touies celles qui l'ont précédée, je veux parler de la restitution cons-
tante du d intervocal. Il est certain que le copiste d'O avait sous les yeux un
modèle qui conservait ce d, sinon toujours, au moins souvent, et qu'il l'a sup-
primé à peu près partout, bien qu'en le conservant çà et là par négligence
(chiedent, vsdeir, etc.) 2. M. C. a fait pour le Ko//ii/7^ ce que j'ai fait pour
V Alexis, ce que j'ai conseillé (Rom., XIII, 129I pour le Pèlerinage, et ce que j'ai
appliqué au Rollant même dans un choix d'extraits actuellement sous presse 5 :
1 . Il n'est pas sûr que chadir et chadeir n'aient pas existé à côté l'un de l'autre,
comme tenir et teneir. Mais cette forme soulève une question fort délicate au poiut de vue
chronologique, que je traiterai dans une note spéciale.
2. La version norvégienne a dû être faite sur un ms. qui avait aussi conservé çà et là
ce d. Le neveu de Marsile, appelé Aelroth dans 0, y est nommé Adeiroth, et peut-être le
curieux contre-sens commis sur le mot arrement (rendu par adra ir.and, d'autres hommes)
prouve-t il que l'original français avait gardé ici la forme adrement, restituée par M. Clédat.
3. M. Stengel a procédé de même dans un spécimen du Rollant qu'il a inséré dans le
livre encore inédit dédié à la mémoire de Caix et Canello.
140 COMPTES-RENDUS
il a rétabli le </, tombé à la fin du xi« siècle, dans tous les mots où il a droit de
figurer. Cette opération n'est pas sans présenter à l'occasion des dilficultés.
M. Cl. me paraît s'en être fort bien tiré ; je ne vois qu'une remarque à lui sou-
mettre. Si on rétablit le d devant r {pedre, adrement, etc.), il semble qu'il faille
également le rétablir devant /, et imprimer non seukmenl crodlede, modiez (0 a
crollcc, molle:; pourquoi M. C. a-t-il niohz à côté de crollede?), mais Radiant.
On sait que l'existence de cette forme dans des textes poétiques français est at-
testée par des témoignages provençaux et sans doute aussi par le Turpin (cf.
Rom., XI, 485).
Voici encore quelques formes qui me paraissent critiquables dans la nouvelle
édition. Le / final est mis ou omis sans régularité. Il aurait mieux valu réserver
l'/z initiale aux mots d'origine germanique et à hait ; on aurait ainsi évité défaire
croire et de croire soi-même que Vh d'origine latine pouvait se prononcer et
empêcher l'élision nécessaire (v. 13, 20; en revanche, au v. 3, il faut altaigne
et non hal'aigne). Les signes diacritiques sont employés très sobrenient; on au-
rait pu en être encore plus avare: à quoi bon un tréma dans avions, puisque
io, ion forment toujours deux syllabes ' .? Quel risque y a-t-il qu'on Use. fredrè,
puisqu'aucun mot ne se termine pare? N'est-il pas fâcheux d'employer l'ac-
cent à distinguer les homonymes {set, set ; n'es, nés), ce qui lui assigne deux
fonctions si différentes.'' et si on le fait, pourquoi ne pas distinguer aussi les
deux /o, les deux si, les trois la, etc.? Quand on entre d.ins cette voie dan-
gereuse, on ne sait plus où s'arrêter. L'éditeur écrit saive et sage; il fallait par-
tout la dernière forme. Filiastre est mauvais, et d'autant plus singulier que
l'éditeur écrit, bien à tort selon moi, paille, artimailk (qu'il m'attribue, mais
j'ai proposé artimdlie, etc.). La graphie jiet.t est contraire à tout l'usage du
moyen âge (Rom. II, 104) ; mais que dire de jiou, Hou? Ce sont là des formes
qui n'ont jamais existé. Je préfère nedreguarde à redreguarde, le composé étant
assez récent. Faicon, lion, et autres cas-sujets me paraissent douteux; au moins
dès l'époque du Rollant on devait dire falcons, lions. De bonc aire., de pute air.
sont des erreurs (voy. Rom., [IX, 159). Enchadcignez 129 est impossible dans
une assonance en ê; il faut enchadenez.
Pour la constitution du texte, M. C. s'est borné à corriger çà et là le ms.
d'Oxford soit à l'aide des autres manuscrits, soit par conjecture ; il ne paraît pas.
avoir essayé de se rendre compte du rapport des différentes recensions. Prenant
donc son texte comme une simple revision du dernier texte de M. Gautier,
j'en ai lu les mille premiers vers, et, sous la réserve faite ci-dessus, j'ai trouvé
cette revision en général intelligente et satisfaisante. Cependant dans plus d'un
passage l'éditeur a laissé subsister des leçons que le sens, la mesure ou l'asso-
nance devaient lui faire corriger; beaucoup des corrections nécessaires avaient
été faites ou suggérées soit dans les éditions de Miiller, Bohmer, Hofmann., soit
dans divers recueils (notamment dans la Ronunia) , et il faut reprochera
I. Sauf dans marions 227, départions 1900; mais muriuns du ms. doit être interprété
morjons, et le ms. porte departum = départons.
L. CLÉDAT, La Chanson de Roland 141
M. Clédat de ne pas les avoir connues. Voici quelques cas relevés dans ma lec-
ture, faite très en courant; j'y joins quelques endroits où le nouvel éditeur a cru
devoir moJifier le texte sans nécessité ou sans réussir à l'améliorer réellement.
Je signalerai d'abord les infractions à l'assonance, pour lesquelles je dépasse la
partie du poème que j'ai lue attentivement. Un a oral ne peut assoneravec un a
nasal : il taut donc changer redreguarde 858. hanslt 1273, sale 3707, marches
3716, amiralz 2%i\\ en et an féminin ri'assonent pas: prendre est donc fautif
3710; cinelïm n'assonent pas: mainent de manent est donc impossible 983 (cf.
Rom. X, 29S); -aille n'assone pas avec £, «, il faut donc changer venlaille 1293.
Une leçon évidemment erronée est celle des v. 527-8, où dans une laisse en è
on lit :
Tanz riches reis conduit a mendistiet:
Quant iert il mais recredanz d'osteiier ?
Il est clair que ces deux vers ont été par erreur repris à la laisse suivante, où
ils figurent à bon droit. 11 faut les remplacer, comme l'ont fait d'autres éditeurs.
La faute la plus choquante est celle du v. 1986, où chadeite (' cadecta) figure
dans une laisse en a léminin. La bonne correction n'a pas encore été trouvée,
que je sache, mais il en faut une.
Passons aux leçons proprement dites. V. 27 pourquoi changer esmaiiez en
esmaiur? — 40 (et encore ailleurs) è pour et est une erreur qui m'étonne chez
un savant aussi versé dans la syntaxe que l'est M. Clédat; cet emploi de et est
bien connu. — 124 devez (G. vaut mieux que devons. — 147 Vo t par osîages
est changé en Ço'st; j'aimerais mieux Ça erl, mais je préférerais encore Vos. —
216 est-il bien nécessaire de changer (avec G.) l'ordre des mots pour mettre
respont à la fin du vers en place de nevot? — 234 entendut, neutre, me paraît
préférable à entenduz. — 307 que veut dire Tôt !ols ? je lis Trut ! lots. — 3 SS •'
faut estrait et non estraiz, et le vers signifie: « Vous êtes parents de fort près. »
— 391 il vaut bien mieux lire avromes (et. 922) que changer lote en tait pour
obtenir la forme suspecte amomei. — 397 la ponctuation traditionnelle était
bonne. — 400 je serais porté à corriger plutôt Le rei mcdisme (et non Li reis).
— 455 je lirais Sil deûssez. — 4i6 la leçon d'O, mei l'avient a sojrir, me paraît
fort bonne ; G. corrige me /'cuv/^/jf, M. Cl. fort bizarrement mei l'enu'ut. —
505 \'e d'oncles ne peut s'élider ; il faut supprimer et. bien que cela semble un
peu dur. — p 5 Giiaz, que M. Cl. remplace par Faz (avtc G.) est fort bon;
voyez la discussion de tout ce passage Rom. Xil, 401, où est aussi indiquée
au V. 519 la leçon v rtisset. — 523 pourquoi un point d'interrogation? — 605
le complément du vers dé ectueux 5'// i est, bien qu'admis par tous les éditeurs
depuis Mùller, est peu satisfaisant. La trahison de Guenelon consiste précisé-
ment à faire que Rolar.d soit à l'arrière-garde : « s'i! y est 0, en quoi peut il le
tralir encore.? On pourrait lire dcmaneis. — 634 la leçon d'O est bonne, en
supprimant la; reine., commt reis, sire, dame, peut se passer d'article. — 727 je
ne vois pas bien la nécessité, ici et 732, de chinger vers, ver en ors, ni de
changer set en scveut au v. 735, non plus que la en l\n au v. 779. — Le v. 830
est depuis longtemps une crux interprclum; la leçon d'O Suz sun manlel en fait
la cuntenance est lort obscure: la correction de Mùller, adoptée par M. G. en-
fuit (il faudrait enfuet), est ingénieuse, mais on ne trouve pas d'emploi analogue
1^2 COMPTES-RENDUS
d'enfoir en ancien français ' ; M. Cl. lit en ''uit, et traduit (au glossaire) : « Char-
lemagne, en se cachant sous son manteau, se soustrait à la nécessité de faire
bonne contenance » ; c'est bien cherché et peu vraisemblable. — 836 jolis
plutôt m une avison d'angele. — 856 pourquoi changer Terre Cerlaigne en De la
C? les noms de pays ne prennent pas l'an'cle^. — 907 je lirais plutôt Si
nos mandrat à cause de la construction.
M. Cl. a accompagné son texte d'une brève introduction littéraire 5, d'une
esquisse grammaticale 4, et d'une analy:.e bien faite, insérée par morceaux entre
les divers épisodes du poème, et qui en facilitera certainement l'intelligence. Il
n'a pas cru, et à bon droit, devoir y joindre une induction ; je regrette qu'il
n'y ait pas eu presque pas mis de notes : ce ne sont pas seulement des expli-
cations grammaticales dont ce texte a besoin (et il s'en laut qu'on puisse toutes
les mettre au glossaire) : un commentaire littéraire, historique, archéolo-
gique lui donnerait, pour les lecteurs auxquels il est destiné, beaucoup plus
de clarté et surtout d'intérêt. La poésie du RoUant n'est pas d'un accès aisé, et
il me semble qu'il eût été bon d'en faciliter l'abord ; c'est ce qu'a fait M. Gau-
tier dans son édition classique, et son exemple était bon à suivre.
Le glossaire, étant purement explicatif, ne contvent que les mots qui ont
beaucoup changé ou manquent dans le français moderne, et ne renvoie pas aux
passages où ils figurent. L'éditeur justifie cette double restriction par le besoin
de ménager la place; mais en elle-même elle a de réels inconvénients. Les ar-
ticles dece glossaire, généralement très satisfaisant, sont parlois assez étendus et
comprennent des faits de syntaxe, des rapprochements, etc. ; en outre, on y
trouve, simplement indiquées, les étymologies latines. En le lisant, j'ai fait, au
point de vue de la forme des mots, de leur étymologie ou de leur explication,
quelques remarques que je consigne ici, dans l'idée qu'elles pourront servir à
l'auteur pour une nouvelle édition, que son utile publication ne saurait manquer
d'avoir bientôt.
Abatre, absolument « être vainqueur ». Où donc trouve-t-on ce sens.?
Ate, d'où adate, aate, ne peut venir d'adapîum, qui aurait donné adal ; il
doit provenir d'habitum; cf. malate à côté de malade (corriger ainsi ce que
j'en ai écrit, Rom. III, 378).
Amore. M. Suchier a montré il y a longtemps que ce mot n'existe pas ; il
faut lire la mon.
1 . On peut comparer l'emploi d'enclore dans ce vers : En sun mantel son chef enclôt
(Folie Trisiran. éd. Michel, t II, p. 112).
2. M. Cl. fait précéder on deux endroits (2489, 2758) le mot Sebre, singulière et
constante altération, encore inexpliquée, da nom de fleuve Ebre, de l'article, qu'il n'a ja-
mais dans le ins ; c'est peut-être pour se conformer à une opinion de Mûllerqui me pa-
raît assez peu fondée
5. M. Cl. dit que dans notre chanson la « capitale de la France est placée tantôt à
à Paris, tantôt à Laon. tantôt à Aix ». Paris n'tst pas mentionné dans le Rollant, et
c'est là une assez giave distraction.
4. Je relève (p. i >0; un passage tout à fait incompréhensible. « En p ésence de la
forme t drecez », 1-j première pensée de l'élève sera sans doute de cherciier drecER, qu'il
ne trouvera pas : l'infinitif de ce verbe est drec.ER »-. mais alors pourquoi pas dreciez ? Le
plus singulier, c'est que dans le texte (v. 2829), o.i lit correctement dreciez.
L. CLÉDAT, La Chanson de Roland 14^
Angrest pour engrcs est une fantaisie sans aucune base, qu'il faut simplement
rayer.
Bjcheler. L'étymologie de ce mot reste inconnue ; mais pourquoi voufoir qu'il
vienne de iachelaie? C'est évidemment l'inverse qui est vrai.
Barbamosche ; « la forme française actuelle serait Barbcinouchc ». Alors pour-
quoi ne pas écrire par a tous les e féminins?
Bricon « misérable, fou » : rayer le premier mot {Rom. IX, 626).
Bue. « Paraît de même famille que buste, dont il a le sens ». Erreur bien su-
rannée ; tout le monde sait que bue veut dire « tronc » et non « buste ji, et est
l'ail, bue (au). Baueh).
Conteneer. Pourquoi cette graphie.? il faut eonteneicr.
Enhaiticr, « bénir ». Je lis au vers 1693 gue vos en haitet f et je comprends
tout autrement.
Envadir viendrait d'un vçrhtvadir, mais vadere n'a rien donné en roman ,
itivadir vient d'i nvadire pour in vadere.
Esjredcr « effrayer et courroueer >■. : ni l'un ni l'autre, mais « troubler » (Rom.
X, 443).
Eslegier « lat. *exlitigare, disputer ». Tout est faux, et on a assez
éclairci ce mot pour qu'une pareille explication ait lieu de surprendre (voy.
Rom. Xll. 382).
Esloltie « lat. *stultiam ». Il se rattache peut-être plutôt à estait de l'ail,
stolt.
Estorn., I. Estorm.
Eve: d'après la graphie adoptée par l'éditeur, il fautive.
Geste. Geste Fr'ancor 3262 devait être laissé tel quel ; c'est ici le pluriel latin
Gesta Fra corum.
Guige, « origine incertaine; étoffe qui servait d'ornement ou d'attache au
bouclier. • Lisez: « origine germanique: bande qui suspendait l'écu au cou ».
Jamcil. Le ms. a jjmeiz au plur., qui renverrait en effet à jjmeil., mais un é
lermé ne pourrait assoner avec è, ai; il faut lire jamtls, au sg. jamel. Le lat.
*gamelum (aussi dans G.) m'est inconnu.
Judise : « le vrai judise, c'est la vraie religion ». Où est ce sens.?
Laidement. A propos du vers où il est dit que Marsile, blessé, plein de dou-
leur et de honte,. Sor la vert (tl non verte) erbe moll laidement se colchet, M. Cl.
fait cette singulière remarque: « Laidement est un adverbe de nature qui est ap-
pliqué à l'action de Marsile parce que celui-ci est un mécréant. C'est comme si
l'auteur disait : le mécréant Marsile se couche sur l'herbe ».
Lorent. Cette forme est inconnue au moyen âge, qui de Laurenlium fait
régulièrement Lorenz.
Luder : I. loder, de lûtare (Rom. X, 43).
Matir me paraît n'avoir rien à faire avec le mat des échecs, mais tenir à mate.
Nois: <( origine incertaine ». Mais l'étymologie nausea est très bien établie.
Nosehe ne signifie pas « collier », mais « bracelet ».
Puleelle • vient d'un diminutif de pulla, qui a lui-même donné poule »,
preuve qu'il n'est pas l'auteur indirect de pulcele. qui seraa polcele ; pullicella
est un diminutif de puella, où l'u s'est allongé par suite de sa fusion avec i'c.
144 COMPTES-RENDUS
Quat « subst. verbal du vieux verbe quatir= secouer » ; on voudrait connaître
l'étymologie de qiiatir.
Quile « lat. *quittum, qui se rattache à quietum ». Q_uittum ne pourrait
donner que quil; qmti est l'adj. verbal de qah'uf (cf. Rom. Vlll, 448).
Sain:. Il y a longtemps que nous avons ind que ici (X, 304) la jolie décou-
verte de M. Suchier, qui a reconnu dans « les Saints » la ville de Xanten,
Sa^cou^ lat. sarcogum pour sarcophagum »; cette forme barbare est
bien inutile; sarcophagum donn; régjlicrement sarcuef, plur. sarcdes., à'oh
plus tard le sing. sarcue, changé ensuite en sjrcueil, ccrcutU.
SoJuisant ei,l une forme erronée; on ne trouve, au moins dans ce sens, que
soduuint.
Terremoete « lat. terra mota » ; c'est impossible, on aurait tcrremodc ;\\sez
* movita (cf. Rom. X, 58).
TincI est présenté (d'après G.) comme un diminutif de tlgnum ; mais l'étymo-
logie de ce mot a été donnée depuis longtemps par Diez : il vient de tTna avec
le suflF. -a le m et non -ellum . C'">mme le montre l'assonance
.A côté de ces observations, dont quelques unes n-.ontrent que l'auteur ne se tient
pas suffisamment au courant des acquisitions journalières de la science, il serait
injuste de ne pas ajouter que !e glossaire de M. CI. contient des remarques fort
intéressantes, notamment en ce qui concerne la syntaxe, et qu'il paraît bien ap-
proprié au but que l'auteur s'est proposé après M. Gautier, et que nous leur
souhaitons à tous deux d'atteindre: faire une édition du RolLint qui rende le
texte compréhensible sans trop de peine, et en faciliter ainsi l'introduction et
l'usage permanent dans le haut enseignement secondaire. En ce sens l'édition de
M. Clédat marque certainement un progrès sensible ; il saura sans doute, en la
revoyant et en la complétant, la rapprocher de plus en plus de la perfection.
G. P.
Sur la versiBcat'on anglo-normande, par G. Vising. upsula, Almqvit et
Wiksel!, 1S84. ln-8", 91 pages.
Le titre de cet opuscule peut induire en erreur sur l'objet traité. On s'attend
à des recherches sur quelques-uns des faits qui caractérisent la versification
du français transplanté en Angleterre, notamment sur les formes de vers ou de
strophes en usage dans la poésie anglo-normande, et on s'aperçoit avec quelque
surprise que l'auteur traite d'un seul point, à savoir si la versification des poètes
anglo-normands est ou n'est pas syllabique, comme celle des poètes français du
continent. C'est assurément une question qui intéresse la versification, mais en
réalité elle se rattache bien plus encore à la phonétique, puisqu'il s'agit en
somme desavoir comment les Anglais prononçaient, à des époques déterminées,
certains sons français. Je m'empresse d'ajouter que mon observation s'adresse
surtout à ceux qui se sont occupés du sujet avant M. Vising, et qui ont traité
la question sous un titre qui ne lui convenait pas. L'opuscule de M. V.
est en effet un travail de critique dans lequel l'auteur passe en revue, un peu
longuement peut-être, et discute les théories exposées par ses devanciers sur la
constitution du vers anglo-normand. Ces théories sont i'' celle de M. Suchier,
visiNG, La versification anglo-normande 145
adoptée par divers savants allemands, et en dernier lieu par M. Fœrster 1, selon
laquelle la versification anglo-normande, tout en restant en partie romane, aurait
subi fortement l'influence germanique (ici anglaise), en ce sens que les vers
anglo-normands ne seraient plus strictement syllabiques comme les vers français,
mais auraient comme élément constitutif, outre la rime, un nombre fixe d'accents
dans chaque vers; 2" celle des savants français (qui sont les deux directeurs de
la Romania) selon laquelle la versification anglo-normande n'aurait admis aucun
principe étranger à la versification française du continent, mais présenterait des*
irrégularités, des incorrections, si l'on veut, causées par ia rapide altération que
les sons français ou normands éprouvèrent sur le sol anglais. M. V. se rallie à
« la théorie des savants français », ce que, naturellement, nous ne pouvons
qu'approuver, et il fait valoir contre la théorie de M. Suchier (ou dont il croit
M. Suchier l'auteur) d'assez bons arguments. S'élevant à des considérations de
haute psychologie, M. V. veut bien dire que l'opinion à laquelle il se range
n'est pas seulement « une théorie de savants français », mais que « c'est une
théorie toute française en comparaison des autres plus comoliquées qu'ont pro-
posées les Allemands B. C'est là une appréciation qui nous flatte, mais sur
laquelle il n'appartient pas à un Français de se prononcer. Qu'il me soit permis
toutefois défaire remarquer à M. V. que les « théories allemandes » ne sont
pas aussi proprement allemandes qu'il se le figure. M. Suchier n'a guère fait
autre chose, dans son mémoire sur la Vie de seint Auban 2, que développer des
idées déjà émises par M. Atkinson, l'éditeur de la vie de saint Alban. Et c'est
parce que j'avais dès l'origine contesté absolument > les vues de M. Atkinson
sur la façon de scander les vers anglo-normands, que je n'ai pas cru utile de
discuter celles de M. Suchier.
Tout en donnant raison à M. V. (et comment ne le ferais-je pas, puisque
l'opinion qu'il a adoptée est celle que G. ParJs et moi avons toujours soutenue.?),
je ne puis m'empêcher detrouver que sa discussion est un peu molle, qu'elle
place sur le même plan des arguments de valeur inégale, qu'enfin il ne pose pas
avec assez de décision la question sur son véritable terrain. Les faits sont ceux-
ci : les irrégularités métriques (si l'on veut les vers faux) sont incomparable-
ment plus nombreuses dans les mss. anglo-normands que dans les mss. français
du continent. Cela admis, on se demande ordinairement si ces irrégularités sont
de véritables fautes commises soit par les auteurs soit par les copistes, ou si
elles peuvent être légitimées par une manière de scander propre à l'Angleterre.
Je n'hésiterai certainement pas, d'accord avec M. V., à accepter la première
explication et à rejeter la seconde. Mais je crois que la question, posée en termes
aussi généraux, n'est pas susceptible d'une réponse tout à fait satisfaisante. Il y
a un tri à faire entre les documents sur lesquels on raisonne. Avant tout il
importe de ne pas confondre les irrégularités introduites par les copistes avec
1. Dans un article du Cenîralblatt du 24 janvier 1885, qu'il a réimprimé en grande
partie dans la préface du t. IX de son Altjranzœsische Bibliothek., et qui vise à réfuter
le travail dont nous rendons compte.
2. Voy. Romania, XI. 144.
3. Dans VAthentsum du 24 juin 1876.
Romania, XV. 10
146 COMPTES-RENDUS
celles dont les poètes eux-mêmes ont la responsabilité. Ceux qui ont manié des
mss. anglo-normands (et j'en ai manié plus que personne) savent qu'un grand
nombre de ces mss. sont l'œuvre de scribes anglais qui ne savaient qu'un
français fort corrompu, et ne pouvaient avoir aucune idée de la mesure des vers.
Ces copies doivent être résolument écartées : il n'y a rien à en tirer pour la
question qui nous occupe. Les seuls textes à invoquer sont ceux que nous
sommes assurés d'avoir tels qu'ils sont sortis de la plume des auteurs, soit que
nous possédions l'autographe même du poète ou une copie faite sous ses yeux
et revisée par lui, soit que les copies se présentent dans des conditions telles que
la restitution de l'original puisse être faite à coup sur. Or, jusqu'ici, nous
n'avons pour aucun ouvrage de la littérature anglo-normande une édition critique
fondée sur un classement certain des copies, et d'autre part la vie de saint Alban,
qui a été le point de départ des recherches de M. Atkinson et de M. Suchier,
est un document sans autorité pour le point qui nous occupe, puisqu'on ignore
.quand le poème a été composé et dans quelle mesure l'unique copie qu'on en
possède est fidèle à l'original, l'opinion de M. Alkinson, qui attribue la vie de
saint Alban à Mathieu de Paris, étant évidemment inacceptable. De sorte qu'en
somme on a opéré jusq^j'à présent sur des données tout à fait insuffisantes. Mais
actuellement nous avons au moins deux poèmes, du même auteur, il est vrai, et
contenus dans le même ms., pour lesquels une copie autographe nous est par-
venue : c'est la traduction du Dialogue de saint Grégoire et de la vie de saint
Grégoire par frère Anger. de Sainte-Frideswyde. Voilà un texte absolument sûr
et précieux en ce qu'il est daté de temps et de lieu : la version du Dialogue a
été achevée en 12 12, celle de la vie de saint Grégoire en 1214, et ces deux
ouvrages ont été composés et copiés à Oxford. Je n'hésite pas à dire que la
publication de la vie de saint Grégoire dans le t. XII delà Romcinia a porté le
coup de grâce au système de MM. Atkinson, Suchier et consorts, et on peut
regretter que M. V. n'en ait pas tiré parti dans sa discussion 1. En effet, le texte
parfaitement sûr d'Anger nous offre un vers construit d'après les principes
adoptés dans la versification française du continent. « C'est, avec une correction
« un peu moindre, la versification de tous les poètes de la France continentale
. t qui vivaient au même temps » [Romania^ XII, 201). Ce que j'appelle une
correction un peu moindre consiste en ceci que, de temps à autre, les postto-
niques ne comptent pas dans la mesure, principalement lorsqu'elles sont en hiatus
avec la tonique qui précède. C'est ainsi que la finale -ent ne compte pas dans
ce vers: Grâces rendaient dévotement (v. 2588). Mais il n'y a là rien de con-
traire au principe fondamental de la versification française, qui est la fixité du
■nombre des syllabes. Sur le continent, au xiip siècle, on faisait sonner la finale
atone de rendaient, et par conséquent on la comptait pour une syllabe ; en
Angleterre, au contraire on ne la prononçait pas et par conséquent on pouvait
ne pas la compter. Mais on pouvait aussi la compter, parce qu'en Angleterre
le français devenait de plus en plus une langue littéraire, soustraite dans une
1. Il est à croire que lorsque la vie de saint Grégoire a paru, le travail de M. Vising
était déjà rédigé.
visiNG, La versification anglo-normande 147
mesure variable à l'influence du langage parlé et par contre soumise jusqu'à un
certain point à l'influence du français continental. Il est parfaitement admis-
sible que pour le cas susindiqué un poète ait suivi tantôt sa propre pronon-
ciation, tantôt l'usage continental qui reposait sur une prononciation difTérente.
En tout cas, il est absolument sûr qu'aucun principe nouveau, inconnu au fran-
çais de France, n'est intervenu dans la versification d'Anger. Faut-il admettre
que le principe nouveau, emprunté à la versification germanique, que suppose
M. Suchier, et qu'Anger n'a certainement pas connu, a pris place dans la
versification d'autres poètes anglo-normands? Mais alors qu'on me présente des
textes siirs, et non pas des textes oia on ne sait distinguer ce qui appartient au
copiste de ce qui est l'œuvre de l'auteur, et nous discuterons. Présentement on
n'a produit' qu'un seul texte réellement digne de confiance: les poèmes d'Anger,
et ce texte est absolument contraire aux théories que combat M. V. et que je
combats avec lui.
Ce n'est pas que tous les poèmes anglo-normands aient eu, à mon sens, le
degré de correction qu'offre frère Anger. Je ne prétends rien de pareil. Il a pu
exister au même temps des poètes beaucoup moins corrects. En certains milieux
le français s'est conservé mieux qu'en d'autres. Les poètes nés en Angle-
terre qui avaient eu occasion de séjourner en France devaient écrire en meilleur
français que ceux de leurs confrères qui n'avaient pas eu le même avantage. En
somme, s'il est vrai que le français, et par suite la versification, a été s'altérant
de plus en plus à partir de la conquête, et surtout à partir du temps où Jean-
sans-Terre eut perdu ses possessions continentales, on ne saurait pourtant,
sans témérité, fixer des règles linguistiques générales s'appHquant à l'ensemble
des poètes d'une époque. Dans les cas même oij on peut prouver que l'irrégu-
larité dans le nombre des syllabes est le tait du poète, il y a lieu de repousser
absolument le système de MM. Atkinson et Suchier, qui comptent les accents
au lieu de compter les syllabes. M. V. dit (p. 50) que pour de telles irrégula-
rités la seule explication possible est que les poètes « ont mal appliqué les
règles de la versification française » ; et, au fond, il a raison, bien que l'expres-
sion ne réponde pas tout à fait à la réalité. Vainement M. Fœrster ' prétend
qu'il vaudrait autant dire que les poètes n'ont pas su compter 4, 6, ou 8 sylla-
bes ! En vérité, la chose n'est pas si simple, et, s'il y a ici autre chose qu'une
boutade, M. P'œrster, qui aime à reprocher à ses adversaires de ne pas comprendre
la question, s'expose au même reproche. Car on peut savoir compter jusqu'à huit
et ne pas savoir quels sont les éléments qu'il faut compter. Les éléments ce sont
ici les syllabes. Ne perdons pas de vue que beaucoup de poètes anglo-normands,
et des meilleurs, devaient être indécis entre leur propre prononciation et l'usage
qu'ils voyaient suivi dans les poèmes écrits sur le continent. Mais il y a plus.
On peut être très fort en calcul et ne pas savoir qu'un vers doit avoir 8, 10,
12 syllabes. Or tel était certainement le cas d'un grand nombre de poètes anglo-
normands, surtout au xin« siècle, lorsque la fréquence des rapports avec la
Dans l'article indiqué ci-dessus.
148 COMPTES-RENDUS
France eut diminué. Beaucoup rimaient en français, parce que c'était la mode,
qui, en dehors de la rime, n'avaient qu'une idée fort confuse des règles de la
versification romane et qui, assurément, se préoccupaient moins encore d'ap-
pliquer les règles de la versification anglaise.
D'ailleurs est-il donc en soi si étrange que des Anglais, prononçant le français
autrement que les Français du continent, n'aient pas su mesurer leurs vers, ou
même n'aient pas su — je l'admets pour quelques-uns — qu'il fallait les me-
surer.? Le contraire eût été véritablement surprenant. Et ce qui s'est passé en
Angleterre s'est produit, bien que sur une moindre échelle, dans le nord de
l'Italie. Les jongleurs de la Lombardie et de la Vénétie, quand ils se sont misa
versifier en français, ont eux aussi péché contre la mesure, faisant des vers trop
longs et des vers trop courts. Dira-t-on que leur manière de versifier a été
déterminée par une influence germanique.? Je tiens donc pour vraie la thèse
soutenue par M. V., bien qu'il ne l'ait pas appuyée de tous les arguments
qu'une connaissance plus approfondie de la poésie anglo-normande aurait pu
lui fournir.
M. Vising connaît de la poésie anglo-normande ce qu'on en peut connaître par
les livres, et c'est peu de chose. La « Revue des poèmes anglo-normands
publiés » qui occupe les dernières pages de son opuscule, montre combien il est
difficile de se faire de ce rejeton de la littérature française une idée correcte,
quand on a'a pas fouillé les bibliothèques anglaises. M. V. est obligé de confesser
qu'il n'a pas fait figurer dans ses listes « Helys de Vinchester, Samson de
« Nanteuil, Hugh de Rutland, Simon du Fresne, Adam de Ros, John de
« Hoveden, David, Bozun, Thomas de Kent, et l'auteur du Beuve d'Hanstone,
(( tous cités par Warton ou M. 'Wright et ses devanciers », parce qu'il n'avait
pas sur ces personnages des renseignements suffisants. Il.y avait là deux ou
trois noms à exclure, mais les autres devaient être mentionnés, et ce n'est pas
s'excuser que dire qu'on manque d'informations. Il fallait se procurer ces infor-
mations ou renoncer à dresser des listes qui ne peuvent être qu'incomplètes. Outre
que cette « Revue », limitée aux ouvrages publiés, est peu utile, elle est disposée
selon un ordre fort arbitraire et appelle diverses rectifications. En voici quelques-
unes: P. 69 « Un poète qu'on a nommé Herman n'a peut-être jamais existé ».
C'est un des poètes les plus remarquables du xw siècle, mais il est continental.
Pourquoi M. V. (p. 77) dit-il que la traduction de saint Grégoire par Anger
est « probablemml de l'an 1212 » .? La date est aussi précise que possible. Le
Renaut de Montauban cité p. 78 est français d'origine, quoique copié et çà" et
là remanié en Angleterre. Les Dits mentionnés en haut de la p. 80 {Du roy ki
avait me amie, de la femme et de la pye)^ sont non pas du xii" siècle, mais de la
fin du xiiF ou même du xiv^, puisqu'ils sont de Nicolas Bozon {Romania,XUl,
506-7 et 518). Les poèmes du ms. Lambeth 522 (p. 80) sont du xiii" siècle et
non du xir. P. 84 M. V. dit que « stlon M. Meyer Raùf de Linham écrivait en
1256 ». Je n'ai pas sur ce point d'autre opinion que celle de Raiit lui-même, qui
a daté son ouvrage. J'ai cité le passage dans mon rapport sur les mss. de Glas-
gow. Pour le xive siècle la bibliographie de M. V. est singulièrement incomplète.
Le poème de Chandos le héraut sur le Prince Noir n'y est pas mentionné.
En somme M. Vising a fait un travail judicieux et soigné, qui toutefois
n'ajoute pas notablement à nos connaissances. P. M.
PÉRIODIQUES
i. — Revue des langues romanes, ^^ série, XIV; juillet 188^. — P. 1-
23, Chabaneau, Sainte Manc-MadcUine dans la littérature provençale (suite). A
défaut d'un mystère provençal de sainte Marie-Madeleine qui a pu exister, bien
que nous n'en possédions pas la preuve certaine, M. Chabaneau publie quelques
extraits, où figure la Madeleine, du mystère provençal de la Passion que ren-
ferme le ms. Didot, et dont )'ai préparé une éditron destinée à la Société des
anciens textes. — P. 44, J.-P. Durand (de GrosI, Notes de philologie rouergate.
— P. 47-51, Lambert, Contes populaires du Languedoc, « La femme qui est
plus rusée que le diable ».
Août 1885. — P. 53, Chabaneau, Sainte Marie-Madeleine dans la littérature
provençale (suite). Notes sur les textes précédemment publiés. — P. 72, Cha-
baneau, Sur quelques manuscrits provençaux perdus ou égarés. Appendice. Sur les
travaux de Pierre de Chasteuil-Gallaup , du président de Mazaugues et de Jean de
Chasteuil-Gallaup., concernant la littérature provençale. M. Ch. donne, d'après un
recueil de notes variées conservé dans une bibliothèque privée et ayant appar-
tenu à Fauris de Saint-Vincent, cinq notices biographiques relatives à autant de
troubadours. C'est un débris de l'histoire des troubadours qu'avait composée
Pierre de Gallaup, et dont on avait perdu la trace. J avais cru pouvoir autrefois
supposer à cet ouvrage une certaine valeur, croyant que l'auteur avait eu à sa
disposition un chansonnier provençal aujourd'hui perdu {Romania, I, 55). Mais
j'ai reconnu depuis longtemps qu'il n'y avait là qu'une illusion ivoy. Romania,
XII, 402), et en effet les notices de Pierre de Gallaup sont tout à fait insigni-
fiantes. Suit un fragment dans lequel le président de Mazaugues conteste avec
raison diverses assertions de J. de Nostre-Dame. Vient ensuite un extrait d'un
ouvrage imprimé et fort connu de Jean de Gallaup (père de Pierre) relatif à
l'histoire fabuleuse de Tersin. Rien de tout cela n'offre un bien vif intérêt.
— P. 89-93, Guichard. Une version dauphinoise de /' « Escriveto ». Voy. ci-
dessus p. : I I .
P. M.
II. - Ro.M.AXiscHE STUDIEN, VI, 1, Juan di Valdès, Dialogo de Mercurio y
Caron., publié par Boehmer, — VI, 2. Boehmer. Catalogue de la littérature rétoro-
mane. — VI, 3. P. 2 i9,Bcehmer, Catalogue de la littérature rétoromane, suite, 3wec
1^0 PÉRIODIQUES
additions et corrections. — P. 239. Gartner, Die zchn Aller , eine rdtoromanische
Bearbeitung aus dem 16. Jahrhundert. M. Gartner nous donne l'édition d'un texte
très important en haut engadinois du xvi« siècle, imité, ou plutôt traduit de
l'allemand, composé par Gebhard Stuppan avant 1564, car dans cette année la
pièce fut représentée à Ardetz. L'éditeur a joint à son texte quelques observa-
tions grammaticales et un glossaire complet et très utile. Il est dans la nature
des choses que toutes les difficultés n'aient pas été levées du premier coup. Ainsi
M. Gartner traduit intschin par « Schmeichelei », en pensant à intschais, encens;
c'est plutôt ruse r= ingenium. Lùdi, que M. Gartner n'explique pas, vient pro-
bablement de la Suisse allemande qui a le mot ludi dans une signification défa-
vorable; liidi chiauns est tout à fait ludihans. Huntra est encore, à ce qu'il me
semble, un mot emprunté à l'allemand : Huntra^ Satanas^ serait en ail. de la
Suisse undereSalan^c'tsVï-àxTt : « A bas Satan ». Partschett, que M. Gartner a
pourvu d'un signe d'interrogation, se trouve aussi Josef 2S1 : A cura tu vainst
partschett da que, et quand tu seras en possession de cela. C'est le latin perceptus.
M. Gartner m'a mal compris en'disant que j'ai traduit Arch.lY^, 43 mock par
klumpen ; j'ai dit « mock =: mocke, stûck^klumpcn ■», et les deux mots allemands
devaient donner la signification du mot dialectal. Pour mil viers l'éditeur aurait
pu comparer Susanna i\od. — P. 303, Gartner, W. v. Humboldt iïbcr Ràtoro-
manisches. Nebst Ungedrucktem von M. Conrad'u Humboldt avait demandé à Con-
radi, l'auteur d'une grammaire rétoromane et d'un dictionnaire, une série de
mots dont l'origine lui semblerait incertaine et il avait pourvu ces mots de
notes étymologiques. M. Gartner publie ces notes avec des matériaux recueillis
par Conradi. —P. 355. Bœhmer, Zum Praedicativiis casus. Sur quelques obser-
vations de M. Schuchardt, — P. 335. Bœhmer, Supplément au catalogue cf. p.
219. — P. 336. Bciblajt. Contient des polémiques. Cette fois c'est le tour de
M. Ascoli.
J. Ulrich.
III. — RoMANiscHE FoRSCHUNGEN,I, 3 (1883 ')•— P. 3 27, Andresen, Sur
les sources employées par Benoît dans sa chronique (nous parlerons de ce travail
quand il sera terminé). — P. 413, Rœnsch, Remarques sur le texte lombard de
Dioscoride. — P. 415, Vogel, Sur le texte d'Hégésippe. — P. 4i8,Weiland, Vers
(non inédits) de Guillaume de Saint-Hilaire de Poitiers à l'antipape Clément III.
— P. 419, Rœnsch, Contributions à la latimiè biblique d'après le ms. de Saint-Gall
des Evangiles. — P. 426, Hotmann, Sur la question des dialectes : Paris devrait
être compté dans la Bourgogne (?) ; c\t3iûon in extenso de curieux passages de
Roger Bacon relatifs aux dialectes français. — P. 428, Hofmann, Notes complé-
mentaires sur Am\s et Amiles ff Jourdain. — P. 429, Hofmann, N proclitique en
ancien français : Naimer i esl dsius des chartes lorraines, n'est donc pas provençal.
Mais qui prouve que ce nom ne vient pas de l'épopée.'' Il n'est nullement sûr
que Naimes s'explique par Dominus Hcimoih forme primitive du sujet est Namalo.
I. Par suite de circonstances fortuites, ce compte rendu paraît fort en retard. Nous
nous remettrons prochainement au courant.
PÉRIODIQUES 151
d'où NamU, Nalc et d'autre part Naimc. — P, 429, Hofmann, Tcn de Bire :
serait le pays de la Berre (Birra)^ où Charles Martel battit !es Sarrazins , et
Imphe serait pour Nuncs; mais Birt n'est pas Bcrrc. Il est très probable que
Birc zz: Btric ^: BUic ; on trouve ailleurs la forme Bile, qui est équivalente,
sans que d'ailleurs cela éclaircisse la question d'identité. — P. 430, Hofmann,
Sur la chronologie de la chanson de Roland ; voy. Rom., XIV, 415. — P. 432,
Hofmann, Taillefcr cl la bataille de Hastings. Henri de Huntingdon, GeofFroi
Gaimar, le Carmen de bello Haslingensi parlent de Taillefer comme d'un jongleur
qui exécute des tours d'adresse en vue des Anglais, mais ne mentionnent pas la
chanson de Roland, que Wace lui fait chanter. « La relation de la chanson
de Roland à la bataille de Hastings provient uniquement de Wace ». Cela n'est
vrai que pour le nom de Taillefer, qui n'est qu'un détail. William de Malmesbury
il. III, ji 242) dit: 0 Tune cantilena Rollandi inchoata, ut martium viri exemplum
pugnaturos accenderet... praeiium consertum est». Taillefer était jongleur
[mimas dans le Carmen) i rien n'empêche qu'il ait fait la prouesse qui lui valut
la mort après avoir chanté quelques strophes du Roland. Le témoignage de
Wace, confirmé par celui de W. de Malmesbury, repose sur la tradition, et
n'est nullement dénué de valeur. — P. 434, Hofmann, Les deux Roland dans
Turpm. — Ib. Hofmann, La plus ancienne source de la légende de Barbe- Bleue ;
dans le Saint Graal en prose. Mais pourquoi citer la version galloise au lieu du
texte français (Perceval en prose, éd. Potvin, 251, 299)? Le cruel époux
s'y appelle Aristot et non Aristor, et qu'a-t-il à faire avec Mac Alister? —
P. 43^, Hofmann, Sur Chardry. Il a imité deux vers de Chrétien: à la bonne
heure; mais aussi ce vers du Brut de Munich : Tant as, tant vaus et je tant
t'ain; malheureusement il est aussi dans Wace (v. 1790). — P. 436,
Hofmann, Corrections au texte ^ê Joufroi. — P. 437, Hofman, Le futur en -ri et
la traduction d'Ezéchiel. Ce futur placerait ce texte dans la Suisse romande,
peut-être à Romainmotier dans le pays deVaud. — P. 438, Hofmann, Pf/rj;?^;/-
dans le PiTziwal de Wolfram; serait dans le Graisivaudan et plus précisément
la Grande Chartreuse. — P. 459, Baist, Sur Wace, Rou, III, 3079-99:
l'histoire des manteaux pris pour sièges et laissés {Rom., IX, 515) peut être
réellement arrivée à Robert de Normandie. — P. 441, Balst., Corrections à
Octavicn. — P. 441, Baist, Etymologies. Springare (additions à Diez) ; serin zz:
citrinus (cette étymologie, qui n'est d'ailleurs pas' bonne, est celle deBrachet);
esp. pelma, pelmazo (pegma?) ; nata, mattone, suero (mots peut-être indigènes;
remarques intéressantes sur l'histoire de l'industrie laitière); hoto (faut us;
cf. Rom. IX, 35 3»; v. f. rè (non pas ratis., mais ail. rat, qui signifie» bûcher »
et « rayon de miel » ; le fém. rata a donné en v. fr. rèe (de miel) changé plus
tard en raie). — P. 44^, Rœnsch, Mélanges étymologiques : Galopparc (qua-
drupedare! Il est siîr que l'étymologie de Diez est mauvaise) ; verve (revient
inutilement à verva, cf. Rom. X, 302); VàftYf (de 1 ici a ri a, mais on aurait
licierc); ovata., ouate (dérivé non de ovum, mais de ovem; mais cf. Littré et
Scheler) ; vi7(jp/'o (rattaché d'une manière inadmissible àvolvere); quamdius
déjà dans une inscription (Orelli, 6206). —P. 450, Andresen, Sur la Chresto-
mathie provençale de Bartsch (corrections; l'explication de ransana par « de
Reims », a. fr. rancienne, est certainement la bonne). — P. 452-3, Andresen
152 PÉRIODIQUES
et Baist, Noples et Commibhs dans le Roland^ 198 (l'un serait Noblejas près de
Tolède, invraisemblable; l'autre est pour Conimblesm Coimbre, cf. Rom , XI,
489). — P. 455, Braunfels, annonce de la Revisla Euskara. — P. 4^5, Sette-
gast; en réponse à mes observations sur andarc (Rom., XII, 32), M. S. conteste
(\n'andarc, aller aient essentiellement le sens de « s'éloigner », et il me demande
d'en fournir des preuves. Mais le fait est tellement évident qu'il n'a pas besoin
de preuves: il suffit d'ouvrir un texte quelconque. M. S. dit que l'idée d'éloi-
gnement n'est exprimée que par s'en aller, mais qu'il compare s'en aller à s'en
venir, et en général l'opposition constante de aller et de venir. M. S. remarque
ensuite que je n'ai pas répondu aux objections de M. Fœrster contre addere
gradum comme étymologie à'andare. C'est vrai, mais c'est que j'ai l'intention
de faire un jour une étude approfondiesur cette question.
G. P.
IV. — MÉLANGES d'Archéologie et d'Histoire (publiés par l'Ecole fran-
çaise de Rome.) .Paris, Thorin, Rome, Spithœver. In-80, 1881 et années suiv.
— Nous ne pouvons pas dire que nous approuvions la création de ce nouveau
recueil qui vient, se joindre au nombre, déjà trop grand chez nous,.des périodiques
sans spécialité. Les travaux qui y prennent place se rapportent, en eflfet, aux
sujets les'plus variés: l'antiquité grecque ou romaine, Thistoire, la littérature
et les arts du moyen âge et des temps modernes, y sont représentés. Il y a même
des comptes-.rehdus d'ouvrages nouveaux. Le seul point commun est que la
plupart des rédacteurs (non pas tous cependant) appartiennent à l'Ecole fran-
çaise de Rome. Mais l'unité doit consister dans la nature des travaux et non
dans la condition de leurs auteurs. Les mémoires d'érudition s'adressent à un
public très restreint, et ne sont assurés de parvenir à ce public qu'à la condition
d'être groupés dans des recueils spéciaux où on sait d'avance qu'on les trouvera.
Une publication 'périodique où toutes les branches de l'érudition sont confondues
ne prend place que dans les bibliothèques publiques ou dans les bibliothèques
privées de personnes qui n'ont pas payé pour l'avoir, et qui, d'ordinaire, ne la
lisent pas. C'est ce qui arrive pour les Annales de Facultés qui se sont, depuis
quelque temps, multipliées sans profit pour personne, surtout pour le budget de
l'Enseignement supérieur. Nous observons d'ailleurs qu'en France comme en Al-
lemagne, l'accroissement immodéré des recueils érudits à périodicité plus ou
moins régulière n'est pas un signe certain des progrès et des besoins réels de la
science. Les innombrables périodfques dont nous sommes inondés surexcitent la
production et provoquent la mise au jour de travaux hâtifs, que des rédacteurs
en chef à court de copie acceptent trop facilement, et qu'on regrette d'avoir lus.
Nous ne dirons pas que tel soit le cas des Mélanges de l'École de Rome, qui sont
presque entièrement rédigés par des jeunes gens sortis de l'École normale, de
l'École des Chartes, ou de l'École des hautes études, tous exercés aux bonnes
méthodes et animés du désir de faire des découvertes. Mais nous aurions autant
de plaisir et plus de commodité à lire leurs écrits dans les périodiques auxquels
les destinait la spécialité de chacun d'eux. Voici l'indication des mémoires qui
peuvent intéresser les lecteurs de la Romania.
PERIODIQUES in
I (1881), 2^9-65, A. Thomas. Un manuscrit de Charles V au Vatican^ notice
suivie d'une étude sur les traductions françaises de Bernard Gui. Le ms. 697 du
fond de la Reine au Vatican contient l'exemplaire unique, jusqu'à présent,
d'une verston française de divers opuscules de Bernart Gui exécutés pour
Charles V par le carme Jean Golein, de qui on connaît depuis longtemps d'autres
travaux. Le ms. même sur lequel M. Th. appelle pour la première fois l'atten-
tion a été fait pour la librairie de Charles V. M. Th. signale en passant divers
mss. latins de Bernart Gui, jusqu'ici non étudiés. C'est un travail intéressant
et bien fait qui sur certains points complète le grand mémoire de M. L. Delisle
sur Bernart Gui. Un fac-similé en héliotypie du premier feuillet du ms. de Jean
de Golein est joint à la publication. — II (1882), pp. 113-35 ^^ 43 ^^o,
A. Thomas, Extraits des archives du Vatican pour servir à l'histoire du moyen-dge.
Certaines parties de ce travail, riche en faits nouveaux, ont été publiés d'abord
dans h Romania^ X, 321, "XI, 177. Nous avons annoncé l'ensemble de la publi-
cation, d'après le tirage à part, ci-dessus, XIII, 493. — V. (1885), p. 25-80, E.
Langlois, Notice du manuscrit Ottobonien 2523. Ce ms., exécuté dans le nord de
la France entre 1450 et 1460, contient un recueil très varié de pièces françaises
en prose et en vers, ayant en général un caractère religieux. M. L. a fait de
louables efforts pour joindre à sa description les renseignements bibliographiques
qu'elle comportait, mais il est visible qu'écrivant à Rome, les conseils et les
livres lui ont manqué. On remarquera entre les morceaux contenus dans le ms.
Ottoboni un texte assez développé de l'épître de la Saint-Étienne (n» IX); une
« Desputoison de Dieu et de sa mère » (n° X) en 198 vers, dont le texte est
donné en entier par M. Langlois. Si la date indiquée au v. 116 est correcte, ce
petit poème aurait été composé vers 1 417. Citons encore une nouvelle patenôtre
de saint Julien fn"XI), cf. Romania, XI, 577; une nouvelle copie (n" XIII) ducom-
put dont j'ai publié (ce qu'a ignoré M. L.) trois textes distincts dans le Bulletin
delà Société des anciens textes, 1883, pp. 80 et 102; un nouveau textedes« dix
souhaits» connus déjà parla publication de M. Ritterdans le Bulletin précité,
année 1877. — P. i 10-4, E. Langlois, La somme Acê. Notice du ms. 1063 du
fonds de la reine Christine au Vatican, déjà décrit, mais d'une façon bien impar-
faite par le professeur Brunner dans la Nouvelle Revue historique du droit français
et étranger.
P. M.
V. — Anxuaire de la Faculté des lettres de Lyon, troisième année,
fasc. I, 1885. — P. 163-192. L.Clédat, L(7 Chronique de Salimbcne. Collationde
l'édition de Parme. 1° Les cinquarte premières pages. Cette collation justifie l'opi-
nion déjà exprimée par M. Clédat que les morceaux omis dans l'édition de
Parme n'ont pas. en général, une grande ûnportance. Ce sont ordinairement des
citations bibliques accumulées à tout propos et hors de propos. Néanmoins, il
est essentiel, pour que la chronique recouvre sa vraie physionomie, que les par-
ties omises soient rétablies. C'est ce qui aura lieu dans une future édition dont
la publication prochaine est annoncée. Mais nous ne voyons pas bien l'intérêt
qu'il peut y avoir à imprimer dans une revue une suite de passages sans valeur
pour quiconque n'a pas sous les yeux l'édition de Parme. Nous le voyons d'au-
I 54 PÉRIODIQUES
tant moins que la collation ne s'étend qu'à une faible partie de l'ouvrage. Jusqu'à
la page 177 M. Clédat indique les sources des citations bibliques. Delà page 178
à la p. 192 il s'abstient. Les renvois sont disposés d'une façon singulière. Pourquoi
citer pour la Bible « l'édition Didot »? A quoi bon avertir le lecteur de» ne pas
confondre V Ecclésiastique^ autrement dit la Sapientia Sirach, avec VEccIe-
siaste » (p. 167)?
P. M.
VI. — Revue critique, avril-décembre 1885. — Art. 59. Gay, Glossaire
archéologique du moyen âge et de la Renaissance (H. de Curzon). — 60. Scheler,
Etude lexicographique sur les poésies de Gillion le Muisit (A. Delboulle). — 87.
Thomas, Francesco da Barberino et la littérature provençale en Italie (Ch. J.). —
92. G.Meyer, Essays undStudien zur Sprachgeschichte und Volkskunde (V. Henry).
— too Catalogue de la bibliothèque de feu M. J. de Rothschild (T. de L. ; ou-
vrage capital, sans parler des temps plus modernes, pour la littérature du
xve siècle). — 119. Thomas, De Joannis de Monsterolio vita et operibus (Ch.
J.). — 136. Documents bas-tatins, provençaux et français concernant la Marche et
le Limousin p. p. Leroux, Molinier et Thomas, H (A;. — 148. Gaster, Litera-
tura populara romana (E. Picot : article important). — 157. Armitage, Sermons
du xiP sikle en vieux provençal (A. Thomas). — 160. Godefroy, Dictionnaire de
l'ancienne langue française, \t\.ivt F (A. Jacques). — 161. Schuchardt, Slawo-
deutschesund Slawo-italienisches{L. L.). — i66.Toubin, Dictionnaire étymologique
et explicatif de la langue française (A. Delboulle : absurde; cf. Rom. XIV, 633).
— 204. Eraclius, deutsches Gedicht des Xll.Jahrhunderts., hgg. vonGraef (A. Chu-
quet : remarques sur le rapport du poème allemand à son original irançais). —
218. Godefroy, Dictionnaire de l'ancienne langue française., lettres G et H (A.
Jacques). — 240. Kluge, Etymologisches Wœrterbuch der deutschen Sprache {]tzn
Kirste .• article intéressant sur un livre qui a de l'importance aussi pour les
études romanes).
CHRONIQUE.
Le 19 octobre 1885 la Hollande a perdu un de ses savants les plus illustres
et les plus estimés, M. le D"" Jonckbioet, décédé à Wiesbaden,oiJ il avait espéré
pouvoir consacrer un séjour d'hiver à terminer la y édition de son Histoire de la
littérature néerlandaise. M. Jonckbioet a laissé à tous ceux qui l'ontconnu le sou-
venir d'une des natures les plus richement douéesqu'on pût voir, d'un esprit qui sa-
vait varier ses occupations à l'infini sans jamais se départir de la rigueur de sa
méthode detravail. Néen 1817, à la Haye, il s'était fait inscrire en 1835 à l'uni-
versité de Leyde comme étudiant en médecine ; après avoir passé à la Faculté
de droit, il s'arrêta définitivement à l'étude de la langue et de la littérature na-
tionales et soutint en 1840 une thèse latine sur \e S piegkcl historiacl de Lodewyk
van Velthen. Il représenta successivement ces études, comme titulaire d'une
chaire de lettres néerlandaises, à l'ancien « Athénée illustre» de Deventer (1847),
à l'université de Groningue (1854-64) et à celle de Leyde (1877-84). Pendant
ces différentes périodes d'activité scientifique il publia de nombreux textes
moyen-néerlandais, tels que \t D'ut su doctrinale (1842), le Lancelot (1846-48),
le iValcmin 11846-48), le Dietsce Caloen (1845), le Renart ('< Van den vos Rei-
naerde », 1856), Beatrys et Carel ende EUgast (1859). Son histoire de la
poésie moyen-néerlandaise [Gesch'udenis der Midden-Ncderlandscht dichtkanst,
4 vol., 1849 a 1855), fut écrite à une époque oi!i les études des littératures du
moyen âge n'avaient encore acquis ni l'étendue ni la précision qui leur ont été
données plus tard. Aussi ce livre, si intéressant et si remarquable pour l'époque où
il fut écrit, a-t-il perdu aujourd'hui beaucoup de son importance et de sa valeur.
On doit regretter que M. Jonckbioet n'ait plus trouvé le temps, dans sa vie
si occupée, de le refondre et de le renouveler. A l'époque où il aurait fallu faire
ce travail, son attention s'était plutôt concentrée sur la littérature néerlandaise
du XVII'' siècle, qu'il connaissait à fond. Cependant l'auteur a voulu dédommager
son public en donnant, dans les trois éditions successives de son histoire de la
littérature néerlandaise \Geschiedtnis der Nederlandsche Lctterkunde ; la 1" édition
est de 1866-70, la 2« est de 1872, la ?« se publie depuis 1881), une place tou-
jours plus grande à la littérature du moyen âge, reprenant les questions du
Graal, de Renart et d'autres, et les discutant à nouveau en utilisant les dernières
recherches des savants allemands et français.
1^6 CHRONIQUF
Dès qu'il eut entrepris l'étude des lettres néerlandaises du moyen âge,
M. Jonckbloet comprit que ces études touchaient de trop près à celles delà litté-
rature française de la même période pour qu'il lui fût possible, non seulement de
ne pas en prendre connaissance, mais encore de ne pas s'en occuper directement.
Au sortir des bancs de la Faculté, en 1841, il entreprit une série de voyages
scientifiques, visita plusieurs bibliothèques étrangères, et en rapporta assez de
copies d'anciens manuscrits français pour pouvoir donner successivement une
édition fort estimable du Roman de la CharcU (inséré au tome II du Lancdot
néerlandais) ; l'édition princeps de trois chansons de geste appartenant au cycle
de Guillaume d'Orange (2 vol. La Haye, chez Martinus Nyhoff, 1854) ^^ ^o"
Etude sur le roman de Renart (Groningue, Leipsig, Paris, 1863). C'est surtout
dans son Guillaume d'Orange que M. Jonckbloet, à une époque où les éditions
des vieux textes français se faisaient plutôt au point de vue des questions d'histoire
littéraire qu'au point de vue de la linguistique, a produit un travail remarquable
par les vues ingénieuses de l'auteur, et dont il devra être tenu compte dans toute
étude ultérieure de ce cycle intéressant. [Député à la seconde chambre des Etats
généraux de 1864 à 1877, M. Jonckbloet prit une part active à l'élaboration de
la nouvelle loi sur l'enseignement supérieur dans les Pays-.Bas en 1876, et
essaya même à cette époque, sans succès, de faire créer à Leyde une chaire de
langues romanes. Ses nombreux travaux, ses fréquents voyages avaient valu à
M. Jonckbloet de précieuses relations à l'étranger. Il était membre correspondant
de l'Académie des sciences de Berlin et prenait une part active aux travaux de
la Société des Flamands de France. Le gouvernement français avait reconnu ses
mérites en lui conférant la croix de chevalier de la Légion d'honneur. Nous sommes
heureux de consacrer ici un souvenir sympathique et reconnaissant à l'aimable
savant hollandais que plusieurs romanistes français orit eu le privilège de
connaître personnellement et qui a été l'initiateur des études romanes en Hol-
lande. — A. V. H.
— M. Henry Bradshaw, bibliothécaire de l'Université de Cambridge, est
décédé subitement le 12 février 1886 à l'âge de 55 ans. C'était un savant
d'une érudition très variée, mais qui se résignait difficilement à publier le fruit
de ses études. L'amour de la recherche le dominait et lui rendait pénible le labeur
de la mise en œuvre C'est ainsi qu'il avait fait sur Chaucer des travaux consi-
dérables qu'il n'a jamais rédigés, et ce n'est que par le témoignage de ses amis
que certains des résultats auxquels il était arrivé ont été connus. Il était
l'homme d'Angleterre qui savait le mieux l'histoire des anciennes bibliothèques
delà Grande-Bretagne, et en général la bibliographie anglaise. Les origines de
l'imprimerie avaient été aussi l'objet de ses recherches. Ses publications, en
général peu étendues, ne donnent qu'une idée très imparfaite de la variété de
ses connaissances. Il est du reste à peu près impossible d'en former une col-
lection complète, car elles consistent généralement en documents inédits ou en
très courts mémoires qui ont paru dans des recueils peu répandus, ou même ont
été imprimés à part sans être mis dans le commerce. Bradshaw, qui dès l'ori-
gine fit partie, comme membre perpétuel, de la Société des anciens textes fran-
çais, a fait quelques publications qui touchent à nos études. La plus importante
CHRONIQUE • I 57
est est son mémoire sur les mss. Vaudois de la Bibliothèque de l'Université de
Cambridge, qui a été réimprimé par Todd dans son livre intitulé The books of
thc Vaudûis (London, 1865^ Bradshaw était un homme d'un esprit élevé et
droit. Sa mort prématurée laissera à ceux qui l'ont connu de profonds regrets.
— M. Wilmotte, ancien élève de l'Ecole des Hautes Etudes de Paris, vient
d'être chargé d'un cours de philologie romane à l'Ecole normale des Humanités
de Liège. M. Wilmotte achève en ce moment un travail sur la dialectologie
ancienne de la province de Namur.
— La Société des anciens texfes français vient de mettre en distribution le
tome II de l'édition des œuvres poétiques de Philippe de Rémi, sire de Beau-
manoir, publiées par M. H. Suchier. Ce volume' appartient à l'exercice de 1885,
qui sera prochainement complété par deux autres publications.
— Livres adressés à la Romania :
Discours prononcé à l'assemblée générale de la Société de l'histoire de France, le
26 mai 1885, par M. L. Delisle, président de la Société. (Extrait de
y Annuaire-Bulletin de la Société de l'histoire de France, année 1885). Paris,
Renouard. In-8, 60 pages et une planche. — Ce discours mérite ici une
mention spéciale pour plus d'un motif. D'abord l'éminent directeur de la
Bibliothèque nationale y met en lumière l'intérêt qu'offre pour l'histoire du
XV" siècle la collection A. de Bastard, récemment donnée à la Bibliothèque
11 s'y trouve nombre de pièces (provenant en général des archives de la
Chambre des Comptes} qui sont à consulter pour l'histoire de la littérature
des derniers temps du moyen âge et de quelques-unes des plus célèbres
bibliothèques de ce temps'. En outre M. D. signale et décrit, dans un
appendice à son rapport, un bien curieux recueil de poésies latines rythmiques
écrit en P>ance au xiii" siècle, et qui, conservé actuellement à la Lau-
rentienne , n'avait été indiqué que fort sommairement dans le catalogue
de Bandini 2. Les pièces qu'il renferme, et qui sont au nombre de plus de
quatre cents, appartiennent à des genres très divers. Elles sont anonymes,
mais il a été facile à M. D. de constater que plusieurs se retrouvent ailleurs
sous le nom du chancelier Philippe de Grève. Ce ms., dont le contenu est
maintenant parfaitement connu, grâce à la description de M. Delisle, apporte
à l'histoire, toujours à faire, de notre poésie latine rythmique un contingent
considérable de faits nouveaux ?.
1. M. Delisle vient de publier un inventaire détaillé de cette précieuse collection sous
ce titre ; Les collections de Bastard d'Estang à la Bibliothèque nationale, catalogue ana-
lytique. Nogent-le-Rotrou, imprimerie Daupelcy-Gouverneur, iSSj, in-8, xxij- 5 38 pages.
2. Au tirage à part est joint un fac-similé en photogravure de deux pages du ms.
i- La publication de M. Delisle a appelé l'attîntion sur un ms. d'Oxford, un peu
plus ancien que celui de Florence, et contenant un grand nombre de pièces rythmiques,
dont quelques-unes se retrouvent dans le recueil de la Laurentienne. M. F. Madan, sous-
bibliothécaire de la Bodléienne, a adressé à M. Delisle une t^ble de ce ms. qui a été
publiée dans la Bibliothèque de l'Ecole des Chartes, XLVI (1885), 382- j.
158 CHRONIQUE
I Trovatori nella marca Trivigiana. Studio di Tommaso Casini. Bologna, i88j.
In-8, 41 pages (Extrait du Propagnatore^ t. XVIII). — Mémoire fait avec
soin et intelligence, et oij il n'y aurait qu'à louer si l'auteur était plus fa-
milier avec la langue des troubadours. Selon un usage qu'on ne saurait trop
approuver, M. Casini joint une traduction à chaque pièce provençale qu'il
cite, mais ces traductions laissent singulièrement à désirer, et parfois les
conclusions historiques queprésente l'auteur se fondent sur des interprétations
erronées. On peut compter en moyenne un ou deux contre-sens par strophe
traduite. Quelques-uns de ces contre-sens sont terribles, par ex. dans la
pièce de Hugue de Saint-Cirq Lonjamen, le vers Lo cnms a tan coiregut
traduit par a il delitto a tanti cuori tcnuti »! M. C. lit en effet cor regut en
deux mots, et croit bonnement que regut est provençal. Le plus grave est
que les éditions antérieures donnaient la bonne leçon correguL Ceci doit
mettre en garde contre les corrections que M. C. fait à ses textes, souvent
sans même avertir le lecteur. Ainsi, p. 24, il ne dit pas qu'au vers 19 de la
pièce Canson ^ue[s] leu per entendre il a corrigé ci du ms. en 5/; mais dans le
ms. corrigé (fr. 1 521 1) ci veut dire ijni^ de sorte que le vers doit être lu :
£, Q.UI lam blasma^ défendre. Il y a bien d'autres fautes dans la même pièce;
mais la plus maltraitée de toutes les poésies publiées dans ce mémoire est
certainement celle de la p. 14, Una danseta vodl far.^ dont M. C. n'a pas
compris une seule phrase. 11 n'a pas vu (non plus du reste que M. Bartsch,
Ztitschr. f. rom. Phil. II, 198) que le refrain devait être détaché des
vers qui précèdent, et il a eu le tort de rendre inintelligible par d'intem-
pestives corrections des passages qui sont fort clairs dès qu'on sait que Ve$lai
et Anonai (au dernier couplet) sont des noms de lieux fort connus.
Lt rime provenzali di Rambertino Buvalelli trovatore bolognese del sec. XIII.
Firenze, 1885, in-8, 32 pages. — Cette publication, qui est fort élégam-
ment imprimée, a pour auteur M. T. Casini, auteur d'un mémoire sur Bu-
valelli et ses poésies, qui a paru en 1880 dans le Propugnatore. Ce mémoire
contenait en appendice le texte des pièces de ce troubadour. Nous fîmes
alors remarquer (Romûn;<7, IX, 632) que le texte et le commentaire laissaient
parfois à désirer. Actuellement M. C. nous offre des mêmes poésies une
nouvelle édition incontestablement améliorée, mais encore assez fautive, et
de plus une traduction italienne certainement littérale, mais cependant peu
fidèle. Comme dans la dissertation ci-dessus annoncée, les contre-sens y sont
nombreux, et nous croyons que M. C. a encore des progrès à réaliser avant
d'être en état de faire le recueil des poésies provençales dues à des trou-
badours italiens qu'il annonce dans son avertissement.
A, -M. Elliot, Contributions to a History of the french lenguage oj Canada
(Reprinted from American Journal of Philology, vol. VI, n" 2). — M. Elliot,
professeur de langues romanes à Baltinfore, donne un aperçu des recherches
qu'il a commencées sur l'état du français au Canada, et qui paraissent devoir
être fécondes en résultats. L'essay qu'il publie actuellement contient beaucoup
de remarques inféressantes sur les éléments dont se compose la partie de la
population qui parle actuellement français, et sur les progrès étonnants de
la langue française dans le bas Canada.
CHRONIQUE 1 59
Frants Villon', Dct stort Testament. Forfattet i aanl 1461. Oversat paa rimede
versaf S. Broberg. Copenhague, 1885, 126 p. petit in-8. — Traduction,
la première qu'on ait tentée en aucune langue, sauf en anglais, d'un choix
des poésies de Villon. M. Broberg, qui s'est fort bien acquitté de son travail
comme traducteur, a en outre accompagné son petit volume d'une intro-
duction générale sur Villon, où il y a trop de généralités contestables, et
de quelques remarques explicatives qui auraient dû être plus nombreuses.
- Kr. N.
Die àltestt Schilderung vom Fegefeur des hdligen Patricius (von) Johann
EcKLEBEN. Halle, Heudel, 1885, in-8 de 828 p. (dissertation de docteur).
— L'auteur annonce que son travail complet paraîtra prochainement à
Halle chez Niemeyer.
Libro de los Fechos e Conquistas de! principado de la Morea, compilado por
comandamiento de Don Fray Johan Ferrandez de Heredia, maestro de|
Hospital de S. Johan de Jérusalem. Chronique de Morée aux xm« et xiv«
siècles, publiée et traduite pour la première fois par Alfred Morel-Fatio.
Genève, imprimerie de Guillaume Fick, 1885, in-8, lxiii, 177, 160 p.
(publication de la Socicic de l'Orient latin). — Outre son intérêt historique,
qui n'est pas de premier ordre, le Libro de los fechos étant essentiellement
une nouvelle version du Livre de la conquête de Morée, cette publication a
une véritable importance philologique, comme nous, fournissant un texte
ancien et étendu du dialecte aragonais au xiv» siècle.
Notice sur le livre de Barlaam et Joasaph, accompagnée d'extraits du texte grec
et des versions arabe et éthiopienne, par H. Zotenberg. Paris, Maison-
neuve, 1886, in-4, 166 pages (tiré des Notices et Extraits des manuscrits de
la Bibliothèque nationale.^ t. XXVIIl, i" partie). — Dans cet important
mémoire, dédié à Paul Meyer, l'auteur prouve que le roman de Barlaam et
Joasaph n'est pas de saint Jean Damascène et qu'il a été rédigé, probable-
ment entre 620 et 634, par un moine de Saint-Saba près de Jérusalem. Il
e.xamine le rapport de l'histoire de Joasaph avec les diverses versions de la
légende de Bouddha qui en est la source, et présente des observations sur
les traductions orientales du roman grec. Dans l'Appendice, outre des
extraits des versions arabe et éthiopienne, on trouvera une édition critique
du texte grec des paraboles insérées dans le roman.
Der Roman de Mahomet von Alexandre du Pont., eine sprachische Untersuchung...
von Richard Peters. Gottingen, Dietrich, in-8, iv-86 pages (diss. de
docteur d'Erlangen). — Monographie très faible, d'un auteur auquel on a
indiqué les modèles à suivre, et qui n'a pas su en tirer parti. Les erreurs
abondent et le dépouillement n'est ni complet ni bien ordonné. On doit louer
l'auteur d'avoir fait rentrer dans son travail l'étude de la syntaxe, d'autant
plus que cette partie du mémoire est la moins défectueuse. Pour la phoné-
tique, bornons-nous à dire que d'après M. Peters (p. 9) chortem devrait
donner cort, qu'il voit dans mariée (p. 18) une exception à la contraction
de iee en />, qu'il regarde le ng de tesmoing (p. 21) comme une notation de
{1, et qu'il admet ip. 41) que iw(7=z videt peut compter pour deux syllabes.
l6o CHRONIQUE
Il déclare d'ailleurs à tort la langue du copiste identique à celle de l'auteur
du poème, ce qui donne à tout son travail une fausse direction.
Recueil de morceaux choisis en vieux français par Eugène Ritter, professeur à
l'université de Genève, seconde édition. Genève, Georg, 1885, in- 12, viii-
128 p. — Réunion de quinze morceaux en vers et en prose, sans notes
ni glossaire; simple recueil pour explications.
Adgars Marien-Legenden, nach der Londoner Handschrift Egerton 612 zum
ersten Mal vollstaendig herausgegeben von Cari Neuhaus. Heilbronn, Hen-
ninger, i886, in- 12, xvi, xlviii, 259 p. — Cette édition, faite d'après un
manuscrit unique collalionné avec soin, est surtout intéressante par l'étude
des sources; la langue d'Adgar, écrivain anglo-normand du xii" siècle, a été
étudiée ailleurs par M. Rolfs (voy. Rom. Xll, 132). M. Fôrster a joint à
l'édition, outre le vocabulaire et des remarques critiques, une introduction
qui consiste surtout dans la reproduction d'un article- ancien sur la métrique
anglo-normande. C'est un sujet fort discuté depuis quelques années (voy.
ci-dessus, p. 144); disons seulement, quelque opinion qu'on puisse avoir
sur l'ensemble de la question, que les vers d'Adgar ont certainement été
faits pour être des vers de huit syllabes, et ne manquent leur but que par
la faute du copiste, ou, rarement, celle de l'auteur.
Sir Gonther. Eine englische Romanze aus dem XV Jahrhundert, kritisch heraus-
gegeben nebst einer litterarhistorischen Untersuchung ùber ihre Quelle
sowie den gesamten ihr verwandten Sagen-und Legendenkreis, mit Zugrun-
delegung der Sage in Robert dem Teufel, von Karl Breul. Oppein, Franck,
1886, in-8, xvi-241 p. — La partie de cet excellent ouvrage qui nous in-
téresse le plus est le chapitre V (p. 45-134), consacré à la légende qui fait
le sujet de Sir Gowlher, légende très voisine de celle de Robert le Diable.
M. Breul étudie cette légende dans toutes ses formes avec beaucoup de science
et de pénétration. Il montre qu'elle n'a rien d'originairement normand
(cf. Rom. IX, 523), et il y voit la transformation chrétienne d'un vieux conte
mythologique; sur cette dernière partie, il y aurait peut-être à faire quelques
réserves de détail, mais l'absence de tout fond historique est parfaitement
mise en lumière. Nous pensons que le nom de Robert donné au héros de la
légende est antérieur à la localisation de cette légende en Normandie, et
qu'il a donné lieu à cette localisation de se produire. Une très riche biblio-
graphie et un appendice contenant dix textes relatifs à Robert le Diable ter-
minent cet intéressant volume.
Le Propriétaire-gérant : F. VIEWEG.
ImprimeHe Durand, à Chartres.
NOTICE D'UN MS. MESSIN
^Montpellier 164 et Libri 961
Entre les manuscrits de la collection Libri signalés en 1883 par
M. Delisle comme ayant été dérobés à plusieurs de nos bibliothèques
publiques, et qui par suite, n'ayant été acquis ni par le gouvernement
anglais ni par le gouvernement italien, sont restés en la possession de
M. le comte d'Ashburnham, se trouve un portefeuille décrit ainsi qu'il
suit sous le n" 96 du catalogue des mss. vendus par Libri, en 1847, au
feu comte d'Ashburnham :
Varia, x" Oraiiones ad missam. 2° Vita Sanctorum. 3» Capitulationcs de
Marscilla de l'an 1257 et de l'an 1262. 4° Ci après exent ' li terre Prestre Jehan.
Manuscrit sur vélin, in-folio, de diverses époques et de différentes mains. Le
le"" 2 est à deux colonnes, du ix"' siècle, avec unegrande lettre initiale en couleurs
au commencement. Le 2'^, également à deux colonnes, est du xiv>= siècle. Le 3%
à longues lignes, est en provençal, d'une écriture du xv« siècle. Le 4'', écrit à
deux colonnes, est du xiv'^ siècle.
Ce recueil se compose donc de quatre fragments qui n'ont aucun
rapport les uns avec les autres. Ce sont des débris.
Le savant directeur de la Bibliothèque nationale a établi que le
premier et le plus ancien de ces quatre morceaux a été arraché au ms.
122 de la Bibliothèque d'Orléans h L'origine des trois autres morceaux
1. Libri a mal lu. Il faut lire enxeut {^=z ensuit).
2. Sous-entendu « article ».
3. Nûlice sur plusieurs mss. de la Bibliothèque d'Orléans., dans les Notices et
Extraits des mss., XXXI, première partie, p. 370 (p. 14 du tiré à part). Cf.
Les mss. du comte d'Ashburnham, Rapport au Ministre de l'Instruction publique,
p. 21.
Romania, XV 1 1
102 P- MEYER
n'a pas encore été déterminée. On a pu légitimement supposer qu'ils
avaient été détachés de manuscrits appartenant à nos bibliothèques. Leur
apparence et le voisinage compromettant des feuillets arrachés au ms,
d'Orléans favorisent cette supposition. Il y a lieu notamment de croire
que le troisième article [capitulations de Marseille), où se lisent quelques
mots de la main de Peiresc, a été pris à Carpentras, où Libri a tant
volé '.
Quoi qu'il en soit des fragments 2 et 3, j'apporte présentement la
preuve que le quatrième morceau a été pris dans un manuscrit de la
Bibliothèque de l'Ecole de Médecine de Montpellier. Mais d'abord il
convient de décrire ce fragment. Il se compose de douze feuillets écrits
d'une grosse écriture gothique penchée de la fm du xiv siècle, à deux
colonnes par page, et numérotés anciennement jiii''^ et ij à iiij''^ et xiij.
Les dimensions du parchemin sont 0,323 pour la hauteur et 0,246
pour la largeur. Ces douze feuillets forment deux cahiers, l'un de quatre
feuillets doubles, l'autre de deux. Ils contiennent trois opuscules écrits en
français, ou plutôt en dialecte messin : 1" la lettre du prêtre Jean ; 2" un
morceau sur les litanies ; 3" une consultation médicale sur le traitement
de la goutte. Les deux premiers de ces opuscules sont écrits à 39 lignes
par colonne, le troisième à 35 .
Muni de ce signalement, et m'étant gravé dans la mémoire la form.e
de l'écriture, j'étais en mesure de reconnaître le ms. d'où ces feuillets
avaient été arrachés si la fortune me le faisait passer sous les yeux. Une
circonstance notable me permit d'aider la fortune. En tête du troisième
des opuscules ci-dessus énumérés, la consultation médicale, était écrite
cette rubrique: Por lez- goutte S'' lehan à'Aix. Or dans le catalogue des
manuscrits de l'Ecole de médecine de Montpellier 5 se lit un article
ainsi conçu :
1. J'ai copié en 1867 à .Ashburnhamplace le début de ce morceau. Le
voici:
Capitulations de Marseille, mcclvii c mcclxii. {Ces mots en capitales sont de la
main de Peireso
En nom de nostre senhor Jhesu Christi, sia a ment, l'an de la incarnacion .Mcclij., la indicion XV«,
a .iuj. nonas Junii, sia manifest a! touts pressens et esdevenidors, que, com entre lo noble e tresque
illustre senhor Karlle, filh del rey de França, comte d'Angieu e de Provenssa e de Forcalquier e mar-
ques de Provenssa, en nom d'el e de sa molher madama Beatris, tresque illustre conte.sa e marquessa
dels dis contas
En marge de la date, Peiresc a écrit Legendum Mcclvii. — On reconnaît à pre-
mière vue que ce document est la traduction, faite au xv<= siècle, d'un acte
latin. — Au fol. vij commence la traduction des statuts de Marseille (l'original
dans Méry et Guindon, II, 109 et suiv.).
2. Lez pour la: c'est du lor.'-ain.
5. Catalogue général des niss. des bibliothèques publiques des départements^
\
NOTICE d'un MS. messin ib]
N- 164. In-folio sur vclin. — i-^ « Ari.stote, don gouvcrnemant des rois. —
2° Ci Comacet 1 il passion Jhesu Crit. — xiv*-' siècle.
De l'oratoire deTroyes, donné par de Corberon en i~64. Il y a en U'ie les armoiries de Sire
Jehan d'Aix...
La mention des armoiries de sire Jehan d'Aix me donna à penser
que ce livre pouvait bien être celui dont avaient fait partie les feuillets
contenant la consultation relative à la goutte de sire Jehan d'Aix men-
tionnée plus haut. Sur ma demande le manuscrit me fut envoyé à Paris,
et je reconnus au premier aspect l'écriture et la langue du fragment con-
tenu dans le n" 96 de la collection Libri. Les dimensions sont les mêmes
de part et d'autre; le ms. de Montpellier est à deux colonnes et à 39
lignes par colonne. Enfin le dernier feuillet de ce ms. est numéroté iiij
et j, tandis que le premier des douze feuillets volés par Libri est numé-
roté iiij^'' etij. D'ailleurs l'examen de la reliure du ms. de Montpellier
montre avec évidence que plusieurs feuillets ont été arrachés à la fin. Il
ne peut donc rester aucun doute sur la provenance du fragment actuel-
lement conservé à Ashburnhamplace.
Je vais maintenant indiquer le contenu du ms. dans son entier,
Le ms. de Montpellier a conservé sa reliure originale, formée de deux
ais recouverts de cuir gaufré. Elle est endommagée par de nombreuses
piqûres de vers. Pour la protéger, le livre a été placé, à une époque
récente, dans un étui.
Il contient, en son état actuel, 58 feuillets paginés d'une main moderne,
précédés d'un feuillet de garde entièrement blanc qui n'est pas compris
dans la pagination. Les dispositions matérielles sont celles-ci:
Trois feuillets, le premier, resté blanc, n'est pas paginé, les deux sui-
vants sont numérotés i et 2 .
Cahier I, fï. 3 a 10.
Cahier II, ff. 11 à 18.
Cahier III, ff. 19 a 26.
Cahier IV, flf. 27 à 34.
Cahier V, ff. 35 à 42.
Cahier VI, ff. 43 à 50.
Cahier VII, fï. $ i à 58.
A l'intérieur du plat supérieur de la reliure est collé un feuillet de
parchemin au haut duquel on lit, d'une écriture qui parait appartenir aux
dernières années duxv* siècle:
. Lisez comancd.
164 P- MEYER
Plus" biais enssignement d'Aristotes fait a Alixandre, et plus" morallitez.
It., la passion notre S^
Il y ayt une table an cest livre, qui est devant l'istoire delà passion JhesuCrist'.
Les feuillets actuellement numérotés i et 2, qui sont d'anciens feuillets
de garde, sont en partie écrits. Le recto du premier est occupé entiè-
rement par une énumération, écrite au xv^ siècle, des vertus du gui de
chêne. En voici les premières et les dernières lignes :
C'est la vertus du wy de chelne.
Je Ypocras, le plux soverain maistre en médecine qui onquez fuit sur terre,
aix vehu en mon livre la vertu que le wy de chelne ait. Et est la millour made-
cine et maistrie qui onquez iuit. La premier vertu est qui que onque panrait^
de la corse du ,wy de chêne et la met en poure et en uset avec yauwe de
vie, il deschasset les fievrez cottidianez, lez autrez fievrez, les fievrez tiercennez
et les fievrez quartainnez
Item, celle parsone qui par l'espasse de .vij. ans maingerait du wy
de chelne a june, jamaix ne serait entachiet de la fort malladie. Et ont approvey
lez maistrez qui ci dessus sont escripz ^ la puissance que le dit wy de chelne
ait.
Le wy de chelne, nous l'appelions par de sa le wix, que croist sus ung chelne,
maix d'autre arbe il n'est point vertuous, fors que cil que croist sus le
chelmez (sic). Et pour tant l'apellet on wy de chelne ou guy de chêne. Et
duquel boix ons en met dedens lez anelz d'argent ou d'or pour touchier au vis,
et en font on 4 dez patenostrez, et lez portent on pars médecine et par la grant
vertut qu'il portet, comme dessus est dit.
Le verso est blanc, comme aussi le recto du feuillet 2. Au verso
du feuillet 2 se lit une table sommaire écrite de la même main que
les notes du feuillet collé sur le plat. Elle est ainsi conçue :
Il y ait une table en cest Ibr., .iiij. fueillet devant l'istoire la passion nostre
S"" Jesucrist, et qui est nombrée et signée, laquelle deust estre sy devant ou a la
fin darier de ce livre.
It., a premier plus" bialz dis et enssignemens d'Aristotes fait a Allixandre,
et plus" belles moralitez pour le cor et pour l'armes.
1. Au-dessous de ces lignes, au milieu du parchemin, est collée une gravure
des armes du sieur de Corberon à qui le ms. a appartenu et qui l'a donné à
l'Oratoire de Troyes.
2. Forme lorraine, « prendra ».
5. Hippocrate et Constantin.
4. On trouvera plus loin (p. 171) un autre ex. du verbe au plur, avec on
pour sujet : lez pouront on.
5. Ou ;7£r : il y a un /? barré.
NOTICE d'un MS. messin 165
It., la passion Nostre S"" Jesucrist.
It., plus" altres choses après.
It. , plus" belles et bonnes dotrines de régimes et medecinnes, tant pour le cors
comme pour l'armes que sont nécessaire a savoir.
It., la vertus du guis de chelnes est sy devant escriptes.
Au bas du feuillet, et toujours de la même écriture, on lit les deux
couplets dont je donne le fac-similé et la transcription :
Quant les vivans s'amanderont,
Toutes mes trompes tromperont.
Ma trompe sonnera haulx ton
Quant le monde devendra bon.
On voit que le mot souligné, dans chacun des deux couplets, n'est pas
écrit : il est figuré par un dessin rudimentaire qui apparaît déjà sur le
feuillet adhérent au plat, et dans lequel on doit reconnaître sans hésita-
tion une guimbarde ou trompe d'Allemagne. Il n'y a aucun doute sur la
signification de ce dessin qui est un indice certain de la provenance du ms.
C'est l'emblème bien connu d'une famille qui tint un rang considérable
à Metz du xiv« siècle au xvi% la famille d'Escli dont le nom est écrit
dans notre ms. d'Aix '.
M. Bonnardot a signalé le même dessin en plusieurs endroits du ms.
189 de la Bibliothèque d'Epinal dont il a donné une description détaillée
dans le Bulletin de la Société des anciens textes français, année 1876, pp.
64 et suiv. Il y a plus : M. Bonnardot a cité d'après ce même ms. deux
1 . Metzeresche, commune du canton de Metzerwisse, ancien arrondissement
de Thionville ; voy. S. Berger, La Bible française au moyen âge, p. 41 .
l66 p. MEYER
distiques (p. 65) qui sont, sauf une variante insignifiante ', identiques à
ceux qu'on vient de lire. Le ms. d'Epinal est de diverses mains. La
partie la plus récente contient, entre autres, une pièce qui a dû être écrite
en 1462. M. Bonnardot (p. 66) attribue cette partie du ms. d'Epinal à
Philippe II d'Esch, maître échevin de Metz en 1 46 1 , qui mourut en 1 477 ^.
Cette attribution paraît conjecturale. Du moins M. Bonnardot l'énonce
sans la démontrer. N'ayant pas vu le ms. d'Epinal, j'ignore si les deux
distiques sont de la main qui a tracé ces mêmes distiques sur le ms. de
Montpellier. Ce qui est sûr, c'est que l'écriture dont on a vu ci-dessus un
spécimen n'est pas celle de Philippe d'Esch. C'est celle d'un autre membre
de la même famille.
Le ms. de Montpellier, en effet, et celui d'Epinal, ne sont pas les
seuls livres connus pour avoir appartenu aux d'Esch. M. Bonnardot
(p. 6$, note) a signalé, comme ayant la même provenance, les ms.
^, 161, 195, 302, 403 de la bibliothèque de Metz, et on peut ajouter
à cette liste le ms. 2083 de l'Arsenal contenant une version française
des épitres et évangiles, décrit par M. S. Berger dans son livre intitulé
La Bible française au moyen âge, p. 36 5. Or, le ms. de l'Arsenal a certaine-
ment appartenu au même possesseur que le ms. de Montpellier. A la
vérité, les vers ci-dessus rapportés ne s'y trouvent pas, mais on y lit,
au premier et au dernier feuillet, ces mots, dont l'écriture est certaine-
ment celle que fait connaître le fac-similé donné plus haut ; Espoir en
Dieu, Esch ; a Jaiques. Au devant de cette note est dessinée à la plume
la guimbarde. Au verso du premier feuillet est peint Técu armorié dont
la présence a été signalée dans le ms. de Montpellier. Il est donc incon-
testable que les deux mss. ont appartenu au même personnage, Jacques
d'Esch, et ce Jacques devait être, comme l'a déjà dit M. Berger décrivant
le ms. de l'Arsenal, Jacques d'Esch, seigneur de Bazoncourt et des
Etangs, mari de Françoise de Gournai, mort en 14895.
Reprenons maintenant l'examen du ms. de Montpellier :
Avec le feuillet 3 qui est le premier du premier cahier, commence le
ms. proprement dit. Dans la marge supérieure sont peintes les armoiries
bien connues de la famille d'Esch : l'écu fascé de dix pièces d'hermine
et de gueules-^. Au-dessus on a écrit, au siècle dernier : « Armoiries du
Sire Jehan d'Aix. » Nous verrons plus loin qui était ce Jean d'Aix.
Dans la marge inférieure apparaît de nouveau la guimbarde, cette fois
peinte en rouge.
1 . M. Bonnardotalu5'«?(;?fro.'!/,làoùlems.deMontpellierporte5'am^rt(/(.TOrt/.
2. Voir Hannoncelles, Metz ancien, II, 64.
]. Hannoncelles, Metz ancien, II, 64-8.
4 II est reproduit dans le Metz ancien du président d'Hannoncelles, II, 64.
NOTICE d'un MS. messin 167
L'ancienne pagination, qui se poursuit, comme on l'a vu plus haut,
dans le fragment dérobé par Libri, commence au fol. 17 de la pagina-
tion actuelle, et elle débute par le n" xl, se poursuivant régulièrement
depuis lors. On ne s'explique pas d'abord pourquoi on a fait commencer
ainsi cette pagination, étant d'ailleurs certain qu'il n'y a aucune lacune,
ni à cet endroit ni entre les feuillets qui précèdent. Voici l'explication.
Au fol. 17 commence le chapitre xl du premier des articles contenus
dans le ms. ; au fol. 18 se trouve le chapitre xlj. On s'est avisé d'écrire
au haut de ces deux feuillets les chiffres xl et xlj, et ces deux numéros
sont devenus le point de départ d'une pagination qui a été continuée jus-
qu'à la fm du volume. Cette pagination paraît être de la main qui a écrit
les diverses notes du feuillet collé sur le plat delà reliure et du feuilleta,
Passons maintenant à l'analyse du manuscrit.
1.
Traduction du secretum secretorum.
On sait que le Secretum Secretorum a été depuis son apparition en
Occident, auxii« siècle, l'un des ouvrages les plus lus de la littérature
morale du moyen âge. Le texte latin se rencontre en iine infinité de mss.,
et a été plusieurs fois imprimé au xv'= siècle et au xvi" ; il en existe des
traductions en diverses langues romanes ; en français notamment on en
connaît plusieurs, soit en vers soit en prose, qui n'ont été jusqu'à ce jour
ni étudiées ni même simplement distinguées les unes des autres '. Il n'y
a pas lieu de traiter incidemment ici un sujet qui fournirait facilement la
matière d'un mémoire d'une certaine étendue; je donnerai toutefois un
court extrait de la traduction que renferme le ms. de Montpellier, puis
dans un appendice à la présente notice, je citerai à titre de rapproche-
ment quelques lignes d'autres traductions françaises en prose.
Voici d'abord le début des premiers paragraphes du texte latin, d'après
l'édition publiée à Bologne en 1501 :
(Fol. 2 a). Philosophorum maximi Aristoteiis Secretum secretorum, aiio
nomine liber moralium de regimine principum ad Alexandrum.
Domino suc excellentissimo et in cuitu christiane religionis strenuissimo Gui-
don] vere de Valentia, Tripoli glorioso pontifici 2, Philippus suorum minimus
clericorum, se ipsum et fidèle devotionis obsequium.
1. Dans un article du Jahrbach f. rom. u. engl. Literatur, X (1869), 162-4,
M. H. Knust a rassemblé un certain nombre de notes bibliographiques sur les
versions françaises du Secretum. C'est un travail dont il n'y a absolument rien à
tirer, étant exécuté presque entièrement de seconde main, d'après des catalogues
fort imparfaits, dont les indications n'ont pas été toujours comprises, et sans
aucun souci de distinguer les diverses traductions les unes des autres.
2. A. Jourdain {Rech. sur les anc. trad. ht. d'Aristote. i"^ édit., 1843, p. 147-
I68 p. MEYER
Quantum luna ceteris stellis lucidior et solis radius luciditate lune fulgentior,
tantum ingenii vestri claritudo vestreque scientie profunditas cunctos citra mare
modernos in iitteratura exuberat, tam barbaros quam latinos, nec est aliquis
^ane mentis qui huic sentenlie valeat refragari, quia cum largitor gratiarum, a
quo cuncta bona procedunt, singula suis dona distribuit, ubi soli videtur gra-
tiarum et scientiarum dona contulisse
(c) Deus omnipotens custodiat regem nostrum ad gloriam credentium, et con-
firmet regnum suum ad tuendam legem divinam suam, et perdurare faciat ipsum
ad exaltandum honorem et laudem bonorum (d) Quando enim Alexander
subjugavit sibi Perses et captivavit magnâtes, direxit epistolam suam ad Aris-
totelem sub hac forma : Doctor eggregie, rector justicie, significo tue prudentie
me invenisse in terras Perses quosdam habentes habundantem rationem, intel-
lectum penetrabilem
(Fol. 3 a). Prologus Joannis qui transtulit librum.
Joannes qui transtulit istum librum, filius Patricii, linguarum interpretator
piissimus et fidelissimus, inquit: Non reliqui locum neque templum in quibus
philosophi consueverint componere et deponere sua opéra et sécréta que non
visitaverim
Fiii gloriosissime, justissime imperator, confirmât te Deus in via cognoscendi
semitam veri et virtulis
Voici maintenant le début et la fin de la version que nous offre le
manuscrit de Montpellier, et qui m'a paru abrégée en certaines parties :
{Fol. 3). Ou non dou Peire, dou Fil et dou Saint Esperit, amen.
Si coumancet li livres dou gouvernement de rois, des princes et des autres
signours. Ou livre c'on dit le livre des secreis Aristote le philosophe a Alixandre
le roi, ouquel une chacune personne puet panre bonne doctrine et profitable, ou
sont les mandemans c'Aristotes li souverains de philosophes anvoiait a grant roy
Alixandre son disciple, li quels livre fui trais d'arabique en latin en la meniere
qui s'anxeut.
Cl comancct li prologues de celi qui translaitait cest livre de lai langue arabike
an lai langue latine ./.
A son très excellant signour et très noble, uzant de la foy cristienne Guys
de Vallance, glorious esveques de la citeit de Tripolle, Philippes li plus petis
de ces clers se recomandet a ly dou tout et son fiable servise en devocion. Une
choze fut qu'a vostre debonnair[et]eit parvint cis livres ouquel bien sont con-
tenues toutes chozes profitaubles de toutes sciences. Sachiés que quant j'estoie
avec vous par dever Anthioche, ou ceste marguerite de philosophie fut trovée,
il vous pleut qu'elle fut transcrite et translatée de la langue arabique an la
langue latine; pour la quel choze je obeyxans humblement a vostre volanteit ai
8), s'est demandé si ce Guido ne serait pas le prélat désigné par G. dans une
charte de vente faite par Ham, connétable deTripoli, aux Hospitaliers, en 1 204
iPaoli. Codice diplomatico, 1, 95). Vérification faite, cette identification n'est pas
admissible. Nous ne savons rien de cet évêque de Tripoli.
NOTICE d'un MS. messin 169
trait fuer cest livre avoc grant labor par pairolles reluxans dou langaige c'om
dit arabike en latin. Lequel livre Aristoles li très saiges princes dez philosophes
composait a la peticion d'Alixandre (b) son disciple, li quels Alixandre prioit
Aristote par ces lettres qu'i vouxit venir a li. Maix Aristotes, anpechiés et
aigreveis pour viellesse et la pezantize de son cors ne pooit venir a Alixandre,
li quels Aristotes s'ecuzait en ceste meniere :
C'est li responce ^u Aristotes fit a la requeste d'Alixandre .ij.
0 très débonnaires amperour, je ait {sic) antandut plennement cornant tu
desires que je fuxe avec toi, et se te mervelle cornant je mepuxatenir deta véné-
rable compaignie, et si me reprans que j'ai petite cusançon de tes ewres et de
tes besongnes. Pour queil choze je t'ai fait cestuit (51c) livre
Autres Ictres d'Alixandre a Aristotes Jij .
0 reverans maistre, je faix asavoir a vostre prudance que j'ai mis en ma
subjection et an mon anpire novellemant les Persans qui (c) sont gens abondans
de raison et d'antandemant
Le prologue attribué, dans le texte latin, à « Joannes filius Patricii »
fait ici défaut. Les chapitres de médecine et d'hygiène (éd. de Bologne,
fol. ioa-i')d) sont également omis.
Fin (fol. 18^)
Li fin de cest livre.
Ci fenit li livres dou gowernemant des rois, le queil Aristotes, lisowerains phi-
losophes, composait et fit a l'instruction dou grant roy Alexandre qui fut so-
werains rois de tou le monde, qui an son anfance et en sai jonesse avoit esteit
disciples d'Aristotes desus nomeis.
Ci s'anxeut une tauble de la matière qu'est contenue ou liwre por trower plus
aipertemant ce c'en vourait lire et quérir.
Suit la table des 41 chapitres de l'ouvrage.
II
Enseignement d'Aristote a Alexandre.
Cet enseignement est tiré du premier livre de l'Alexandreis de Gautier
de Châtillon, vers 72 et suiv. La traduction, sans être littérale, est pas-
sablement exacte, et ne paraîtra pas dépourvue de mérite, si l'on tient
compte de la nature du texte qui n'était réellement pas facile à rendre
en ancien français. Faut-il supposer qu'il a existé une traduction com-
plète de VAlexandreis dont nous aurions ici un fragment copié à part ? Je
ne le pense pas. Les conseils d'Aristote à Alexandre devaient être un
morceau célèbre, car Rutebeuf les a mis en vers français ' , et il en existe
I. Le dit d'Aristote, deuxième édition de Jubinal, II, 93.
lyO p. MEYER
une autre traduction en prose dont je donnerai un extrait dans un appen-
dice au présent mémoire. Le rapprochement de cet extrait àeVAlexandreis
et du Secretum, dans notre ms., ne doit pas être fortuit. C'est l'analogie
du sujet qui a conduit le copiste, ou celui qui a dirigé l'exécution du ms.
à réunir ces deux écrits. Il n'est guère douteux en effet que Gautier de
Châtillon se soit inspiré du Secre/umpour composer le discours qu'il prête
à Aristote. Remarquons que le même morceau se retrouve dans le ms.
d'Epinal mentionné plus haut'. Il est probable qu'il y aura été copié
d'après notre manuscrit.
(Fol. 19 fl) Apres vcci un notable ansignemans c'Aristoles donnait az roy
Alexandre son disciples.
Aristotes trowait une foix lez roy Alexandre plorant; ce li demandait qu'il
avoit. Et Alex, li respondit que ces peires estoit ci wiés qu'i ne se pooit plus
deffandre contre (b) i'ampereur de Perce. Dont li dit Aristotes : « Biaus filz,
« laixe l'anfance et pran cuer d'omme. Tu ais mastrie an toi de vertus : ce la
« met a ewre, et combien que tu le puixes faire, apran conmant tu dois owreir.
« Toute chozes doient estre conmancies par conseil, et il sont moult de malvaix
I. consillours. Pour ceu t'apran le queilgenstu dois eslire a ton conseil. Gairde
« toi de celui qui ait .ij. langues et dou fellon et dou cowoitou. Note bien 2 :
(( N'essaciet point celui qui par son vice et par son malice doit estre au bas,
« car, tout auci corn l'yaue qui ce desrivet est plus crueuse que celle qui court
« son droit cours, ency est plus orguillous et plus cowoitous li cers essauciez
a quant il est osteit dou lieu ou il dovreit 5 demoreir anvers le franc qui tout
« jour ait esteit honoreis 4 ».
Fin (fol. iç) d]:
Après li princes doit estre deboinnaires et honteus de mal faire, honoraubles
d'anxeure les millours et ameir lez loys, repanre lez gens cortoizemant, delaixier
lai vangence tant que l'yre soit passaie ; ne li doit point remambrer de lai haine
après lai paix S.
1. Voy. Bulletin de la Soc. des anciens textes français, 1876, p. 69.
2. Ces deux mots en rouge.
3. Ms. dôneroit.
4. Voici le passage correspondant de VAlexandreis:
82 Indue mente virum, Macedo puer, arma capesse ;
Materidm virtutis habes, rem profer in actum,
Quoque modo id possis, aares adverte, docebo.
85 Consulior procerum servos contemne bilingues
Et nequam, nec quos humiles natura jacere
Precipit exalta : nam qui pluvialibus undis
Intumuit torrens fluit acrior amne perenni.
Sic partis opibus et honoris culmine servus
90 In dominum surgens, truculentior aspide surda,
Obturât precibus aures, mansuescere nescit.
<). Akxandrcis :
Nec desit pietas, pudor et reverentia recti,
Divinos rimare apices, mansuesce rogatus,
NOTICE d'un MS. messin I7I
m
Des Quatre Ages.
Cet opuscule a, pour le sujet, quelque rapport avec le traité bien
autrement intéressant de Philippe de Navarre des quatre temps d'âge
d'homme; il en est toutefois entièrement indépendant. 11 suffira d'en
donner un extrait.
(Fol. 19 d) Ci devisons tous lez aiges de la pcrsone : premier conmant on doit
maintenir les anf'ans en jonesse jcsques a l'aigc de .xx. ans.
La sonme de bonne anfance ci est que li anfans soient duremant doutis et
obeyxans az conmandemans de cyaulz qui lez ont ai gairdeir, et par ceu lez puet
on gairdeir de mort et de perilz et de mal faire, d'yre et de moût d'autre menieres
de perilz, tant corn il sont petis. Et quant il sont .j. poc grans, ce il sont bien
au ' conmandement obeyxans, par ceu lez pouront on apanret (sic) et ansignier
bien et saigemant et maintenir a l'estude et a antandre a bien savoir acum mestier.
Car il n'avie[n]t mie sowant que anfes facet bien, ce ce n'est par douteir ou par
ansignemans de lor maistres, li queilz maistres dolent estre teilz que il saiche[n]t
venir a chief et qu'i congnoixe[n]t la meniere dez anfans, car lez acuns cowient plus
mestrieir et les autres moinx.
Conmant on ce doit maintenir an jovant (fol. 20) antre .xx. et .xl. ans.
La somme de jovant ci est que li jones doient bien savoir que pour jovant ne
doient il pas vivre conme bestes qui font naturelmant lor voulanteit tou sans
pechiet...
Conmant on ce doit maintenir ou moyen aige entre .xl. et .Ix. ans.
(Fol. 20 b) Conmant on ce doit maintenir en vielles se des Ax. ans jestjues a la
mort.
La somme de viellesse est la darienne et que moût bien affiert a vies qu'i
dongnet bon example a gens de bien faire, et il meymes ce doit gairdeir de faire
ewres de jonesse, car ce sont choze que trop desplaizet a Dieu. Maldis cis
que [est] anfes d'ewres et vies d'aige! Et tout jours doient avoir an remam-
brance qu'i sont sus l'oure^ de lor fosse, et que nuns ne puet eschapeir de la
mort. Et il meymes ont sowant veut morir anfans jones et moyeins, ce ce doient
recongnoistre que nostre Sires les ait tant respiteit an aitandant que il viengnet
a amandement, ce seront sauf. Et por ceu doient il tout jour avoir les eulz
owers et regairdeir la fosse antantivemant an teille meniere qu'il aient tout jours
180 Legibiis insuda, civiliter argue sontes,
Vindictam differ donec pertranseat ira,
Nec meminisse velis odii post verbera... . .
1. Le ms. porte plutôt an; mais en maint endroit l'u est fait comme une n.
2. Corr. 6r, bord.
172 p. MEYER
la chiere (c) vers paraidiz et lez dos a anfer. Car iiz doient savoir que par tans 1
seront bouteis dedans. Et ce il ce trowe[n]t en bonne plaice, ce l'averont per-
durablement; et ci ce trowe^njt an mavaixe, il seront tormanteis san fin. Deu an
deffandet tous crestiens par sa miséricorde et dont graice a tous vielz de bien
useir lor vieilesse et venir a bonne fin et a repos perdurable ! Amen.
IV
DÉBAT DE JeSUS-CHRIST ET DE l'aME
Dialogue traduit d'un original latin que je ne suis pas en état d'indiquer.
Le même morceau se trouve en divers mss. d'origine lorraine : Bibl. de
la Faculté de médecine de Montpellier, n" 43, fol. 41 ; Metz, n°^ 554 et
67$ ; Epinal, n" 169 {Bulletin des anc. textes, 1876, p. 68).
(Fol. 20 c) Ci après s'anxeut conmant l'arme argile Jhesucrit de sai miséricorde,
et conmant Jhesucrit li respont.
Nostres Sires parolletal'armeet liarme li demande! : «Sires Deus,» fait l'arme,
n je dis que par droit deveis avoir mercyde moy, car cej'ay pechiet, vous estes
« misericors, quepardoner le me deveis.» Respont nostre Sires: «Bêle amie, ce
« je suix misericors, auci suix je droituriés, pourquoi jedoie pugnirles malz. »
L'arme respont : « Sires, je suix si powre et ci despite créature que poc acroi-
« xeroit vostre justice, ce vous preniés vangance de ci powre créature... »
Fin (fol. 2\ a):
Nostre Sires respont : « Damoizelle, vous m'argiieis moût fort et me teneis
« moût près. Or faxon paix, et je vous congnoix que san my vous ne poeis bien
« faire, maix faites vostre partie bonne, et, cequ'affierta moy, vousmetrowereis
« aidés aiparilliez. » Or le regraicie !i arme et li demandet paix parfaite. « Sire,
« moût grant mercy. Dont je vous pry et requier que vous me pardonneis mes
« pechiés et me donneis force de raipaizier mai sensualité! et ma conplexion,
« et tout mon mouvemant 2 desordenei charnel et esperituel, par quoi je vous
« puixe (Jol. 21 b) servir puremant, ameir et amandeir de tout mon cuer antie
• remant, et sowant panceir a vous devotemantî. » Amen.
I . Ms. pariant.
.2 11 y a, non pas mouremant, mais moucmant avec un signe d'abréviation sur
\'o. Il me paraît cependant incorrect, ici et en quelques cas analogues (voy. page
suivante), de transcrire ce signe par h.
.3 La fin du morceau est un peu différente dans le ms. 45 de Montpellier (fol.
41 c) (f . . . servir purement et amandeir de tout mon cuer entièrement, et so-
« vant a vos panseir dévotement, et que je soie dou tout a vos traite et tout
« autres choses sans vos me soient a tais, et vos me soiez toute mai joie, touz
i mes confors et tous mes solais. Amen. »
NOTICE D UN MS, MESSIN 17^
Il s'agit, dans le chapitre transcrit ci-dessous, de Jourdain de Borrentrick
près Mayence, qui fut le second général de l'ordre de Saint Dominique,
et mourut en 1257. On peut voir sur ce personnage Quétif et Echard, 1,
9J-I00, etOudin III, 85-6. Sa \\e esl'impnmée àansksActa sanctorum,
au I î février. Les Bollandistes ont joint en appendice à cette vie une
suite d'exempla tirés du Bonum universale de apibus de Thomas de Can-
timpré, dont frère Jourdain est le héros. Je n'y vois pas figurer l'histo-
riette dont la teneur suit. Même texte dans le ms, d'Epinal 189, fol. 4
{Bulletin prêché, p. 68).
Ce sont lez parollcs que li ancmins dit de la tris grant biautè nostre Signour
(f. 21 b).
Il avint a freireJordain,des freires proichours,qu'i pairloit a une personne qui
avoit i'anemin ou cors, et demandait a l'anemin an queil leu qu'i seroit plus
voulantier ; il respondit : • Ou cielz. >' Et il li demandait la cause pour quoi
il deziroit estre ou cielz. Il li respondit: « Pour ceu qu'i veyt lai faisse dou
« Creatour ». Et li freire li demandet pour quoi il lai veireit si volantier. Il
respondit : « Pour ceu que je lou vis on poc de tans, autretant de tans com on
« meteroit a clore .j. eulz; mai.K pour autretant a veoir sa faice a dairien jour
« je vo'jrcie que je soutTri.xe jesques a celui jour lai poinne de toutes 1 les armes
« dampnées. » Quant li freires oït ceu, il fuit si formant espowanteis qu'i sambloit
qu'i n'eût an ly point d'esperith. Quant il fut a lui revenus, ce dit a mavaix
esperith : » Tu ais moût très bien dit, maix je te prie que tu me dies lai
« conpairixon d'aucunne biautei a lai biautei dou Creatour. » Li mavaix es-
peris respondit : « Tu [fjais follie de dcmandeir. Se lu estoies aniens moy {sic)
« ajoins et 2 creatour par ci grant vicinitei com je ly fus ajoins quant j'estoiet
« encores séraphin et croeis a ceu que veïxet la faisse dou Creatour, et je
« amsamble tous lez bons angres et lez mavaix et tous lez (c) sains anconman-
n xaixet a dire, nos tuit ne poriens nulle choze dire que tu antandixes, jai soit
« ceu que tu veïxes la faisse dou Creatour. Grief choze m'est acunne choze de
« ceste comparixon de celle biautei non comparauble, maix une choze te dis
a qu'est dou tout niant a regairt de la veritei : Regairde de 3 toutes les biauteis sus
< toutes lez biauteis, soit de coullours, soit de gemmes, c'on dit pieres preciouses,
« ou d'escharboucie 4 ou de toutes autres pieres, ou d'yvoire ou d'or ou d'argent,
« de tous metaul, de flours et de toutes lez chozes que delitet les eulz par lor
« biautei estoient ansamble an un, et toutes lez estoiles luxoient a lai samblance
1. Ici et plus bas (I. 24 de ce morceau) il y a tôtcs^ et de même (I. 4,1 j) dô\
)e ne crois pas pouvoir transcrire tontes, don, bien que M. Bonnardot admette
Ion, don pour /ou, dou, en messin ; voy. La guerre de Metz en 1J24, p. 442, note.
2. Pour a.
3. Ici et quatre lignes plus bas de semble mis pour se.
4. Ms. escharb'te. Le signe abréviatif est celui qui ordmairement signifie ur.
174 P- l^EYER
0 dou soulailz, et li soloilz avoit lumière devant toutes ces estoiles, anci corn
« il ait or devant celles qui ores sont, et toutes ces belles estoiles et cilz soloil
(I getoient lor clairteit, saiches certainnemant que celle biautez resplendiroit dou
« tout an tout par desus toute humainne estimation. Et toute voie, ce ' seroit
(I celle biautei niant comparaubie a la biautei dou Creatour,enci com li neus est
« plus obscure et niant comparaubie a jour, quant il est plus cleirs. » Adons
dit freires Jordains qu' i ce faixoit bon travillier a ceste morteil vie que duret
poc pour veoir celle grant biautei a tout jour maixsan defallir.
VI.
Ce morceau et le suivant se lisent aussi au fol. 5 du ms. d'Epinal.
Vcci .;'. notable trait de dis Salmon.
Qui fut onques que .j. soûl jour antier fut an son délit joeusemant, que
d'acunne choze ne fut troubleis {d) an aucunne heure dou jour ou par poour
de cowoitize ou par aguillon d'anvie, ou par ardour d'avairice ou par orguelz
demeneir, ou par bobant ou par damaige ou par aucun courous ou par veoir
ou par oïr ou par autre fait.'' Oie la santance dou Saige qui dit : « De le matin
(1 jesques a vespres ce chainget li tamps 2, et cogitations diverses sorvienent
a et la paiicée de l'omme est rai vie an diverses choses, n
VII.
Autre notable d'AiisloUs.
Vertus est une très bonne chozes, maix elle est messaixie a lai persone a
aquerir. Vertus weult estreaquise an angouxe et an pressure de cuer, c'est an
mortefiant trestous malvais usaiges et mavaixe couslumes. trestoute propre 3
voulanteir [sic) de cuer et toute propre et desordenée amour.
VIII.
La Passion, traduction d'un traité latin de Michel de Massa.
Michel de Massa est un religieux augustin qui mourut à Paris en 1 3 56.
On trouvera l'énumération de ses écrits, qui paraissent être tous restés
inédits, dans les ouvrages de Gandolfi et d'Ossinger sur les écrivains de
l'ordre de saint Augustin 4. Les mss. de son traité sur la Passion ne
sont pas communs. Gandolfi en signale un dans la bibliothèque de
Bodiey s. Ossinger ajoute qu'il s'en trouve un à Munich et un autre à
1. Corr. ne.
2. ECCLI. XVIII, 26.
5. Ms. ppc (le premier p bouclé) ici et à la ligne suivante.
4. Disseitalio liistorica de ducentis celebenimis Augustiniams scriptoribus. . .
... auctore Fr. Dominico Antonio Gandolfo, genuensi. Romaï, 1704, in-4,
p. 267-8 ; Ossinger, Bibliothcca augustiniana^ IngohUdt., 1768, in-!ol., p. 567-8.
5. C'est le n» 2670 (BodI. sup. D i , art. 71) des Catalogi de Bernard.
NOTICE D UN MS, MESSIN 1 7 1,
Louvain. J'en pourrais indiquer plusieurs en des bibliothèques étran-
gères ', mais je n'en ai pas trouvé à Paris. Je ne connais pas non plus
un second exemplaire de la traduction française que nous a conservée
le ms. de Montpellier. Cette traduction est en prose, mais elle est pré-
cédée d'un prologue en vers dans lequel le traducteur nous apprend qu'il
a suivi ce frère Michel de Masse ». Il y a d'autres exemples d'ouvrages
en prose précédés d'un prologue en vers -, mais il a pu arriver que ce
prologue ait été supprimé, et qu'avec lui ait disparu le nom de l'auteur
du traité original. Par suite il n'est pas impossible qu'on trouve d'autres
exemplaires de notre traduction entre les traités anonymes, rédigés en
français, de la Passion.
Le ms. de Montpellier n'a point d'ornements. Toutefois il paraît que
l'intention du traducteur était que son œuvre fût accompagnée de minia-
tures, car, dès le début, après le prologue en vers, il note que si on
voulait enluminer son récit de la passion, il y faudrait faire une initiale
ornée contenant la représentation du sacrifice d'Abraham.
(Foi. 22). Ci conmanctt li passion Jhcsucrit.
[A]n l'ounour de la Trinitei, An ajustant dez dis plusours
Trois persone en vraie unité, De sains et d'autres docteurs.
Ci conmancet li passion Cy panrait preinieremant
Que pour nostre rédemption Une pairolle cieiremant
Jhesus fil de Marie souffrit A nostre pourpous désert
Quant a Dieu le paire s'offrit Corn Abraham en .j. désert
An l'arbre de la croix angouxeuse Vot Ysaac panreet lier
Ou il soustint la mort honteuse. Et sus l'auteil sacrifier,
Et en ceste exposicion Laquelle sacrification
Je weul xevre l'antancion Fut figure de la passion,
De l'ewangelistre saint Matheu Com il aipairait ci après
Et des autres, chescun an son leu, Que l'istoire voirrait de près.
Selont freire Michiel de Masse, Ce weul l'ystoire conmancier
(Jhesu an gloire leu li fasse ! Et Marie saluer premier:
Bacheleirs fut an théologie, Ave Maria gratia pltna., etc.
Li millours qui fut an sa vie)
Qui vouroit ceste passion escrireet anlumineir, il est a savoir qu'an la pre-
1. Par ex. Musée britannique, Add. 28785, fol. 26-84, ^^^ siècle; Vienne
(Autriche), 4186, fol. 151-72, xv^ siècle.
2. Je citerai l'histoire en prose de Philippe-Auguste dont il ne nous reste
plus que le prologue en vers que )'ai publie d'après un ms. du Musée britan-
nique, dans la Romania, Vl, 494-8, et la vaste compilation intitulée dans les plus
anciens mss. : « Le livre des histoires du commencement du monde « (histoire
ancienne jusqu'à César), Romania^ XIV, 59.
176 p. MEYER
miere lettre doit awoir l'ymaige d'Abraham tenant une espaie en l'unne des
mains, et an l'autre son fil Ysaac liés et couchiet sus l'auteil, sus un monceil de
langnez, et a dessius (sic) de (b) l'auteil doit avoir l'ymaige dou crucefy seulemant.
Conmancemant
ExtcnJit manum suam et arripuit gladium ut inmohrct filium. Genesis xxiij.
La santance de ceste pairolle qui est ditte d'Abraham qui figuret Dieu le peire
et de son fil Ysaac qui figuret Dieu le fil, est teille. Il estandit sai main et prit
l'espée pour son fil sacrifier. Et sont escripte ou premier livre de lai Bible
qu'estaipelleis Genesis, ou .xxiij. chapitre. Pour avoir de ces pairolles l'antancion,
et pour antieremant companre l'ystoire de la passion, i! est a savoir que .j.
maistre qu'est aipelleis Jaiciues, an un livre c'on dit de la vie de Jhesucrit, res-
contet conmant li vierge Marie fut crucifié[e] de la passion de son très amez filz
Jhesucrit.
Note la dolour de Marie devant la passion.
Et dit que lou mecredy devant la passion, que nous dixons le grans mecredy,
li vierge Marie lut an teil doulour et an teille angouxe que pluseurs fois an celle
journée elle cheït az pies de son chier fil pâmée et auci corn demy morte...
Ce traité contient nombre d'éléments pris ailleurs que dans les évan-
giles. Saint Augustin, saint Jérôme, saint Bernard et d'autres pères y
sont cités, les bestiaires y sont mis à contribution. L'auteur introduit
dans son récit de nombreux discours de Jésus, de la Vierge, de sainte
Marie Madeleine. L'ouvrage devait, dans la pensée de son auteur, être
orné de peintures. Cela résulte, non seulement du passage du début
rapporté ci-dessus, mais encore d'un morceau qui interrompt la narra-
tion au fol. 51 c. « Icipuetonnoteir le figures de lai mort et de la passion
« Jhesucrit, especialmant celles dou Viel Testamant. — 1 . Veci Abel que ces
« frères Caym occit pour l'anvie qu'il avoit de ceu que Deus ces dons
« an bon greit recevoit. II. Veci Noél lou ' juste a cui Deus fist le con-
te mandement de monteir en l'airche pour saveir tout humains lignage
« entieremant. — III. Veci Ysaac que ces pères Abraham vot offrir en
a aicomplixant de Dieu lou commandemant et qui sus ces espaules portoit
« lez laingnes pour faire le feu dou sacrifice... « Le nombre des figures
ainsi décrites est de douze.
Fin (fol. 58) :
Car, selont ceu que dit li apostres, ce nous sonmes par compassion partici-
pans des doulours Jhesucrit et de sai passion, nous serons parsonniers de sai gloire
et de sai résurrection. Laiqueille gloire il nous wellet otroierJhesus fil de Marie
parlai prière des .ij. vierges Marie et Jehan, qui est uns Dieus avec le père et
saint Esperilh benois et glorieus a tous jours maix san fin. Amen.
I. Ici et plus bas lou est écrit lo avec une barre supérieure.
NOTICE D UN MS. MESSIN 1 77
Explicit l'ystoire de la passion Nostre Signour Jhcsucrit, amen, a cui en
soient graice et gloire. Amen. Amen.
IX.
La Lettre de Prêtre Jean.
A ce morceau commence la partie qui a été arrachée par Libri au ms.
de Montpellier. L'ouvrage analysé dans le paragraphe précédent se ter-
mine au fol. Ixxxj recto de l'ancienne pagination ; le verso avait été
laissé blanc. Cette circonstance était favorable à la fraude, puisque la
partie laissée à Montpellier paraissait complète, et les feuillets enlevés
eussent présenté la même apparence si Libri n'avait, contrairement à sa
coutume, négligé de faire disparaître l'ancienne pagination.
Le texte de la lettre de Prêtre Jean qui occupe les fol. Ixxxij à
Ixxxvij de l'ancienne pagination, n'offre pas d'intérêt. C'est une copie
très médiocre d'une traduction dont nous avons déjà maint exemplaire,
et qui a été publiée par Jubinal, à la suite de son édition de Rutebeuf,
2«éd., m, 556.
Ci après enxeut U terre ' preste Jehan.
Preste Jehan par lai grâce de Jhesu Crit rois entre lez cristiens, mande salus
et amour a Ferri i'empereour de Rome. Nous fasons savoir a lai vostre amour
que il nous ait esteit rescontei que vous desiriés moût a savair par veritei de nos
et de nostre terre et de nos chestez et de nostre créance. Nous voulons bien
que vous saicliiés 2 lou Père et le Fil et iou saint Esperit estre .iij. persones en
.j. Deu soulemant, et enci le créons nos fermemant ; pour lequeil choze vous
nos mandastes que nos lai créance de nostre gent et de nostre terre vous
feïssiens asavoir par nos letres. Et nous vous dixons le covine de nous et de
nostre terre tote. Et se vous vouleis aucunne choze que nos puissiens faire,
mendeis le nos, et vousl'aireiz a vostre voulantei. Et se vous vouleis venir en
nostre terre, bien il soiez vous venus, car vous sereis sires de toute nostre
terre après nous...
Fin (fol. iiij^^ et vij) :
Or vous avons raicontei en veritei 5 toutes ces chozes pour ceu que vous
sachiés l'estre de nostre pais et de nostre palais, et queil gent nos sommes, et
de queil créance, et quel vie nous menons.
Expiicit.
I . Sic, corr. htre.
2. Suppl. que nous créons?
3. Ms. rcntà.
Romania, XV
p
MEYER
X.
:s
Litanies
«78
Suit un morceau ayant pour titre Pour coy lez letanies furent ordonnées
que on disî les rogacions. Inc. : « Les letanies sont faites ij. fois en l'an,
u c'est a savoir la première letaniele jour de feste S. Marcevangelistre...»
Le titre est de la main qui a numéroté les feuillets, et écrit au commen-
cement du ms. les notes rapportées plus haut, c'est-à-dire, selon toute
apparence, de la main de Jacques d'Esch. Le morceau occupe les deux
feuillets numérotés uij^'' et vil'i et iuj^^ et ix.
X.
Consultation de Jean Le Fèvre, médecin établi a Montpellier,
sur le traitement de la goutte.
Ce morceau, qui me paraît être le plus intéressant de tout le ms. et
qui sans doute a déterminé le choix fait par Libri, est précédé de ces
mots: Pour lez^ goutte S' Jehan d'Aix. L'écriture de cette sorte de
rubrique est celle que je crois pouvoir attribuer à Jacques d'Esch. Quant
au Seigneur «Jehan d'Aix », il n'est pas facile de le déterminer avec
une entière certitude. Lems. étant, selon toute apparence, des dernières
années du xiv^ siècle, il me paraît probable que le Jean pour qui a été
faite la consultation insérée dans ce ms. était Jean d'Esch, maître échevin
en 1373 et qui mourut avant 1598 ^. Ce Jean eut un fils, également
appelé Jean, sur lequel nous ne savons rien, sinon qu'il survécut à son
père. Un troisième Jean d'Esch, fils de Jacques d'Esch, mourut en 1439.
Hannoncelles, II, 67, publie son épitaphe. Mais l'époque à laquelle
il est permis de rapporter le ms. convient mieux au premier de ces trois
personnages.
Jean d'Esch souffrait de la goutte. C'était un homme riche. Il résolut,
probablement après avoir essayé sans succès des médecins de Metz,
de consulter un médecin de Montpellier. Il s'adressa à un certain Jean
Le Fèvre, de Metz, qui se nomme à la fin de la consultation, et qui
combinait en sa personne les deux avantages d'être un compatriote
et d'habiter la ville renommée entre toutes pour son école de médecine.
Il est probable que maître Jean Le Fèvre rédigeait ordinairement ses
conseils en latin, cette fois il s'est servi de la langue française, ou plutôt
messine, car nous n'avons aucune raison de croire que le texte qui nous
. Lez est pour la, en lorrain.
. Voy, le Président d'Hannoncelles, Metz ancien^ II, 6y
NOTICE d'un ms. messin 1 79
est parvenu de sa consultation soit traduit du latin. Il est bien plus vrai-
semblable que Jean d'Aix ou d'Esch l'a fait trancrire dans son manuscrit
telle qu'elle lui était parvenue. Ce faisant, il témoigna pour son médecin
d'une considération méritée. Jean Le Fèvre, sur qui du reste il m'a été
impossible de découvrir aucun témoignage, paraît avoir été un homme
sensé. Ses conseils sont en général judicieux, autant qu'il m'est permis
d'avoir une opinion en pareille matière. Les superstitions astrologiques et
autres y tiennent peu de place, et s'il est vrai que plusieurs des remèdes
indiqués ont dû être plus profitables au pharmacien qu'au malade, le
régime prescrit est raisonnable et, somme toute, la médication de maître
Jean Le Fèvre ne doit pas avoir été beaucoup moins efficace que celle
qu'on suit aujourd'hui en pareil cas.
L'hypothèse admise par notre docteur, qui n'avait pas vu son malade,
est que la goutte de Jean d'Esch « vient de chaude cause » ; mais si par
aventure elle venait de « froide cause », de tout autres remèdes devraient
être ordonnés (§ 1 3). Le moyen de se décider entre ces deux causes est
bien simple : il consiste à savoir si la partie du pied où on sent la douleur
est froide ou chaude. Jean Le Fevre prie son malade de le renseigner
sur ce point « par aucun qui vieingne à Montpellier ». En attendant il
lui adresse les conseils qui conviennent à la goutte venant de « chaude
cause ». Tout d'abord il lui trace un régime, indiquant en premier lieu
ce qui doit être évité. Il interdit les poissons, principalement ceux d'eau
limoneuse comme est la Seille, qui passe à Metz, comme chacun sait (3),
la viande de porc, les oiseaux aquatiques, oies, canaids, etc, (4], le vin
nouveau, les vins épicés (5], le fromage (61,1e lièvre, le bœuf trop
âgé (7I, les salaisons (10), les fruits, à peu d'exceptions près (17;. Il lui
défend de coucher sur le dos (19), de chevaucher le ventre plein (14I. Il
lui recommande la continence et l'engage à éviter les soucis comme aussi
à se coucher de bonne heure et à se bien couvrir tout le corps en hiver,
et particulièrement les pieds (151.
Après avoir dit ce qu'il faut éviter, maître Jean Le Fèvre indique les
aliments et les remèdes qu'il juge appropriés à la condition du malade.
Il l'engage à ma-^ger du pain bien cuit et bien levé, à boire du vin rouge,
qui ne soit pas doux. Il conseille la viande de veau ou de jeune bœuf ou
de mouton n'ayant pas plus d'un an ou un an et demi, les poulets, les
jeunes lapins, de temps à autre les pieds et le groin de porc (25). En
carême et en temps de jeûne il recommande l'orge ou lerizauxamandes
et la purée de pois chiches (25). Il permet les pêches, pourvu qu'elles
soient bien mûres, les prunes noires et les cerises aigres et différents lé-
gumes (27-8). Il lui donne la recette d'une sauce où le gingembre, le co-
riandre et les clous de girofle tiennent une grande place, pour assaisonner
les pâtés (29K Par-dessus tout, il lui recommande l'usage constant,
l8o P. MEYER
avant le dîner et après le souper, du coriandre qui, dit-il, empêche les
oreilles de corner, éclaircit la vue,exciie l'appétit, prévient l'esquinancie
et mainte autre maladie, et empêche la goutte de descendre dans les ar-
ticulations (50, 51). Il lui prescrit ensuite de se faire saigner deux fois
l'an, en mars ou au commencement d'avril, et'à l'automne, entrant dans
de minutieux détails sur les conditions dans lesquelles cette opération doit
avoir lieu (54-37)-
Arrivant ensuite aux remèdes proprement dits, il lui donne la recette
de divers liniments et emplâtres destinés à calmer la douleur. Il recom-
mande aussi les bains de pied dans une décoction de fleur d'amande, de
camomille, de feuilles de myrte et de mélilot, ou encore dans de l'eau où
on aurait fait longtemps bouillir un renard ($51'- Et si ces divers remèdes
ne suffisent pas, il convient d'user de chirurgie et d'appliquer des fers
rouges au-dessous de la cheville et au-dessous du genou.
Maître Jean Le Fèvre était un médecin honnête. Il ne s'exagérait pas
la valeur des remèdes qu'il conseillait. Il y voyait plutôt des palliatifs.
« Si vous vous gardez des choses dessus dites », écrit-il, « et si vous
« faites ce qui s'ensuit, vos douleurs ne seront plus si fortes qu'elles étaient
« et vous y trouverez un allégement sensible. Et toutefois ne vousémer-
« veillez pas si l'amélioration n'a pas lieu promptement, car cette maladie
« est trop forte à guérir » (22). Et ailleurs: « Notez bien tout ce qui vous
« est défendu et tout ce qui est permis pour votre gouvernement et
« comment vous en devez user. Et comme cette maladie peut difficile-
« ment être guérie, je vais vous écrire ce que vous devez faire pour al-
« léger vos douleurs, et par aventure il pourra arriver que vous gué-
« rissiez, mais toutefois ce que je vous écris n'est que pour alléger votre
« maladie » (33). Au xiv<^ siècle, la thérapeutique appliquée au traitement
des affections rhumatismales n'était pas encore en possession de remèdes
bien efficaces, notre médecin en avait conscience et ne cherchait pas à
le dissimuler.
En terminant, il conseille à son malade de se pourvoir d'un bon phy-
sicien qui surveille l'exécution des ordonnances prescrites « car, » ajoute-
t-il, «je crois bien que vous ne les sauriez lire ni entendre, ». Enfin, écrit-
il encore, « si vous n'avez toutes les choses qui sont contenues dans les
« recettes susdites, envoyez à Montpellier par quelqu'un de vos mar-
« chands qui ont coutume de s'y rendre, et faites-moi remettre par écrit
I . Cette médication est ancienne : l'emploi du renard bouilli dans l'huile est
conseillé par Oribase, Synopsis, IX, lvii, éd. Bussemaker et Daremberg. V,
$52, cf. VI, 391.
NOTICE d'un MS. messin i8i
« les noms des herbes ou autres choses qui vous manquent, avec l'argent
« pour les payer. >^
Telle est cette consultation qui m'a paru à bien des égards digne d'être
publiée, malgré les difficultés et les incertitudes que présente le texte qui
nous est parvenu.
Por lez ' goutte S' Jehan d'Aix (fol. 90 b).
(1) Veci comment il vous covient governeir contre la maladie de vos goûtes.
Donc, tout premier, wardez vous que vous ne mangieiz pois ne fèves ne aultres
leûns, ne chaistines, fors que 2 tant que vos poeiz bien maingier de la puriée de
poi.x et de chiches, et non mie trop sovent. (2) Item, wardeiî vous de maingier
toutes viandes faites de paiste, c'est a dire de toutes paistes queutes an viandes
ou en browas, ou que soit saichiée de devant et pues queute en xaul ne avec
chair ne au fromaige, ne que soit confice (sic) avec miel, ensi com pain d'espice
que en appelle awedique. (3) Item, wardeiz vous de mangier tous poi.\'ons li-
moneux, com sont anguilles, tanches, gravices, loches et aultres teilz poixons; et
briesment, se vous poeiz, wardJz vous de mangieir toutes manière de poixons,
si fereiz bien, e en especiaul de tous poixons de awe limoneuse, ensi com est la
rivière de Saille. (41 Item, wardeiz vous de mangieir toute chair qui est vis-
couse, com est chair de porc, soit vieilz soit josne, et de tous oiselz qui vivent
et conversent en yawe, com sont oyes, quainnes, mellairs et aultres teilz, soit
privés ou savaiges. (5) Item, wardeiz vous de boivre vin novel jusquez a tant
que il soit bien repairieiz et bien purifieiz, et de tous vins fors com est vins
confis aux espices et claueiz 5 et vin saugieiz, et teilz aultres vins confis. (6)
Item, wardeiz vous de mangieir nulz fromaiges et de laicel. (7) Item, wardeiz
vous (fol. 90 c) de mangieir chair de lièvre et de buef anciens. (6) Item,
wardeiz que vous ne mangieis a un disneir ou a un sopeir plusours paires de
viandes. (7) Item, wardeiz vous de dormir tantost après mangieir. (8) Item,
wardez vous de trop boivre et defuer de hore. C9) Item, wardeiz vous de man-
gieir toute choses fort et agùe, si com de poivre, de hurucle 4, de mostarde,
d'aulz, d'oignons, de porreiz et de telles samblans choses. (10) Item, wardeiz
vous de mangieir tous poixons salleiz et toutes chairs sallée. (1 1) Item, wardeiz
que nulz fruis vous ne mangieiz; toute voie, quant li temps et la saisons vanrait,
vous porreiz bien mangier des prunes noirez et de sereiseunpoc aigres, com sont
1. Forme lorraine, pour la.
2. Ms. lortjues.
; . Sic, corr. clairei: ?
4. Sans doute Veruca, vulgairement roquette, plante acre et à propriétés exci-
tantes, eruc dans le dictionnaire de M. Godefroy qui traduit par •• chenille »
sans faire attention que lexemple unique qu'il cite, emprunté au glossaire de
Glasgow, est rangé sous la rubrique de hcrbis. Je trouve eruquc au xv siècle, et
plus tard, dans Cotgrave, :ruce « the herb rocket », mix^erucle ou /ïuruc/t' n'ap-
paraît nulle part à ma connaissance. Cette forme semble indiquer un type eru-
cula toutefois -ucle peut s'être dit pour -uijue, par addition d'une / non étymo-
logique, comme dans triade, canticle, chronicle, etc.
l82 p. MEYER
brequenades ' . (12) Item, ne vous beingnieiz mie au mainsscuvent ou temps que
vous sentei?: vostre maladie, se vous n'estçs devant saingnieiz. ou que vostre corps
soit purifieiz par medicine. (13I Item, wardeiz vous de travillicir, soit en alleir
ou aullrement, et de fort labour tatitost après ce que vous avereiz mangieit.
(i^) Item, wardeiz vous de piumeir 2 les pieis et de chevauchieir les jambes trop
aquaisiées et de chevauchieir a ventre remplis, (i^l Item, wardiir (sic) vous
de avoir compaignie a femme, et de tous corrous de hayne, de tristece, de très
grans cusansons, et de longement veilieir ; et en yveir couvreiz bien vostre teste
et tout lou corps, et les piciz en especial wardeiz bien de froit au plus que vous
porreiz. (16) Item, wardeiz que les avant pieiz de vos chauces ne soient (fol.
90 d] trop estroites, ne vos soliers auci. (17) Item, wardeiz vous de mangieir
poires que en mainjuten yver, et de pomes auci, et cuignes 3, et de chaistines
et de vieiz raisins et de navieiz. (18) Item, wardeiz vous de maingier gelines
trop viellez. (19' Item, wardès vous de gésir sus vostre dolz. (201 Item, wardeiz
vous de boivre vins purs et trop subtilz et de mamgieir aisilz trop sovent et de
useir choses aigres et de tous pains sens levain et mal cuit, com sunt waisteizet
pain trop blanc. (21) Item, wardeiz vous de toutes nuixes4 grandes et petites.
(22) Sire Jehan d'Aix, pour tant que vous sachieiz quelz choses vous pueent
aidier ou nuire a vostre maladie, j'ai ces choses ordenée (sic) pour vosuesancteit,
et vous signefie que, ce vous aveiz cusançon de vous wardeir des choses dessus
dites et vous laites les choses que si après s'ensevent et que je vous escris, sens
doubtes, vos passions et les dolours de vostre maladie ne seront mie si grief ne
si fortes comme elles ont esteit, maix ils apercevereiz sensible allégement, ne
les accès que vous solieiz avoir ne seront si fort ne si grevable com il soient, ne
si ne vous tanront mie si sovent. Et si ne vous mervillieiz mie se si tost vous ne
aperceveiz alligement, quar trop fort est a wairir ceste maladie. Veci dont après
ceu que il vous couvient faire et governeir por vostre régime, quant a maingier
et a tout vos aultre governement.
{21; fo!. 91) Veci conment il vous covient governeir. Premieir, quant a
maingieir, vous deveiz niaingieir pain qui soit bien cuit et bien leveit, qui ne
soit mie ne trop durs ne trop blanc 6, et boveiz vin rouge qui ne soit mie
doulx, main soit bien purifieiz et purgieiz de toutes superfluiteiz? ; et maingieiz
chars de veel qui soit de leit ou de buef qui soit jones, non mie anciens, et
chair de motons d un an ou de un an et demi au plux. Maingieiz hardiement
des pucins, des jones gelines et perdris et des petiz oiselès, des cunins jones,
1 . Je ne trouve ce mot, que je ne puis lire autrement, dans aucun diction-
naire.
2. Je ne saisis pas le sens de cette expression. Du reste la leçon plumeir
n'est pas sûre.
3. Des guignes ou des coings.?
4. Noix, actuellement nuche^ en patois lorrain.
5. Pour / ou )'.
6. C'est ce qui a déjà été dit au § 20.
7. Cf. §^
NOTICE d'un MS. messin iS^
et aucunes foiz des pieiz et des groing (sic) de porc et des ventres de veel
et de motons. (24) Item, wardeiz tant corn vos porroiz, et especialment ou
temps de esteit, que vous ne boveiz point de vin qui ne sot bien attrampeiz
d'iawe. (25) Item, quant vous junereiz, ou ou temps que en doit juneir, soit en
quairesme ou en au tre temps, vous poeiz bi^n maii gieir de l'orge aux esman-
dres ou dou riz fais a foison J'amandres et de la purie de chiches. (26) Item,
toutes choses que en puet humeir sont profr.ables. (27) Item, ou temps que les
perses sont bonnes, vous en poeiz bien maingieir une que soit bien meure, et
poeiz bien maingieir des prunes noires et des sereises aigres. (28) Quant aux
herbes, vous poeiz bien useir delà loraige ", deschos lombardas, des espinaches,
des laituee, et des somences de chos blans avec un poc de persil. (29) Item,
quant au saices, vous porreiz bien useir en vos paistelz et en {fol, 91 b) vos
salses de cest porré et non mie trop habundanment, maix en petite quantitei :R. ^
preneizdou blanc gegimbre .ij. 3 3, c'est .ij. onces, et demy once de coriandre
qui soit buHis en vin aigre, et bien saichieiz et bien apparillieiz, et des clos de gi-
rofle- et dou saffran, autretant de l'un conme de l'autre, Ies4 poix de une dragme,
iS .j., et de la kenelle bien fine .vj. dragmes, 5 .vj.; et de toutes ses choses
faites bone porre, et de ceste porre vous meslereiz avec amandres bien broiées,
et en fereiz une salse avec un poc de verjus ou de vin aigre ou 6 de ceste porre
en poeiz confire vos paistelz, especialment par tout lou temps d'esteilz, especial-
ment quant on tire les pastelz fuer dou four. (}o) Item, vous poeiz bien useir
dou lait d'amandres detrampeiz an jus de pomes de granate ou an verjus; et
pour tant que a Mes vous ne poeiz mie bien recovreir de pomes de granate, il
soffit que il soit fait au verjus, et en faites en manière de une salse que soit
commune a chairs rostie ou a poixons; et il 7 meteiz de la fine quanelle avec foi-
son d'amandres et de l'aisy ^, et en yver y meteiz dou blanc gegimbre. (51) Item,
je vous los et conseille souvrainnement que vous usieiz bien sovent dou co-
riandre confis et bien apparrieiz, ou dou pur coriandre apparilliez senz sucre,
et dou confiz preneiz en devant disner et après soupeir ou vous beveiz après ce
que vous lou panreiz aultre fois, quar vous en apersevereiz plusours profis et
au stomaque et aux {() oreilles, quar il deffent les oreilles de corneir, et aux eulx,
quar vous en vaireiz plus cleir, et wairde de occursir les eulx et aguise et forte-
fie l'appétit et warde les gensives de porriture et de punaisie et de l'esquinance
et de moult d'aultres maladies les queilles ie laisse a nommeir pour cause de
briefteit.( 3 2) Et saichieiz que il valt et résiste encontre toutes humor et vapour
venemouse, et deffent que les humours que sont causes de ses goûtes ne des-
1 . Corr. borraige, de la bourrache.? Littré n'indique, à l'hiit. de ce mot, que
borracctl bourrache,, mais il y a barage dans un vocabulaire latin anglais-français
du xiir siècle, Wright, A vol. of vocabulanes I (1857), 140.
2. Rccipc.
j. Faute de mieux j'emploie ce chiffre pour désigner l'once
4. Pour le.
5. Je rends par un 5 le signe de la dagme.
6. Il faut supposer une lacune, ou corriger ou en et.
7. Pour i ()).
«. Pour aisil, vinaigre.
184 P- MEYER
cendient au junctures, et pour tant vous consoille je tant corn je puix pour vostre
profit que vous en uzieiz chesques jour.
(33) Or noteiz bien tout ceu que vous est deffendut et toutes choses que je
vous ai deffendut cy dessus et toutes les choses auci que vos sunt oltriéfe]s por
vostre governement, et connient vous en deveiz useir. Et pour tant que ceste
maladie a poinne puet estre wairie, pour tant vous escris je tantost après quelz
choses vous deveiz faire pour aliegieir vostre maladie, et par avanture vous
porreiz ' bien garir, maix toute voie ceu que je vous escris ici je vous escris
plus pour aliegieir vostre maladie, et se n'avereiz mie si fors assez ne si sovent
com vous aveiz ehut.
(34) Donc, quant au regimen pur wardeir vostre santeit et la continueir ou
pourwairir, il serait bon et profitable que vous vos facieiz saignieir au meyt
mars ou a l'anconmencement dou mois d'avril ou en mey lieu dou mois, {d) de la
voine conmunedou dextre bras, se elle appert plus plenne ou plus grosse, et
traieiz dou sanc jusques a demey Ib', c'est demey chopine, ou au moins jusques
a .iiij. 3. (35) Et devant que ceci faites, se vous aveiz le ventre dur, faites lou
allaisieir^ par aucune médecine, c'est assavoir par un clisteire legieir ou par
cassiafiscale 3, et de ceste saingniée faire entens je que ne li air ne la disposi-
cion dou corps ou dou ventre ne soit contraire a celle saingniée ou aultre empê-
chement notables, si com puet estre grant flux de ventre ou de emorroydes ou
de vomissement violent et incisant [qui] souvant surviennent a plusours corps.
(36) Et pour tant que point ne m'aveiz escript les signes de vostre goûte, ne
de queil cause et matière elle vous vient, ce de sanc ou de fleume ou de cole ou
de mélancolie, pour ceu ne vous escris je point la forme dou digestif que vous
deveiz panre après la saingniée, pour ceu vous covient il useir dou consoil d'au-
cuns phesiciens de Mes qui saiche ordeneir aucun digestif appropriei4 a la
matière qui est cause de vostre maladie, le queil vous panreiz après vostre sai-
gnie. (37) Et après celi digestif vous panreiz ceste medicine pour vous pur-
gieir, dont la recepte est telle : Vous panrerz de la lectuare de succo ros, et
le jour que vous panreiz purgacion aieiz boin regimen de consoil de bon phisi-
ciens. (38) Et wardeiz de vous (fol. 92) saingnier ou temps que li lune
serait ou signe que on appelle gemini, pues après en l'anconmancement d'aupton
et partout lou mois de septembre. Quant vos vous fereiz saingnieir, se lou faite
dou bras senestre et de la voigne commune que on appelle baselique, jusque a
.ij.3, amollie devant le ventre et purgieiz, se il estoit durs et restraint.
(39) Or viens je au remède especial, c'est a savoir pour osteir ou apaisieir la
dolour et la passion que vous soffreiz a vos piei^, quar se grant challour vous
tient en pieiz avec la dolour, preneiz de l'oie rosat et de l'oie d'anoi S, vd mir-
1. Ms. porreir.
2. Plus ordinairement alaschkr, 0 relâcher x.
3. Cassia fistuld.
4. Ms. approprieir.
5. Sans doute l'aneth, ancthum gravcokns L. Ce mot n'est pas relevé dans
le dict. de M. Godefroy et il n'y en a pas d'ex, ancien dans Littré sous aneth, mais
NOTICE D UN MS. MESSIN I55
tino, et de l'oie de camomille, et prenes ij. part de l'oie rosat et une de l'oie
de camomille, une aultre de l'oie d'anoi ou de mirtifi, et mesleiz tout en-
semble, et perneiz de ses oies ensis ensamble meslées, et un poc teive,
en unpnieiz le lieu ou vous santeiz la dolour, et se li trmps est frois ne
l'esxaffés point, maix tous frois en oingnieiz la dolour. (40) Et ce ces choses ne
profilent et que la dolour ne se assoage point, faites cest oingnement et en oin-
gnieiz le lieu ou est la dclour, et veci la recepte : R. farine ordci opii ana 5 ./. ' ;
misccanlur cum succo solatri et tribus vitdUs ovorum, et fiùt unguentum. Item, ad
idem valet^ c'est que a ceci vat, herba piiltd 5 Iritj et cum o'eo rosaceofnxa modi-
cum, mise dessus le mal. (41) Et ce encor ses choses ne profilent, si faites un
teil oingnement : R. spodi'i, camphore, (b) memiche acacieana^ -l-iOp-i grana
tria, confiaanlur cum aqua lacluce vel portulace vel succo plantagmis vel cum aqua
solaln. Item a ce meisme vait cest emplaistre : R. allium de pluma ceruse, boli
armeniciAana^ .iiij. rrastic.jhuris ana. 5 jj .; Icreaniur omnia cum jïij^^a.lbumlnibus
OYOrum, vel cum succo poitubce, lactuce^ endivievel plantaginis distemperentur. (42)
Item, veci une aultre remède qui est tout approveit pour faire cesseir la dolour. r.
la miate de pain bien blanc et la menuisieiz en lassel de vaiche, et tant la menuis-
sieiz et debrisieiz en celui laisse! que elle vieingne en samblance de oingnement,
et il meteis la quarte partie de opii, et bien fort les mesleiz ensamble avec lou
laissel, et meteis ceci tout sus lou feu, et pues ceci meleis bien tost sus la
dolour. (43) Et deveiz si noteir que ces emplaistres et oingnemens que sont ici
deviseiz ne doit on mie mettre sus la doulour, maiques en l'anconmencement de
la maladie, et quant ele croist plus, et les doit on continueir .iij. jours ou .iiij., et
quant la maladie est en son estet parfait, porreiz useirde teil emplaistre et medi-
cine: R. rosarum rub 5 s. i, croci^ ./.; camo.,melli!oti ana '6s.; confuiantur cum succo
vel cum aqua decoctionis coriandri. (44) Item ad idem : R. succi mente 3 i., aloen 5,
on trouve aneie dans le nominale latin français que j'ai fait connaître d'après un
ms. de Glasgow (voir mes Rapports, p. i 23), et anois dans le vocabulaire latin
français de Douai publié par Escallier (n" 170, p. 227).
1. Ici et en quelques autres cas il serait posssible que le ms. eût lesignede
l'once et non celui de la dragme. Les deux signes ne différent pas considérable-
ment, du moins dans ce ms., et toute vérification m'est actuellement impossible.
En cas de doute je crois agir avec une sage prudence en mettant la dose la
moins forte (la drachme est le huitième de l'once) pour épargner des accidents
à ceux de nos lecteurs qui, suffisamment édifiés sur les ressources de la médecine
moderne en ce qui concerne le traitement des rhumatismes, voudraient faire faire
les ordonnances de M'^ Jean Le Fevre.
2. PljntJgo Psytlium L.
5. C'est probablement le grec ar.oZ'o-j, scorie métallique. Carpentier (dans
Du Cange) cite des extraits d'anciens glossaires oij on voit que spodium a été
employé au sens de « .crugo aiis » et de » res adusta ». Un traité de matière
médicale connu d'après un incipit, sous le nom de Circa instans, et attribué à
Platearius, porte : » Sprodiumos est elephantis combustum », voy. J. Camus,
L'opéra sa!crn:tana « circa instans n ed il testa primitive dcl « Grand herbier en
français «, p. 121 (Extr. des mémoires de l'Académie de Modène, 1886).
4. Bol d'Arménie, substance argileuse employée comme astringent ou hé-
mostatique.
5. Une demi -once; 1'^ est le sigle de semis.
l86 p. MEYER
.ij.,opii.3s., pulveris camomille et meUiloù quod sujficit ; fiât tmphmstrum,ettepi'
dtimapponalur.hem ad iJcm: R. boH armenii, alocn, croci, ro., mirli, ana conficun-
tur cum aqua \c) corunJri. (45'. Et quant la maladie s'en vat en déclinant, pour
resolveir et aniainrir les matières que font les goûtes en pies, vous fereiz cest
epichime': R.ceruse nove ./., et fondeiz, et resolveizen oie de lis, et adde musa!-
lagims fcnugrcci 3 s. et scmen Uni 3 ./'., et ses choses broieis bien tout ensemble,
et en faictes un epichime '. (46) Encor il vait ceci : R. cere 3 .ij.,oleianai 3 .j.et
s.\ disso'vatur ierapigra^ in predicto o!co, et post addatur camomille pubis, cum
axuni:,ia galline vel anatis, simul misceantur, et en faites oingnement et teivelet 5 le
meteiz sus lou mal. (47) Item, en la plus grant dolour de la goûte, le darrien
remède que tantost fait cesseir la dolour, faites ceste recepte : R. succi iolatri
montalis IbA. /.; zz S bcne pu!ven:aîi, 3 s., vitella ovorum .^I/o^ ; misceantur omnia
et stupe canabuK inbibantur et super locum ponatur. (48) Et saichieiz que tous ses
remèdes ici dessus eicris sont ordeneiz pour les goûtes dez pieiz que viennent de
chaude cause, quar se elles venient de froide cause il nuirent^ plus que il n'ai-
derient; et pourtant, se vous aveiz chalour grande ou pieit ou ou lieu que la
goûte vous tient et la doulour, elle vient de chaude cause, et se il est froiz elle
vient de froide cause. (49) Si me rescriveiz par aucun qui viegne a Montpel-
lieir se li membre ou queil vous senteiz la dolour est froiz, et adonc je vous
ordenerai les remèdes contre et que vous {d) porront aidieir, quar quanque je
vous escrips n'est maiques con're la goûte des pieiz que vient de chaude cause,
et a ceu le poieiz vous cleirement apercevoir, quar li lieux ou la dolour tient
doit estre rouge et chauz. (50) Item, vous deveiz conforleir lou membre o\x la
dolour vous tient, afin que la mauvaise matière n'i descendent, par mettre sus
aucuns amplaistre profitable qui serait teilz : R. lucci sigillaci 3 ./. cl 5., olei
mirtini^ spice,nardi,ana 5 ./., acacie^mirrc^ana 5 ./.. et 5., mie. cypressi 5 i., ro. 5 s.
squinanci 5. 5., cere nove 5. s. lapdani 5. in olei camo. quod sufficit ad incorpo-
randum ; dissolvantur dissohenda in predictis oleis et fiat emplaustrum quod ponatur
supra pannum et mvolvatur menbrum dolens. (^\) Ad idem veci un aultreemplaistre
dou queil vous porreiz useir de l'anconmancement de voslre maladie jusques a
la fin. R. hermodactillorum 3 .ij .; puhcrizentur et deinde addatur farine ordei 3 /.,
vitella ovorum quod safficiant ad incorporandum, et fiat emplastrum. (52) Item^
R.fabds cum corticibus et coque in aqua, et postea cola et aquam ponas in caldario
novo; post accipe scmen malvasti, semen citoniornm, scmen lactuce, semen pa pave-
ris aibi, ana 5 .//•. sc^en planlaginis, fenugreci et anetijol. ro. , semen caulium, man-
dragore, sandallorum, cicerum, ana 5 ./'.,• coque totum in aqua plantaginis ita quod
coopcriantur medicine donec (M. 95) remaneat medidds; deinde cola et misceatur
tantumdem olei ros. quousque consumatur aqua, et rcmovcas oleum, et postea
pondéra oleum et cuihbct ponderi in 5 appone 5 .iij. cere albe et 5 .11/'. de cepo de renibus
1 . 'E7:t'/uuLa, un Uniment.
2. Hiera pixra, préparation composée d'aloes et de miel.
5. Un peu tiède.
4. Ltbrani.
<,. C'est-à-dire zinziberis.
6. Corr nuiraient.
NOTICE d'un MS. messin 1 87
vituli, et misce totum et utere cumopus fuerit. (5^» Item, veci un emplaistre qui
valt por conforteir le membre uu est la dolour, et que bien attramprement des-
truit et font la mauvaise matière et l'ampeche de descendre ou membre dole-
rculz et assoagit la dolour. R. re. lub.bdr. 3 ./., nue. inJic. 5 .ij., tdere terrcs-
triso ./., achori 5 ./., verbcne3s.,fIor. cctlcane^ ./. lucisigilItlti.S.j., ccre novc^s.;
disiolvatur cera in olco mirlino et camomillino cqaalibus partibus, addenda de oleis
predklis ejiiod suficlt àd incorporandum, et fuU emplastnim. {^^) Item, baingnieir
ses pieiz en yawe ou soient cuites id est in aejua decoclionis florum amigdalarum
camomille et (o'iorum mirte atque mtlhloti, moult les confortet. (55) Item, les bai-
gnieir en moust novel il valt moult. Item, les baingnieir en yawes ou la chairs
d'un volpiz, qu'est un renairs, si est cuite et si bien cuites qu'elles soit toute
deffaite et fondue; et auci valt moult encontre cest maladie li oie ou la chair
d'un welpis est cuite; si en doit on oindre les pieiz ; maix devant on se doit faire
saingnieir et panre purgacion. (56) Et ce ces choses ne profitent, si converrait
useirde cerurgerie, de ter chaulz ardant et bouteir le fer ardant desous la cha-
ville dou pieiz au (b) par de fuer .iij. dois aval et auci desous lou genoilz .iij. dois
aval, maix warde/z que ceci soit fait par lou conseil de saige et apers cyrur-
giens. (^7) Et quant a présent, non plux ne vous escrips, maiques tant que je
vous prie que vous faites tant que vous aieiz un boin phisicien qui vous saichet
ordeneir les receptes que je vous escrips et vous envoie, et que il soit présent
en l'osteil de l'apothequaire, quar je crois bien que vous ne les savereiz lire ne
entendre; et vous preneiz bien en warde que vous ne useiz de nulles des choses
dessus dates que vous sunt deffenduecs, se vous voleiz avoir santeit et non sentir
les dolours que vous aveiz acoustumeir a sentir, maix useiz de celles que je vous
escrips, et teneiz celé governement que je vous escrips. (58) Et ce vous n'aveiz
toutes ou aucunes de choses que sunt contenues es receptes dessus dittes
envoieiz a Montpellieir par aucuns de vos merchans qui y suelent venir vel > par
aucuns certains messaige, et m'envoieiz les nons en escript, soient herbes ou
aultre chose, et l'airgent pour les paieir, et je les vous envoierai ; et si m'escri-
veiz auci se vostre maladie vient de froide cause, ensi com vous porreis aper-
cevoir par ccu que j'ai si dessus escript, et je vous ordenerai, avec l'ayde de
mes maistres, ceu que vous serait profitable encontre la maladie. (59) Et, ensi
com j'ai dit si dessus, se ou temps que vous senteiz vostre dolour, se li vostre
pieiz est chaulz, la maladie vient de challour, et se il est frois elle vient de froi-
deur ; et pour tant (c) faites ensi com je vous escris. Jehans Le Fevres de Mes,
le tous vostre pour servir a vous et aux vostres selon mon pooir, de bon cuer
et de bonne volenteit.
I. Il y au? dans le nis., mais il est évident que la lettre du médecin devait
porter ul' abréviation de vcl.
i88
APPENDICE
I. — Sur les versions en prose française du Secretam Sccretorum.
Outre la version du ms. de Montpellier, dont je n'ai rencontré aucune
autre copie, je connais quatre versions en prose du Secretum Secretorum.
La plus ancienne est probablement celle qui a pour auteurs Joffroi de
Waterford et Simon Copale, et qui n'a été signalée jusqu'à présent que
dans le ms Bibl. nat. fr. 1822. Elle est fort libre et d'autant plus inté-
ressante. Je me borne à renvoyer à l'étude que lui a consacrée V. Le Clerc
dans le t. XXI de V Histoire littéraire, tout en faisant remarquer qu'il reste
encore, en ce qui concerne l'origine et la part de collaboration des deux
traducteurs, bien des points obscurs. Je désigne par A, B, C, les trois
autres versions.
A. — Version remontant probablement au xiii* siècle. Elle paraît
fort exacte. Je cite d'après le ms. Bibl. nat. fr. 571 (anc. 7068), qui
paraît avoir été écrit au xiV' siècle. P. Paris en a cité quelques lignes
dans ses Manuscrits français, IV, 407-8.
{Fol. I 24 <î) A son seign"" hautisme en culture de crestiene religion très ver-
teus (5(c) Guy, veirementde Valence, de la cyté Tripoli glorius eveske, Phelippe,
de ses clers li mendres, soi meimes e leal service de dévotion. D'autant corne la
lune est plus clier ke les esteiles e li ray du soleil plus lusant que la lune,
d'autant surmonte la clarté de vostre engin et la parfondesce de vostre
savoir governe la gent qi ore sunt environ la mer, ausi bien barbariens corne
latins, en lettreùre. Si n'est nuls de sien (lis. sein) curage ki a ceste sentence
puisse relucter... Et corne a vostre seignorie plout ceste margarite de philosophie
a Antioche, ou je ou vous estoie, k'ele de lange d'Arabie en latin fust trans-
latée, je. a vostre comandement covoitant humblement obéir, et a vostre volenté,
si corne je sui tenuz, servir, cest livre ke les Latins pas n'avoient, por ce k'en
pou lius fu trové neis d'Arabie ', ai translaté od grant travail, en apert lengage
de latin, delà lange d'Arabie...
(Fol. 124 d) Prologes du translateur en loenge d'Aristotle.
Deus omnipotent gard nostre roy a glorie des creanz, e conferme son règne a
sa lei divine défendre, e pardurer lui face a eshaucerhonur e loenge des biens 2...
(Fol. 125 û) Jehan qe cest livre translata, le fiz Patrie, tresachant e très
ioial disour des langages dist : Je n'ay pas guerpi ne le liu ne le temple ou li
1. Texte latin: « quia apud paucissimos Arabos reperitur
2. Il faudrait buens
NOTICE d'un MS. messin 1 89
philifophe {sic) soloient escrivre e lur privez oevrez respondrc que je point
n'eschivai...
{Fol 125 a) Une epistrc Alex, a Ar.
Je fais a savoir a vostre cointise ke j'ai trové en la terre de Perse unes genz que
de raison abundent e de perzant (corr. parfont?) entendement...
(Fol. \2\ b) L'cpistn Ar. a Altsandrc.
0 filz très glorius, très doiturier emperere, Dieus te conferme en voie de
conisance e en sente de vérité e de vertu.. .
B. — Version qui remonte au xiv« siècle. Le commencement est
remanié et abrégé. Je cite d'après le ms Bibl. nat. fr. 1086 qui appar-
tient à la fmdece siècle. Autres copies : Bibl. nat. fr. 562 ^anc. 7062,
voy P. Paris, Mss.fr. IV, 544-6I et 10468, Arsenal 2691 ' ; Londres,
Mus. brit. Add. 18179; Oxford, Saint John's Coll. 102.
Johan filz Patrice, sage de touz langagez, trouva en Grèce, repost ou temple
du soleil que Esculapides avoit fait faire, le livre des secrez Aristote, et le trans-
lata de grieu en caldieu. Et puis, a la requeste du roy d'Arabie le translata
de caldieu en arabic. Et après grant temps ung grand clerc appelle Philiippes
le translata d'arabic en latin et l'envoya a révèrent père en Dieu très sage noble
et honneste personne Guy de Valence, evesque de Triple...
Comme Alixandre envoya une epistre a Aristote pour avoir conseil se il occiroit
ceulx de Perse.
0 très noble signour de justice, je segnifie a ta prudence que j'ay trouvé en
la terre de Perse unes gens habundans de raison, et ont entendement a acquerre
royaumes...
Le .iii']., comme Aristote envoya aAlixandreune epystreen soy excusant qu'inepoutt
alcr de vers ly pour sa viellessc, et pour ce luy envoyé ce livre comme il se doit gou-
verner.
Alixandre, biau filz gloriex emperierez, le très précieux Dieu te vueille con-
fermer et envoyer cognoissance et sentir vérité et vertu...
C. — Version qui ne parait pas être antérieure à lafmdu xiv* siècle,
mais qui ne peut être notablement postérieure, puisque le duc de Berry
en possédait un exemplaire en 141^-. Elle supprime le premier pro-
logue et commence au chapitre Deus omnipotens custodiat regem nostrum
(ci-dessus, p. 168) et ensuite confond en un seul personnage le Phi-
lippus du prologue supprimé et Joannes filius Pairicii. Je la cite daprès
lems. Bibl. nat. fr. 1087. Il en existe d'autres copies, par ex. Bibl.
nat.fr 1166, 19^8 ; Cambridge, Bibl de l'Université, FF. i . ^3 (daté
de 1420) Elle a été imprimée à Paris pour A. Verard, en un volume
renfermant divers traités ainsi indiqués à l'explicit :
1. Mss. ayant appartenue • Mademoiselle Anne de Graville », puisa d'Urfé.
2. Cet exemplaire, qui ne s'est pas retrouve, figure dans l'inventaire de 141 3 ;
voy. Delisle, Cabunt des mss. Ili, 184 (n>' 165).
190 p. MEYER
Icy fine le livre du gouvernement des princes, du trésor de noblesse et des
fleurs de Valere le grant, imprimé à Paris par Anthoine Verard. — (Bibl. nat.
E 1087, Rés.).
Elle occupe dans ce livre les vingt-deux premiers feuillets.
Dieu tout puissant, vueilles garder nostre roy et la gloire de ceulz qui croyent
en lui, et conferme son royaume pour prendre la loy de Dieu, et le face régner
a l'exultation, loenge et honneur des bons. Je qui suis serviteur du roy ay
mis a exécution son mandement, et ay donné oeuvre d'acquérir le livre des bonnes
meurs au gouvernement de lui, lequel livre est nommé le secret des secretz'...
(V°) Une epislre que Alixandre envoya a Aiislole.
Dotteur de justice et très noble recteur, nous signiffions a ta grant sagesse
que nous avons trouvé ou royaume de Perse pluseurs hommes lesquels habondent
très grandement en raison et entendement subtil et penetratif...
(Fol. 3) Le prologue d'un docteur appelle Phelippe qui translata ce livre en latin.
Phelippe qui translata cest livre fu filz de Paris, et fut très saige interpréteur
et entendeur de toutes langues, et dist ainsi : Je n'ay sceu ne lieu ne temple ou
les philosophes ayent acoustumé de faire ou deffaire toutes oeuvres ou tous
secrezqueje n'ay cerchié...
(Fol. 3 V") Très glorieux filz et juste empereur, Dieu te conferme en la voye
de congnoissance les chemins de vérité et de vertus...
Je mentionne ici, pour mémoire, la version très abrégée, et probable-
ment exécutée en Angleterre, que renferme le ms. Roy. 20. B. V. du
Musée Britannique, fm du xiV siècle. En voici les premières lignes :
(Fol. 136) Ici comencent les epististels (sic) sescretes (sic) del livre Aristotle a
Alisandre, q'est apelé secré des secrez, et dist ensi Aristotle a Alisandre:
Beauz fiz,gloriousdretturel cmperers, Dieux te conferme et refreyne tes apetis
desordenés, et com'erme ton règne et illumine ta conscience a son service et a
sa honur...
II. — Enseignement d'Aristote à Alexandre, d'après Gautier de Châtillon.
Voici les premières et les dernières lignes de la version des Enseigne-
ments d'Aristote annoncée plus haut (p. 169). Je n'en connais qu'une
copie, Bibl. nat. fr. 1975, ff. 66 à 68, du xv« siècle:
1. Il y a dans l'imprimé de Vérard une curieuse interpolation: « Dieu tout
puissant, vueille garder nostre Roy et la gloire de ceulz qui l'hon-
neurent, et conierme son royaulme à la gloire de Ditu, et le face régner a
l'exultation, louenge et honneur dp tous bons chnstiens. Je qui suis servi-
teur du dict s Agneur Charles VIII de nom, a sa l&uenge el honneur, ay mis
peine et entente d'acquérir le livre de bonnes meurs au gouvernement de lui.»
2. Corr. a preud' hommes.
NOTICE D'UN MS. MESSIN I9I
Alixandre, biaus filz, devieng homme et aprens a porter armes. Tu as bonne
achoison de Cbtre chevalier, car tu as anemis contre qui tu poes moustrer ta
vertu. Et le te diray comment tu le pouras laire. se tu me veulz entendre. Con-
seilles toi apprendes hommes - et laissiez les serfs et gengleurs et les félons. Ne
souhaulce ja ceuz que par nature doivent estre bas, car tu vois par coustume que le
ruisseaulz qui est enflés par le pluie ceurt plus orgueilleusement que cil qui
vient de la fontaine et court tousjours. Autresi est plus fier et plus crueulz li
povres homs soushauchiés. Il ne vueit oïr preiere ne fléchir soi a deboinaireté.
Fin (fol. 68 v°) :
Et se aucuns t'a mesfait, délaisse a prendre vengance tant que l'ire soit
apaisie, et puis que accordemens ara esté fais, ne te souviengne ja depuis de la
hayne. Se tu vis en cesie manière, tu gaingneras renommé qui ne fauldra a nul
jour du monde. ..
Paul Meyer.
P. -S. Tout ce qui précède était imprimé lorsque j'ai trouvé à la
Bodleienne un manuscrit (Rawlinson C 5581 qui renferme une traduc-
tion du Secret des Secrets différente de toutes celles qui ont été exami-
nées ci-dessus. Elle commence ainsi un fol. 5 v° à la suite de la table :
A son seigneur très excellent en la religion crestienne estable et très ferme
Guy de Valence, de la cité de Tripole glorieux evesque. Phelipe, de sez clers
le plus petit, humble recommendacion et dévote et loyale subjection. C'est
chose digne, juste et resonnable que vostre paternité aist cest livre ouquel
comment (?) de toutez les sciences aucune choze profitable i est contenue. Quar,
quant je estove en Antioche avecque vous et ceste precieuze de philosophie
marguerite si fust trouvée, il plut a vostre domination que il fust translaté de
arabic en latin...
Lems., qui est de très petites dimensions, a été exécuté à la fin du
xiV siècle. En tête du texte est placée une fort belle miniature de pré-
sentation. Au bas de la page est peint l'écu d'azur semé de fleurs de lys
et entouré d'une bordure dont la couleur ne peut plus être distinguée.
Ce sont probablement les armes de Jean duc de Berry (écu de France
à la bordure engrêlée de gueules , et en ce cas le ms. d'Oxford pou.Tait
être identifié avec le " petit livre en françois, escript de lettre de court,
« du gouvernement des rois et des princes » qui occupe le n" 164 dans
l'inventaire de la librairie du duc de Berry édité par M. Delisle [Cabinet
desmss., III, 184). P. M.
MÉLANGES
DE LITTÉRATURE CATALANE'
III. — Le livre de courtoisie.
Le poème, qui, dans le manuscrit n° 377 de la bibliothèque de Car-
pentras, où il occupe les feuillets 22] à 242, est intitulé Fasset, et que je
nomme Le livre de courtoisie, po\ir en mieux déclarer le contenu, n'est
pas une œuvre originale.
Fasset, ou plus correctement /îc<;/, renvoie à'faceîus qui, en bas latin,
on le sait, ne signifie pas seulement « plaisant, facétieux », mais
« courtois, bien élevé » ; c'est fort souvent, au moyen âge, un synonyme
de curiàlis et à'urbanus. Or, sous le titre de Facetus, ont été composés
deux poèmes latins, l'un en hexamètres, l'autre en distiques, que
M. Hauréau a récemment étudiés et décrits dans sa Notice sur les œuvres
authentic]aes ou supposées de Jean de Garlande^. D'un de ces poèmes, de
celui qui est écrit en distiques et commence par le vers: Moribus et vita
quisquis vult esse facetus, a été tiré le nôtre. Je dis tiré plutôt que traduit,
car bien que le rimeur catalan ait translaté à la lettre de longs passages
du latin, il s'est donné çà et là quelques libertés, il a maintes fois délayé,
développé et. à l'occasion aussi, abrégé.
Le Facetus latin tient du manuel de discipline mondaine, du livre de
civilité et de l'art d'aimer. Après des généralités, des conseils sur l'édu-
cation et le choix d'une carrière, des règles touchant le maintien, la toi-
lette et l'accoutrement, l'auteur dicte à ses élèves une ars amatoria, qui
est la partie essentielle de son œuvre et de toutes la plus longue, puis-
qu'elle embrasse environ la moitié du poème [v. 1 5 1 à 584I. L'influence
d'Ovide, on pouvait s'y attendre, est ici sensible et se manifeste en
1. Voir, pour les deux premiers articles, Romanla^ X, 497 et XII, 230.
2. Notices et extraits, t. XXVII, 2= partie, p. 1 j et suiv.
MÉLANGES DE LITTÉRATURE CATALANE U)3
plusieurs passages. Comme le poète de Sulmone, notre Catalan débute
par le choix d'une amie (v. 151-152):
Providus imprimis oculis sibi quaerat amandam,
Eiigat e mullis que placet unasibi.
(comp. Ovide, Ars amat., I, 55, 42), et continue par l'énumération des
artifices qu'emploiera le jeune homme pour se concilier les faveurs de
la belle. De même qu'Ovide, il recommande d'avoir recours à une
entremetteuse, une messagère {Vancilla ou l'index de \'Ars amaîorla. est
ici unenun/m); il n'a pas meilleure opinion que lui de la vertu féminine
et ne croit pas qu'une femme quelconque, adroitement sollicitée, puisse
résister longtemps (v. 198-200) :
Improbitas vincit, pectora frangit amor;
Ferrea congeries disrumpitur improbitate
Et durum lapidem gutta cadendo cavat.
(comp. Ovide, I, 473); il est d'avis aussi qu'un moment vient oii il
faut tout brusquer, sous peine de se rendre ridicule et odieux (v. 295 ss.) :
Vim faciat juvenis, quamvis nimis illa repugnet...
Expectat potius iuctando feinina vinci
Quam velit, ut nieretrix, crimina sponte pati...
Qui querit coitum, si vim posl oscula differt,
Rusticusest...
(comp. Ovide, I, 669 et suiv.). Enfin les recommandations qu'il fait
à son disciple sur sa toilette et la propreté de ses vêtements sont égale-
ment empruntées au poète latin (v. 5 1-52, et v. 109 et suiv.) :
Sepius insinuet vestes ut, tegmine mundus,
Purgatus viciis significetur ut est...
Libéra frons pateat, detonsis arte capillis...
Cesarie longa fit turpis forma virilis...
Non natal in caligis vel crus vel pes juvenilis,
Sed sotularJs formel utrumque pedem.
(comp. Ovide, I, $ 14 et suiv.].
Après cette longue dissertation de amore, dont Ovide a fait les frais en
partie, nous retombons dans les moralités; l'auteur reparle des diverses
professions, de leurs avantages et inconvénients, des qualités spéciales
qu'elles requièrent, etc.
Ce Facetus, dont le succès au moyen âge est attesté par les manuscrits
nombreux qui nous l'ont conservé, a tenté un rimeur catalan de la
seconde moitié, je crois, du xiv" siècle. Il lui parut que le livre du docteur
Face: — c'est ainsi qu'il interprète le litre du poème latin — méritait
Romania, XV. 1 ?
194 ^- MOREL-FATIO
d'être mis en roman, car il tenait ce livre pour le meilleur code qui se
pût trouver de l'art de corterU. D'abord il suit de très près son modèle.
Sans garder la concision du latin, ce qui lui était impossible, — à lui
comme à tout autre poète en langue vulgaire — il ne paraphrase guère
que pour les besoins de la rime. Après c'est autre chose. Il est visible
que l'art d'aimer, qui, dans les distiques latins, se soude à l'introduction
et y forme déjà le morceau de résistance, est, aux yeux du rimeur catalan,
la seule partie du poème qui compte, le reste ne devant servir que de
prétexte et de prologue. Ce manuel du parfait séducteur est ce qui sur-
tout l'a charmé et lui a semblé digne d'être révélé à ses compatriotes;
mais traduire ici ne serait pas suffisant, il faut insister et longuement
commenter l'original. Aussi les trois cent cinquante vers que le premier
auteur avait consacrés à l'^r^ amaîoria en fournissent-ils plus de quatorze
cents au second ; et, ce qui est remarquable, au lieu de revenir, après
cette longue digression, aux règles de conduite qui terminent le poème
latin, notre Catalan continue pour son compte à parler de l'amour : la
morale de son trané est une diatribe terrible contre les femmes, qu'il
n'atténue qu'à la fin par quelques réserves à l'endroit des fembres bones.
Donc le Facet catalan est essentiellement un art d'aimer et se rattache,
par-dessus son modèle immédiat, à la littérature des imitations d'Ovide
en langue vulgaire. Je voudrais pouvoir trouver dans cette œuvre, et
surtout dans les partiesajoutéespar l'auteur catalan, quelque autre intérêt
qu'un intérêt liguistique : cela ne serait pas facile. Il faut convenir que
le tout est piètrement composé, écrit et versifié, et que le Catalan a peu
marqué son coin dans ce délayage, peu marqué aussi la couleur de son
époque et de son pays. Quelques allusions à Flore, à Tristan, à Jaufre
Rudel de Blaye dénoncent le poète en langue vulgaire, auquel étaient
familières les œuvres principales des littératures provençale et française;
un dicton castillan rapporté quelque part (v. 1549-50) trahit seul le
rimeur d'outre-monts. Voilà à quoi se borne la note locale du Facet.
Ou faudrait-il encore relever l'importance relative, et plus accen-
tuée que dans le latin, donnée ici au rôle de la messagère d'amour?
Serait-ce un trait plus particulièrement espagnol, quelque chose qui
rappellerait le pays de la Celestine ? A peine. Mais le nom que porte la
moyenneresse et que je n'ai pas rencontré ailleurs vaut qu'on s'y arrête.
Ce nom est hdestral; or, destral, en catalan, signifie « hache ». Qu'a de
commun une hache et le personnage en question ? Au premier abord,
j'ai pensé que destral, au lieu de son sens habituel et constant de « hache »
avait ici celui d' « indicatrice» et de « guide » (comp. le castillan «^/e^/ro,
guide, licou, et destrar, adestrjr, guider, conduire!, et que le poète, en
employant ce terme, s'était souvenu de l'épithète d'index, qu'Ovide
[Ars amat., I, 389 et 597} a deux fois appliquée à Vancilla qui sert les
MÉLANGES DE LITTÉRATURE CATALANE 19$
intérêts de l'amant ; mais voici que deux passages établissent qu'au con-
traire l'auteur catalan a bien entendu prendre le mot au sens de hache
(v. 570-71):
La destral sia tan aguda
A dos colps l'arbre s'en aduga.
Littéralement : « Que la hache soit assez aiguisée (ou l'entremetteuse
assez adroite; pour, en deux coups, abattre l'arbre. » Et encore
[V. 1 102-03I :
Tremeta tost par la destral
Per derrocar l'arbre fortal.
« Que l'amant demande aussitôt la hache {ou l'entremetteuse) pour
abattre l'arbre robuste ». Tout au plus pourrait-on admettre un jeu de
mots : destral aurait les deux sens de hache et d'index.
Le texte du Facet nous est parvenu dans un état lamentable. Assurément
plusieurs scribes ont dû travailler à rendre inintelligibles bien des pas-
sages de ce poème; c'est eux, non pas l'auteur, qu'il faut rendre res-
ponsables de mots altérés, d'infractions à la mesure du vers et d'omis-
sions de vers entiers. Mais l'auteur a à sa charge aussi des négligences et
des incorrections. Ainsi n'est-ce pas à lui qu'on doit s"en prendre d'une
faute contre la syntaxe qui revient souvent, j'entends la confusion du
discours direct et du discours indirect, le passage dans une seule et
même phrase de la deuxième personne à la troisième, ou l'inverse ?
Par exemple (v. 340 et suiv.) :
No sies entre !os maiors
En paraules trop hdbundos
E tingii tant entre sa pensa
So que voira dir niporpuisa.
L'auteur, vraisemblablement, était peu maître de sa langue et compre-
nait mal le latin.
La versification du Facet prête à diverses observations. Un trait d'abord,
qui la distingue nettement de celle du conte de Vamant, la femme et le
confesseur^ et la rapproche de celle des Sete Savis^, est l'emploi d'asso-
nances féminines. Nous trouvons ici des assonances telles que doctrina :
! . Romania^ X, 497.
2. Publ. par M. Mussafia.
196 A. MOREL-FATIO
dia; disciplina: sia ; ciciliana: mala qu'ignore le conte que j'ai publié,
alors qu'elles sont fréquentes dans les Sete Savis. Mais cette question
demande à être examinée d'un peu près.
Il semble au premier abord, et à considérer seulement certains cas,
que l'auteur ait eu la ferme intention de rimer son poème correctement,
et si correctement qu'il n'aurait vu aucun inconvénient à plier la gram-
maire et la syntaxe aux exigences de la rime pure : obtenir de vraies
rimes aux dépens de la correction grammaticale, de la forme régulière des
mots, tel aurait été son but. Comment expliquer autrement des rimes
telles que hom: perdoin (266-67); ^' • ^^z"' (392-9?) ; desesper : esforser
{^92-ç)])', diner: fier (12^^-4%) \ fer : parler (526-27); infant: veraya-
mant[j62-6]] ; où perdom {perdon.it] échange son n contre une m, où di
[dico] perd son c final, ce qui est contraire à la phonétique catalane, où
esforser et fier passent de la première à la deuxième conjugaison, et où
verayamant, cet adverbe en ment, prend un a auquel il n'a aucun droit ?
Et je ne parle pas de beaucoup d'autres exemples, où l'addition d'une s
à un substantif, un adjectif ou un adverbe transforme une assonance en
une rime pure, parce qu'on ne peut pas déterminer exactement dans quels
cas l'emploi de cette 5 de déclinaison était ou non conforme à l'usage
catalan au xiv" siècle. La règle de Vs n'a jamais été observée en catalan
populaire; mais l'influence des lectures provençales amena presque tous
les poètes catalans du xiir et du xiV siècle à ajouter un peu au hasard
à bon nombre de substantifs, d'adjectifs et de participes 1'^ du nominatif
singulier ou du régime pluriel, dont ils ne connaissaient pas exactement
la valeur. Lors donc qu'on trouve, comme ici, des mots terminés par
une s que ne légitiment pas l'étymologie et la règle provençale, il ne
serait pas exact de taxer ces formes d'incorrectes : c'est une licence per-
mise. Notre texte fournit: v. 688-89 conoriats (nom. pi.) : bontats
(nom. sing.); v. 714-15 resplandents (rég. sing.) : plazenis (rég. pi.);
V. ç)o ]-04 corîés (nom. sing.) : mercés (rég. sing.); v. 957-58 bontats
(rég. sing.) : pentinats (ind. prés. 2" p. pi.); v. 1054-55 abrassats (nom.
pi.) : nats inom. sing.); v. 1647-48 morts (rég. sing.): storts (nom.
pi.) ; enfin trois exemples d'adverves en ment terminés par une s:
V- 7 3 2-7 n luents ^nom. pi. , : verayements ; v. 1 48 5-84 serpents ^nom. sing.) :
examents; v. 1521-22 jausents rég. sing.) : verayaments. En provençal
classique l'une ou l'autre de ces formes de mots rimant ensemble et
quelquefois toutes deux seraient condamnées, tandis qu'ici l'idiome
littéraire et poétique les tolère: nous ne rangerons donc pas ces exemples
parmi ceux où la grammaire est sacrifiée à la rime pure. Mais il en reste
d'autres à joindre à ceux qui ont été cités précédemment, j'entends des
mots où l'accent a été transposé pour les faire rimer parfaitement avec
d'autres: v. 504-05 cortés: largués (pour largues, pi. masc. delarch);
MÉLANGES DE LITTÉRATURE CATALANE 1 97
V. 104S-4C) gracia : alegrd; V. \ <iO()-io faysô: Ovidiô (au lieu d'On'^i. ;
V. 1708-09 ha : luxurid ;au lieu de luxuria !'.
En revanche le Facet contient un grand nombre d'assonances, ou, si
l'on veut, de rimes imparfaites. Est-ce négligence, est-ce système ? Je
n'en sais rien. Ce qui est certain, c'est que ces assonances vont à ren-
contre du procédé antérieur, qui consiste, comme on l'a vu, à subor-
donner la grammaire à la rime. A quoi bon, se demande-t-on, torturer
des mots au profit de l'homophonie, quand ailleurs le poète se contente
de simples approximations ? Quoi qu'il en soit, voici le relevé de ces
assonances. Il convient, il est vrai, dedistinguer celles qui ne sont qu'ap-
parentes, simplement graphiques, de celles qui sont réelles.
I. Assonances graphiques. Voyelles. E : a. v. S<^-S6 mesîre : metra;
V. 1455-54 ^ro^a; roge; il n'y a là qu'une différence de notation, e et
a dans cette position représentant exactement le même son. — Con-
sonnes. Rs: s, après un e ou un o. V. ]oS'iocortés: es: leugers;v. 340-
541 maiors: habundos; v. 5 54"5 5 abdos : amors ; v. 818-19 ^'°^' t^f^ors;
V. 917-18 lausors: nos; v. 981-82 vos: cors; v. 1 1 ^o-ji vos: lausors;
V. 99-100, 297-98 sasarros : fors. Dans tous ces exemples, il est très pro-
bable que l'r ne se faisait pas entendre, et que es et ers, os et ors se confon-
daient dans la prononciation; en effet, il n'est pas rare de trouver en
catalan des formes telles que primés pour primers primarios] et cos pour
cors [corpus), quoique le phénomène inverse, c'est-à-dire la présence
d'une r parasite dans certaines finales, dans des dérivés par exemple du
suffixe latin osiis, ne soit pas sans exemple » : ici même nous avons assors,
^v. 1421), pluriel de 05 |05, 055/5). — nf5 : n5, après ^ ou c. V. 111-12
recomptants: escrivans ; V. i ^S-^c) infants: capelans;\. 776-777 mans :
guants ; v, 1 126-27 mans: stants ; v, 1 379-80 manaments : sens\ 1688-
i6Sç) fems : calents. Dans cette situation, la dentale ne se fait pas faci-
lement entendre : toutes ces finales, de quelque façon qu'elles fussent
écrites, sonnaient donc de même ans et ens. — nt : n, après e. V. 504-
505 defaylimen: altiment ; le cas étant isolé, il n'y a trop rien à en dire,
car le t du premier mot a pu être omis par un scribe ; mais la chute du
t en ce cas ne serait pas non plus sans exemple. — m: n, après a.
V. 249-50 am: deman ; v. 856-37 sabran : am. Si ce sont bien là des
rimes parfaites, on a dû prononcer an, Vm s'est assimilée à 1'^; mais il
est possible qu'on doive mettre ces exemples au nombre des assonances
1. Des faits du même genre ont été signalés ailleurs; voy. P. Meyer,
Chanson de la Crois, albig., I, cix.
2. Voir Romania, X, 280; Mussafia, Introd. aux StU Savis, § j6.
198 A. MOREL-FATIO
réelles, et ce qui tendrait à le prouver, c'est le perdom, forme citée plus
haut, que le poète a créée, contrairement à l'étymologie, pour rimer
avec hom. — Puis quelques cas isolés et où la graphie, sans doute, est
seule en cause. V, j 22-2 5 trists: smarrits (je crois qu'on prononçait
plus souvent au pluriel tr.îs que trists et que le poète a bien pu écrire
frits] ; V. 421-22 agual: vall \\\ n'est pas douteux qu'on doive prononcer
aguall, l simple étant constamment employée dans les manuscrits pour
/ mouillée), enfin v. 1 5M'3<^ mes es : bezes [kl le z est une faute pour s).
II. Assonances véritables. Voyelles g; ci; ^, fl/, ay : au. v. 152-53
drei: deig^ ; V. ^<)6-ç)-j said : mal; 594-95 senyals : suaus;\. 1427-28
plau: natural; v. i/{6y64 play : said. — Consonnesf:c, après?, /, 0, or.
V. 1712-13 met: dech ; v, 538-39 ohlit: die; v. 768-69 dich : esperit;
V. 1084-85 dit: ric;v. 57-58 tôt: hoc; v. 1409-10 /jorc/z : mort. — ;? .•
c, /, après /, or. V. 604-oi macip : trich; V. 854-55 macip: exarnit;
V. 1627-28 fort:orp. — n: rn, après 0. V. 16 iç)-20 son : jorn. —
ts: s, après /. V. 754-55 vestits : paradis. — yll: y. V. 1437-38 erguyll:
anuy ; peut-être, cependant, / mouillée (représentée ici par le groupe)'//)
se prononçait-elle déjà comme / consonne.
Assonances féminines. /^; in^: /r^: /5^; ira: ida: iea. V, 138-39
doctrina : dia ; V . 230-31 disciplina: sia ; v. 704-05 nina: morria;
V. 911-12 estia: nina; v. 478-80 sia: profira: dia; v. 1655-56 gira:
dia;v. 461-62 camisa: via; V. 975-76 aymia : agradiva; v. 1447-48
tenyida: falia; V. ic)S>-c)C)sia: saviea. — ala: ana. V. ^66-67 ciciliana:
mala. — Ola: ona: ora: orra. V, 702-703 dona: hora ; v. 740-41
madona: axora; v. 1302-03 gola: bona; v. 1349-50 dona: hora;
V. i<i6ç)-jo s'anamora: modorra. — Oca: ota ; v. 1050-51, 1221-22
boca : tota. — ua : nda : uga : uyla {■= iiHa] . V. 1292-93 perduda : faduga ;
V. 1419-20 eguylla: niia. — ea: ella. V. 1 579-80 balea : ella. — esa: eta.
V. 4^ç)-6o sartroresa: robeta. — eles : eyles: eses. V. 760-61 mameles:
mereveyles; V. \/{4C)-^o creses : merereyles. — ates: agiies. v. 1545-46
mates: bujalagues. — iquen: iguen. V. 750-51 signifiquen : liguen. —
Assonances féminines où plus d'une consonne diffère V. 243-44 crusca :
alguna; v. 1399-400 balea: sembla; v. 1461-62 blanca : auca; v.
1551-52 castes : maridades.
De tous les morceaux en vers ou en prose dont se compose le manus-
I. Il est bien probable que Vi ne se faisait pas sentir du tout et qu'on pro-
nonçait detx {xz=.ch franc.) : ce ne serait qu'une assonance graphique. Toute-
fois, au V. 764, le poêle a écrit, contrairement à l'étymologie, dreig pour faire
rimer ce mot avec dcig.
MÉLANGES DE LITTÉRATURE CATALANE
199
crit de Carpentras, le Facet est celui qui contient le plus de passages
inintelligibles, du moins pour moi. J'ai fait ce que j'ai pu pour trouver
un sens aux vers, qui, tels que nous les livre le manjscrit, m'en
paraissent dépourvus, et, dans le petit glossaire placé à la suite du texte,
j'ai soigneusement relevé, à côté des mo:s plus ou moins rares que tous
les dictionnaires ne citent pas, ceux dont mes lectures ne m'avaient pas
encore fourni d'exemple et que, généralement, je n'entends point. Enfin,
pour donner à d'autres le moyen de corriger à leur tour plus facilement
ce texte si maltraité, j'ai cru devoir le faire suivre du petit poème latin
d'où il a été tiré. Ce Facctus n'ayant pas été, que je sache, imprimé, il
n'était pas à la portée dt tout lecteur de le comparer à sa traduction
libre catalane. Des chiffres de renvoi, placés entre crochets dans les
deux textes, permettent de se reporter du catalan au latin et du latin au
catalan.
Alfred Morel-Fatio.
Senyors, qui vol esser certes,
Be ensenyat e gint après,
Aquest roinans venga ausir
Quis vol d'ensenyament garnir.
Aquest romans ha nom Fasset,
Milor libre en feus promet
Que anc [no] posquessets ausir
Ne atendra per gint noyrir;
Et qui 'e]:>tudiar hi voira.
Mantes causes hi atrobara
D'ensenyament e corteria.
Hi apendra [en] cascun dia
Li clerga e li xivaler,
Li ciutada e mercader,
L'infant atressi e li veyil,
Tuyt ne apendran bon conseyll
Ez instruhiran tota via,
Si aquest romans sovin legia.
Donques qui vo! esser certes
Ben ensenyat e gint après,
Entene en humilitat
E en bonea abrivat.
No vulles esser mensonger,
Mas tota via vertader ;
Ages lo cor ferm e [e]stable,
Si a tuyt vols esser agradable ;
E no sies endeny[i]es
Ne trop mal ne trop renyios,
E âges te e leyaltat
E seras de tuyt meit amat ;
Car qui es foyil [e] senes fe
No es cregut de nuyla re.
Mas si s' ave sayso e loch
Mentir no nou, ab que dur poc,
28
32
[9]
15. e li. Ms. el. — 18 II faudrait legian. mais l'auteur passe sans cesse
d'un nombre à l'autre, sans s'occuper de l'accord du verbe avec son sujet. —
19 Donqa:s, ms. Doncs. — 21 — Entene zz: enUna., subj. A' entendre. Le ms. a
plutôt enUnc. — 35 ave, du verbe avenir: « Mais, à l'occasion, mentir ne nuit
pas, pourvu que cela dure peu. »
MOREL-rATlO
Car per retrer les veritats
Del altre part les amistats. 36
Pecat del amie caleras,
Tant con poras 0 cobriras.
Si vols esser bo ni certes
Ni laus aver en tota res, 40
Sies [tu] gint amesurat
En tu e tan adotrina[t]
No vulles largament parlar
Sutzes paraules ne comptar: 44
Tindra t[e] hom per agualat,
Atressi per mal ensenyat.
E con nagu voiras lausar
Ne ses noveyles reconptar, 48
Deus lo lausar trempadament:
So que diras verayament,
So que d[e] ell auras conptat
Sia trestot be veritat ; 52
Car si deyes mes que noy ha,
Desonrar 1' ies tôt en p'a,
Sobra lot quant [en] parlaras
En tôt loch, e noy faliras; j6
Mas no vulles calar de tôt, [i 5]
Car tindrie t[e] hom per boc.
So que voiras dir ni parlar
En ton cor te deus porpensar : 60
Qui parla a ssa voluntat
Axi es con cavall desfrenat;
Perque dix savi Salamo
Que anc lo sovinent sermo 64
Nel moit parlar nuyia sayso
Anch sens [nagu] pecat no fo.
Donques qui certes vol [e]star,
Poques paraules deu parlar. 68
E qui vol esser plazenter
A tôt hom ayço deu aver :
No vulles esser erguylos. [17]
Molt hom [e] per bo e per pros 72
Tostemps mostra cara rient.
E sies suau exament :
Cran virtut es en ell per cert
Qui en aço es be apert. 76
Tostemps sies enginy[i'os
E fug al mon quis erguylos,
Perque no sies menyspreat
De nagun hom ascienlat. 80
E sies be [e^studios
En ton offici e euros, [21]
Saviament e conseylada,
Noy faliras seyia vagada, 84
Dien que lo us ret l'om mestre
En qualque art ques vulla metra.
E con veura que fassa fer
Vullau disputar volenter 88
Si que no vages murmurant
Ni mala cara demostrant.
So faras, segons ton poder, [25]
Perque not playa (lo) despener, 92
Car qui mes despen que no ganya
Tart es que no sofranya.
En tôt loc es bona mesura,
Car sen[e]s ella res no dura. 96
Deus te tenir gint de vestir, [27]
Que hom not puxa [e]scarnir,
E que no vages sassaros,
Mas nedeu [de]dins e defors. 100
Eceyil qui poca roba ha
Axi corn ja avets ausit,
Si nou avets mes en oblit, 104
Mas pel vestir ne pel causar
No deu hom son mester lexar;
E visque hom saviament
En heure [e] menjar exament; 108
E la ploma sia gitada [31]
En la ma de cuy es pausada,
3 $-36 Le sens est bien évidemment que, pour dire aux gens la vérité, on
perd leur amitié. Peut-être faut-il corriger au v. 3 5 la ventât et au v. suivant
De r altre pcrt l'us (ou hom] ïamistat. — 37 cekras pour cehuas. — 67 Don-
qucs^ ms. Donchs. — 87-88 le ne comprends pas. — 94 Corrigez : Tart es que
[res] no [lï] sofranya? « Il est difficile que celui qui dépense plus qu'il ne gagne
ne se trouve pas dans le dénûment. » — 102 La ligne est restée en blanc dans
le ms.
MÉLANGES DE LITTÉRATURE CATALANE
201
Trestotes coses reconptants :
Ayso pertany aïs [ejscrivans 1 12
Que hom aprena de doctrina
Viur' en lo mon en diciplina.
Ton fin deus metre en clerecia
Per tal que tenga bona via 1 16
E no solament per legir,
Mas que el puxa mils nodrir,
Mentre lo mestre lo castia,
Perque no vinga a mala via. 120
Diu hom que qui no bat merdos
No pot [de]puys batra palos.
Perque no puxa folcjar
Ab veyis homens lo fe anar, 124
Car si ab veyls fa conpanyia
No pora errar ni fer foyiia.
Tin lo après de esser ventola,
Car peu qu'es massa moveJer 128
Lo seny deu aver trop leuger.
Si bes costuma pauc [e]stant, [37]
Vergony' aura con sera grant.
Perque tostemps playen aysets 132
Qui plagucren per una vêts.
E ceyil qui hac virginitat
De gran jovent en sa adat
Tostemps sia honest e cast, 1 36
Deus guardar la de tôt malast ;
(E) cant es de salut de doctrina,
No ses de pendre nuyt e dia,
Per tal que sia dreturat 140
Con or ver epara nomnat.
Sies valent e [bej entes, [42]
[E]studios en tota res
E maiorment en ton offici, 144
Que no sies tengut per nici,
E que dipa pus dignament
(Sa) paraula a Deu omnipotent.
Aycell gran desonor li es [45]
Qui los propris lexe(n) per res, 149
Car orda, per qui trobats es, [46]
Die vos que no val .j. puges.
Cant la corona ay son dret 152
Pus blanc par, fe queus deig,
Axi tôt prou clar sia,
Car axis deu fer tota via.
(Tôt) clerga deu sos menbres cobrir [49]
Ab gint calsar, ab lonc vestir, 1 57
So es saber los menbres d'infants
E maiorment de capelans.
[MoltJ gran desonor li cabria 160
Si la carn nua li aparia.
Mostre soven son vestiment [p]
Esser nedeu per cobriment
E denejats de tots pecats, 164
E perayço sera honrats.
Sies savi e [be] euros
E no demans spectancios; [53]
Gint ta porta e ab bon seny 168
E garda [be] los mandaments;
Et si Deus t'a donat aver
No sies scars en despender, [55]
E nagu hom no say que sia 172
Usara de gran corteria,
Pus que bet basta so del teu,
A tu e a altre ben leu.
Cant sies vey 0 hom honrat [57]
Per dies e per gran adat, 177
Lo poble amonestiras
E bons aximplis los daras
De seguir tostemps honestats 180
E sera son nom exalsats,
Per tal que no puxa errar
Ab tu lo poble ni pecar.
Aquest romans enseyara [61]
E lo loc li demostrara 18^
A compondre vida plazent;
E aço reconpta breument
Quai cosa [ejsta [a] hom be 188
127 Ce vers est isolé. — 137 Corrigez: E deus (deu se] guardar de tôt
malast — 139 ses pour ces de cess.ir icesser). — 148 II faudrait A aycel.
— 149 Quilos^ ms. Quils. — 153 bbnc, lire blanca.— 1^4 Vers de 6 syllabes.
167 Corr. deman spectacios. — 168 fa pour te. — \-]i No say que sia =z quel-
conque. — 181 io/i, lire ton.
202
A. MOREL-FATIO
E quai li play ni li cove.
Primerament, si infants as,
Alguna art los mostraras,
E proveex los enaxi 192
Que, sis partien de assi,
Posquesspn viure ab iur art;
Car [los] homens de bona part
Demanen [tots] a son infant 196
De quai art [elj es pus altmt :
Si il play ietra equeclerch sia [65]
0 esser de gran saviea,
Axi con jutge 0 fasia, 200
Doctor, metge, gran [e]scriva,
En poquea li enseny de amar
Los libres, car axis deu far,
Si l'infant vol clergue esser; 204
0 vula esser cavaler
0 dels cavails acontornar,
Ffermant los peus vera[ya^ment,
Fer tal qu'en sia pus sabent. 208
Diu hom que si abte es .j. infant
Molt nés pus savi par avant,
E deu esser ans [ejscuder
Primerament que cavaler, 212
E que servesque volenter,
Si de tots loat vol esser.
(E) si no vol esser cavaler, [73]
E voira esser mercader, 216
Die que aja [la] conexensa.
De les monedes ses falensa.
Primerament axi deu far
Que aprena [be] de conptar, 220
Sia agut e entricat,
Savi mercader assenât
E serch les terres covinents
Per conptar ventura examents, 224
Que null hom noi engan leument,
Sapia conptar [molt] soptilment,
Lavors digan que es valent.
Si no vol esser mercader 228
E cobcia de esser ferrer,
Caiit quer diciplina
Es ops que pereros no sia,
C-^r ceyll qui en poquesa apren(a), [81]
E ell cant es de adat complida
Lnuor[e]s es l'art enflorida.
Si be ladoncs no s'es infant
E es tôt barbât e [tôt] grant 236
E no sal. nagun mester far.
Nos deu ja vergonyadar
Ni dir con apendria ara,
Per veyil que sia, hoc encara, 240
Car mes val mester qu'es per ver,
Scvin ho ausim retr[a]er:
Bestia es l'om quis crusca [85]
Aycell [que] art no ha alguna. 244
Art de vida et pensament
No lexa hom esser noent.
Mas empcro asso deu fer
Qui vol esser savi enter, 248
Que eyll de tôt en tôt [0] am [88]
E vulla saber e deman.
Lo saber no mete en va,
Profit ni be aigu no fa; 252
(E) sol qu'en aja de la natura
De pendra (muyler) hom no s'atura,
E la natura molt hom fay [91]
Benuhirat e rich c gay 256
Per molts 0 ficis verament,
E axi tôt hom del mon ha
Qiie pot fabricar tôt de pla.
Hu molts mesters no deu aver, 260
Poch de son prou ne pot faser.
Cascun per son primer offici
Pot esser bo, si no es nici
E que l'am be de tôt son cors 264
Sens perea dins e defors.
E no conseyll a nagun hom
(E) les greuges de vida perdom,
Axi que per molt trabaylar 268
204 Clcrguc esser, ms. esser clergue. — 206 Vers isolé. — 22 ^-27 Trois vers
sur la même assonance. — 230-232 Le passage semble altéré. Le v. 230 est
trop court de trois syllabes et ne rime pas avec le suivant; le v. 237 est isolé.
— 24} Crusca n'est pas sûr. — 251-4 Le sens paraît être (en supprimant
muyler) que l'homme ne s'applique à apprendre que les choses vers lesquelles
sa nature le porte; cf. le latin, v. 89-90. — 257 Vers isolé.
MÉLANGES DE LITTÉRATURE CATALANE
Hom ne muyra senes duptar;
Ans deu [hom] son cor refrenar
En le temps c' cm dcu feslivar.
Trabayil axi que puxa viure
Ab gauig [e] ab plaser e riure,
Car certes la vida florida
Par pensa es ennoblehida,
Con se mira en alegratge
E vol aver aytai usatge;
Mas ceyil quis dona tristicia
Viu ab gran avaricia.
E le macip en son jovent
Don se plaser [tôt] axament
E cant e bayll e tingues gay,
Que per un any ne viura may
E sia a tuyt plasenter,
Saviament o sapia fer,
E que sid anamorat
Si vol tenir son corpagat;
Mas empero asso es dat
[E] per hora e per adat.
E que tinga ses cabeylls gent.
Nuls aja neyres exament,
Car ceyia color es d'om veyil
E no pertany a jovencell ;
E quels tinga gint pentinats,
Mils ne parra afaysonats.
Macip qui vaja sasarros
E mal net [de]dins et de'^ors
De fembra e de nul hom nat
No sera amat ni presat ;
Mas con es veyll [e] anantat,
Lavor[e]s no li es gardât,
Car con la valea pren tant,
Nos cura hom de gint estant.
E qui voira esser cortes
No tinga sos cabeylls largues,
Car [la] longa cabeyladura
A fembra tany per sa natura,
Tengues[e] gint e [be] cortes,
[En]axi con dessus dit es;
Sia leus, trempât e leugers
E nostrat en sos moviments.
Calsar se deu [e]stretament
272 Sabdtes, calses exament,
C'aparega sia leus anats,
[101] Cuxes, cames [e] pcus privais;
Pero ayso segons usansa
276 De la terra, senes duptansa,
Carsi hom era singular,
P'arias tenir per juglar.
Cove al(s) macip(s) verament
280 Esser entrels jausents jausent,
E que sia trist ab los tr;sts.
Conpacient e [ejsmarrits;
Aconpany se ab homens veyils
284 Perque sia de bons conseyils,
E perseverar ab los bons
Lo jovenseyll totes faysons;
Car ceyii qui ab bons ha paria,
285 No potseguir !a mala via,
E do a tots saviament ^
[107] Honor e laus publicament.
No vules nagun menyspresar,
292 Sitôt mesqui lo veus [e]slar,
E vulies dar loc al menor;
Enclina ton cap al maior.
Sempres vulla sa fas mostrar
296 Alegramcnt, e [deu] honrar
Aquell 0 aquells verament
A qui s[e] esgart l'onrament.
(E) no sies entre lo[s] maiors
300 En paraules trop habundos
E tinga tant entre sa pensa
So que voira dir ne porpensa,
Que hom no! tenga trop parler :
[111] Savi es sis sap abstener.
305 On que veja savis [ejstar,
Ab ells se deu acompayar,
Escolt be [tût] lur parlament,
308 Entre ells [e]stia plazent,
Car tota ora apendra
20?
312
316
['■9]
321
324
[121]
328
n6
[127]
34'
344
348
311 Nostrat, lire m-slrat ou destrat? — 326 Au lieu de E pcneverar, lire
Perseverara ou Perseverar deu.
304
Seny e rao qui asso fara.
Mas si no vols ptr [a]ventura f
D'aqucstes coses aver cura
E vols esser anamorat
E en amors de fembres dat,
E conexs que mes ta aprofit
Que en so que dessus ay dit,
Comensaras axi d'aymar
Axi con ayci vull (eu) dictar.
Gardar t'as de monge sagrada,
Que sposa de Christ es nomnada;
Eceyil pecat destrui lo cors
E l'arma [dejdins e defors;
E de femna c'age marit
Ta gardaras, so not oblit,
Car semblant es d'aytal peccat :
So sia en ton cor pausat.
Gardar t[e] as de la putana [
E maiorment de publicana,
Car ceyia amor not durara,
Sil teu diner primer no ha.
La vil femna no porta amor,
Si hom no es larch donador,
Metra son pens en tu net ama,
Mas so del teu tôt jorn te marna.
Son ne d[e] altres examents [
Qui son en tal fayt covinents,
Axi con viuda o puncela.
Lo dur pits se amoieix per ella
E fa perdre tota tristor
E axeque trol cel lo cor.
De la viuda sa dois' amor
Fa aleujar febre e dolor,
Aquesta sobre totes ama,
Saviament art e afiama;
E beyia puela vagant [
De joy replex hom veramant.
CeyIa ha los iochs covinents,
A. MOREL-FATIO
Franch coyll e boca examents.
iji] Ayccsta am lo jovenceyil,
3 53 Saviarrent tir al casieyil.
Si entens l'art que eu te di,
Sabras d'aymar lo dret cami.
356 Caiit te voiras anamorar
De la nina e enflamar,
Gardar l[a] as de fit en fit
Ab dolses uylls, so not oblit:
360 Ayco faras a la venguda
[E] de part d' eyla verament
No pendras [nuylj defayliment.
De moites una en legiras
364 E de aquella cura auras,
Car ceyll qui en moites enten,
Semblant es d'asa veramen.
Ab una sapges far ion pro,
137] Mas per esters faras asso,
369 Ab uylls rients la gardaras,
En qualque loch l'encontraras,
E gardar l'en as fermement
372 Per que sia a tu consent,
Car si ella noy consentia,
Aycela amor res no valia:
Per so diu una parladura
141] Que amor d'una part no dura.
377 E aço deu[s tu] ben gardar
De quin linatge' s ses duptar
Ne si a tu [sej pertanyia,
380 Ans que l'amor fos en la via.
Hom no deu fembra dema[n]dar
Que nol tangues lo destalsar;
Mas deu amar, cert, sa agual
384 O miylor que ell, si liu vali,
Car tost trabuca verament
147] Qui vola sobrel firmament
Del cel, e sobre les [ejsteles
388 Vol [e]stendre(s) ses vêles.
['49]
393
396
400
404
408
412
[155]
4.6
420
424
['S8]
356 ta pour te. — 359 Axi, ms. Ayn. — 362 destrui, peut-être faut-lire
destruu ou destrux. — 365 Ta pour Te. — 372 La vil, ms. Laul. On pour-
rait garder L'^u/ (avol). Cf. cependant v. 1637, 1670, 1696.— 374- 5 Vers cor-
rompus. — 392 di. De première main dans le ms. dich. — 398 Vers isolé. —
401 en. ms. ne. — 420 « Qui ne soit digne d'être déchaussée par lui n.
MÉLANGES DE LITTÉRATURE CATALANE
205
E l'apostol sent Pau
Nos monesta suau
Tenir via mijana,
Car es via ben sana.
Al loch on ceyla sta
Que tu fort amaras,
Aqui tu aniras;
Aprin ios locs on va
E la casa on sta,
E para aqui tos fiiats
E sies be enraysonats;
E com li vendras [en] denant,
Lausar l'as tota en xantant,
E après sospira fortment
Quaix qui de cor ha torbament,
(E) si coneixs quet vulla amar,
Si no, penset de be sforsar;
Ab ta art e [ta] parlaria
Sapges aver la maestria
En que la lies en ta amor,
Si vols seguir Facet doctor,
E assage tota ta forsa
E not vaja lo cor en orsa
Que leixs tes paraulas anar.
Lavors te cresque lo parlar
Dolsament e [molt] amorosa,
Per que sia de tu curosa,
E fe so que ella voira,
Sapges que mes t'en amara
Ab so que ella torn a plaser;
E prin fêta ocasio
Cant aniras a sa mayso,
Axi con si era sartroresa,
Vey per scusa de fer robeta,
Car nostra lenga es camisa,
Noy erraras naguna via.
E sobra qualque mester aja
Prenga [e]scusa con hi vaja,
Qualque sia l'anamorat,
Si vol esser de cor amat.
160]
4P
436
440
444
448
4^2
456
[165]
460
464
468
[■69]
472
476
480
484
Car '"embra es pus diligent
D'aycel qui ama azautament.
Près de mal ab vol de s'aymia
Ab qualque fembra eles confia,
E con trametras res a dir
A ella, queu sapges cobrir,
E ella a ell atretal
Per por de descobrir [lo] mal,
Qu'en aço es vengut lo mon :
Tanstost diran que li 0 fa
0 liu ha fet 0 liu fara ;
E qualque la destral [se] sia,
L'anamorat grans dons profira
A ella, si be yc es tôt dia,
E mes que no li don la proferta. [172]
Don li algun cordo 0 trena
0 sabates per [la] [e]strena,
Car maior cura s'en dara
E tota hora si pensara
Que, axi con [el] dat li a
(Sis) fara so que promes li a.
En après deu la instruir
En les paraules que ha dir
Ceyla en quit confiaras
Tu ni ceyla que amaras.
E les paraules son aytals
Que deu[ra li] dir la destrals
A la [nina] anamorada,
Ceyla que as en ton cor pausada :
« Madona dolsa, Deus vos saul, [17s]
€ Missatge son, no[m] prena mal, 497
« E lo vostre molt dois poder,
« Amasurat, pie de saber.
« Aycel Deus, queusha formada, $00
« Fayta vos a agraciada,
« Vos sots beyia, e vostra cara
(I Resplandenl con lo sol e clara ;
« En vos no vey defaylimen
(I De balea ni d'altiment.
« Sapgats, madona, que dolsor
488
492
504
431 et 456 Vers isolés. — 457 fêta, corr. fencha? — 40 aniras, ms.
•voiras anar. — 461 Je ne comprends pas. — 469 Je ne comprends pas. —
475 Vers isolé. — 47S-81 Ces vers ne riment pas; au v. 478 corr. fia? cf.
V. S57-
206
« Avets justada ab sabor,
« Milor sabor ne deu aver. 508
« Ayço be 0 devets saber
f C'un macip de vos es torbat,
« Anamoral e enflamat
« E amaus mes que res al mon sia,
« (Ej vol esser en vostra batlia 5 13
« E quel prenais per servidor
« E que li donets vostr' amor,
«c Que son cor ha en vos pausat: 516
« NoI partiria null hom nat.
« Ans les aygues qui van [a] jus
a Farien lur cors per anarsus
« Que de vostr' amor nospartiria. 520
« Madona, asso no es falcia,
« Qu'eu say quel vos ama de cor,
« Jorn que nous veja, per vos mor;
« Cant vos ve, es en paradis, 524
« Ayço m'a dit ades per fis ;
« Si no veya que fos a fer,
(I D'eyço non auzirets parler,
« Mas ell es dois e vos dolseta, 528
« Quai sera cell qui torp li meta?
« Sabets c 'una flor ben oient,
« Ajustad' ab altra exament,
« Molt n'aurien niylor olors, 532
f Axi es de dolses amors,
(I Que, con serets justats abdos,
« Anch no loren aytals amors.
« Ay, dolsa amor, merce ajats 536
« D'aquell vostra anamorats !
« Que tota res na en oblit
a Per vostra amor, axius 0 die,
f E fets me respcsta breument 540
« Que l|^o] fassa [e]star jausent.
« Maior désir a y que diguets
« C'ab vos parlas sol unn vêts;
« A mi prega queus 0 dixes 544
» E que per res nom oblides,
t Que, tant vos a mesa al cor.
MOREL-FATIO
« No nés jorn que per vos no plor :
« Menjar e beure pert per vos J48
« Con nos pot raysonar ab vos,
« Que si ab vos parlar podia
« De soias ede joy viuria,
« Moita ponceyia veig qu'el ama, 552
« Mas ucy son cor en vos aflama.
« A totes ha renunciat
« Pel voitre cors car e honrat,
« E per so m'a tramesa assi 556
a A vos, per tal con (se) fia ab mi,
« E li sia tael e leya!
« E a vos, madona, atretal ;
« E podets me dir vostre cor, 560
« Que nous cal aver de res por. »
E si ella per [a]ventura ['83]
Feya respcsta aspr' e dura
La puel' al comensament, 564
No y dcnets res, tôt es piment.
Abte es de ciciliana.
Qui de primer se mostra mala
E despuys fa blana farina, 568
Car veu que l'anamich (se) déclina.
La destral sia tan aguda
A dos colps l'arbre s'en aduga.
Sapi' ab sa lenga pintar 572
La nina e afalagar,
E que li diga anaxi
Con [ara] auzirets dir a mi:
« So queus deman de la amor 576
Il Vostra prou sera e honor,
B Tant es ell bo e gint après,
« Per so vol vostre cor cortes
« Quel puxa servir e honrar 580
« El puxa tenir gint e car.
« Vos avets nom Na Bonanada,
• Tant sots piazent e ensenyada,
a Per sous ama axi de cor 584
« Lo vostre dolset aymador. »
E si a la nina desplau, ['89]
5:0 Trop long. — <^ 26 fos. Ms. [es. — 556 mcrce, de première main,
mcrccn. — ^42 diguets, ms. J.sir. — 557-8 Lire A vos, per tal qucs fia
ab mi.^ [Qu]c il sia... ? — 565 donets, corr. doteis'f — 569 Je ne comprends
pas.
MÉLANGES DE LITTÉRATURE CATALANE
Que li fassa resposta brau,
Deu s'en tost al macip tornar 588
E deu li 0 tôt reconptar
Con li a respost ferament
E li fo dezobedient.
Mas lo jove nos desesper, 592
Ans se deu mays [eJNforser
Qui ab signes e ab senyals
Li parla humils e suaus,
Car ninaqui no sap d'amar 396
Axi bey deu hom aucar,
Que li sia hom avinent,
Humil e pie d'ensenyament.
Diu hom que mes va! giny que forsa ;
Aquest sermo no vol l'escorza, 601
E dix un savi entirat
C'axiu deu 1er l'anamorat.
Puys fasse y tornar lo macip 604
La missatgera, no so trich,
Qui la pens regeu de tenptar
Si que nos puxa refrednr,
Car femnas fa tostemps pregar [197]
De ço per c'om la te en car. 609
Si niala voluntat ha vensiment,
La amor trenca los pits verament :
Si com lo ferre suaexs
E la dura roca destroexs
E la père [molt] forts e dura
Qui es forada per molura,
So es con l'ayga hy degota,
Tantost hi es la pera rota
E[s] las per assiduitat :
Axiu deu fer l'anamorat.
Ab moltfels prechs e ab gran usansa
Met hom la nina en acordansa, 621
Axi que per fin[aj amor
Voira parbr ab l'aymador.
Deven abdosos .j. logar [205]
Eiegir per secret parlar; 625
So que a cascun d'ells plaura,
Ne la un a l'altra dira,
Sapiau sol la missatgera, 628
6l2
616
207
Nû altre parler ni parlera,
Car sol hom dir : « Saben 0 très,
« Despuys 0 sab tota res ».
Cant passarets denant la tor 632
D'aycela cuy porta(re)ts amor,
Eyla ve be aconpanyada.
De dones ab trop gran maynada,
Deu[s] la dignament saludar 636
E solas tôt atretal far,
[Ejsgardant ceyla soptilment
Per quel teu cors sia jausent.
Apres deus un jove(nsel) sercar 640
Ab qui pusques sovin anar
E que de aquell veynat sia
On [ejsta ta dolsa aymia,
Car ab [ayjseyil te cobriras 644
Per que ab ella parlar poras.
E con seras aprivadat
En aquell teu dois veynat^
Ton companyo anagaras 648
Que comens algun [bo] solas
0 de baylar 0 de saltar
E poras ta virtut mostrar,
Qne nou sabra nul hom nat 652
Que tu hi sies anamorat,
Mas que y vens per rao d'aquells.
Aquest es lo mylor conseylls;
Mas lo teu cors celât tindras 656
Aytant de temps con tu poras,
E si t'aymiat dona loc
De parlar ab tu falgjun poc,
No li vages [tu] molejant, 660
Parla li manifestamant,
No fasses [e]scut de vergonya,
Car qui ha vergonya, [sis] ha ronya
E diras li tôt enaxi 664
Con [ara] ausirets dir a mi :
(1 [E stela dara resplandcnt, [209]
« Eu vos salut tôt humilment,
« E veus assivostre servent, 668
t So:[e]rits li son parlament.
'( Si vostra bontat e noblea
597 Je ne comprends pas. — 601 Je ne comprends pas.
trop longs.
610-11 Vers
208 A. MOREL-FATIO
« E la forma e la belea «
s Se lausava axi con es, 672 «
« Qui, al meu semblant, en voses, «
€ De totes quantes nines son «
« Portais vos flor en tôt lo mon. «
« EceyII senyor qui vos forma 676 «
• Temps desafanat hi garda «
(I Perqueus posques ben faysonar «
« E de balea carregar. •
« Angels vos posaren lo nom 680 î
« Certa[na]ment, que no gens hom, «
« E tos en paradis formada «
« Con axi sots agrasiada, «
( Car ceyil qui ab vos pot parlar «
« No pot faylir ne pot errar. 685 «
« Per vos son los pechs instruits «
t E los pobres enriquehits, «
« Los desconsolats conortats. 688 «
« Veusdoncs, madona, quais bontats! «
« (Doncs) con me poria de vos partir, «
8 De vostre' amor ne derre[n]clir? «
« Sil peu ténia en paradis 692 «
« E l'altra assi, sous affis, «
« De paradis eu lo trauria •
« Per a vos fer conpanyia. 0
« Vejats con sots agraciada [213] «
« Milorquefembrac'ancfosnada. 697
« De la verge Maria avall «
0 No fo anch vist tan beyll mestayll. »
• Deus !o payre spiritual 700 «
« Vos ha layta médicinal. «
0 Si (axi) fosseu poma con sou dona, «
• Malaits garirets tota hora; 70 j «
t Si (axi) lossets ayga con sots nina, t
« Null hom ja per vos no morria, «
€ Si fossets altar atretal, «
« (Los) pecadors gar(i)rets de lur mal «
« E de lur tribulacio. 708 a
« En vos, dolsa, es tôt asso «
« E mes que no sabria dir: t
t Asso cregats senes faylir. «
Deus voshafetscabellsdaurats [215]
Gracioses e envejats; 71 j
Asauta fas e respiandents,
Uylls amoroses e plazents,
Ceyies fêtes per maestria, 716
Mils hom dictar no les sabria;
E con vostres uylls regirats,
Mi e lot hom [ajturmentats,
E fam lo cor dins alegrar 720
E amor moure ses duptar.
E la color de vostra cara
Blanxa es, resplandent e dara,
Gint fayta e [be] colorada, 724
Lo deu de amor trop s'en agrada.
Lo nas es tan gint ordonat
Que lot hom nés anamorat.
La vostra boca rosedeta 728
Semblem [una] rosa fresqueta,
Plagues ara a Sancta Maria
Fos prop la vostra de la mia !
Les dents semblen cristals luents,
Tant blanquexen verayements 733
E son per or[de] enformades
Qu'en re no son desparaylades.
E lo vostra agrados ris 736
A tôt hom play, tant es jolis.
Can vos riets, ploure deuria.
Tant es pUzent vostra cuydia.
Encaraus dich yo mes, madona,
Que si es nuvol, sis axora. 741
La vostra boca es tan plazent,
Tan graciosa exament,
Nuyt e jorn baysar la volria 744
E que duras .j. any lo dia,
E [que] la nuyt tôt atressi
No volria agues may fi,
E con vos vey, tôt m' es calent, 748
Tant he en vos l'enteniment.
Estes coses me signifiquen [227]
En quant vostres membres meliguen,
Que son pus blancs que (nul) hom
[déport
682 /oî pour Jots. — 695 Pour la mesure, lire/^:cr au lieu de fur. — 730
Plagues ara., mi. Ara pLigues. — 739 Cuydia n'est pas sûr. Ce doit èxrecuyndia^
le prov. coindia, cunhdia, grâce. — 741 Vers corrompu.'' — 751-752 Sens?
MÉLANGES DE LITTÉRATURE CATALANE
209
Qui ab vos es ja notem mort.
E con son dignes les vestits
Qui cobren vostra paradis,
So es lo vostre cors ho[nVat, 756
De cuy eu suy anamorat!
El vostra pils agraciat
Molt es plasent e ben format,
Per virtut de vostres mameles, 760
Que feu Deus a grans mereveyies,
Qu'en la ma d'un pauc iniant
Cabrien molt verayamant.
Lo vostres cors es axi dreig 764
Con lo cipres, la fe queus deig,
E es layt gint per abrassar.
Doncs, do!sa, quius pot desamar ?
Nû yo, per cert, axius 0 dich, 768
Tro d'est cors isque l'esperit,
Encara puys vos amaria,
Vostr' amor non oblidaria,
Si sofaria pena e turment, 772
Tôt me séria bel piment.
Pus, madona, vos âges vista,
Non séria la pena trista.
Los vostres brasses e [les] mans, 776
Blanques e blanes, semblen guants.
Trestot es digne de lausor
E tuyt li membres de blancor
Qui son en vos, ma dolsa res. 780
Beneyt sia quant en vos es 1
Mays es en vos qu'eu no poria
Dir ne noninar la nuyt nel dia.
Cant eu vos vey, yo cuy t périr, [235]
E cant nous veig, [yo] cuyl morir.
Aço es senyal de bon' amor
Que eu ay mesa dins mon cor,
E las me assi vostre servent 788
E vostre hom tôt exament,
E[m] ret a vos per servidor,
Al vostre dois cors pie d'amor
Per fer a vostra voluntat 792
" Tostemps volenter de bon grat.
« Siin volets vos reebre car,
<i Ma dolsa, nem volets amar,
« Pus rie me farets ses duptansa 796
« Que quim daval règne de Fransa.
« Prech vos, madona, humilment
K Vullats amar vostre servent.
I Si vos me amats, mes ne viure, 800
« De gauig mon cois conpiit aure,
« De anamichs aure vensiment,
(I Crexer m'a forsa e ardiment.
« Madona, no diats de no; 804
« Sapiats, siu fets, mort so.
« E si per vostr' amor moria,
(I Lo deu d'amor vos reptaria
« Que vos avets fet greu homey ; 808
II Ponir vos n'[i]a, fe queus dey,
(c E no aurets nul reunador,
<i Tôt hom vos sera acusador
K E Virgili primerament, 812
1 Tristany e Floris exament,
« E [En] Jaufre Rudel de Blaya
« Qui mori per sa dona gaya,
« Encara savi Salamo,
« Qui tostemps anamorat fo;
• Tots aquests seran contra vos
» Si vos desdeyts a mes amors
« Ni per amor me fets morir:
4 Nou fassats vos, merce vos quir. »
E si eylla es nina certa [243]
E vol respondra ab cuberta;
Dient paraules trop [e]squives, 824
No t'o preus tu biuteles vives,
Que [ella] be djns son cors consent,
Mas nou vol donar aparvent,
Ans te dira tôt anaxi : 828
9 Germa, sit play, part te de mi;
(I No se de queus entremetets,
« Anats vos en, fe quem devets.
« Pegues paraules me comptais. 852
816
820
762 Pour la mesure, lire patit au lieu de piiuc. — 785 nous. Ms. vous. —
82^ Le sens des vers est « N'en liens aucun compte. » Mais qu'est-ce que
biuteles? Le ms. porte biu teks.
Romania, XV. 14
MOREL-FATIO
« [Yo] creu que vos vos [ajcuydats
« Que sia fembra de viltat.
M En va m'avets mon cor lausat.
« Vêts an aquellsquius 0 sabran, 836
« Que yo no m'entremet neus am.
« E si yo son beyla assats,
« Queus fa a vos de mos pensats ?
« Que de axo no son curosa. 840
c Lexats me filar ma filosa
« E nom vingats assi torbar.
« Viares m'es siats juglar
« O que siats encantador 844
« 0 qualque tragitador.
« Bon cavalier forets salvatge,
« Que beyil parlar sots d'evantatge.
« Si acaptats, donar vosem 848
« Del pa ades com menjarem.
I Ab tant tenits vostre cami
« E partits vos tost denant mi,
« Si no, desonrar vos he (ben) leu,
« De que a mi sera fort greu. » 8 y
Lavors respona lo macip
[E] estia be exarnit
E prena 0 trestot en joc, 856
Car puys aura sayso e loc.
Lo macip digali axi,
Humil estant ab lo cap cii
E gar[dan]tla sus en la cara : 860
« Ha, dolsa res, plasent et cara, [249]
« Vos, perquem fets axi morir
« Em carregats de greu martir?
« Car la pera esclataria 864
« Si tanta dolor sostenia,
« Con las yo per vos verament.
« Madona, de so (en) res nous ment.
« Pecat n'avets gran e forsor 868
(I Con axim fets penar d'emor.
« De tant pobre avets merce,
« Doncs, sius play, ajats la de me;
« Nous vull tan gran do demandar 872
« Que no sie(n) digne(s) de dar
a E de atorgar tôt exament.
« Vejats queus nots, sim duyts amer,
(I Quin pecat es ni quina error ! 876
« No siats contra mi irada,
« Que anc nous viu mal ensenyada.
« Ajats un poc de pietat
« D'un vostre hom greu turmentat.
" S'ab vos merce no puschtrobar; 881
« Sus ades me vau confessar,
I Apres fare mon testament,
<i La mort m'es prest, que yo m' 0
« Elegire mos marmassors, [sent;
« Tristany, Virgili el deu d'emors,
« Als quais pie poder vull donar
« De départir e de donar 888
« Tôt so del meu per apagar
« Les injuries senes duptar
» Qui verladerament (a)parran,
« Axi con ells conexeran. 0 892
La nina axi respondra [25 3J
Per aventura, e dira :
« Germa, jous am covinentment,
« Que anc non fos en res noent: 896
« Nous volria nul mal veser
« A vos ne a altre ne saber,
« Vêts vos en, e amor vos he
(I Volentera mentre pore ; 900
« E nom vullats mes demandar
« Que fer mi ets trop anujar «.
Lavors lo jove[n]seyll certes [255]
Pertesqued'eyia ab gran merces, 904
Enclinant son cap exament
E profires per son servent,
E arrap li tost un baysar, [259]
E puys pens[ej s'en de anar 908
Alegrament e ab gran goig,
Pus Deus li ha donat tal goig;
E en tôt loch on ell estia
Crans laors diga de la nina, 912
84^ Il faut allonger le vers en ajoutant une épithète à tragitûdor. — 847 Corr.
parlassctz. — 848 Corr. acaptam. — 886 d. ms. lo. — 896 fos pour fats.
MÉLANGES DE LITTÉRATURE CATALANE
La y cant ab nines parlara,
Car cascuna le y retraura
E dir li an : « Bona fos nada
Cl C'aytal macip vos ha loada, 916
« E doneus tantes de lausors
'( Retrer no les poriem nos.
(( Null hom li poria dir mal
« De vos ni de vostra hostal. 920
« 0 es de vos anamorat,
« Que fort lo veym de vos pagat! »
E ella respondra poder :
« Deus li do be qui per mil quer, 924
« Que yoanc ab cil no parli
« Ne noi conec, sous jur per fi ;
« Si es de mi anamorat
« Fa be que foyll, en veritat, 928
« Que d'ell ni d'altre no he cura,
a Car sembicm fort gran horadura
« Que de mi [e]l ren volgues dir
« On fes mon prou, senes faylir ». 932
Pero eylla trop s'entendra,
Del foch d'amor s'escalfara.
E la destral deu procurar
Loc on puxen abdos parlar 936
La nina e lo jovensell.
Ades lou ella, ades lou ell.
E con lo macip entrara
AI loc on la nina sera, 940
Deu la francament saludar
Ab gint parlar e gint gardar.
« Deus vos saul, ma dolsa res,
« Beneyta, ab cors cortes. 944
« Salut lo vostre cors honrat
(1 De Deu, lo payra speritat,
i Salut lo loc on vos [ejstats
« El noble lit on vos pausats; 948
« Salut(s) la taula on menjats
« E les nines ab qui parlais.
« Salut la let que vos marnas
« E l'ayga on vos batejas, 952
E lo capela atretal
Quius pausa crisma al cervigal ;
Salut padrins e les padrines
E trestotes vostres vesines; 956
Salut la pinta de bontats
D'on vostres cabeyils pentinats,
Salut l'anap ab que bevets
E lo pan qu'en taula tenets; 960
Salut lo vi toi axament
Que vos bevels e lo piment ;
Salut lo vostre dois anar
E lo vostre gint saludar; 964
Salut lo vostre testament
De part de Deu omnipotent ;
Salut la vostra dolsa cara,
Plazenl, rient, fontana clara, 968
Madona, valent vostr' amor,
Pus que del mon portais la flor.
Car si en res fer se podia.
Denant vos, la nuyt e l[o] dia 972
Volria star ajonoyiat,
Tant m'es l'azaut al cor intrat
Que yo he de vos, dois' aymia,
Plazent cara et agradiva, 976
E queus posques tostemps servir
E nous posques enfaylonir.
No volria menjar ni dormir
Mas vostra servent posques morir.
Dels portamentsqui son en vos 981
Dire un pauc. Del vostre cors,
Certa[najment crey e albir
Re no y stiamal, ses mentir, 984
Ans lots quants son d'aquest carrer
La on [ejstats ni s[ej deu fer
Sabets honrar e gint servir,
Per que lot hom vos deu ben dir.
Vos sols suau, franca, humil, 989
D'ensenyament portais [ejstil,
Vos parlais per auctoritat
De que cascun de vos ha grat, 992
914 /« pour lo. — 925 Lire podra responder. — 93 3 Lire s'encendra ? — 938?
— 980 Lire pour la mesure vo5 strulnld^u lieu de vostra scruent. — 992 grat., ms.
yrat.
212
MOREL-FATIO
Tôt quant deyts es proverbial,
De vos no ix eximpli de mal,
Nous trets [ejscarn de nuyla res:
Per que la vostr' amor m'a près 996
E liât corn a presoner
Ab .j. filet de amor enter.
Perqueus die certanament
Que yosofir un greu turment, 1000
Que anc Tristany l'anamorat
Maior lo sofri ne (nul) hom nat.
No pux refer la nuyt el dia
Queab vos, dols'amor, no sia. 1004
Menjar e beure mi toylets,
Si vos, dolsa, nom acorrets,
E nom fassats axi morir
C apenes pux nagun be dir, 1008
Vn nuu se para sus assi
Que no pux mètre lo boci
De vianda que yo, las, prena.
Veus con me tenits en cadena ! 1 0 1 2
Mas [e]sta nit he somiat
De quem son .j. poc alagrat.
Prech vos me vullats [ejscoltar.
Madona dolsa, e arrenar 1016
Lo que sompnave certament
Qu' era ab vos, cors covinent
En un verger prop paradis,
On exament auseylls divis, 1020
E que plorava denant vos
Ajonoylat, trop engoxos,
Clamant merce molt humilment
Que lam aguessets de corrent, 1024
E vos nom deyts hoc ni no.
Ab tant prec Deu de corasso
El deu d'amor, senes faylia;
Totes les lagrames coylia, 1028
Qui deyils meus uylls se corria,
Si qu'en unpii un gran baci,
Cite les me pel cap axi,
E con axi les ach gitat 1032
Vera font viu fou tornat.
« E volgui de vos aytal far,
« Si nous pensassels de cuytar
« Del fet edixes : — [Ha] senyor, 1036
« Retornats me mon aymador,
« Abrassar l'e e besar l'e
« Per fin' amor que yo li he.
'i — Quem play, so dix lo deu d'amor,
« Que del vostra dolç aymador 1041
« Ajats merce e pietat,
• Eu l'avia encant gitat
« E vos nol voliats servir 1044
<i E t[a]es lo de mors morir. —
« Tanstost torni en mon esser,
« (E)vos, dolsa, volgues me pexer
« Delà vostre dolsa gracia, 1048
« Don lo meu cor trist se alegra,
(I [EJstant ab vos boca per boca,
« Atressi la persona tota,
« Con fa la ungla ab la carn : 10^2
'( Ayço vos die sen[e]s escarn.
ï Estavem axi [ajbrassats
« E nons partia nul hom nats.
« So sera ver, si Deus ho vol, 1056
« Si con mon cor désira e vol.
« E veus lo sonpni acabat.
« Doncs preneus demi pietat 1059
« Quem donassets quai do vos playa,
« Un de vos quir, merce mi vayla,
a Donets me .j. dous baysar,
" Fer m'ets de greus mal [ejscapar,
« Quet [yo] sofir per vostr' amor 1064
« Qui m'es intrat [de]dins al cor
« A vos, dolsa, res nous sera
" E a mi, las, tant me vaira I «
Si ella s'enfeya forsar, 1068
Sapies le y tu arrapar
E besa la [cjstretament.
Tin li la boca longament.
[A\ dona qui non es usada, 1072
Primera e segona vagada
Li deu lo besar arrapar.
1032 hs ach^ ms. l'ach. — 1069 k ziz lo.
MÉLANGES DE LITTÉRATURE CATALANE
21 ^
E a la tersa si fa far.
E lo macip li deu disir : 1076
« Ara posais en vostra aibir
« Q^iin ddin fjrets, per fin' amor,
(I Quein fe.->sets jausent en mon cor,
« Car nu!a amor no es presada 1080
« Si no si dona abrassada,
« Car es comensament d'amor,
« Segons que recompta l'aclor i.
E axi, coM demunt es dit, 1084
Arrapali lo baysar rie.
Apres fes li grat e lausor.
« Gracias mil, Na cors gensor,
« Ara avels l'amor liada 1088
« De tôt en tôt e confirmada.
« Ara sabets que molt vos am,
« A Deu, madona, vos coman ».
Part de d'eyia alegrament, 1092
Saltant [e] jugante corrent.
Enapresse deu porpensar, [265J
De tôt en tôt [e] studiar,
On pora [ajtrobar seleta 1096
La sua dolsa amoreta
Quesia en loch covinent
De raysonar secretament ;
E sil jova no pot trobar i 100
Loc covinent para parlar,
Tremeta tost per la destral
Per derrocar l'arbre fortal,
Asso larasaviament 1 104
E no y pendra defayliment.
E con 0 aura acabat
La missatgere e tractât
Ab la nina anamorada 1 108
Lo loc que al macip agrada,
Venga lo joue ab son stil
De gint parlar, mans e humil
E salut la covinentment : i 1 1 2
« Deus vos saul, Na rosa plasent !
1 Rosa vos puix dir ni nomnar.
« Car pus fresque sots, sens duptar,
« Que la rosa al mes de may 1116
1 Per lo mati quant lo sol ray.
t Si eu avia lenga d'asser,
<i Ja nous poria may retrer
« Les grans laors qui en vos son. 1120
« Asso vos jur, per tôt lo mon,
« Que si tots los arbres de! mon,
« Aytant con tenen en viron,
« Tornaven ploines verament 1124
« E la niar tinta exameiit
0 E les [ejsteles fossen mans
« E que fossen en quatre stants
» E [que] lo cel los pregami 1 128
« E fos paper tôt atressi,
« No bastarien scriure de vos,
t Na corsjansor, vostres lausors.
« Mils me tindriets per .j. still 1132
« Vos, madona, Na cors gentil,
« Car si corterias perdia
« Ne ensenyament, senes faylia
li Per vos séria mils tornada, 1 136
« Mils que la primera vagada,
« Car yo no era ensenyat
» E avets m'o vos tôt mostrat
« D'on yo son .j. poc ensenyat, i 140
« Despuys que ab vos fuy privât.
« E fas vos en gracias mil;
« Mas fort m'avets aduyt al fil
a De mort, [vos] francares humil, 1 144
a So sab la vostra dolsa amor
• Quim va ferir sus al [meu] cor,
« Per que la nit no pux dormir,
« Nom pux pausar ni abaltir ; 11 48
« Si vos donc3 nom avets merce,
" Mentre suy viu, ne pux dir re. »
Mentre aço li comptaras [271]
E ses lausors li retrauras, 1152
Ve la tocar en son vestir
Tôt suaument ab greu sospir
E vas li [e]strenyent la ma,
Qu'eu say que mils s'escaifara, 1156
1089 confirmada, ms. conformada. — 1132?
ne, lire no.
148 Nom, lire Nim. — 1150
214
E no aura tan forts la pensa
Con no le y trenc qui be s'o pensa,
E la on hom la toch de ma,
Jochs e ris no muyren ja. 1 160
E si elles vol apensir
Nel tocamcnt le vol sofrir,
Deus la aver en bon huyr
Mas no la vulles derrenclir; 1 164
E si li fas greu lo tocar,
Jugant, rient, no deus vagar,
Ades cuxes, ades costats,
Per tu sien sovin palpats, 1 168
Mas non fasses con a porquer
Mas fe u con a franc cavalier,
Car aver nianera plasent
En tota res es covinent, 1 172
Nulla res no val ses mesura
Ne deu valer senes dretura.
Lo joves deu de so curar [279]
Passa la nina alegrar 1 176
Ab jangles, ab jochs atretal
Per apansir son cors leyal.
E cant ella no sera brava
Que ell no li meta la trava, 1 180
La trava es de gint parlar,
Qui fa molt hom fort declinar
E les punceles maiorment
Qui no son en amor sabent. 1 184
Demanali un dois baysar,
Vulles l'en humilment pregar
E dia li tôt anaxi :
t Madona, si yol me prenia, 1 188
« Per Ventura greu vos sabria,
« Mas donats lo m[e] vos de grat
t E aurets me puys he[re]tat
8 D'un regisme 0 d'un conptat, 1 192
« Aurets me mes en paradis
« On es tostemps [e] joy e ris;
« E no vull que pus m'en donets
t E jurar vos he, sius volets, 1 196
€ Que yo als pus nous deman.
A. MOREL-FATIO
<■ Promet vos ho senes engan,
« Que be creu quem deura bastar
€ Aytal do per [a] demandar. « 1200
E si ella noi te vol dar
E ques prenga a manassar
E que s[e] vage retrahent
So de que s'es anat plivent 1204
E li diga que mal 0 feu
E no si torn per altre veu
E si no fa queu comprara
E carvenir li 0 fara, 1208
Lo macip sia tan [e]spert
Baysar la vaja con a sert,
Nosolament una vagada,
Mas .L. ab abrassada, 1212
Que so que diu vergo[n]ya fa,
Maiorment con vezat nou ha.
Per que tu no deus rebujar
Lo bras per coy 11 [e]spert pausar, 1216
Siu vol 0 nou vol atretal,
No li cayla aver destra!.
Lavors nou deu fer moyiament, [289]
Mas bes la be [e]stretament 1220
E tinga y molt la sua boca
E (fara) cremar[a] la nina tota,
E meta li la ma al si,
Palp les memeles atressi, 1 224
[E e]strenya les li un poc,
No molt, car no seriade joch.
Que semblaria hom porquer
0 strempauc 0 paltuner, 1228
La cuxa el ventre exament,
(E) cascu senta lobaysament,
E la calor el foc d'amor
Be li intrara dins lo cor. 1232
Lo macip, con conexera
Qu' ela trestota cremara
E la veura tota tremolar,
Deu la tantost resubinar 1236
E gir li les faldes en sus,
Si que no parega camus.
1 58 Sens? — 1 160 Pour la mesure :
apensir. de première main apensar. — 121
Los jochs ils ris no m. ja.
1 solament, ms. foyiament.
MÉLANGES DE LITTÉRATURE CATALANE
1240
244
252
Aquis deu lo jove sforsar,
Sitôt elles sap reguitnar,
Ne ab ell [se] vol forsejar
Perque li puxa fejscapar,
Que puys naura sayso ne loc
Ne la lex si con a badoc,
Que si lavors la desempara
E la lexa anar eucara,
No! preara puys .j. diner
Nés voira puys en ell fier,
Apeyiar s' a benuhirada
Con axi li es [ejscapada.
« Car bagassa fora nomnada
« Si malem fos a ell liurada
« Ne que lo pecat se fos fet
« Que fos putana soldedera.
« Ay lassa, tan mal m'o valguera!
« No agra amies ne parents 1256
a Que tots no fossen malvolents.
« Be y fora mes certament
• Quem degolassen exament o.
Per quet dich que not [ejscapas 1260
Nagunafembra en aquell cas;
E si 0 fa, Deus te do mal dia
E quet meta en maia via,
Car tôt hom deu esser baro,
Con es en [e]streta mayso,
Ab fembra viuda 0 punceyia,
En camisa 0 en goneyia.
Avol es e vesa sens mantir
Qui en tal cars la vol jaquir,
No deu esser digne d'amar
Nula nina, mas de penjar.
Lebrer a qui [ejscapa presa
Ja nol preza hom una pugesa,
Ne nuyll auseyiet de rapina
Si ell no pren cant veu i'asina.
Ella pot dir : t Senyer Nartus,
« Ja vêts la filosa e! fus,
« Babot camus, babot camus !
a Que ja de mi non aurets pus.
215
280
1264
[30']
1269
1272
1276
Mas sil jove n'a avantatge
E n'age aut lo puncelatge,
E no sia d'aytal maneyra
Con aquell qui lexa la carreyra,
Axi con demunt as ausit, 1284
Con hom al fayt no es ardit,
Deus la nina amonestar,
Si del feyt la veus entristar
Plorosanient ab greu sospir, 1288
E que dira senes mentir:
« Ay ! Inssa, mal anchsuy nascuda
« E de ten ait castel cayguda !
(I Ma virginitat he perduda, 1292
« Marit et honor, Na faduga !
" Ay Na lassa, yo que fare ?
• Al meu marit que li dire, 1295
« Ceyll que mos amies me daran ?
(1 Yo li fassa tan gran [ejscarn
« QueeyII per puncelam tindra?
« Quel foyll sospitanon aura,
« L'excreix m'aura fet abrivat 1300
« Per la mia virginitat,
(I E axi mintre per la gola
« Perdesleyal no con a bona ».
El macipdeu la conortar 1304
E amorosament preycar
Que aytal desconort nos do,
E jur li per lo Deu del tro
Que nul temps li devenra 1308
Mentreal segla viu sera.
« Vos non perdrets vostre marit,
« Que pus siats abdos al lit,
« No gardara lo puncelatge, 1312
" Tant aura en vos son coratge,
I E que puxa far sos délits,
" E metra hi tots sos envits,
« E vos serets beu leu [ejstorta. 1316
« Nous calra [e]star con a morta,
« Car vos le y porets smenar,
« La y cant testament vcirets far;
II De ço del vostre li lexats 1320
1268 Lire Vcsa es es auol s. m. — 1283 aquell, lire 'ceyl. — 1290 mal anch,
lire mal any ^ — 1308 li devenra, lire la dexelara; et. 1347-48. — 1318 le,
pour lo.
2l6 A. MOREL-FATIO
« E despuys non aurets pecats.
1 L'escreix li podets ben jaquir,
« Que de Deu non aurets reptir,
f E axi sera [bej celât 1 324
« Que nou sabra nul hom nat.
« E yo fer vos he, ses duptar,
(I Que nous porets emprenyar.
« E porem fer nostres délits, 1328
(I Vullats per vergers 0 per lits. »
E si ellet vol demandar
Con se poria alo far
Qu' ela nos posques emprenyar, 1332
Deus tu alguna res trobar
Que crega que aios pot far,
Mas no tos ver axi con dius
A la nina ni liu scrius, 1336
Maior séria lo pecat
Quel primer que auras tractât,
Que sin avias j. infant
Deliria lo pcccat grant, 1340
D'on auriat profit la mara
O prevere esser poria
D'on lo payre honorauria. 1344
Mas tu deus esser ten cortes, [315)
O ceyll qui la nina conques,
Que no la vulla dexelar
Ne descobrir de nuyll afar ; 1 348
Car ceyll qui dexela sa dona
De sos afTers naguna hora,
Deu la per sa colpa perdra,
E no la deu puys mays aver, 1352
Ni es lengut per natural.
Ans per hom vil e pie damai.
Ensenyament e corteria
Pert hom cant favilania. 1356
E es digne dealapidar
Qui s'aymia no pot celar.
Eximpli es de castigar
Tota nina, senes duptar, 1 360
365
368
172
.376
[32']
Que cant la hoen defet vanar,
Dira cascuna : « Mal fiar
'( Se faria en ell, per cert,
« Que veus que diu en descubert
(i D'aycelaque ha aytant amada,
« Assats deu esser malanada. »
Donques, si gardes lo Facet,
Tostemps sia en tu secret.
Qui tôt so que [el] sab vol dir
Séries no lexe res a dir.
Aycell ama secretament
En far per Deu son ir.andament.
Ceyll qui Deu creu ne vol amar
En ceyl pecat no deu [ejstar
Longament, si con alguns fan.
Car trestot ios torna a dan.
Doncs, si cobeges de jaquir
Ta aymia quit fa périr,
Deus gardar Ios .x. manaments.
Si catolic vert Deus te sens, 158c
Gardant la sancta [ejscriptura,
Qui diu que hom nos [deu] dar cura
De la muyier del prohisme seu,
Car por ne deu aver de Deu
No es al mon tan leig pecat,
Tan sutzane tan mal fadat,
Car en una hora perdras Deu
Per vil pecat el règne seu;
E si vols seguir so quel die.
Tolraste d'eyla e seras rie.
Lo pecat te hom enlassat
Qui toyil a hom tota bontat.
Si gardaves quant es noent
L'amor de fembra, vil, pudent,
Nul temps fembres no amaries
Ni per aquel iet la reque(r)ries,
Pus pudent es que lo Satan
E pus lege senes engan.
Si vols saber la lur balea,
Yo t'en dire so que m'en sembla. 1400
384
1392
[325]
396
1342 Une ligne a été laissée en blanc dans le ms. — 1351 II faudrait ptnicr.
— 1356 Pcrt. Le p de ce mot est muni des signes abrévialif de per (par, por)
etàepre. La mesure demande un mot de deux syllabes. — 1396 a^uel. Lire ceyl
ou est.
MÉLANGES DE LITTÉRATURE CATALANE
Si tu vols amar fembra grassa, (325]
Faxuga es con una massa
De plom 0 d'autre greu rretayll.
Fembra grassa es d'equell tayll, 1404
Moyla con (a) fane la trobaras,
Nagur. plaser ja non auras;
Lo cuyr, con tu jauras ab ella,
Li suara a mereveyia, 1408
Semblara ensunya de porch,
Puys pudira con a ca mort.
De fembre roget die aytant,
Anuig fa y aytant sertamant 1412
La con tu la voiras tocar,
Sos membres tenir ni palpar.
Ayso per [solj una vagadi,
No la fa hom de res pagada. 1416
Fembra magra no pot plaser [529]
Car SOS membres punyen per ver
Tôt axi con (a) punta d'eguyla,
De colteyll 0 d'espasa nua, 1420
Los essors li paren de fora
E la coena dura tôt' ora,
[E] la lenya tost es cremada
E per lo foc tost consumada : 1424
Axi destruu hom tost sa .amor
E erema hom dins e de for.
E longe dona a nulh' hom plau [533]
Ne ha bon seny ne natural, 1428
Fada es e trop riolega,
No sap que s'es amor, la pega,
E es semblant a bestiassa,
Nul temps se mou con hom le y massa,
Que a pênes pot replegar 1435
Ses membres, ne pot loc trobar.
De fembra poca not dons cura, [337]
Dir vos ay quai es sa natura : 1456
Sempres s'ireix, tant ha d'erguyll.
Tôt quant !i dius li torna anuy,
E irex se leugerament
217
1440
E erema dintre forsorment,
Cuyda esser tan uilraeuydada
Que nul hom viu li agrada,
E ja no val res sa amor,
Axi con vibra nafral cor, 1444
No poden certes be bastar
Sos membres pocs pera jugar.
Fembra blancha es [be] lenyida [341]
De groguea, scnes falia, 1448
Semblant es aço, per eert creses,
D'una flor c' a nom mereveyles,
C'aytantes hores con al dia
D'aytantes colors se canbia ; 1452
Per lo mail la veuras groga,
Fembra blanca e puys roge.
Fembra blanca tostemps es freda
E porta fredor con a feda 1456
Trestota [de^dins lo seu cor:
Per que not pot usar d'emor.
Molt hom nés enfalagat
En sa balea e temptat. 1460
Eylla enten esser pus blanca
Que pera marbre ne ploma d'auca.
Mas fembre negra per que play [345]
A nagun hom, si Deus vos saul ? 1464
Que eyla tiny trestot lo cors
De si e de sos aymadors,
Amor tenyida de negror
No poden durar de dolsor, 1468
Car sembla [lo] foc infernal
0 par sunyia 0 fumerai;
Con ve la nit, ceyll qui liu fa,
Tôt lo erema de ssa e de la, 1 472
No voiria l'anea lavar
Ne les cuxes debetegar
E con l'om s'en vol levar
Ela l'estreny, fal acurar, 1476
Car no voiria may vagar
Tant il sap bo lo recalear.
1425 destruu n'est pas sûr. Cf. v. 562. — 1452 le pour lo. — 1449 creses est
la 2" p. s. du subj. {crcdas). — 14^6 con a jeda. ms. con ajcda ou con aseda.
Sens.'' — 14^9 nés, lire en es pour la mesure, — 1463 Lire 0 pour ne. — 1474
Debetegar, lire dencUgar} — 147^^ Lire, pour la mesure: E con dcl lit s'en vol
Itvar. — 1476 Acurar pour acorar.
2l8
Fembra roge es vcrinosa,
Per sanch e per coira cremosa,
Locors el cor cou exament
Del amador, tant es calent.
Axi nafra con a serpents
E gita veri examents
Perses membres de malvestats,
A nul hom^no diu leyaltats
Ne bona fe, tant es cruel,
Son coratge es si con fel,-
Mes vicisha qu'eu no say dir.
Piyor ayma, senes mentir,
Carregada de malencolia,
Tart li bull (la) sanc, senes faiia
De fembra fosca, [qu'es] quaix
D'eytal te garda que not noga,
Car del demoni es semblant
En engan e en tôt son talant.
Con d'enganar se jaquira
Le carbo fuyles levara.
Qui de totes quanîes ay dites
Dessus al libre ni [ejscrites
Vols fer amiga verament,
Deus t'en partir soptosament ;
Sit penses so que yo'ne die,
Ja no les voiras en ton lit;
Mas de aquelles te deus altar
Que ara ausiras conptar.
Fembra de forma migensera _
[Ajceyla es fort plazentera,
Car ceyia es d'aytal fayso,
So diu l'actor Ovidio.
Ne sia gran ne massa poca
E que no aia ampla m.oca
E que no aja longa cara
Ne ma breu, per cert, encara,
Mas aja la un poc radona,
No massa ampla, tal es bona;
E que no sia'massa roge
Ne massa grossa, cascu o oge.
A. MOREL-FATIO
[M9]
.484
. 1492
groga,
1496
[3^7]
1500
P4
[459]
IS12
5.6
1 520
1524
Ceyla ama qu'eu te say dir,
A cuy no puxa hom res dir.
Ceylat fara [e]star jausents
Dins en ton cor verayaments,
E la amor d'eyia ab dolsor
Trop es azauta, diu l'actor.
Penset en los comensaments
E aço no liures als vents
E part asso [e] quants danpnatges
Seguexen hom e quants coratges.i 528
Eceyil qui ama sens manera [365]
Foyil es e sens tota carrera,
Hom ne menysprera son offici,
Pec es hom assats e [molt] nici. 1 532
Fembra en lo comensament
Ayma [lo] hom trop caldament,
Mas pus sien passats .iij. meses
Si no le y fas 0 no la bezes
Raula del breu que no te prou,
La tua amor no val .j, ou ;
Tu t'ensendras al foc d'amor,
[A]ceylla en la gran fredor,
Per que fara amich novell
Per cert de qualque jovencell,
Ceyll la aura a son plaser,
On tu deuras gran dol aver.
Diu hom que tu batras les mates,
Los rromanins e bulafagues
E altre aura los conylls.
Bet pora hom dir seny de yryls. 1 54
Be saps que diu lo casteyiano
Que fembra fa lo desguiado.
Los uns amaranfembres castes,
Altres viudes 0 niaridades.
De ques enganen malament :
Aço fa pertot lo jovent.
No y ha belea de puncela
Nos mut [alla], quaix per mazela
Pus agen .j. infant 0 dos,
Tota ceyla color ques pos
1536
S 40
W4
[368]
>5W
5^6
1493 Lire La pour Ds. — 150^ Lire Mas de aqucllet deus a., puisqu'il
n'est question que d'une seule femme. — 1527 part, lire pens. — 1536 le pour
lo. — 1537 Sens .? — 1 ^8 Sens .? — 1550 desguiado, lire desguisado ?
MÉLANGES DE LITTÉRATURE CATALANE
Tôt es pudor, d'on puxes ploren
E de dolor per pauc nos moren ;
Tots dies pensen de pintar
Con ymage senes duptar,
D'on hom es assats desastrats
Qui per fembra es enj^anats.
Elles s'afayten per vestir
D'on puxen sos membres cobrir,
Qui son sutzes e moût pudents
E vils ses tots comparaments.
Nou garda hom con s'anamora
E paren oveyia modorra.
Axi fan hom mètre en gir
E fadejar, Deus les ahir !
Con es hom axi axorbat
Que no veu la lur sutzetat.
Axi giren lurs uylls ten gins
Ab qups alegren los mesquins;
En moites es hom enganats
E hom ne va mort e cuytats.
Vois [tu] veura la lur balea?
Ve t'en mayti tantost a ella
Con jau nua en son lit,
Descobrila e not oblit
E lavors be le t[e] [e]sgarda,
Aqui veuras con es galarda.
E jau ab ella mantinent
E gardala puys exament
Quina pudor exira d'eyia!
Nos potsofrira mereveyla ;
Tart sera que not taps lo nas,
Si li [ejstas gayra de fas,
Con ella put en sa natura !
E(n) tots sos membres de sutzura
Son e les cuxes exament
Qui prop li [ejstan verament.
Molt hom d'arenchs no ha talant
Mas de la pudor ha semblant:
560
1564
[372]
1568
S72
576
[lis]
1580
1584
S92
596
Per que no deu plaura assi
Ne a nul hom, jurte per fi.
Bona medicina pendra
Qui d'aqutst feyt se lexara. 1600
Si to[sJt d'eyia nos vol partir,
Lo cors te fara amagrir
Per la sua art [tan] malvada
Qui trespua [a] hom la corada. 1604
Quatre coses son ses duptar
Qui no s'e] poden sadoyiar :
La mar, lo cony de la putana,
Foch e avar, causa es certana. 1608
Puta es fiyla de Satan,
Car la ressembla per engan,
E es plena de dois veri
Ab que engana lo mesqui, 1612
Segonsque sent Gregori dits.
Recomptant als savis [e]scrits.
Las de animas es la putana
E de luxuria cabana, 1616
Tôt axi put con lo demoni
Qui es tôt pie de malenconi.
Los mais qu'en la putana son
Nols poria retre[r] d'un jorn, 1620
(Car) ella fa corrompre lo cors
E fa destrohir los trezors
E fa la arma infernar
E Deu lo payra oblidar. 1624
Salamo fo sobrat per cert
Per femna [e] enganat apert,
E atressi Sampso lo fort 1627
Per sa muyler, d'on puys fo orp,
E Sent Père atretal
Per fembra fo enganat mal,
Que tresveus senes duptar
Li feu Jesu Christ renegar 1632
En lo palaus de Ponç Pilât,
On près e ligat.
1585 le pour /a. — 1605-1608. En marge ce renvoi : « Proverbiorum ultimo
capitulo. Il iallait penullimo : « Tria sunt insaturabilia, et quartum, quod nun-
quam dicit <i sufficit » : infernuset os vulvae, et terra, quae non satiatur aqua :
ignis vero numquam dicit « sufficit ». » [Piov. xxx, 15, 16). — 1625 la arma,
ms. larma. — 1629-30 Rétablir pour la mesure: E Sent Père \lo] atretal Per
[una] fembra enganat mal. — 1634 Lire : On [elfo] près e [fo] Ugat.
220
MOREL-FATIO
Perque fembra es cnganosa
E de mais aptes abundosa. 1656
Cant fembra vil se gardara
Que algun hom no decebra,
La mar certes s'axecara
E segnor iuyiles levara. 1640
Garda Eva quants mais basti
Cant menget aquell mal boci,
Elen dona a son marit
D'on puys se tench per [e]scarnit,
Car per ayce! mal los malvats 1645
Foren de paradis gitats,
D'on Jesu Christ n'a presa morts.
D'on nos e ella ne som [ejstorts. 1648
Tostemps fo e tostemps sera
Que la fembra abans fara
Lo contrari sertanament;
D'eyço en res nul hom no ment. 1652
Fembra es rayll de barayla
E de tofs mais, ses tota fayla,
E aytantes veus elles gira
Con pot fer lo panell al dia, 1656
E so con ab sos uylls veura
Al quaix glassar II 0 fara.
Moit hom veig que fa[n] ayrar
Que deurien certes amar. 1660
Anamich es vostre mortal,
Semblant es del diable mal.
De que trob en [ejscrit tôt breu,
Ca fembra ha ymage de Deu 1664
De que [ella] nul temps fo creada,
Car de costeyla fo formada
En [lo] paradis terrenal,
On ellens percassa tôt mal, 1668
Si nou avets mes en oblit.
[La] fembra vil a hom no ama
Si no con al lit [lo] aflama
De foc lucxurios, malvats, 1672
Per que es Deus [be] oblidat.
Senyor, ausit podets aver
Quais bontatsan en si per ver.
Para e mara fan oblidar, 1676
Fan hom despendre e folejar ;
Con mes en elleus fiarets,
Lavors pus enganat irets,
Car eu la say de tants talents 1680
Con se poden girar los vents,
Mas la fe que promet ne jura
Ve)am e quant de temps li dura.
Que a una hora es girada 1684
E de son lit descambiada,
Tôt son [e]studi es d'engan,
No va en als cogitan,
Car cert no es als mas[que] fems, 1 688
Causa frevols, causa calents,
Parlara e sens piatat,
Enganabla las de pecat,
Destruccio de castedat, 1692
E sen[e]s tota leyaltat,
Rayl de mala malaltia,
Porta de partiment e via,
Fembra vil, senes tôt mentir. 1696
Ximera li pot hom be dir
E tôt per aquesta rao
Com [ha] lo cap con a leo
E de cabra [ha] tôt lo cors, 1700
Axi la pinten los pintors
E fan li coha de serpent.
Veus e quai comparament
A tota fembra vil es dat, 1704
Verayament li es posât.
Per lo cap de leo es entes
Lo erguyll qu'en les fembres es,
E per lo cors de cabra que ha 1708
Es entesa lucxuria,
E per la coha de serpent
Es entes l'enverinament,
E lo foc que en elles met 1712
Malvat, per la fe queus dech,
De malea e de falsedat,
Es son coratge carregat.
Nos fiu en fembra nul hom nat, 1716
1640 Segnor, ou segner, seguer. Sens? Cf. v. 1498: Lo carbo fuyks levara.
1657-58 et 1663-64 Sens.? — 1687 ah. VI est barré; lire al re.
MÉLANGES DE LITTÉRATURE CATALANE 22 1
Si vol creure aquest dictât, Qui son de castcdat mal sanes,
Mes de malea an percent Elles torben vostres marits -.-j^z
Que nous dire al descobert. D'on vostres hostals son derrenclits,
De .M. a pênes ne veurets 1720 E molta dona colpejada
Una (ben) casta ne(n) atrobarels : E iarida e ben cast[ig]ada,
Perque les bones ses duptar Car prous dona nos pot [ejstar, 1756
Deuria hom quaix adorar, Cant veu son alberch destorbar,
E deuria fer niereveylles 1724 Que no reprena son marit
E virtuts deu senyor per elles. Qui axis pert per ta! délit.
De les bon[e]s no pus maldir, Perque assi sia acabat 1740
Car Deu les feu per son servir. Del gran doctor lo seu dictât,
Donques [yo] prech vos, sius plats, De Fassel lo bell dictador
Que aço en mais nou prenais 1729 Quins (ha) adoctr;na(ts) en feyt d'amor.
Que ay dit defembres vilanes
Glossaire.
Abaltir 1 148 .?
Abrivat 22, 1300, adv. « rapidement ».
Abte 209, adj. « habile ■■ ; 566, subst. « habitude ».
Agvalat {egiuldt] 45, « uni, plat », de là « simple, sot ».
Altar 197, ALTARSE 1 ^oj « se Complaire » ; cf. Mussafia, Sete sans, gloss.
Altiment 505 (dérivé de altar), « grâce, charme >;.
Anagar 648. Labernia, à côté du sens de « noyer, inonder ; » donne celui
d' « animer, exciter », qui convient au passage.
ApanSIR 1178, APENSIR I161 ?
Aparvent 827. Donar aparvcnt « manifester ». Cf. Mussafia, St7e jjvi5, v. 629.
Apte 1636, voy. abte.
Arrenar 1016, Il expliquer (un songe) ». Cf. Sett savis , glossaire.
AsiNA 127^, pour ayna, eyna, prov. aisina?
Assenât 222, « sensé, sage ».
Aucar 597, 0 pousser des cris, effrayer ».
Axequar 381, 1639, « élever ».
Axorar 741, « évaporer ». Cf. prov. aurai.
Axorbat 1573, « aveugle ».
AzAUT 974, pris substantivement, « ce qui charme ».
Blana farina (fer) 568, « porlarse be en alguna cosa ». Labernia. En cas-
tillan, haccr mala hanna c'est faire de vilaines choses (voy. par ex. la Scgunda
Celcslina de Feliciano de Silva, éd. de Madrid, 1874, p. 71.
Blancluexer 733, « être blanc ».
BUFALAGUA 1^46.?
Caml'S i2?8, babot camus 1278, « niais, sot ».
1725 dm ou dun . Sens? — 1728 Dontjius, ms. Doncs. — 1753 Lire D'où
vostre hoital es d.
222 A. MOREL-FATIO
CaRvenir 1208 pour carvendre.
Castat 1735. Faute pour castigat ?
Casteyl (Tirar al) 391 ?
Causar 105 (pour calsar), « chausser ». Cf. moût 1 567, pour molt; autre p. altre
1403.
C1CILIANA <^66 {pour siciliana)^ « cochevis ».
Coena 1422, « peau ». Le ms. a peut-être cotna.
CoLRA 1480, <£ bile ».
CoRASSo 1026. C'est le cast. coraçon.
CoRONA 152, « tonsure ».
CoRRENT (de) 1024, « rapidement ».
CoRTERiA ir, 173, pour corîcsia.
CuYDiA 739, pour cuyd'u, « grâce ».
Debetejar 1474.?
Declinar 569, 1182, « descendre, céder ».
Denejat 164 ( pour nedejat), « nettoyé ». Cf. Crômca de Père iv (éd. Bo-
farull, p. 272): « purgant tdenejanl les cisternes ».
Derrenclir 691, 1 164 (pour derehnquir), « abandonner ».
Destral 478, 493, 570, 1102, 1218, « hache», nom donné à l'entremetteuse.
EiNDENYos 27, « dédaigneux »,
Enfalagat 1459, « ébloui, enjôlé ».
Ensunya 1409, « graisse ». Arag. ensundia, cast. tnjundia.
Ektirat 602, i affecté, prétentieux .> ; cf. cast. entirado^ estirado.
Entricat 221, « retors ».
EscREix 1300, 1322, « augment de dot », la dot que le mari apporte à sa
femme.
Esters (per) 406, « pour l'extérieur, pour l'apparence ».
ExARNiT 855, pour cscarnit.
Fadejar 1572, « divaguer, perdre la tête ».
Faduch 1293, « fou «.
Fasia 200, pour fesiciâ^ « médecin ».
Fer be q.ue 928, « se conduire comme... »
Fit en fit (de) 396, . face à face ».
Fortal I i03, adj. dérivé de fort .
Fumeral 1470, « conduit de cheminée ».
GiR (METRE EN) 1571, « faire tourner » .
Gla?sar 1658, « geler ».
Groch 14^3, 1493, i jaune », groguea 1448, « couleur jaune ».
HoMEY 808, « homicide ».
HuYR 1 163, pour ûhuir {augurium).
Jangla 1177, « plaisanterie, farce »,
Largues 305, plur. masc. de larch.
Malast 157, (I méchanceté, tromperie».
Massar 1432, « pousser, frapper ».
Mazela 1 556, de mazcl., « lépreux ».
Mereveyla 1450, nom d'une fleur.
MÉLANGES DE LITTÉRATURE CATALANE 22 ?
Mestayll 699, " mescla de blat i>. Labernia.
MocA 1512, « ventre »,
MoDORRO I ^70, « endormi, abruti •). C'est un mot castillan.
MoLEjAR 660, littéralement « devenir mou ». Ici « céder ».
MoLfRA 61 $, pour mollura, « humidité ».
MoNSONGER 23, pour mensonger.
Nedeu 163 (nit'uius).
Nici 14^, 263, « sot ».
NoDRiR 118, noyrirS, a s'clever, s'éduquer n. Cf. Setesavis^ glossaire.
Oksa(en) 449, terme naval, « à la bouline o, c'est-à-dire « de côté, de tra-
vers 1.
OssoRS 1421, pluriel de os pour osscs, ossos.
Paltuner 1228, V. ir. pautonnier.
Palos 122, pour pelos, « poilu, nubile ».
Panell i60, « girouette ».
Parler, 344, 629, 1690, « parleur, bavard ».
Pereros 231, pour pciesos.
Pexer 1047, « nourrir » (pasccre).
Piment 565, 773, 962?
P0Q.UEA 202, POQUESA 233, « enfance ».
Raula 1 5 3 7 ?
Regeu 606 (rigidus).
Reguitnar 1240, « ruer ».
Reptir 1323, pour reptar.
Resubixar 1236, « renverser sur le dos ».
Reuxador 810, pour rahonador, « défenseur ».
Rioleg 1429, « rieur ».
Sartroresa 459, a tailleuse ».
Sassaros 99, s.\SARROS 296. Pour Si\faros a dégoiitant, répugnant ». Cf. port.
safaro.
Seleta 1096, pour solda ou cdda, « lieu caché, secret ».
SoFR.\NYiiR 94, a manquer ».
SoviKENT 64, « soudain ».
Strempauc 1228.?
SuAEXER 612, pour suavcxcr^ « s'amollir ».
SUNYA 1470; VOy. EMSUNYA.
Tart 94, 1^89, « ditficile ».
ToRP 529, subst. verbal de torbar, « désordre, confusion ».
ToTAMENT 965, subsl. « tout, ensemble ».
Tragitador 84^ .?
Trava 1 180, 1 181 . Même mot que traba « entrave ».
Trempât 310, trempadament 49, pour temprat, tempradament, « modéré,
modéiément ».
Trespuar 1604, * s'infiltrer ».
Trobats 1 50, pour torbats.
Valea 302, pour vellea^ vdlcsa « vieillesse ».
224 ^- morel-fatio
Ventola 127?
Verayamext so, 733, 763, 1522, 1705, pour vcramcnt.
VESA 1268 (vesanus).
Vey 176, pour Vt//, veyl.
XiVALER 13, pour cava/Z^r. Directement du franc, chevalier. Cf. xantant 439,
blanxa 723.
FACETUS
Le texte de ce petit poème a été établi d'après les mss. Bibl. Nat. de
Paris, lat. 831 5, fol. 41 à 50 (xv* siècle), lat. 8426, f. 72 à 86
(xV^ siècle), Munich, lat. 4146, fol. ici à 109 (anno 1436I, lat. 4409,
fol. 167 à 174 (xiv« siècle), lat. 7678, fol. 219 à 232 (xv* siècle). On
s'est attaché ici, non pas à établir un texte dit critique qui eût nécessité
l'examen de tous les mss. connus, mais simplement à donner de ce
Facetus un texte suffisamment correct. Quand il a fallu choisir entre
diverses leçons, on a pris celle qui se rapprochait le plus du catalan.
Moribus et vita quisquis vult esse facetus [i]
Me légat et discat quod mea musa notât.
Clericus et laicus, senior, puer atque.juventus
Istic instruitur, miles et ipse pedes.
5 Expedit inprimis cupientes esse facetos
Mente, fide,verbo, nobilitate frui.
Mente quidem varius verboso pectore mendax
Non placet, ut fallax qui manet absque fide.
Esto verecundus faisum quandoque loquaris, [33]
10 Nam semper verum dicere crede nephas.
Criminamultociens laus est ceiare faceto,
Maxima rusticitas turpia verba loqui.
Alterius laudes moderate dicere laudo,
Sed proprias nemo, si sapit, ipse refert.
15 Pauca loqui débet qui vult urbanus haberi, [57]
Nec prorsus taceat, sed meditata ferat.
Ut placeat cunctis nullum decet esse superbum ; [69]
Qui SIC inflatur deserit omne bonum.
Sit placidus facie, sit mitis et ingeniosus,
20 Ne contemptibilis forte sit ipse cito.
Officie proprio sapienter sit studiosus
Ut fiat doctus qualibet arte sua.
Ocia nullus amet nisi sint conjuncta labori,
Nam nimia requie mortificatur homo.
25 Expendat large sine murmure, quando decebit, [91]
MÉLANGES DE LITTÉRATURE CATALANE 22^
Juxta posse suum, ne sua dampna fleat.
Exornet corpus ne contempnatur nb ullo, [97]
Non tamen officium deserat ipsesuum.
Sit bene vestitus cui non est parva supellex
}0 Et caute vivat potibus atque cibis.
Vertatur calamus specialiter omnia narrans, Uoçf]
Ut per doctrinam vivere discat homo.
Si puer in clero propria sit sponte locatus,
Sub disciplina mollia colla domet.
35 Ut non stultizet, senioribus associetur.
Et discat teneros raro movere pedes.
Si bene consuescit, post tempora multa placebit, ['3°]
Ut semper placeant que placuere semel.
Cum fuerit juvenis qui novit virginitatem,
40 Semper sit castus, semper honesta petat.
Discere ne cesset que sit doctrina salubris
Ut recte doceat, cum manet ipse pater.
Pervigil, attentus sit, in officiis studiosus
Ut digne dicat verba sacra ta Deo.
45 Dedecus est illi si propria jura relinquit : ['48]
Ordine turbato, non valet esse bonus.
Tonsura capitis, circumcingente corona,
Pulchrior apparet qui sua jura tenet.
Vestibus ex longis sua contegat intima membra,
50 Nam pudor esset ei, si caro nuda foret.
Sepius' insinuet vestes ut, tegmine mundus,
Purgatus viciis significetur ut est.
Sit sapiens, cautus, numquam spectacuia querat,
Et gravis incessu, ne sit eundo vagus.
55 Si quis habet censum, nuili sit parcus in iilo,
Hic si sufficiat pluribus atque sibi.
Quando senex fuerit venerabilis in gravitate, ['76]
Ammoneat populum semper honesta sequi.
Exemplum cunctis tribuat moderamine vite
60 Ne secum populus crimina cuncta ferat.
Musa docet laycum placidam componere vitam ['841
Et breviter narrât quod docet atque placet.
Cum puer est laycus, quibus artibussit sociandus
Provideat tutor, si caret ipse pâtre ;
65 Littera si placeat ut clericu.s efficialur, [198]
Vel forsan laycus doctior esse velit,
Judex vel medicus, doctor vel scriba, poeta,
In teneris annis discat amare iibros.
Sed si milicie puero sit vita petenda,
70 Cruribus et manibus flectere discat equos;
Scutifer imprimis sit, militibus famulando,
Romania. XV. it
226 A. MOREL-FATIO
Duricia solitus, si cupit esse bonus.
Qui mercatoris doctrinam gliscat habere [21 5]
Noscere denarios expetat ipse prius.
75 Providus exploret terras mercantibus aptas,
Que varium pretium semper habere soient.
Cambial attente ne sit deceptus ab uilo,
Qualessint merces et numerare sciât.
Fabriles alias si quis cupial puer artes, [228]
80 Suppositus férule desinat esse piger.
Qui sic instruitur, dum transit mollioretas, [232]
Arte sua melius forte peritus erit.
Qui fuerit juvenis, si non didicit quod oportet,
Non verecundetur discere promptus adhuc.
85 Est pecus ut brutum quisquis prorsus caret arte ; [243]
Ars hominem format nec sinit esse malum.
Sed tamen hoc faciat quisquis vult esse peritus
Ut quod scire velit protinus illud amet.
Scire quidem frustra contendit quisque quod horret,
90 Quod natura negat discere nemo potest.
Officiis multis hominem natura beavit [255]
Et varie variis plurima dona dédit.
Sic habet omnis homo quo se possit fabricare;
Qui non est cunctis, pluribus aptus erit.
95 Quilibet officie proprio poterit bonus esse, I262]
Cui sine segnicie complacet ordo suus.
Non jubeo quemquam sic perdere gaudia vite
Quod nimio studio debeat ipse mori.
Tempore festivo vel quando decet recreari
100 Vivere quod possit gaudeat omnis homo:
Mente quidem leta decoratur florida vita,
Sed per tristiciam fit cito quisque miser.
Tune saliat currens, cantet saltans adolescens [280]
Et placidis juvenis cantibus illud agat,
105 Pectora pascat amor sine quo sunt gaudia nulla,
Sed tamen haec fiant tempore quoque suo.
Provideat juvenis non nigros esse capillos, [290]
Nam potius senibus convenit iste color.
Libéra irons pateat, detonsis arte capillis,
1 10 Auris in extremo terminus arcet eos.
Cesarie longa fit turpis forma virilis ; [304]
Femineus cultus sepius esse solet.
Vestes non longas juvenilis diligat etas
Ut motus facilis nesciat esse gravis.
1 1 5 Non natet in caligis vel crus vel pes juvenilis,
Sed sotulariis formet utrumque pedem ;
Et tamen, ut patrie mos postulat, omnia fiant,
MÉLANGES DE LITTÉRATURE CATALANE 227
Nefaciat solus quod fugit omnis homo.
Inter gaudentes juvenem decet esse jocosum, [320]
120 Tristibus adjunctus compaciatur eis.
Doctior efficitur senioribus associatus
Cumque bonis vadat qui timet esse malus.
Exhibeat cunctis placidus sapienter honorem
Et nullum spernat, sit licetille miser. [332]
125 Majori cedat, caput inclinet seniori,
Exhilara facie semper honoret eos.
Inter majores caveat ne multa loquatur, [340]
Mente diu teneat quod putet ipse loqui.
Ad loca prudentum tendat vestigia sepe
ijo Et notet attente que recitantur ibi.
Si quem forte juvat subdi sapienter amori, [352]
Sic amet incipiens ut mea musa docet.
Turpe scelus vitans, nullam temptet monialem,
Que se contempnens est sociata Deo ;
135. Assimilatur ei jam femina nupta marito,
Quam maculare quidem creditur esse nephas;
Preterea ganeis venali corpore fedis, [398]
Munera ni tribuat, nemoplacere potest ;
Cui se supponit meretrix non prestat amorem,
140 Non amat id quod agit sed quod habere cupit.
Sunt alie multe mulieres lusibus apte; [37^]
Virginis et vidue laudo vacantis opus.
Virginis amplexus durissima pectora mulcet,
Mestitiam pellit, cor super astra levât.
145 Dulcis amor vidue mollit quoque corda superba,
Que melius cunctis et sapienter amat.
Pulchra puella vacans dulcissima gaudia prestat,
Mollibus apta iocis, libéra colla gerens.
Has juvénile decus sapienter discat amare, [392]
1 50 Arte quidem nostra noscat amoris iter.
Providus imprimis oculis sibi querat amandam,
Eligat emultis que placet una sibi.
Hanc firmis oculis ridentibus intueatur,
Ut quia diligitur dulcis arnica sciat ■.
155. Sed virtutis opus, generatio, forma décora
Ante repenseturne nimis alta petat:
Diligat equalem sibi vel paulo meliorem,
Nam cito sepe ruit qui super astra volât.
Inde locum discat quo semper amanda moratur, [43 ij
160 Quove puella manet, recia tendat ibi.
Hue veniat ludens, cantet suspiria miscens,
I . Sur la prosodie arnica sciat J'acta sciant voy. L. Havet, Romania, VI, 280.
228 A. MOREL-FATIO
Quod si non noscat, militet arte sua.
Hic temptet vires, hic dulcia verba loquatur,
Quod piaceat facial, res veiut ipsa dabit.
léj Hue tamen ut vadat prodest occasio ficta,
Qua prius inventa^ cautius urit amor.
Diligit hune mulier qui caute novit amare,
Ne consanguinei singula facta sciant '.
Nuncia queratur in qua confidit uterque, [470J
170 Que narret caute quicquid utrique placet.
Muneret hanc juvenis ut sit super hoc studiosa
Et plus quam tribuat polliceatur ei.
Hec adiensiliam dulcissima narrât amoris,
Incipiens caute talia verba loqui :
175 « 0 speciosa nimis, vultufecunda sereno, [496]
« Te juvénile decus laudat et optât amans,
« i^ui cunctos alios superat spectamine morum,
« Colloquium tecum vellet habere rogans.
« Utile quod nimis est, vestro tractabit honori
180 « Et plus quam famulus, subditus esse cupit,
« Omnia postponit, nisi te nichil amplius optât;
« Me tibi direxit, sum quia fida tibi. »
Forsitan inprimis dabit aspera verba puella, [S^^]
Sed cito que prius est aspera mollis erit.
185 Dulcia verba quidem tune nuncia proférât illi,
Quodque petit juvenis conprobat esse bonum.
Hune modo commendet, modo laudes conférât illi,
Sic alternatim laudet utrumque simul.
Quod si displiceat modo consentire puelle, [58e]
190 Ad juvenem rediens singula facta ferat.
Hic non diffidat, studiosius immo laboret,
Nutibus et signis sepe loquatur ei.
Ah! quotiens teneram, que nunquam novit amorem,
Talibus ingeniis languidus urit amor !
195 Hanc blandimentis adtemptet nuncia sepe,
Nec cito désistât, quando puella vetat.
Femina quod prohibet cupit et vult sepe rogari, [608]
Improbitas vincit, pectora frangit amor,
Ferrea congeries disrumpitur improbitate,
200 Et durum lapidem gutta cadendo cavat.
Sic multis precibus vel longo temporis usu
Colloquium fieri languida sponte volet.
Porro secretus locus est prius inveniendus [624]
Ut quod utrique placet nuncia sola sciât.
205 Si tamen, ut plerumque solet, sit curia plena
1 . Voyez la note précédente.
MELANGES DE LITTERATURE CATALANE 229
Et locus est domine cui velit ipse loqui,
Tune illam juvenis blando sermone salutet
Et promptus maneat clamque loquatur ei :
« Stella serena micans, facie rutilante décora, [666]
210 « Ecce tuum famulum nunc patiare loqui.
« Si tua nobilitas, probitas vel forma décora
« Laudatur velut est, par tibi nulla manet ;
« Tu superas cunctas forma praestante puellas [696J
« Et vincis Venerem, ni foret illa dea.
215 « Aurea cesaries tibi, frons est, ut decet, alta, [712]
« Ridentes oculi, pulchra supercilia.
« Q_uando moves oculos, vario certamine pungor :
<< Gaudia corda movent, sed tamen urit amor.
« Candiduset rutilans simul est color ipse genarum,
220 « Exornat faciem nasus et inde placet.
« Labra tument modicum rubeo perfusa colore,
a Que michi, si possem, jungere velle foret,
a Ordine format! candent albedine dentés,
« Omnibus est gratus risus in ore tuo.
225 « Cuique placet mentum, gula proxima plus nive candet,
« Quam quociens video cor sine fine calet.
« Hec mihi significant quantum sint candida membra, [750]
« Que tegis interius vestibus ipsa tuis.
« Utraque conformât tua pectora pulchra mamilla,
230 • Quas, velud ipse puto, clauderet una manus.
« Hic status est reclus, gracilis, complexibus aptus,
« Brachia cum manibus laude probanda vigent,
« Cetera menbra quidem proprio funguntur honore,
« Et plus quam possim dicere pulchra man.es.
235 « Cum te non video, pereo cupioque videre, [784]
« Insipiens morior, nam nimis urit amor.
« Jam tibi sum famulus ; tibi, si placet, exibeo me
« Ut semperfaciam quod michi sola jubés.
« Si me conspicias vel me dignaris amare,
240 « Gaudebo plus quam si mihi régna darent.
ff Deprecor hoc tantum : famulum fatearis amandum
« Ut per te vivat, vita salusque mea n.
Forsitan illa sagax sic verbasuperba loquetur, [822J
Ut quod mente cupit per sua verba tegat :
24^ « Stulta petis, juvenis, frustra laudas mea membra;
« Si sum pulcra satis, cur tibi cura fuit ?
« Vade, recède cite, ganeam me forte putasti,
« Et nunquam facias tu michi verba magis. »
Tune dicat juvenis: « Cur me, dulcissima rerum, [861]
250 « Morte perire facis? hoc tibi crimen erit.
« Munera magna peto, tamen hec sunt digna favore ;
2^0 A. MOREL-FATIO
• Si me forsan amas, nil tibi quippe nocet. »
Inquiet illa quidem: « Fateor non horreo quemquam [893]
» Teque libenter amo, nil michi plura petas ».
25s Tune caput inclinet, grates multas referendo, [903]
Et semper famulus spondeat esse suus,
Sed tamen ut ir.erito semper possit famuiari,
Laudes condignas prestet ubiquesibi.
Postulet in signum sic incipientis amoris [907]
260 Munera, que firment prorsus utrimque fidem.
Oscula pro dono tune exigat, adtamen ejus
Ponat in arbitrio que dare dona velit.
Munere suseepto, quia tutus in ejus amore,
Letus discedat, gratificando sibi.
265 Posthoe sollieitus discat quo tempore solam ['094]
Inveniat dominam, forte vacante loco,
Vel si non poterit, sapienter nuneia euret
Artibus ut trahat hanc ad loca tuta jocis.
Hue veniat juvenis, facie gaudente salutans,
270 Adjunctis precibus laudibus usque vacans.
Si quoque, dum loquitur, jam femina laude movetur, [' ' $'3
Leviter hanc tangat vestibus ipse super.
Non adeo mentem rigidam tenet ulla puelia
Ut, si tangatur, risusin ore vacet.
275 Si fugiat tactum, subridens forcius angat,
Vel digitis coxas comprimât atque latus;
Sed tamen in cunctis placidus modus est adhibendus,
Nam sine mensura nil valet esse bonum.
Curet ut insolitam faciat gaudere puellam, [' '7S]
280 Dulcius exorans, oscula grata petat,
Spondeat et juret quod nil petet amplius ipse,
Nam bene sufficiunt talia dona peti.
Si neget illa quidem dare talia, forte minando,
Hec eadem precibus non minus ipse petat.
285 Sed quia sic multis verecundia sepius obstat
Ut quoque conjugibus basia justa negent,
Jungere non timeat violenter brachia collo,
Et prompte eapiat quod negat illa dare.
Tune non simplieiter jungantur grata labella, [1219]
290 Sed teneant longas basia pressa moras.
Mobilis interea stringat manus una mam.illas,
Et fémur et venter sentiat inde vicem.
Sie postquam ludens fuerit calefaetus uterque,
Vestibus ejectis, crura levare decet.
29^ Vim faciat juvenis, quamvis nimis illa repugnet, ['239J
Nam si désistât, mente puelia dolet.
Expectat potius luctando femina vinci
MELANGES DE LITTERATURE CATALANE 2^1
C^uam velit, ut meretrix, crimina sponte pati.
A ganeis tantum coitus solet esse petitus,
500 Quesepro precio vendere cuique volunt.
Qui querit coitum, si vim post oscula differt,
Rusticus est, nunquam dignus amore magis. [1268]
Arte mea quisquis sibi consociabit amicam,
Vatis opem querat qua foveatur amor.
305 Admoveat dominam juvenis par dulcia verba,
CoUoquium fieri sepius ipse rogans,
Sape superciliis et nutu longius instet,
Si prope non audet, voce sonante, loqui.
Tempore quo stomachus sit prosperitate repletus,
310 Spiritibus letis, potibus atque cibis,
Aptius hancadeat, Veneris solacia querens :
Tune etenim melius diligit omnis homo.
Tedia non faciat, plus quam sit posse laborans,
Fastidita frequens esca jacere soiet.
3:5 Diligat occulte cui non sit vilis arnica, ['34S]
Sic fit furtivus dulcior omnis amor ;
Gaudia que sumpsit curet celare modeste,
Nec nomen domine provocet ille palam.
Qui, propria culpa, placidam sibi perdit amicam,
320 Perpetuo doleat rusticitate sua.
Qui fuerit cupiens ab amica solvere colla, ['377]
Plenius a nostro carminé doctus erit.
Nosse decet primum quantum sit femina turpis ['393]
Et quantum noceat fetidus ejus amor.
325 Si fuerit pinguis, gravis est ut plumbea massa, ['4°']
Mollicie lutea turgida membra manent.
Que, cute sudante, velud est axungia porci,
Lubrica sepe facit tedia tacta semel.
Macra placere tiequit, quia pungunt hispida membra ['4'7]
330 Exteriusque patent ossa, rigente cute.
Arida ligna quidem cito consumuntur ab igné,
Urit etabsumptus sic périt ejus amor.
Longa placet nulli nec habet sub pectore sensum, ['427]
Est fatue mentis, nescia quid sit amor:
335 Jumento similis, nunquam saciatur ab ullo,
Cum sesupponit, vix sua membra plicat.
Si brevisest, forsan per singula verba superbit, ['43SJ
Uritur interius, corde superbafurit;
Nil valet ejus amor, que tanquam vipera ledit,
340 Nec bene sufficiunt parvula membra joco.
Candida si fuerit, pallor suus inficit illam, ('447]
Frigida corda gerens, nescit amore frui ;
Despicit hec omnes juvenes, sua corpora cernens.
2Î2
A, MOREL-FATIO
Marmorea statua pulcrior esse putat.
34 j Sed nigra cur placeat, que, tacto corpore, tingit? [1463]
Gaudia tinctus amor nulla movere potest:
Inferno similis, tenet hec fuliginis instar,
Nocte quidam nulli crura levare vetat.
Rubra venenosa colera vel sanguine fervet, ['479]
350 Igné coquit pectus, corpus adurit amans,
Ledit uti serpens, jaciens per membra venena
Et nulli prorsus corde fidelis erit.
Femina, que facie pallenti sit quasi fusca, ['4931
Demonibus similis, fallere docta fuit.
555 Hec melancolico quia sanguine tardius ardet,
Ex multis viciis callida pejus amat.
Qui de jam dictis aliquam sibi junxit amicam, ['499J
Talia pensando, linquere débet eam.
Sed medie forme mulier per talia nunquam [i 507]
360 Displicet, immo, velut sit dea, sola placet.
Hec fovet interius gaudenti corde medullas
Cumque dolore gravi solvitur ejus amor.
Estimet inprimis quantum ledatur amando
El que pretereadampna sequantur eum.
365 Efficitur fatuus qui sic amat ut modus absit, ['$29]
Negligit officium quilibet inde suum.
Sepe novum veteri mulier preponit amicum,
Sepius et castas unus et alter amat.
Decipitur juvenis : non est ita pulchra puella,
570 Cujus amore gravi lesus ad yma ruit,
Ut putat : ejus enim faciès est picta colore,
Vestibus ornantur vilia membra satis. [ 1 565]
Nil bene cernit amor, videt omnia lumine ceco,
Fallitur in multis anxietate sua.
375 Vadat ad hanc juvenis jejunus mane repente, ['S8o]
Dum jacet in sompnis nuda soluta caput,
Gaudia tune sumat, donec fastidia sentit,
Quod vult plus faciat quam sibi velle fuit.
Post hec inspiciat quantum sint turpia membra,
380 Que nulli placeant, si medicina vacet.
Hac ita demissa, jam diligat ipse laborem
Et maceret corpus fortius arte sua.
Sit cibus et potus modicus, jejunia prosunt,
Nec petat hanc rursus nec petat inde magis.
38J Musa, placere potes si caros jungis amicos,
Expedit hoc multis, protinus ergo doce.
Utilius.homini nichil est quam fidus amicus
Ut veluti secum cuncta loquatur ei.
MÉLANGES DE LITTÉRATURE CATALANE 233
Rébus in adversis dabit hic solacia fati,
390 Prosperitate quidem gaudet uterque magis.
Faisus adulator non est reputandus amicus,
Proficit in nullo tempore fictus amor.
Qui fuerit felix, multis veneratur amicis,
Si miser effectus, solus ad yma ruit.
395 Fidus in adversis ostenditur omnis amicus,
Si tune désistât, falsificatur amor.
Quilibet inspiciat cui conjungatur amico,
Qui sit propitius nocte dieque sibi.
Providus ejusdem doctrine querat amicum,
400 Artis et officii commoditate parem.
Est etenim melius similem sibi consociari
Quam per dissimilem linquere jura sua;
Sed tamen alterius juvat artis habere sodalem,
Cum forsan propria nullus in arte placet.
405 Pauper divitibus vel doctior insipienti
Numquam jungatur, namque nocivus erit.
Non amat hune dives nisi forsan confamulatur
Et licet hic egeat, munera nulla dabit.
Arridet parcus, spondet se dona daturum,
410 Dum poterit, tollet, nec dabit ipse vicem.
Nititur ut secum proprium consumât egenus,
Quo jam consumpto, spernit et odit eum.
Pascua divitibus bona pauperis esse putantur,
Cu.n Salomon docuit ne societur eis.
415 Despicitur sapiens fatuo sociatus inepte,
Cum quo conversans destruit omne decus.
Assiduo gressu nunquam comitetur euntem,
Sed tamen ut moveat sepe loquatur ei,
Incesto castus sociatus, justus iniquo
420 Non beneconveniunt, ni sit uterque malus.
Nemo placet stulto nisi dicat quod libet ilii
Et malus efficitur qui sociatur ei.
Queritur eventu socius, tamen arte tenetur,
Querere res brevis est, sed retinere labor.
425 Sermo quidem dulcis veteres conservât amicos,
Sepius ad rixam verba superba movent.
Diligit et spernit socius bonus omne quod alter,
Unum velle duos jungit et unus amor.
Cum socius peccat, sapienter corrigat alter
430 Ft, cum delinquit, quod moneatur amet.
413 « Venatioieonis onager in eremo : sic et pascua divitum sunt pauperes.
EccLi. xin. 23.
234 ^- MOREL-FATIO
Deserat in nullo socium discrimine vite,
Prebeat auxilium semper ubique sibi;
Sed tamen in mundo non est modo fidus amicus,
Fraudibus est etenim callidus omnis liomo;
43 5 Sed qui non poterit socium sibi querere fidum,
Diiigat hic aiios sicut amatus erit,
Fallere fallentes quia nulla lege vetatur
Et decet ut fallax corruat arte sua.
Musa, stilum moveas et nunc de judice tracta :
440 Quod deceat monstra, nam nimis inde places.
Hic tenet eterni metuendi judicis instar
Fitque Deo similis, cum sua jura tenet.
Huic caput inclinant reges, comités proceresque,
Quilibet ex populo corde timente favet.
44$ Provideat casum judex, cui sitgradus altus,
Non maie condempnet ne maledictus eat;
Judicium teneat quo dampnabuntur iniqui,
Qyo licet appellet, non revocabit homo.
Absoivat justum sed raro parcat iniquo;
450 Omnia jura sciât, mente frequentet ea.
Justiciam querat, fugiat turpissima lucra,
Nam miser efficitur talia quando petit.
Qualis erit judex, taies suntquippe ministri.
Si malus est dominus fit populusque malus.
455 Qu'id deceat medicum referas, mea, posco, camena,
Ex hac materia carmina grata move.
Arte sua medicus pollet cunctis venerandus.
Qui mortem differt atque futura cavet.
Rerum naturas subtiliter intueatur
460 Ut quidquid faciat non ratione vacet.
Sollicite caveat qui per contraria curet,
Sed tamen in cunctis sit medicina modus.
Inspiciat caute quid poscat tempus et etas,
Quid cupiat regio, quid velit usus agi.
465 Antidotum nunquam det falsum, vivat honeste ;
Qui bonus est medicus semper honesta facit.
Calliope, proprio cetu comitata sororum,
Militis acta proba, que tibi grata placent.
Milicie vita non est felicior ulla,
470 Quam quasi precipuam quisque virilis amat.
Rusticus est laicus qui non vult vivere miles,
Hoc si permittant sufficienter opes;
Non sine militibus reges sua régna tuentur
MÉLANGES DE LITTÉRATURE CATALANE 235
Nec bene, si desunt, patna tuta manet;
475 Milicie decus est propno si jure fruatur,
Arma decet fern, quando fréquentât equos;
Strenuus existât quotiens ad bella paratur
Nec facili causa det sua terga fuge.
Nil valet in bello qui vivit deliciose,
480 Nec sine duricia bellica palma datur.
Quisquis erit laycus, si miles non valet esse,
Ut non displiceat, sit bonus ipse pedes :
Quemque decet patriam defendere tempore belli.
Quiiibetergo sciât quis modus arma gerat.
485 Ingenio pugnet qui vult bellando placere
Et non sit timidus cum ferit hostis eum.
Nil valet ingenium nisi cui conjungitur usus,-
Sepius insolitis pugna nocere solet.
Quando senecta venit gravitas facit esse verendos,
490 Canities ornât, sensus acutus adest.
Admoneat juvenes, respublica gaudeat illo,
Omnibus et semper mite levamen erit.
Sed tamen ad senium caveat dum venerit iste,
Cui mors est requies, vivere quippe mori.
495 Preterea nullus sibi jungat nomen avari,
Gaudeat in modico quod Deus ante dédit.
In propriis rébus cui nunquam sutficit usus
Dona Dei spernit, peccat et ipse satis ;
Quilibet horret eum qui perdit commoda vite
500 Deque bonis secum nil moriendo feret.
Cui sua non prosunt, aliis conservât habenda,
Hères post mortem perdet amore suo.
Non cupiat quisquam quod nunquam possit habere :
Quod fortuna dédit sit satis illud ei.
^05 Quos vult sors ditat, quos vult quoque compede tricat
Incertaque via volvitur ipsa rota.
Disposuit natura quidem quicquid sit in orbe,
Sic igitur nullus querere plura potest.
Qui, velut est dictum, propnam vult ducere vitam,
Aurigena doctus vate, facetus erit.
LES MANUSCRITS FRANÇAIS
DE CAMBRIDGE'
II. — BIBLIOTHÈQUE DE L'UNIVERSITÉ
La Bibliothèque de l'Université de Cambridge, bien que notablement
moins riche à tous égards que celle de l'Université d'Oxford, ne laisse
pas de contenir un nombre considérable de manuscrits précieux pour
l'histoire de la littérature française du moyen âge . A la vérité la plupart
de ces manuscrits ont été exécutés par des scribes anglais et les ouvrages
qu'ils renferment ont, en général, été composés en Angleterre. Cambridge
n'a pas eu, comme Oxford, l'heureuse fortune de s'enrichir de collections
formées en partie ou même en totalité sur le continent, comme celles de
Bodley, de Hatton, de Douce, de l'abbé Canonici. Nous rencontrerons
cependant, au cours de notre exploration , quelques volumes d'origine pure-
ment française, et d'ailleurs la littérature anglo-normande, qu'il serait
peut-être plus juste d'appeler franco-anglaise, est en elle-même pleine
d'intérêt, et par ses origines nous touche d'assez près pour mériter
toute notre attention.
L'histoire de la Bibliothèque de l'Université de Cambridge ne pourra
jamais être faite d'une façon aussi complète que celle de la Bodléienne.
Celle-ci, en effet, a reçu, par suite de legs ou d'acquisitions, des accrois-
sements considérables jusqu'en ce siècle, et les documents sont naturel-
lement d'autant plus abondants que les faits sont plus récents. A Cam-
bridge la section des manuscrits ne s'est pas sensiblement augmentée
depuis 1715, et pour l'époque antérieure les documents présentent bien
des lacunes. Ordinairement l'examen individuel des livres fournit des
notions précises sur l'origine de chacun d'eux, mais à Cambridge cette
ressource fait souvent défaut, du moins pour la partie la plus ancienne
de la collection, qui a été reliée à nouveau dans la première moitié du
Pour le premier article, voy. Romania, VIII, 505.
MANUSCRITS FRANÇAIS DE CAMBRIDGE 237
xvii* siècle et a perdu dans cette opération les marques de provenance
qu'on trouve généralement sur les feuillets de garde ou en quelque
endroit des anciennes reliures.
Le travail le plus satisfaisant qui existe sur l'histoire de la Bibliothèque
de l'Université est dû à la plume de feu Henry Bradshaw, qui depuis
i8$6 jusqu'à sa mort (lo février 1886) a consacré la meilleure part
de son activité au service de la Bibliothèque, d'abord comme conser-
vateur des manuscrits, puis (8 mars 1867) comme bibliothécaire en
chef. C'est un court mémoire^ publié d'abord en forme de lettres, dans
le Cambridge University Gazette de février et de mars 1869, puis réimprimé
sans modifications en 1881 ' . Les grandes lignes du sujet y sont tracées
avec netteté et tous les faits généraux y sont mentionnés et classés.
Mais on n'y trouve rien sur l'histoire des livres antérieurement à leur
entrée. Or Bradshaw possédait des notions exactes et variées sur les
collections anglaises du moyen âge et de la Renaissance; il connaissait
l'écriture des anciens possesseurs de ces collections, et il est peu de
manuscrits importants de la Bibliothèque de l'Université sur l'origine
desquels il n'eût été en état de fournir quelques renseignements. Mal-
heureusement, il n'a rien communiqué au public de toutes ces petites
trouvailles dont l'ensemble eût formé un mémoire important, et qui ne
seront peut-être jamais faites de nouveau.
Les plus anciens documents que nous possédions sur la Bibliothèque
de rUniversité remontent au xV siècle. Ce sont deux catalogues, tous
deux publiés en 1853 par Bradshaw 2, l'un sans date, mais rédigé vers
14505 et contenant des additions jusque vers 1440, l'autre daté de 1473.
Dans le premier les livres sont classés par matière. Chaque article est
accompagné de l'indication des premiers mots du second feuillet, et du
nom du donateur. Le second catalogue est un inventaire qui suit l'ordre
des rayons. On y trouve aussi l'incipit du second feuillet. Il énumère
350 ouvrages entre lesquels je n'ai pas remarqué un seul titre français.
Nous sommes assez mal renseignés sur l'histoire de la Bibliothèque pen-
dant l'époque qui s'écoula entre 1473 et le milieu environ du xvi'' siècle.
1 . The University Library. Papers contributed to the Cambridge University
Gazette^ 1869, by H. Bradshaw. Cambridge, Macmillan, 1881. In-8, 31 pages.
Cette brochure forme le n° 5 des Memoranda, du même auteur.
2. Publications of thc Cambridge antiijuarian Society , série m-8^ communications
t. II, n'-» 4, pp. 239 et suiv.
3. Bradshaw le croyait d'abord antérieur à 1424, puis, ayant changé d'avis,
il le considéra comme postérieur. J'adopte la date « about 1430 » indiquée par
M. Luard, A chronologual list of ihe grâces, documents and other papers in the
University Registry which concern the University Library, Cambridge, 1870, in-8°.
238 p. MEYER
Bradshaw rappelle, dans l'opuscule cité plus haut, les bienfaits de l'évêque
Rotherham (f archevêque d'York en 1 $00) qui exerça à diverses re-
prises les fonctions de chancelier de l'Université entre 1469 et 1485 et
de l'évêque Tunstall, vers 1^30; mais de tous les accroissements dont
s'enrichit la Bibliothèque pendant cette période, il ne subsiste mainte-
nant que peu de chose .
En effet, l'Université de Cambridge n'échappa point aux effets désas-
treux de la fureur antipapiste qui sévit en Angleterre au commencement
du règne d'Edouard VI, vers 1547, et qui amena la destruction ou la
dispersion de la plupart des anciennes collections monastiques ou uni-
versitaires. Seules, les librairies des cathédrales paraissent avoir été
épargnées, à peu d'exceptions près. Tout ce qui fut pris ne fut pas
détruit et les bibliophiles du temps surent profiter de la sottise de leurs
contemporains. A Cambridge le désastre fut peut-être un peu moins
grand qu'à Oxford, où toute l'ancienne bibliothèque universitaire dis-
parut. Des 30 livres du catalogue de 1473, il en reste 19 sur les rayons
de la Bibliothèque actuelle '. C'est assez, remarque Bradshav^, pour
maintenir la continuité de la Bibliothèque depuis son origine.
En 1 574 la Bibliothèque ne contenait en tout que 180 volumes ^ Mais
dès lors elle s'accroît rapidement. L'archevêque de Cantorbéry Mathieu
Parker lui fit à cette date un don important de livres, entre lesquels
vingt-cinq manuscrits. D'autres suivirent son exemple, et le fait qu'en
1 577 nous trouvons pour la première fois la mention d'un bibliothécaire
attitré 5 est la preuve du progrès constant de la collection. En 1600 parut
l'Ecloga Oxonio-Cantabrigensis de Thomas James, le premier en date des
bibliothécaires delaBodléienne,oùsetrouve un inventaire des manuscrits
que possédait alors l'Université de Cambridge^. Cet inventaire est divisé
en deux séries: dans la première, contenant 222 numéros, sont enregistrés
les livres possédés par la Bibliothèque antérieurement à la donation de
Mathieu Parker; la seconde, n"^ 223 à 259, est précédée de cette sus-
cription : Libri omnes subséquentes ex dono beatissim£ memon<z Reveren-
dissimi in Chrisîo Patris Maîhis Parkerl archiepiscopi, in cistaquadam intra
Bibliothecam inclusi, diligentissime custodiuntur. Toutefois il ne faudrait
pas croire que les trente-sept articles compris entre les n°^ 223 et 259
1. C'est du moins le chiffre que donne Bradshaw, Cambr. antiq. Soc, vol.
cité, p. 240.
2. Bradshaw, The University Library^ p. 14.
3. Ibid., p. 15.
4. Pages 53-69. Pour le contenu du reste du volume, voy. Romania^ VIII,
305. L'inventaire donné par James est réimprimé dans les Catalogi de 1697, I,
2« partie, pp. 164-173. A la suite (173-4) est imprimée la liste des mss.
orientaux acquis de Th. Erpenius.
MANUSCRITS FRANÇAIS DE CAMBRIDGE 2^9
viennent tous de Parker: on y voit mentionné sous le n" 257 le célèbre
Nouveau Testament trouvé en 1561 à Saint-Irénée, près de Lyon, et
donné à l'Université de Cambridge en 1 561 par Théodore de Bèze ', et
il esta croire que d'autres livres étrangers à la donation de Parker ont
été placés sous la rubrique rapportée ci-dessus.
Pour l'histoire delà Bibliothèque de l'Université pendant le xviii* siècle,
je dois renvoyer le lecteur à l'opuscule de Bradshaw^^ d'autant plus que
durant cette période les acquisitions de manuscrits furent peu nom-
breuses, du moins de manuscrits occidentaux, car en 1632 et en 1648
deux collections importantes, l'une de mss. orientaux, l'autre de mss.
hébreux, furent achetées pour l'Université. Il faut cependant mentionner
ici l'entrée des livres vaudois recueillis par Samuel Morland, envoyé de
Cromvvell auprès du duc de Savoie (1658). Cette collection, peut-être
la plus précieuse en son genre qui existe 5, est surtout connue par un
mémoire de Bradshaw4.
C'est en 1715 que la Bibliothèque de l'Université reçut son plus no-
table accroissement. A cette date en effet, grâce à la libéralité du roi
Georges I, elle entra en possession de l'une des plus belles collections de
l'époque, celle de l'évêque d'Ely John Moore [f 17141. La Bibliothèque
universitaire fut, par cette acquisition, plus que doublée et de nouvelles
constructions durent être faites pour la recevoir 5. Nous pouvons nous
former une idée de ce qu'était la collection de manuscrits de Moore vers
la fin du xYii*" siècle, grâce à l'inventaire qu'en a publié Bernard dans
ses Caîalogi 11697), II, 361-78 et 393-9. Elle contenait alors, pour les
seuls mss., 827 numéros, entre lesquels figurent les plus précieux des
mss. français qui seront étudiés plus loin. A la fin de Tannée même où
furent publiés les Catalogl elle s'accrut encore d'une cinquantaine de vo-
lumes provenant de la collection de l'antiquaire J.-B. Hautin, mort en
1640, et par conséquent presque tous d'origine française 6. La plupart
1. Voir sur l'histoire de ce précieux ms. la préface de Scrivener, Btza codex
Cantabngicnsis^C^mhùûgç, 1864, in-4''.
2 . On peut aussi consulter avec truit la liste des bienfaiteurs de la bibliothèque
universitaire qui a été dressée par Ch. H. Cooper, Mcmorialsoj Cambridge^ a new
édition, III (1866), 67-77. Cette liste, qui commence avec Thomas Langley,
évêque de Durham (f 1437), ne spécifie point les livres donnés.
3. On sait qu'il existe deux autres collections importantes de mss. vaudois,
l'une à Trinity Collège Dublin, l'autre à Genève.
4. Publié d'abord dans les Communications de la Cambridge antiquarian
Society, II, puis réimprimé par le D'' Todd à la fin de son ouvrage intitulé The
Booksofthc Vaudois (London, 1865, in-12).
y Bradshaw, The Univ. Library, p. 25.
6. Voy. PaUographical Society., notice de la pi. 139. Cette notice est due à
Bradshaw.
240 p. MEYER
des livres provenant de Moore portent encore maintenant, sur le plat
intérieur de la reliure, une gravure qui rappelle leur origine.
Malheureusement, le défaut de surveillance fut tel, pendant les trente-
cinq années qui s'écoulèrent entre cette acquisition et l'ouverture de la
nouvelle bibliothèque, que beaucoup de livres, manuscrits ou imprimés,
furent enlevés'. Il n'est pas possible d'apprécier l'étendue des pertes,
parce qu'il ne fut pas fait de récolement des livres de Moore à leur
arrivée : nous sommes réduits à l'inventaire des mss. publié par Bernard,
dix-sept ans avant la mort du possesseur, et il ne paraît pas que
personne, jusqu'ici, ait eu l'idée de dresser une concordance de ces inven-
taires avec l'état actuel de la collection. J'établirai cette concordance
pour les mss. dont j'aurai à m'occuper dans le présent travail.
En 1794, J. Nasmith, déjà connu par son catalogue des mss. de
Corpus, fut chargé de rédiger le catalogue des mss. de la Bibliothèque
universitaire*. Son travail, exécuté de 1794 à 1796, comprend tous les
mss. que possédait alors la Bibliothèque, les orientaux exceptés. Les
notices sont fort détaillées, et les erreurs et les omissions qu'on y peut
relever sont de celles qu'il était difficile d'éviter à la fin du siècle dernier.
L'œuvre de Nasmith n'a pas été imprimée, mais elle a fourni le texte du
petit livre publié par M. J,-0. Halliwell (maintenant Halliwell-Phillipps),
sous le titre de The manuscripî rarities oj the University of Cambridge,
(London, 1841, in-S", 175 pages). Bien que le nom de Nasmith ne soit
pas prononcé dans le court avant-propos qui précède l'ouvrage, l'auteur
ne peut ignorer qu'il n'a fait que copier, en l'abrégeant, le volumineux
travail de son devancier. M. Halliwell a arrêté, sans dire pourquoi, sa
copie à la série FF, tandis que Nasmith poursuit jusqu'à NN.
Un nouveau catalogue, conçu selon le plan étendu qu'avait suivi
Nasmith, mais plus riche en renseignements bibliographiques, a été
publié par l'Université en sept volumes in-8 de 1856 à 18675. Si soigné
que soit ce travail, qui a été exécuté par une commission formée de
membres de l'Université, on comprend que les ouvrages français du
moyen âge n'y sont pas décrits et identifiés avec la même sûreté que les
ouvrages grecs ou latins. Je me bornerai toutefois, pour les manuscrits
1. Toutefois certains livres ont pu s'égarer du vivant de leur propriétaire.
C'est ce qui est arrivé pour le n» 784 du catalogue publié par Bernard
(II, 398). Ce ms., qui contient d'intéressants morceaux de littérature anglo-
normande et anglaise, fut prêté par Moore à l'évêque Tanner, et finit par
entrer dans la Bibliothèque Harley (n° 913); voy. Crotton Croker, Pop. Songs
of Ireland, 1839, p. 277 et suiv.
2. Voy. Chronologicd List^ etc. n" 255. Nasmith reçut pour son travail
350 livres [ibid. n» 265).
3 . A Catalogue oj the manuscrits prescrved in the library of the University of
MANUSCRITS FRANÇAIS DE CAMBRIDGE 24I
de peu d'importance, à jrenvoyer à ce catalogue, mon intention étant
d'étudier seulement ceux des mss. français qui présentent, à quelque
titre que ce soit, un réel intérêt.
DD. 10. 51. — Poème allégorique. — Chansons. — La petite
PHILOSOPHIE.
Parchemin; hauteur: o '" 2$o; largeur: o '" 180. Il n'y a pas de
pagination moderne', mais les cahiers, formés de quatre feuillets doubles,
sont pourvus de signatures (Aj, Aij, etc.) qui comprennent tout l'al-
phabet et de plus deux signes (& et :.). La plus grande partie du vo-
lume est occupée par des ouvrages latins: 1° Un Geoffroi de Monmouth
incomplet du début;, avec continuation jusqu'à 1265 ; une chronique des
empereurs et des papes jusqu'à 1 2 2 1 , et VExcidium Troja de Dares. Avec le
cahier z commencent des poésies françaises, certainement composées en
Angleterre, qui occupent les vingt-quatre derniers feuillets. Le ms. est
incomplet de la fin comme du commencement. La partie française ne me
paraît pas être de la même main que la partie latine. Toutefois les deux
écritures semblent ^être du même temps, soit de la fin du xiii'^ siècle 2.
Ce ms. porte l'estampe qui distingue les livres donnés par le roi
Georges I, en 171 5. Il y a lieu de l'identifier avec le n" 824 de l'inven-
taire de la collection Moore publié dans les Catalogi de Bernard, t. II,
p. 399.
1. — ^ Court poème allégorique en tercets de vers de sept syllabes.
Toutefois les dix premiers vers riment deux par deux, et de ces dix vers
les cinq premiers, qui forment comme l'introduction du poème, sont oclo-
syllabiques . D'après cette sorte d'introduction, il semblerait que le poème
va conter la plainte amoureuse d'un rossignol, mais il n'en est rien: le
personnage mis en scène est un amoureux quelconque qui expose ses
peines à sa bien-aimée, en donnant à son récit une forme allégorique. Au
printemps il voit la tour où son cœur est emprisonné. Il s'y rend par un
sentier agréable ; mais à peine était-il arrivé, qu'un pont-levis se lève
devant lui en le frappant au visage. Puis un manteau, venu on ne sait
Cambridge. Edited tor the Syndics of the University Press. Cambridge, at the
University Press. — Depuis 1876 ont paru divers catalogues relatifs aux
manuscrits orientaux.
1. Sauf pour la partie française dont les feuillets sont numérotés 1 et suiv.
2. Le catalogue assigne tout le ms. au xiv« siècle.
Romania,XV 16
2^.2 P. MEYER
d'où, l'enveloppe subitement. Désespérant de pénétrer dans la tour, il
nous fait connaître ceux qui y tiennent garnison, et d'abord les douze (?)
pairs qui ont la garde de la tour et lui ont fait hommage. Voici leurs
noms avec la fonction de chacun: Beauté, connétable; Honneur,
sénéchal; Franchise, maréchal; Douceur, chambellan; Courtoisie et
Largesse, trésoriers; Pureté, garde-corps; Bonté, Sens, Loyauté,
capitaines. Notre auteur fait encore mention de Fierté et de Debonnai-
RETÉ, mais on ne voit pas bien s'il les met au nombre des habitants de
la tour. Or cette tour n'est point autre chose que le corps de sa dame
(vv. 145 et suiv.) ; le sentier qui mène à la tour est son regard, le pont-
levis est son « semblant » ; le manteau est l'amour qu'il a pour elle.
L'allégorie ne paraît pas être poursuivie plus loin- et l'auteur termine par
des plaintes amoureuses. C'est en somme, sous une forme recherchée,
une complainte d'amour, qui commence, dans la forme ordinaire, au v. 7.
I Le russinole voleit amer (f. 1)
E mist quer e cors e poer
A leal amur meintenir
4 E en avant voleit mûrir
Co[m] vus purrez après oïr ;
Si comence issi :
En chantant vus faz ma pleinte,
8 Dame k'avez lealté meinte ;
En pleygnant vus taz mun chant
10 E a pouurus semblant,
E vus di tute ma querele.
Au duz tens quant renovele
1 3 Choisi la tur hait e bêle
Ke tant me tient en prisun.
Joealai par grant reisun;
16 Si vus dirrai l'encheisun
Ke me fist cel eire enprendre :
Un senter i vy estendre,
19 A la tur tant bealté rendre
Ke n'oy soyng de sojur;
A joie ving e a duzur.
22 Tant [i] musai par folur
Ke me sourt, a foerdelere,
Pounl tretiz de grant manere
25 Ke tu m'ad baty la chère;
Si m'ad fet meint grant revel.
Un tur y fis de novel ;
28 Lors m'enclost un grant mantel
Haut e fort a démesure,
Si m'ad fet tel enserure,
3 1 Dunt j'ai perdu enveysure,
Tant suy murnes e pensifs.
Cist manteals m'ad tant malmis
34 E en tel destreit assis
Ke jo ne puis a chef trere
Pur ren ke jo puisse fere, (b)
37 Ne la tur ne puis cumquere
Ne a force ne par engin,
K'ele set sur un marbrin,
40 E tient a sei tut enclin
Garnature bêle e gente
Dunt chescun d'eus le présente
I. Au V. 190 « Gentillesse » semble bien être l'interprétation d'un des types
allégoriques présentés plus haut, mais le v. 189, qui devrait indiquer ce type,
fait défaut.
20 On peut compléter ce vers en corrigeant K'onques. — 21 Ms. v. e la d. —
23 C'est l'expression française a larron. — 25 Corr. m'abaty. — 40-41 Manque-
t-il un tercet entre ces deux vers, qui ne paraissent pas donner un sens suivie
MANUSCRITS FAANÇAIS D
43 Tute sa plenere entente
A meintenir sun noblei.
Tant li portent bone fei
46 Chescun de nus endreit de sei
Ke trestut le sanc me mue.
Cum plus i vey bêle veue
49 Plus en tremble etressue;
Si m'en est li mais plus gref.
Cornent ke seie a meschef,
52 Chanter m'estuit de rechief.
De la halte tur garnie
E de la noble meinye
55 K'ele tient en sa ba^llie
Vus dirrai tut au premer.
Il i sunt li duple per
58 Kela tur unt a garder.
Fiance l'unt iet e homage,
Mut sunt de gentilz parage;
61 Ne le tiengez a outrage
Si lur nuns poez aver,
Solun mun sen e saver
64 Vus dirrai trestut le veir,
Ne quidez (pas) ke ço seit fable.
Bealté y est conestable;
67 Tut adès se tient estable
E denz tut se fet eslit.
De ço fet trop ke parfit.
70 Orgoil tient en [grant] despit;
N'ad cure de s'acoyntance ; (c)
Tut sanz lui sun sen avance
73 En ben e en avenance,
Si a i peynes e travals.
HoxuR i est seneschals
76 Sur tute vertu reals,
Huntage par tut despise;
Mareschal i est Fr-WCHIse :
79 Ne fereit une mesprise
Pur ren, en ço ke jo enteng.
E CAMBRIDGE !DD. 10. 3
245
82
85
94
97
103
106
109
DuzuR i est chamberleng;
Amur est kanke j'enpreng;
Dunt remeyng en tel destresce.
CURTEYSIE e LARGESCE
I sunt adès sanz peresce
Ki enpleynt les trésors;
Nettez i est gardefcjors,
Tant k'au funz de quer marmors
E me ront tote[s] les veines.
Pusi sunt treis chevetenes
Ki trop m'enoytent les peynes,
Dunt suy tant mal démené :
BuNTÉ, Sen e Lealté
Sunt li troys entrejuré
Ke tute vertu retenent;
Lur estât tant ben retenent,
Ben sai ke de els me venent
Les anguisses ke j'en treys;
Trop suy chargé de gref fès ;
Si m'en doil jo n'en puys mes,
Tant me venent a grant masse.
Une i est ke tut me quasse,
Mut [a^ enviz la nomasse,
Mes mun quer en fin le voet,
Le meuz fet ke fere poet
Ke de gré fet ço k'estoet, (d)
Mes ceo ert en vostre menoye :
C'est Ferté ke me gerroye
E me tout tute ma joie;
Si m'esta ne sai coment,
Mes trop me fet le quer dolent,
Main e seir, e ceo sovent,
Kant mes mais ne me lest dire,
Si m'ad le quer enflé de ire
E me tient en tel ma[r]lire,
Tart e tempre, sanz repos,
Ke me dolent tuz les os,
Si k'a poy me ront le dos.
46 Corr. ch. d'eus, pour le sens et pour la mesure. — 57 Corr. "duze p. ?.
— 62 poez, eorr. volez.— 68 Corr. d'euz tuz? — 81 Duzur, ms. Dunt tour.—
88 Corr. m'a mors.'' qui rimerait correclement avec cors. — 95 retenent, corr.
mantement.? — 106 Ke pour ki. C'est à peu pris le proverbe: « Ki fait ce qu'il
puet, on nelu-jdoit plus demander. » (Le Roux de Lincy, Liv. des prov. II, 392),
— 118 k'a, ms. ke.
244 P- m?:yer
Tant me fet dure trayne !
Mes deboner[e]té fine
12 1 Ke tuz les bens me destine
M'en ad respité la mort
E me fet meint beau déport,
124 K'en ly est tutmun confort
E quanke mun quer espeire.
I 27 Nuyt e jur e fet sun aire,
Kar autre retur n'y voy .
Con''ort en ay, mes ceo pcy;
ijo Si m: teyng cnsi tutcoy,
S'en languiss en tel meseyse.
Estrangement se richeise
133 La tur dcsus la faloyse
En dedut e en solaz;
E jo, chaitif, ne sai ke faz 1 7 $
136 Mes ke pris suy en sun iaz.
Si ne puis merci ateindre,
Ma pleinte ne puis mes feyndre, '7°
139 Kar cy mais me vient destreindre.
Pur ceo, dame, si vusplet
181
Vus dirray tut quank' en est
142 E coment ceo mal me crest (/. 2)
Ke m'ad tenu si grant pose. „
Eymy ! trop est halte chose.
145 La tour ou [si] se repose
Chescune bêle vertu,
C'est voz cors dunt suy enu,
148 Si sotivent m'adreceu.
Ben est dreit ke jo me plenge,
Kar le cuertrestut m'engreynge;
151 Trop i ai verray[e] ensoynge,
Le cors en est malbailli,
Du parler suy esbaï,
1 54 Le quer m'en est près failli ;
Poi s'en faut ke ne me pasme.
Mes si en rendisse l'aime,
1 57 Lequel ke j'oye, gré ou blâme,
Astenir mes ne me puys
Ke ne die mes enuys
160 E le confort ke jo trouys {sic]
En fet, en dit, (e) en pensée.
Trop me fet dure hastée
163 Cyst senter ke tant m'agrée
Kant m'a mys ente! purpens,
C'est voz regarder tut tens,
166 Me neynlit trestut mun sens,
Si fetement s'cnprent Tovre ;
Le pont tretiz trop se covre;
169 Ja pur ren ne se descovre
N'a certes n'efn] jeu n'en gas:
C'est voz semblant, eymy las !
72 Tant m'ad mis de hait en bas
Ke du dire ay grant vergoygne.
Li manteals ver[s] moy s'aseygne,
Si me retent en sun bail
Lors me fronte d'un grant mail,
Assez en avreit un chamail, (b)
Ke assez est plus fort k'un home :
C'est votre(^/c)hamur, c'est lasum-
Fol ne sage cy k'a Rome [me];
N'en sout unkes mes nul mot.
De vus m'estuit venir lot (sic),
Quel en serray, sage ou sot,
K'en vus remaint tute l'ovraigne.
Trop est halte la montaigne
Dunt li rampir me mahaygne,
Mes de l'espleiter n'y ad point ;
187
190 C'est gentillesce ke poynt
Mun quer ke tant se travaille
Sanz merci ke ren ne vaille,
193 Kar jeo seng si gref bataille
Ke !a vie près me faut.
Mes cy senter ke tant vaut
196 Me fist a primes si baut
Ke d'autre ren ne pris garde.
Pus me mist en une engarde
199 Ke tut le quer me couarde
126 Vers omis. — 135 Suppr. E .? — 147 La fin du vers paraît corrompue.
— 148 Corr. Si suefment m'ad deceû .? — i<^j Corr. k'aye.? — 192 merci, ms.
merit. — 195 cy, corr. cist, de même v. 260, 294.
/v
MANUSCRITS FRANÇAIS DE
Despuys ke passay le pount,
Ke d'espleiter me somunt,
202 E pus m'a mun eyre rount ;
En tut poinz mun sens afole.
Trop me tient en dur' escole
205 Kant ne poy aver parole.
Cyst manteals dunt jo me pleing,
Certes, trop m'ad en dedeygn
208 De si cum ren ne me feyng
De lui servir sanz deceyte.
M'enprise est trop male[e]ite,
21 1 Kar de mal en pys me hete.
Tant est cist manteals hauteyn
De l'escondit suy certeyn,
214 Si ay le quer (e) mat e veyn, (c)
La mort ne pus mes esturdre.
Ke vaut mun quer ensi turdre?
217 Si jo moer de si t'et mordre,
Gueres ne serra conseil
Kar de ceo sunt
220 Si cels ki sunt my pareil
N'enfacent mut tré[s] grant noyse.
E sachez ke trop me peyse :
223 Meulz volsisse pleine toyse
Aver perdu de ma char,
K'il dirrunt ke pareschar
226 M'avrez murdri sanz esgar,
E ceo vus serreit grant hunte.
Cest pleder a mey k'amunte?
229 Ceo serra la fin du cunte,
Ke trop est de mal acoyl
Amur kant ensi, sun voil,
232 Murdrit la gent par orgoil.
N'est pas l'amur delituse,
Einz est peyne doluruse,
235 Dure prisun e hyduse
Ke l'amant ensi deceit,
Kar a primes mut la creit
238 E en quide fere espleit,
Kant li surt a la secunde
Tristece tut a la runde
CAMBRIDGE (DD.IO.Jl) 245
241 Ke nuyt e jur le surunde
E le sert tut a reburs.
Lors li cressent li mais jurs,
244 Languir l'estut en dolurs.
L'amurs de vus tant m'alume
247 Ke le quertrestut m'en fume,
Ne pur freit ne chaud n'esteint,
Mes en suspirant se pleint
250 Ke vostre ferté l'enpeint (d)
E ses dolurs trop l'agrège.
Deboner[e]té l'alegge
253 E mult de ses mais abregge,
.S'en est entre ben e mal,
Un'hure amunt, Jun'jautre aval ;
2 56 L'un est (a)l autre cuntrestal.
La fevre trop ben resemble
Tûtes ses veynes ensemble,
259 Une hure art, un' autre tremble.
Si le demeynentcy deus :
L'un est duz, li autre feus;
262 Servir les covient amdeus ;
Meuz li plerreit l'une suie,
Kar il est cum mer ke foie ;
265 E quant plus ne poet se coule,
Lors enpeyre sun esta(s)t,
K'a sey meimes se combast
268 Tant k'après en est tut mat.
Nuyt ne jur ja ne s'areste ;
Puys est vent que tempeste,
Esi fetmeint grant moleste;
Pus est poy e pus est nent.
Ne sai dunt force li vent
274 Ke si grant estour soustient,
Mes le vis en ad tut pale;
Lors est soiayl ke se haie
277 En muntant, et pus avale;
Tant s'en turt ke n'en poet plus.
Kant tut s'est mis a desus,
280 Trébucher l'estut tut jus;
S'en devient plus neir ke moure.
27
205 Ms. ne poy ne poi. — 2 19 Sic, siippl.
— 231 kant, ms. kont. — 2 <^']-^ corrompu?
? — 220 pareil.
peryl.
246 p. MEYER
Si fetement me savoure La mort kant cy mau me grève,
283 L'amur de vus ke devoure 295 Tantke le quer près me crevé.
Trestut le sanc de mun quer, Mes ja pur ceo ne lerray (b)
Ke jo ne puys a nul fuer (/• 3) N'en soye loyaus ou vay
286 Longes durer, einyz me muer, 301 E de quer jolifs e gay
Si d'onur ne vus sovienge Pur itant cum j'ay a vivre.
Si vus pry ke ben avienge; Kar jo moer tut a délivre
289 Lequel ke mal ou ben en vienge, 304 Mut ducement, tant m'enyvre
L'un des deux voyllez guerpir ; La beauté ke voy en vus.
E si jo n'en puys garir, Tut vus ay dit a estrus :
292 Tantost me facez morir, 307 Dolent me fet e anguissus
K'ore me serreit trop sueve, L'amur ke ja n'ert esteynte.
2 à 7. — Suite de chansons. La première est une chanson d'amour
composée de cinq couplets de douze vers de sept syllabes, dont les rimes,
qui changent à chaque couplet, présentent la série abab baab baab.
C'est précisément la forme qu'offre une pastourelle plusieurs fois publiée".
La chanson du ms. de Cambridge a certainement été composée en Angle-
terre, comme le montre au premier couplet la rime de péché (français
pecliie) avec divers mots en é pur, et au cinquième couplet, le mélange
des rimes ener et en ier. On remarquera au couplet IV la comparaison de
l'amant avec l'unicorne qui s'endort la tête sur les genoux d'une vierge
et se laisse tuer sans se défendre. Le roi de Navarre en avait fait
usage dans sa pièce Ausi corn l'unicorne sui-. La première chanson
est écrite à longues lignes occupant toute la largeur de la page, de façon
que chaque ligne comprend à peu près régulièrement deux vers. Au
contraire les pièces suivantes, jusqu'à la sixième inclusivement, sont
écrites à deux colonnes, chaque vers occupant une ligne, les couplets
étant distingués par un signe marginal.
3. — C'est une longue chanson d'amour en trois couplets de
vingt-quatre vers. Chacun de ces couplets se subdivise en six quatrains,
les rimes se suivant dans cet ordre; aaab aaab bbba aaab bbba aaab.
On pourrait considérer chacun de ces couplets comme une chanson in-
dépendante. Ce qui m'a amené à grouper les trois strophes en une seule
pièce, c'est que l'idée se poursuit de l'une à l'autre. Je ne connais du reste
aucune autre poésie offrant cette disposition, sinon la pièce rf 5, du
1. Bartsch, Romanzen u. Pastourdkn^ p. 106.
2. Publiée en dernier lieu, sous le nom de Pierre de Gand, par M. Scheler,
Tr ouverts belges, I, 144.
MANUSCRITS FRANÇAIS DE CAMBRIDGE (DD.IO.JI^ 247
même ms. Le sens est parfois obscur, parce que le texte est corrompu
en plusieurs endroits. On voit toutefois que l'auteur, parvenu au but de
ses désirs, nous fait part de son allégresse, et blâme ceux qui, préférant
la richesse à la beauté, adressent leurs hommages à de grandes dames.
4.— Cette pièce offre avec la précédente un rapport de formeévident.
Elle se compose de cinq couplets de i8 vers rimant ainsi: premier, qua-
trième et cinquième couplets: aab aab bha aab bba aab; deuxième
couplet: aab aab aab bba bba aab; troisième couplet: aab bba aab
aab bba aab. Il est certainement possible de faire de chaque couplet
une petite chanson, mais, malgré les légères différences qu'on remarque
dans la disposition des couplets ii et m, j'aime mieux réunir les cinq
strophes en une seule pièce.
5. — La pièce $ est, comme forme, identique au n° 3. Pour le sujet,
c'est un art d'amour en abrégé. L'auteur, qui depuis longtemps s'était
abstenu de chanter, s'est remis à l'œuvre pour instruire les jeunes gens
qu^il voyait se livrer à la vie amoureuse avec l'ardeur de leur âge, mais
souvent « fourvoyer «. Ayant pitié d'eux, il s'est décidé à faire une chan-
son — c'est ainsi qu'il dénomme sa composition — pour les remettre dans
la droite voie. L'amour qu'il recommande est un sentiment pur et élevé
qui développe chez celui qui le cultive toutes sortes de bonnes qualités,
et particulièrement celle de bon chrétien v. 401. Les préceptes de notre
auteur sont du reste assez insignifiants, et il en diminue encore la portée
en avouant qu'il n'a jamais su se faire ouïr d'Amour, et qu'après avoir
langui toute sa vie il mourra d'avoir aimé. Le copiste paraît avoir con-
sidéré les pièces 5, 4, <i, comme formant un seul poème, car il les
a transcrites sans les distinguer, tandis qu'il a commencé la pièce 6 par
une capitale peinte.
6. — Complainte amoureuse en tercets commençant et finissant par
un couplet de deux vers. L'auteur déclare qu'il a longtemps servi Amour
sans obtenir aucune récompense, aveu auquel nous avait déjà préparé
le dernier couplet de la pièce précédente. Sa dame lui a ordonné de
cesser sa poursuite. Il n'a plus qu'à mourir, et il fait son testament éli-
sant pour exécuteurs testamentaires ceux qui ont le cœur gai et amoureux ,
laissant à Ennui ses pleurs, au félon médisant ses peines, au malotru
désagréable ses douleurs, au vilain jaloux grognon ses angoisses et la
hart, etc. C'est un testament dans lequel les personnages allégoriques
sont mêlés à des personnages plus ou moins réels.
7. — La septième pièce, qui est une chanson d'amour, présente la
même forme que la seconde, et est, comme celle-ci, écrite à deux vers
par ligne. Elle est d'une longueur exceptionnelle, puisqu'elle n'a pas
moins de neuf couplets. Si on fait abstraction de fautes de copies, en
248 P- MEYER
général faciles à reconnaître, on se trouve en présence d'un texte plus
correct que la plupart des poèmes français composés en Angleterre vers
le même temps. Il y a cependant quelques mauvaises rimes qui décèlent
la patrie de l'auteur : ra'i (il faudrait la forme du sing. rég., d>], fève
(faba) 94 en rime avec brève, crevé, etc., entendre, fendre, prendre, rendre
(dernier couplet), rimant avec mendre imïnor), esîeyndre.
Ces diverses pièces, qui sont sûrement du même auteur, n'ont pas
un grand mérite littéraire, mais elles ont une grande valeur pour la con-
naissance de la poésie lyrique en Angleterre qui, jusqu'à présent, est
très pauvre en monuments de ce genre.
I Lungtensay de queramé,(/3 a)
Celél'ay d'estrange gyse.
S'en ai grant tort e péché
4 Ke ma dame n'ay tramise
L'amiir k'en lui ay assise
De fin quer sanz fauseté,
Dunt la serf en lealté
8 E serveray sanz feintyse.
Du celer faz grant mesprise;
Si m'en confès a sungré:
En chantant, ma vérité
1 2 Faz saver a sa franchise.
II Dame, quant primes vus vi.
Tant fûtes de bealté fine
De tut mun quer vus seysi,
16 Vus en avez la racine;
Mes vus k'estes entérine
De cors e de quoer ausy,
N'en seustes mot ne demi ;
20 S'en ay trop dure trayne.
Meuz vousissè mort sovine
Ke vivre longes ensy ;
Ben le sachez tut defy,
24 Ja sanz vus n'avray mescine.
III Tut ensi va de mun cors
Cum d'une torche eslumé[e] :
La char se destruit dehors,
28 Si n'esteynt point ma pensé[e].
Jo vus [aim], dame honuré[e]
En ki remeint mes trésors,
Mes jo nen ai nul confort; {b)
32 Celé est ma destinée
Cornent en ay grant hastée
Mein e seir, sanz nul déport.
De vos beals euz m'avez mors ;
36 Si vus plet, treben me greye.
IV L'unicorn, quant veit dormir.
Se baundone a la puceie;
Ne prent garde de morir
40 Quant uns armé l'anbouele.
Ensi m'est, m'amie bêle:
Voz bunté voil obeyr,
Voz ferté me voet ferir
44 Du ma! dunt la mort m'apele.
Si n'os dire ma querele
Ne mun penser descovrir.
Cum poet vos buntez suifrir
48 Ke voz ferté tant révèle?
V Pus ke n'os od vus parler,
La mort m'est trop ben venue,
19 Ms. Jensuystes. — 32 Corr. Itele.''
MANUSCRITS FRANÇAIS DE CAMBRIDGE (DD.IO.JI)
249
Mes si vus pleseit abréger
<)2 La peyne k'issi me tue,
Mut vus serreit grant value
Si me pussez alléger
D'un su! beau respuns, dunt
58 M'avrez la vie rendue.
Soviengez vus ent, ma drue,
Ke sanz vus ne pus durer;
Si vus puys ben aficher,
60 Kar d'autre ne quer ayue.
3.
I Tant suy a beau sojur (/ 3 a)
Frai chançonele d'amur
E de sa tregant valur
4 Pur refreindre mun deheyt.
De tuz bens est la plur,
Joie, solaz e duçur ;
Sanz, curtesie e valur,
8 Nul ne set le grant espleyt.
Mes cil k'amur creynt e creyt
Sovent en ad chaud e freit ;
Enz ke tuz ses bens en eyt
1 2 Li crest meint novel errur.
Pur la peine e la dulur (c)
K'il en tret e nuyt e jur,
Sovent en prent grant folur,
16 Tant le meyne amur estreit.
Kar hom(e) ne poet par nul dreit
Sanz les bens k'aver deit
Li fin amant quant receyt
20 Sun loer a chef de tur,
Einz k'un eyt sentu l'estur
D'amer e la grant tristur
Ke fet as amanz pour
24 E sovent tient en destreit.
II Custume est de mut de gent
D'amer si trehautement,
Les grant dames nomement
28 K'en peyne ne poet nul chevir.
Merveil est, quant hum enprent
D'amer, cum garde ne prent
De bealté n'acemement,
52 Ke meuz i deit avenir
K'aveyr k'un poet tenir;
Mes pur l'avoyr a teylir,
Pert hun ben le sovenir
36 De si fet avisement,
Kar hum veit assez sovent
Honur guerpir ledement
Pur un petit richement
40 Ke tantost poet descheïr.
Cil k'eyme par tel désir
N'estut ja d'amur languir
Ne le gref dulur sentir
44 Ke li fin amant en sent;
Mes pur l'amur solement
Devient murnes e dolent,
E dit ke celé au cors gent
48 Li fet tut le cors frémir.
m
S2
Joe n ai pas tou apris :
Aylurs ai mun quer assis
E plus beau, cest m'est avis,
K'en avoyr alur semblant,
Kar a tel me suy [joe] pris
Ke mut [a] tretis le vis,
La char blanche plus que lys,
56 Le cor (sic) gent e avenant.
(d)
51 Corr. pleseit en plest ? — 52 me, ms. ma {:= m'a tué).— 54 dunt,
corr. duner? — 60 ayue,m5. ayne.
3._ ^ Sic, corr. flur.— 18 Corr. Saver? — 28 Ccrr. K'a p. en p. nul. —
53 Corr. k'um puisse t.? — 54 Corr. acoylir? — 49 Corr. tant haut empris?
— 51 cest, corr. ceo. — 54 Mi. cretiz.
250 1
C'est tresur a fyn amant,
Kar de tuz bens i ad tant.
Ke vus irroye plus disant?
60 D'avoyr sanz mut léger prys;
Ke avoir fet la gent failliz,
Recreanz, mautaientiz;
Avoyr va de mal en pis,
64 Trop est avoyr mescheant.
72
Beauté va tut tens cressant,
Les amanz rebaudisant,
Li plusur en sont vaillant,
Pruz de cors, de quer jolis.
Mes joe suy adès pensifs
E de pour entrepris ;
Si ai perdu e jeu e ris
E vois merci attendant.
Tant cum plus ai mis ma cure
D'amur servir en dreiture,
3 E plus y sui mescheant,
Cors e avoyr, tant cum dure,
Si ai mis en aventure
6 De fin quer rebaudisant.
S'en ai peyne languisant,
E meyntgrant fès e pesant
9 Sustieng en sus la ceynture,
Ire, languor e enplure
Me funt l'assaut de hure en hure
1 2 A funt de tin quer amant ; {f ^)
Mes li mal m'est si pleisant
Ke ja n'en f[e]rai semblant;
I s Tut le preng par enveysure,
K'amur est de grant mesure :
S'en rent par dreite nature
18 Plus haut guerdun ad entant.
II Dunt me vendra d'amur plere?
Sen ne saver ne vaut guère
21 Kar les meus failli sunt;
Si m'estut d'amur retrere,
Pus ke ne puys a chef trere,
24 Si enverray le quer runt.
Las ! cheytifs, ke porray fere.?
Tant m'untquis en mère, entere,
27 Ne garray ne val ne munt.
Les grefs mais al quer me vunt,
(E) meynt mortel asaut me funt;
30 Ne puys mes suffrir la guère.
Si feray, quant prys m'averunt;
Ses solaz me guar[r]unt,
33 Ne me fra mes en contrere,
Kar a primes voet enquere
De l'amant tut sun afere,
36 Pus l'en sert k'a fet adunt.
III Cent foiz le quer me suspire
Quant ne puys trover raatire
39 D'amur servir a talant,
Ke de faillir n'est pas lent,
Einz me va poygnant sovent.
42 Léger fuisse a desconfire.
De mun sen ne suy mes sire
Pus k'amur par mal me tyre
45 A funz de quer le mau sanc.
Si ne fut un gentil mire
Ke de cel mal set eslire (b)
48 Le plus suef alegement :
C'est confort ke tut teu gent
Guerdune si très franchement
5 1 Kanke lur quer en désire,
Car si hom sent gref martire,
Pur le mendre doil ou ire
54 Doune solaz plus de cent.
IV Point suy d'amur, trop m'est fere.
Amur me fet murne chère,
57 Allegance Deu me doint.
60 Corr. A. s. plus.''
4. — 10 Faut-il supposer un subst.
21 Corr. f. i unt? - 24 Corr. Si en
rompre. — 26 Ms. en tere en mère. -
Ne m'estra? — 36 Sic.
emploure /orme sur le v. emplourer.'' —
aray-f" — runt est un part, mal formé de
- 27 Corr. n'en v. n'en m. .? — 33 Corr.
MANUSCRITS FRANÇAIS DE CAMBRIDGE (DD. 10.^1 I
2$I
Ne puys, tant ke mort me fera,
Amur guerpir, tant m'est chère,
60 Kar dedenz mun quer l'ai joynt.
Tant m'ad de doçur enoynt,
E de ben amer enjoynt,
63 Mes tant sovent m'est amere
Ke meuz volsisse estre en bere
Ketant vivre en tel manere,
66 Ke espérance n'y ai point
Fors que solement un poynt:
C'est confort, ke tut a point
69 Me promet amur entere;
K'amur est del tut plenere,
N'est pas foie noveler[e],
72 Le fin amant en tut point.
V Meint turment al quer m'escleire,
Tant ay trové dure seire
75 Les en ay pale e teynt.
Mun estât adès espeire,
Ne le pris pas une peyre;
78 S'en suy près du tut esteynt.
Alas ! trop hai le quer feint :
Si amur m'ad d'un dartenpeynt,
81 N'ay pas ou coup de coveyre.
Amur est tant deboneire, (c)
Poy veit hom ke ben espeire
84 Ke par duçur nul estreint,
Si un poy suy d'amur destreint
Dehez eyt ke mes se pleynt !
87 Fous es ki se des[es]peire,
Kar a fin amant repeire
Joie d'amur d'eyre en eyre,
90 Si assouuage dolur meynt.
I Grant pesç'a ke ne chantai,
Ne k'a ceo ne me donay ;
Oresuy mis a l'asay
4 Pur ces juvenceals treter
Ke tant sunt jolifs e gay,
Novelers e nunneray,
Nunchalers e auke lay,
8 Kant il comencent d'amer.
Sovent les voy forveyer,
D'amur flecchir e fauser
Kant il n'unt tut al premer
12 Lur désirer sanz delay.
Pur la pitc kejo ay,
Kant les vey si en estray.
Une chançon lur feray
16 Dunt se porrunt aviser,
E pur tels genz redrescer,
Rebaudir e assenser
E d'amur reconforter.
20 Les granz bcns lur en dirray,
Kar de veir le quid e say
Ke de tels i troveray
K'al dreit chemin remerray
24 D'amur servir sanz tricher.
II Trop sunt d'amur haut li nun
E plus en sunt grant li dun.
Tant en y a grant foysun
28 Huymès nés avrai nomee.
Mult avra riche guerdun
K'amur sert sanz traïsun
E sanz penser s'a ly nun
32 A ki est primes donee,
K'un en devent avisée,
Corteys e ben entechee,
Coyntes e meuz acemee
36 E plus sages de reysun,
Jolits en tule seson,
id)
72 Ms. fint. — 75 Corr. Le vis? — 76 Corr. enpeyre? —
N'est pas un coup de toneyre. — 84 nul, pour ne 1'.
5. — 6 Ms. nûnerpy.— 1 1 n'unt, ms. munt.
81 Sic, corr.
2^2 P.
Franc de quer, net cum faucon,
Pruz e fer plus ke lyon
40 E bon crestien en Dé.
A la fin, en lealtee,
En honur e en buntee,
Ceo k'um ad tant désirée
44 Tient hum ben en sa bandun.
Amur est de grant renun,
De tuz bens est encheisun
E de tuz mais garysun,
48 Ben la deit hum fere a grée.
III Mut ert d'amur averti
Ke lunges l'avra servy
E en quide aver failli
52 Ke dune se teint an recey,
Sanz parler ent a nuly.
N'a procen parent n'amy,
Mes k'il atende mercy
56 De fin quer en dreite fey ;
Si vus dirray lepurquey :
S'il s'en pleynt ne grant ne poy
Tost li dit s'amie: t Avoy!
60 « Quidez me vus gayner ensi } »
S'il se tient clos e serri
En fet e en dit ausi,
Quant le savera tut de fi
64 De s'amur li fet envoy. (/. 5)
Ceo ne di jeo pas de moy,
K'unke tant de ben n'en oy
Ne tant servir ne la soy,
68 K'une foyz en fuysse oy,
Einz me covir en reri [sic) ;
Du cors en suy malbailli,
Tut mun tens en ai langui ;
72 S'en morray, très ben le voi.
Longement me sui pené
De servir en lealté
Amur de trestut me sens,
Mes unkes ne vi le tens
5 Ke [me] venist nul asens
Dunt me puisse conforter;
Si l'ai servi sanz fauser
8 E sanz ren aillur penser,
Mes unkes n'en oi merit,
Nun pas tant cum du beau dit,
1 1 Fors que tonir l'escondit.
M'en sui enz miz a desuz ;
Mes li mais m'en est si duz,
14 Ke mes granz ennuys trestuz
En li servir vanthe saufs,
Kar joe serf de quer leals ;
17 Ne pur peines ne pur travaus
Unke de ren ne me feins,
Mes tujur a joynte meins
20 La pri cum amy certeins
K'ele pense de sun prisun.
Ore m'a dit a baundun
23 Ke jo lesse ma tençon,
Sanz parler mot ne demy ;
Cel m'ad tut esbaï ;
26 E quant de moi n'ad merci,
De la mort me fet présent :
Jo la recef bonement,
29 Si en frai mun testament.
Dunrai [a] ennuy mes plurs.
Al nun du douz Deu d'amurs
3 2 Ferai mes essecuturs
Ke parf[e]runt mun devis.
Premer i serrunt assis
(b)
50 Ms. les a. — 52 il/5, au re retey.
6. — 3 me, corr. mun. — 10-11 Ces deux vers sont intervertis dans le ms.
L'ordre a été rétabli par des lettres de renvoi. — 1 1 Sic, corr. F. ke d'ouïr.-' —
25 Corr. Cel[e] ou Cel [mot]? —34 Ms. serrQ.
MANUSCRITS FRANÇAIS
j 5 Ceus ke sunt de quer jolifs.
Enveisez e revelus ;
S'en serrunt les amerus,
j8 E pus les chavalerus
K'a ceo serrunt atendant.
Tut a primes i cornant
41 Au trefelun médisant
Les peines dunt sui enbu ;
AI ennuyos malestru
44 Mes dolurs granz e menu,
Kar trop est de maie part ;
Al vilein jelos groinart
47 Mes angoisses e la hart,
Kar il en ad fet le luer;
A celé pur ki me moer
50 Cors e aime e tut mun quer
Comand tut a sun pleisir.
Des bens n'ay [mais] ke partir,
53 Ke unke n'oi nul désir,
Mes du duz penser adès
Relement voer poi e près
56 E par le de povre des (sic)
Unke plus délit n'en oy,
E ceo me semble assez poy
59 Ke jo reteng enver moy
K'a ceo serra sun(t) resort ;
62 La moie aime après ma mort
S'en avra plus beau repos.
DE CAMBRIDGE (DD. lO.Jl) 2^
Amur me turne le dos
65 E mer moi ne fet si gros (c)
K'en fin morir me covient ;
De l'escaper n'i ad nient,
68 Kar la mort al quer me vient
E me fet meint dur asaut.
Deu ! jo moer, e moi ke chaut ?
71 Fere me covient le saut;
Quant merci d'amur n'avrai
Si comand a Deu le verrai
74 Ceus ke d'amur funt i'assai
Sanz coveiteise d'avoir.
Deu lur doint sen e savoir
77 Ke ben en puissent valer,
E puis venir a bon chief (b)
80 As gelus Deu doint meschief.
Feu d'enfer par tut le cors,
Povre e riche de trésors !
83 Nul de eus n'i met dehors,
Kai trop sunt diverse genz ;
Passion les fere as denz,
86 Par defors e par dedenz,
K'as amanz sunt mal veisin !
Trop sunt de felun e[n]gin ;
89 D'assez sunt pire ke mastin,
Si les comand a malfee,
Tuz jur[z] eient il mal dehee !
Amen.
Quant le tens se renovele {f.v°}
E reverdoie cy bois,
Cist oysials sa père apele
Celé cum a pris a choys;
Lur voil chanter sur mun peis
D'une dame gent e bêle,
Sur trestutes tourturele.
Ben fuysl al plus grant reis
Ke unkes seit en see n'en deis.
Tant est noble juvencele;
Mes ver moi tut tens révèle,
12 Si me respunt en gabeis.
II Tant ad noble contenance
Celé pur ki faz cest chant,
Sage diz e poi parlance,
16 Duz regard e bel semblant.
Mut est simple e poi riant,
Ben se contient cum d'enfance.
Tant vus di, tut sanz vantance,
41 Ms. Autre f, ; il faut entendre Au très felun. — 65 Corr. Enver moi se f.
— 74 funt, ms. sunt.
I
254 P-
20 Loinz ne près n'ad per vivant;
Sire serreit sun amant
Si ele l'amast par fiance.
Mes jo n'ai nul' espérance
24 Cument la puis amer tant.
III Deu ! tant est de bonté pleine
Ma dame al cors lunge e gent,
E de parole certeine
28 Beaus respunt [a] tute gent.
Bon mestre a l<i ben aprent,
Kar curtesie la meine,
Franchise al cuer dreit l'aseine,
32 Largescesun cors i prent;
Meint hom pur lui joie enprent,
Tant la trove sage e seyne;
Mes jo 'n ai trop mal estreine
36 Sanz l'angoisse a gref turment.
IV Sa beauté ne puis descrire,
Tant ay ver lui bon' amur.
Deu de gloir[e] reis e sire
40 Kant la fist si bêle honur
Ke de bealté tient la flur,
Nuls ne poet contredire.
Pur li meynent doel e ire;
44 Mut de gent par grant folur,
Purreprender lur vigur,
Chescun d'els en li se myre,
Mes j'ensofre gref martire,
48 Tant me destraint ma dolur.
V Tut le plus de s'estature
Ore a ki le voet savoir:
Mut ad beau chef sanz triffure,
52 Large frunt e surciz noir;
Ja n'esparnerai le voir : {f. 6)
Tant ad bêle chevelure,
Menue la recercelure,
56 Tut en resplent un manoir.
Ki porreit sun gré avoir
Mal n'avroit fors k'enveisure.
Mes jo, cheitif sanz mesure,
60 Ai perdu sen e savoir.
VI Plus i a en tel visage,
Ja l'orrez si nul me creit,
Le[s] euz veirs, nun pas volage,
64 Remuanz a bel espleit ,
Beau neys avenant e dreit,
Meine bûche sanz utrage,
Mentun petit cum d'ymage^
68 Lung le col, le quirestreit.
Ne puis savoir ke me deit
Quant ne chevis mun message.
Mes jo en ai la vive rage,
72 Tant sui mis en fort destreit.
VII Si les flurs d[el] albespine
Fuissent a roses assis,
N'en ferunt colar plus fine
76 Ke n'ad ma dame au cler vis ;
Les espaules ben assis,
Poy le ney e la peitrine,
La char blanche plus ke cyne,
80 Par tut en porte le pris ;
Dunt suy si forment suspris,
Ne sa[i] k'amur me destine,
Mes ceo feis me runt l'eschine,
84 Si m'esta de mal en pis.
VIII Cornent ke ço feis me grève,
Quant le savra ne me chaut,
Tant m'en est la mort plus sentue
88 Kar amur en mey ne faut,
De tut Tel coment k'il aut.
Ore dirai parole brève :
Ki trop enprent mal escheve ;
92 Fol apris[e] ren ne vaut.
Si ne me preisse a! plus hait
Ne me preisasse une fève,
Mes cis mais le quer me crevé;
96 Ben sai ke frai un fous saut.
40 Ccrr. li f..? — 50 Corr. Orra. — 55 Ms. retercelure. — 62 creit, ms.
treit. — 63 nun, ms . nunt. — 78 Corr. Piz levé? — 87 sentue, corr. sueve?
MANUSCRITS FRANÇAIS DE CAMBRIDGE (DD.IO.JI) 255
IX Orc deit ben chescun entendre Puis k'ele ne voet pité prendre,
Cum amur est cher trésor: 104 Ben crei ke men seit le tort,
Ki la pertsa joie est mendre, Valer ne me poet nul jur,
100 Kar meuz li vausit estre mort. Puis ke mort me voet esteyndre,
Jo sui si mortelement mors Mes a Deu voil l'aime rendre
Ke le quer m'estuit [tut] fendre. 108 E a ma dame mun cors.
8. La Petite Philosophie. — Ce poèmC;, qui est un abrégé de cosmo-
graphie et de géographie, a été rencontré jusqu'ici dans quatre mss.,
sans compter celui que je décris actuellement :
Cambridge^ Univ. lib. Gg. 6.28.
— S, John's I.ii ; voy. Romania, VIII, ?^6.
Oxford, Douce 210; fragment; voy. Bulletin de la Soc. des
anciens textes, -880, p. 52,
Rome, Vatican, Chr. 1659, voy, Chardry's Josaphaz, ligg. \on
J. Koch (1879), p. IX.
J'ai déjà fait connaître par des extraits les mss. du collège Saint-Jean'
et d'Oxford ^, je transcrirai actuellement quelques passages des deux mss.
de l'Université de Cambridge. Mais tout d'abord, aux renseignements
que j'ai eu précédemment l'occasion de fournir sur |cet ouvrage, j'ajou-
terai l'indication du texte latin d'après lequel il a été rédigé.
Le titre du poème, la Petite Philosophie'i, ïali tout d'abord penser au traité
de Guillaume de Conches intitulé parfois Phiiosophia minor, qui a été mis
sous le nom de Bède et d'Honorius d'Autun4. Toutefois les différences
entre les deux ouvrages sont beaucoup trop grandes pour qu'on puisse
les rattacher l'un à l'autre. L'original de notre poème est, selon toute
probabilité, V Imago miindi d'Honorius d'Autun. L'accord des deux textes
est frappant, comme on en pourra juger en comparant les morceaux latins
et français rapportés ci-après. On remarquera cependant qu'il n'y a rien
dans le latin qui corresponde aux 1 1 9 premiers vers du ms. DD . 10.51.
Ces vers forment un prologue que l'auteur du poème a dû tirer de son
propre fonds, à moins qu'il ait eu de Vlniago mundi une rédaction autre
que celle qui est éditée. Il paraît dureste avoir traité avec une assez grande
i. Romania, VIII, 356.
2. Bulletin de la Société des anciens textes, 1880, p. 52.
3 . C'est le titre que donne le ms. de Saint John ; cf. ci-après, v. 115.
4. Parmi les 5;3iin'a de Bede, Migne, Patrol.lat., XC, 1127; parmi les
œuvres d'Honorius d'Autun, ibid.. CLXXII, 39. Pour l'attribution à Guillaume
de Conches, voir l'article de M. Hauréau sur cet auteur dans la Nouvelle bio-
graphie générale.
256 p. MEYER
liberté son original, introduisant parfois des développements dont le latin
fournit à peine le point de départ.
Voici le début de Vlmago mundi et celui du poème :
Mundus dicitur quasi undique motus ; est enim in perpetuo motu. Hujus
figura est in modum pilae rotunda, sed, instar ovi, elementis distincta. Ovum
quippe exterius testa undique ambitur, testas albumen, albumini vitelium, vitello
gutta pinguedinis includitur. Sic mundus undique cœlo, ut testa, circumdatur,
cœlo vero purus asther ut album, aetheri turbidus aer ut vitelium, aeri terra ut
pinguedinis gutta, includitur (Cf. DD.10.3 1, vv. 120-136).
Creatio mundi quinque modis scribitur: une que ante tempera saecularia
immensitas mundi in mente divina concipitnr, quae conceptio archetypus
mundus dicitur, ut scribitur : Qaod est factum in ipso vita erat ' . Secundo cum ad
exempiar archetypi hic sensibilis mundus in materia creatur, sicut legitur:
Qui inanet in aternum creavit omnia insimul^. Tertio, cum per species et formas
sex diebus hic mundus formatur, sicut scribitur : Sex diebus fecit Dominas opéra
sua bona valde 5. Quarto, cum unum ab alio, utpote homo ab homine, pecus a
pecude, arbor ab arbore, unumquodque de semine sui generis nascitur, sicut
émlnv: Paicr meus usqucmodo operatur A. Qmnio., cum adhuc mundus innova-
bitur, sicut scribitur: Ecct nova facio omnia ^ {DD, vv. 138-157).
Elementa dicuntur, quasi hyle, ligamenta: GXr, autem est materia ex quibus
constant omnia, scilicet ignis, aer, aqua, terra, qua; in modum circuli in se
revolvuntur, dum ignis in aerem, aer in aquam, aqua in terram convertitur,
rursus terra in aquam, aqua in aerem, aer in ignem commutatur {DD, vv. 158
et suiv.).
Ky voutsaverdel mapemund,(/'.6c)
La forme de trestut le mund.
De terres e de regiuns
4 E de citez les propre nuns,
Ki les fist e edefia
E primes nuns lur dona,
E des ewes ke portent navie,
6 Jeo en dirraie grant partie
Si cum jeo ai en escrit truvé,
Dunt jeo ai asez auctorité.
Seint Luck li evangeliste dit
En le ewangeile k'il escrit
Ke Augustus César l'empereer
En ki tens fud né li Sauver
Conmanda par sun conmandement
A tuz le mund conmunement
I. Jo. I, j-4, citation formée de deux membres de phrase réunis à tort.
2 . ECCLI. XVIII, 1 .
?. Cf. Gen. I, 31.
4. Jo. V, 17.
5. ApOC. XXI, 5.
Les vers 1-36 ne se trouvent qu'ici.— 3-4 Ces deux vers sont à peu près littérale-
ment reproduits un peu plus bas (i 5-6).
MANUSCRITS FRANÇAIS DE
Ke tuit lui feïssent asaver
E les escriz a lui enveer
De teres e de regiuns
\6 E des hiles les propre nuns,
E la manere de la gent
E des bestes ensement,
E ke ren ne lui duissent celer
20 Ke digne fut a remembrer,
E quel servise chescun deveit
A Rome ke lur chef esteit.
Ceo fit il par le conseil
24 De un sage ke fud feel,
Ke Cyrinus aveit a nun,
Esveske deSyre, sages hom,
Romefud chef detut le munde (d)
28 Si cum le livre nus respund,
En tûtes teres, est ben seù,
A Rome rendirent treù.
Quant cest ban fud criez
32 E par escriz par tut enveez,
Tut issi e en teu manere
Cum out conmandé l'emperere
Par teres e par regiuns
j6 A Rome aùrent lur respuns.
Li sages ke jadis est[ei]ent
De grantsaverseentremett[eijent
E mult estreitemeut enquistrent
40 Les choses ke puis en escriz mis-
[trent
CAMBRIDGE ^DD.IO.^I
2s:
Chescun mustra sa sente[n]ce
Solum la sue sapience;
En plusurs lius devisèrent
44 Lur escriz e tuz asemblerent,
E lur sentence ordinerent
E les dotances tut offerent
E la vérité confermerent,
48 Kar en tuz point la esproverent
E cum chose prové Tacerterent,
E ces escriz puis longement co-
[nurent
Dunt plusurs puis garni furent
J2 Debone et de maie aventure,
Ke tut diseit lur escripture.
Par tut le mund apris aveint
Les aventures k'il les saveint ; [20]
56 Kar Deu meimes en acune gise
Mustre al mund ceo k'il divise
[(f- 7)
Par avanture e par feiture
K'il fet e tret en sa mesure;
60 E il en urent garde prise,
Pur ço sav[ei]ent la devise.
Le mund trestut mesurèrent,
Tere, ewe e fu numbrerent;
64 Les qualités de tuz sarcherent
Dunt la force de tuz troverent,
E la esprové[e] troveùre
Mistrent en sage escripture
28 Corr. despund. — 43-4 // manque, ici comme dans S. John's, un vers qu'on
trouvera ci-dessous dans Gg. 6. 28. — 46 Corr. estèrent, voy. ci- dessous. —
55 Les chiffres à droite se réfèrent au ms. de S. John's (Romania, vm, 337). —
66 Ms. e la prespone le premier r étant pointé.
Ms. Gg. G. 28. — Li sage jens jadis esteynt. De grant saver s'entremeteyent.
E mu'it estreitement enquisterent. (40) Les choses dount il plus escritrent. E
chescun mustra sa sentence. Solum la sue sapience. En plusurs maneres divi-
sèrent. De si ke li sages ke pruz erent. (44) Lur escrire touz ensemblerent. E
lur sentences ordinerent. Les dutances tûtes ostersnt. E la verrur con!ermerent.
(48) Car en touz poynz les proverent. Pur chose prové la cercherent. Ces escrire
puis lunges corurent. Dunt plus avant garni furent. (52) De bone e de maie
aventure. Kar tut dyseit lur escripture. Par tut le mund apris aveint. Les aven-
tures ke il saveient. (56) Kar Deu mêmes en acune guise. Mustr; au mund ceo
que il devise. Par avenir de faiture. Que taut e crest en sa mesure. {60) 11 en
unt grant garde prise. Pur ceo en surent la devise. Le mund trestut mesurèrent.
Tere ewe feu aer anumbrerent. (64) Les qualités de touz cercherent. Dunt la
orce de touz troverent. E la esprovee troveiire. Mistrent en sage lettrure.
Romania, XV 17
72
76
8o
92
96
Pur ceus garrir ke pus vendreint
E le sen esprendre voleint.
Mes nul ne set ke seit en ceo
[contemple
A lur sen gueres ne se entempre;
Nul ne purveit mal aventure
Pur ren ke Deus avant figure,
Dune ceo est mult grant folie,
E la gent trestut dévie
Par pleidurs e par legistres 1 4 1 J
Ke sunt Antecrist ministres,
Si purvertent tute dreiture,
Pur terriene pouture;
Nul ne dute la Deu manace,
Mes la gent sunt cum fu sur glace;
Ne ne gardent la créature,
Pur tant del Creatur n'unt cure.
Pur ceo faz [en] ceste escripture
De tut le mund la purtreiture,
Cument la tere seit entere
E des ewes tute la manere, (b)
Del eyr e del ether ensement
E la force del firmentent,
D'enfer, de ciel et des planètes,
De la lune, del solail e conmetes,
Des doze signes e de lur curs.
Pur kei sunt longe curz les jurs,
Dunt le vent veint e dunt toneire,
Dunt foudre, dunt fu, dunt es-
[cleire,
Dunt grésil e nuile e brisile,
Dunt pluie e aubegele, [62]
Dunt le fu vient ke homchaïr veit,
Ke hom quide ke esteile seit,
E dunt veint la blanche veie
Parmi le ciel ke se despl[e]ie.
Ki ces choses veut entendre
Mult purra grant ben aprendre
104 E saver en tûtes maneres,
Ki mult est sages li Créeras
E k'il est puissant par nature,
E ke sa volunté partut dure,
108 E ke tut ke lui seit a volenté,
Tut vendra par sa poesté;
E ki défaut de sun servise
Mult deit duter sa justise.
1 1 2 Nun donc al livre ki l'endite
Philosofu la petite.
Ki veut plus oïr par requeste
Le frut li dirai de la geste. [80]
1 16 Ki veut del mund oyr le ymage
E la feiture en sun estage, (c)
Escut a mai 0 bon curage,
E jeole frai certein e sage.
120 Le mund est ront cum polete,
Nent estable, mes est an moete ;
Unkes ne fudne jan'ert estable,
Mes tut dit novele e remuable;
124 Par le elemenz est destinctez
Cum par un uf veer purrez :
^L'aubun dehors enclôt l'eschale,
E l'aubun li moauz cum en maie.
128 Li moauz enclôt une gute
Ke de gresse enfurme tute.
Tut ausi est le ciel cum lescale,
Le ether cum aubun en maie,
132 Le ether cum aubun sur muel.
Le espès eyr envirun mult bel.
Li moauz enclôt la grase gote,
E l'eir partient la terre tute.
89 t'orr. firmament. — 9J M^. fendre — 105 Ki, corr. Ke. Cette faute et
l'inverse sont fréquentes en anglo-normand — 127 Ms. moanz. — 129 Corr. est
formée.
(fol. 16) Pur cels garnir que puis vendreient.. E lur sen aprendre vodroient.
Mes nul que seit en ceste tempre. A lur sen guers s'atempre. (72) Nul ne
purveit mal aventure. Pur ren que Deu avant figure. Dunt terre est mut afeblie.
E la gent tantost dévie. (76) Par les pledours par les legistres. Qjii touz sunt
Antecrist ministres. Cil pervertent tute dreyture. Pur terriene pureture. (80)
Nul ne dute la Deu manaie. Dunt la gent sunt cum feu sur gelaie. Ne nul
agardela créature. Par taunt del Creatur n'unt cure. (84) Pur ceo faz en cete
escripture. De tout le mund la purtreture. Cornent la mer set en tere. De ewes
totes la manere. (88) De l'ayer del ethre ensement...
MANUSCRITS FRANÇAIS DE CAMBRIDGE (DD.IO.JI)
;6 Si aver poiet ke sen ad parfund
259
Ke lecielenclottut lemund; [100]
De ceo mund le creaciun
Fet en .v. maneres le trovum :
140 L'un (est}fu einz ke nule renfut,
Ke Deus en sun penser conceust
Devenl tut le secle purtrere,
Cornent il vout tut le mund fere;
144 Cist est architipus dit,
De Deu le prince ke tut purvist;
Prince est dit arcos en gregeis,
Tipus est figure en franceis ; (d)
148 Dunt ceo nun de ceo noma
Ke Deu mêmes le figura.
L'autre est quant Deus par cest
[esample
Ceo mund furma veable e ample,
1 52 E trest en forme e en matire
Quanke purvist son sage enpire.
Dunt l'escrit dist : « Cil kl fin n'a
Ensemble tute ren créa »,
156 Ensemble par voil debonere
E par aparisante mateire. [120]
Le terz fud quant Deu tut forma
E par sis jurs tut ordina,
160 Dunt l'escrit dit: tt En sis jurnées
Fist Deu tute bones crieres. »
La quarte manere Deu mustra
Quant une chose de autre créa,
164 Ausi cum encore fet
Quant il home de autre tret.
Beste de beste fest venir,
Arbres e herbe reverdir;
168 N'est chose solum sa semence
Ke Deu le mund ne recomence,
Dunt l'escrit dit : « Mi père
leovre. »
Encore ses bontés pas ne covre.
172 La quinte manere est dit en veire,
Quant Deu vout le mund refeire,
E tut oster de pulenterie
E revestir de novelerie; [138]
176 Dunt le prophète dist verrai :
« Tûtes choses renovelerai. » (/".S)
Ore escutez (e) des elemenz,
Ceo est des yles les leemenz.
180 Tant dit y!e cum matere
Dunt tute ren pernenl afere.
Yle est matere divine
184 Dunt tute rcns pernent orine.
Ces elemenz quatre sunt
Pur kei tut rens esîunt:
Ceo est feu, eyr, ewe e tere,
188 Dunt jescun de altre a [ajfere,
Par icele concordance
Ke nul n'esta l'autre grevance;
Kar, si cum cercle returné,
192 Ensement turnent e sanz mellé :
Le fu en l'eyr si se turne,
Li eyr en l'ewebiensojorne,[i 56]
L'ewe en la terre cuille e plie...
Le ms. DD. 10^ 31 est incomplet de la fin, les derniers feuillets ayant
étéenlevés. Il manque environ 570 vers au poème de la Petite Philo-
sophie. Voici les vers qui terminent ce ms. Je les fais précéder du texte
latin correspondant,, qui forme la fm du livre I de l'ouvrage (Migne,
col. 146):
Lactea zona ideo candida est quia omnes stelL-e fundunt in eam sua lumina
{DD. vv. 23-30).
Cometa; suntsteilae flammis crinitas, in lactea zona versus Aquilonem appa-
136 Corr. Saver. — 142 Corr. Devant. — 148 Corr. c. munt. — 161 Corr.
criées. — 179 Corr. de yle.
260 P- MEYER
rentes, regni mutationem aut pestilentiam aut bella vel ventos, aestus vel sicci-
tatem portendentes. Cernuntur autem septem diebus, si diutius octoginta {DD.
vv. 31-39).
Sidéra fabulosis involuta, imo polluta perlustravimus. Altius scandantes astra
matutina, soiemque solis inspiciamus.
Super firmamentum sunt aqus instar nebulas suspensas, qusecœlum in circuitu
ambiredicuntur, unde et aqueum cœlum dicitur [DD. vv. 41-46).
Super quod est spirituale cœlum, hominibus incognitum, ubi est habitatio
angelorum pernovem ordines dispositorum. In hoc est paradisus paradisorum,
in quo recipiuntur animae sanctorum, hoc est in cœlum quod in principio legitur
cum terra creatum {DD. vv. 47-54)-
Huic longe supereminere dicitur cœlum cœlorum in quo habitat rex angelo-
rum {DD. vv. 55 et suiv.).
Je donne en note les principales variantes du ms. Gg. 6. 28,
Autre esteiles sunt plusurs
Dunt home ne set lur nun ne
[lur curs,
Ne lur nuns ne lur poetez ;
4 Mes jeo meretrès tut de gré,
Kar cel començail est fol e gref
Ne n'est merwaylle si en a nun
[turt (/. 24)
8 Chose dunt sen [ne] pru ne curt :
E quel pru est de dire la ren
Ou home ne put aprendre ben?
Ki ben eist sanz ben aprendre,
12 0 le ane deit harpe aprendre.
Ben dire sanz ben mustrer
Fetle musard plus musarder;
Dunt li sage sun fiz chastie ;
16 « Gardez ke ne méprenez mie
« De pincer (i/f) les Deus secrez,
« Kei ke seit le ciel esteilez. »
Sovent cil ki tut vut saver
20 Tut pert quant veit Sun nun poer.
Lessum a Deu ses privitez ;
Quant li plet il nus mustre assez.
Fallaz est une zone
24 Ke tant est clere blanche e bone,
E très parmi le cel s'en vad.
Icel nun cum duz let ad;
Blanc e gai est duz let
28 Dunt cel[e] zonj^e] sun nun tret.
Les esteiles la clarté funt
Ke ele a chescune respunt.
En ceste zone par fiez
32 Ver le north parent comètes leez,
Unes esteiles mut cremues
E 0 mult flambestes kernues :
Change de prince signefient
36 Ou pestilence e guère dient,
Ou grant vent ou grant flote de
[mer, {b)
Kar n'i est ki en set penser.
Set jor parent ou vint e .v. plus;
6 Voici, d'après Gg. 6. 28, ce vers qui manque dans DD : Ke hom ne poet trere
a bon chef. Dans le même ms. les vers -] h li manquent. — 11 Les deux pre-
mières lettres de apendre paraissent grattées à dessein., pour laisser rendre.
I j Cf. Denis Caton :
Mitte arcana Dei .cœlumque inquirere quid sit,
Cum sis mort3lis, quas sunt mortalia cura.
23 Corr. Gallax; Gg Gallaris. — 27-30 Manquent dans Gg. — 34 Gg E
flaunchisanment kernues.
MANUSCRITS FRANÇAIS DE CAMBRIDGE (DD. 10.^1
261
40 De nus garnir est Deu gelus.
Amunt en cel grant firmement,
Le livre dist ke ren ne ment,
Sus les nues suntewes suspendues
44 Ausi cum mule en ses nwies,
Ke suz le cel turnent envirun :
Icel cel ewin ad nun.
Sutr (sic) celi est le cel esperital
48 Ke n'est conu de home mortal;
Les angels sunt en lui menant,
Ke tut dis unt joie grant.
La sunt les aimes des senz
52 Ke en Deu servise ne furent feinz.
Icel cel fu primes créé
E 0 la terre purtreté,
Icel cel ben de la
56 En un grant cel ki fin nen a.
Il est nomé li cel de cels,
La meint li reis des angels Deus;
La meint le rei tut puissant,
éo Lui nel teint, si est tut tenant;
Tut fet, tut veit, tut governe,
E li ne rent e li ne terne.
Il est partut puissanment,
64 En nuli nel tent nel comprent.
Par tut est en mi lia nel tent,
E de lui tut bens nus vent ;
Dunt l'Escripture nus dist
68 Ke parole par seint Esperit
Ke il est plus haut kel cel lamunt
E ke n'est abime plus parfund.
Plus est long ke la mer ne estent
72 E plus est lé ke la terre ne tent,
Ke tut veit et tut put e tut eut
E tut le munde en sa main clôt.
Tut est al mund, tut est dehors,
76 Mes neli comprent ne ii ne cors-
Il est desus trestut puissant,
Il est desuz trestut susienant,
Il est dedenz pur tut sustenir,
80 II est dehors pur tut garnir;
Il n'est pas confus dehors
Ne compain en mundaine cors;
Il n'est grevé pur sustenir
84 Ne equis par sun emplir ;
Il n'est ahaucé pur sun munter
Ne abessé par sun avaler ;
Ja n'ert plus hait ne plus bas,
88 Mes tut dis ert en novel cas.
Sanz labur est governor
E sanz travail est overor.
Tut fet, tut veit, tut adorne
92 E en pès est quant tut aturne ;
Quan ke fu est e serra
Tud ad fet e tut defra ;
Quank'est el mund n'est vers lui
[pussant,
96 Plus ke une gote en un reim
[pendant, (d)
Kei quident dune li faucener.?
K'en ert quant il se vout venger.?
Cum ert l'aime dune [en] anguisse,
100 Quant tute créature le cuse,
Ke tut ren l'en cusera
Ke a péchez einz lui eyda.?
L'escrit dist ke tut le mund tendra
104 0 Deu e combatera,
Cuntre les pécheurs e les faus
Ke Deu guerirerent pur lur
[maus.
46 ewyn djns Gg^ cf. le latin cité ci-dessus. — 55 Gg Outre celi bien de
la; corr. Outre celui cel b. — 62 Cg E lui ne tient ne liu ne terme. — 6^-6
Gg Par tut est tut e liu nel tient. Riens en luy tien et il tut tient. — 76 Gg
M. ne c. ne lui ne. Le menu ms. ajoute : Tut el el (sic) mound tout est
desous. Tut a delez tout a dejous. — 79 Gg t. tenir. — 80 Gg garir. —
Le même ms. ajoute: Par ces costez trestut contyent. E par enviroun tut mey-
tient. — 82 Gg Ne conpris. — 84 G^Ne enquis p. soen haut empir. — 88
Gg en ouel, naturellement. — 89 Gg S. travailer. — 99 Gg E s. grevance. —
97 Cg li sorcener. — 100 Gg le encuse. — 101 Gg le aunira. — 106 Gg Que
ly gerpirent.
202 P. MEYER
La terre ferement l'cncusera E la nut ke sun mal cela,
108 K.e la vitaille li trova, Trestuz mustrent sa vie foie,
E les richesses ensement 120 Kar tute ren ad Deu parole.
K'il despendi folement; Le cheytif pécheur ke fra
La mer e les ewes ensement Quant tut le mund l'encusera ?
112 Les e[n]cuserent ferement, Quant 11 mund li mut bataille
K'il but e sa seif estancha 124 Ke fra dunke une ventaille ?
E des ordures se lava, ' Certes, nent est home pur vérité,
E l'eyr par unt il espira Kar il anentist par sun péché.
116 El fu dunt il se eschaufa
E le solail ke le aluma, Nent est '
DD. 12.23. — LA MANIERE DE LANGAGE.
Parchemin, 87 fF., hauteur o-" 162, largeur o'" 122; commencement
du xv^ siècle. Le ms., incomplet du début, commence par un traité des
conjugaisons françaises qui se retrouve ailleurs, par ex. dans le ms.
GG.6.44 de la même bibliothèque, &. 19-28. Ce traité ne peut fournir
aucune information de quelque valeur sur l'histoire de la conjugaison
française : il peut seulement servir à montrer combien grande était la
corruption du français usuel en Angleterre au xiv*" siècle. Ce n'est plus du
français, c'est du law french. M. Stùrtzinger a indiqué sommairement le
contenu de ce petit traité dans sa récente publication intitulée Orthographia
gallica (Heiibronn, 1884)*, p. vij. Viennent ensuite différents opuscules
concernant presque tous la procédure, pour lesquels je me borne à ren-
voyer au catalogue imprimé et à M. Stùrzinger, p. xiv, et enfin la
manière de langage. Ce manuel de la conversation française, le plus an-
cien sans doute qui existe, est certainement le plus curieux entre les
ouvrages passablement nombreux qui ont été composés en Angleterre
pour faciliter l'^/ppme du français. Il est édité, depuis 1873, dans les
numéros de la Revue critique qui furent publiés pour compléter le second
semestre de l'année 1870, laissé interrompu au moment de la guerre?.
Pour cette édition je me servis uniquement du ms. 3988 du fonds Har-
léien du Musée britannique. Je connaissais dès lors une autre copie du
même ouvrage, celle que renferme le ms. 182 d'Ail Soûls à Oxford,
I n-4 Gg Dont pécheur vuys si s'en leva. E pur plus pécher se acena. —
1 19 Tretuz dirunl la fu foie. — 124 Gg une toile. — 126 Corr. anentist;
Cg Quant avient nient p.
1. C'est la réclame qui termine le cahier.
2. Voy. Romama,Wy ^ 60.
3. Tiré à part sous ce titre La manière de langage qui enseigne à parler et à
écrire le français. Paris, libr. Franck, in-8<». — Voy. Romania^ II, 368.
MANUSCRITS FRANÇAIS DE CAMBRIDGE (DD.I2.y'!3) 26^
(ff. 305 et suiv.), depuis longtemps décrit par Coxe dans son catalogue
des mss. des Collèges d'Oxford, et que j'avais moi-même étudiée dès
1870. Par une singulière inadvertance, tout en citant ce ms. pour d'autres
textes qu'il renferme, j'oubliai de dire qu'il contenait aussi la manière de
langage. Il est du reste postérieur au ms. Harléien, et, appartenant à
la même famille, n'offre guère de variantes utiles.
A ces deux mss. il faut ajouter le ms. DD. 12.23 de l'Université de
Cambiidge, déjà signalé par M. Stùrtzinger, Orîlwgr. gallica , p. xij,
un fragment (le commencement! conservé dans le ms. du Musée Bri-
tannique Add. 177 16, également indiqué Orthogr. gallica (p. xiij), et
enfin une cinquième copie jusqu'à présent non citée, à ma connaissance
du moins, que renferme le ms. 8188 de la bibliothèque Phillipps '. Ces
trois derniers textes me paraissent appartenir à une même famille, nette-
ment distincte de celle où prennent place leHarl. 3 988 et le ms. d'Ail Soûls.
[Fol. 67 V'). Ici a nostre commencement de cesti tretis nous dirrons ainsi-
En non de Fier e Filz e sent Espirit, amen. En non de la glorius Trinité
trois persuns e un soûl Dieu omnipotent creour demound qu'est e a esté e sanz
fin régnera, de qui vient toute grâce, sapience et virtu, faiceons priera a luy
dévotement que luy plese, de sa graunde mercy e grâce, toutz qui cest livre
regarderont ou en rememorunt, ensy abuverer 2 e enluminer de le rosée de sa
haute sapience qu'ils purrontavoire souveraigne grâce e sen naturel d'apprendre
e parlere, bien sonere e parfitement escriere douce francès, qu'est la plus beale e
la plus gracious langage e la plus noble parlere, après latyn de scole, que soit
en monde, et de toutz genz melx preysé e amee que nulle autre; quare Dieux
le fist si douce e amyable princypalement en l'onore e loenge de lui mesmez.
Et pur ce que homme est le plus noble e le plus digne créature que soit en
ciele e que Dieux a ordigné d'estre soveraigne e maister dez toutz autrez crea-
turs e choses que sont desoubz luy, je commencerai a déclarer e pleinement de-
terminere de lui e de lez membres de son corps.
Fin [fol. 87 — cf. édit. p. 403).
Guilliam tesez vous e do 3; mèz primerement nous dirrons de profundis
en l'onour de Dieu et de [nostre] Dame, e pur les anmes des trespassez qui la
mercy de Dieu atendent en paynes de purgatorie, qu'ils purrontle plus tost estre
relevez de lour payns a cause nos priers, e venir a la joye pardurable, laquele
joie Dieux qui maint en haut paradys e nous rachata de son precious sanc, pur
sa grant mercy e piteous 4 ottroit en le fine s'il lui pleest. Amen.
Ici le fine le commune parlance meliour en tout le Ffrance.
1. Ms. renfermantle traité de GautierdeBiblesworth; voy.Romania^XUl, $01.
2. On lirait plutôt abunerer; il y a en interligne to bcfulfillid.
3. Déchirure dans le ms. ; lire ^o[r/ncz]?
4. Corr. pité nous.
26^1
EE. 2.17. — GILLES DE ROME, traduit par HENRI DE
GAUCHI. — VEGECE, traduit par JEAN DE VIGNAI.
Ce manuscrit, relié avec les no^ EE. 2.1 $ et EE. 2. 16, est un frag-
ment, dont les feuillets mesurent 0 ■" 280 sur o "" 210. Il est en papier,
sauf la feuille extérieure et la feuille centrale de chaque cahier, qui sont
en parchemin. Les cahiers sont de six feuilles. Au bas des feuillets $ à
7 de la numérotaîicn actuelle, on lit les cotes g iiij, gv,g vj, ce qui permet
d'évaluer exactement le nombre des feuillets manquant, à supposer que
tous les cahiers aient été de six feuilles, soit 36 feuillets. Au bas du
fol. 2 on lit, en capitales du xvi'= siècle, Strangways, et au bas du fol . 3
«Guillaume Le Neve, York, 1632». Au xv« siècle le même ms. avait fait
partie de la célèbre librairie du duc Humfrey de Gloucester ', car à la
dernière page on lit cet ex-libris autographe : « Cest livre est a moy
« Homfrey ducde Gloucestre,du don mess. Robert Roos, chevalier, mon
« cousine )) Leduc de Gloucester étant mort comme onsait en 1447, le
ms. sur lequel se trouve son autographe ne peut être de la seconde
moitié du xv° siècle comme le suppose le catalogue imprimé. Il est de
la première moitié de ce siècle.
1. — Gilles de Rome, du gouvernement des rois et des princes
traduit par Henri de Gauchi. — On possède d'assez nombreux mss.
de cette version du traité que Gilles de Rome dédia à Philippe le Bel
1. Il ne figure pas dans la liste des livres donnés à l'Universié d'Oxford
'par le duc de Gloucester. Cette liste, qui est publiée dans les Munimmta acade-
mica d'Oxford, pp. 758 et suiv. (Collection du Maître des Rôles), ne renferme
que des livres latins.
2. Telle est la formule que le duc de Gloucester inscrivait habituellement sur
ses livres, ayant soin d'indiquer leur provenance. On a déjà signalé en diverses
bibliothèques un assez bon nombre de mss. portant cet ex libris autographe ;
voy. pour les collections conservées en Angleterre, H. Ellis, LctUrs oj cmincnt
literary mm (Camden Society), pp. 5^7-9; UiCTây.Annals ofthe Bodldan library,
pp. 8-9; Fr. Madden, édition de V Historia minor de Mathieu de Paris, I, xxxix;
enfin, pour la France, \ç Cabinet des mss., I, 52, note 8, où M. Delisle a
signalé pour la première fois six volumes ayant appartenu au duc. Voici une
liste provisoire des livres jusqu'ici reconnus:
Cambridge, Bibl. de l'Univ. EE. 2. 17
— Saint John's H. 5 (?)
Londres, Musée brit., Cott. Nero E. V.
— - Roy. s- F. II.
_ _ _ ,4. c. VII.
— _ - 16. G. VI.
— — Harl. 988.
— — — 1705 (=: Bernard, II, 212, n" 6858).
— — Sloane248.
— — Egerton 617-8.
MANUSCRITS FRANÇAIS DE CAMBRIDGE (EE.2.I7) 265
avant son avènement au trône ' . L'exemplaire de Cambridge n'a plus
que ses deux derniers feuillets: il commence dans lecoursdu chap. xxi,
La rubrique du chapitre xxii est ainsi conçue :
Ce .xxij«. cap. enscgne quant l'en doit fere les nefs et les galiez de mer, et
comment l'en se doibt combatrc en eaue ou en mer, et ensengne ce capitre as quelles
choses toulz Us bataillez doibvcnt tstre ordonnes.
L'ouvrage se termine au recto du feuillet suivant : Cy fine le livre du
« gouvernement desroys et dez princes que frère Gilles de Romme, de
« l'ordre saint Augustin, a fait. »
2. — VÉGÈCE, traduit par Jean de Vignai. — Cette version n'était
pas inconnue : elle se trouve dans le ms. 1229 du fonds français de la
Bibliothèque nationale, mais elle y est anonyme, et nulle part je ne vois
mentionné Jean de Vignai, qui a tant traduit, comme traducteur de
Végèce. Le ms. de Cambridge a donc, pour notre histoire littéraire,
une valeur particulière.
(Fol. }) C'est le livre de Vegece, de Chevalerie, translaté de latin en franchois.
Ci commence le livre de Vegece de chevalerie, translaté de latin en franchois
par maistre Jehan de Vignay, de l'ordre de Haultpas, lequel livre contient
.iiij. livres complès. Le premier livre monstre et ensengne de l'ancien temps, qui
dit ainsi que a nul n'afiert mielx a sçavoir pluseurs choses que aulx princes...
Le prologue du translateur.
Tout aussi comme dit Segons le philosophe...
EE. 3. 52. — Premier volume de la bible française
DU XIII® SIÈCLE.
Ce mi., qui appartient au xiv* siècle, a été fort bien décrit par
M. Samuel Berger dans son livre La Bible française au moyen âge,
Oxford, Bodleienne, auct. F infra i. 1.
— — — F. ii. 2î
— — — F. V. 27.
— Oriel 32.
Paris, Bibl. nat. lat. 780J.
-8537.
— — fr. 2.
— — — 12421.
— - - .2583.
— Sainte Geneviève fr. L 1 .
I. Bibl. nat. fr. 213, 573, 581, 1201, 1202, 1205, etc. ; Troyes 898;
Lambeth n* 266 (fort bel exemplaire avec miniature de présentation, auquel il
manque à la fin un ou deux feuillets); Ashburnhamplace, Barrois 22; Libri
125 (maintenant à la Laurentienne), etc.
266 p. MEYER
pp. 407-8. Si je le fais figurer ici, c'est pour avoir l'occasion d'en citer
quelques lignes, ce que n'a pas fait M. Berger, et ce qui n'est pas su-
perflu, puisqu'il s'agit, comme on va le voir; d'un texte assez rare.
M . Berger suppose avec vraisemblance que ce volume a été exécuté
en Angleterre, « quoiqu'on ne trouve dans le texte », ajoute-t-il, « au-
cune forme anglaise « . Cette dernière assertion n'est peut-être pas tout
à fait exacte. La langue est bien le français de l'Ile-de-France, mais
cependant des formes telles que eiivangelie, pur (pour) , fuiz (= fiuz, fi 1 i u s)
se trouveraient difficilement au xiv*^ siècle sous la plume d'un copiste fran-
çais. Disons que c'est la copie très soignée faite par un Anglais d'un texte
français du continent. L'exactitude n'est cependant pas complète; notre
copiste ne comprenait pas toujours ce qu'il copiait, d'où un assez bon
nombre de fautes de lecture : je citerai notamment à la fin du livre de
Job (voir ci-après) coutiuanz, qui n'a aucun sens, au lieu de tourmanz.
Ce volume fut légué aux chanoinesses de Flixton (Suffolk) en 1442,
comme l'atteste une note contemporaine écrite sur un feuillet de garde
et publiée d'abord dans le catalogue (I, 89) puis par M. Berger (p. 408).
Dans cette note l'ouvrage est décrit comme étant un « Vêtus Testamentum
in duobus voluminibus gallici ydyomatis ». Il est à croire cependant
que ces deux volumes contenaient aussi le Nouveau Testament, car en
1697 l'inventaire des mss. de J. Moore (Bernard, Catalogi, II, ^63,
n" 9235-49) indique deux volumes dont le second est ainsi décrit:
« Eorumdem [Bibliorum] pars posterior usque ad Apocalypsin inclusive. »
Quoi qu'il en soit, le premier volume seul subsiste actuellement, ou du
moins le second, s'il existe encore, n'a pas été identifié.
La version que nous offre le ms. de Cambridge est celle que M. Berger
pense avoir été faite à Paris sous saint Louis. Elle occupait ordinaire-
ment deux volum.es dont le second, commençant au Psautier, a été
introduit à peu près textuellement dans la Bible Historiale de Guyart
Desmoulins'. Du tome I, qui n'a pas eu la même fortune, et qui fut
bientôt remplacé, dans l'usage ordinaire, par d'autres versions, il ne reste
que peu d'exemplaires. M. Berger cite les mss. 6 et 899 du fonds
français à la Bibliothèque nationale, le ms. 5056 de l'Arsenal et un ms.,
brûlé en 1870, de Strasbourg. U faut ajouter à cette liste un magnifique
exemplaire, complet en un volume, qui faisait naguère partie de la Biblio-
thèque Didot^. Le plus ancien de tous ces mss. est le n" 899 qui est mal-
heureusement mutilé, les feuillets qui contenaient des miniatures ayant
été arrachés ou coupés.
1. Voy. pp. 187 et suiv. de l'ouvrage de M. Berger.
2. Vente 1879, n» 5. C'est un ms. du xv« siècle orné de belles peintures
dont deux sont gravées dans Tédition de luxe du catalogue.
MANUSCRITS FRANÇAIS DE CAMBRIDGE (EE.^.ja) 267
Le ms. de Cambridge renferme le Pentateuque, Josué (fol. 162), les
Juges (fol. 196), Ruth (fol. 22 il, les Rois (fol. 224I, les Paralipomènes
(fol. ^07), Esdras(fol. 348), Nehémie(fol. 363I, Tobie ifol. 372), Judith
(fol. 377'«, Esther (fol. 386), Job (fol. 375).
Je transcris le début de la Genèse, des Rois et de Job. On pourra
comparer, pour le premier et le dernier de ces livres, le texte ci-après
avec les passages correspondants rapportés par M, Berger, pp. 121
(Genèse, d'après Arsenal) et 128 (Job, d'après Biblioth. nat. fr. 899).
[Genèse.]
Cist livres est apelez Genesis, pur ce qu'il est de la generacion du ciel et de
la terre ou comencement, ja soit ce qu'il parole après de plusurs autres choses,
aussi corne le euvengelie seint Matheu est apelé livres de la generacion Jhesu
Crist ; et ausi corne Moyses dist en ce livre cornent li premiers home lu criés
de la terre qui iert virge, qui puet engendrer les terriens homs en ceste vie
trespassable, autressi le euvangelie saint Malheu mostre ou comencement,
coment li secons homs, ce est Jhesu Crist, fu nez de la virge Marie qui les
celestiau.\ homes puet engendrer en vie pardurable. ..
[Rois.]
(Fol. 224/)) Uns homs fu de la cité de Ramatha qui est ou mont Effraym,
qui ot non Helchana, li luiz Jeroboram le fuiz Cham, le fuiz Subh de Be-
thleam. Cist homs ot .ij. femes : l'une avoit non Anne et l'autre avoit non
Phenanne. Phenanne avoit enfanz, mes Anne n'en avoit nul. Cist homs si aloit
de la cité aus jours qui estoient establiz pur orer e pur sacrifier a Dampnedeu
en Sylo...
[Job].
(Fol. 595 ^) Uns homs estoit en la terre de Hus quiavoitnon Job, et cilhoms
si estoit simples et droituriers et départant soi de mal. Lors li nasquirent .vij.
tuiz et .iij. filles qui li estoient nez, ce esta dire que il avoit engendrez, et il ot
en possession .vij. milliers et iij. c. des chamieus, .v. c. jous de bues et .v. c.
asnesses et molt grant mesniée...
Fin:
Job vesqui après ses coutiuanz ' .c. et .xl. anz, et vit ses fuiz de ci en la
quarte generacion, et morut viellartet plains des jourz.
Explicit.
EE. 3. 59. — Vie de saint Edouard.
Ce ms., qui vient delà collection Moore [Catalogiàe Bernard, II, 362,
n" 9222.36) n'est mentionné ici que pour mémoire. L'ouvrage qu'il
2. Bibl. nat. fr. 6 : cesl torment ; fr. 899 ct'z lormenz.
268 p. MEYER
renferme, en vers octosyllabiques, a été publié par M. Luard',qui a
joint à son édition un fac-similé du fol. 29 r", grâce auquel on peut se
faire une idée parfaitement exacte de la richesse de ce ms., où la partie
supérieure de chaque feuillet est occupée par une fort belle miniature
qui souvent est divisée en deux compartiments. Des rubriques en vers,
tout à fait distinctes du texte, accompagnent ces peintures. C'est exacte-
ment la disposition que présentent les feuillets conservés de la vie en
vers octosyllabiques de saint Thomas Becket qui s'imprime actuellement
pour la Société des anciens textes français.
EÉ. 4, 2(i. — Le roman d'Yder.
C'est également pour mémoire que ce ms. est ici mentionné. Il con-
tient un roman de la Table ronde, malheureusement incomplet du com-
mencement, mais néanmoins d'une grande valeur, car c'est une œuvre
française, se rattachant à l'école de Chrestien de Troyes, et dont on ne
possède pas d'autre copie. Le ms. a été exécuté en Angleterre, à
la fm du xiiie siècle. C'est dire qu'il est assez fautif. L'œuvre et le
ms. sont restés ignorés de tous ceux qui ont écrit sur notre histoire lit-
téraire ou qui ont visité les bibliothèques anglaises, jusqu'au moment où
il y a une dizaine d'années, j'en fis exécuter une copie qui sera prochai-
nement publiée par la Société des anciens textes français.
EE. 6. II. — Vie de sainte Marguerite. — Purgatoire de
SAINT Patrice. — MARIE DE FRANCE, Fables.
Ce ms. se compose de deux morceaux distincts reliés ensemble.
1° Cahiers 1 et 2 (feuillets i à 1 5). Vie de sainte Marguerite et Pur-
gatoire. — Le premier cahier (fF. i à 8) est complet en huit feuillets, le
second n'en a que sept, le huitième, qui était probablement blanc, ayant
été coupé. L'écriture paraît être de la seconde moitié du xiii*^ siècle ; les
dimensions du parchemin sont 176 "'" sur 120""".
2° Cahiers 3 à 5 (22 feuillets). Fables de Marie de France; l'écriture
est plus ancienne que celle des deux cahiers précédents ; je l'attribuerais
à la première moitié du xiii« siècle. Hauteur des feuillets 176 '"'",
largeur 1 32 '"™.
1. Lïvti oj Edward the Confessor 1858 (Collection du Maître des Rôles).
MANUSCRITS FRANÇAIS DE CAMBRIDGE (EE.6.1I) 269
Le ms. EE. 6. ii . est depuis une époque fort ancienne dans la
Bibliothèque de l'Université, et depuis qu'il y est entré il paraît avoir
perdu un assez grand nombre de feuillets. En effet, il est ainsi décrit
dans VEcloga de James (1600), p. 64, n° 181 '
1. Gallica metra, de Ecclesiaet aliis rébus.
2. iEsopi fabulx nietris gallicis.
3. Sermo cujusdam de dandis eleemosynis et contemptu niundi.
4. Cato cum commentario, sermone anglico vel danico potius (ut observât
quidam nescio quis).
5. Vita S. Gregorii metris gallicanis scripta.
Il ne semble pas qu'il y ait un rapport bien intime entre cette descrip-
tion et le ms. actuellement coté EE. 6. 1 1 ; c'est cependant à ce ms.
qu'elle se réfère indubitablement, caria notice du catalogue imprimé par
James se lit encore, avec d'insignifiantes variantes, sur le plat intérieur
du volume. Les art. 4 et 5 ont été barrés comme étant en déficit: il
il eût fallu barrer aussi l'article 3 qui ne peut se rapporter à aucun des
trois ouvrages que contient le ms. dans son état présent. L'article 2 est
le recueil de Marie de France, l'article 1 paraît répondre à la fois à la
vie de sainte Marguerite et au Purgatoire.
Le texte des fables ayant été collationné par M. Ed. Mail pour l'édi-
tion qu'il prépare de cet ouvrage, je ne m'en occuperai pas. Quant au
Purgatoire de saint Patrice, c'est une version qui ne paraît pas se ren-
contrer ailleurs et qui était restée inconnue jusqu'au moment où la
Romania (Vl, 1 54I en a donné le commencement et la fin. Je n'en dirai
pas plus sur ce sujet pour le présent, et je me bornerai à transcrire les
premiers et les derniers vers de la vie de sainte Marguerite, dont je ne
connais pas d'autre exemplaire, et qui est un poème important. Elle se
compose de 69 couplets ayant chacun de quatre à neuf vers.
I Puis ke Deus nostre sire de mort resucita, (. 1)
[E\ veant ses angeles a son père monta^
Granz companies de seinz et de sentes y lessat,
E puis pur luy morrurent e yl les corrunat,
Del son celestre règne large pars iur dunat.
II A icel tens diable aveient granz poetez ;
Pur seinte Yglise prendre esteient si pensenz {sic),
Quant il trove[i]nt nul honi qui seyt cristienez
Si esteit [il] pendu ou ars ou lapideez,
Notice reproduite dans les Catalogi de Bernard, I, 2c partie, 170.
Ou destret de chivaus ou haut el vent croulez ;
Mes cil ke n'en chaleit tant en ert honurez
Que en permanable glore [ore] en est corunez.
III Seinurs, des toz les autres vus lerrai a conter,
Fors de une suie virge [dunt] me covent parler :
[Le] son seinur celestre tant pout toz jurs amer,
Onkes pur nul turment que l'em le sout duner
Ne pur nule promesse ne wout de luy torner.
Trayez [vus] ça vers moy; pri vus de l'escoter,
Car vers son chier senniur vus pout ben aïder.
IV Geste pucele fu mult de haut parentee :
Si père fu païens de grant nobilitee ;
Theodorus outnun, onkes ne cremout Dé;
Tuz ceus qui creeint en Deu out il en vilté,
Nule rien ne h[a]ait envers cristienté.
Fin (fol. 8) :
LXVII Tut cil qui sunt pris de divers enfermetez,
Mult sunt awogles, desirus de sauntez,
De lui quant parler oient ilec sunt alez;
Dec'il tochent le cor sempres sunt [tut] mundez,
Ne sentent puis nul mal ne nul enfermentez (sic).
LXVIII Es kalendes de aùst del siècle treepassat.
Quant l'un en cest siccle de lui memorie frat.
Deu I cum gloriusement sum martire final!
Dreiz est que od Deu seit, car ben de servir' l'ad ;
Si est ele sanz dotance, jammès ne partirai.
LXIX Ele deprie Deu qui est sanz mentir
Ke il nus gard de tuz maus e nus doint deservir,
Quant les âmes de nus deivent del cors partir,
Quant 2 a sa companie puissuns parvenir
Qui vivit et régnât Dcus per omnia sccula seculorum. Amen.
EE. 6. i6. — Livre d'heures.
On trouvera dans le catalogue des mss. de l'Université une descrip-
tion suffisante de ce livre d'heures, du xiv'' siècle, qui doit avoir été
I Sic, corr. deservi. — 2 Corr. Que.
MANUSCRITS FRANÇAIS DE CAMBRIDGE (EE.6.l6) 27 1
exécuté pour un des établissements religieux d'Angleterre qui étaient
dans la dépendance de l'abbaye de Fontevraud,
Les ff. 8 et 9 contiennent un hymne à sainte Anne en latin ■ et en
français :
Anna sancta Jhesu Christi Ave duz comencerr.ent,
Matris mater pertulisti... Seinte Anne gloriouse
De la joie saunz finement...
Au fol. 16 est copiée une prière à saint François. Je la trancris tout
entière. Quand on fera l'histoire du culte de saint François dans notre
pays, il y aura lieu de tenir compte des nombreuses poésies françaises
qui ont été composées en l'nonneur de celui qui fut pour le xiii'- siècle
et le xiv le saint par excellence ^. La prière du ms. de Cambridge est
en quatrains alexandrins, forme fréquemment employée pour ce genre
de poésie ; voir par ex. les prières en quatrains que renferme le ms. 570
de l'Arsenal.
Douz sire seint Franceis que Jhesu tant amastes,
E desa seinte passiun noit et jour pensastes,
Delà peine des plaies tant sovent remembrastes,
Ke en vostre seintisme corps l'enpreinte portastes;
L'amour Jhesu Crist tant vous eschaufa
Et vostre cuer de pité gracious eslu[m]ina
Ke en meinse pies e costé dehors se moustra,
Et lui amant en semblance de ami conforma,
Mult fu la bunté grande de si grant seignour
Que a un povres home moustra si grant amour,
Epar especial privilège li fist si grant honour
K.e de la seinte passion li fist son baneour.
Douz sire seint Franceis ki Deu ad si chier,
En la court celestiene estes de grant poer,
Et a vos amis especiaus poés mult aider,
Car vous portez le grant sel : si estez chanceler.
Por celé grâce especiale que Jhesu fist a tei
Ke entre les autres seintz, outre comune lei,
1 . Une leçon un peu différente est publiée dans Mone, Lateinische Hymnen,
III, .96.
2. Je citerai la curieuse chanson en laisses assonantes que j'ai publiée dans
le Bulletin de la Sociêtc des anciens textes, 1884, p. 77, et une chanson de saint
François à refrain dans le ms. 43 de la Faculté de Médecine de Montpellier.
272
En signe de sa passion te conforma a sei
Priez le douz Jhesu que il eit merci de mei. Amen.
A la fin du livre se trouve une version du Veni creator qui se rencontre
ailleurs encore; par ex. dans le ms. Digby 86 (notice de M. Stengel,
p. lo) :
Saint Esperiz, a nus venez
E nos penseiez visiter...
EE. 6. 30. — Fragment d'un miracle en vers de la Vierge.
Ce fragment sert, ou a servi, de feuillet de garde au ms. à la fin du-
quel il est relié. C'est un feuillet de parchemin à quatre colonnes, fort
rogné du haut, et engagé dans la reliure de façon que le commencement
des vers pour la colonne a, et la fin pour la colonne d, ne sont plus vi-
sibles. Je n'en ai pas transcrit tout ce qu'on en peut lire, mais les extraits
que je vais en donner suffisent pleinement à montrer qu'il contient une
rédaction jusqu'ici inconnue de l'histoire du clerc qui souffrait d'un
cancer à la bouche et que la Vierge Marie guérit de son lait. Je présen-
terai sur ce sujet diverses observations à propos d'une rédaction
différente du même miracle que nous trouverons plus loin dans le ms.
Gg. 1. I, article 26. Pour le présent je me borne à remarquer
que le morceau qui suit est certainement l'œuvre d'un auteur né en
Angleterre. Les rimes grevus-plus (3-41, en}'[e]é-mené (6-7), honurer-poer
($9-60), ne laissent pas de doute à cet égard. Notons aussi quatre
rimes consécutives (11-4), ce qui est surtout fréquent en Angleterre.
Proceine est la sue aïe (b) En un chanp de grand beauté.
A chescun ke en lui se afie, Tut li chaunp fluriz estoit,
E u li maus est plus grevus, 16 Ela duçur ki venoit
4 Ilokes piert sa aïe plus ; E duce herbes e des flurs
Ço piert el clerc, kar visité Surmunteint tûtes savurs.
Le ad mut tost par sa pité: Un herber lui ad mustré
Un aungle lui ad env[e]é 20 Sun guiur de graunt beauté
8 Ke ad le esperit de! cors menée, Qe sur les autres tuz lui plut:
U le cors od tut le espirit, Vint e treis herbes i out ;
Ne sai de fi ; mes, si co[m] quid, Les vint etdeuserent assises
En plusurs lus l'ad amené 24 Envirun le herber par divises,
12 E meinte ren li ad mustré; E la vintime tierz estoit
Mes al derein se sun[t] entré Enmi le herber, e celé avoit
17 Corr. Des d.
MANUSCRITS FRANÇAIS DE CAMBRIDGE (EE.6.30J
273
Set mut très bêles flurs,
28 Tûtes de diverse colurs,
Ke plus oleient ducement
Ke espèce u unnement.
Les autres vint e deus maneres
3 2 Des ces autres herbes chères
ic)
« Ke il vus plaise a mustrer moi
« Quel lui ço est ke ici voi ;
« De ces herbes e de ces flurs
36 « Ki sunttaunt cluers {sic) colurs
« E taunt fleirent ducement,
a S'il vus plest, apernez m'ent.
1 Jo sui, certes, mut desirus
40 • De cest lui taunt glorius;
« Volentiers si jo poeie
" A tut tens i remeinderoie.
Dune respunt senz nul respit
44 Ducement li aungle e dist :
« Cist beau chaunp taunt aùrné
« Parais est apelé.
« Tu vendras en haste ici,
48 1 Kar cest beau lui as deservi
« Purçoqueas vesqui seintement
« E as gardé nettement
(c Tun cors tut tens de lecherie,
52 <i E la mère Deu Marie
« As servi devoutement,
1 E l'as amé parfiiement.
« Des herbes que tu veis ici
56 fl Entur cest herber e en mi,
« E des flurs tut tei dirai,
a Ja mot ne tei cèlerai.
<i Quant tu soleies honurer
60 « Nostre Dame a tun poer,
i Tu solei[eJs chescun jor
« Deus saumes dire en sun
[honur :
« Li uns est de In nominc^
64 « Fai me saut par ta pité
{d)
Pur ço sunt ci...
Les herbes que sunt ici plaunt...
Dunt vint e deus en ad d...
68 E tûtes freches e nuveles
Chescun chapille en port...
Chescun herbe ou flurs d...
Vint flurs vit vers sig...
FF. 1 . î5. — Le Secret des Secrets. — La lettre d'Hippocrate
A César.— JACQUES LEGRAND, le livre des bonnes mœurs.
— JACQUES DE CESSOLES, le livre des échecs, traduit par
JEAN DE VIGNAL
Livre en parchemin, mesurant o™ 240 sur 0 ™ 170, daté à la fin de
Bourges 1420. Provient du don de 171 5 : c'est le n^ 1 54 de l'inventaire
des mss. de l'évêque Moore, dans les Catalogi de Bernard (II, 365).
Antérieurement à son entrée dans la bibliothèque de Moore, je ne sais
rien sur l'histoire de ce ms.
1. — Le Secret des Secrets: version très répandue sur laquelle
voyez le présent volume de la Romania, p. 189.
33 C'est le clerc qui parle. — 34, 40, 48 lui tt non liu ; c'.sl une forme fré-
quente dans les textes anglo-normands. — 36 cluers, corr. de cleres. — 63 f^-. lui.
Remania, XV.
274 P- MEYER
(P. i) C'est le livre du gouvernement des roys et des princes appelle le Secret des
secrès, lequel fist Aristote au roy Alixandre.
Suit la table, après laquelle l'ouvrage commence ainsi :
Le prologue du docteur en recommandent Aristote .j.
Dieu tout puisant vueille garder nostre roy...
2. — Du gouvernement de santé, livre envoyé par Hippocrate a
César. — Apocryphe qui a été très répandu au moyen âge, et dont on
a plusieurs versions françaises qu'il ne peut être question d'étudier ici.
Je signalerai une première version qui se trouve dans les mss. Bibl. nat.
lat. 14689 (incomplet!, fr. 573, Libri (Florence) 125', et d'autres
dans les mss. fr. 2001, 2045, 2047, Digby 86 (fol. 8-21), etc. Je n'ai
pas rencontré de texte tout à fait identique à celui de Cambridge.
Ci commaince le livre du gouvernement de santé que Ypocras fist, eti'envoya a
l'emperiere Sesar pour la santé garder et pour avoir vie plus longues. Il fist
demander a Galien le bon mire pour quoy il mangoit si petit, lequel lui res-
pondit: « Mon entencion est de vivre longuement, et pour ce je ma[n]gùe ainsi
petit, ne je ne mangue pas pour les delicesdes viandes, mais pour le corps sous-
tenir en vie... »
Cet opuscule est suivi de quelques morceaux qui ne sont pas nettement
séparés les uns des autres.
1° Une sorte de calendrier hygiénique:
Avicenedit que ou mois de janvier, a garder parfaittement santés on doit au
matin, a jeung, boire de très bon vin, auxi comme un petit voirre ; ne nulz ou
mois de janvier ne se devroit (on) faire seigner...
Les préceptes relatifs à décembre se terminent par cette remarque,
qui du reste pouvait s'être déjà présentée à l'esprit du lecteur :
Item, vous devés savoir que ce livre n'est pas fait pour gens qui travaillent
et traient peine, comme ces laboureux, mais est fait pour ceulz qui vivent sens
labour et sans prendre travail.
Suivent deux pages contenant des préceptes relatifs au diagnostic
à tirer de l'inspection des urines et quelques recettes dont les dernières
sont en latin.
3. — Jacques Legrand, Le livre de bonnes mœurs. — Cet ouvrage
1. Ce ms. est l'original d'après lequel a été copié le ms.fr. 573.
MANUSCRITS FRANÇAIS DE CAMBRIDGE (FF.I.Jj) 275
fut présenté en 1410 a Jean duc de Berry '. Les mss. en sont très nom-
breux; voy Bibl. nat. fr. 4$ ^, 953, 954, 102^, 1024, 102$, 1050,
1144, 1145, 1798, etc., et il a été imprimé plusieurs fois; voy. Brunet,
Manuel du libraire, sous Magnus.
(P. 71) Cy commence la table des rebriches du livre des bonnes meurs inlilulé,
lequel est composé de cinq parties.
L'ouvrage commence ainsi, après la table :
Tous orguilleux veulent a Dieu comparer en tant qu'ilz se glorifient en eulz
mesmes et es biens qu'ilz ont, desquelles choses la gloire est deue principalement
a Dieu.
4. — Jacques de Cessoles, Le livre des échecs, traduit par Jean de
Vignai. Traduction faite pour le roi Jean, encore duc de Normandie,
voy. P. Paris, Manuscrits français, V, 16.
(P. 209) C'est k livre des eschez translaté par frère Jehan de Vignay.
A très noble et très excellent prince Jehan de France, duc de Normandie et
ainsné fils de Phelipe par la grâce de Dieu roy de France, Irere Jehan de
Vignay...
L'explicit est ainsi conçu :
Cy fine le livre des eschez translaté par trere Jehan de Vignay hospitalier.
Et fut copié et escrit a Bourges en Berry ou moys de mai l'an de grâce mil
quatre cens et ving.
Repanteur.
Ce dernier mot, qui est vraisemblablement le nom du copiste, est
d'une lecture très incertaine.
FF. 3. 31. — Le Roman de Ponthus.
Le roman de Ponthus et de la belle Sidoine est, comme on sait, une
imitation en prose de la chanson de geste anglo-normande de Horn et
Rimel. La trame du récit est celle de l'ancien poème; les noms des per-
sonnages et des lieux sont changés^. Il faut rappeler ici, parce que ceux
qui s'en sont occupés dans ces dernières années paraissent l'avoir ignoré,
1. Delisle, Cr.binct des mss. I, 60 et III, 182 (n" 134), 31 1-2. — Il y a sur
ce personnage une assez bonne notice dans le Catalogue des mss. de M. de
Cam bis (Awgnon, 1770), p. 446.
2. Voy. H. L. D. Ward, Catalogue oj Romances, p. 469.
276 p. MEYER
que, selon une remarque intéressante de M. de Montaiglon, les noms
substitués dans Ponîhus à ceux de Horn sont empruntés à la Bretagne
et à l'Anjou, que le nom même de Ponthus est celui d'un membre de la
famille de La Tour Landry, qui vivait dans la première moitié du
xv^ siècle, et pour qui, selon toute apparence, fut rédigé le roman ' .
Ce faible ouvrage a été très lu. Il en existe des copies dans presque
toutes les grandes collections de manuscrits, et la Bibliothèque même
de l'Université de Cambridge en possède un second exemplaire sous la
cote HH. 3 , 162. Enfin l'ouvrage a été plusieurs fois imprimé de 1478
environ à 1550J. Aussi n'aurais-je pas mentionné ici le ms. FF. ^ 31,
s'il ne se recommandait par deux particularités intéressantes. D'abord
il est précédé d'un prologue en vers à rimes plates, et très plats eux-
mêmes, qui donnent un résumé somm.aire du roman. C'est l'œuvre d'un
Anglais qui savait assez bien le français. En outre, le ms., qui a été
exécuté en Angleterre, quoique la langue en soit assez correcte, est orné,
au commencement de chacun de ses chapitres, de grandes lettres ini-
tiales noires dont les formes variées rappellent celles qu'on trouve dans
les anciens mss. exécutés à Lindisfarne. Chacune de ces lettres contient
une devise, ou une sentence se rapportant au sujet traité dans le cha-
pitre. Ainsi dans l'initiale du premier chapitre on lit ces deux vers :
Vroy amoureux, que que nul die,
Doit estre loial a s'amie.
Le ms. est sur papier. Il fait partie de la collection Moore, bien que
je ne le retrouve pas sur l'inventaire publié par Bernard .
Si d'aucuns veulent ycy lire Ni a nul'autre créature,
En cest livre pour eulx déduire, Ne souffrir sur lui nulle ordure.
Hz pourront bien veoir et entendre Secretteté et beau langaige
4 Que fin amant n'a sur lui membre 12 Doit avoir en lui et couraige.
Qui ne soit livré a martire Ponthus le vaillant chevalier,
. Quant son cuer n'a se qu'il désire. Dont après ci orrez parler,
Vroy amoreux si ne doit estre Fut moult secret, vaillant et saige
8 Orgueilleux n'a clerc ny a prestre lé Et amoureux, haulten couraige;
1. Le livre du Chevalier de La Tour Landry, publié par A. de Montaiglon,
p. xxiij.
2. C'est un volume en parchemin, orné au premier feuillet d'une assez jolie
miniature. Dans la vignette qui encadre ce feuillet on lit ces lettres plusieurs
fois répétées ;ê;, dont le sens m'échappe. La rubrique initiale est ainsi conçue:
Ci commence le livre de Pontus filz du roy Tlnbor de Galice, et comment en armes
et amours il souffrit moult de pestilences, de mauls et de douleurs. C'est le ms. 45 1
de l'inventaire des mss. de Moore (Bernard, II, 373).
3. Dates approximatives; voy. Brunet, sous Ponthus.
MANUSCRITS FRANÇAIS DE CAMBRIDGE (FF.J.^l]
277
Aussi ledevoitil bien estre,
Car sailli estoit de grant estre:
Filz au roy de Galice estoit ;
20 Mais Fortune qui tout deçoipt
Et qui est a chascun maistresse,
A bien et a mal tout reversse,
Le fist partir et absenter
24 De son païs et toust en aler.
Tant fut conduit et droit ala
Que en basse Bretaigne ariva,
Ou roy estoit pour lors nommé
28 Duquel fut grandement amé.
Celluy roy une fille avoit,
La plus belle que homs veoir pou-
Sydoine estoit appellée, [ait;
32 La plus belle et d'onneur clamée
Que on peust sur terre trouver
Ne de nul vivant oïr parler.
Saige, honnourable et sans'despit
36 Estoit, com le livre le dit.
Elle fut trestant amoureuse
En tout honneur et curieuse
Du dit Ponthus, bon chevalier,
40 Que elle ne savoit quel part tour-
Etsi de lui envie avoit, [ner ;
Plus grant luy d'elle il avoit.
Leurs amours si lurent selées,
44 A nulz ne furent escandées,
Combien que le dit amoureux
Fust jour et nuit moult curieux
De accomplir tout le désir
48 De sa dame et tout le plaisir.
En fait d'armes et autrement
Abandonnoit son scentement,
Et trestoute sa vaillantie
f 2 A accomplir le gré s'amie.
Dont en la fin furent joyeux
L'un de l'autre et vraiz amoureux.
A ytant je me vueil cesser
56 De ceste rime convoier,
Car tout en prouse on trouvera
Cy après qui bien vous dira
De Sydoine et de Ponthus,
60 Pour ce ycy ne vous en dy plus.
Sy commence le livre du vaillant chevalier Ponthus, lequel devise de plusieurs
heaulx faiz que icellui fist a sa vie, et par especial ou temps de sa jeunesse.
Et premièrement, compter vous en vueil une moult belle histoire ou l'en
pourra aprendre moult de bien et de exemplaire...
FF. 6. 13. — Traités de fauconnerie.
Parchemin, 81 fF. ; hauteur : igç""'", largeur : 128"™ ; fm du
XIII* siècle. Ancienne marque de provenance : dono Roberti Hare, 1594.
— Ce ms. renferme divers opuscules latins dont je n'ai pas à m'occuper
et qui sont correctement indiqués dans le catalogue. J'ai seulement à
faire connaître trois traités de fauconnerie, l'un latin, les deux autres
français, qui occupent les derniers feuillets du volume . La description
donnée dans le catalogue est ici fautive, confondant les deux traités fran-
çais en un seul.
Peu versé dans la littérature de la chasse, je ne saurais dire si l'un ou
l'autre de ces opuscules a déjà été signalé, ni s'il en existe d'autres copies.
Les bibliographies d'ouvrages sur la chasse ne manquent pas, mais il ne
faut point y chercher de renseignements sur les textes inédits, et même
pour les traités du moyen âge qui sont publiés, elles sont en général
278 p. MEYER
peu exactes, et n'indiquent point les rapports que ces traités peuvent
avoir entre eux.
On sait que plusieurs des anciens livres français de fauconnerie dé-
rivent des traités bien connus de Frédéric II et d'Albert le Grand. Il ne
me paraît pas que tel soit le cas des opuscules contenus dans le ms. de
Cambridge. D'autres écrits français sur le même sujet, soit en vers, soit
en prose, se rattachent à des traités, probablement latins, composés en
Angleterre. Daude de Prades se réfère dans ses Auzels cassadors ledit.
Sachs, v. 1905) à
un libre de! rei Enric
d'Anglaterra, lo pros el rie,
sur lequel M . Sachs, qui cite en sa préface maint ouvrage sans rapport
possible avec les Auzels cassadors, ne donne aucun renseignement.
D'autre part, un court poëme anglo-normand sur la fauconnerie que
renferme le ms. Harleien 978 (xiv^ siècle) cite « le livre al bon rei
Ewdard », qui ne paraît pas identique au Booke of hawkyng after prince
Edwarde, Kyng of Englande, publié dans les Reliquia antiqu£ de Wright
et Halliwell, I, 293-308. Il est notable du reste, que l'auteur de ce
poème, bien qu'écrivant, selon toute apparence, sous Edouard I, ou
sous Edouard II, parle du roi Edouard comme d'un personnage du
temps passé. La question est d'autant plus compliquée qu'on a attribué
à Alfred le Grand aussi un traité de fauconnerie. Voilà donc trois rois
d'Angleterre qui auraient écrit ou fait écrire sur cette matière. Comme
le poème du ms. Harleien offre quelques rapports avec le traité latin
du ms. FF. 6. 1 3, j'en citerai ici le début :
Bel oncle cher, jo le sai pur veir 1 12 Dites le moi, vostre merci.
[(fol. 1 16 r) — Mult volenters )ol vus dirrai,
Ke en bon oisel ad riche avoir ; Ke en escrit trové en ai
Mes mult i covient mettre grant Si cum jo lis e jo l'esgard,
4 E bien conuistre lur nature, [cure 16 El livere al bon rei Edward;
Kar nulne[s]puet, si il neseit mestre, Kar jadis esteient Engleis
Bien afFeiter, porter ne pestre. Mult enseignez e mult curteis,
Pur ceo vodroie jo volenters E savoient affeitement
8 Aprendre de ces ostrizers, 20 Plus ke ne savoient nule gent,
De ceus la manere e les murs E nomeement des oiseaus
Ke deivent garder les osturs; Ki ourent sovent de bons e beaus.
E si ren en avez oï, Ore vus dirrai volenters
_i . Ce poème est écrit à lignes pleines, comme de la prose. Ce n'est peut-être
qu'un morceau détaché, à en juger par ce début.
MANUSCRITS FRANÇAIS DE CAMBRIDGE (FF.6.13) 279
24 Queus deivent estre ostrizers : Iço vus pus jo ben retrere,
Sobres e chastes, sueve gent, Délivre scient de autre affere,
Deivent estre, cum |0 l'entent, — Ore me mustres dune purquei?
E si eient mult duce aleine; 52 — Dirrai le vus en la mei fei,
28 Délivre seient de autre peine. Jo vus en frai ben la provance
Il y a entre ces derniers vers et le texte latin qu'on va lire un rapport
évident. Les conditions requises pour un bon fauconnier sont les mêmes
de part et d'autre, et il faut que le français soit imité du latin ou que
tous deux aient une source commune ' .
1.— (Fol. 69 i'>)înciplt liber di passionibus falconum^ accipitrum^ austurorum,
spcrvûriorum, et tjualiter eos curare poteris, et qualiter eos nutrire et mudare debeas 2.
Oportet eos qui falcones, accipitres, austuros vel spervarios nutriunt sobrios
esse, ne per ebrietatem aut crapulam sue cure obliviscantur ; castos ne tactu
meretricum penne scabie vel tineis corrumpantur ; non iracundos, ne irati illos
ledant; non fétide anelitu, ne illorum odio ceteros homines fugiant, et illo fetenti
odore reumatizati fiant; providos, ne ferre 5 illos tempore pluviôse vel ventoso,
et ne in firma quam mudam vocant, vel diutius morentur, vel citius justo extra-
hantur, et ne vincula que jacti vocantur ex dure et inflexibili corio fiant, ne
macri vel pingues fiant plus justo, unde amittant voluntatem volandi. Septimo
autem die ab ortu eos denido capies, quo die jam sensus eorum sunt perfecti et
membra eorum in malléole paciuntur plicari...
2. — Médecine des faucons^, autours et éperviers. Ce traité, dont je
ne connais pas d'autre exemplaire, offre quelques points de contact
avec le précédent.
(Fol. 73) Médianes verraies de garir falcons e osturs e esperviers, e la manière
cornent les conustrez e cornent les afeilerez.
Si vostre oisel a le dos rus e il eit grosse maille e il seit mult petit, dune est
il de jeofne eir, e s'il est gros e il eit le des bien gris ou fauf, donc est il de viel
eir. Si vostre oisel ad les piez blancs e les oilz, donc est il nyès. Ostur ramage
les soit aver plus blancs ke espervir {sic), mes oysel ramage les soit aver meins
blancs; girfalc les soit aver bien jaunes, e tel i ad vermeils. Si vostre oysel ad
la maille russet, dune est il esclos en pumer ou en aine ou en espine. Si il ad
la maille blanche, dune est il esclos en bul ou en trembler ou en codre. S'il est
1. Les mêmes prescriptions se retrouvent ailleurs encore; ainsi dans un
traité sur les» oiseaux gentils » et leurs maladies dont on a plusieurs copies :
« cil qui garde l'oisel gentil doit estre sobre, qu'il ne s'enyvre point, car yvresse
« est mère d'oubliance... après il doibt estre débonnaire et souffrant, car ire
« engendre blessure... » (Bibl. nat. fr. 24272, fol. 135).
2. A lignes pleines; à partir du fol. 71 à deux colonnes.
3. Corr. ferant ou suppl. présumant.?
28o p. MEYER
canevaz, c'est ne bien russet ne bien blanc, donc est il esclos sur cheinne.
Sachiez ke oisel nyès ne seit nient si bien prendre l'un oisel cum seit le ramage,
mes le niés soit estre plus hardi, e ceo avient de ceo ke l'en les get de surse.
Si vus volez en deus meins vostre oysel muer, pernez un serpent ou une
coluvere ou ambedeus, si quisez les en pot plein de furment, e ovek un poc de
awe corne anguille. Kant il erent bien quit e le furment ert enbeveré del venim,
donc prendrez deus gelines, si les pestrez de cel forment, e si ne mangerunt de
nule altre chose. Pur ceo les lessez en une cornière par elz meimes : quant eles
averunt la meitié mangée, donc eiez aparillée une chaude mue ; si getez vostre
oysel dedenz. Donc tuez une geline des deus, si pessez vostre oysel; l'autre
geline pessez del remanant del furment, tant ke vostre geline seit mangée. Après
ceo tuez vostre altre geline, si en pessez vostre oisel ; puis si le pessez de bûche'
e de menus oiseals e de maulle chat. Idunc muera, ke devant quinze jurs près
sera tut nu. E si vus ne poez trover serpent necolevere, pessez lesoventde luz:
c'est pesson de ewe duce ' .
Fin (fol. jSb):
Plumée a espervier ou a muschet ou a esmerillon ou a hobel de la teste del
oisel devez fere, ou de la pel de suriz : si la aturnez en meimes la manière; mes
n'i avéra ke une pelote.
Je ne sais si le traité est fini: le reste de la colonne est blanc.
3. — Traité sur l'art de dresser les oiseaux chasseurs, avec un pro-
logue et un épilogue en vers qui, dans le ms. sont écrits à lignes pleines,
comme de la prose.
Dreit e reison e volenté (/. 78 c) 8 Cum l'en le devera afeitier,
Ferme de mon einz degré 2 Dès que il seit bien entré
Me ad le cueor suspris E de oisel prendre bien aleuré,
4 A dire ceo ke jeo ai apris E puis del niés vus dirrai
De oisels daunter la nature 12 E del rebuté ceo ke jeo en sai,
E fere entendanz a nureture. Si ke chescun, solum sun dreit.
De falcon ramage dirrai premier De dreite aprise prenge espleit.
1. Cf. le passage ci-après du traité latin précédemment indiqué: (Fol. 69 v°)
« Ad mutandum volucrem. Si avis in muda posituspennas non deposuerit, accipe
« colubrem varium vel serpentem, vel utrumque, et cum frumento in aqua
« cocto decoque ; quo bene cocto et jure projecto, tritico illo ac jure pullos gal-
« line vel columbarum assidue refice. Quorum carnibus si avis usus fuerit, et
" pennas suificienter deponet, et si quis morbus interius fuerit, omnino discedet ».
Cette manière de muer les oiseaux est indiquée ailleurs encore, voir par ex. The
Booke 0} hawk)ng ajtcr prince Edward kyng of Englande^ dans Wright et Halli-
well, ReUquut anùquiV^ I, 307, et Daude dePrades, v. ^ô^etsuiv.
2. a De mon propre gré », plus loin ein degré; voir pour d'autres ex.,
tous anglp-normands. Godefroy, sous ayrtdegré et eindtgré. C'est une locution
hybride dont le premier terme est l'anc. angl. dzen, dwen, angl. mod. own.
MANUSCRITS FRANÇAIS DE CAMBRIDGE (FF.6.I3) 28 1
Après vus dirrai, si Deus l'otrie. Dunt vus dirrai de alleggaunce
16 Des griefs e de iur maladie E de médecine pure
Kesoventescheientparmescheance, 20 De tuz curer solum nature.
Primes covendra debonerement le falcon manier e ciller', e puis mettre les
gez e recoper li les ungles e le bek un petit, ke il en serra le meillur a manier,
e puis mettre li le chaperon pur user ke il le veolle, e puis le devez debonere-
ment manière daunter dedenz meison, desque il seit asigé saunz départir del
poin, e ke perche ne conuisse desque il seit luré. Petit e petit li donez a
a manger jeske a mie gorge al plus, issi ke quant il eyme mielz a manger li
tolez, kar comencera d'enamer sun mestre. . .
Fin (fol. 81 al:
Pur oster la pelote de la mule, abatez le oisel e le turnez envers e le lavez de
ewe chaude endreit la mule. Puis fendez la pel, ke vus pussez buter vos deus
deis e la mule autresi, e vus troverez quatre pels ; e sakez hors ceo ke vus tro-
verezen la mule, pnis lavez la mule (b) un poi de ewe chaude. Puis récusez
la mule e chescune pel par sei de un fil de seie délié.
Sauve la sentence e la fei Ke cest enprenge par folie,
De celi ke plus en seit de mei, Dunt jeo me avante de saver.
Dit vous ai mon avis 16 Pur loaunge ou pris aver,
4 Si cum le conuis e ai apris. Ou ke de mei face clamer mestrie,
Par orguil e sorquiderie,
Al finement de mon dite De greinnur sen ke il n'i ad :
Ke fet ai de mon ein degré, 20 Ki cest prêche, si peccherad.
Saluz a tuz mes amis Mes, si plus averoiede bien retenu
8 Pur ki m'en sui entremis Ke autre de mei k'en eust meins
De cest treitiz en escrit fermer, [veu,
Les uns pur aprendre, les autres De franc queor dirroie mon avis
[pur remembrer; 24 Cum de mon mestre l'averoie apris,
Kar cels ke en seivent si remem- Kar la seinte Escripture dit,
[brunt Ke parolt par le seint Esperit :
12 E les autres aprendre porrunt. « Cil n'est pas en Dieu bien are
Mar nul en pense ke nul en die 28 « Ki ne seime k'il ad seié 2 ».
FF. 6. 1 s. — Miracle opéré par la vertu d'un trentel.
Ce ms. contient un grand nombre de morceaux latins dont on trouvera
1. Il s'agit d'une opération appelée en latin du moyen âge aliatio, qui con-
sistait à priver temporairement l'oiseau de la vue en lui cousant les paupières.
Elle est minutieusement décrite dans le traité de Frédéric II, de arlevcnandi cum
avibus, 1. Il, ch. xxxvii.
2. Il faut sans doute corriger A.'; ne seic k'il ad semé; Cf. Matth. XXV, 26
« quia meto ubi non semino d , et Luc . xix, 2 2 .
282 p. MEYER
le détail dans le catalogue. A la fin est transcrite la pièce dont le texte
suit. L'écriture est de la seconde moitié duxiV siècle. C'est le récit d'un
miracle destiné à montrer combien grande est l'efficacité du genre de
service religieux qu'on appelait trentel au moyen âge ' et dont la définition
est donnée dans le récit même. Il s'agit d'une femme qui à l'insu de tous
avait tué successivement deux enfants illégitimes auxquels elle avait donné
le jour. C'était la mère d'un pape qui n'est pas nommé. Après sa mort,
elle apparut sous un aspect hideux à son fils, et lui avoua la cause des
souffrances qu'elle endurait, lui faisant savoir en même temps que s'il
disait pour elle un îrentel elle serait délivrée. Le pape y consentit, et en
effet, un an après sa mère lui apparut de nouveau rayonnante de beauté
à ce point qu'il la prit pour la reine des cieux. Elle lui apprend que Dieu
l'a délivrée par la vertu du trentel, et qu'ainsi fera-t-il de tous ceux pour
l'âme de qui on fera le même service.
Il est bien vraisemblable que cette légende intéressée se retrouve ail-
leurs, sous la même forme ou sous une autre. Je rappelle qu'il y a parmi
les fables d'Eude de Cheriton un autre conte destiné à faire connaître
les vertus du trentel^.
(Fol. 249 v°) Une apostol fu ja qi eut une mère qe mult fu tenu prode
femme de tote gens. Avint si qe par mésaventure la dame enceinta privement,
qe nul homme ne sout, e enfanta a son terme ; e par doute de son fllz e de pople,
quida celer son enfant e son meffet, e murdri son enfant ; aiters fiez avint aultresi.
Li apostel e tuz ceous qi la conisseint la tindrent chère pur les granz biens que
quidoint en luy. Avint issi qe la dame enmaladit e morut, e son fiiz e tuz les
aultrez furent en bone espeire de luy. Après iceo, si cum li apostol garda derer
soi, si vit la plus trelede 3 créature que hum puist regarder, e dit : « Créature,
« jeo te conjure de par Diex qe vous me diez qe vous estez. » La chaitif dolent
respundi e (fol. 250) dit: « Cher duz filz, jeo su vostre mère ». Li apostol si
merveilla e dit : t Ja quidoms nous que vous fuissez mult prude femme, e que
« vous fussez en grant joie », E celé luy conta quele vie el out démené, e pur
ceo suffri si grant paine cum aime put suflfrer, e fu en si grant ardure que la
flamme luy issi a touz senz d'enz. E son filz en out mult grant pité e luy de-
mande si l'em luy puist aider. E ele dit qe si l'em feït dire pur lui un trentel,
que serrait deliveré de peine. Ceo est le trentel: treis messez de l'Anunciacione
Nostre Dame, .iij. de la Nativité Nostre Seignur; .iij. de l'Aparicione de luy,
.iij. delà Purificacion Nostre Dame, .iij. de la Résurrection; .iij. de l'Ascen-
sion, .iij. de la Pentecoste, .iij. de la Trinité, .iij. de l'Assumpcion Nostre
Dame, .iij. de la Nativité Nostre Dame. Touz ceoz messes serront dites dedenz
1. Voy. du Cange, trentale.
2. Romania, XIV. 395-6.
5 izz très lede.
MANUSCRITS FRANÇAIS DE CAMBRIDGE IFF.6.I5I 28?
les uteves des avant ditez festez en même la manière que eles sunt dites les
lourez Li apostol dit qe voluntres le freit, elacomanda qe ele se mustrat a
luy a ceo joure en un an^ e ceo jour... ' e fu si qe ii apostol chanta messe.
Estez vous une si grant clareté vint, cum si tut le munde fut alumé. Li apostol
fut a bai 5, si regarda e vit deuz angeles descendre e amener entre euz la plus
bêle créature de dame que unkes fut veu. Des orez li apostol {v°) quida que ceo
fu la damede cel, e la chaï a pez e dit: « Duz dame, raine de cel e de terre,
« jeo vus cri merci pur l'amur vostre duz filz. » E ele respondi : « Bieu duz
" filz, ceo su jco vostre mère. Beueite soit le hore qe vous nasquistes ! qe de tele
« cum vous me veïstez aultre fiz me a Diex, par vous massez, deliveré de ma
« paine. E si fra tous ceous pur qi l'em les chantera en la manere que vous les
« avez fêtes, e serront deliverez de périls e de péchez. » E tant tôt envanit des
veu od les angeles qi la menèrent.
GG I . I . — Recueil varié.
Ce livre esta lui seul toute une bibliothèque, et il serait impossible de
lui trouver un titre quelque peu précis. C'est, eu égard à son format, l'un
des plus gros manuscrits que j'aie vus. Il n'a pas plus de 2 1 7""" de hau-
teur sur 142 de largeur, mais il compte encore dans son état actuel
633 feuillets, bien qu'incomplet. Selon une collation dont Bradshaw a in-
diqué le détail sur un des plats de la reliure, il a perdu neuf feuillets.
Cà et là (fF. 113, 12$, 164, 204,244, 324, 345, 584, 392, etc.) on
trouve des traces d'une pagination du xvi* siècle qui semble avoir été exé-
cutée avec négligence et d'où on ne peut rien conclure quant à l'état
ancien du ms. Les pages, le plus souvent à deux colonnes, ont de 37 à
40 lignes par colonne 5 . L'écriture est des premières années du xi V^ siècle,
postérieure toutefois à 1307, puisqu'il y a une pièce sur la mort d'E-
douard L Le copiste était peu instruit. Il a fait beaucoup de fautes dont
plusieurs montrent qu'il lisait mal son original.
Nous n'avons aucun moyen de .savoir pour qui fut exécuté ce pré-
cieux livre, où plusieurs écrits d'origine française sont joints à des com-
positions anglo-normandes. Tout ce que je puis dire, c'est qu'il a fait
partie de la collection de l'évêque J. Moore,et que le contenu en est som-
mairement indiqué sous le n° 272 de l'inventaire publié dans les Cata-
logi àe Bernard. Sur le premier feuillet de garde, on lit ces mots écrits
au xvii= siècle « Bought of Mr. Washington. » Les feuillets 1 à 5,
peut-être déplacés, contiennent la table de la Lumière as lais, ci-après
article 3. Le feuillet 6 r" est occupé par une table sommaire et assez peu
1. Ici un mot que je n'ai pu lire.
2. Ou aba'i ( _r esbjï) ''
3. Sauf à l'art. 15 jGautier de Biblesworth) où les lignes sont espacées pour
recevoir les gloses anglaises.
284 P- MEYER
exacte de tout le manuscrit, sous cette rubrique : En iceste livre con-
tienent tauntz de romaunces cum ci après sant notez et escritz.
Une particularité notable de ce livre est que le copiste, s'étant attaché
à commencer en belle page, ou au moins au haut d'une colonne, la plu-
part des ouvrages de quelque importance, n'a pas voulu laisser de blancs
à la suite des ouvrages qui ne finissaient pas au bas d'une colonne. Il a
rempli les espaces vides en y copiant de courts morceaux latins ou fran-
çais qui ne recevront pas de numéros dans la description qui suit.
1.— Urbain le Courtois.— Il existe à ma connaissance cinq copies
de ce traité de civilité '. Elles présentent des différences très considé-
rables. Celle-ci a 784 vers. Je me bornerai à transcrire les premiers et les
derniers, réservant pour une autre occasion la publication du texte com-
plet, qui, accompagné des observations que le sujet comporte, occupe-
rait ici trop d'espace.
Ici comence Urbanc curteise (Fol. 6 b)
Une sage home de graunt valeur
Ki jadis vesquist en honur,
Urbane estait il apeié,
4 Ki en sun tens fust amé,
De sun fiz ceo purpensa
E de son bon senji demustra,
E dist: « Chier fiz, ore escotez,
8 Si jeo di bien le entendez. ..
Fin (fol. 7 c):
Tant cum la bours peut durer,
Amurde femme poez aver;
E quant la bourse si est close,
De femme avérez une glose.
De ceo soiez bien garni,
Chier fiz, jeo vous prie.
Plus ore a vous ne dirrai.
Mes a Dieu vous commanderai.
Explicit.
2.— Petit recueil de sentences rimées diposées en forme de quatrains
ou de distiques, La première a cinq vers, mais on la trouve ailleurs
réduite à quatre. Je ne sais que penser de « la dame de Halop » à qui
est attribué un proverbe, d'ailleurs bien connu. Est-ce Salop (Shropshire) -'
'^ZïïL±
I. Voy. Bulletin de la Société des anciens textes français^ 1880, p. 75.
MANUSCRITS FRANÇAIS DE CAMBRIDGE (GG . I . I ) 285
1 Ki de fellouniet Sun porter [j.'jc) 4 Celle vie est mauveis
E de eschars soun despenser La ou home dit en la fin: Alas !
E de traitour soun conseiller Foie est qui sist en i'estate
E de folle femme sa mullier(/. 7 d) Ou il ne ose morrir pas.
Il ne morra ja sanz encumbrer ' .
5 Quant large doune largement
2 Ki maie custume lèvera Vileins est qi trop en prent,
Il ne l'abatera 2 quant il vodra. Car largesse fet a touz entendre
Qe surfet est de trop prendre.
2 Foie 5 est qui foie boute,
E plus est foie qi fol ne doute ; 6 Ceo dit la dame de Halop :
Fol est qi foie tarie, Mult miez vaut assez qe trop $.
E plus est foie qi foie marie.
7 Qi mestres est de soun délit
j Sage hom deit félon 4 cremir, Bien est reison qe s'en joyt.
E sot félon deit hom haïr;
Sot deboner déporter, 8 Launge qe ja ne retreit
E sage deboner bien amer. Del Dieu bouche seit maleit.
3. — Raùf de Lenham, Comput. — J'ai donné jadis, dans mon rapport
sur les mss. de Glasgow, une notice de ce poème, avec extraits ' . Je
n'en connaissais point alors d'autre ms. que celui-même que j'avais trouvé
au Musée Hunterien, Depuis, j'ai rencontré le même traité non-seule-
ment dans le ms de Cambridge que je décris, mais encore dans le ms.
399 de la Bodléienne^, qui paraît du temps d'Edouard I environ. Je
donne les variantes de ce ms. au bas de la leçon du ms. de Cambridge.
— Une quatrième copie se trouvait dans le ms. Cotton Vitellius D III,
qui fut presque entièrement détruit dans l'incendie de 1731. Les débris
qui en subsistent ont été consolidés autant que possible et mis en ordre
par l'administration du Musée Britannique, et j'aurai prochainement
l'occasion de dire ce qu'on y peut encore trouver, mais les feuilets où
était écrit le comput sont détruits et on ignorerait qu'ils ont existé, sans
la mention du catalogue de Th. Smith (1696), p. 90.
I . La même série, moins le second vers, est rapportée d'après un recueil ms. du
xiii" 5. par Le Roux de L:ncy, Livre des Proverbes, II. 388.— 2. A/5, la bâtera.
Ces coupes vicieuses sont tr'cs fréquentes dans ce ms. Désormais je m'abstiendrai
de les noter. — 3 Pour fol, comme plus loin. — 4 Corr. Sage félon deit hom.
Ces quatre vers forment le seizième des quatrains moraux publiés en appendice à
L'Hôtel de Cluny au moyen âge, de Madame de Saint-Surin, p. 109 {Paris,
Techener, 1835, in-S). 5 Prov. connu, voy. Le Roux de Lmcy, II, 346.
1. Archives des Missions, 2'^ série, IV, 154^^ '60- _i (tiré à part, pp. 121 et
127-31).
2. Ancien D 10; dans les Catalogi de Bernard, n" d'ordre 2230.
286 P- MEYER
Les morceaux que je vais rapporter sont au nombre de ceux que j'ai
publiés d'après le ms. de Glasgow. Delà sorte il sera facile de se rendre
compte du rapport des trois copies. On constatera sans peine que les
mss. de Glasgow et d'Oxford sont apparentés de très près.
De geste ne voil pas chaunter, (/. 8)
Ne veilles estories cunter
Ne la vailance as chevalers
4 Ke jadis estoient si fiers.
Mun sen, ce crem, pas nel save-
Lur vaiur escrivre a droit, [roit
Dedirepoi crendrai mult.
8 D'autre part ausi redut
Ke taunt preisasse lur vaiur
Ke tenu fuisse a mentur ;
Ke mut i a cuntes e fables
12 Ke ne sunt pas véritables.
Pur ceo tels chose vous dirai
Dunt verit[é] vous musterai,
E proverai de mun dite
i6 Par resun la vérité.
De estudier en ceo labur
Bien su tenu, kar mun seignur,
Par ki amur cest ouvre pris,
20 Comandé me avoit e requis
De aprendre lui e enseigner
En romance l'art de kalender.
C'est l'acheson, autre n'en ai,
24 Ke cost (sic) dite comensai,
Mes nepurgant (su) le lai gent
Asenser purrai bien sovent.
Ki ke les resons savera
28 Entendre, kar meint tel i a
Ke lunkes muser i porreit
E ja plus sages ne serreit.
Jeo di tel de la lai gent
32 Ke sunt de feble entendement.
Pur ceo di : Ça entendez
Vous ke saver le voilez
Les resons de cest art
36 Ou poi en ert la vostre part, (b)
Kar une petite reson
En sun livret nous dit Catun:
« Li mestres en vein la lesson lit
40 « Dunt cesdisciples'unt en despit,
« E le cunte est pur rien cunté
e Kant de nul est escuté. »
Pur ceo pensez del escoter
Kar mut araine (sic) en vain
44
[counte[r]
A Roume, al tens auncienur,
Esteient clers de graunt vaiur
Jeo ki ceste petit treté (/. 14 a)
48 De latin vous ai translaté
Rauf de Linham ai a nun ;
Ne voil que nul hom si mei non
De ceste ovre nul blame eit,
52 Si rien par aventure i seit,
Mesdit, mesfait u mesasis.
Pur ceo vus ai mun nun apris ;
Ore escutez dune avaunt
56 Kar ne larrai pas ataunt
Ke mun purpos ne pardie,
Sen l'en teng ou folie.
Variantes du ms. Bodiey 399 {fol. 96-104). Rubr. Art de Kalender par Raùf
de... {mot gratté) romanncé {sic) e ceo pur simpli {sic) gent lettré. — 5 la omis.
— 5 p. ne s. — 7 descrivere. — 7 crendreie. — 8 Ed'a. — 1 1 Kar m. —
1 3 c. de tele ch. d. — 17 cest 1. — 18 kant m. — 19 Pur ki... enpris. —
22 romanz. — 23 Ceo est l'a. altre n'ai. — 53 P. c. vus di. — 34 saver
desirez. — 37 Les brèves r, —41 pur nent. — 42 Ki de nul n'est. — 44 m.
harraie. — 47 Ore qui cest. — 49 Raù. — 50 nus, — 58 Sen le teingnez.
MANUSCRITS FRANÇAIS
Seignurs une rien vous di(e) :
[(/. 16 ^)
60 Si ceste dite ke avez oï'e)
A clers nesuffist pas assez,
De ceo ne vous enmerveilliez,
Kar pur eus nel fis jeo mie
64 Ki entendent graunt clergie,
Mes ceo romanz a lai gent
Assez suifist plenerement,
E lur aprent del kaiender
68 Quancques as lais serra niester;
Kar cil ne poent tantost
Augrime saver ne compost,
E pur mun seigneur enveer
72 Ke tant me deigna a preer
Ke cest art saver voleit;
Kar par latin ne entendreit,
Kar il ne esteit for poi lectré ;
76 E pur ceo en romauns l'ai traité.
E taunt des auns i aveit tenu
DE CAMBRIDGE (CG. 1 . l) 287
De l'incarnation Jhesu
Mil e deuz cenz e cinkaunte sis,
80 Ke jeo Rauf ceste traité fis.
E, seignurs, si vous desp[l]eit
De ceo k'en ceo dite est fait,
Pur Deu pensez del amender,
84 Si mieuz le savez adrescer.
Pur ceo, si cum dient la gent,
Un sage aukune fiez mcsprent;
Dunt n'est ce pas merveille grant.
88 Si sil mesfestk'est meins sachant.
Si riens i troverez de profit,
Dunt solas vous vieiige ou délit,
Taunt me facez de guerdon
92 Jhesu priez pur sun noun, (c)
Pur la vertu de sun poer
Graunter me voile ceste loer
Ke a tuz bons serra commun ;
Amen, amen die checun!
Explicil de compotu secundum
Radulphum de Lynham.
Le reste du feuillet i6 v" est occupé par trois courts morceaux latins ;
De bapîismaîe. De utiliîaîe visionis corporis Christi. Utiliîates missa.
4. — Pierre de Peckham, La Lumière as Lais.— Dans ma notice sur
les mss. de Saint John's Collège j'ai présenté sur ce long poème quelques
observations et j'ai dressé la liste des exemplaires qu'on en possède '.
61 As c. — 69 ne pount pas. — 70 Angrim s. e. c, (algorisme). —
71 s. aueer. — 73 Kar c. — 74 E pas le I. ne entendeit. — 76 I' omis. — 77 de
Î2 De c. ke est en cest
pur g. — 92 Ke pars.
anz. — 80 Raû cest. — 81 si ren vus desplet. —
dite fet. — 86 meinte feiz. — 88 Si cil fest ki est. — 91
— Explicit : Finy est le art de Kaiender. Suivent ces vers :
Pus ke Deu créa cest mond
Cinc mil anz aie s'en sunt,
E dous cenz. un seul adiré,
Deske nasquit nostre Sire;
Ajustez les anz Ihesu
Duncert li numbres tut seù.
Pus ke Deu devint homme,
Mil .ccc. anz est la summe.
I. Romania, VIII, 525. J'ai signalé, p. 326, dans le catalogue de la vente De
Coussemaker (18771 un ms. de la Lumière as lais dont le sort m'était inconnu. Je
sais maintenant que ce livre a étéacquis par la Bibliothèque royale de Belgique,
où il est coté B 282 .
288 p. MEYER
J'ajouterai présentement que la Lumière as lais n'est probablement pas le
seul ouvrage de Pierre de Peckham. On connaît depuis longtemps une
ancienne imitation en vers du Secret des secrets Aristote dont l'auteur se
nomme Pierre d'Abernun'. Or ce Pierre déclare, à la fin de son poème,
qu'il a composé un autre ouvrage qui est précisément intitulé la Lumière
as lais. Voici le passage, qui a déjà été cité par l'abbé de La Rue [Essais
sur les bardes, etc., H, 365):
En un livre que fez ai jad
De caste matière traité ad.
E mult choses, sachiez, sanz fables,
K'a aime d'hom sunt profitables;
Le livre, en vérité sachiez,
La lumière as lais est nomez,
Pur ceo n'en voil plus traiter.
(Bibl. nat. fr. 25407 fol. 196).
Il me paraît infiniment probable que « Pierre d'Abernun « ou « estrait
de ces d'Abernun » et notre Pierre de Peckham sont un seul et même
personnage, qui vivait probablement au milieu du xiii'' siècle.
Le texte du ms. Gg est meilleur que celui S. John's; il renferme ce-
pendant des fautes dont on trouvera
extraits que j'ai publiés de ce dernier.
Ceo est le oreisoun mestre Pères de Pec-
chamt auctour de ceste livre, (f. 17).
Oracio
Verrai Dieu omnipotent
Ki estes fin e commencement
De toutes les choses k'en siècle
[sunt,
4 E k'avaunt furent e après serrunt,
Ke criastes al commencement
Ciel e tere e angels de nient
Avaunt ke tens fust u movement
8 Del solail u de firmament,
K'al primer jour lumer feistes
E la nuit del jour departistes ;
Le firmament feïstes le jour
[secunde
12 Entre les ev/es que sunt el munde;
Le tierz jour l'ewe departistes
De la terre ke descouveristes
souvent la correction dans les
Del ewe que avaunt fu tote co-
[verte,
16 Issi ke ele apareit tute aperte;
La terre commaundastes a germir,
Arbres porter fruit e flurir;
Les ewes en un liu comaundastez
20 Assembler, e mers lesappellastez;
Le ciel aornastez le quarte jour,
Si com aferment li seint plusur,
De solail et de lune ensement
24 E des esteiles au firmament ;
Le quinte jour les ewes e l'eir
Ahurnastes, ceo crei de veir,
L'eir [d']oyseaus, e de pessuns
28 Les ewes, cum en escrit truvums;
Le sime jour la terre ahurnastes
D'aumaile e de bestes ke com-
[mandastes
De tute manière que fust repienie,
Mais ore priez, pur Deu amur,
En ceste tin pur le translatur
De cest livre, ke Piere ad nun,
K'e treit est de ces de Abernun.
(Bibl. nat. fr. 25 407, fol. 196.)
MANUSCRITS FRANÇAIS DE
32 K.e home après en eust aïe
Après SUR pecché, kar, n'est pas
[gas; {b)
Bien saviez, sire, de sun trespas,
Ke vostre commandement en-
[freindreit
36 E ke purceo parais perdreit;
Dunt après aveit grant mester
D'aumaile, de meuz sei guverner;
Mes totes bestes ne furent pas :
40 En sa poesté pur sun trespas:
Ceo poùm nous bien aparcever
Ke pas ne sunt a nostre poer;
Meime cel jour, a tun pleisir,
44 Pur vostre overaigne acomplir,
Feistes humme après ta figure
Corne sire de tote créature;
Après ta ymage e ta semblance,
48 Les feistes, sire, n'est pas dutance ;
En dreit del aime que nient cri-
[astes,
Le cors de la terre formastes
En le champe Damacene numé,
52 Si cum est en Escripture truvé;
Puis en parais terrestre
Les meistes pur garder cel estre
Ke de délices fu repleniz,
56 Si cum nous truvum en escriz.
Sire, entre les arbres ke i plantas-
Deus en un liu i ordenastes : [tes
L'un arbre fu appelé
60 Le fust de vie, kar ki mangié
En eust del frut ke portereit
A tuz jours sanz murrir vivereit;
L'autre fust, de mal e bien
64 Saver, et sur tote rien
Fin ifoL 111 a] :
Mes ore vous prie a chief de tur
Qe vous, pur amur Nostre Seignur,
Qe ceste romance oï avez,
Pur Pères qu'en ad travaillez
Prient, qe Dieu pust bien servir
Issi qea sa joie pust venir.
E quancqe orunt volunters cest
[romanz.
Romama, XV.
CAMBRIDGE (GG. I . l) 289
Vertu, dunt bien s'aparçut
Adam quant manga del frut.
Ne mie purceo bien savoit avant
68 Ke bien e mal fu, nepurquant
N'aveit nule maie esp[r]uvé
Geske tant k'od del frut mangé.
Sire, donc après, quant aviez mis
72 Adam pur garder cel purpris, \{c)
Si !i commandastes que ne man-
[gast rien
Del fust de saver mal e bien ;
Si li déistes: « Quel hure que
[mangiez,
76 « De mort sachez que vous
[morrez. »
Puis veistez bien quesolas li fust
K'aucune compainie en eust:
Dormir le feistes par ta poesté
80 E une femme de sun costé,
De une des costes numement,
Od l'os e la char ensement ;
E puis quant Adam l'avisa
84 Sei joist e prophetiza :
1 Iceste char est de ma char,
1 E os de l'os, n'est pas eschar.
« Pur ceo père e mère lerra
88 « Humme, e a sa femme erdra. »
En iteu maner fu, sanzfaile,
En parais trové esposaiie ;
Si signefia l'incarnation,
92 Si cum nous en escrit trovum ;
E si signefia en sun
La seintime conjunctiun
De seint Eglise e Jhesu Crist
96 Vostre fiz, cum truvum escrit.
Vieuz e joevenes, femmes e enfanz,
Amen die devoutement
A ceo checun, e ceo que apent,
C'est Pater noster e Ave Marie
A la dame qe pur nous prie,
Si issi seit sun fiz Jhesu Crist. . {b)
Amen, amen, issi finist.
290
p. MEYER
5. — Les quinze signes de la fin du monde. — Voir, au sujet de ce
poème, fait en France, et des copies qu'on en possède, Romania, VI, 22
et VIIl' ? 1 3. La leçon de notre ms. est l'une des plus complètes. Je pro-
pose en note ou dans le texte les corrections indiquées par les autres mss.
Ci commet de les .xv. signes devaunt le
jour de jugement (f . m h).
Oiez tuz communalment
Dount nostre Sire nous reprent :
De ceo qe tute créature,
4 Checun sulum sa nature,
Recunust meuz sun creatur(e)
Qu'i ne facehomme, si est dolur(e);
Mes home de li servir se feint,
8 De quei nostre Seignur se pleint.
Il nous aime tut bonement ;
De quanque desuz le firmament
Nous a doné le seignurie,
12 E chescun de nous le guerpie.
Muus bestes, urs e lions,
Oyseauz, serpens.mer e peissuns
Funt qei dievent sans tristur(e),
16 E gracent lur creatur(e).
Ciel e tere, solail e lune,
Neis des esteiles n'i ad une
Q_e ne face quanqe ele deit;
20 E home faut que tut ceo veit.
Tant est pleines de cuveitise
Qe ne eime Dieu en nul guise.
Plus volenters orreit chaunter
24 Cum redel juster
Culyer sun companun
Qu'il ne freit un bon sermun
Ne de la seinte passioun
Que suffri Dieu par grant vyan
28 Pur le péché qe fist Adam.
Pur quei sûmes nous orguilus ?
Acheitifnes, ja murrum nous !
U est l'ami qe bien nous Ira
32 Quant l'aime del cors partira? (c)
Nos amis pur nous plurunt:
C'est le bien que pur nous frunt.
A scient nous occium
36 Quant Dieu del ciel guereum.
Nous sûmes tretuz qe dolenz ;
Mult en averum grevez jugemenz
Quant ceo siècles finira
40 E Dieus as bons joie durra.
Oncore dis il assés plus :
Cum feintement Zodiacus
Curt cuntre le firmament,
44 Que planète ne vunt pas lent,
La nature des elemenz
E la nature des venz;
Li uns est en Oriente,
48 Li autres est en l'Occidente,
Akun vient en nnunt.
Seignur, pur Dié ne vous enoit !
Si vous ne cremise enuier
52 E desturber d'acun mester,
De quinze signes vous deïsse,
Einz qe partir me voïsse,
Tute la pure vérité.
56 A akun de vous vendra a gré
A oïr la fine de ceste munde
Quant totes choses finirunt ?
N'i ad home suz ciel tant felun,
60 Si ver Dieu ad ententioun,
Si m'escute vous a parler,
Qe ne vousist de ceo penser.
6 Corr. Que ne f. hom. — 10. Suppl. [a] après quanque. — 13 Muus, corr.
Mues. — 15 Corr. F. quanqu'il deivent. — 16 Corr. gracient — 24-5 Corr.
Cume Rolans alad juster | A Uliver. — 26 Ms. sernum. H -j a ici trois vers sur
la même rime. Aussi faut-il en fondre deux en un, et lire : Qu'il ne fereit la passion.
— 27 vyan, corr. ahan. — 30 Corr. Hé las chaitif. — 41 C'est ici que com-
mence, bien qu'un peu différemment, la leçon du ms. de l'Arsenal citée ici, VI, 23.
— 49 5(c ; Ars. Eli autres versmienuit. — ^1 Ms. enuoier,/4 ce vers commencent
plusieurs des copies de ce pocme.
MANUSCRITS FRANÇAIS DE
Car quant ceo munde finira
64 Nostre Seignur signes fera.
Ceo nous cunte Jeremie,
Zorobabel e Helye,
De Babiloine Daniel,
68 Ben{e) 1' aferme Ezechiel,
David, Amon e Moysès
E li tûtes prophètes après, {d)
Un poi devant le jugement
72 Ou li felun serrunt dolent
Mustr[er]a Dieu sa poesté
En terre de sa majesté.
Qui voil oïr le merveille
76 Enver qi rien ne s'aparaille
Adresse ses oez ; si me regard:
Jeo li dirrafi] devers quel part
Vendra la grant mésaventure
80 Que passera tute mesure.
Ore escutez de la jurnée
Fin (fol. \i^ b):
Le quinzime signe vous dirrai,
224 Car de la dolur aukes sai
Qeli sires de! ciel f[e]ra
Quant ces signes mustr[erja :
Le noun q'il avéra le vous dir-
[rum :
228 Ceo sera consummacioun ;
E terre e ciel partut ardra
E a nient repeirera ;
La mer qe tut rien enclost(e)
232 E les ewes e tut li flot
Reperierunt tut a nient,
Corne fu al commencement.
Idunc serrunt les voiz oïre]z
236 En semblant de symphoni[e],
E dirrunt: «Oie! vous pecche-
[our, (c)
« Fuez trestuz, veez le jur
CAMBRIDGE (CG. I . il
291
Qe tant par deit estre duté.
De ciel cheira pluvie senglaunt;
84 Ne quide[z] pas que jeo fvos]
[mente,
Tute tere [en] iert culurée :
Mult i avéra aspre rosée.
Li enfant qi né nient serrunt
88 Dedenz les ventres crierunt
A cler[e] voiz, mult hautement :
.( IVIerciezvous,Dieusomnipotent!
« Sire, nous querumja mèsnestre,
92 « Mes nous vaudreit nient a estre
« Que nasquisum a ceste jur
« Quant tute rien suffre dolur. »
Li enfanz plurunt isci
96 E dirrunt: « DuzJhesu, merci! »
Le primer [jur] tut iert iteles,
Mes li secunde iert plus maies.
« Tut plein de mésaventure ! »
240 Dieu ne fist ceste créature,
Si se purpense de ses feez,
Qe jamès en sun cuer eit pès,
Idunc sunerunt les busines,
244 Dunt leverunt li mort a primes,
E resurdrunt [tresjtut li mort :
Chescun avéra escrit sun sort.
E nostre seignur ref[e]rad
248 Ciel e tere qi défera ;
Puis descendra mult cruelment
Od les seinz al jugement.
Devant li assemblera
252 Tut le people q'il rechata
De sun precious(e) sanc el munde,
E bon e mal tut i serrunt.
Aïdez nous, seinte Marie.
2)6 Amen, amen chescun en die!
66 Hélie, corr. Isaïes. — 70 Corr. Tuit li autre p. — 77 D'autres mss. ont
Dresse son chief ou son cuer. — 80 Ms. pallera, — 82 deit, ms. dreit. —
90 Corr. Merci roi D. — 92 Corr. Meuz.
223 Les numéros des vers sont ceux du texte de Saint John s Coll. (ci-dessus
VIII, 314). —236 Corr. semblance. — 2^9 Les autres mss. portent Trestot p.
ou T. pi. de grant m. — 248 Corr. qe defet a.
292 p. MEYER
Le reste de la colonne est rempli par un extrait dont les premiers mots
sont: « Arisloteles faciî questionem in Naturis: Quo cibo nutriatur in cor-
« pore conceptus ? s. profecto sanguine menstruo... »
6. — La plainte d'Amour. — Voir sur ce remarquable poème, et sur
les mss. qu'on en possède, Romania, XIII, 507. C'est un dialogue entre
Amour et un prudhomme, comme l'explique un couplet d'introduction
qui n'a été conservé que dans le ms. de Trinity Collège. Je donne quel-
ques variantes destinées à faciliter l'intelligence du texte.
I Amour, Amour, ou estes vous?
[if. u^d)
— Certes en mult poi de iuys,
Kar jeo ne os.
— E pur quel n'osez estre veu,
Vous qi estes si bien coneu
6 De bon les ?
11 Jeo parlas a vous a leisir,
Si vous vensist a plesir,
Privement,
Pur saver moun la vérité,
Pur quel estes reboté
12 De la gent.
III — Aias, alas ! ceo dit Amour,
Vous acrescez ma dolur
Par vostre dit.
Si jeo face a vous ma pleint
Jeo serrai las e tost ateint
18 Avant qe ei dit.
IV — Douce Amour, ne lessez pas
Ke vous ne me diez vostre cas
E vostre ennuy.
Dites, dites, jeo vous prie,
Pur quel estes revilie
24 En chescune iuy.
V — Ore vous dirrai, ceo dit Amour,
Qe dire ne puisse ma dolour
Ne ma enchesoun :
36
42
Par mes enemis suis enchacé
Hors de vile e de cité
E hors de mesoun.
— Chère Amour, qui sount ceux
Qi sunt si hardi e si fous
A celé chace fere?
En nos livres avom trovee
Qi par vous fist la Trinité
E celé e tere.
Vous feites Dieu a nous descendre,
Vous li priastes de char prendre,
E il vous graunta. (/. 1 14)
Par vostre prier voleit soffrir
Peine e dolur e puis morir,
E tous nous sauva.
VIII Ja ne est home qe seit sauvé
Si par vous ne seit amené
A sauvacioun,
Duntme merveille durement
Qe trovée estes si relement
46 En chescune mesoun.
IX Jeo su aie sovent querant
La ou dusse estre menant
Par bone resoun,
Entre amis de bone linage
E entre clers e barnage,
^4 En chescune seisoun.
26-7 Trin. ne p. sanz dolur | Ma e. — 48 Trin. dussez.
MANUSCRITS FRANÇAIS
X Cum plus sovent vous vois quere,
Tant vous vei jeo plus retrere
Hors du pais.
Douce Amour, qi sunt si fous
Que vous enchacent? qesunt ceus
60 Vos enemis?
XI — Pur ceo qe vous me avez
Beau frere, mes enemis [requis^
Vous voile desclore,
Mes jeo ne purrai tote la soume
De ma dolur a nul home
66 Parcunter ore.
DE CAMBRIDGE (GG.I.i) 2Ç}]
Ne me grevez par prière
90 De plus dire.
XVI — Si frai, ceo sachez, douce
[Amour.
Vous me dirrez en ceste estour
Une autre chose :
S'il est veirs qe est escrit
Qe par la lectre nous est dit
96 E par la glose,
XVII Vous aviez jadis teu pouer
Qe nul vous pot cuntre ester
En ceste vie ;
XII Une prince est venu si fiere Pur quel ne priez vos amis
E sa baner ad fet lever Qe il vous venge des enemis
Encuntre moy. 102 Par curteisie ?
XVIII — Beau douce frere, bien avez
72 [dit,
E bien est veirs q'est escrit
XIII Soun noun est nomé Coveitise; De ma mestrie :
Par li ai perdu ma franchise Jeo solaiaver en ceste munde
E sui enchac[i]e ; De haut e bas e en roùnde
Ire e Orguille, ces deus barouns, 108 Que ore est faillie.
Vers moi sunt trop feluns
78 E mei unt plaie.
XIV Soun chivaler moût renomé,
Sire Envie, ad bien juré^ (b)
Si jeo returne,
Ke il me fra par graunt ire
Primes batre e puis occire,
84 Dunt jeo sui mourne.
XV Pur ceo vois jeo tapissaunt,
De liu en liu mendivaunt,
E ne sai qe dire.
Dunt jeo vous prie, douce frere,
XIX Ceux qe volent qe feussse mestre
La sus en ciel [unt] pris leur estre
En bon seisoun ;
Ore sunt venuz atres après
Qe ne me soefïrent vivre en pès
116 En nul mesoun.
XX E solai aver bêle grâce
En queors des gens e tant d'es-
Qe a moun pleisir fpace
Jeo porrai demorer e sejorner (c)
E moun sojourn bien garder,
120 Sanz départir.
70-2. Les trois derniers vers de la strophe manquent. Les voici d'après Harl. 273
{ils sont moins corrects dans Trinity) :
Si m'ad engeté hors de terre
Et hors me tent par forte guerre ;
Hore créez moy.
79 Trin. Un ch.
294 P- MEYER
Or, dites-moi, dit le prudhomme, oii est votre séjour. — Vous me trouverez
dans les celiers ou dans les greniers, sous le blé. Si vous ne m'y trouvez pas,
il faut me chercher dans la bourse. Là sûrement vous me trouverez solidement
lié. D'autre fois encore je fais mon lit dans l'étable ou dans la porcherie. —
Hélas ! cher Amour, c'est pour vous un bien vil séjour, vous qui jadis aviez
coutume de siéger dans la salle. Amour énumère tristement les honneurs qui
lui étaient rendus autrefois, lorsqu'il portait la croix et la mitre en sainte Eglise.
Il y a là des strophes véritablement éloquentes :
XXX Od moi ala la pape a pié, (f. 1 1
Od moi sit le rei en see,
E vout jeuer ;
Par mei entra devant justice
Li povere home a sa devise
180 Sanz rien doner.
XXXI Jeo defendi ses taillages,
Jeo fiz rendre ses damages
A povre gens ;
4^) Jeo fis crier les grans festes,
Jeo fiz chaunter les gestes
186 En moun temps.
XXXII Jeo fiz marier gentil femmes,
Sanz doner or ou riche gemmes,
Mult noblement;
Mes ore ad fet mon enemi
Qe la chose n'est pas issi,
192 Mes autrement.
Mais Convoitise a enlevé à Amour sa franchise. Jadis Amour fondait des
monastères et les dotait richement: maintenant, poussés par Convoitise, les
barons reprennent les biens donnés par leurs ancêtres; ils abusent du droit de
gîte, ils enlèvent aux clercs leurs dîmes, ils donnent les églises à des séculiers
et se moquent de nos sermons. Amour est allé se plaindre à Rome, mais, là,
belle parole ni bonne renommée ne servent de rien, et il fut mis à la porte. Les
rois sont bons, mais leurs conseillers sont mauvais. Amour a été emprisonné
<c En wapentak ' et en conté | Par les baillifs ». Ses filles. Pitié, Vérité, « Na-
turesce », Chasteté, sa sœur Humilité, ont disparu. L'ouvrage se termine ainsi :
CLix Ore vous ai jeo fet ma pleinte
Dunt jeo su las e ateinte,
Jeo pri(e) repos(e), (/
Ja ne querez moun sojour
En ceo qe par reddure
954 Me ount forclos.
CLX Si me volez embracer
Ne vous estut trop travailler
Pur mei querre :
Vous me troverez od Jhesu Crist ;
La est ma chambre e .moun lit
120) 960 Tut hors de guerre.
CLxi Jeo fu od lui sanzcomencement
E serra[i] od li durablement
A touz jours.
Unkes créature ne fit
Q_e par consailenel fist,
966 Par ces douces eoveres.
I. Division territoriale dont le sens varie selon les textes; ici il s'agit pro-
bablement du hundred, subdivision du comté.
953 Corr. Entre cels. — 965 Corr. p. [mon] c. n. feïst. — 966 Corr. P. sa
douçour.
MANUSCRITS FRANÇAIS DE CAMBRIDGE (CG . I . I ) 295
CLXii En ciel ne enterre ne en mer(e) À la court lur ert rendu
De mei ne pount celer(e) Mult hautement ;
Nul rien. En la court le rei celestre
Od lui vendrai au drein jour Jeo lur frai sires e mestre
Pur fere a ceuz grant honur 984 Durablement.
972 Qe me unt fet bien.
cLxv — ■ Très chier Amour, jeo vous
CLxiii Tuz ceux qe me unt revilié [requier
E me veilleunt crier merci Qe od mei voiliez herbeger,
L'en comperount ; Sans déparier .
Ire e Orgille mes enemys Jeo prie Jhesu le fiz Marie
E Coveitise lur chiers amis Qe vous me doygne en compai-
978 Me vengerount. 990 A mon departer. [gnie (b)
cL.xiv Tuz les autres qe me unt receu Amen, Amen, Amen.
7. — Les prophéties de Merlin, en prose, concernant Henri III et ses
successeurs. — Cette prophétie, probablement imaginée sous Edouard I,se
rencontre fréquemment dans les mss.; voy. Ward, Catal. of romances,
I, 300, 308, 309, et Duffus Hardy, Descript. Catal. , III, no 330.
(Fol. 120 l>) Ici comcncc alciins de les prophéties e des merveilles qe Merlin dit
en soun temps de Engleterre, e des reis qe unt esté puis le temps le rei Henri le derein
qe nasquist a Wincestre e de euz qe serrant pur tuz jours m'es en Engleterre, de lur
aventures queuz il serrunt, bons ou maiiveis, moles ou dures.
Un aignel vendra hors qe avéra blaunche laung e leveres véritables^ e avéra
escrit en sun queor seinteté. Cel aignel fra une mesoun deu Westm. qe serra
de bêle veue, mes ele ne serra parfest en soun temps. En la fin de soun règne
vendra une lowe de estraunge terre...
Fin (fol. 121 b] :
E si serra test après ceo terre de conqueste, e si fuierunt les heires de Engle-
terre hors de lur héritage. Alas ! Alas! Alas !
Le reste de la page est occupé : 1° par un morceau sur le parjure :
« De perjurio, Qui jurât super librum tria facit : primo ponit manum
super librum... » 2° par des sentences : « Proverhia. Meliora sunt vul-
nera corrigentis quam oscula blandientis... »
8. — Poème anglais sur la Passion dont on a d'autres copies.
Herkinith aile, ihc ' voile you telle {{. 122 a)
Of muche pitié in mi spelle...
968 Corr. Unkes de moi ne vout [ms. de Trinity) . — 980 Corr. A la cunte
(Trin.) — 987 Corr. S. returner {Tiin.).
1 . The (/) dans le catalogue imprimé.
296 p. MEYER
9. — Le « Miroir » ou « les évangiles des domeés », par Robert de
Gretham. — Poème de plus de 20,000 vers dont l'objet est de mettre
à la portée du public laïque les évangiles de chaque semaine avec leur
exposition. Ce long ouvrage ne peut prétendre à beaucoup d'originalité.
Il est, selon toute apparence, entièrement traduit du latin. Toutefois ce
n'est pas la traduction d'un seul et unique livre écrit en latin. C'est une
compilation dont les éléments ont été recueillis en des livres divers. Les
indications que l'auteur donne (vv. 69 et suiv.) permettent de lui faire
crédit d'une certaine originalité, au moins en ce qui concerne le choix
des matériaux. Autant qu'il m'a paru, le plus grand nombre des exemples
cités à l'appui des explications des évangiles sont empruntés à saint
Grégoire, mais d'autres sont tirés de sources plus proprement anglaises.
Je citerai notamment la curieuse rédaction de la vision de saint Furseus
qui sera imprimée plus loin.
L'auteur nous a fait connaître son nom et son surnom à la fin de son
œuvre: il s'appelait Robert de Gretham, et s'il s'est nommé, ce n'est
certes pas par un vain désir de gloire littéraire, car il parle de son œuvre
avec la plus grande modestie', c'est simplement, comme Pierre de
Peckham et comme plusieurs autres, pour avoir part aux prières de ses
lecteurs. Il y a Greetham en Lincolnshire et Rutland, Greatham en
Durham, Hampshire et Sussex. Je n'ai pas le moyen de faire un choix
entre ces divers lieux.
Robert dédie son œuvre à une certaine dame Aline sur laquelle je ne
possède aucun renseignement. Il existe, dans la littérature anglo-nor-
mande, un poème qui n'est pas sans quelque analogie avec notre Miroir,
c'est le Corset, œuvre de théologie à l'usage des laïques dont le seul
exemplaire connu se trouve dans le ms. Douce 210 de la Bodléienne ^
C'est un exemplaire incomplet, le ms. offrant diverses lacunes. Nous
savons toutefois, par le début qui nous a été conservé, que le Corset a
été dédié à un certain Alain par son chapelain Robert. Il m'a semblé,
lorsque j'ai rédigé la notice du ms. Douce 210, et il me semble encore,
que Robert auteur du Corset et Robert de Gretham auteur du Miroir
pourraient bien être un seul et même personnage. Les deux poèmes sont
sensiblement de la même époque, du milieu du xiii<^ siècle environ ; la
langue et la versification, autant que j'en puis juger par une étude som-
maire, ne diffèrent guère, et à la coïncidence du nom, Robert, se joint
1. Voy. vv. 97 et suiv.
2. Voy. Bulletin de la Soc. des anciens textes français, 1880, p. 62,
MANUSCRITS FRANÇAIS DE CAMBRIDGE (CG . I . 1 ) 297
cette autre coïncidence que les deux poèmes débutent à peu près de
même :
MIROIR : CORSET :
A sa très chiere dame Aline A son très chier seignor Alain
Saluz en b vertu divine. De part Robert son chapelain
Salutzel fitz sainte Marie.
Il ne me paraît pas improbable qu'Aline ait été la femme d'Alain.
L'usage de donner à la femme le nom de son mari, avec une terminaison
féminine, est attesté au xiii<= siècle et en Angleterre (en France aussi du
reste« par de nombreux exemples. La fille de Guillaume le Maréchal,
Mathilde, mariée à Huges Bigot, est appelée la Bigote dans le poème
consacré à la mémoire de son père.
Nous savons par le début du Corset, que le seigneur Alain aimait à
entendre « la leçon divine ». Malheureusement, il ne savait pas le latin,
et c'est pour le mettre à même de se faire lire de la théologie en français
que son chapelain dut lui composer le traité qu'il a nommé Corset. Dame
Aline ne savait pas le latin non plus, mais, à la différence d"Alain (que
celui-ci ait été ou non son époux), elle se plaisait surtout à lire ou à
entendre des « chansons de geste et d'histoire ». Tout cela, dit le sage
Robert de Gretham, n'est que vanité et mensonge. Pour une bonne
parole il y en a beaucoup de mauvaises^ et la vérité, quand elle apparaît,
ne sert qu'à faire passer la fausseté. Il ne faut pas croire tout ce qu'on
dit ni tout ce qu'on écrit. Et comme exemples de récits visiblement
controuvés l'auteur cite la chanson de Mainet et quelques autres qu'il
n'est pas facile d'identifier, le texte étant assez corrompu. On remar-
quera la mention de la chanson de l'orphelin Sansonet (v. 30I qui ne
nous est pas parvenue, mais dont une chronique française nous a con-
servé le résumé ' .
Comme d'autres poètes français d'Angleterre, Robert de Gretham se
permet de temps à autre de donner la même rime à quatre vers consé-
cutifs, mais ce qui est plus singulier, c'est qu'au début de son ouvrage,
après le prologue il a écrit trente-cinq vers sur la rime e, ne distinguant
pas^ cela va sans dire, ié àeé.
L'ouvrage est complet, dans notre ms., sauf une lacune produite par
l'enlèvement d'un feuillet entre lesff. 252 et 255. Un second exemplaire,
apparemment un peu plus ancien, mais auquel manquent les premiers et
les derniers feuillets, est conservé au Musée britannique, add. 26775.
I. Bibi. nat. fr. 5003, fol. ici v»; voy. G. Paris, Hist. pocticjac de Chark-
magne, p. 405. J'ai trouvé de cette même chronique un autre ms. à la Lau-
rentienne.
298 p. MEYER
Acquis par le Musée en 1865, ce ms. avait figuré sucessivement dans
un catalogue Techener, à prix marqués, en 1862, où il était bien indû-
ment attribué au xii" siècle (il est de la fin du xiii'^) et dans une des
ventes faites par Libri, celle de 1864. Il a été l'objet, dans le t. I de la
Zeiîschriftf. romanische Philologie, d'une notice fort imparfaite, qui a été
appréciée ici même [Romania, YU, 345).
Il y a quarante ans, la bibliothèque de Trinity Collège, Cambridge,
possédait du même ouvrage un troisième exemplaire. En effet Th. Wright,
traitant de la vision de saint Furseus, dans son livre sur le Purgatoire
de saint Patrick publié en 1844 [Saint Patrick' s Purgatory, p. 11) dit
l'avoir rencontrée « among some french metrical saints' legends, in a
« Ms. in the library of Trin. Coll. Camb., marked B. 14. 39, of the
« end of the twelfth orbeginning of the thirteenth century ». Et il en
cite vingt et un vers qui tous se retrouvent dans le récit relatif à saint
Furseus tel qu'on le lira plus loin d'après les deux autres mss. Ce ms.,
qui est celui même d'après lequel Hickes a publié dans son Thésaurus
(1705) une ancienne vie anglaise de sainte Marguerite et cité quelques
vers de la vie de saint Nicolas de Wace et du traité de Gautier de
Biblesworth, a disparu peu après 1844. J'en parlerai avec plus de détail
lorsque je décrirai les manuscrits français de Trinity Collège, et peut-
être d'ici là aura-t-il reparu, car celui qui l'a emprunté irrégulièrement
il y a quelque quarante ans ne l'a pas vendu et ne peut espérer en jouir
encore pendant de longues années.
l! existe sous ce titre « Les évangiles des domées et des saints de tout
l'an «, un ouvrage en prose, apparemment composé au milieu du
XIV* siècle, et dont l'objet est le même que celui du poème de Robert
de Gretham ', mais qui en est tout à fait indépendant.
A sa trechiere dame Aline (/. 1 5 5) E folie de vaine cure.
Saluz en la vertu divine. Si l'em i trove un bone respit,
Ma dame, bien l'ai oï dire 12 Tut l'autre waudra mut petit.
4 Que mult amez oïr et lire Ceo est en veir le tripot
Chaunsçun de geste e d'estorie, De chescun qe mentir veut :
E mult mettez la memorie ; Pur plus s'entremet mentir
Mes bien veille qe vous le sachez, 16 Aucune rien dit a pleisir,
8 Qe ceo est plus que vanitez, E dite aucune vérité
Qe ceo n'est rien for contrevure Pur fer oïr sa fauseté.
^ 908 et 1765 ; voy. sur le premier de ces mss., P. Paris,
s, VII, 225, et sur le second, S. Berger, La Bible française
I Bibl. nat. n"^
Manuscrits françois
au moyen tige, pp. 223, J47.
MANUSCRITS FRANÇAIS DE CAMBRIDGE (GG . I . 1 1
299
Ceo n'est pas chose creable
20 Q_e tut seit veir quanque dit fable,
Nun est ceo veir quanqe est escrit
Deestorie qe home chant e lit ;
Qe cil qe chaunçun contreverent
24 Sulum lur quiders les furmerent;
E l'em dit en prover pur veir
Qe quider n'est pas saveir ' .
Veez si ceo peut estre veir
28 Qe nuls enfes out tel pouer
Cum dit la chaunsçun de Mais-
U cel orphanin Samsmeth? [neth
U de la geste de Emeristane,
32 U de bon message Balaane?
Veez les autres aisément :
N'i ad celé qe trop ne ment.
Ore sel jeo qe tut seit vérité,
36 Si est, pur aucune vanité,
Deliz escriz oïr e entendre
U l'aime put nul bien aprendre.
De quanqe a l'aime ne seit bien
40 De vaunt de fet nul rien. [(b)
Cil trop laidement se sert
Ke Dieu pur nul rien pert;
EDieu mult[plesl?]de sun servant
44 K'il «eit a lui tut atendaunt.
Tut veut que seit a lui turné
Quanqe il ad a checune doné.
Il nous ad doné cors e aime,
48 Veer, parler, sens e oïe,
Entente, menbres e corage.
Tut pur nous garder de damage.
Nus eimes tuz ses despensers
52 Pur lui servir de ses mesters.
Si nous a gré bien le servum
Cent double en ert legueredoun;
Eqi mesfait a escient
56 Mult en ert dur;e) le vengement.
E pur ceo qe nus eime encé (i/c),
Tolir nous veut de vanité,
Que nus lui puissums rendre en
[bien
60 Quanqe il demande a cristien.
Pur ceo ai fet cest escrit,
Sur le purrez lire a grant délit.
Ou nul rien ne troverez
64 Dunt Jhesu ne seit paiez,
Dunt l'aime ne seit conforter
E la char de maus desturner.
Quant vous prendra celé cure,
68 Treez avant ceste escriplure :
Les evangeliz i verrez
Mult proprement enromauncez,
E puis les esposiciouns .
72 Brevement sulum les sens espuns,
Qe, sachez, n'i ad mot dit
Qe lesseinz n'eient escrit.
Jeo l'ai excepé e estrait
76 Des escriz qe sainz unt fait, [{e)
Point de latine mettre ne voille
Qe ceo resemblereit (a) orgoille ;
Orgoile resemble verreiment
80 Ceo dire a autre qui n'entent,
E si est ceo grant folie
A lai parler latinerie.
Cil s'entremet(te) de fol(e) mestier
84 Qi vers la[i] vout latin parler ;
Chescun deit estre a resoun mis
Par la langage dunt (il) est apris.
Ore vous prie, chiere dame Aline,
88 Pur Dieu a qi le munde encline,
Qe vous preez devoutement
Qe Deus me doint entendement,
De si traire e de si escriv(e)re
92 Q'il me pardoint pecché e ire,
Ke leaument sachez de fie
Qe en vos preers mult [m'] afie ;
Qe bien le sai qe ob bon entent
96 Deu s'abandoune en présent.
26 « Cuidiers fu un sos «. Le Rvux de Lincy, Livre des Prov. II, 489. —
30 Corr. U del 0. Sansoneth. — 32 Bj/an, dans Aspremont. — 35 Corr. Or seit
ceo.? — 38 Corr. U l'em ne p..? — 40 Corrompu? — 47-8 Les rimes indiquent une
lacunecntre CCS deux vers. — ^2 Sur, corr. Vus.?— 65-6 Corr. confortée, desturnée.
}00
p. MEYER
.36
Si rien i ad a amender,
U del fraunceis u del rimer,
Nel tenés pas a mesprisoun,
100 Mes bien gardez la raisoun.
Deus n'entent pas al beau dit 140
Cum il fet al bon espirit.
Meus vaut veir dire par rustie
104 Qe mesprendre par curteisie;
Quanqe s'acorde a vérité
Tut est bien dit devant Dé. 144
Dame, ne vous en merveille?,
108 Qe les cutis (?) ai abreggez:
Jeo face pur vous ennui tolir,
E de lire doner désir; 148
Kar trop purra tost ennuier.
1 12 L'em s'ennuie de bon chaunter,
E par ennui poet l'em lasser
La rien qe plus tost peut aider.
Par ennui pert l'em sovent {d) 152
1 16 La ren qe plus serreit a talent.
Nepurquant, si tuz nous pusse
[vivre
E sanz nule entrelès escrivre, 1 56
E eusse la bûche fermé[e]
120 E la lange assermé[el,
E eusse trestut le saver
Quanqe nul home peut aver 160
Ne purra la moite dire
124 De ceo qe apent a ma matire.
Mais meutz voil dire aucune chose
De Dieu qe tenir bouche close, 164
Qe sovent par bon petit dite
128 Tresaut le cors en graunt délite.
Mun noun ne voil uncore nomer
Pur les envius rehercer, 168
Q'il ne toillent a nous le bien
132 Dunt il ne voilent oïr rien,
Qe custume est as envius
Qe grussus sunt e enuius;
Trestuz despisent autri dis 172
E purventent les bons escriz.
E ceo cuntent a grant délit
Qu'il unt en resprence (sic), en
Qe lessent d'autres blâmer [escrit,
Quen ses cum pur sei amender (.-')
Li fel se quide anienter(?}
Par le prudume déprimer.
Geste livre Mirour ad noun ;
Ore oiez par quel raisoun :
Par le mirour seit l'em defors,
E par cest escrit aime e cors.
Le mirour moust[r]e le[s] mespri-
E les choses mesassises, [ses
E cist mustre en vérité
Quanqe home ad mespris envers
[Dé.
Li mirour moustre adressement
De vis, de cors, de vestiment,
E cistadresce, ceo sachez, (/. 1 36)
Pensers e diz e voluntez ;
E mirurs est pur enseigner
Coment li home se deit atiffer,
E cist enseingne verreiment
De vertuz tut l'entiffement.
Li mirurs quant al siècle en veir
Fet les femmes bêles aparer,
Qe plus seient coveitez
Quant bêlement sunt acemées,
E cist demustre la beauté
Qe Jhesus aime en lieauté,
E fait les aimes adrescer
Qe Dieus les voille amender.
Li mirurs sul le cors aturne,
Mes cist cors e aime ahurne;
Pur ceo est li mirurs a dreit
Qe tuz maus oste e tut biens feit.
Ore prie chescun^'e) qe out e veit
Qu'il prie pur celi qi i'ad feit
1 1 1 Ms. Par,., enuiner. CJ. la même idée dans le Corset, Bulletin des anc. textes,
180, p. 66. — 1 12 Ms. sen urne. C'est un proverbe bien connu: Beau chanter
enuie, Le Roux de Lincy, Livre des Prov. II, 247. — 117 Cor/', tuzjurs? — 123
Corr. purroie. — 130 envius ms. emmns. — 156 Corr. purvertent ? — 145
seit, corr. veit ?
MANUSCRITS FRANÇAIS DE CAMBRIDGE (CG . I . 1 1 ^01
E mette en perdurable vie, A les nun lettrés bien aprendre.
E Dieu li pardoint sa folie. E chascun ke seit lettrure
Li prologes fet ici sujur. 212 E de fraunceis la parlure
176 Ore regardés al mirur: Lire i poet pur sei amender
Tut i verrez vostre figure, E pur autris endoctriner.
Vostre netesce e vostre ordure. Bien saiqetantest grantlamaterie
Si bien regardez, tut verrez 216 Ke ne pus a tut suffire,
180 Cum vous en Dieu vous attiffez. Mais meuz vaut parti tucher
Deus vous doint issi esgarder, Pur mei e autres amender
Eissi nos aimes attiffer Qe trésor Deu enfuir
Ce Dieus les voille coveiter, 220 En tere, par del tut tasir.
184 E od lui puissumssanz fin régner. E jeo l'ai fet tut autres!
Cum cil ke passe pré florie:
De tûtes les flurs ad talent,
224 Mes tûtes coillir ne poet nent:
Dunt jeo, pur tuz amonester Tûtes aune et tûtes espie
Ke en Deu se volent chastier, E puis aprent une partie ;
Enpris ai pur Dieu cest escrist Ausi coil jeo en ceste escrit
188 U chescun purra aver délit 228 Ce qe hom poet lire a délit,
Lire e oïr overtement E qi mustre suffisanment
Iceo qu'en Dieu a lui apent : A chescun ceo qe a lui apent.
Cument li clers deit sermuner Nel fas pas par losangerie, (/. 1 38)
192 E sei meimesen Dieu garder, 232 Par orguil ne par surquidrie,
Cornent li lais deit bien oïr Ne pur l'onur de ceste vie,
E sun doctur en Dieu chérir, Ne pur mustrer ma clergie:
E comenttuz uniement Autre loer ne quer prendre
196 Frunt le Dieu comandement, 236 Ke sul Deu ke puet tut rendre,
E quel mérite cil averunt [(f. 137^/) E preers e oreisuns
Ke Deu de bon quer servirunt. De ces qe orrunt les lessçuns;
Les evangelies de donmées Car jeo le face pur moi aquiter
200 Ai en fraunceis translaté[ejs 240 E corse aime d'encumbrer
E des festes as seinz partie De la folie qe ai parlé
Pur mustrer a chescun sa vie E del bien qe ai entrelassé.
Cornent deit ensample prendre, Qe cest escrit seit parfaisaunt
204 De seinz pur sa aime a Dieu 244 Quanqe ai mesfet en mon vivant,
[rendre, Si li autre finist sa vie,
Kar après chescun[e] lessçun Bone escrit ne poet finir mie ;
Ki ad del évangile noun Quant il mort e porriz serra,
Ai mis del exposicioun 248 Mes l'escrit pur lui parlera,
208 Un poi pur mustrer la reisun, E pur celui nomement
Kel'em leevangilepuisseentendre Ki en cest diz sul Deu entent,
175 Ms. sunir? — 199 donmées, ms. remuées. — 210 A, corr. E. — 226
Corr. en prent. — 240 Corr. descumbrer. — 245 Corr. Si li home? on est-ce
le cas sujet (f'auctor?
^02 P.
Escrit pur tuz enseigner
252 De fer bien e mai lessier.
Seint Pol le dist pur vérité :
Jammès ne charra charité,
Nu fra ovre verrement
256 Dunt charité est fundament;
E li escriz qi serra faiz
Pur tuz tolir mortels laiz,
Quant [est] purement fet en Dé,
260 Dunt ceo est dreit charité.
Ke le orrunt e lirrunt ausi
Qe il mettent amendeisum
292 Si rien i ad de mesprisun.
Ore prie jeo de quer parfunt
Tuz iceus qe cest escrit averunt
Qe il le prestent a délivre
296 A tuzceusqi le vodruntescrivre.
Ore prie trestuz ceux que orrunt
Icest escrit u que le lirrunt
Q_ei! prient Deu omnipotent (/".1 39)
264 Qe il de tuz maus me defent,
E doint ceste ovre issi parfera
Ke en droit fei le puisse trere,
E puz le curs de ceste vie
268 Od seinz estre ensa baillie.
Car ceste ovre face verement
Pur mei et pur tute gent.
Tuz nen ont pas tute escripture
272 Ne tuz n'entendent pas lettrure;
Teus les evangeles out e lit
Ke il n'entendent pas quanqe il
[dit,
E pur tuz faire e tuz entendre
276 En Deu, osai cest ovre enprendre,
Ke tuz oient overtement
Ceo qe le evangeile lur aprent;
E tuz veient en ceste escrit
280 Ceo qe le latin espant e dit.
Pur nient aillur travaillerunt :
Suffisanment ici l'orrunt.
Jeo nel di pas as clers lettrez
284 Ke sunt en seinz escriz fundez,
Mes as autres meinz entendans
Cum jeo sui meimes e asquans,
Ke ne poùm tut ensercher.
288 Mes a pein[e] le frut parer.
Dunt jeo communément tuz pri
DOMINICA PRIMA ADVENTUS DOMINI.
EVANGELIUM SECUNDUM MaTHEUM
Cum appropïnqiiasset Jhesiis Jerosolimis
et venissct Bdhjagc 1 , etc.
Jhesus vint près d'une cité
Qui Jérusalem est apelé.
E quant il vint a Bethfagé
300 Qi est al Munt de Olive,
Dunt ad des sens deus apelé :
« Alez » fet il « en la cité
« Al chastel cuntre vous levé :
304 « Une asnesse i ad lié,
« E sun asnun li est al pé.
« Quant les avérés deslié,
« Tantost me seient amené.
308 « Si nuls vous ad demaundé,
« Dites q'il e.st li surs a gré,
« Mester en ad sa volunté ; [d]
« Cil vous avérât tantost lessé. »
3 12 Icest feit ad aveiré
Ceo que fut einz prophétisé :
« La fille Syon seit nuncié
« Tis reis vient en peisibilté,
3 16 « Sur un asnead fet sun se,
« E sur le fiz al suzjugé ».
Li disciple s'en sunt aie;
Fetunt cum lur est comaundé,
320 La asnesse e le asnun unt mené
2 $4 I CoRR. xm, 8.-
se. — 309 li surs, corr.
MaTTH. XXI, 5.
: . Matth. XXI, I.
- 280 Corr., espaut ou espont; cf. 337. — 295 le, ms.
le sire.? — 317 « et super pullum filium subjugalis. »
MANUSCRITS FRANÇAIS DE CAMBRIDGE GG . I , I )
P3
E sur eus unt lur dras gellé,
Puis unt Jhesum en sun munté
E si sunt en la cité entré.
324 Li serjaunt a la gent Ebré
Encuntre lui s'en sunt aie ;
Lur dras al chemin unt getté,
Plusurs unt arbres deramé,
528 Si unt le chemin estrainé;
De tut pars unt crié,
Cil devant e cil detré :
« Osanna soit al fiz, de gré,
332 « Beneit qui vient el munde !
Ore avez 01 la lessçun,
Ore oiez la interpretacioun,
Qui Dieu nusdoint sa beneicun
336 E de nos péchez facepardoun!
Cist nun Jhesus espont « saveur»
Qui nus sauva par sa dusçur,
E Jérusalem iceste noun
340 Espant de peiz la visioun :
« Meisun de bûche » est Bethfagé,
« Miséricorde » est Olive.
La vision de saint Furseus, dont j'ai dit un mot plus haut, prend place
au deuxième dimanche après Pâques. On sait que ce récit a été incor-
poré par Bède dans son Historia ecclesiastica (III, xix). On consultera
utilement sur l'histoire de cette légende les notes de l'édition que
M. le professeur J.-B. Mayor a donné des livres III et IV de Bède (Cam-
bridge 1878), comme aussi Th. Wright, Saint Patrick's Purgaîory (Lon-
don 1844), p. 7-1 1, et A. d'Ancona, I precursori di Dante (Firenze,
1874I, p. 40-1. Voici le texte de notre ms. accompagné des variantes
du ms. de Londres et, pour les vers cités par Wright, du ms. de Trinity
Collège aujourd'hui en déficit.
Dunt il avint jadis a un prestre
Quien Knanisburch esteit mestre,
Q^uant lunges i eut conversé
4 Si se est encuntre lit cuché ;
E quant il quida dévier
Devant lui vint un bacheler.
La main li tendi, si li dist :
8 « Vien t'en od mai », e il si fist.
U ne Yoisist u ne deingnasî,
Convint lui qe ovek lui alast.
En plusurs lius si le mena
2 E mut des choses si lui mustra ;
D'enfern li mustra le parfund
E les peines qe illeoques sunt,
E puis le mena vers le ciel
16 U il vist e truva tut el;
Mes quant al ciel aprocerent
En l'eir un feu mult grant i tro-
Ly feus ert merveille grant [verent.
20 E mult orrible e mut ardaunt.
Li guiurs i est lors entrés (/. 191)
E li prestres se est arcstés.
Ens al feu li guiurs ala,
24 Mes unqes le teu nel tucha.
328 On pourrait corriger estramé, niais il y a des ex. ^/'estrayner, voy.
ledict. de M. Go.tefroy. — 235 Corr. Que. — 340 Corr. espaut ou espont.
Variantes du ms. de Londres {L.),fol. 53-4, et pour les vers 1-6 et 46-60, du
ms.de Tr. Coll. d'après Wright. — 2 L. de Gnaresbure; Tr. Ke de Can-
terbury ert m . Celte dernière leçon ne vaut rien. Il y a dans Bede (III, xix) Cnobher-
esburg, cjui est actuellement Bnrgh Castle, en Suffolk. — 11 L. E en p. I. l'amena,
— I 2 L. E multes ch. I. m. — 18 L. un g. feu mult t. — 21 /.. g. e. lores
e. — 23 L. el f. li g. entra. — 24 L. unks... ne le.
304 P.
Atant regarda il le prestre,
Si li dist: « Vien avant, mestre;
« Ja de cest fue ne te ert le pis,
28 « Fors sulement de tant cum tu
[as mespris :
t Tant arderas en iceste feue
a Cum tu as' prise nient rendue. »
Muit envis e mut pensis
32 Li prestres eins al feu s'est mis ;
Li feu de tute pars esteit,
Mes unqes point ne l'adeseit ;
Tuit cel feu vist il repleni
36 D'almes ardant od grant cri ;
E li diables les turmentoient
E l'un sur l'autre od crocs moient;
Od crocs ardans, mes fermes erent,
40 Les aimes tutsanz merci getoient:
Nul n'estoet pas par sei several,
Mes chescun ert a autri mal;
Checun ert a autri peine;
44 Si crioient a dure alaine.
Del crie, del plur, de! guayement
Ert li prestres en grant turment ;
Quant il vint el feu ben avant,
48 Es vus un diable a fort curant,
Les oiles ardans mut roelant
E de la bûche eschivout ;
Un aime ardant en son croc tint
52 E vers le prestre ad grant curs
E criout fort en sun estais: [vint,
« Di va ! prestre fel maveis,
« Pren celui qe tu as tué ! »
56 Si ad l'aime sur lui rué. (b)
L'aime descendi sur le prestre,
E si lui art li espaule destre.
L'arsun tant mal lui feseit,
60 Ce lui ert vis qe morir deveit,
Qe de arsun, qe des espuntailles.
La quida remeindre sanz faille.
Al chief del tur mut haut s'escrie
64 E de sun guiur demande aïe;
E il lui dist: « Ne vous damez;
« Tant arderez cum pris avez,
« Pos a vous deis que en cest feu
68 « Ardreit ceo qe n'est rendu.
(I Ore veez si vous cunoissez
« Cestui par qui vous ardez. »
E li prestres respundi atant :
72 « Jeo le cunusse a ma peine grant
» De lui oi a sun moriant
« Une chape, mes par sunt grant;
« Mais puis ne lui n'ai rendu tant
76 " Cum jeo lui lui en covenant.
0 E sachez qe par ubliance
t L'ai fet, e nient de voillance. »
Dune ad l'angle l'aime pris,
80 En le feu l'ad arere mis ;
L'espaule al prestre lors tucha,
E la dolur del feu en osta.
Par mi le feu l'ad amené
84 E del ciel lui ad mut mustré.
La glorie lui mustra en veir
Tant cum dust a home saveir
E puis l'ad conduit a sun cors.
88 E li prestres vesqui lors
Ke trestuz qe al cors erent
26 L. Venz a. dan m. — 28 L. F. sul. — 3 1 L. e m. est p. — 33 L. tûtes
parz. — 35 ^- omet il. — 36 L. ardantes. — 38 L. cros ruouent. — 39 L.
m. de fer erent. — 41 L. omet pas. — 43 L. Ch. esteit. — 44 L. crièrent a
dur. — 48 Trin. Coll. vint f. c. — 49 corr. roelout, leçon de L.; Tr. Coll. a
roilant £/ au v. suivant eschivant. — 49 L. eschumout. — $1-2 L. tient-vent.
— 52 Tr. omet ad. — 1,4 L. traître, Tr. treiturs. — 57 Tr. descent. — 58 L.
li arst le e. ; Tr. li ardla paume; Bide: humerum maxillamque ejus incenderunt.
— 59 L. L'a. ad fet mal li f. ; Tr. Li a. ke ad feit mal li f. — 60 L. Ceo li e.
V. m. d. ; Tr. Ceo li fu v. m. d. — 61 L. Ke d'espuntaille. — 64 L. A sun
seignur d. — 65 L. v. tamez. — 68 L. Ardera. — 71 L. respunt a. — 72
L. Jol cuneis. — -j^ L. [Jjamès p. ne I. ai. — 77 L. c'est u. — 80 L. E el fu
ad.— 82 L. omet en. — 83 L. l'ad puis. — 85 L. La g. del ciel li. — 86 L.
c. il sist a. — 89 L. Kar t. cil ki.
92
MANUSCRITS FRANÇAIS DE CAMBRIDGE (CG
Par treis jours a mort le quiderent;
E puis vesquist il lungement
E se cuntint mult seintement, (c)
Mes l'arsun qu'il el feu resust
A tut dis al cors lui aparust;
i.i)
Mien scient Deu vout ceo fere
96 Qe l'em ne deust pas niescrere.
E Sun vivant le amenda issi
Qe ore est apelee seint Furci.
30$
L'ouvrage se termine ainsi [fol, 261
Pur ceo, seignurs, pur amur Dé,
Si ben volum estre sauvé
De tluxiun de nostre charnage,
Turnum a Deu nostre curage,
Turnum a lui nostre espirit
En penser, en fet e en dit ;
Si nostre penser sulement
Ceo coveit[e] qe a Deu apent,
Certes, la char tost revendra
A Jhesum ke se ameisera.
La char ne ad force ne valur
Fors par l'espirit le sur [sic).
Ki l'espirit tent ben en Dé
Mar duterat la charnalté.
ib)
Deu nous doint issi en lui tenir
En lui vivre en lui garir
Ke sanz espiritel damage
Lui puissum servir en charnage,
Si veir eu m ceste sana
E a la fille al prince vie dona.
Ici finent les domenées
Brevement cspus [e] endité[e]s.
Ore prie tuz ke les oient e dient
Keil pur Robert de Gretham prient
Ki Deu meintenge si sa vie,
Ki par li seit en sa baillie.
Amen, amen chescun en die !
10.— Les psaumes de la pénitence traduits en vers . —Version qui a été
très répandue, non seulement en France, où elle a été composée, mais
en Angleterre'. Du Miserere on possède une autre traduction, également
en vers, dont un extrait a été publié dans le Bulletin de la Société des
anciens Textes, 1881, p. $1 .
Hic incipiunt vij. psalmi penitencic (f. 261 b).
« Domine ne in fur ore tuo, etc. » [Ps. vi]
Deu, en tes vengemens ne me pernez, sire!
En cesi siècle présent si me chastiez sanz ire;
Eez merci de mei, si me donez sauncté,
E par ta seinte lei me menz asaveté.
La mei aime est trublé e poy de senz i ay.
Gloria Patri. Beau quorum [xxxi]
Benurez set ciel {sic) a ki ad Deu perdonez
92 L. Si se c. m. sagement. — 9j L. al f. — 95 L. Men exient Deus le v.
f. — 97 L. En s. V. se a.
1. Voy. Romania, VI, 19 et XIII, 238, note 3.
Romania, XV. 20
306 P. MEYER
Le péchez qe il ad fet e les desleutez.
Domine ne in furore [xxxvii]. (vo)
Deu, en tes vengemenz ne me repernez, sire!
En ceo siècle présent si me chastiez sanz ire
De tes digne setes as mun quor féru
E pur ceo par ta main ben avéra salu.
Miserere mei Deus [h]. (f. 262).
Deuj eez merci de mei a ki tut ben se acorde,
Eez merci de mei par ta miséricorde.
Domine exaudi [ci]. (v")
Deu, oiez ma oreisun e entendez ma clamur,
Entendez ma reisun e me donez ta amur.
De profundis [cxxix]. (f. 263 y).
De grant profunde crie a la hautesce :
Receive ma voiz en gré, si me aïe e dresse.
Domine exaudi [cxlii].
Deu, oiez ma oreisun e la recevez en gré
E me otriez pardoun sulum ta vérité.
11. — Ave Maria paraphrasé. — Un couplet pour chacun des mots
de la salutation angélique: Ave Maria gratia plena. Dominas îecum. Bene-
dicta ta in mulieribus, et benedicîus fruclus venîris îui. Amen. Les pièces
de ce genre sont nombreuses ; voy. le Bulletin de la Société des anciens
Textes, i88i,p. 49, et Suchier, Denkmder provenzalischer Literaîur,
I, 284.
Ave très duce Marie, ave gloriouse, (/. 264)
Ave ros espani[e], ave preciouse,
Ave freche flour flori[e], ave graciouse,
Ave fonteingne de aïe, ave plentivouse.
Maria, esteile de mère estes appelle ;
La lune, le soleil cler de vous est alumé.
Requérez tun trecher fiz 2, mère benuré,
Que m'aime doint si guverner qe en ciel eit le entré.
1. On pourrait corriger, en vue de la rime intérieure, tun fiz trecher.
MANUSCRITS FRANÇAIS DE CAMBRIDGE (GG. 1 . I )
307
12. — Les cinq joies de Notre Dame. — Ce sujet a été traité au moins
cinq fois en vers français, notamment par Gautier de Coinci ' . Ici comme
dans un texte en prose conservé dans le ms. Digby 86 (Bodleiennei^,
la prière des cinq joies est attribuée à l'évêque de Paris, Maurice de
Sully (f 1 196). La pièce qui suit a certainement un Anglais pour auteur.
Je n'en connais pas d'autre copie.
Dt les c'inc joies Nostre Dame {l 265 a).
Vous ke Nostre Dame amez,
A ceste oreisun bien entendez.
Nostre Dame lui mult ama,
4 A seintie) Maurice les envea
Ke fu eveslce de Paris,
Qe de lui servir se eut entremis.
Par sun message lui charga
8 E lui dist e lui comanda
Ke au people le deïst
E enseignast e en apreïst ;
[Ki] chescun jour les direit
12 E devoutement le chantereit,
En l'onurance de les cink joies
Qe ele eut bien verroiz,
Sun cherfiz qe ele ama
16 De s'amur lui guerdonera ;
Ja en ceste siècle ne serra enledi
Ne enginné de l'enemi,
Ne en péché criminal
20 Ne perdera sun jornal,
Ne en curt ert faus jugé,
Ne autrement par mal ert liveré;
Femme d'enfaunt ne périra
24 (Qe) qi devoutement ceste oreisun
Ne sanz con'essioun ne murra, [dira,
Ne sa aime en peine ne serra.
Li seint angle Gabriel
28 Vint a Marie treis fiez de ciel,
E lui dist la joie premereine :
« Deu vous sauve, Marie de grâce
[pleine!
« Le seint Espirit sur vous vendra
32 E de sa vertu vous ennumbrera;
Le fiz Deu conceiverés,
En vostre ventre lui porterés. »
La secunde joie ke ele eut,
56 Geo fu quant ele enfauntout
Li fiz née sanz dolur, (b)
S[a]uve de virgineté la flour.
La tierce joie lui mustra
40 Sun chier fiz quant il releva
De mort en vie vereiment,
A lui aparust certeinement.
La quarte joie, quant il munta
44 E les apostles ensembla.
I! iur mustra cum il alout
A sun père, qe mult li plout.
La quinte joie, quant ele transit,
48 De ceste siècle sanz péril issist
E les aposteles ensembla.
Le fiz sa mère mult honura
Marie virgine gloriouse,
52 La mère Deu e sa espouse
Ki par lui li conseùtes
E après lui virgine fustes,
Sanz dolur lui portastes
56 E del leit virgine li letastes,
Duce dame, si cum jeo crei
Ke vous gloriouse portastes le rei.
Vous estes fille, vous estes mère,
Voy. Zeitschrift f. romanisclie Philologie,
Voy. la notice de M. Stengel, p. 6.
308 p. MEYER
66 Envostreventreportastes ton père, Qe de moy clamez merci.
Chier[e] mère, pur moy priez, Priez vostre fiz, père vostre;
Quant de moy serra finez, 68 Pur ceo dirrai ma pater nostre.
Ke m'aime seit en parais Qe ceste oreisun ciiescuns jour
64 Entre les angeles ou serrant assis. [dirra
Cliere mère, jeo vous prie vint jours de pardoun en avéra.
13. — L'Assomption de Notre Dame, par Herman de Valenciennes.
— Cet ouvrage bien connu se trouve le plus ordinairement réuni à h Bible
du même auteur. 11 se rencontre ici isolément comme en d'autres mss.
parmi lesquels on peut citer le ms. Bibl. nat. fr. 1822 , le ms, Libri 1 1 2
(volé à Toursl, maintenant chez M. le comte d'Ashburnham ' , le ms.
de la Bodleienne E Museo 62, et le ms. Digby 86. Dans la présente
copie, d'ailleurs fort incorrecte, manquent les deux dernières tirades,
dont l'une, l'avant-dernière, contient le nom de l'auteur.
{ci comcnce dcl assumpcioun Nostre Dame stinte Marie.
Seignurs, ore escutez! ke Deu vous beneïe
Pur sa mort doleruse ki nous dona la vie.
Bien l'avez oï, ben est ke jeo vous die:
Kant Deu fu mis en la croiz de cele gent haïe
Comanda Jhesus seignurs, a sun ami s'amie,
A l'apostle sa dame, a seint Johan Marie.
Mut par fu doleruse icele départie
Si 2 bons euvangelistes la prist en sa baillie.
Sachez qe nostre Sire mult seint Johan ama,
De sa croiz u il pendi quant a sei le apela.
Sa mère vint od lui, illoec la comanda.
Volenters la reçust e tendrement plora.
Prist sa dame en sa main, plorant s'en turna;
Al temple sunt venuz, iloec la comanda
Oveec les seintes dames qe il ileoc trova.
Ele remist al temple u sun cors travailla,
Veillaunt chescune nuit e chescun jour juna.
La reine del ciel mult ert gloriuse.
Fin (fol. 291 yo).
En kalendes de Aiist fut la dame enterée;
1. Fol. i-i I. J'ai pris copie de ce texte en 1865 à Ashburnamplace.
2. Corr. Li.
MANUSCRITS FRANÇAIS DE CAMBRIDGE (GG . I . I ) 509
Ceo sachez qe ce! jour fust mainte aime sauvée.
El val de Josaphat fu la dame posée.
De amis e de parent meinte lerme plurée.
Iceo sachez, seignurs, n'i fu pas ubiiée,
Ainz fu de sun fiz bonement visitée.
Ne remist pas enterre: en cel(e) est porté[e],
La set od ses angeles, reine est apelée,
Mult est bien servie e mult est honurée,
Issi comme vous ai dit, la raison est otrie ' .
Ore priez le seigneur ke ele vous doint sa glorie,
E le diable veintre e venir a victorie ;
Envers Deu, sun bel fiz, nous face adjutorie,
Ke le diable ne nous puisse faire contrarie,
E si nous doint deservîf la celestiene glorie
Ke nous ne seum vencu si nous tenge en memorie.
Iceo nous prist (51c) icel sire ki vit e règne en glorie.
Amen.
14. — La plainte Notre Dame. — Version en vers d'un opuscule
latin du moyen âge dont on ignore l'auteur et qui a été attribué à saint
Augustin, à saint Bernard et à saint Anselme. J'en ai signalé jadis * trois
traductions françaises en prose, et j'en connais actuellement une qua-
trième (Arsenal_, 937). De la version poétique que nous oflfre le ms. de
Cambridge il existe, dans le ms. Grave 51 de la Bodleienne5, une autre
copie un peu moins ancienne, du milieu du xiv" siècle environ. La particu-
larité de ce poèmeestd'avoir été composé en vers de seize syllabes. Sans
doute les vers ne sont pas tous réguliers. Même en faisant largement la
part des erreurs de copie, il restera fort probablement certains vers incor-
rects dont la responsabilité devra être laissée à l'auteur. Il ne faut point
s'en étonner, puisque le poète écrivait en Angleterre et dans le cours
du XIII* siècle. Mais j'affirme qu'en général on réussit, par une judi-
cieuse combinaison des deux copies, à établir un texte oii les vers sont
composés de deux hémistiches ayant chacun huit syllabes. Voici, par
exemple, comment je restituerais les premiers vers :
Pur ceus et celés ki n'entendent quant oient lire le latin
I Corr. outrée.
2. Bulletin de la Société des anciens textes français, 1875, p. 61 et suiv.
cf. 1886, p. 48.
3. N" 382 j des Catalogi de Bernard.
310 p. MEYER
Jeo ai comencé icest livre, e Deus i mette bone fin !
Jeo vei qe la letrée gent unt lur joie de seint escrit,
E quant entendent ceo qu'il oient mult en ad l'aime grant délit ;
Les lais ne sevent qu'est a dire, dunt sovent en ai grant pité,
Car ausi bien les dei amer cume les clercs en charité,
Honmes, fenmes e tute gens de siècle e de religion.
Je ne connais pas d'autre exemple bien caractérisé de cette forme dans
la poésie lettrée; quelques vers isolés qu'on peut rencontrer çà et là dans
la littérature anglo-normande ne sont pas à prendre en considé-
ration. Toutefois le vers de seize syllabes coupé au milieu n'a rien qui
répugne aux principes de la versification française. Il est au vers de huit
syllabes ce que l'alexandrin est au vers de six syllabes. Il y a toutefois
cette différence que le vers de huit syllabes était originairement divisible
en deux hémistiches, ce qui n'était pas le cas du vers de six syllabes. Par
suite le vers de seize syllabes a du être très rare à l'époque ancienne.
Mais dans la poésie populaire il est très fréquent, avec cette nuance que
le premier hémistiche a ordinairement une terminaison féminine. On en
fait ordinairement deux vers, mais il n'y a pas de raison pour ne pas
mettre les deux hémistiches sur la même ligne^ puisque la rime est un
élément essentiel du vers roman». Ainsi j'écrirais volontiers ainsi le
premier couplet de la chanson de Philippe de Savoie 3 -.
Voilés oyr chanson piteuse qui fut faite de cueur marri?
Elle fut faite en une chambre, Phelippe de Savoye la fist.
Voici le début et la fm de notre lamentation ou plainte de Notre
Dame, d'après les deux mss. :
Ici cummence H livre de les lamentaciuns Nostre Dame seinte Mariei (f. 272).
Pur ceus e pur ceis ki n'entendunt quant oient lire latin
Ai comencé iceste livre; Deus i met bon fin !
Jeo vei qe la gente lettré unt lur joie de seint escrist,
4 Car quant entendunt ceo qu'il oient l'aime en ad mult grant délit.
1 . On sait que Milà y Fontanals considérait comme deux hémistiches ce
qu'on imprime ordinairement comme deux vers.
2. Romania, IX, 473 .
3. Ms. Grave 51, fol. 69 :
Ici comcnce la passiun Nostre Dame.
Por ceous qe entendent ren quant oient lire le latin
Jeo ai comencé cet livre ; Deus i mette bone fin !
Jeo vey qe les gens lettrés unt lur joie en seinte escrist,
4 E quant entendent ceo qe il oient must ad l'aime grant délit.
MANUSCRITS TRANÇAIS DE CAMBRIDGE (GG.l.I ^11
Les lais ne sevent qe ceo est a dire, dunt sovent ai grant pité.
Car ausi bien les dei amer cum les clercs en charité,
Madies, femmes, tute gent del siècle e de religion,
8 A tuz sûmes nous docturs en tant cum fere le poùm.
Par tant, del petit ke jeo sai vous ai iceste roir.aunce escrit.
Ore licez {sic), ne puet estre qi ne ad acune délit;
Si rien oiez qe vous semble qe en evangeile ne seit escrit
2 Sachez bien qe en sun livre seint Johan apert le dit :
Car si tut fu mis en livre kancke Jhesu fist et dist,
Tut le munde n'en entendreit, tant fu[st] grant icel escrit.
Pur ceo vous pri comunement qe cest romance lir orretz :
6 Si ren oiez qe vous despleise, jeo prie nel descreez.
Rien n' i ad pur vérité, si vous die hardiement;
Le perteus(?) ne provereie si fuisse meïsmes en présent.
Seint Bernard fist iceste livre, mes poi i ai mis del men ;
Ore prium duz Jhesu ke chevir le puisse bien.
20
Ki me durra tant de lermes ke plurer puisse nuit e jour
Jeske atant qe sun serjant conforte le duz Seignur?
Peisif {sic) sui e mult dolent, si ne puisse confort aver,
24 Si li seignur debonere ne me voille conforter.
Filiez de Jérusalem, kar entendez mei devoutement ;
Deu espusez, Deu amiez, priés le entendement.
Plorom sur lui, en plurant priom nostre duce espusc
28 Ke il sa doçur e sa leauté deigne mustrer a nous tuz
Les lays ne scevent quant, ceo est a dire, dont sovent en ay pité,
Qe autres! ben les dei amer cum les clers en charité,
Honmes e femmes e totes gens de secle e de religion,
8 A touz sûmes nous doc'.ours tant cum fere le poûm.
Par unt de petit qe jeo say vous ay cete romaunce escrist.
12 Sachez qe seint Jon en son livre tut apertement le dit:
Que si tut fusl mis en livre quant qe Jésus fist e dit,
Tut le munde ne le entendereit, tant sereit grand ce! escrist.
Pur ceo vous pri comunement qo vus cete liverette orrez,
16 Si rens oiez qe vous despleyse vous pri pur ceo ne descreez.
N'i ad rens mes que vérité, ce vus afi hardiement;
Apertement le proveray par tut ou jeo fuse présent.
Seint Bernard fit cet livere e poy jeo ay mis del men ;
20 Ore piiums ly douz Jesu qe eschever le pussum ben.
Ke meyTdorra tant de lermes qe plorer pusse nuyt e jour
Deskes tant qe li sergant recomforte sun seigneur?
Pensif seu e mut merveyié, si ne puys confort aver,
24 Si le seignur debonere ne mey voylle reconforter.
Filles de Jérusalem, car eidez mey devoutement
Deu espousese amies, priez le ententivement.
j,2 P. MEYER
Fin (fol. 279 V) :
Atant se levé seint Johan e li autres li vfujnt entur,
Si le menez en la cité plus par force qe par amur.
Seint Johan l'a gardé al meuz ke il puet; beneitseit il de luer,
E tuz ceus ke la dame honurent ben a lur poer 1
Beneit seit li duz Jhesu e tut [jurs] mes seit honuré
Ke cesser ne veut jeskes a tant ke veit sa gent délivré 1
E beneit seit la duce mère kenous porta le rei de gloire,
E beneit seittresluz iceus ke sa peine unt en memorie!
Amen.
15. — Gautier de BiBLESwoRTH,'Traité pour apprendre le français
(fol. 279 c à 294 b). — Ici Gautier de Biblesworth est appelé « Gauter
de Bitheswey ». Pour la bibliographie de ce poème essentiellement
didactique, je renvoie à un article précédent de la Romania, XIII, 500 '
et quant au texte même de notre ms., on en trouvera les 86 premiers vers
dans mon Recueil cV anciens textes français, partie française, n" 37.
18. — William de Wadington, Manuel de péchés. — J'ai donné,
de cet ouvrage, dans mon mémoire sur les mss. français de Saint John's
Coll., une notice bibliographique qui doit ^être corrigée et augmentée.
Le ms. que j'ai indiqué ^ comme appartenant à la Société royale de
Londres est passé, avec beaucoup d'autres, au Musée Britannique ', où
il est coté Arundel 288. Un autre livre du même fonds, Arundel 372,
contient deux feuillets de garde arrachés à un ms. du Manuel de péchés.
Enfin j'avais négligé de mentionner le ms. Grave 51, de la Bodleienne,
dont il a été question plus haut, p. 309. Le texte qu'offre notre ms.
ne contient guère que 5700 vers, soit la moitié du poème environ. Voici
les premiers et les derniers vers :
Ici comence la Manuel de péchez Nous seit aidaunt en ceste escrit
[(/. 294 c) A vous deus choses mustrer
Dunt hom se deit confesser,
La vertu de! seint Espirit E ausi en la queu manere,
1. J'ajoute que le ms. de Trinity Coll. Cambridge, signalé ci-dessus, p. 198,
comme disparu depuis une quarantaine d'années, contenait une copie, accom-
pagnée d'une traduction anglaise (qui ne paraît pas se trouver ailleurs), du même
traité. De plus les deux premiers vers ont été écrits sur une page restée vide
du ms. Harl. 377$ (fol. 74 v").
2. Romania, VIII, 333.
3. En 183! et 1832; voir la préface du catalogue du fonds Arundel
(Londres, 1834, in-fol.), et Edw. Edwards, Lives of the Founders of the Bntish
Muséum, p. 201.
MANUSCRITS FRANÇAIS DE CAMBRIDGE (GG.I.i) ^I?
Ke ne fet mie bon a tere, Ki cestescrit vot regarder.
Car ceo est la vertu del sacrement, Primes dirroum la droite voie
Dire le péché e coment. Ke fundement est de nostre iaye,
Tuz pecchez ne poiim recunter, En quele ad doze point prové,
Mes par taunt se pot remembrer Ke sunt articles apelé,
E ses pecchez bien amender
Fin (fol. 328 c):
Ha! duce Dieu de majesté, E ciel e tere e mère fist il ensement,
Qe pot comprendre ta bounté ! Li cors de servir a l'aime si verai de-
Ki de sa grant bien pensât la sume [finement
Ke avez fet a cheitif home. [(d) Ke l'aime ne seit dampné a jur de ju-
Pur ceo priums Jhesu Crist qui fist la [gement '.
[firmament
17.— Pierre de Langtoft, Vie d'Edouard I.— Ce poème estune des
parties de la chronique en laisses monorimes de Pierre de Langtoft,
chanoine de Bridlington (Yorkshire), que Th. Wright a publiée en deux
volumes dans la collection du Maître des rôles. On en possède plusieurs
mss. plus ou moins complets, qui n'ont pas été tous indiqués par Wright
dans sa préface. J'ai signalé en diverses occasions les mss. qui ont
échappé à ses recherches î. Le ms. GG. 1. i. est mentionné dans la
préface du tome second de l'édition. Th. Wright s'en est servi pour
l'extrait de la chronique de Pierre de Langtoft qu'il a publié dans ses
PoUtical Songs of England [London, 1839. Camden Society), p. 237 et
suiv. Le titre de Brut donné dans notre ms. à la partie de la chro-
nique de P. de Langtoft qui se rapporte à Edouard I, est exceptionnel,
et n'a probablement pas d'autre raison d'être que le nom de Bruîus
inséré dans le second des vers qu'on va lire, mais ce qui n'est nullement
exceptionnel, c'est l'usage de copier comme un ouvrage complet en soi
la partie de la chronique qui concerne Edouard I. Trois autres mss.
offrent la même particularité, à savoir: Collège of arms 14 (Londres)^,
Fairfax 24 (Oxford) 4, et Douce 120 (Oxford) 5.
1 . La mesure montre assez que les quatre derniers vers ne sont pas de l'auteur
du poème.
2. Revue critique, 1867, II, 198, note 2 ; Bulletin de la Société des anciens
textes, 1878, p. 105, note i, et p 140.
5. Voy. le Catalogue de Sir Ch. Young (1829), p. 22; Fr. Michel, dans le
volume de Rapports au Ministre publiés dans les Documents inédits^ p. 76; Le
Roux de Lincy, Roman de Jirut, description des mss. p. ixxvij.
4. Le n" 5904 dans les Catalogi de Bernard.
^. Bulletin de la Soc. des anciens textes 1878, p. 140; Duffus Hardy, Des-
cript. Catal. III, n° 433.
314 p. MEYER
Ici commence le Brut, cornent H bon rei Edward gaigna Escotz e Galis (f. 328 c.)
Ky volt oyr des reys cornent chescune vesquit
E(n) le ille de Brutus Bretainne appeller feist,
E puis celé houre en sça ki gaignast ki perdist
Comment li rei de Lyns Itaille tut venquist
Fin (fol. 345 v") :
For Sectes at Dunbar
Haved et thayre gau char
Schame of thar note,
Wer never dogges there
Hurled out cl herre^
Fro coylthe ne cotte
Suivent quelques lignes latines pour compléter la page: « Quid est
celum ? Celum habet octo gaudia celestia . . .
18. — L'Image du monde. — On connaît environ soixante inss. de ce
poème, sans compter les exemplaires de la rédaction en prose. Us ont été
énumérésetsoumisàun classement provisoire par M. D. Grand, dans une
thèse présentée récemment à l'Ecole des Chartes 5. Cesmss. se divisent en
deux catégories assez nettement tranchées, selon qu'ils renferment ou ne
renferment pas certaines additions dont la plus considérable est con-
stituée par une vie de saint Brandan. La leçon de notre ms. appartient
à la catégorie des mss. « non interpolés ». Victor Le Clerc, qui a lon-
guement insisté sur cette distinction entre les deux classes de mss., est
d'avis que les exemplaires où les additions manquent représentent seuls
l'œuvre pure de l'auteur, et il suppose que la rédaction « interpolée »
est l'œuvre d'un copiste messin « qui avait du loisir et surtout un grand
amour des contes » 4. Depuis Le Clerc cette opinion est devenue cou-
rante. Je crois au contraire qu'un examen attentif de la rédaction inter-
polée suffit à montrer que l'interpolateur n'est autre que l'auteur lui-
même, qui aurait ainsi fait deux rédactions de son ouvrage. C'est ce que
j'essaierai de démontrer dans un prochain mémoire, mettant à profit,
outre les éléments connus jusqu'à présent, un ms. déjà signalé, mais non
1. Cf. l'édition de Wright, II, 162.
2. Ces vers sont publiés par Wright dans la préface du second volume,
X. ils ne se trouvent, selon lui, que'dans ce ms.
3. Voy. les Positions des tlûses soutenues par Us élevés de la promotion de 1885,
80 et celles de i88é, p. 85.
4. Histoire littéraire, XXIII, 323.
MANUSCRITS FRANÇAIS DE CAMBRIDGE (GG . I . I ) ^15
étudié, dans lequel j'ai récemment découvert des données toutes nou-
velles qui résolvent la question .
Il est notable que parmi les nombreux mss. de l'Image du monde,
plusieurs, appartenant, si je ne me trompe, à la rédaction la plus courte,
ont été copiés en Angleterre. C'est la preuve que la Petite Philosophie,
pourtant bien répandue, ne suffisait pas à satisfaire la curiosité de ceux
qui voulaient acquérir, sans recourir aux livres latins, quelques éléments
de cosmographie et de géographie. •
(Fol. 346) Ccst livre de clcrgu en romaunce qi est appeliez Ymage dumounde
contint par tut Av. chapitres e .xx. e .viij. figures, saunz qi le livre ne purreit pas
estre légèrement entenduz^'qi est devisez par treis parties (suit la table des rubriques).
Ki veot entendre a cest livre (f. 347)
E savoir cornent il deit vivre
E aprendre tiel clergie
Dunt meuz vivera tout sa vie,
Si lise tut primerement
E après ordeniement,
Si qu'il ne lise rien avaunt
S'il ne athent ceo q'est devaunt.
Einsi purra le livre entendre
Qe autrement ne pot nuls emprendre.
Fin (fol. 289 c] :
E la joie de paradis
Q_ue Dieu nous otroit a tut dis
En qi toute pité habounde.
Issi finist l'Ymage del mounde ;
A Dieu comence e a Dieu prent fyn,
Que ses biens nous doint a la fyn.
[Amen.
Vous qe aviez oï l'escrit
Del fiz Dampnedeu Jhesu Crist,
E puis del mounde que Dieu forma
De Dieu parloms au commencement.
Ky veot entendre a cest romaunce
Si poet entendre a cest comaunz.
Graunt partie de la laiture
De! mounde, cornent par nature
Fu fet de Dieu e acompliz...
E de toutes les vertuz q'il ordina,
Qe par cestui poez aprendre
Qi del siècle volez entendre,
Queu cbose soit e coment ceo est, (d)
En ceste figure compris est ;
Par ceste dereine figure
En poez bien veer la faiture,
Qe ici devant vous escrit est
Coment li firmament fet est '
19. —La bonté des femmes. — Plaidoyer habilement tourné et vive-
ment mené en faveur des femmes. L'objet de l'auteur a été principale-
ment de réfuter les pièces dirigées contre le sexe faible qui abondent
dans notre ancienne littérature ^ Sa discussion juridique pour prouver
1. La figure annoncée par ces derniers vers occupe le r» du fol. 390.
2. Voy. la liste que j'ai dressée des pièces contre les femmes, Remania, VI,
499-500.
?l6 p. MEYER
qu'Adam fut plus coupable qu'Eve est véritablement curieuse. On remar-
quera le passage (vv. 126-143) où il s'inscrit résolument en faux contre
les récits selon lesquels Salomon, Sanson le fort et Absalon auraient été
trompés par les femmes. Il est permis de croire que ses dénégations ne
visaient pas la source première et respectée de ces récits, mais qu'il
pensait à ce passage du Blâme des femmes :
Neïs H sages Salemon,
Qui de bien et si grant foison
Que plus sages de lui ne fu,
Fu par safamedeceiiz;
Ausi refu Sanson Fortin '
ou quelque autre du même genre, car ces exemples de la tromperie des
femmes étaient passés à l'état de lieu commun^.
L'auteur était anglais: sa langue le prouve comme aussi la mention
(v. 24) de Westminster et delà Tour de Londres.
Il existe parmi les mss. du collège Saint-Jean, à Cambridge, une copie
fautive et abrégée de notre poème : j'en ai publié, ici-même, VIII, 334,
environ 80 vers dont je rapporterai en note les variantes utiles. Là où ce
secours m'a manqué, le texte reste souvent inintelligible.
Ci comence du bounté des femmes (/. 590 c).
Cil fableùrs trop me grèvent Dount iur loaunge creistra.
De rimer, qe ne sevent b Bien eit qe moy escutera !
Rimer, counter for de fable.
4 Escutez un dist creable: fsunt
De dames e de damoiseles Quant que sunt nez e a nestre
Vous sache dire tiei noveles Saluz trestuz de quor parfount;
^i. Je cite d'après Bibl. nat. fr. 1593 fol. 153 c Pour d'autres copies du
même opuscule, voir Romanïa, VI, 499 et IX, 436.
2. Cf. ci-dessus p. 219 le Facetus catalan, v. 1627-8. Dans un ms. du
xv siècle je lis ces vers qui peuvent remonter auxiv«:
Par femme fut Adam deceu.
Et Virgiles moquez en fut;
Ypocras en fut enherbez,
Senson le fort deshonnorez;
David fit faulx jugement
Et Salemon faulx testament;
Femme chevaucha Aristote :
Il n'est rien que femme n'assote.
(B. N. lat. 4641 E, fol. 142; ces vers se retrouvent ailleurs: voy. Bulletin
des anciens textes, 1876, p. 129.
Pour d'autres textes plus ou moins analogues, voir l'article de M. Tobler
sur l'empereur Constantin, Jahrb. f. roman, u. cngl. Literalur, XIII, 104 et suiv.
Pour la fable de la temme de Salomon, voy. Romania, IX, 536 et X, 626.
6 S.-J. V. en dirray. — 9-18 Pour ces dix vers il y en a trois seulement dans
MANUSCRITS FRANÇAIS DE
Trestuz saluz les maund
1 2 Corne leaus e fin amaunt,
E come profès en le ordre.
E me veille, sachez, amordre
De combatre pur fin aniur,
i6 QMl n' i ad for douce odur
E doucement, sachez, en fleire.
Bone amur, qe est deboneire,
Me ad prié devoutement
20 Pur estre gardein de covent;
E pur défendre la meisoun
Su devenu lur champioun
E lur countur e lur provostur
24 A Wesmouster ou a la Tour,
Tort e force maintenaunt
Encuntre chescune mesdisaunt
Pur les chivale[r]s al issir
28 E pur les dames al revenir.
Mes ja de l'eil en parlerom;
Ne isterai de la meisoun
De cunsail prendre avaunkant(?).
j2 Meintenant veez ci mon gaunt:
Pur l'amur nostre Sauveur
Qe fistafemme taunt de honur
Qe une pucele salua
56 Par sun angle k'il enveia.
Le noun Eve fu tost turné, (d)
Qe de Eve fist l'angle ave.
« Dieu vous sauve, Marie
40 i De grâce replenie;
« Li sires est en vous.
« De touz femmes qe sunt
« Par my ceste mounde
44 « Beneïte seez vous,
« E beneit seit le fruit
(I Q^en vostre ventre crut,
47 « Jhesu le très douce b. Amen.
CAMBRIDGE (GG. I . l) ^7
E ceofu, sachiez, le douce salue
Dount nous avint tut le prue.
Beneit seit le hure q'el nasqi!
51 Desprisonés sûmes nous par H;
Qe femme porta le raunçoun
Qe nous reint de enfernal prisoun.
Par femme est la dei'té
55 Joint a nostre humilité.
Qe vout les estories cercher
Apertement porra trover
Qe Dieu ad fet plus grant honur
59 E mustré greignur amur
A femme par sa curtaisie
Qe a home que soit en vie.
Nostre Seignur, bien dire le hos,
63 Si fist Adam e Eve de un os;
Os saunz char en sei est pure,
Seec e nette, redde e dure;
Os est blaunche come flour de
67 E Adam qe fu fet de tay, [may.
De vile tere, ceo dist lescrit;
Conment purroit estre parfit
Chose fet de purreture?
71 Ceo serroit encuntre nature;
Dount jeo vous [di] pur jugement
Qe femme est natureument
Braunche, necte e fin épure.
7S E de ceo très bien moi assure
[(/. 390
Qe home qe fu fet de bowe ;
A la barbe e a la jowe
Poez bien veer la matire,
79 Chescune quinze jour a reire.
De barber e de hoster le ordure.
Femmes deivent par droiture
Eestre (sic) fines e creables
8j E de lur cors plus estables
22-3 S.-J. son, au lieu de lur. — 2/^11 y a entre 2^ et 2^ deux vers de plus
dans S.-J. — 25 S.-J. T. et fort. — 29 S.-J d'eles ne. — 31 S.-J. a nul vi-
vant. — 39-47 ^'î li^çon de S.-J. est tout autre. On a introduit ici la salutation
angêliijue telle quelle se trouve un peu plus loin {ci-aprls art. 22, p. 322) dans le
même ms. — 51 Ms. ici et ailleurs sum9, qui serait, selon le sens ordinaire de
l'abréviation, sumus, mais on trouve aussi sûmes. — 53 II y a réellement remt et
non reint. — 6; S.-J. Fist A. de tay e E. — 6^ S.-J. Et forte en sei, pure et
d. — 74 S.-J. Blaunche. — 76 Le second qe est omis dans S.-J.., sans doute
avec raison. — 81 Ms. devient.
3i8 p. M
Qe nul homme qe l'em trove ;
Meintenaunt veez ci la prove.
Sachez li femmis nous donassent
87 E de aturs nous priassent,
E nous donassent beaus douns,
Si corne nous a eus fesoms,
N'i avereit frere ne cordeler,
91 Jacobin ne hospiteler,
Heremite ne grey moigne
Ne chivaler, saunz essoigne,
Si une dame cointe e sage
95 Ly dounast de bon courage,
E poit a luy venir sovent
E lui acoler doucement,
E a la fiez en un bea lit,
99 E la dame ust bon délit
De li beiser e acoler,
Iço vous di bien, un chivaler
Freit adunk plus tost un saut
103 Ke une dame, si Dieu me saut.
Par ma vie e par ma mort,
Femmes ount dreit, nous le tort.
Remembrés vous feire justise
107 Deceste prove en toute guise
Qe jeo ai devaunt vous cy prové,
Qe vous ne seez reprové.
Si jeo poi mil aunz vivre
1 1 1 Assez en averoie a matire
Pur p[ar]ler de lur boneireté,
E de lur bounté e de humilité, {b)
Si ne deit pas estre celé
1 1 5 Entir lur biens lur grant beauté;
Que teus i sount qe plus pleise-
[runt
Lur beauté qe lur biens ne fount.
Mes quant ces deus sontensemble,
1 19 Dunkeest tuit bone, si me semble.
Femme e angle unt un façoun ;
Moût i ad bon comparisoun:
Façoun de femme est de grant pris,
123 Vermaille corne rose, blaunkecom
Lur bouche savure a beiser [lyz,
Plus ke gilofre a manger.
Ceo qe l'em dit qe Salomon
127 Samson le fort e Absolon
Furent par lur femmes deceùs,
De ceo ne seez pas ennuy[u]z,
Tuit seit ceo en livre escrit,
1 3 1 De fableie se entremist
Qe primis fist celé escrivere;
L'em trove meinte chose en livre
Ou i n' i ad for divinaile.
135 Ceo fu fable tuit sanz faille.
Honny seit ore li escrivein
Quant a sun gré mist la mayn
Tiele mensoigne mectre en livre:
1 39 11 fu hors de sen ou yvre
U très mauveis rescriveyn(e),
De ceo sui bien certein(e)
Qe ascun(e) mauveis(e) li fist fere
143 Qe a femmes fu contrere.
Morir pust il desconfès
Qe trop vers femmes seit engrès !
Qe vilein dist en reprover :
147 Celé oysel eit mal encumbrer
Qe foule soun demeinenye.
Ore orrez pur quel le vous die,
Qe ceo ne put dedir nuls,
i\i Qe de femmes ne fumes issus: (c
Dune est femme ny a home;
Si come de le fut crest la poume,
Si crest l'enfaunt naturelment
155 De la mère, ore di coment :
Susceptum semen sex primis, crede, diebus
Est quasi lac, reliquisque .ix. fit sanguis ; at illud
Consolidât duodenadles, duo nona dices (?) ;
Effigiat, tempusque sequens producit ad ortum.
86 li, corr. se. — 99 Corr. 0? — 124-5 Cf. dans une autre pièce sur lemcme
sujet {Wright, Reliquias antiquaj, II, 219): De femme plus savoure un beiser j
Que plein poyn de lorer.— 147-8 Prov. cite dans Us mêmes circonstances par
Robert de Blois dans le morceau publié Remania, VI, 501 (v. 25-6). Pour l'au-
teur de ce morceau voy. VI, 637. Le même prov. existe en anglais.
MANUSCRITS FRANÇAIS DE CAMBRIDGE (CG . I . T
V9
Herbergezsumesdedeinz lurflaunc,
De els ewom char e saune.
Ausi nurrist femme home
I ^9 Come arbre fet peire ou poume.
Ni est dune encuntre nature
Si le fruit deit l'arbre destrure?
Fruit ne poet sanz l'arbre cres-
[tre.
163 Sanz femme ne put nul neestre,
Mes sanz home, come dit l'escrit,
De femme un home nasquist ;
Dune puis dire par de sa
167 Ke dunkes home ne l'adessa.
Si Jhesu Crist l'ust destené,
Le siècle pout estre estoré
Sanz home e de femme crestre,
171 Mes de home ne put nul nestre.
De femme feseit Dieu sa mère,
Ne fist pas de home sun père;
E dune devom plus obeier
1 7 5 Femme par droit e bien server
Qe'^nul home qe soit vivant,
Ja ne seitil si puissaunt.
Femme deit averseignurie
179 Sur toute rien qe seit envie;
Ciel e tere, quaneke li apent,
Deit estre a sun comandement
Volez ore saver pur quoy ?
183 Sun fiz est si puissaunt roy
Qe tuz rois sunt a li entendaunt.
Ne ad dunk femme poer grant
Qe tiel roy put sun fiz clamer,
187 Qe tut le mounde ad en poer?
E par nature dreiturere
Qe fiz obéisse a sa mère ,
Dunk pertiI,mèsjeone[l]. dimye,
191 Ke femme ad Dieu en sa baillie.
Ne ad il donke a quoer la rage
Qe fet a femme nul outrage,
U que li trespas en fet ou en dite
19 j Pur la vengaunce de sun fiz ?
Garde sei petit e grant
Qe de femme ne soit mesdisaunt
La vengaunce fet a douter
199 Del fiz qe ad si grant poer
Honurez les sur toute rien,
Ja ne troverez mes ki bien,
Ke eles bones e douces sount;
203 Ceo est tuit la joie deeeo mounde.
De lur bounté ai aukes dit,
Mes ma lange pas ne sufï(r)ist,
Si jeo fuisse eserivein bon(e)
207 Ausi sage corn Salomon(e),
E vivereit tuz jours saunz fin,
Ja en romaunce ne en latin
Ne serroit counté ne dit
21 1 Bounté de femme ne descrit.
Ceo qe home dist que héritage
Perdimes tut par utrage
Eve, ceo est trestut faus,
2 1 5 Qe nienz devum recter ceo maus :
Si di(e) qe Adam plus trespassa
Quand il de la poume manga.
Ne fetis ja pur eonsaillur
219 Rien qe tourne a deshonur,
Jeo su certein(e) pur le trespas
[(/• 392)
Eve Adam ne perdi pas.
Pur le furfet [de] la mulier
223 Deit home nul disheriter?
Ne ley escrit, ne vout pas [pas.
Qe homecomperge autrui t[rjes-
Quant Eve hust le fruit mangé,
227 Si Adam se fust bien purpensé
E sei ust détenu eom(e) sage
Tenu eùst sun héritage;
Dune di jeo qe tut[e] sa peine
231 Li vint par sun trespas demeine,
Dune ne put, sachez, remeidir;
Que de Adam devum tuz pleidir.
204 On trouvera dans la Romania, VIII, 535 les vers 204-11 et 294-5 tjui
forment, avec deux vers que n'a pas le ms. GG, la fin du polme dans le ms. de Saint
Jean. — 201 Corr. n'i ... ke. — 208 Corr. vivereie; S.-J. E vivere puisse.
320 p. MEYER
Recter devom, si a li noun ,
2J5 De nostredeserteisoun, 271
Qe femme deit estre escondite
Par ma reisoun avant dite.
Si Adam ust fet come sage home
239 A Eve dut détendu la poume, 275
Si come ele fust a li suget,
E ele n'ust, sachez, pur nul abet
Del serpent la poume mangé
243 Ne si hardi de aver atuché ; 279
Ne cru le maufé tant ne quant,
Mes Adam qe fu si sachaunt
Etrestut plein de science
247 Qe encuntre sa conscience 283
E encuntre le tut puissaunt,
Come ust esté un enfaunt,
Crust le malfé, e tost receust,
251 Par consaille le serpent le fruit. 287
Ore seit qe Eve le consenti :
Pur bien le fist, e entendi
De fere bien saunz malice ;
255 Si come le serpent le entice, 291
Ele entisça Adam, dist leescrit,
Sanz plus dire fors un(e) petit.
Ceo est la lorce qe li a': {b)
259 Eve enticyt, Adam le manga; 295
E pur ceo puse bien prover
Qe Eve ietmeins a blâmer.
Endreit de ceo primer péché,
263 Si Eve fust mal entecché, 299
Par defaute de nurture
De Adam qe l'aveit en cure
De chastier e aprendre,
267 Par la reisoun voil défendre 303
Eve, eque Adam out le tort.
Si vous ussez un homme mort
E fuissez ore accoupé
Devant justise e amené,
Dirroit le justise : « Amys,
« Avezvous cest(e) home occis.?»
Vous qe ne poez dédire, [sire.
Li respoundreit: « OyI, beau
« Mes jeo vous di certeinement
0 Qe ceo fu par enticement :
« Robert, Willeam ou Wauter
« Moi conseillerunt e Roger
« A tieu jour celé home occire. »
Quel dite vous, beau douce sire. ?
Serra celui pur ceo sauvé
U celé gent par li dampné,
Tut par sun simple dist? Nanil !
Au conseil(e) du roy venent mil ;
Chescun dirra sun avis,
E quant li rois avéra tuit enquis
Qei cil ad dit e cil e cil,
Si prent le bone e lesce le vil;:
Ja n'ert celui pur ceo dampné
Ne de conseil le roy osté.
Si la reisun peut suffire,
Unke n'ad mester de plus dire.
S'il i ad nule qe sei délit
Bounté de lemme aver escrit,
Ore a[i] jeo aukes recunté (c)
De lur beauté e de lur bounté,
Se vous di(e) to(s)t outre[e]ment
K[eJ il mentunt tut hautement.
Ke de femme rien niesdie,
Dieu lur doint malencolie,
E Dieu lur doint grant meschief.
Mal en bouche, mal enchiet,
E [la grant anguisse de deinz,
E mal dehors e ma[l] deinz !
Suit immédiatement :
Diabolus quosdam mordet per suggestionem, quosdam fedat per delectationem,
quosdam vulnerat per consensum, quosdam dévorât per operacionem, absortum
revocat per miseracionem.
239 dut, corr. eust. — 258 sic, lis. q'el i a. — 275 Corr. respoundreiz.
MANUSCRITS FRANÇAIS DE CAMBRIGE (GG.1.1) ^21
La pièce suivante paraît être un résumé des arguments théologiques
en faveur des femmes.
Mulier prefcrlur viro, s[cilicet] :
Materia. Quia Adam factus de limo terre, Eva de Costa Ade. {Cf. vv. 62-80).
Loco. Quia Adam factus extra paradisum, Eva in Paradiso.
In conccptionc. Qnh mulier concepit Deum, quod homo non potuit. (Cf. vv.
165-6).
Apparicione. Quia Christus primo apparuit mulieri post resurrcctionem, scilicet
Magdelene.
Exaltalionc. Quia mulier exaltata est super choros angelorum, scilicet beata
Maria.
Quoique ces lignes latines aient déjà été imprimées ici-même ^Vl, 501),
j'ai cru utile de les reproduire afm de pouvoir indiquer par des renvois les
rapports qu'elles offrent avec notre poème. Ajoutons que plusieurs des
arguments ici résumés sous une forme scolastique se trouvent ailleurs en
core: dans Robert de Blois (/. /.), dans le commentaire de Francesco da
Barberino, oij se lit cette sentence, attribuée à la comtesse de Die, que la
femme est plus noble que l'homme « quoniam vir de humo et terra lutosa
« creatus seu formatus extiterit, femina vero de nobilissima costa humana
<( jam mundificata Dei presidio, quod ex utriusque manus lavatione pro-
« babat' » ; dans le poème de Serveri de Girone', etc.
20. — Le Credo paraphrasé en vers. — Cette pièce et les deux qui
viennent après font immédiatement suite sur la même page (fol. 392 v°)
au morceau latin qui précède. La paraphrase du Credo en douze vers
ne se rencontre point ailleurs, que je sache. Je crois que l'auteur, évi-
demment anglais, a eu l'intention de faire des vers de seize syllabes,
cf. plus haut, p, 309, art. 14.
Credo in Deum.
Jeo crei en Dieu tait puissaunt père qe cria ciel e tere,
E qe Jhesu nostre sire est un soûl fiz au puissaunt père,
Qe conseu fust del seint Espirit e de la virgine Marie né.
4 Peine e passioun suffri pur nous e en la croiz fu attaché,
Mort estoit e enseveli e en le sepulchre reposa,
En enferns descendit, le tierce jour releva;
Le ciel mounta ou siet a destre Dieu sun père tut puissaunt ;
8 De illuc vendra pur juger mortz e vifs^ petitz e granz.
1. A. Thomas, Francesco da Baiterino, p. 173. — M. Thomas propose
de corriger comparatione^ mais le passage, bien qu'obscur, ne semble pas appeler
de correction.
2. Suchier, Denkmaler^ 1, 261.
Romanla. XV. 21
322 P. MEYER
Jeo crei ausi en le seint Espirit e tut la seinte cristieneté,
Le sacrementz de seint Eglise e pardoun aver de pecché,
Qe tuz releverunt a drein jour e serrunt lors jugés,
12 E la vie pardurable qe Dieu nous graunt par sa pité. Amen.
21. — Le Pater paraphrasé en vers. — Il est visible que cette para-
phrase a été faite en Angleterre. Les fautes contre la mesure sont nom-
breuses et résistent à la correction ; certaines rimes sont purement
anglo-normandes. Une autre version, ayant la même origine, sera publiée
plus loin d'après le ms. GG. 4. 32. On connaît en français d'Angleterre
et du continent d'autres traductions ou paraphrases en vers du pater, voy.
La Bible française de M. S. Berger, p. 25-6 et ma notice du ms.
Phillipps83 36, n° 47, [Romania, XIII, $54).
Dominica oracio. Hui nous donez pain jurnel;
Reieissez trespas a peccheurs,
Père qe as en ciel sojourn, Si corne nous fesums a nos nuisors.
Seintefié seit toun noun ; Ne suffrez pas que seum encumbrez
Tun règne nous seit prest(e), Par temtatioun, einz délivrez
E ta volunté seit fet Nous de tuz maus par ta mein.
Ci en tere corne e[n] ciel. Geo nous grantés, sire, Amen.
22. — L'Ave Maria en couplets coués. — Cette courte pièce débute
comme un autre Ave Maria, également en couplets coués, qui se trouve
dans le ms. Phillips83 36; voy. Romania, XIII, 526. Les deux premiers
vers seulement sont identiques de part et d'autre. Je ne connais du
texte qui suit qu'une autre copie, celle qui a été introduite dans la Bonté
des femmes (ci-dessus, nMç, p. 317, col. i).
Li Sires est en vous.
Ave Maria
Dieu vous sauve Marie
De grâce replenie,
De tut femmes que sunt ) „ ., ,
n . j i Beneit seez vus !
Parmy ceste mounde
E beneit seit le frut
K'en vostre ventre crust,
Jhesu li très duz! Amen.
23. — Pronostics. — Les pronostics exprimés dans le poème qui suit
se rapportent aux événements généraux de l'année, et particulièrement
aux saisons, aux récoltes. J'ai disserté en une autre occasion' sur ce
1. Bulletin de la Soc. des anciens textes, 1883, p. 84 et suiv.
MANUSCRITS FRANÇAIS DE CAMBRIDGE (CG . 1 . I ) 32^
genre de prévisions, et j'ai montré qu'elles se divisent en deux séries,
qui se distinguent par leur point de départ, la conception générale restant
identique. Dans toutes ces prédictions l'idée commune est que les événe-
ments de l'année qui va s'ouvrir sont déterminés par la co'incidence
d'une date fixe avec tel ou tel jour de la semaine; dans les prédictions
de la première série cette date est le premier janvier, dans la seconde série
c'est le jour de Nocl. Les unes et les autres sont souvent placées dans
les mss. sous le nom d'Ezechiel, ou sous celui d'Esdras. Ici la coïncidence
est établie avec le jour de Noël. J'ai publié, dans la dissertation précitée ',
un texte latin qui appartient à la même série et offre avec notre poème
des rapports étroits, sans que je puisse affirmer qu'il n'existe pas du
même texte latin quelque variante encore plus voisine de notre petit
poème. J'ai aussi indiqué trois rédactions françaises en prose de ces pro-
nostics dans des mss. de la Bibliothèque nationale; j'en pourrais signaler
bien d'autres. Citons seulement celles qu'offrent le ms. EE. i. i. de
l'Université de Cambridge (fol. i) et Phillipps 4156 (fol. 183).
La rédaction en vers que nous offre notre ms. est indubitablement
d'origine anglaise. La versification en est extrêmement faible. L'auteur,
tout en se proposant de faire des vers rimant par paires, n'a pas résisté
à la tentation d'aligner de longues séries de vers en unt. Il faut dire que
le sujets'}' prêtait singulièrement. L'opuscule est précédé d'une rubrique
envers, circonstance dont j'ai déjà cité d'assez nombreux exemples dans
la poésie anglo-normande, voy. Romania, XIII, 521. Une autre copie du
même texte nous a été conservée par le ms. 59 de Corpus Chr. Coll.,
Oxford ;fol. 1 16). J'en donne les variantes. Elle contient la même rubrique
que le ms. de Cambridge.
Ci comence la rcison Veals, pecunie, forment crèstrunt;
Del tais de l'iln{é) e de la seisoun Mult par ert, cel an, bon blé;
E des koures queus i senunt 8 De mol avérez a graunt planté;
E des au[n]tures2 qe avendrunt. Curtiis e gandins fructiferunt;
Pees et concorde cel an serrunt.
Quant pardimaine avez la Nati- Cel an ert fet nieinte larcin(e);
[vite, 12 Veuz homes murrunt sanz fin(e).
Idunc avérez bon an esecche esté, Le(s) plus de femmes que cel an
Ver e iver bon e moût ventouse; [murrunt
4 Vignes erent moût plentivuse; Par jur de dimaine finirunt,
Uailes cel an multiplierunt; Ki cel an rien comencer vodra
1. P. 88, note.
2. C'est l'ancienne forme anglaise à'avenUire ; voy. James A.H. Murray,
Dict. hist. de l'anglai.s, sous adventure.
j c omet e et moût. — s C Owayles. — 7 M. p. serunt bon li blé. — 8 a.
mut g. p. — 9 C. g. multeplierunt. — 10 an fet s. — 12 m. sel an sen fin.
324
i6 Saunz failler finir le purra.
Les enfantz qe cel an nestruni
Grantz e fors e beaus serrunt.
Quant par lundi avérez la Nativité,
20 Cel jour avérez commun horré.
Le tensde ver avérez ventous^e),
Secche estée tempestus(e);
En aiist avérez maen horré,
24 Ne bien secche ne bien moillé.
En plusurs lius orrez medlé
De(s) chivalers grant plenté.
Mult mères cel an plurunt
28 Pur lur enfanz qe els perdrunt,
Cel(e) an avérez graunt gelé,
E plusurs princes finerunt lur es.
Vignes avérez menement.
32 E grant mortalité de gent.
Les plusurs de gentz qe murrunt
Jeuvenes e petiz enfantz serrunt.
Ki cel an neistrunt hardiz e fortz
[serrunt
36 Mèsees e pecunie perirunt. (t)
Ki nul bien volt commencer
Finir le poet saunz desturber.
Ki par Lundi enmaladira
40 De celé maladi bien tost garra;
U ki par Lundi avéra riem emblé
En icel an ert retrové.
Quant la Nativité ert par Mardi,
p. MEYER
44 Sachez, pur veir le vous die,
Iver avérez graunt e tenebruse,
Od neif e od diluvie tempestuse.
Ver e esté moist serrunt; [runt
48 Aiist ert secche, mes feins peri-
E pecune cel an descrestrunt;
Nefs en mer mult perirunt,
Grantz pestilences icel an serrunt,
^2 Fruiz e curtils apparirunt,
Reis e princes perirunt.
Cil qui les vignes edifierunt.
Cel an femmes murrirunt
^6 De lur travaille mult perdrunt;
Enfanz qi cel an neistrunt.
Fors ecoveituse serrunt.
Ains jusques parvendrunt
60 A grant âge qi dune nestrunt.
Quant la Nativité ert Megerdi ,
Sachez qe vers le vous di,
Iver dur, ver ventouse
64 Avérez moist, moût nuouse;
Mult avérez edunc bon esté,
E aust avérez bien atempré;
Cens de vignes mult travaillerunt
68 E ees meinement mel averunt.
Quant par Judi ert la Nativité;
Mult avérez bon an e bon esté,
Ver avérez bon e ventouse,
72 Profitable nent e ennuieuse;
Vin e mel habunderunt; (c)
16 San fayle. — 20 Sel ivern a. — 21 Le t. de ivern. — 23 Esté sec et tempes-
tious. — 23 meint orée. — 26 De ch. g. asemlé. — 27 Mutes m. — 30 E
omis. — 33 Le plus detens, — 35 hardiz e omis. — 36 eus en pecunne p.
— 37 Ki n. b. sel an vodra. — 38 le porra.
40 de cel mal. — 41 ki, riem omis. — 42 returné. — 44 Sertes verement
vus di. — 46 e omis. — 47 moyte s. — 48 sec fint p. — 49 E p. desterunt,
avec n au-dissus de ie. — 50 E nef. — 5 1 Dans C: l'ordre des vers est 50, 53,
^5, 54, 56, 51, ^2, 57. — 56 travail femme p. — 57 Seus ke. — 59 Ainz
unkes avendruni ; corr. Avisunques (cf. S. Alexis, 115 e,et la note de G. Paris).
61 ert par mecredi. — 62 Sertes je le vus di de fi. — 64 m. et annuius. —
65 edunc omis. — 66 E, bien, omis.
67 Gens de vines mut travailent
Gardins en plusurs liu[s] failent
Uwailes, peunies défunt (?)
Etes et mel memement (sic) averunt.
69 avérez la. ■ — 72 P. et nente.
MANUSCRITS FRANÇAIS DE CAMBRIDGE (GG . 1 . I ) 325
Des plus grantz crétines serrunt. E boefs e vaches issi frunt.
Cil qi en cel an nesterunt [runt.
Quant la Nativité ert par V'en- 92 Fors e luxurieuse pur veirs ser*
[dcrdi,
76 Sachez, verraiinent le vous di, Quant la Nativité ert par Samedi
Iver avérez merveilleuse, Iver avérés trubles, le vous di,
Mult pesaunt e ennuiuse, Esté bon, ver ventouse,
Ver bon e secch esté, 96 Aùst moist e travailleuse.
80 E de furment graunt marché. Veuz home cel an murrunt,
Dolur des oez mult serra E blees par lius chiers serrunt.
Entre la gent qe moul demurra; Mult femmes habunderunt.
Aust ert secche e assez de blé, 100 En cel an mult nesterunt;
84 E de vin, sachez, a grant plenté; Neifs e craitines multiplierunt.
Petiz enfanz mult murrunt, [runt, Roseez e pluvies grans serrunt,
Batailles de chivalers mult er- E ees forment descrestrunt,
Estranges noveles parorrez 104 Car poi de bien coillerunt;
88 Entre princes e coronez. E cil q'en cel an ncstrunt
Ouwailles cel an perirunt, Ains unkes bons serrunt.
Le reste du fol. 593 et les fï. 394 à 399 a sont occupés par divers
morceaux latins dont je me contenterai de donner ici une brève indica-
tion : 1° « Qiiando puer nascitar. Si natus fuerit homo die dominica... »
Pronostics tirés du jour de la naissance. — 2" « De etate hominis. Prima
« etas infancia. .. » Division de la vie de l'homme en six âges. — 5''\< De
a sanguinis minucione. Quarta luna bona... ». Jours de la lune oij il est
avantageux ou périlleux de se saigner ou de prendre médecine, —
« 4° « Denceptionemedlcinarum. MenseJanuariosanguinemnonminuas...»
Il est question des endroits où il faut pratiquer la saignée, selon les jours
de la semaine. — 5° « De tonitmo experimentum. Mense Januarii si lonitrus
« sonuerit... » Pronostics tirés du tonnerre. — 6° « Sententie
« Danielis hec sunt: Arma in sompno portare... » Signification des
songes. — 70 « De sacramentis ecclesie. Quotsunt sacramentaEcclesie... «
On voit que la plupart de ces morceaux ont trait à des superstitions
qui ont été très répandues jusqu'à une époque voisine de la nôtre. Il n'y
a pas d'utilité à publier ici ces petits textes isolément. Ce sont des
« matériaux », dira-t-on. Mais des matériaux trop dispersés courent bien
74 De plues g. — 80 g. plenté. — 82 m. muera (.?) — 83 sec aset ert b.
— 84 v.mut g. p. — 87 par tere verret. — 88 e omis. — 91 pur veirs omis.
— 94 trublus de fi. — 95 Ivern esté et veir e tayus (?) — 99 femmes mut.
— 100 mutes n. — 101-2 Fustens (?) et plues mut serrunt | Neifs e tertines
abunderunt. Au v. 102 traitine ou tertine doit itre corrige crétines. — 104
quiller porrunt. — io$ Icil ke sel an. — 102 Enviz unkes bon s.; corr.
Avisunkes, cf. v. 59,
}26 p. MEYER
risque de ne pas trouver qui les emploie. Je forme depuis longtemps un
dossier des pièces de ce genre que je rencontre dans mes recherches.
Le nombre en est déjà considérable, et j'en ferai quelque jour un volume.
24. — La légende du bois de la croix — Récit qui se rencontre sous
une infinité de formes. J'en ai signalé quelques-unes, il y a bien des
années, dans un compte rendu critique du Mystère de Jésus édhé eltradmt
par M. de la Villemarqué '. Depuis le sujet a été repris et étudié avec
autant d'érudition que desagacité par M. Mussafia2,par M. W. MeyerJ,
enfin par M. H. Suchier^. Toutefois il reste encore beaucoup à dire
sur certains points, notamment sur l'histoire de la légende dans la
littérature française. Il y aura lieu de distinguer les rédactions en prose
et en vers, et d'examiner ce qu'on trouve sur ce sujet dans les compi-
lations, notamment àansVlmage du monde. Pour ce moment je me borne
à dire que la version conservée dans le ms. GG.i.i., caractérisée surtout
par son prologue, n'est pas celle qu'on rencontre le plus fréquemment
dans les mss. J'en signalerai une autre copie dans le ms. 0. i. 17.
ff. 275 v° à 279, de Trinity Coll. Cambridge. Voir aussi Fr, Michel,
Tristan, I, lvii.
Ici comcncc la romance dd scinte croyz e de Adam nostre prcmcre picn (f. 399 ^).
Qui vodra saver e oyer de la verrai croiz, dunt ele vint e de quel fut ele
crust, e come longement le abre fu vert, e qi le porta à Jerl'm, met enver moy
amiable entente, e jeo lui cuntera[i] la vérité, solum ceo quel'em trove en escrit
en ebru une partie e grant partie en latine.
Adam nostre prumere piere, quant fu getté hors de paradis terrestre pur sun
pecché, cria en haut voiz la miséricorde de Dieu, e Dieu par sa pité e par
benigneté li $ perizomata, ceo est une manere de peliz, e promist a lui ke lui
envei[e]roit le oyle de miséricorde en le plenté de temps. Puis vint Adam e sa
femme en le val de Ebron, e la suffrist meinte travaille en mal aan e en sun(t)
cors e en dolur de sun quoer, e la engendra de sa femme deuz fiz, Caym e
Abel.
Fin (fol. 402 c) :
E quant li félons Jeues le urent dampnez e jugés a la mort, si dist un de
1. Rivue criti^ue^ 1886, I, 221,
2. Sulla Icggtnda dd legno ddla croce, comptes rendus de l'Acad. de Vienne,
classe de philosophie et d'histoire, LXllI, 165-216 (1869).
j. Dans les mémoires de l'Acad. de Munich, classe de philosophie et de
philologie, XIV, m (1882), 101 et suiv.
4. DcnkmceUr fTOvcnzalischcr LiUralur u. Sprjche, I, 16J-200 et 525-8. Je
constate en passant que la version provençale publiée par M. Suchier comme
texte A est traduite d'un texte français fort répandu et non du latin.
j. Sic, manque un verbe; p. e. dona? latin: indutus perizomate.
MANUSCRITS FRANÇAIS DE COMBRIDGE (gG.I.I) 327
eus par prophecie: « Pernez cele fut qe gist dehors la vile, outre cele russel;
si en fêtes une croiz de .vij. eûtes de lungure, e de quatre coûtes en travers. »
Si firent comme iur fu comandé e crucifièrent (d) nostre Seignur Jhesu Crist
desus, qe nous sauva par sa dusur e par sa bunté, si nous deservir volums.
En ceste manere corne jeo vous ai cunté Dieu voleit qe nostre redempcioun
veneit de meime le lu e de meime le arbre, dount nostre perdicioun surdi pri-
merement; e de meime le fruit, e de meisme la bouche crust nostre salvacioun.
E issi corne nous sûmes par femme 0 Dieu descordez, issi sûmes par femme a ly
reconciliez »,
La dernière colonne du feuillet 402 est occupée par un morceau
attribué, ici et en maint autre texte, à saint Jérôme. On le trouve dans
VHistorlcL scoîastica de Pierre Le Mangeur [Hist. emng., ch. 141). Inc.:
« Invenit Jeronimus in annalibus Judeorum de .xv. diebus ante diem judicii.
Primo, eriget se mare in altum .xl. cubitis super altitudinem monlium. . . » ' .
25. — Abrégé de la Bible en vers rhythmiques.
Compcndium historiaram (fol. 403).
Vos qui concupiscitis statum vestrum scire,
Hec signa tractabitis que dant invenire
Omnia que possitis de nobis audire;
Quid estis vel eritis hic est reperire.
26. — Miracle de la Vierge. — Ce miracle a quelque rapport avec
celui du clerc malade d'un cancer à la bouche que la Vierge Marie visita
en songe et guérit en lui donnant le sein. Réduit essentiellement à ces
termes, le récit se rencontre sous des formes nombreuses 2. Mais ici il y a
quelque chose de plus. Le clerc est transporté en songe dans un jardin
magnifique où on distingue particulièrement vingt-trois fleurs dont l'une
l'emporte sur toutes les autres en beauté. Comme dans toutes les visions
relatives à la vie future, il est accompagné d'un guide, un ange dans le
1. Voici le début d'une autre rédaction (Ms. d'Evreux n' 9, fol. 138;
XII<= siècle) :
Signa que even'unt .xv. diebus ante diem judicii, sumpta ex annalibus Hcbrcorum.
« Maria omnia in altitudine .xv. cubitorum exaltabuntur super montes excelsos,
orbem terrarum non affligentia, sed sicut mûri equora slabunt. Omnia equora
prosternentur in ununi...» — C'est la version citée d'après saint Thomas d'Aquin
par M"" Michaëlis, Anhiv. de Herrig, XLVI, 58-
2. Texte latin : Vincent de Beauvais, Spcc'. Hist. VII, Lxxxiv (éd. de 1624,
p. 251-2); version provençale. Romjnia, VIII, 18-9; version française en vers
de Gautier de Coincy, éd. Poquet, 342-6. Ces trois textes représentent une
même forme, oii le moine se dévore lui-même la langue et les lèvres. Une autre
forme, où, comme dans les textes qui nous occupent, le moine souffre d'une
maladie de peau, est traitée par G. de Coincy, 345-54. Cf. encore la rédaction
du ms. fr. 818, fol. 62. Quant aux versions en prose française, il serait trop
long de les énumérer.
J28 p. MEYER
cas présent, qui lui fait savoir que ce jardin est le Paradis, ou quelque
chose d'approchant, et lui explique la signification allégorique des vingt-
trois fleurs. La Vierge opère, par le procédé susindiqué, la guérison du
clerc, qui, néanmoins, meurt plein d'espérance après avoir conté sa vision
à son évêque.
Sous cette forme, à laquelle on pourrait donner le nom de « vision du
champ fleuri » le miracle se rencontre en trois rédactions, toutes en vers
et d'origine anglaise, à savoir dans le recueil de Miracles de la Vierge
d'Adgar ' ; 2" dans le fragment que j'ai en partie publié, ci-dessus, pp.
272-5 ; 3" dans le texte ci-après. Je ne prétends nullement indiquer ici
l'ordre chronologique de ces trois rédactions ; je suis toutefois porté à
croire que celle d'Adgar. est la plus ancienne. La troisième, dont on trou-
vera ci-après l'analyse accompagnée de quelques extraits, ne nous a pas
été conservée seulement dans le ms. de Cambridge : elle se trouve en-
core à la fin d'un recueil de miracles de la Vierge, paraissant former un
ouvrage complet en soi, dont l'unique ms. (sauf erreur) appartient au
Musée britannique (Old Roy. 20. B. XIV). M. Neuhaus en a édité les
vingt-quatre premiers vers* pour compléter la rédaction d'Adgar qui a
cet endroit offre une lacune. Il y a, entre les diverses rédactions, quel-
ques différences dans le détail de l'allégorie. Je crois néanmoins qu'elles
dériventtoutes trois d'un même récit latin, qui n'a pas encore été retrouvé.
Miracalum sancte Marie Virginis Come plus finement Tenama
(fol. 404 d). De plus en plus se délita.
Si cum encountent' ses amis chiers
Entre les overaines de charité Celé clerk estoit un des primers
Ke ad fet la Reyne par sa pité, Ke les 2 heures primes coniplia;
Une douce fet vous cunterai Pur ceo unke après ne fina
E puis après me reposerai. De dire les doucement;
Vers Europe, en celé partie, A lui servir meut bien s'entent,
Estoit un clerk de bêle vie. Ove lermes moût très pitousement
Moût fu devout en seinte église Les oures diseit mult sovent î.
E la dame ama sanz feintise. (/. 405)
Atteint d'un cancer à la bouche, le clerc se voit abandonné de tout le monde
saut de son évêque qui l'avait pris en affection et ne cessait de le conforter par
1. Adgar's Marienkgendcn... hgg. von C. Neuhaus (Heilbronn, 1886), pp.
2. Ouvrage cite, pp. 28-29.
j. B recuntent.
4. B Ki ces.
5. Ces quatre vers sur un: même rime sont réduits à deux dans B: De dire les
devoutement | Les cures disert mult sovent.
MANUSCRITS FRANÇAIS DE CAMBRIDGE (GG.I.I) P9
de bonnes paroles. Un jour qu'il s'était endormi, le malade eut une vision. Un
ange l'emmena en une délicieuse prairie. 11 y vit vingt-deux fleurs qui surpas-
saient toutes les autres en beauté et en parfum. Une vingt-troisième, plus belle
encore, avait sept pétales. L'ange lui explique ces merveilles : le champ lui est
donné en récompense de l'amour qu'il a porté à la ^Vierge. Les vingt-deux
fleurs sont les psaumes qu'il a chantés en son honneur. La fleur qui l'emportait
sur toutes.
Ceo est la premere saume de prime
[(/.405 c/)
Ke en i ajustâtes vous meïsme,
Dcus in riominc tuo vous l'apelez.
La signifiaunce tost en saverez:
N'est pas la greindre, mes la meinur;
Seet foilletes ad en sa flour,
En la saume sunt ,vij. vers, ceo quide' :
Ces sunt les .vij. grâces del Seint
[Esperit ; (/. 406)
Ceo est la signifiaunce des flurs
E des graindres et des menurs.
Bientôt le clerc entre en un temple en or bruni, tout enrichi de pierres pré-
cieuses. Il y voit la Vierge Marie qui l'appelle à lui et le presse dans ses bras,
Si corne fere soleit sun fiz
Quant il estoit jeovenes e peti(ti)z,
Taunt q'ele mette sa blaunche mayn,
Sa seinte mamel trest hors de sun seyn
[(/". 406 b)
E al clerc la mist en bouche.
E il le très douce let en souche
De la bouche qe fu si orde.
Si le dist la mère de miséricorde:
Suchez, beau fiz, suchez a trete;
Sachez qe grant bien vous fête.
Cest[e] mamele qe habounde
Nurrist le créature de universe
[munde,
Qe fist tuit, [e] ciel e tere :
Par ceste porezta saunté conquere.
N'est pas dreit qe taunt seez grevée,
La bouche qe m'ad souvent louée. »
Le clerc se reveille guéri. La puanteur qu'exhalait sa bouche se change en
une odeur délicieuse. La nouvelle de cette cure merveilleuse se répand, l'évêque
est averti. Le clerc lui demande la communion, et meurt après l'avoir reçue.
E vous seignurs, ne doutez mie (/.
Ke la dame ne l'ad seisie [406 d)
Ke tiele secour li out mustré
La mist en joie que n'ert fine.
E le vesque cel(e) seint(e) cors prent
Si|^l] mist en sarcu mult noblement.
Issi rent a chescun sun servise
La douce dame en meinte guise,
E qi bonement e bien la sert,
Sachez, sun servise pas n'i pert.
Benoit soit la mère nostre Seignur
Par qeest achevé (celé i)cest(e) labur^,
Amen.
27. — Apocalypse en français. — Version dont il existe un très grand
1. Le psaume LUI (Deus in nomine tuo) a en effet sept versets.
2. Ms. lobonr.
JJO p. MEYER
nombre de copies, surtout en Angleterre. Elles sont souvent ornées de
miniatures ; parfois les peintures occupent la plus grande partie de cha-
que page et ne laissent au texte que quelques lignes. Ici Pillustration
est assez copieuse, mais la qualité en est fort ordinaire. Sur cette version
voir Romania, VIII, 326, note 3, et surtout S, Berger, La Bible française,
pp. 78 et suiv. Le texte commence ainsi (fol. 407) :
Seint Pol li apostle dit qe tuz iceuz qi veilent piement vivre en Ihesu Crist,
qe il suffrunt persecucion. Mes nostre très duz seignur Jhesu Crist ne voetpas
qe ces esliz défaillent en tribuiacioun ; pur ceo les cunfort il de sei meismes e
donne ve[r]tu de sa grâce, e dit: « Ne eiez pour, jeo su od vous tuz les iours
« deskes a la fin de ceste siècle. ...»
Fin (fol. 439 J'"):
Ceo qe il dist : « La grâce nostre sire Jhesu Crist seit od vous touz » signe-
[fie] la vie de grâce qe Nostre Sire ad donné a seinte église par la mort
Jhesu Crist e par sa resurreccion, desqe ele viegne a la vie de glorie. Jhesu
Crist le fiz seinte Marie, qi est un Dieu tut puissaunt od le père e Seint Esperit,
nous alume les quors de verray creaunce e esleve par ferme esperaunce e es-
prenge par verrai charité, e nous doint issi en li vivre e morir qe nous puissum
ove li en sa glorie en cors e en aime saunz fin régner. Amen.
kl finisf la pocalipse en romance.
28. — Le Roman des Sept Sages, en prose. — C'est la version la
plus répandue, celle qu'a publiée Le Roux de Lincy, à la suite de VEssai
sur les fables indiennes de Loiseleur Deslongchamps (1838). Les nombreux
mss. qu'on en possède se répartissent en divers groupes que G. Paris a
déterminés dans sa préface aux Sept Sages de RomeK La copie que ren-
ferme le ms. GG. 1 . i appartient au groupe A de ce classement.
Ici commence le livre qc est appclcc le set sages en romauncc (f. 440).
A Rome out une empereur qi out a noun Dioclicien. Il out femme Eve; de
celé femme li fu remès une heire malez. Li emperere fu veuz, e li enfes out ja
.vij. anz. Un jour appelle li empereres ses .vij. sages chascun parsoun noun...
29. — Physionomie. — Da Secreîum secretorum attribué à Aristote
s'est détaché de bonne heure un chapitre, le dernier, qui a souvent été
copié et traduit comme un opuscule à part, qu'on n'hésitait pas à attribuer
à Aristote. Les versions françaises de cet opuscule sont nombreuses, et
l'une d'elles a été imprimée à la fm du xv^ siècle 2. Pour les distinguer
et les classer, il ne faudrait rien de moins qu'un véritable mémoire, qui
1. Société des anciens textes français, 1876; voy. pp. x-xxvj.
2. Voy. sur les éditions de cet opuscule le catalogue de la Bibliothèque
J. de Rothschild, I, 104-7 '""' '9') '92)-
MANUSCRITS FRANÇAIS DE CAMBRIDGE (GG.I.l) ^]l
ne saurait prendre place dans cette notice. Je me borne donc à donner
ici le début et la fin du texte du ms. de Cambridge:
De phisaumie (f. 464 c).
Que ceste phisenemie voudra juger, ne mette ja sa entente en un seul significa-
cioun, mes joignez ceals qe il purra plus apertement veer e saver. Equant con-
trarie avigne des significacions, si amesure dunk les vertuz e les tcsmoignes, e
solum ceaus qe plus acorde juggez hardiement. E si devez savoir que les signi-
ficacions de la face e des oeils sunt plus fermes e plus estables qe les altres.
De la complexion de la teste et de la cervele.
La frome (sk) de la cervel estent [sic) e petite est figure del cerveiler...
Fin (fol . 466 b c) :
Nature de femme.
Femmes de toute maneres de bestes sont plus diverses de corage e meins
purrunt suffrir, e plus tost (c) sunt turnez e tost corucez e tost appaissez, e
plus cointes de mal engyn, e abatauntz sanz vergoine; e unt petite teste e sub-
tive face, subtive col, piz e espaules estreites, subtive flanc, quises grossez de
aumbe pars, e les nages charniz e sunt moles ; les uns hardives e les uns plein
de cowardies.
Ex pliât.
30. — Pronostics selon le mois de la naissance; à l'explicit: « cons-
tellation. » — Nous avons rencontré plus haut (p. 325) un court morceau
latin indiquant les pronostics à tirer du jour de la naissance. Ici, comme
en certains almanachs, le pronostic dépend du mois. Le texte est en
prose rimée, forme qui a été souvent employée pour des pièces popu-
laires de cette nature. En tête se trouve un prologue dont l'auteur
s'efforce de répondre par avance aux objections que pourraient soulever
les prévisions qui suivent.
La nature de home par sa naissance, prose > (f. 466 c)
Pur ceo qe solum les diversetés du temps se chaungerent les establementz
des homes, auxi solum les diversetés de ordre de nature se chaunge, ne pas de
tut, e ceo n'est pas par défaut de art, mes par la complexioun de l'home que
est chaungé. E pur ceo, vous qe lirrez les choses ensuiant, ne vous enmerveillez
mie corne eles firent^ inpossibles, car si il n'est pas cum l'art enseigne, ceo n'est
pas pur défaut d'art, mes par la diverseté de complexion de home. E quant il parle
1 . Ou prose? Ce mot est surprenant; la table placée au commencement du volume
porte: De nature des homes e de femes solum le tens de lur naissance.
2. Corr. furent.
3J2 p. MEYER
qe home deit aver aventure bonepur feanime espuser, signefie bénéfice de seinte
église, corne espousaille, etc.
De home nci en Jcnenrc.
Enfaunt madle né enGenever, amable, coveituse, voluntrifs serra e irrous...
Fin (f. 469 a) :
Femme née en Décembre douteuse e hontuse serra, e ses enemis venquera ;
de treis seignurs enfauntz avéra ; de sun baroun joie serra ; de haut en ewe
chaiera; par ses parents joie avéra; après sun trenl an a digneté vendra; denz
le .XX . ans ne se enmariera ; en sun quinte an enmaladiera ; de chien morse serra ;
en l'an .xxvij. dolur des oils avéra; .c. anz vivera; se garde qe ele serve Deu
leaument e toutes choses venquira.
Explicit constcUadoiin .
31. — Les dix-sept points de la confession. — Court traité d'un carac-
tère assez populaire, qui commence ainsi, à la suite du précédent, au
fol, 469 a:
kl conunce .xvij. poinîz qe deivent estre en confession soliin qe sunt recapMcz.
Aprise de vous confesser, ceo est asaver:
Adeprimes confession deit estre fet purement, kar primes devez coiller en
vostre quoer les pecchez de tuz vos âges...
Ce petit traité finit au fol. 470 h. Il est suivi de quelques paragraphes
en latin pour aider à faire son examen de conscience, en suivant l'ordre
des péchés capitaux. Suit un traité, également en latin, sur l'Oraison
dominicale.
32.— (Fol. 470 d) Incipit exposiclo oraclonls dominice, salicet Pater koster.
Hec autem obsecratio oracio dominica vocatur quia eam Dominus docuit. . .
33. — Légende de Pilate, né d'une mère nommée PZ/îî et dont le père
se nommait Atus. Cette composition, qui obtint au moyen âge un succès
considérable, a pris place dans la légende dorée de Jacques de Varragio,
au chaphve Liv y De rcsurrectione Domini, édit. Grsesse, p. 231 1. 21 à
p. 234 1. 18.
(Fol. 472 c) De origine et pcna Pilait.
Rex fuit quidam qui puellam nomine Pilam filiam cujusdam molendinarii
nomlne Atus carnaliter cognovit et de ea filium generavit. Pila autem ex nomine
SUD et nomine patris sui, qui dicebatur atus, unum nomen composuit.. .
34. — Débat en vers sur la question si souvent agitée au moyen âge
de savoir qui vaut mieux en amour des clercs ou des chevaliers. Le plus
ancien des écrits que nous possédons sur ce sujet délicat est probablement
MANUSCRITS FRANÇAIS DE CAMBRIDGE (CG.!.!) ^^^
un poème latin des premières années du xu*^ siècle au plus tard, où la
scène du débat est placée à Remiremont ' . Un peu postérieure est VAl-
îercatio Phillidis et Florx, si souvent copiée et plusieurs fois publiée ^
C'est en latin encore, mais en prose, que la même question est débattue
dans le traité d'André le Chapelain. En français, on connaît jusqu'ici
trois débats de ce genre; deux composés en France: Florence et Blan-
cheflor'i, Hueline et Eglantine^, et un troisième composé en Angleterre et
qui porte dans le ms. unique qui l'a conservé, le titre de « Geste de
Blancheflour et Florence s ». Le petit poème, jusqu'ici tout à fait inconnu,
dont je vais citer les premiers et les derniers vers a été également com-
posé en Angleterre. La scène se passe à Lincoln. Les dames qui sou-
tiennent les deux thèses opposées s'appellent l'une Melior, l'autre Idoine.
Comme dans Florence et Blancheflor le débat aboutit à un duel judiciaire
où deux oiseaux jci le rossignol et le mauvis) figurent comme champions,
tandis que dans le poème latin de Fhillis et Flora et dans Hueline et
Eglantine le jugement est prononcé par le dieu d'amour.
Le débat du ms. de Cambridge a 404 vers. Il contient des détails
intéressants qui appellent un commentaire. Je me propose de le publier
en une autre occasion, en le rapprochant des écrits du même genre dont
je n'ai pu donner ci-dessus que l'indication sommaire.
Ici trovcrcz quel vaut micuz a amer^ gentil clcr ou chivakr (fol. 474).
Ky aventures veut oïr e ver, En ma juvente m'en aloy
Il ne puet touz jours demorer En plusurs tares a oïr
A ese ne a sojourn trere, 12 Aventures pur retenir.
4 Mes aler deit estrange tere Eu tens de may, ceux longe jours,
Fur aprendre affetement Chauntent oyseaus e creissent
Les maneres d'estrange gent. Par un matin m'en levoi, [flours^
Ki plus loinz va plus verra, 16 Si mountoy mon palefroi,
8 E plus des aventures savra. E aloi vers une cité
Jeo le sai bien, car prové l'ai : Qe Nincol est appelée. . .
1. Publié par \W ailz, Zcitschrift f. dcutschcs Alterthum, VII, 160, d'après
un ms. de Trêves, qui serait du commencement du xii' siècle ou même du xi^
cf. VArchiv de Pertz, VIII, S9S. Des corrections ont été apportées par
M. Waitz à cette première édition, Zcitschrift, nouvelle série, IX, 6j.
2. Voy. Hauréau, Notices et extraUs des mss., XXIX, 2° partie, 305.
3. Barbazan-Méon, IV, 354.
4. Méon, Nouv. Rcc., I, 353.
5. Ms. de la vente Savile, n" 44, actuellement dans la bibliothèque Phillipps;
j'en ai cité quelques vers dans la Bibholhcque de l'Ecole des Charles, s^ série,
II (1861), p. 279.
JJ4 P- MEYER
Fin (fol. 476 c) :
Idoigne veit sun chaumpioun Jeo ne sai qe vint après ;
Mort gisir en sabloun ; Jeo me tourny tout de lès;
En haute voiz comence e crie: Si mountoi moun palefroi,
392 <f Allas! allas! jeo suis trahi! » 400 E a l'hostel tuitdreit aloi.
Dune cheïst, si s'en pauma (c) ; Si jeo euse dormy a tel houre,
E la dame s'escria. Ne use pas veut tele aventure.
Les puceals s'assemblèrent Mieuz est li clers a amer
J96 E en la sale la portèrent. 404 Qe li orgoillouse chivaler.
Ici finist quel vaut mieuz a amer gentille clerc ou chivaler.
35. — Les proverbes de Hending en anglais. — Hending est un
personnage populaire, et sans doute imaginaire, à qui sont attribués en
Angleterre les proverbes qu'en France on mettait dans la bouche du vi-
lain. Les quatre premiers couplets du texte de notre ms. ont été publiés
par M. Halliwell Phillipps, Reliquis antique, I, 195-4. La pièce entière
a été éditée d'après un autre ms. dans le même recueil, I, 109-16, et
dans Msetzner, AlîengUsche Sprachproben, I, 304-11. Début:
Ici commence le livre de Hending (foL 476 b).
Jhesu Crist, al folkis rede
That for us ail tholed dede
Upon the rode tre
Lern us aile to be wise
And to hendi in Godis servise;
Amen par charité !
« Wel is himthas wel ende mai »,
Quod Hending.
36. — Extrait de l'Evangile de l'enfance. — Ce n'est qu'un extrait
ayant à peu près 600 vers. Le début et la fin manquent. L'ouvrage
complet a environ 1 100 vers dans un ms. de la Bodleienne, Selden supra
38, qui correspond au n» d'ordre 3426 des Catdogi de Bernard.
M. Bonnard a mentionné, de seconde main, ces deux mss. dans son
mémoire sur les traductions de la Bible en vers français au moyen âge
(pp. 237-8), mais il n'a pas reconnu qu'ils renfermaient le même ou-
vrage, et n'a pas remarqué davantage la curieuse particularité de versi-
fication qui s'observe dans l'un comme dans l'autre : c'est que les vers
riment quatre par quatre, sans pourtant former de véritables quatrains,
398 Pour d'eslès.
MANUSCRITS FRANÇAIS DE CAMBRIDGE (CG . I . I ) 355
puisqu'il n'y a pas d'arrêt constant après le quatrième vers. L'exemplaire
complet d'Oxford contient dans les derniers vers le nom de l'auteur, ou,
plus probablement, du copiste, qui parait avoir été en même temps l'en-
lumineur du ms.
Johan ad nun';
Deu ii gard de honisoun.
Et l'explicit, d'une écriture postérieure à celle du manuscrit, est
ainsi conçu : o Ci est fine du enfauncie de nostre Seignour. Jehan
« Raynzford me doit. » Je lis Raynzford et non Baynzford, comme on a
lu jusqu'à présent. Il n'est pas sûr que ce personnage ne fasse qu'un
avec le « Johan » mentionné plus haut.
Il existe du même poème un troisième ms. qui appartenait naguère à
A.-F. Didot; le n" 26 de la vente de 1881. C'est un ms. du xW siècle,
et le poème des Enfances y est attribué par la rubrique à Charles VI :
« Cy commancent les enfances nostre Sire et partye des miracles qu'il
« fist en son enfance; et si commancent en la manière qui ensuyt par
« vers rimes, translatez de latin en françoys par le roi Charles VI® ».
Je ne sais comment expliquer cette attribution, qui est évidemment
erronée, puisque le poème est antérieur d'un siècle peut-être à l'avène-
ment de Charles VI. Mais la comparaison du texte d'Oxford et de Cam-
bridge avec celui du ms. Didot soulève un curieux problème. Le second
de ces textes nous offre des vers disposés non plus par quatrains, mais
par paires. Par suite, sur quatre vers, deux sont considérablement rema-
niés. On jugera de la différence des deux leçons par le passage suivant,
qui fait suite au prologue, et offre proprement le début du récit :
Selden supha 38.
Kaunt Jhesucrist 11 bonurez (/. i
De sa mère esteit nez,
Cum le angle l'eut anunciez,
Marie en out dune joie asez.
Tost après dune mis estoit
En une crèche veir tut dreit
U bos e asne dune mangoit;
E l'un e l'autre ben savoit
K'il fu Deu ki la fu mis,
E k'il en terre fu tramis
Pur sauver touz ces amis.
E ci esteit il circumcis,
E puis ai temple présenté,
Ms. Didot.
Quant Jesucrist nostre doulx père (/. 2)
Fust né de la Vierge sa mère.
Corn par l'angel fut devisez,
Marie eust de la joye assés.
Si coni Jhesucrist nés estoit
En une crèche fut mis droit
Ou ung asne et ung beuf mangoyent ;
Et l'ung et l'autre bien savoyent
Que c'estoit Dieu qui la fust mis
Et qui en terre fut tramis
Pour son peuple d'enfer geter.
Cuer d'omme ne pourroit panser
Corn en avoit grant voulenté,
3î6
E moût estoit desirree
De Simeon li bonuré
Ke taunt out de li chaunté.
Puiz fut au temple présenté
Ou il moult desirez estoit
De Symeon qui fain avoit
Que entre ses bras le tenist
Ainz que de ce siècle fenist ^ ;
Avant que Jhesus fust naissans
On en avoit chanté cent ans.
Mais quelle est la rédaction originale? Celle, semble-t-il, dont le ms.
Didot nous a conservé une copie tardive. C'est, je le crois du moins, ce
que démontrerait une comparaison suivie qui ne saurait prendre place ici.
La source du poème est une rédaction du Pseiido-Matth£i evange-
Uum, ou liber de infantia Sahaîom, plus étendue que les textes publiés
par M. Schade et parTischendorf. Les rubriques du texte de Cambridge
sont rédigées en vue de miniatures qui se trouvaient sans doute dans le
ms. d'après lequel cet extrait a été fait. Du reste le ms. d'Oxford est
orné de nombreuses peintures.
Voici le début de l'extrait inséré dans le ms. GG. i . i :
Ces sunt les enjanUsus nostie Si
Ore vous dirrai de une enfaunt
Quant en tere fut conversaunt.
Marie ov sun fiz ala
E Joseph qui il mut ama ;
Mut de draguns encuntra,
E chescune li enclina.
Marie prist dune sun enfant,
Si li tint en sundevaunt;
Poiire out de bestes graunt,
Car ele vist venir itaunt.
Des liouns vindrent assez
igniir quant il estât en tcre od sa mère (f. 479 c).
E autres bestes de quatre pez;
Berbis e lowes i sunt alez
Qui nul n'ont autre damagez.
Puis bien chescun entendeit,
Ki trestut bien veir esteit
E qui issi 2 nous diseit]
{d) Quant prophecie demustreit. (/. 480)
Il mustra bien par ses dis
Qui quant Marie out un fiz
Lowe mangèrent uel ov berbis
Sanz mal fera e sanz estris.
Ici Marie descendi de la mule^ e Joseph la sit 3 pur chaut suz un arbre portaunt fruit.
Le tierce joure en vérité
K'il esteint fors aie
De la tere al maluré,
II fesoit chaud mut grant
Qui le solail fut mut resplendissant,
E Marie de meintenant
Joseph apele, si li dist atant:
« Sire Joseph, de veir sachez,
« Qu'iceste chaut me nut assez.
« Pur ceo, sire, me reposez
a Desuz celé arbre qe vous veez.
Bien lui pleist, si lui diseit.
Joseph la meine a l'arbre dreit,
E de la mule sur quel ele seit
Joseph Marie si avalait.
1 . Corr. s'en ist. — 2. Corr. Ceo q'Ysaïe : Ms. Didot : Que toute vérité
estoit I Quanque demonstroit Ysaye. — j Corr. l'asist.
MANUSCRITS FRANÇAIS DE CAMBRIDGE (CG.I.lJ
n7
Ici abcha une ' portant fruit a la voiz de Jhesu, e Marie en manga de celé fruit.
Marie dune veir reposa
L'extrait se termine par le miracle du teinturier, qui fait défaut dans
les textes latins édités par Tischendorf et par M. Schade^.
Ms, DE Cambridge (/. 484 b)
8 Bon est » fist il «t qi jeo mette
i Ma main en ceste chauderette. »
Un drap trove de e?carlet,
Riche e bon e bel e net,
Et quant il out les treis trové,
Si corne il furent devisé,
II ad sovent Dieu loé [d]
Qui si bien l'ad recoré 5
Des dras qui il bailla a Jhesu,
Qui bien quidoit aver perdu
Quant il a l'ostel fust venu,
Mes ore n'est il pas deceû.
Ms. DiDOT {fol. 32)
« Bon est n fet il « que encor mette
't Ma main en ceste chauderete. »
Sa main y bouta maintenant.
Une escarlate y trouve errant
Belle et bonne par bon samblant.
Quant il ot lez .iij. draps trouvez
Ainsi qu'il lez a devisez
A Jhesus le petit enfant,
En son cuer en ot joye grant.
i! en a Dieu souvent loué
Qui trestout ly a\oit preste.
Pesé ly a fort, sans doubtance,
De sa très mauvaise créance.
37. — Le Brut d'Angleterre abrégé. — Chronique qui s'étend depuis
la venue du fabuleux Brutus en Angleterre jusqu'à la mort d'Edouard I.
J'en ai transcrit quelques extraits dans mon mémoire sur quelques chro-
niques anglo-normandes qui ont porté le nom de Brut [Bulletin de la. Société
des anciens Textes., 1878, pp. 104-145] auquel je me borne à renvoyer
le lecteur. Je ne connais pas d'autre exemplaire de la rédaction qu'offre
le ms. GG. i. 1 .
38. — Complainte sur la mort d'Edouard I.— Cette pièce historique
n'a été reconnue jusqu'à présent que dans notre ms., d'après lequel elle a
été publiée par Th. Wright, Political songs of England (Camden Society,
1. Un mot a itè omis: ce peut être arbre, rain ou paume. Il y a dans le texte
ch. XX (t'ci. Schadc^p. 39) : « Flecte arbor ramos tuos... Et confestim ad
hanc vocem inclinavit palma cacumen suuni ».
2. Il se trouve dans le texte arabe et dans l'évangile grec de Thomas, voy.
A. Kressner, Die proverzalischc Bearbcitung der Kinddheit Jesu, dans VArchiv de
Herrig, LVIII (i^??), 298-9.^
3. Corr. recovre, oii restoré.
Romania, XV
3^8 p. MEYER
1839I, p. 241-2', ce qui n'empêche pas qu'elle a été complètement
passée sous silence dans ie catalogue imprimé des mss. de l'Université
(voy. III, 7I, comme aussi dans le Descriptive Catalogue de Sir Th. Duffus
Hardy. Elle offre la forme a èaè bcbc^ employée au xiiio siècle, mais
surtout usitée au xiv^ siècle et au xv^ Elle fait suite immédiatement au
Brut, qui s'arrête à la mort du roi Edouard I. Elle occupe la fin de la
colonne/^ du fol, 489 et les colonnes c et d du suivant. Le premier
couplet est ainsi conçu :
Seignurs, oiez pur Dieu le grant,
Chançonete de dure pité
De la mort au rei vaillaunt;
Homme fu de grant bounté,
E qe par sa leauté
Mut grant encuntre ad sustenue.
Geste chose est bien provée :
De sa terre n'ad rien perdue.
Prions Dieu en devocioun
Qe de ses pecchez le face pardoun.
Le reste de la colonne [d du fol. 489) est occupé par divers morceaux
très courts:
Ke de enfaunt fet rey e prélat de viîeyn, e de clerc fet cunte, dunke vet la
tere a hunte.
Wos maket of a clerc hurle
And prélat of a cheurle,
And of a child maked king,
Than ne is the londe undirling.
Le catalogue de la bibliothèque de l'Université dit (III, 7) que ces
vers paraissent se rapporter à la mauvaise administration d'Edouard II.
Cela est possible. Ils ont pu, du reste, trouver plus d'une fois leur appli-
cation dans l'histoire d'Angleterre. Mais l'idée qu'ils expriment est d'ori-
gine biblique et est bientôt devenue proverbiale : Vx tibi, terra, cujus
rexpuer est ! (Eccle. X, 16) h
1. Cf. Hlst. fut., XXVII, 44-5.
2. Le premier couplet a deu.x vers de plus, mais c'est un refrain qui sans
doute devait être répété après chaque couplet.
3. Un ms. du commencement du xni« siècle ('BodI. Digby 53) nous a con-
servé deux vers latins (avec leur équivalent anglais) qui peuvent être cités ici
{y o\t m&s Rapports, \>. 175):
Ve populo cujus puer est rex, censor agrestis,
Exterus autistes ! hii mala multa movent.
MANUSCRITS FRANÇAIS DE CAMBRIDGE (CG.I.l) ^39
Le reste de la colonne est complété par diverses notes statistiques en
latin sur l'Angleterre et l'Irlande. — Fol. 490 a : « Qaaliter capiit hominis
« situdîur. De ista materia tractât Thomas in prima parte Summe... »
39. — (Fol. 491) Hic incipiunt auctoritaîes. — Recueil de sentences
latines, tirées de la Bible, des Pères de l'Eglise, de Sénèque, etc.
40. — Le Livre de Sidrac. — Je me borne à citer les premières lignes
de cet ouvrage qui a été, comme on sait, extrêmement répandu, mais sur
l'origine duquel nous ne sommes encore qu'imparfaitement renseignés:
(Fol. 495) Cestc livre de Sydrac le philosophe q'est a pelé le livre de la fontaine
de toutes sciences.
La purveaunce de Dieu le piere tut puissaunt ad esté du commencement du
mounde e est e serra sanz fin de gouverner e de sauver toutes les créatures
esperitueles e asquels il avait otrié paradis si en eus ne demorast...
41. — Le Blâme des femmes. — Pièce dont on a plusieurs copies qui
parfois diffèrent assez en elles pour constituer des rédactions distinctes.
J'en ai indiqué cinq en 1877 dans la Romania, VI, 499 et depuis une
sixième dans le Bulletin de la Société des anciens Textes, 1883, 99. Cette
dernière, que nous a conservée un ms. de Rouen, ressemble beaucoup
à celle du ms. fr. 1595. Ajoutons que les 26 derniers vers de ce poème
sont transcrits, entre le fabliau des quatre souhaits de saint Martin et un
fragment du Chastie-Musarl, dans le ms, Digby 86 ; voy. la notice de
M. StengeU p. 38. Au nombre de ces copies n'est pas comprise la rédac-
tion très corrompue dont je vais rapporter les premiers vers et qui se
rapproche notablement du texte du ms. Harleien publié dans les Reliquis
antiqu£, II, 221 .
Ici commencent les propretés des femmes .en romaunz (fol. 627 a).
Oez, seignurs, e escutez Ki femme [....?] ou femme creit
E a ma parole entendez. Sa mort brace e sa mort beit,
K.i en femme trop met sa cure Senz pris e sanz luer se vent,
Sovent serra saunz honure; Il fet la hard dunt il se pent.
Ki femme aime ou femme prise Qui ces vers avéra en remenbrance
Sovent en vient a gref juïse; Doutera femme plus que nul lance.. ,
Suivent (fol. 28 a) ces hexamètres qui ont de nombreux analogues
dans la poésie latine du moyen âge :
Q_ui capit uxorem capit absque quiète laborem,
Longum languorem, lacrimas, cum lite dolorem,
Pondus valde grave, verbosum vas sine clave,
Quod nulli claudit sed detegit omne quod audit.
Uxorem duxi quod semper postea luxi.
340 p. MEYER
42. — Formule de confession.
Confessio (fol. 628 a).
Jeo me rend coupable a nostre Seignur Jhesu Crist e al Seint Espirit, treis
persons e un Dieu en Trinité, e a Nostre Dame seinte Marie pucele e mère Jhesu
Crist e a tuz seinz e a seinte Eglise. . .
Le pénitent, qui s'accuse, entre autres méfaits, d'avoir « souvent doné
a menestreus donz », termine ainsi (fol. 629 a) :
De tuz pecchez avaunt nomez, e des autres pecchez qe me sovent nient, a
Dieu omnipotent e a nostre Dame seinte Marie a tuz seinz e a vous mon père
espiritel me rend coupable, e de ceo demande venie ou pardoun.
Suivent la formule latine de l'absolution et une prière, latine également,
à la Vierge ,
43. — Les trente-deux folies. — Commencement '(fol. 629 b] Ke nul
bien ne set e nul ne veut aprendre. Ce petit poème, où chaque vers définit
un genre de folie ou plutôt de sottise, a été publié, d'après notre ms. ,
par M. Halliwell-Phillipps dans les Reliqu'u antique, II, 2^6'. Deux
autres textes de la même pièce ont été publiés par M. Jubinal (d'après
un ms. du Musée britannique) et par M. P. Heyse d'après un ms. de
Florence. Ces trois textes se rattachent à une même rédaction. Une
quatrième copie, beaucoup plus étendue (elle a plus de soixante vers) a
été publiée jadis par moi dans le Jdhrbuch fiir Romanische und Englische
Literatur^Wl {iS66), 5$, d'après le ms. Arundel 507. J'en ai trouvé
depuis une cinquième copie, qui se rattache à la rédaction la plus courte,
dans le ms. de la Bodleienne Selden supra 74, fol. 59 d.
44.— Recueil de miracles de la Vierge, en latin.— Dans l'état actuel
du ms., les miracles sont au nombre de vingt-trois, mais le dernier
feuillet du cahier a été enlevé. Inc. (fol. 629 c] : « Hic incipiunt miracula
« béate Marie. In Alemania, inquadamabbathiamonialium, miles seduxit
« domicellam. . . » Le dernier est le miracle bien connu du clerc qui
se noya étant ivre, et à qui, pour ce fait, la sépulture ecclésiastique
devait être refusée, lorsqu'on vit qu'il avait dans la bouche un morceau
de parchemin sur lequel était écrit : Ave Maria gratia plena.
I. La copie est exacte, sauf qu'au v. 2 il faut lire acreit et non acceit.
MANUSCRITS FRANÇAIS DE CAMBRIDGE (00.4.32) Î4I
GG.4.52. Les principales oraisons en vers.
Parchemin, 1 58 feuillets, de 242""" sur 167. Ecrit de diverses mains
dans la seconde moitié du xiV siècle. C'est un recueil de morceau.x théo-
logiques et de prières qui a probablement été composé par un ecclésias-
tique pour son usage personnel. Certaines pièces, qui occupent les trente
derniers feuillets, et qui se rapportent à l'administration du diocèse de
Londres, portent à croire que le compilateur du ms., ou du moins celui
qui y a mis la dernière main, appartenait au clergé de ce diocèse. La des-
cription donnée par le catalogue étant suffisante, je me bornerai à ex-
traire de ce recueil des versions en vers français du symbole des apôtres,
du Pater, de l'Ave Maru^ du symbole de saint Athanase, versions tout à
fait différentes de celles quiont été publiées ou signalées jusqu'à présent'.
On remarquera que chacun des articles du premier Credo est accom-
pagné, en marge, du nom de l'apôtre à qui la tradition l'attribuait.
Entre les lignes du Pater sont écrites quelques gloses latines qui pou-
vaient fournir les éléments d'une exposition de cette oraison.
La paraphrase du Symbole de saint Athanase est un peu longue: elle a
178 vers. J'ai cru suffisant d'en publier vingt.
Le même ms. contient quelques prières anglaises qui ont été publiées
dans les Rellquis antiqu£, I, 1 $9-61 .
(F. 12 Y") Hic incipit Credo in gallicana lingua.
Jeo croi en Dieu père puissaunt
Petras Ki ciel e terre fist plaisaunt,
Andréas E en son fiz seintifié^
Qui Jhesu est apelé,
Nostre Sire tut souiement,
Qui est as siens garnissement;
Johannes Qui en gloire est conceùz
Du Seinl Esperit par vertu,
I . Pour le Pater en vers français, voy. ci-dessus p. 3 22, art. 2 1 ; pour VAve Maria,
voir Romania, XIII, ^27, art. 3^ et ci-dessus p. 322, art. 22. Pour le symbole
des apôtres, voir Bonnard, Les traductions de la Bible en vers, pp. 142-4, et
ci-dessus, p. 321, art. 20. Les paraphrases en vers du symbolede saint Athanase
sont plus rares; j'en puis citer une du xni" siècle dans le ms. 43 delà Faculté
de médecine de Montpellier, toi. 6^ c. Une autre, du xv« siècle, a clé imprimée
à la fin des Grandes Heures de Vérard; voy. le Catalogue Rothschild, I, 19
^n" 22, art. 82).
J42 P- MEYER
E nez est auxi saunz blemure
De Marie la Vierge pure ;
Jacobus major Souz Ponce Pilate turmenté,
Mort, enseveli, crucefié ;
Thomas En enfer descendant a!a,
Le tierz jour de mort releva;
Jacobus minor E puis au ciel sa voie prist,
Au destre Deu tut droit s'assist;
Philippus D'iloek après vendra juger
Les vifs e mors au jour si fer.
Bartkolomcus Je croi en le seint Esperit ,
Matthms En seint Eglise tut parfit ,
Simon Canamus Des seintz cors communion,
Relès de pecché e pardon,
Judas Thaâcus E de la char relievement ,
Mathias E vie pardurablement
Avoir en règne celestre.
Dieu le me doinst, si puisse il estre ! Amen .
Pater noster in eaiem lingua.
Feticio contra superbiam.
Nostre père qui es en ciel,
Spiriîas timoris Domini.
Beneit seit ton nom duz corn mel.
Contra invidiam, spiriîus pietatis. Contra iram,
Ton règne aviegne e ton voler,
Spiritus sckncie.
Ou ciel e terre soit plener.
Contra trlsticiam, spiritus fortitudinis .
Nostre pain de chescun jour
Nous donne hui par ta douçour.
Contra avariciam, spiriîus consilii.
E nos dettes lessez a nous
Si com a nos dettours lessons.
Contra gulam, spiritus intelligencie.
En temptacion ne nous menez,
Contra luxuriant , spiritus sapiencie.
Mais de nos maus nous délivrez. Amen.
Ave Maria in eadem lingua.
Deu vous saut, Virge Marie,
De grant grâce replenie.
Od vous demoert le rei Messie
Qui outre touz ad seignorie.
Benoîte soiez e loée
MANUSCRITS FRANÇAIS DE CAMBRIDGE (GG.4.32) ^45
Plus qe nule femme née
E le douz fruit soit honoré
De vostre douz ventre alosé. Amen.
Ici commet Quicumque vult en jrancth (f. ij b).
Kiconkes' voet s'aime sauver, Un souI Deu en Trinité
Si li bosoigne bien garder 12 E touz les treis en unité
La haute fey de seinte Eglise, Devom loer parfitement
4 Ke Jhesu Crist eyme e prise. Et honorer de bon talent,
Qui ne la garde enterement Ne les persones entermellaunt
Saunz feintise e duement, i6 Ne la substance desevraunt.
Sachez q'il pert son avenaunt Si est autre la persone
8 Saunz recovrir a remenaunt. Du Piere qi siet en trône,
Si est tele la seinte fey Autre du Fiz, corn est escrit,
Com ci après vous monsterray : 20 E autre du Seint Esperit. . . .
Fin (fol 14 t) :
Cest créance de termine A bien entendre moût devin,
Vaut a ceus qui sont lettré, E cil qi n'ad entendement
Mais laye gent n'ont pas engin La plus courte crede aprent.
GG. 6. 28. — I. Nicole Bozon, Le Char d'Orgueil. — 2. L'Ordre
DE Chevalerie. — 3. La petite philosophie. — 4. Les pèleri-
nages DE Terre sainte. — 5. Rapport du patriarche de Jéru-
salem a Innocent III. — 6. Description de la Terre-Sainte.
Parchemin; 200""" sur n^ ; écriture proprement anglaise des envi-
rons de l'an 1 300 ; il y a ordinairement trente lignes ou vers par page.
Un feuillet manque au commencement et le bas du premier feuillet sub-
sistant est mutilé. Ce livre vient de l'évêque Moore==.
1. — Nicole Bozon, Le Char d'Orgueil. — J'ai fait connaître cet ou-
vrage en décrivant le ms. Phillipps 83.56; voy. Romania, XIII, 514-8.
Je dois ajouter qu'une poésie dont j'ai cité les premiers vers dans la même
notice, p. 532 (art. 43I se rattache évidemment au Char d'Orgueil, Dans
1. J'écris A(contc'5 en un mot parce que l'auteur a probablement cru repro-
duire exactement le cjalcamcim du latin, mais en réalité les deux mots sont très
distincts (ce dont les élymologistes, y compris Littré, ne se sont pas aperçus) et
en tout autre cas j'écrirais ki c' onkcs.
2. C'est peut-être le n^ 118 de Bernard (II, 364): t Poemata aliaque ora-
tione soluta, gallice. 8°.
344 P- MEYER
cette poésie, que je publierai dans la préface des contes de Bozon,
l'auteur, le frère mineur, Bozon fait en quelque sorte amende hono-
rable d'une violente attaque contre les femmes qu'il avait introduite
dans le Char d'Orgueil. Je vais transcrire présentement les premiers et
les derniers vers du texte du ms. de Cambridge, et aussi quelques cou-
plets du morceau sur les femmes.
Quant pur nule perte de tempérance (?) (fol. i.)
Maudit sa vie, le tens qe il fu née.
Geta (?) de sa cowe ly ad tost oustee
La grâce du seint Espirit dount fu arusee,
Si est de la bowe par tant enbouwee,
Il avereyt bien le mester de estre bien waee '.
Or parloun des limouns qe ces singnefient :
Crualté des baillifs qe les povres lyent,
Qe nule part pount guenchir, mes a terre se plient,
Donont leur deners e mercy si crient.
On pourra comparer ce qui suit au texte du ms. Phillipps et à celui
du ms. de Londres publié par Th. Wright (voy. Romania, XII, $i6).
Les variantes sont peu considérables.
Kedirom de dames quant viegnent a festes? {fol. 3 v°)
Les unes des autres avysont les testes,
Portent les boces corn cornues bestes ;
Sy nule sait descornue, de ly font les gestes.
Des braz font la joie quant entrent la chambre,
Mostrent les covrechef de seye e de kaunbre;
Attachent les boutouns de coral e de launbre
Ne sessent de jangler, taunt corn sont en chaunbre.
La maundent les brouès2, seaseent au dyner,
Jettent les barbes, la bouche pur overer.
Sy entrasl alors un nise esquier,
De un privé escharn ne purreyt mye fayler ?.
Deus4 vistes valiez unt assez a fere,
Servir les totes checon a plere :
1. Part, de wacr^ le même que gaer, laver dans un gué.
2. L. bruoys.
j. Il y a ici dans le ms. Phillipps un couplet de plus.
4. Il faut probablement lire ainsi dans le ms. Phill. où j'ai lu 0 eus.
MANUSCRITS FRANÇAIS DE CAMBRIDGE (gG.6.28) 345
Le hun a le quisyne le vyaunde a quere,
Le autre en la botelerye bon vyn a trere.
Quant elcs unt dyne tut a granf ieysyr,
Se erdent ensemble de privement parler;
Le une de l'autre encerche sovent le quer,
Si ascune priveté puisse alocher.
Pur ceo, damoysele, en tele assemblée,
Tenez la bûche de mesure enselée,
Kar sy hors de quer rien eyez contée
Vus serez pur foie entre eles jugée ' . ^
Fin (fol. 8)
Pur ceo, seynours, haston nos, haston a confession,
Taunt cum cens nous est graunté de trover remission,
Kar si nous seyouns tyeus, ke taunt atendoun
Ke les chivals seyent ferrez de fers de obstinacionn ;
E les fers seyent tachez des clous de desperacion,
Ja ne esteyt penser de trover donk pardoun,
Kar ja en maie vies trop loung tens avom :
Ceo est la fin de tous péchez e clef de perdycioun 3.
Qui vodra cest escrit savent regarder
Il en avéra matire de sei confesser,
Kar tote manere de péché poez issy trover,
Fors qe soûle priveté qe ne fet pas a counter 3.
Mes, hé las ! trop i ad icy de nous enem.ys
Dount nous sumus en mound de totes pars assis.
Icy sont assemblé unze vinz e dys,
De forclore la veye qe meyne a parays.
Mes jo vus dirray mon conseyl pur ben eschaper :
Pernons congé de la dame, si la lessom passer,
E tenom nous au destre par un estreyt senter,
Ceo est de amer Deu e sur tote rien doter.
1. Ce couplet manque dans L.
2. Pour ces deux couplets le texte est visiblement meilleur que celui du ms,
Phillipps.
3. J'ai dit par erreur (Rom. XIII. 517, note i), que ce couplet manquait
dans le ms. de Cambridge. Ce qui a causé mon erreur, c'est que l'ordre des
couplets est différent dans le ms. Phillipps. L'ordre suivi ici me paraît meilleur.
546 P- MEYER
Priom hore douz Jhesu qe tote rien poet fere
Qe il nos deyne sa grâce taunt com sumus en terre,
Celé veye a tenir e celé part a trere
Qe venir pussom au pays ou jammès ne avéra guère.
Amen.
2. — L'Ordre de chevalerie. — Poème composé en France qui
parait avoir été goûté en Angleterre, car nous en avons déjà rencontré
deux copies dans des mss. exécutés en Angleterre '. Celle-ci est la troi-
sième.
Ici comence le ordre de chivalcrs (fol. 8 v°)
Jadis estaynt en paynye Par lour orgoyl, par lur outrage;
Un roy de moût graunt seygnurye, Et taunt ke une fez avynt
Et fu moût loeal sarazyn : Ke a la batayle un prynce vynt,
Il eut a noun Salaadyn. Houge out noun de Tabarye,
En il cel (sic) tens de coel bon roy Et out ove ly grant compaynye
Firent a gens de nostre loy De chyvalers de Galilée,
Les Sarazins moût graunt damage Kar sires ert de la countrée...
Fin (fol. 15) :
Certes, hom deist moût hayr Ke nul mauveys ne contredye
Cil qe les tient en viltee, Le sakerment au fyz Marye.
Kar jeo vous dy pur veryté Par icel digne sakerment
Ke le chivaler ad poer Averom nous tretouz sauvement,
De touz ses armes aver E si nul hom le veut dedyre
E en seinte église a porter II ad poer de ly occyre.
Kaunt il deit la messe escoter,
3. - La Petite Philosophie. Voy. ci-dessus, p. 257-
4,— Les pèlerinages delà Terre Sainte. — Inc. : « Ki dritement veut
« aler en Jérusalem, primerement deit aler de Acre a Caïphas, en quel
c( chemin, a mayn senestre,. est la montaigne de Seynte Margarete de
« Carme... » Opuscule destiné aux pèlerins qui visitaient la Terre
Sainte, et dont on a plusieurs rédactions publiées dans les Itinéraires à
Jérusalem de la Société de l'Orient latin (1882) sous les n"^ VI et X; le
texte même du ms. de Cambridge est imprimé dans ce volume,
pp. 189-193 (n° X, texte B); voy. la préface placée en tête de ce
volume par M. le comte Riant, p. xxvij. M. Riant pense que si la copie
a été faite en Angleterre, le texte original était français. Cette hypo-
. Le ms. Phillipps et le ms. Johnson; voy. Romania, XIII, 530.
MANUSCRITS FRANÇAIS DE CAMBRIDGE (GG.6.28) 547
thèse admise, il n'y aurait rien d'invraisemblable à ce que les diffé-
rentes rédactions de ce guide du pèlerin en Terre Sainte eussent pour
origine commune un texte latin jusqu'ici non retrouvé ; cf. Riant, ou-
vrage cité, p. xix.
5. — Rapport du patriarche de Jérusalem ^Aimaro Monaco 7 1202)
à Innocent III, sur l'état des Sarrazins. — L'original de ce rapport, rédigé,
cela va de soi, en latin a été publié plusieurs fois. On trouvera l'indication
détaillée de ces éditions dans une note de l'ouvrage de M. le comte Riant,
Haymari Monachi de expugnata Accone liber îetrastichus {2^ éà'iùoT), 1866^,
p. 63. La version française dont le ms. de Cambridge contient une
copie se rencontre en un grand nombre de mss. et a été publiée par
Sinner dans son catalogue des mss. de Berne (III, 344 ss.) et par Hopf ,
qui la croyait inédite, dans ses Chroniques gréco-romanes^ pp. 29 et suiv.
Une autre version, toute différente, et qui d'ailleurs n'est pas com.plète,
se trouve insérée dans la chronique dite du ms. de Rothelin, Hisî. occid.
des Croisades, II, 520-2.
(Fol. 57) Li apostle de Rome Innocent veut saver les custumes de la tere des
Sarazins, eynz ke ' le hoste des crestiens ert apresté e apareilé. Si manda al
patriarche de Jérusalem ke il enqueïst la vérité e les custumes e les nums des
hauz Saracins ke tenent les terres..,
6. — Curieuse description de la Terre-Sainte, traduite du latin, qui
doit être insérée dans un des prochains volumes de la Société de l'Orient
latin, et dont je me borne par conséquent à transcrire quelques lignes.
(Fol. 61 v) La terre de Jérusalem est assise en milieu le mund; ceo esta
saver en miliu la terre ke est habitable. E ceo put hom saver par ceo ke le
philosophe dist: Nostre Seigneur Jhesu Crist overe saluz en miliu la terre kaunt
il suffri passion pur humagne lignage, vcl ligné 2. Nepurkant acuns entendent
ceo de la Virgine Marie, de la quele Nostre Seignur prist char pur nostre
sauvera 3. E celé terre est en greyndre partie pleyne de montaignes ; si est plen-
tivus de herbes e de tuz bens...
Fin (fol. 69) :
E si eslurent un sire Fulke de Aungo, fort hom e prochein parent le rey.
Explicit.
1. Il y a dans le texte latin ad qms ou contra quos, selon les copies; il
faudrait donc en français contre qui ou encontre lesquels, comme en d'autres mss.
2. Cf. PsALM. Lxxin, t:.
j. Corr. sauveté.
340 P. MEYER
7. — Le roman des Sept Sages. — C'est la version publiée par Le
Roux de Lincy dont nous avons déjà rencontré , dans le ms. GG. i.i,
un exemplaire ; ci-dessus, p. 330. Celui que nous a conservé le ms.
GG. 6. 28 ne parait pas avoir été signalé jusqu'à présent.
{Fol. 69 v) I! avint qu'il ot .j. empereour a Rome ki ot non Deoclicyens.
I! ot une femme. De celé femme li fu remys .j. oir. Li empereres fu vieus et
li enfes ot bien .vij. ans. Li empereres apela les vij sages chacun par son
non...
Le ms., incomplet de la fin, s'arrête (fol. 117) au conte de la marâtre
(Le Roux de Lincy, p. 66) :
E pus remet la clef a la coreie a l'enfant loust bêlement qe li enfes n'en sot
mot, tant que ce vint a l'endemain au mangier on demanda la coupe on le quist
et on ne le pot mie trover. . .
{Le reste manque.)
MM. 6. 4. — Manuel de péchés.
Parchemin, 190 mm sur 125, première moitié du xiv* siècle, 261 feuil-
lets dont les 99 premiers contiennent l'un des meilleurs textes qu'on ait
de l'ouvrage de William de Wadington, ou, comme il est ici nommé, de
« Widendonne ». Les vers sont écrits à deux par ligne. Le texte est
précédé d'une très longue rubrique.
Cy comcnce le romaunz ky est apcllé Manuel de péchez, lequel est départi en
.ix. liveres. Et si sunt fluris de bcus amies., de auctoritès de seins, chescun solun sun
ûfferant. — Le premer lyverc est dcstlnctè sure les duze articles de la fay. Le secund
parout de .x. comaundtmens. Le tierz tache les .vij. péchez morteus. Le quart oevre
les racine de sacrilegie. Le quint espunt les .vij. sacremens de seint eglize. Le sime
strmune cornent e pur quey l'en deyt hayr péché. Le sctime anseingne queus choses
sunt nusaunz a confessiun e qucus choses profitaunz. Le utime quele vertu ad seint
oresun. Le nevirne oresuns certeyns a JesuCrist e a duce mère Marie. Le queus .ix.
liveres entendaument parlas, funt savent les lisaunz e les oyaunz maus lesser e
vertuz enbracer. Ore comtnce le prologe del lyverc ke est apelé Manuel de péchez :
La vertu del seint Espirit Tuz péchez ne poûm conter,
Nus seit eydaunt en set escrit Mes par taunt se pot remembrer
A vus teus choses cy mustrer E ses péchés mut amender
Dunt homme se put confesser, Ky cet escrit veut regarder.
E ausi en queu manere, Primes dirrum la dreyte fey
Ke ne fet pas bien a tere; Dunt estfundé nostre lay
Kar ce est la vertu del sacrement Laquelead .xij. poinz provez
Dire le péché écornent. Ke sunt articles apellez...
MANUSCRITS FRANÇAIS DE CAMBRIDGE (MM.6.4) ^49
Fin:
De Deu seit beneit chescun humme En Deu finisse cesl escrit,
Ke prie pur William de Widen- En père e fiz e seint Espirit.
Kar ky pur autre prie et hure [done; Amen.
Pur sey mêmes, dit hum^ labure.
Le reste du ms. est occupé par divers ouvrages en latin.
Je lis au fol. 179 v% ces quatre vers qui ne sont pas relevés dans le
catalogue :
Canonici cur canonicum quem canonizastis
Canonice, non canonice decanonizastis.
Est reprobum reprobare probum quem [fos] reprobastis;
Sic reprobos reprobando probes vos esse probastis.
Ces vers sont connus : je les ai publiés une première fois, d'après le
ms. Digby 55, dans mes Rapports [p. 176). On les retrouve, écrits au
xv" siècle sur un feuillet de garde du ms. d'Arras 799'. Enfm M. De-
lisle en a publié les deux premiers d'après un ms. de Tours où ils sont
attribués au célèbre et cependant mystérieux Primate
Le catalogue imprimé indique comme se trouvant dans ce volume un
feuillet arraché à un poème français dans lequel on peut reconnaître, à
l'aide des six vers cités, le fragment de Tristan publié en 18^6 par
M. de La Villemarqué dam les Archives des Missions, V, 97-8, A cette
époque ce feuillet était détaché et « confondu », nous dit l'éditeur,
« avec une foule de feuilles de vélin dépareillées ». Signalé par M. de
La Villemarqué, il fut joint au ms. MM. 6. 4, mais il ne s'y trouve plus.
Bradshaw l'en a retiré pour l'annexer à un recueil de statuts commen-
çant par la Magna carta, auquel il avait servi jadis, paraît-il, de feuillet
de garde, le n" DD. iç. 12 de la Bibliothèque de l'Université. C'est
un morceau précieux, car il ne fait double emploi avec aucun des poèmes
ou fragment de poèmes de Tristan que nous possédons K
1. Catalogue général des mss. des bibiwthcques des départements^ IV, 317.
2. Bihl. de l'Ec. des Ch., 6, IV, 605. Cf. Hauréau, Notices et extraits,
XXIX, II, 261.
3. J'ai collationné l'édition de M, de La Villemarqué sur le ms. Voici les
principales corrections à faire : Recto, v. 3, Sorvient un par estrangéor lis. Sor-
vint ./. par cstrange ciir. — V. 6, suppr. i, qui du reste fausse le vers. —
V. 7, nains, lis. nain. — V. 1 1, j'amènerai, lis. i amerrai. — V. 13, Aidonc lesrai,
lis. Ardoir les frai. — V. 26, pavez, lis. porez. — Verso, v. i, conquerre, lis.
auerre. — V. 4, hart, lis. hait. — V. 10, baisier, lis. baisiès. — V. \i, A
lis. [D]e. — V. 13, //, lis. si. — V. 16, Vous, lis. probablement (le mot est
effacé) Que. — V. 17, deleuranche, lis. desevranche. — V. 20. nostre, lis. vostre.
5 50 p. MEYER
Je termine ce mémoire en groupant quelques notes sur un certain
nombre de mss. auxquels il ne m'a pas paru nécessaire de consacrer
des notices détaillées, soit parce qu'ils ont déjà été décrits, soit à cause de
leur peu d'importance.
DD. 5. 5, — Bréviaire franciscain, partie d'été. — Si je donne place
ici à une note sur ce manuscrit, qui est tout en latin sauf les rubriques,
qui sont en français, c'est parce qu'il est sûrement d'origine française, c'est
aussi parce que je dois à mon regretté ami Bradshaw le peu que je
puis en dire. Il est aussi mal décrit que possible dans le catalogue im-
primé, qui l'attribue au xv" siècle, quand il est incontestablement anté-
rieur à 1^77, qui en fait un « Breviarium secundum Sarum « ', qui
surtout ne fait aucune mention des armoiries qui sont peintes en divers
endroits. Dès 1871 Bradsha-.v avait attiré mon attention sur ce bréviaire,
m'engageant à en publier une description dont il m'eût fourni tous
les éléments. J'obtins de lui assez facilement la promesse qu'il se char-
gerait de la rédiger, mais ceux qui ont connu l'obligeant et shy biblio-
thécaire de l'Université ne seront pas surpris d'apprendre que ce projet,
non plus que bien d'autres plus importants, n'eut aucune suite. Ce qui
m'avait frappé de prime abord, et ce que je pus apprendre à Bradshaw,
c'est que l'écriture de ce bréviaire est celle de certains copistes qui ont
travaillé pour Charles V. On observe même en plusieurs endroits, autour
des miniatures, ces encadrements tricolores à forme d'accolade qu'on
trouve dans beaucoup de beaux manuscrits exécutés à Paris, principale-
ment pour des bibliothèques royales ou princières, pendant toute la
seconde moitié du xiV siècle 2. Les armoiries qui ornent plusieurs pages
du Bréviaire sont celles de Marie de Saint-Paul, comtesse de Pembroke,
qui fonda le collège de Pembroke, à Cambridge 3 , C'est là le renseigne-
ment que je tiens de Bradshaw. Le reste était dès lors facile à trouver.
Marie de Saint Paul était fille de Gui de Châtillon, comte de Saint-
Paul (f 1 3 17) 4, et de Marie fille de Jean II duc de Bretagne. Sa grand'-
mère, l'épouse de Jean II, était une fille de Henri III d'Angleterre. Marie
1 . Cette erreur est corrigée de la main de Bradshaw sur l'exemplaire en ser-
vice à la Bibliothèque de l'Université.
2. M. Delisie a dressé une liste de cinquante-cinq mss. qui présentent cet
ornement caractéristique; voy. Cabinet des manuscrits^ III, 328-9 et 391.
M. S. Berger de son côté a fait un relevé des bibles françaises qui offrent la
même particularité, La Bible française, p. 286.
3. C'est un écu parti de Pembroke (burelé d'argent et d'azur à neuf merlettes
de gueules en crie sur l'argent) et de Châtillon Saint-Paul (de gueules à trois
pals de vair au chef d'or chargé d'un lambel d'azur de trois pièces).
4. Voir sur ce personnage A. du Chesne, Hist. de la maison de Ciiastillon,
275-80, et le P. Anselme, VI 106.
MANUSCRITS FRANÇAIS DE CAMBRIDGE (DD.5.<i) ^^I
de Saint-Paul épousa en 1521 Aymer de Valence, comte de Pembroke,
qui mourut en 1^4'. Elle fonda, outre Pembroke Hall, l'abbaye de
Denney (comté de Cambridge! et y transporta les religieuses que Lady
Denise de Munchensy avait établies à Waterbeach près de Cambridge >.
Elle mourut le 16 mars 1 377 ?.
DD. 11. 78. — Ms. de la fin du xiii'' siècle, qui vient de John
Moore, et qui renferme un grand nombre de poésies latines, en général
sur des sujets religieux, parmi lesquels huit fables en vers élégiaques,
dont l'une, la première (De ruslica et lupo), est imprimée dans les
Reliquia antiqute, I, 204). Elles se rattachent plus ou moins indirecte-
mentaux fables 1, 2, j, 5, 15, 19, 34 et 37 d'Avianus. La forme
métrique et les sujets sont identiques, quoique la rédaction soit très dif-
férente 4. Il s'y trouve aussi (fol. 45I un texte des neuf joies de Notre
Dame: Reine de plié Marie, | En ki deïtcz pure e clere... pièce souvent
copiées qui a été attribuée à Rutebeuf. Au fol. 188 r' on lit ce singulier
hexamètre qui ne parait se rattacher à rien de ce qui précède ou de ce
qui suit :
Carbones chartuns^ nos nus, comburimus arduns.
EE. 1. 20. — Ms. du xiv" siècle^, parchemin, 142 feuillets, conte-
nant (ff. 1-78, le Manuel de péchés de William de W'adington et la chronique
en prose connue sous le nom de Brut ou Brut d'Angleterre, se poursuivant,
dans cet exemplaire, jusqu'à la mort d'Edouard I (1307). J'ai indiqué
ce ms. dans mon mémoire sur les chroniques anglo-normandes qui ont
porté le nom de Brut, voy. le Bulletin de la Société des anciens textes
français, 1878, p. 124. Il appartient à la seconde rédaction. Il vient de
la collection de Moore et figure sous le n" 66 dans l'inventaire publié
par Bernard (Catalogi, II, 363 et 400).
FF. 6. 17. — Ms. du romande Horn, décrit et publié par M. Fr.
1. On trouvera les armoiries de ce personnage et un sommaire de sa vie dans
James E. Doyie, The officiai baronage of Enrland, {honàon, 1886, 8"), III, 9.
2. Voy. Monasùcon Anglicanum, new éd., VI (3*-' partie), 1549. Cf. Roma-
nia^ VIII, 501, note.
3. Voir en général Th. Fuiler, Tlu History oflhtUniversity o. Cambridgi{\6<^^),
p. 41 et Ch. H. Cooper, Î^Iemorials of Cambridge, I, 49-5 1.
4. Je tiens de M. L. Hervieux, dont la compétence est si grande pour tout
ce qui touche à l'histoire de la fable ésopique au moyen âge, qu'on ne connaît
pas d'autre ms. de la rédaction qu'offre le ms. de Cambridge.
5. Voy. Roniania, XIII, 511, où sont indiquées sept copies de cette pièce, y
compris celle de Cambridge. Une huitième copie se trouve dans le ms. Bibl.
nat. fr. 12786, fol. 90 d.
352 p. MEYER
Michel dans son édition (Bannatyne Club, 1845), puis par M. Rudolf
Brede dans une dissertation de doctorat [Ueber die Handschriften der
chanson deHorn, Marburg, 1882, p. 11).
GG. 1. 15. — Première rédaction du Brut en prose, s'étendant
jusqu'à I n î . Toutefois le ras. est incomplet de la fin et s'arrête â 1 526.
Voy. le Bulletin de la Société des anciens textes, 1878, p. 117.
GG. 4. 6. — Roman de la Rose provenant de l'évêque Moore. C'est
un grand volume sur parchemin écrit en France dans la seconde moitié
du xiv^ siècle et orné de miniatures assez médiocres. J'ai noté que le
second feuillet commençait par la matinée aîrempée, mais je n'ai retrouvé
cet incipit dans aucun ancien catalogue.
II. 6. 17. — Petit in-quarto, papier et parchemin, écrit au xvi^
siècle. Contient, entre un grand nombre de traités médicaux et autres
dont on trouvera l'indication dans le catalogue, deux lettres françaises
dont l'une (fol. 99) adressée par la duchesse de Bourgogne, Jacqueline
de Bavière, à l'évêque de Winchester en faveur du Sire de Bussy fait
prisonnier par Rodrigue de Villandrando ', et une suite de phrases
usuelles en français et en anglais (fî. 100-106) dont quelques-unes ont
été publiées par M. Stuerzinger, Orthographia gallica, p. xv.
II. 6. 24. — Ms. de la seconde moitié du xiii'' siècle, exécuté en
Normandie, qui contient des annales en latin, diverses chroniques fran-
çaises de Normandie, une ancienne version du Pseudo-Turpin et une
partie du Liicidaire en vers. Il en paraîtra une notice détaillée dans un
prochain volume des Notices et Extraits des Manuscrits.
KK. 4. 20. Ms. en parchemin, écrit de diverses mains au xiv" siècle.
Aux feuillets 56-8 est copié un sermon sur le texte Misericordia et veritas
obviaverunî sibi; Justicia et pax osculat£ sunî (Ps. lxxxiv, 11). Il com-
mence ainsi : « In versiculo isto insinuât propheta hodierne festivitatis
a misterium. .. » *. Suit un poème bien connu sur le même sujet :
(Fol. <^S c) De eodcm in gaUi[c\o.
De quatre sorurs vus voil dire
1. Je l'ai communiquée à feu Quicherat qui l'a publiée sous le n° V des
pièces justificatives de son Rodrigue de Villandrando (1879).
2. Sermon qui se rencontre assez fréquemment dans les mss., par ex. Bibl.
nal. lat. 12419, fol. s6 et 13583, fol. 139.
MANUSCRITS FRANÇAIS DE CAMBRIDGE (KK.4.20) ^]
Ke filies sunt Deu nostre Sire.
Quatre sors i sunt numrez '
E par diverse nuns numez;
Merci fu la priinere né
Ke tute fu pleine de pité.
De ce poème, certainement écrit en Angleterre, je connais trois copies,
qui ne sont probablement pas les seules : Musée brit, Harl. 1801 fol.
127; Arundel 292 fol. 25, et Corpus Chr. Coll. Cambridge $0 fol. 102.
Ce dernier ms. diffère très notablement des autres. Le dit des quatre
sœurs a été publié d'après le ms. Arundel par M. Fr. Michel, dans son
édition du Psautier d'Oxford, pp. 564-8.
MM. 4. 44. — Chronique universelle en français, s'étendant jus-
qu'en 1508. — Parchemin, 1 22 ff. à 30 lignes par page. Hauteur 250'"",
largeur 190. Ecrit en France au commencement du xv" siècle. Le premier
feuillet est orné d'une lettre peinte et d'une vignette. Ce livre vient de
l'évêque Moore, et devait être en Angleterre dès lafmduxvr siècle, car
le nom d'un ancien possesseur « H. Langley », écrit vers ce temps, se lit
sur le dernier feuillet de garde. Les premiers m.ots du second feuillet sont
deleure comença. Cette chronique, queje n'ai du reste examinée que super-
ficiellement, ne m'a pas paru offrir un grand intérêt. Il suffira d'en rap-
porter ici les premières et les dernières lignes, pour permettre de recon-
naître s'il en existe d'autres exemplaires, ce qui est probable.
Au commencement du monde, puis que Dieux et fait ciel et terre, ténèbres
et lumere et les quatre elemens divisiez (sic) l'un de l'autre, si fist diverses
créatures, herbes et arbres, poisons (sic), oysiaux et bestes pour le monde
aourner. Et veulent plusieurs dire que le monde fu fais ou mois de mars, qui est
le premier mois de l'an, selon les Ebrieux
Fin:
En cest an mesme mourut l'emperis de Constantinoble femme mons' Charlon
frère du roy Philippon de France^. En cest an mesme, le jour de la conversion
saint Pol, furent les noches faictes en l'cglisc Nostre Dame en Bouloingne du
roy d'Angielere 5 et de Madame Ysabel fille du roy de France. Et y furent
présent li roys de France e li rois de Navarre, messires Charles et messires
Loys, Philippes et Charles, li dus de Bretaigne, li dux de Brebant et li dus de
Bourgoingne, li quens Robers de Flandres et li quens de Haynau.
1. C'est la leçon du ms. Arundel, qui peut aussi, à la rigueur, se lire ici.
Le ms. Harleien porte mulicnz ; dans le ms. de Corpus ce vers et les dix-sept
suivants lent dé'aut.
2. Catherine de Courtenai, femme de Charles de Valois, mourut le 2 janvier
1308,
5. Edouard II.
Romania, VX. 23
^54 P- MEYER
MM. 6. 15. — Je me borne à signaler, aux ff. 105-8 de ce ma-
nuscrit, une nouvelle copie du petit poème relatif au miracle de Sar-
denai que M. Raynaud a publié ici même (XI, 531) d'après un ms. de
Tours, et dont il a depuis (XIV, 81) fait connaître deux autres mss.,
l'un à Londres, l'autre à Oxford. Le catalogue en cite dix vers, les huit
premiers et les deux derniers. Il ne me semble pas douteux que ce
poème a été composé en Angletere.
TABLE DES MSS. DÉCRITS.
DD.5.S....
DD.IO.31 ..
DD.11,78..
DD. 12.23..
EE.1.20...
EE.2.17...
EE.3.52...
EE.3.S9...
EE.4.26...
EE.6.11...
EE.6.16...
EE.6.30 . . .
FF. 1.33...
FF.3.31...
FF. 6. 13...
Pages. Pages.
3^0 FF. 6. 15 281
24' FF. 6. 17 351
351 GG.i.i 283
262 GG. 1.15 352
351 GG.4.6 352
264 GG.4.32 342
265 GG.6.28 344
265 HH.3.16 276
268 II. 6. 17 352
268 II.6.24 352
270 KK.4.20 352
272 MM. 4. 44 353
273 MM. 6. 4... 348
275 MM, 6. 15 354
277
TABLE DES AUTEURS ET DES OUVRAGES.
Pages.
Anne (sainte), hymne latin et
français à — (EE.6.1 5).
Apocalypse en français
(GG.i.i)
Auctoritatcs^ sentences latines
(GG.i.i)
Ave Maria traduit en deux
quatrains(GG.4.32)
— traduit en couplets
coués(GG. I . i) 317
paraphrasé en qua-
271
329
339
343
322
trains (GG.i.i)
AviANus, fables latines imi-
tées d' — (DD.11.78)..
Bible, abrégé de la — en vers
latins rhythmiques (GG.
1-0
Bible en français (EE.3.52)
Bible française (EE.3.S2) .
BiBLESwoRTH, voir Gau-
tier DE —
Blâme {le) des femmes, poème
Pages.
306
35'
327
267
265
MANUSCRITS FRANÇAIS DE CAMBRIDGE
(GG.I.I)
Bonté {la) desfemmcSy poème
(GG.I.I)
BozoN (Nicole), Le Char
d'Orgueil, poème (GG.6.
28)
Bréviaire de Marie de Saint-
Paul (DD. 5. 5)
Brut (le) d'Angleterre, abrégé
prose (GG, 1.1)
Brut (le), chronique s'éten-
dant jusqu'à la mort d'E-
douard I (EE.1.20)
— jusqu'à 133J (GG.I.I $)
Calendrier hygiénique (FF.
■•53)
Chansons d'amour (DD.io.
51)
Char d'orgueil^ voy. BozoN.
Chronique universelle en
français (MM. 4. 44)
Cinq {les) joies i\ostre Dame
(GG. 1 . i), en vers
Clerc ou chevalier, lequel
vaut mieux en amour,
poème (GG. i . i)
Complainte sur la mort
d'Edouard I (GG, i . 1)'. . .
Confession , les dix-sept
points de la — ,en prose
(GG.I.I)
— , formule de — , prose
(GG.I.I)
Credo (le), en grands vers
(GG.I.I)
Credo {le), en vers de 7 et 8
syllabes (GG.4.32)
Croix, roman de la sainte — ,
prose (GG .1.1)
Domies, Evangiles des — , voy .
Robert de Gretham.
Edouard, Vie de saint — ,
poème (EE.j. 59)
Edouard I, voy. Complainte
et Pierre DE Lamgtoft.
Pages-
539
3'5
543
350
357
3S1
3S2
274
246
353
507
532
357
552
346
341
326
267
Evangile de l'enjance, poème
(GG.I.I)
— (ms. Didot)
Fauconnerie, traité latin,
voy. Liber.
— traité en prose, avec
prologue et épilogue en
vers (FF. 6. 13)
— traité en vers (Harl.
978)
Folies, voy. Trente-deux (les)
Gautier de Biblesworth,
traité pour apprendre le
français (GG. i . i)
Gilles de Rome, trad. par
Henri de Gauchi (EE.
2.17)
Gloucester, voy. Humirey.
Hending, proverbes de — ,
en anglais (GG.i. i)
Henri de Gauchi, voy.
Gilles de Rome.
Herman de Valenciennes,
l'Assomption Notre Dame,
poème (GG. i . i)
Hippocrate, du gouverne-
ment de santé, traité attri-
bué à — et adressé à
César ^FF.1.33)
Horn, roman de — , en vers
(FF. 6. 17)
Humfrey, duc de Gloucester,
liste des livres qui lui
ont appartenu
Yder, poème de la Table
ronde (EE.4.26)
Image (/') du monde, poème
(GG.I.I)
JACauES DE Cessoles, traité
des échecs moralises, trad.
par Jean de Vicnai
(FF-'-33) •••
JAcauES Legrakd, le Livre
des bonnes mœurs (FF. i .
3?)
555
Pascs.
554
335
278
312
264
354
308
274
35'
264
268
3'4
275
274
Î56
Pages.
Jean de Vignai, voy. Jac-
auEs DE Cessoles et Vé-
GÈCE.
Joies Notre Dame; voy. Cinij
(Us) joies et Neuf (les) joies.
Jugement dernier, les signes
précurseurs du — ,en latin
(GG.i.i) 317
Lamentation Notre Damc^ voy.
Plainte
Legrand, voy. Jacques —
Langtoft , voy. Pierre
DE —
Liber de passionibus falconum,
etc. (FF. 6. 13) 279
Manilrc (la) de langage (DD.
12.23) 262
Manuel de pêMs, voy. Wil-
liam de Wadington.
Marguerite, Vie de sainte —
(EE.6.11) 269
Marie de France, fables
(EE.6.13) 269
Marie de Saint-Paul, com-
tesse de Pembroke, son
bréviaire 350
Médecines de garrir falcons,
etc., prose (EE.6.11)... 279
Merlin, Prophéties de — ,
prose (GG. 1.1) 295
Miracle opéré par la vertu
d'un îrentcl., en prose
(FF. 6. 15) 281
Miracle de Sardenai,en vers
(MM. 6.1^) 354
Miracle de la Vierge, vision
du champ fleuri, en vers
(EE.6.30) 272
— autre rédaction (GG.
i.i) 327
Miracles de la Vierge, en la-
tin (GG.i.i) 340
Miroir (le), voy. Robert de
Gretham.
Monaco (AiMARO), Rapport
à Innocent ill sur l'état
des Sarrazins, en prose
(GG.6.28)
Neuf (les) joies Notre Dame,
en vers (DD. n .78)
Oraisons, voy. Ave Maria,
Credo, Pater, Quicumque
vult.
Ordre (V) de Chevalerie,
poème (GG.6.28)
Passion, poème anglais sur
la — (GG.i.i)
Pater (le) exposition en la-
tin du — (GG.i.i)
— traduit en vers de 7 et
8 syll. (GG.4.32)
— paraphrasé en vers (GG.
'•0
Patriarche (le) de Jérusalem,
voy. Monaco.
Patrice (saint), voy. Pur-
gatoire.
Pèlerinages de la Terre
Sainte, voy. Terre Sainte.
Petite {la) philosophie, poème,
(DD.10.31)
- (GG.6.28)
Physionomie, prose (GG. i . i )
Pierre de Langtoft, vie
d'Edouard I (GG.i.i) ,.
Pierre de Peckham, la
Lumilre as lais (GG. i . 1).
Pilate, légende latine de —
(GG.i.i)
Plainte d'amour (la), poème
(GG.i.i)
Plainte (la) ou Lamentation
Notre Dame (CG.i.i)...
Poème allégorique (DD.io
îO
Ponthus , roman en prose
(PP-hP)
— (HH.3.16)
Prière en vers à saint Fran-
çois (EE.6. 16)
Pages.
547
347
295
332
342
322
256
346
33'
3'3
287
352
292
309
241
275
276
271
MANUSCRITS FRANÇAIS
Pages.
Primat, vers latins (MM.
6.4)
Pronostics tirés du jour de
la naissance, latin (GG. i . i )
Pronostics tirés du mois de
la naissance, prose (GG.
'.')
Pronostics tirés de la coïn-
cidence des divers jours
de la semaine avec la Noël,
en vers (GG. i . i)
Pronostics tirés du tonnerre,
latin (GG. i . i)
Prophéties (les), voy. Mer-
lin.
Psaumes de la pénitence,
traduits envers (GG. i.i)
Purgatoire de saint Patrice,
en vers (EE.6, 1 1)
Quatre sœurs, le dit des — ,
en vers (KK.4.20)
Quïcumque vult, ou symbole
de saint Athanase, en vers
dey et 8 syll. (GG.4.32)
Quinze [les] signes de la fin
du monie^ poème (GG. i . i )
Rauf de Lekham, Comput
(GG.i.i)
Robert de Gretham, le
Miroir, ou Evangiles des
Damées (GG.i.i)
Romans, voy. Horn, Ydcr,
Ponthus, Rose^ Sept Sages.
Tristan.
Rose^ romande la — (GG.
à.6]
Sacramentis (de) Ecclesie
(GG.i.i)
Saignée, jours où elle peut
349
325
325
305
269
3S2
343
290
285
296
3S2
425
DE CAMBRIDGE
être pratiquée (GG.i .1).
Secret (le) des secrets, prose
(^^•■•33) -,
Sentences en quatrains et en
distiques (GG. 1 . i)
Sept Sages, roman des — en
prose(GG. i.i)
— (GG.6.28)
Sidrac. le livre de — (GG.
>)•
Six (les).âges de l'homme, en
latin (GG.i.i)
Symbole des apôtres, voy.
Credo.
Symbole de saint Athanase
voy. Quicumque vult.
Terre Sainte, description de
la —, prose (GG.6.28)
— Pèlerinages de la — ,
prose iGG.é.28)
Trente-deux (les) folies, vers
(GG.i.i)
Tristan, fragment d'un poème
de — (DD.15,12)
Urbain le Courtois (GG. i . i)
Végèce, de chevalerie, trad.
par Jean de Vignai (EE.
2.17)
Veni Creator, trad. en vers
(EE.6. 16)
Vierge (miracle de la).
Vies des Saints,voy. Edouard
Marguerite.
William de Wadington,
Manuel de péchés- poè-
me (EE.1.20)
— — (MM.6.4)
— copie partielle (GG.
i.i).
?57
Pages.
32s
273
330
348
339
325
347
346
340
349
284
652
272
3$i
348
3'2
Paul Meyer.
LE MONOLOGUE DRAMATIQUE
DANS l'ancien THÉÂTRE FRANÇAIS
Le nom générique de monologue dramatique s'applique à deux sortes
de compositions fort différentes : le sermon joyeux et le monologue pro-
prement dit. Le premier est une parodie, généralement fort libre, des
sermons en vers ou en prose qui précédaient les grands mystères; le
second, au contraire, est une scène à un personnage, dans laquelle l'ac-
teur joue un véritable rôle. L'un se borne à un récit; c'est une suite plus
ou moins heureuse de traits satiriques; l'autre au contraire est une action :
c'est une comédie complète placée dans un cadre restreint. Nous étu-
dierons successivement les deux genres.
L'origine religieuse des mystères, la part que le clergé prenait à
ces pieuses représentations, le lieu où ils étaient joués, au parvis des
églises, ou dans l'intérieur même des temples, tout explique qu'ils aient
été précédés d'un sermon '. Comme le remarquent les auteurs de l'His-
toire littéraires^ « on accourait au sermon pour être sûr de ne point
perdre les scènes comiques, les bouffonneries même, destinées à l'amu-
sement de ceux que le sermon venait d'instruire, et les scènes tragiques,
d'attendrir ou d'effrayer. »
Les joueurs de farces, usant des libertés que le moyen âge se per-
mettait, parodièrent les drames religieux. Ils reprirent, en les adaptant
à la scène profane, les dits des anciens trouvères: le Martyre de saint
Baccus, quelque peu modifié et abrégé, devint le Martyre de saint Raisin.
Une fois entrés dans cette voie, ils célébrèrent les louanges d'une
1. Il nous suffira de rappeler, à titre d'exemples, les sermons qui précèdent
!e Misiêrc de la Passion et le Mistcrc des Actes aes Apostres. On peut comparer
le prologue récité par Vangelo au début des rappresentazioni italiennes, et la
loa des Espagnols.
2. XXIV, 367.
LE MONOLOGUE DRAMATIQUE. 3 59
foule de saints facétieux, saint Hareng, saint Oignon, sainte Andouille,
saint Billouard, etc. Dès lors le genre exista; mais, comme en toute
chose il faut de la variété, les joueurs de farces ne se bornèrent pas à
raconter la vie de leurs saints imaginaires, ils prêchèrent sur les femmes,
sur les ivrognes et sur divers autres sujets plus ou moins scabreux. Par-
fois même un événement historique, une victoire du roi, la mort d'un
criminel, etc., leur servait de thème.
Comme les véritables sermons, les sermons joyeux débutent d'ordi-
naire par une citation latine, et c'est dans ces parodies, qui sont comme
une réminiscence de la fête des fous, que se montre le plus clairement
la tolérance des autorités ecclésiastiques. Les textes bibliques sont d'or-
dinaire travestis de la façon la plus grotesque ; le signe de la croix et
VAve Maria subissent eux-mêmes des tranformations bouffonnes.
Les auteurs des mystères eussent été mal venus à se plaindre de ces
parodies souvent fort peu édifiantes ; ils avaient eux-mêmes contribué au
scandale en mêlant le sacré et le profane, en mettant sur la scène des
sots ou des fous qui annonçaient le spectacle ou qui intervenaient dans
l'action '. Avant eux les moines avaient ouvert la voie en composant des
discours facétieux tels que le Sermo de Ncmine, le Sermo de sanctissimo
fratre Invicem, etc. ^.
L'origine même du sermon joyeux explique qu'il ait dû être récité
au début de la représentation : il tenait la place de l'exhortation pieuse
dont les mystères étaient ordinairement précédés. Nous avons déjà cité
un passage du Journal d'un bourgeois de Paris qui confirme cette observa-
tion 5. Nous verrons plus loin que le sermonneur annonçait parfois qu'il
allait faire la quête : il était important d'assurer la recette avant de
jouer la pièce de résistance 4.
La simplicité des sermons joyeux, qui n'exigaient ni théâtre ni mise
en scène, permettait d'ailleurs de les produire dans une foule d'occa-
sions. On en récitait dans les assemblées de certaines sociétés badines J,
1. Voy. par exemple la Vie de saindt Barbe, en cinq journées, la Vie et
Passion de monsieur saincl Didier^ par Guillaume Flamang (1482), le Mistêre de
la Passion de Troyes (1490) et le Mistêre de saint Bernard de Mcnttion. — Dans
les C/î£5f«;P/j)'5, le sacrifice d'Abraham est précédé d'un prologue comique
récité par Gobbet on the Green.
2. Voy. Montaiglon et Rothschild, Recueil de Poésies françaises, XI, 513, 328.
3. Romania, VII, 239.
4. Voy. le Sermon joyeulx d' uns, fiance (jui emprunte ung pain sur la fournée, le
Sermon d'un cartier de mouton, le Sermon jojeux des Quatre Vens et le monologue
de Watetet.
<,. Nous croyons que telle fut la destination des pièces de Coquillart, qui ex-
.cèdent de beaucoup les limites ordinaires du sermon joyeux et qu'aucun acteur
n'aurait eu la force de réciter sur un théâtre, aucun spectateur la patience
d'entendre.
360 É. PICOT
dans les réunions des clercs du palais ' ; on en égayait les repas ^, spé-
cialement les repas de noces 5.
Il arrivait aussi que, les jours de réjouissance populaire^ un acteur
montait bravement sur un tonneau, au coin d'une rue, et récitait à la
foule un sermon joyeux. C'est ainsi que, en 15^7, le conseil de ville de
Cambrai fit payer une gratification de 10 sols à un nommé Claude Le
Mausnier, « ayant ce jour preschié sur un tonneau en recréant le peuple 4 « .
A la fin du xvi'' siècle, le sermon joyeux, banni du théâtre par les au-
teurs qui veulent revenir aux modèles antiques, conserve sa vogue dans
les provinces. A Paris même, il reprend faveur au commencement du
xvii^ siècle ; mais alors il se transforme, il tombe dans le domaine
des bateleurs et des charlatans du Pont-Neuf. Les prologues de Brus-
cambille et les questions de Tabarin continuent la tradition des anciens
joueurs de farce, bien que la prose y remplace les vers. Les auteurs
rachètent cette infériorité en exagérant encore la grossièreté et le cy-
nisme de leurs devanciers.
Le monologue dramatique met en scène la personne même qui le
récite; aussi est-ce un genre plus difficile à cultiver que le sermon. Il
exige à la fois des qualités plus diverses chez le poète et chez l'acteur.
Tout auteur sachant tourner spirituellement les vers pourra écrire un
sermon; pour réussir dans le monologue il faudra posséder en outre
l'entente du théâtre. Le premier venu pourra réciter tant bien que mal
un sermon, un comédien exercé pourra seul rendre le monologue sup-
portable. De là vient que les pièces appartenant à la seconde classe
sont moins nombreuses que celles de la première. Les auteurs qui les
ont composées ont eu grand' peine à varier leurs sujets, ils sont tombés
dans les redites, et se sont copiés les uns les autres, au point qu'un
même monologue a pu subir trois transformations différentes'. H est
1. Les pièces poitevines et bourguignonnes que nous citons plus loin sont, à
coup sûr, l'œuvre de jeunes bazochiens,
2. Voy. ci-après (n" 31) le Sermon fort joyeuh pour l'entrée de table.
3. Voy. la pièce de Roger de Collerye intitulée: Sermon pour une nopce^ ci-
après, n» 19, et le Nouveau et joyeux Sermon contenant le ménage et charge de
mariage, pour jouer à une nopce, n" 21. — L'auteur du Sermon nouveau et fort
joyeulx auquel est contenu tous les maulx que l'homme a ta mariage n'a pas
oublié dans son énuniéralion des charges imposées au malheureux fiancé l'ooti-
gation d'appeler des joueurs de farces:
Quant le jour des nopces est près,
Il faut semondre a pompe grande
Et achepter de la viande,
Louer meiiestriers et farseurs,
Maistres d'hostelz et rôtisseurs.
(Montaiglon, Recueil de Poésies franço'.scs, II, 8).
4. Durieu, Le Théâtre à Cambrai avant et depuis 1789 (Cambrai, Renaut,
1883, in-8), 166.
LE MONOLOGUE DRAMATIQUE. 361
vrai de dire que des morceaux aussi achevés que le Franc Archier de
Baignollct ont dû décourager d'avance les imitateurs.
Pour introduire quelque variété dans les monologues, les joueurs de
farces imaginèrent des monologues à deux personnages, dans lesquels
les interruptions d'un second acteur formaient les éléments du comique,
ou des dialogues à un seul personnage dans lesquels le même acteur se
répondait à lui-même en changeant sa voix ou son visage.
Les règles du monologue et celles du sermon étaient au fond les mêmes ;
ils avaient la même étendue. D'après Gracien Du Pont, deux cents vers
suffisaient ^ ; mais il était rare que ce nombre ne fût pas dépassé. Sermons
et monologues sont d'ordinaire écrits à rimes plates; cependant nous
trouvons dans plusieurs pièces qui appartiennent au milieu du xv^ siècle,
mais surtout chez Coquillart et chez plusieurs de ses imitateurs, des vers
croisés et des strophes 5.
Comme les mystères, les moralités et surtout les farces, les sermons
et les monologues sont émaillés de triolets. M. Éd. Fournier fait remar-
quer 4 que le Pèlerin passant de Pierre Tasserye, qui est de 1 509, com-
mence par un triolet^ et il ajoute: « forme de poésie qui n'était pas alors
fort commune ». C'est là une erreur. Sans parler des Miracles de Nostre
Dame, une des plus anciennes moralités qui nous soient parvenues, ne
1 . VVatclit, Maisîre HambrcUn, Le Varlct à louer.
2. « 0.ui aura envye de sçavoir le nombre des lignes appartinentz en mono-
logues, dyalogues. farces, sottises et moralitez, saiche que, quant monologue
passe deux cens lignes, c'est trop; larces et sottises, cinq cens; moralitez,
mille ou douze cens au plus. » An cl Science de rhdoncquc melrijfièe... composé
p.v Griuicn Du Pont, escuycr, seigneur di Dnisac {Tholozc, par Nycolas Vieillard,
1^9, in-4>, fol. jj a.
3. Pierre Fabri (Le grant et vray Art de rhétorique; Rouen, Symon Cruel,
in-4, II, 19 a) commence ainsi le chapitre qu'il consacre à la « rithme de
plusieurs basions » :
« Il est une espèce de rithme qui s'appelle deux et ar. pour ce que deux ou
trois lignes de semblable longueur, sont léonines, et celle qui croise est plus
courte ou de semblable longueur ainsi que est le Livre du gras et du maigre et
des Qiutrc Dames maistre .^lain, et en faict l'en par basions et sans basions.
« Nota que le baston par plusieurs est entendu pour clause (c'est-à-dire pour
strophe), et par plusieurs est entendu pour ligne de clause, u
Après avoir cité trois exemples, Faori continue en ces termes:
« Et generallement quasi toutes les farces que l'en faict maintenant et espe-
cialement tous les monologues Coquillart sont pratiquez en deux et ar. »
Parmi les trois exemples cités, il en est un qui paraît tiré d'un monologue
dramatique :
Se tu veois dame ou damoiselle,
Le beau vestement d'entour elle,
Ses colliers et ses bons joyaulx
Te monstreront qu'el(le) sera belle
A veoir de loing, mais n'est pas telle
Quant plus on voit de près ses peaulx, etc.
4. Le Théâtre français avant la Renaissance, 272.
362 É. PICOT
pièce relative au Concile de Basle, que nous croyons pouvoir dater de
l'année 1433, est pleine de triolets'.
On remarquera dans plusieurs sermons ou monologues des passages en
prose analogues aux couplets « parlés » de nos chansonnettes comiques 2.
Les monologues n'ont jamais complètement cessé d'exercer la verve
des auteurs dramatiques. De même que Bruscarnbille et Tabarin avaient
prolongé la vogue des sermons joyeux, les acteurs de la foire Saint-Ger-
main conservèrent les farces à un personnage.
Quand les troupes ambulantes se virent poursuivies à la requête des
comédiens du roi et des directeurs de l'opéra, que les uns leur firent
défendre de parler et les autres de chanter, elles se rabattirent sur le
monologue. En 1707, cette forme dramatique leur fut permise; mais
divers subterfuges auxquels ils eurent recours pour représenter de véri-
tables pièces à laidede prétendus monologues leur valurent, de la part
de la police, une nouvelle interdiction 5 .
Nos recherches ne portent que sur le xV et le xvi"' siècle ; par excep-
tion nous faisons figurer dans notre bibliographie deux ou trois pièces du
xvii'^ siècle qui ont avec les productions antérieures des rapports trop
étroits pour pouvoir en être séparées.
Ainsi que nous l'avons fait précédemment pour la sottie, nous nous
sommes efforcés de classer chronologiquement les sermons et les mono-
logues et d'en rechercher les auteurs.
Nous les avons de plus groupés par genre et les avons répartis en douze
classes, savoir :
1° Sermons sur la vie de divers saints ou personnages facétieux,
2° Sermons sur l'amour, les femmes et le mariage,
5" Sermons sur les buveurs et sur les cabarets,
4" Sermons sur divers sujets,
5" Sermons de sots,
6° Monologues d'amoureux,
j" Monologues de charlatans et de valets,
80 Monologues de soldats fanfarons,
9*^ Monologues de comédiens,
10" Monologues de villageois,
11° Monologues historiques,
12° Monologues moraux.
1 . Voy. Œuvres de Georges Chastdlain publics par M. Kervyn de LcUenhove
VI, 1-48.
2. Voy. ci-après les n»» 8, 9 et 56.
5. Despois, Le Théâtre français sous Louis XtV, Paris, Hachette, 1S74,
in-12), 8g.
LE MONOLOGUE DRAMATIQUE. — I. ^6^
1. — SERMONS SUR LA VIE DE DIVERS SAINTS
OU PERSONNAGES FACÉTIEUX.
I. Sermon fort joyeux de saint Raisin.
[Vers 1450 ?|
Saint Bacchus, ou saint Raisin, est probablement le premier martyr
sur lequel se soit exercé la verve des joueurs de farces. En remontant
dans le moyen âge, nous rencontrons une pièce grecque sur la condam-
nation du Raisin, dont il a existé plusieurs versions différentes, et qui a
été traduite en sloveno-serbe et imitée même en turc (voy. Archiv fiir
slavische Philologie, 1, 61 1 ; II, 192),
A côté de la pièce grecque nous devons ranger un dit français, très
différent, il est vrai, composé en 1513 par Geofroy de Paris. Le Mar-
tyre de saint Baccus ressemble beaucoup à un sermon joyeux, pas
assez cependant pour que nous ayons pu lui donner une place parmi les
ouvrages dramatiques. Ce dit, composé de 455 vers dont le ^'' n'a pas
de rime^ a été publié, d'après un manuscrit de la Bibliothèque nationale,
par M. Jubinal Nouveau Recueil de Contes, Dits, Fabliaux, etc., I, 250-265).
Le sermon joyeux, qui nous paraît appartenir au milieu du xv* siècle,
commence ainsi :
Hoc bibt quoi possis,
Si vivere sanus tu vis :
Hec verba scribuntur in Cathone, ultiino capitulo.
En considérant le courage
Du tresnoble Cathon le sage.
Duquel j'ay allégué le thesme, 5
Affin que n'ayons tous la rume,
Prenons exemple a Jesuchrist
Du premier miracle qu'il fit,
Ce fut qu'il mua l'eaue en vin
Aux nopces de l'architriclin. . . 10
Nous ne relevons dans le poème aucun détail qui permette d'en fixer
approximativement la date; nous n'y trouvons non plus aucune indication
relative à la province où il a été composé. On remarquera cependant
quelques mots curieux: dariolle (v. 80), vivande (v. c)o) ,, tisetaine (v. 99),
boéte panetrée (v. 107).
Le sermon, qui est très court, se termine ainsi :
Prions doncques Nostre Seigneur
145 Qui ses apostres abreuva
364 É. PICOT
Et leur dist : Se me voulez croire.
Faictes ainsi que ma mémoire,
Qui en son hault trosne de gloire
Nous meine, le père et le filz
150 Et le benoistSainct Esp[e]rit
Qui est pour nostre rédemption,
In sccula seculorum .
Amen,
Bibliographie :
a. — Sensuit le sermon fort ioyeux de saint Raisin. S. /. n. d.
{vers 1 520], pet, in-8 goth. de 4 ff. de 25 lignes à la page.
Au titre, un bois qui représente un moine assis dans une chaire gothique,
devant un pupitre.
Au v^ du dernier f., un second bois qui représente une femme tendant la main
à un pèlerin agenouillé.
Biblioth. de S. A. R. Mgr. le duc d'Aumale {Catal. Cigongnc, n" 712).
b. — S'ensuit ]| le Sermon || fort ioyeux || de saint Raisin. \\ A Rouen, \\
Chez Nicolas Lescuyer, près le || grand portail,, nostre Dame. — Fin. S. d.
[vers 1 595], pet. in-8 de 4 ff. de 27 lignes à la page, sans sign.
Titre encadré, dont le vo est blanc. On y voit la marque de Lescuyer repré-
sentant une tête de Janus, insérée dans un cercle formé de deux serpents, et
accompagnée de la devise : nâpovxa xal jj.rAXov:x.
Dans le coin inférieur de droite on remarque le chiffre 3, qui indique la place
que le Sermon occupait dans les recueils du libraire rouennais.
Biblioth. de feu M. le baron James de Rothschild (Cat. I, n" 590, art. 3).
c. — Reproduction autographique exécutée vers i8p et tirée à 40
exemplaires: nous croyons qu'elle a été faite sur l'édition a.
d. — Joyeusetez^ 183 1, dans le vol. qui contient les Songes de la Pu-
celle, etc.
e. — MonXai^lon, Recueil de Poésies françoiscs^U, 11 2-1 17.
2. Sermon de Billouart, par Jehan Molinet.
[Valenciennes, vers 1460.]
Cette pièce est une des plus ordurières de celles que nous aurons à
citer ; aussi n'est-ce pas sans surprise que nous l'avons rencontrée dans
les œuvres de Molinet. Bien que les lettres échangées entre le chanoine
de Valenciennes et son ami, Guillaume Crétin, prouvent que ces graves
personnages ne craignaient pas les facéties un peu épicées, le sermon de
Billouart, ou de saint Billouart (car c'est bien d'un saint qu'il s'agit),
LE MONOLOGUE DRAMATIQUE. — I. ^65
dépasse en hardiesse tout ce qu'on pouvait attendre de Molinet. Il faut
sans doute y voir une œuvre de jeunesse.
Voici le début du Sermon dans les deux textes qui nous en sont par-
venus:
Introivit in tabernaculo;
Lacrimanti rcccssit oculo.
Peuple dévot, soubz [ung] hallot,
Hiersoir, environ le malin,
5 Trouvay escript ce fort latin
Que j'ay ichy prins pour mon
[theumc,
Et, pour tant que c'est ma cous-
[tume
De le déclarer en franchois,
Le declareray mais anchois,
10 Affm que plus profondement,
Vous puissiés toutz mon fonde-
[ment
Sentir, machier et savourer,
Tant que le fruit peult demourer
A aulcuns de vous en la bouche.
1 5 Avant que plus par;ond je touche
A ceste prédication,
Nous ferons salutation
En nous mectans sans nulz debatz
Le cul en hault. le chiet en bas,
20 Honnestement, sans faictz infa-
[mes.
Les hommes au dessus des fem-
[mes,
Disantz pour tous brimborions:
Dcus des genitorions
Introivit et cetera...
La pièce se termine ainsi :
Billouart mist son estudie
A le touchier de son boult digne
Ung peu plus bas que le boudiné,
260 Et la sy au vif l'attaindit
Que celle challeur estaindit,
Et fut guerrie nettement
Jubé me bencdicere.
Introivit in tabernaculo;
Lachrynumte recessit oculo.
Peuple dévot, sur un halo.
Ce fut hersoir,au plus matin,
Que [|']assemblay ce fort latin 5
Que l'ay [i]cy prins pour mon thesme ;
Mais, pourtant que c'est la coustume
De le déclarer en françois,
Je (vous) le declareray; ainçoys
Que plus avant nous procedion 10
A ceste prédication,
Nous ferons salutation,
En nous mettant sans nuls débats
Le dos en haut, le ventre au bas,
Honnestement, sans estre infâmes, 1 5
Les hommes par dessus les femmes,
Disant pour tout brcborium:
Deiis in genitorium
Introivit, et cetera...
B
Billouart mist son estudie
De toucher ceste femmelette.
Tant qu'il la guarit toute nette
Par vertu de ses oigneniens.
Sans faire plus longs preschemens,
Femmelettes, n'oubliez mie
45
j66 É. PICOT
Par le vertu de l'ongnement De vous mettre en la confrarie 1 50
Dontilleoindy parplusieurs foys, De monsieur saint Biilouart.
26 s Tellement qu'au bout de neuf ^^^^
[moys,
Par Biilouart et ses jumelles,
Elleeultdu laict plein ses ma-
[melles
Et en ses bras ung beau poupart.
Femmes, priés a mon départ
270 Pour moy, et, mays qu'il m'en
[souviegne,
Je prieray qu'ainsyvousadviegne.
Bibliographie :
a. — Bibliothèque de feu M. le baron James de Rothschild, ms. in-fol.
sur papier de 201 fF.. fol. 1-2. Voy. le Catalogue, I^ n'' 471.
b. — Le II Sermon || Saint Bil- || louart nou- 1| uellement Im- |] primé.
= A Rouen, \\ Chez Nicolas Lescuyer, \\ près le grand portail \\ nostre Dame.
— Fin. S. d, [vers 1595], pet. in-8 de 4 ff. de 27 lignes à la page
pleine, sans sign.
Titre encadré, dont le v° est blanc. On y voit la petite marque de Lescuyer ,
réduction de celle qui orne le titre du Sermon fort joyeux de Saint Ruisin.
Dans le coin inférieur de droite se trouve le chiffre 4 qui indique la place
qu'occupait cette pièce dans les recueils de Lescuyer.
Biblioth. de feu M. le baron James de Rothschild (Cat. I, n» 590).
Cette édition très fautive et qui ne contient que 1 5 1 vers, a dû être précédée
de plusieurs autres qui ont disparu sans laisser de traces.
3. Sermon joyeulx de sainct Faulcet.
[7^1475.]
L'histoire de sainct Faulcet doit être empruntée, comme celle de sainct
Nemo, à quelque discours facétieux composé, au moyen âge, par un
théologien en belle humeur. Sainct Faulcet est le patron des menteurs,
mais il prétend que ses mensonges sont si bien combinés que Dieu n'a
pas le courage de le damner.
Notre sermon, qui ne nous est connu que par une édition des plus fau-
tives, semble avoir subi de graves mutilations: on n'y trouve que quelques
traits de la vie du saint ; par contre, on y rencontre quelques allusions
qui permettent d'en fixer approximativement la date.
LE MONOLOGUE DRAMATIQUE. — I. 07
Le prêcheur entre ainsi en matière :
Ubi paly co^uaris
Maxilbrium in vants
Familliarum constringe :
Ce que Dieu a dit et juré,
C'est bien raison que il soit faict. 5
En la légende sainct Faulcet
Ay trouvé ce que vous ay dit
Et le jugement que Dieu fist
Le jour qu'il trouva saint Faulcet
Lassus es cieulx en ung anglet, 10
La ou il avoit prins son lieu
Maulgré les sainctz et maulgré Dieu...
Après avoir conté le trait le plus plaisant de saint Faulcet, le poète
ajoute :
Trestous ceulx qui sont en péché 30
Et qui sont faulx par.'aictement
• Seront saulvez au jugement;
Se nous racompte sainct Faulcet,
(^ui contre Dieu en fist procès,
Ainsi que j'ay dit cy devant : 3 5
Maris, Divat(us), Warin, Tristant
Furent sainctz, aussi Argenton.
Nous ignorons qui peuvent être Maris et Divat ou Dinat \ quant à
Warin, c'est peut-être Richard Wareyn qui conspira, en 1470, contre
le roi Edouard III et fut, pour ce fait, décapité ■; mais c'est plus probable-
ment Warwick, le faiseur de rois_, tué à Barnet en 1 471 .Tristant doit être
Tristan L'Hermite, le célèbre grand-maitrede l'artillerie, qui vivait encore
en 1475*; enfin Argenton ne peut être que Philippe de Comines, de-
venu seigneur d'Argenion par son mariage avec Hélène de Chambes
(27 janvier 1473 .On voit que l'auteur est un Bourguignon qui ne ménage
pas les partisans du roi de France.
Plus loin iV. 79I, MM. de Montaiglon et de Rothschild ont cru voir
une allusion à un emprunt fait par Louis XI aux Cambrésiens. Il est pos-
sible enfin qu'un autre passage (v. 99-104I contienne une allusion au roi,
à La Ballue, à Olivier Le Daim; mais l'obscurité du texte ne permet
pas de l'affirmer.
1. Chroniques d'Angleterre^ par Jean de Wavvrin, éd. de la Société de l'hist.
de France, 111, 17.
2. Anselme, 3« éd., VIII, 132.
368 É. PICOT
Voici les derniers vers du sermon :
Et, affin que mieulx en priez,
Je vous donne tous mes péchez.
C'est assez dit pour une foys ; 125
A Dieu vous command, je m'en vois.
Biblioorapfiie :
a. — Le Sermon de sainct Faulcet termine un petit volume in-8 goth.
qui se trouve à la Biblioth. munie, de Versailles (E. 308. c.) et auquel
manque le f. de titre. Voici l'indication des pièces contenues dans ce
volume, dont nous ne connaissons pas d'autre exemplaire. Peut-être
quelque bibliophile sera-t-il assez heureux pour en retrouver le titre:
1. Que pensez vous, seigneurs, barons, (et) vassaulx^
Que ne mettez en vos meffaitz souffrance?
1 5 strophes terminées par des proverbes. Ces strophes devraient avoir cha-
cune sept vers, mais plusieurs sont incomplètes. La 14" commence ainsi :
Faict et dit a L\on sur le Rosne^
Ou je fus né et y faictz mon séjour,
En attendant quelque bonne nouvelle
Qui adviendra, se Dieu plaist, en briet jour.
Il est évident que les mots « a Lyon sur le Rosne » qui ne font pas le vers
ont été substitués à une fin de vers qui rimait avec « nouvelle »; Lyon n'est
donc que le lieu de l'impression et non celui de la composition.
Quant au poème, on y trouve le nom de François I" (v. 16); la 13« strophe
fait allusion à « sa mère la royne souveraine », c'est-à-dire Louise de Savoie:
enfin tous les rondeaux qui suivent parlent de la descente des Anglais en Bre-
tagne, ce qui permet de fixer la date de la composition à i $22.
2. Rondeau aux Angloys:
Vuidés, Angloys; ployez voz estandars...
Cette pièce paraît imitée d'un rondeau qui termine La Folyc des Angloys,
petit poème composé par maître L.-D. c'est-à-dire Laurent Desmoulins, en
1513, et qui présente une assez grande analogie avec les strophes sans titre dont
nous venons déparier. Voy. Montaiglon, Ruudl, II, 268.
3. Aultre Rondeau (incomplet) :
Vuidez, Flamans, Espaignolz et Angloys...
4. Aultre Rondeau:
Se ne vuidez, Angloys, se ne vuidez...
<). Aultre Rondeau aux Angloys:
A Dieu, Angloys; a Dieu, soyez godons...
LE MONOLOGUE DRAMATIQUE. — I 369
6. Rondeau ausdictz ennemys (incomplet) :
Ne vous souvient il pas de vos ancestres?.. .
7. Aultre Rondeau:
Quant serez mors, plus ne porterez (de) lance...
8. Sermon joyeulx de sainct Faukct.
Il saute au.v yeu.x que le Sermon n'a aucun rapport avec ce qui précède.
b. — Montaiglon et Rothschild, Recueil de Poésies françoiscs, XIII, 289-304.
4. Sermon de sainct Belin.
[ Vers I $ 00 .?]
Cette piècC;, qui ne nous est parvenue que complètement mutilée et
défigurée, ne contient aucune allusion historique. En voici le début :
0 domina, culpa mea
A mortuis {ex)ilUbata;
Homo capit preparandum.
Bonnes gens, oyez mon sermon,
Que i'ay trouvé tout de nouveau 5
Escript en une peau de veau,
En parchemin notablement,
Scellé du pied d'une jument:
C'est le commencement et (la) fin
De la vie de sainct Belin, 10
C^i fut griefvement martiré,
Si en doit estre Dieu loué...
Le sermonneur raconte la vie et la mort du « belin », c'est-à-dire du
mouton, dont les morceaux furent accommodés à diverses sauces,
Et, en après, une trippiére ^5
En eutlefoye et le poulmon,
Qui fut extraict de boucherie.
A partir du vers que nous avons imprimé en italiques, l'auteur a pure-
ment et simplement copié une ballade de Villon qui se rapportait au
sujet (voy. éd. Jannet, 104).
Voici les derniers vers du sermon et de la ballade :
Prince, se j'eusse eu la pépie,
Pieça fusse ou est Clotaire,
Aux champs debout comme une espie :
Estoit il lors tant [lis. temps] de moy tairei' 75
FINIS.
Remania, XV. 2a
^-JO É, PICOT
Bibliographie :
fl Sensuyt le ser || mon de sainct Belin. || Auec le sermon du poul |1
f de la pusse. Nouuelle- H ment Imprime. — C Finis. S. l. n. d.
[Lyon, Jacques Moderne, vers i $40], pet. in-8 goth. de 8ff. de 22 lignes
à la page, sign. A-B., titre encadré.
Bibliûth. de feu M. le baron James de Rothschild (Cat., 1, n" 08).
$. Sermon joyeulx de monsieur saint Haren.
[Rouent, vers i $00.]
Nous n'avons relevé dans cette pièce aucune allusion qui permette
d'en fixer la date; tout ce qu'on peut dire, c'est qu'elle est postérieure
à la vie de saint Raisin (voy. le v. 5). La mention de Dieppe et les
détails que le poète donne sur la pêche nous font croire que le sermon a
été composé en Normandie. En voici le début :
Graticulus Harengio,
Super ignem tribulatio^
Vinaigria , sinapium.
Bonnes gens, oyez mon sermon.
En ceiuy temps que sainct Raisin 5
Si fait trotter maint pellerin,
Il voult de ce siécle^finer.
Aussi, au milieu de la mer,
Entre Boulongne et Angleterre,
Ou l'en ne treuve point de terre, 1 0
Fut prins le corps de sainct Harenc,
Qui souffrit pis que sainct Laurent...
Le sermon se termine ainsi :
Pour cardinaulx et pour evesques,
Pour ribaulx et pour archevesques,
Ne fault il ja faire prière.
Car tout va s'en devant derrière.
Mettons nous trestous a genoulx ; 125
A Dieu ne souviegne de vous ;
Ne nous chault comme tout en aille,
Dessus, (ou) dessoubz, vaille que vaille.
Dictes Amen dévotement.
(Cy) Fine le Sermon Sainct Harenc. 130
Bibliographie :
a. — Sermôioyeulxde monsieur Sainct Haren. Nouuellement imprime.
C — Cy fine te Sermon ioyeuxde mô sieur Sainct Haren. Nouuellement faict
LE MONOLOGUE DRAMATIQUE. — I ^yi
et imprime. S. l. n. d. [vers 1 500 ?J, pet. in-8 golh. de 4ff. de 23 lignes
à la page.
Cat. La Vallièreen 5 vol., n° 3095.— Le volume, acheté par la Biblioth. du
roi, paraît être aujourd'hui perdu.
b. — La vie saint j! harenc gloriei;x martire cô || met il fut pesche en
la mer et 11 porte a Dieppe. S. l.n. d. [Rouen?, vers 1510.?], pet. in-8
goth. de 4 ff. de 11 lignes à la page.
Le titre, dont les trois dernières lignes sont imprimées en lettre de forme, est
orné d'un bois de la pêche miraculeuse.
Au v» du dernier f., un grand D, très orné.
Le V. ^ I est ainsi conçu dans cette édition :
Dedans Rouen, en plusieurs lieux,
ce qui fait penser qu'elle a été imprimée à Rouen.
M. Brunet dit que cette édition et la suivante contiennent 13 vers de moins
que l'éJ'tion A.
Biblioih. nat., Y-]- 6158 c (3). Rés.
c. — La vie sait harem. |j Et comment il fut || pesche et martire. —
Explicit. S. l. n. d. [Paris, vers nio], pet. in-8 goth. de 4 fï. de
24 lignes à la page.
Au titre, un bois représentant deux femmes près d'une tente sur le rivage de
la mer ou d'une rivière.
Ce bois se retrouve dans divers volumes sortis des presses de Jehan Trepperel
ou de celles de sa veuve, notamment dans les Facecics de Page, imprimées par la
veuve Trepperel vers i$io (voy. Cat. Rothschild, II, n" 1773). Ce qui prouve
d'ailleurs que cette édition sort de presses parisiennes, c'est que le vers ji y
est ainsi conçu :
Dedans Paris, en plusieurs lieux.
Au v" du dernier f., une femme déchargeant un sac d'où sort un poisson;
près de cette femme, deux hommes, l'un en chausses, l'autre en chausses et en
manteau.
Biblioth. nat., Y. 4570 (4), Rés.
d. — La vie sait || Harenc glorieulx martyr. Et comment il fut || pesche
en la mer f porte a Diepe. — CL Explicit. S . l. n. d. [vers i $20], pet.
in-8 goth. de 4 ff. de 22 lignes à la page, sign. A.
Le titre, dont la première ligne est imprimée en très grosses lettres, contient
un bois. Cebois représente des personnages qui regardent des maçons travailler
à un mur sur le rivage de la mer. Auprès de ces personnages, on aperçoit un
navire.
Au vo du dernier f., un chevalier, couvert d'une armure, derrière lequel se
tient le Démon, sous la figure d'un monstre ailé, à queue de poisson.
Biblioth. de M. le comte de Lignerolles.
L — Le Débat de deux Demoyselles, l'une nommée la NoyrC;, l'autre la
^y2 É. PICOT
Tannée, suivi de la Vie de Saint Harenc et d'autres poésies du xv« siècle,
avec notes et glossaire [par M. de Bock] (Paris, Didot, 1825, in-8),
61-67.
f, — Réimpression exécutée à Paris, chez Pinard, vers 1850, et tirée
à 40 exempl. sur papier de Chine id'après l'édit. C) .
^. — Montaiglon, Recueil de Poésies hançoises, II, 525-5 p.
6. Sermon joyeulx de la vie saint Ongnon.
[Rouent, vers 1 500.]
Cette pièce a un grand air de parenté avec le Sermon joyeulx de
monsieur sainct Haren, et, si elle n'est pas du même auteur, elle est au
moins du même temps. Le prêcheur débute ainsi:
Ad deliberandtim Patns
Sit sanctorum Ongnonnarls
[Et] Films Syboularis
In ortum sua viti [. . .]
Capitulum... M'entendez vous? 5
On me puist couper les genoux
Se je ne suis tout esbahy
Ou j'ay pris ce latin icy,
Que madame sainte Siboule
Aprist saint Ongnon a l'escolle, 10
A Tûlette, avec[que] Saint Herre...
Voici les derniers vers :
Je prie a monsieur saint Ongnon
Que cil qui fist le mont de gloire,
Vous vueille garder de peu boire;
Il vous convient que vous priez
Pour tous ceulx qui sont en santé, 120
Et si priez pour les malades,
Que Dieu leur doint figues et dactes,
Et, si n'ont de quoy eulx ayder,
Jamais ne puissent iiz lever.
Dictes tous Amen drument bon, 125
Vous recommandant saint Ongnon.
Bibliographie :
a. — Sermon ioyeulx de || la vie saint ongnon. || Cornent nabuzarden
le maistre cuisinier le |1 fist martirer. auec les miracles ql fait chas- || cun
jour. — Explicit. S. l. n. d [vers 1510], pet. in-8 goth. de 4 fF. de
24 lignes à la page .
LE MONOLOGUE DRAMATIQUE. — 1 J75
Au titre, un bois qui représente deux hommes, tenant des cierges, agenouillés
devant une femme.
Au r" du dernier f., une femme tenant deux oignons avec leur tige et leur
racine, figure qui se retrouve dans une édition de la Resolution de Ny Trop Tost
Ny Trop Tard Ma;ic. — Au v" du même f., un homme qui sent une fleur, à
côté d'une table sur laquelle sont deux poissons et un pain.
Biblioth. nat. Y. 4370 13), Rés.
b. — Réimpr. par Pinard, à Paris, vers 1850, et tiré à 40 exempl. sur
papier de Chine.
c. — Montaiglon, Recueil de Poésies françaises, I, 204-209.
7. LE DEVOT ET SAINCT SeRMON DE MONSEIGNEUR SAINCT JaMBON
ET DE MADAME SAINCTE AnDOULLE.
[Rouen!', vers 1 520.]
Nous ne relevons dans ce sermon aucune allusion historique. En voie*
le début :
In nomine, de la main gauche,
Patris, aussi bien que de l'autre,
Et fiUO), ainsi qu'est escript,
Le croy, au chevet de mon lit.
Quoniam {sanctus) Johannes bonus, s
Si canliltur alkluya,
Fit nobis sancta Andoulla,
Quoniam [sanctus) Johannes [bonus].
Ista verba si son[tJ des nues
Descendus jusque icy en terre. 10
Seigneurs, tant les grans que menuz,
Entendez, car présent veulx faire
Ung sermon, dont vous devez croire
Qu'il vous sera sain, beau et bon ;
Toutesfoys il me convient boire
Et puis parler de sainct Jambon...
Hic bibai.
La pièce n'est probablement pas parisienne. Le prêcheur, après s'être
plaint des usuriers et des mauvais boulangers, ajoute :
En Paris, pas je n'en divine,
J'en ai souiTert selon mon taux,
ce qui semble bien indiquer qu'il est revenu de Paris.
La pièce se termine ainsi :
Mettez vous en la confrarie
De saincte Andoulle, chère amye;
374 É. PICOT
Aussi chascun bon compaignon
Reclame monsieur sainct Jambon, 240
Car nous ayderons près et loing
Fin [?] d'eulx a nostre besoing.
Pour tant est temps que de ce lieu
Desparte vous disant : a Dieu.
Bibliographie :
a. — C Ledeuotet H sainct sermon 1| De monseigneur sainct iâljbô et
de ma dame saïcte an || douile Imprime nouuelle\\meni a Paris. — CL ^"Z'^-
S. d. [vers i$2o], pet. in-8 goth. de 8 ff. de 26 lignes à la page,
sign A-B.
Au titre, dont le v» est blanc, un bois représentant un bourgeois et un reli-
gieux se parlant.
Le r<> du dernier f. est blanc; le V contient la marque de Jehan Janot.
Biblioth. nat., Y. 61 16 (2). Rés.
/,. — jojeiLseîez, i85i,dansle volume qui contient \ts Songes de la
Pucelle, etc.
8. Sermon de Frappe culz, nouveau et fort joyeulx
[ou Sermon tresjoyeulx de monseigneur sainct Frappe cul].
[Rouen?, vers i $20.]
On devine aisément ce que peut être saint Frappe-Cul, dont l'auteur
prétend avoir trouvé la légende dans la Bible. Le Sermon commence
ainsi :
De quonaiibus vitatis
Bagan bachcUtatls
[Et] prcndare andouillibus.
Boutate in coffinando,
Vcl mdatt in coffino
Et cetera... Brou.iiare
Defessarum cultare
Et ruatis de pcdibus.
Ces motz que j'ay dis cy dessus
Sont escriptz (/«o^t;c(mo 10
Quoqaardorum capilulo.
Bonnes gens, ces parolles la
Escript jadis sur une enclume
Le bon sainct Eloy d'une plume
Que il arracha jadis au ciel, 15
Dedans l'esté de sainct Michel...
Après avoir montré combien le culte de saint Frappe-Cul est répandu,
LE MONOLOGUE DRAMATIQUE. — I 575
l'auteur recommande son couvent aux spectateurs ; il le fait dans un
couplet en prose intercalé au milieu de la pièce.
Voici les derniers vers du sermon :
Et n'oubliez point ces fumeiles
Qui se lâchent soubz les mamelles
Pour les approucher du menton ; 125
C'est bien vray que nous dementon
D'en avoir quelque souvenance,
Car ilz font cela par plaisance.
Et, par dessus toutes besongnes,
Je recommande ces yvrongnes i jo
Qui sont si grans meurdriers de vie,
Tant qu'il fault [bien] qu'on les chérie
A l'hostel, il est tout certain,
Et puis sont guéris l'endemain.
On remarquera les formes lâchent (= laceni\ au v. 124 et chérie
(= charrie) au v. 132. Ces formes appartiennent à la Picardie ou à la
Normandie.
Bibliographie :
a. — Sensuyt le |I sermô de frappe culz nouueau f fort ! | ioyeulx. Auec
la response de la dame || sur la chason. le me repens de vous |i auoir
aymee, — Finis. S. l. n. d. [vers 1 520], pet. in-8 goth. de 4 ff .
Au titre, un bois grossier représentant un personnage, assis sur un banc, quj
lève en l'air sa main gauche, démesurément grosse, et qui étend la droite sur
un bâton noueux,
Biblioth. de M. le comte de Lignerolles.
La chanson qui termine cette édition et la suivante : Ne te npcns de m'avoir
trop ajméc, se retrouve dans les Seize belles Chansons nouvelles, réimprimées pour
le libraire BMIHeu à Paris en 1874 (n^g), et dans les Dix sept belles Chansons nou-
velles, réimprimées pour le même libraire (n° 7). La pièce à laquelle celle-ci
répond : Je nie repens de vous avoir aimée se trouve, avec la mélodie, dans les
Chansons du xv« siècle publiées par G. Paris {n° 2j), et, sans la mélodie, dans
les Seize belles Chansons (n° 4) et dans \ts Dix sept belles Chansons {n° 6).
h. — Sensuit le ser- 1] mon des frappe culz nouueau f fort ioyeulx. ||
Auec la responce de la dame sus le me repens de (1 vous auoir aymee. —
<[ Finis. S. /. n. d. [vers 1 520], pet. in-8 de 4 flf. de 55 lignes à la
page pleine, impr. en lettres de forme, sans sign.
Le titre n'est orné d'aucun bois; le v en est blanc.
Le Vf du 4« f. contient 9 lignes et le mot Finis.
Cette édition est incomplète des vers 49, 55, 83; nous n'avons pas été à
même de constater si ces vers se trouvent dans l'édition a.
J76 É. PICOT
Biblioth. de M. le comte de Lignerolles, dans un recueil provenant de la
vente Pichon (n" 485 du Cat.).
c. — Les Œuvres de maistre Guillaume Coquillart, 1597. Voy. ci-
après le n" 17,
Dans ce recueil la pièce est intitulée : Sermon tresjoyeulx de monseigneur saïnct
Frappe cul.
d. — Réimpr. à Paris^ chez Pinard, 1830 (avec les Estrénes des Filles
de Paris], pet in-8 goth. de 16 flf. en tout, tiré à 60 exempl.
9. Sermon joyeulx de monsieur saïnct Velu.
[Rouen i' vers 1 520.]
Cette pièce licencieuse ressemble fort aux sermons rouennais, bien
que rien ne prouve absolument qu'elle appartienne au théâtre de Rouen.
Nous n'y relevons non plus aucune allusion précise qui permette d'en
fixer la date ; pourtant, elle parait avoir été composée peu de temps
après les guerres d'Italie. L'acteur, montrant « une brayette », dit, du
moins (v. i$6) qu'il l'a rapportée d'Italie. En tout cas, le Sermon de
monsieur saincî Velu est postérieur au Sermon joyeulx d'ung Despuceleur
de Nourrices, auquel fait allusion le v. 25.
En voici le début :
Confregiî et vhaverunt
Vitavit, et confrcgerunt,
Et confractis [...J viYifi]^
Capitula vicialis.
Le tesme du prestre Andréas 5
Qui [...] viciabat eas.
Mes bonnes gens, parlez plus bas;
Escoutez un peu mon sermon
De monsieur saint Veluton
Qui fut fils de saint Socias. 10
Cestuy prestre Andréas,
Dont je vous a}" fait mention,
Estoit un homme de renom,
Lequel a fait maint ralias,
Juxîa thema preassumptum; 1^
Mes dames, ne l'oubliez pas:
Presbiter Andréas qui viciabat eas.
Plus loin on retrouve presque textuellement la citation macaronique
que nous avons vue au début du Sermon de Frappeculz:
LE MONOLOGUE DRAMATIQUE. — 1 ?77
Car souvent fait enfler la pance
A mainte, ut dicit Balduymis
In libro de Andouillibus : 128
Boutalc in cofmando
Vel melate in cojfino.
A la fin du sermon, le prêcheur lit des bulles qui devaient être en
prose comme le couplet dont il est parlé à l'article précédent :
Et vous gaignerez les pardons
Que voicy dans ces bulles (i)cy,
Lesquelles je (m'en) vay lire au long :
Escoutez qui me veut ouyr.
Adonc, il lira dedans ces bulles, et après il dira:
Or sus, qu'en dites vous m'amie?
Les privilèges sont ils bons?
Boutez vous de la confrarie,
Et vous gaignerez les pardons. 185
Afin que vous ayez mémoire,
Mes bonnes gens, de mon sermon,
Depuis les pieds jusqu'au menton.
L'absolution que donfne)roye
A un pasté, se le tenoye, 190
Vous donne sans remission.
Priez (saint Velu) en mon intention,
Et je prieray Dieu pour vous.
Cette fm rappelle celle du Sermon d'un Cartier de mouton (voy. n° 3 1).
Bibliographie :
a. — Sermon ioyeulx de monsieur sainct Velu. S.'l. n. d. [vers 1 J20],
pet. in-8 goth. de 4 ff.
Biblioth. de S. A. R. Mgr. le duc d'Aumale {Catal. Cigongne, n" 71 :).
b. — Sermon || ioyeux de || Saint Velu. H A Rouen, \\ Chez Nicolas Les-
cuyer, près le grand \\ portail noslre Dame. S. d. [vers 1600], pet. in-8
de 4 ff. de 28 lignes à la page, sans sign.
Le titre est orné d'un encadrement et de la marque deLescuyer^ avec la devise
napovca -/.ai aîXÀovTa. Le coin droit inférieur' porte le chiffre 19.
Biblioth. de M. le comte de Lignerolles.
10. La terrible Vie, Testament et Fin de l'Oyson,
par Jehan Le Happère.
[Paris, jours gras de 1527, n. s.].
Cette pièce diffère sensiblement de celles que nous avons vues jus-
578 É, PICOT
qu'ici ; c'est une pièce qui a dû être récitée dans un collège pour divertir les
écoliers le mardi gras. Le nom de J. Le Happère ne figure qu'en abrégé
au-dessous de l'intitulé du sermon, mais il est cité tout au long dans
deux passages du poème ^v. 125 et 147). Ce Jehan Le Happère est
resté jusqu'ici inconnu; tout ce que nous savons de lui, c'est que, pen-
dant le carême de l'année suivante, le 16 mars 1 528 (n. s.), il publia
chez Guichard Soquand, à Paris, une édition corrigée de VArt et Science
de bien parler et soy tairCy d'Albertano de Brescia, édition qu'il fit pré-
céder d'une ballade de sa composition (Cat. Rothschild, I, n" 525).
Le Happère nous apprend lui-même qu'il était au collège comme gouver-
neur des « filz EdeHne » . Quant au collège en question, l'étude du texte nous
montre que c'était un collège parisien dont les élèves appartenaient à la
Normandie, et plus particulièrement à la partie de la Normandie qui
forme le département de l'Eure actuel; c'était donc le collège d'Har-
court.
Le sermon, écrit en strophes de sept vers, n'est précédé d'aucun texte
latin; il commence ainsi :
Une ouaye fut en ceste année,
L'an mil cinq cens et XXVI :
Jamais n'en fut telle couvée
Ainsi que crois en mon advis.
Cette ouaye cy que je vous dis 5
Estoit de terrible nature,
Nourrie sur la rivière d(a)' Eure.
Tout auprès de Nogent le Roy,
Pour sa beaulté fut acouvée...
Le prêcheur, qui parle à des écoliers, a évité les facéties plus ou moins
scabreuses que se permettaient d'ordinaire les auteurs de farces. Il
raconte simplement que l'oison gigantesque arrive à Paris traîné par
deux chevaux, puis il demande à qui on le portait :
A Jehan Le Happère c'estoit,
Qui pour lors au collège estoit,
Gouvernant les filz Edeline : 125
C'estoit pour faire sa cuisine.
Après avoir troublé tout le collège par ses cris et ses coups d'aile,
l'oison est condamné à mort. Il n'a que le temps de faire son testament,
puis il est immolé.
Ainsi mourut l'horrible oyson, 190
Rosty, bouilly et puis mengè,
Et en un lit mis la toison :
Ne l'avoit il pas bien gaigné.''
LE MONOLOGUE DRAMATIQUE. ~ 1 579
Messieurs qui avés tout migné,
Prenez en gré nostre blason 19$
Du testament et fin d'oison.
Bibliographie :
a. — D La terrible ]| vie testamët et |1 fin de Loyson I| lo le Hap. —
C Finis. S. l. n. d. [Paris , i $27], pet. in-8 goth. de 4 ff. de 27 lignes
à la page.
L'édition n'a qu'un simple titre de départ, immédiatement suivi du nom de
l'auteur.
Musée britannique, C. 22. a. 48 (exemplaire de La Vallière).
b. — Montaiglon et Rothschild, Recueil de Poésies françaises, X, 159-
169.
1 1 . Les grans et merveilleux Faictz du seigneur Nemo,
[par Jehan d'Abundance].
[Lyon, vers 1 540].
Un théologien du moyen âge eut l'idée de renouveler la célèbre équi-
voque d'Ulysse [Odyssée, IX, v. :5o6 sqq.) et de composer tout un
sermon à la louange d'un saint que les Ecritures elles-mêmes mettaient
au-dessus de Dieu : Deiis cujus irae resistere Nemo potest. Il mit sur le
compte de ce dévot personnage toutes les actions dont, au dire de la
Bible, des Évangiles et des Saints Pères, « Nemo » était capable.
Le sermon, qui se trouve dans un ms. du xiii" siècle et dans plusieurs
mss. postérieurs, a les allures graves et posées d'un vrai sermon. Ulrich
de Hutten en fit un petit poème latin, qu'il fit paraître en 1 5 12 ou 1 5 1 5,
et qu'il remit au jour en 1 5 16, avec d'importantes additions. Un auteur
qui travaillait pour le théâtre de Lyon (Du Verdier nous apprend que
c'est Jehan d'Abundance) comprit tout le parti que l'on pouvait tirer de
cette vieille facétie ; il lui fut facile de faire figurer saint Nemo à côté
des autres saints qui composaient le martyrologe des sermons joyeux.
Pourtant un détail pouvait l'arrêter : la négation qui, en français, doit
être jointe au mot « personne » ; le poète prit le parti de conserver à
Nemo son nom latin et de citer également en latin les textes sur lesquels
il s'appuyait. Ce système le mettait d'accord avec la grammaire, en
même temps qu'il lui permettait le mélange du latin et de la langue vul-
gaire, mélange que les joueurs de farces ont toujours considéré comme
un élément comique.
Jehan d'Abundance est l'auteur de divers autres ouvrages dramatiques
imprimés à Lyon au xvi'' siècle. Les seules de ces productions qui nous
j80 É. PICOT
soient parvenues sont deux monologues : Les grans et merveilleux Faictz
du seigneur Nctno, àonlnousparlons,^ et Les quinze Signes descendus en
Angleterre iBiblioth, nat., Y 4437 A, Rés., et Y 3293 112!, Rés.l, dont
il a été fait vers 1860 une réimpression qui se joint à la collection Sil-
vestre; deux mystères: Le joyeux Mistére des trois roys, a dix sept
personnages, dont la Bibliothèque nationale a récemment acquis une copie
figurée (mss. franc., nouv. acquis., n" 4222I, et la Moralité, Mistére et
Figure de la passion de nostre seigneur Jésus Christ, qui nous est connue
par une édition de Lyon, Benoist Rigaud, s. d., in-8 (Biblioth. nat., Y
4352, Rés.) et par une copie manuscrite (Biblioth. nat., mss. franc.,
n" 25466, fol. 1-19); enfin deux farces: Le Testament de Carmentrant
(Biblioth. nat., Y n. p., Rés.; biblioth. de feu M. le baron James de
Rothschild, n° 1086), qui a été réimprimé en 1850, à 42 exemplaires,
par les soins de MM. Giraud et Veinant, et la Farce de la Cornette, datée
de 1 543 et réimprimée par MM. Giraud et Veinant en 1829, ainsi que
par M. Edouard Fournier [Le Théâtre français avant la Renaissance, 438-
4451.
Du Verdier (éd. Rigoley de Juvigny, II, 324I nous a conservé les
titres de trois moralités de Jehan d'Abundance qui paraissent aujourd'hui
perdues, bien qu'elles aient été imprimées : Plusieurs qui n'a point de con-
science, Le Couvert d'humanité et Le Monde qin tourne le dos a chascun.
Les autres ouvrages de Jehan d'Abundance sont indiqués par Du
Verdier et par Brunet. Les seuls qui portent une date sont : la Proso-
popeie de la France a l'empereur Charles Qnint sur sa nouvelle entrée faite
a Paris (Tolose, Nicolas Vieillard, in-4^, pièce qui doit être du commen-
cement de l'année 1 540, et VEpistre sur le bruit du trespas de Clément
Marot [Lyon, Jacques Moderne, 1544, in-8). Si nous rappelons que la
Farce de la Cornette est de 1 543, nous ne nous tromperons guère en sup-
posant que les autres productions dramatiques de notre poète peuvent
se placer entre 1 540 et 15 $0.
Les Faictz du seigneur Nemo commencent ainsi :
Audite verba mea et vivet anima vestra. Esaye [LVJ, 4.
Esaye escript en son livre :
« Escoutez, se vous voulez vivre ».
Dévotes gens, qui cy ensemble
Estes, ainsi comme il me semble,
Pour honneste cause assemblez, 5
Et qui, sans mentir, me sembiez
Estre gens de haultes sciences
Et de tresbonnes consciences,
J'ay, s'il vous plaist, intention
De faire une collacion 18
LE MONOLOGUE DRAMATIQUE. — I 581
Ici, non pas pour vous apprendre,
Mais pour délectation prendre...
Le sermon se termine ainsi :
Item saint Jehan dit que nul homme
Ne peult aussi bien besongner
De nuyt, qu'on doit prendre son somme,
Que Nemo, s'il y veult soigner : 305
Venit nox cum Ncmo operan potcst. Jo[h]. 10.
Messeigneurs, pour tant je conclus
Par ce que j'aydit cy dessus,
Priant le fdz de la Pucelle
Qu'il nous doint la vie éternelle
Quant son rigoreux examen 310
Sera tenu. Dictes : « Amen t> !
Bibliographie :
a. — Les grans et merueilleux Faictz de Nemo, auec les primileges quil
a et la puissance quil auoit depuis Je commencement du monde iusques
a la fin. A Lyon, par Pierre de Saincte Lucie. S. d. [vers 1 540], in- 16.
Edition citée par Du Verdier (éd. de 1773, II, 324).
h. — Les grans f Mer || ueilleux Faictz de Nemo auec |! les preuileges
quil a/ Et la Ij puissance quil auoir [sic] depuis \\ le commencement du
monde II iusques a la fin. |1 jf- — Finis. S. t. n. d. [Lyon, Jacques
Moderne, vers 1 540], pet. in-8 de 8 ff. nonchiffr. de 25 lignes à la page,
sign. A-B.
Le titre, imprimé en caractères gothiques, porte un bois qui représente un
saint en prière.
Biblioth. de feu M. le baron James de Rothschild (Cat., I, n-^ 565).
c. — Les grans et I! merueilleux faictz du seigneur || Nemo/auec les
priuilleges II quil a/f la puissance quil peult |1 auoir depuis le cô-
mëcement II du monde iusques a la fin. — <[. Laus deo. S. /. n. d.
[vers 1 540], in-4 goth. de 8 ff. de 50 lignes à la page, imprimé à deux
col. en lettres de forme, sans chiffres, réclames, ni signatures.
Le titre est placé en tète de la première colonne de la première page, sans
que l'imprimeur ait ménagé aucun blanc.
Cette édition contient divers renvois qui manquent à b d e.
Biblioth. nat., Y. 6133. D 2 -|- a.
d — Les grans et Ij merueilleux faitz du segnrjl Nemo/auec les priuil-
leges Il quil a; et la puissiice ql peult jj auoir depuis le commence- |i
ment du mode iusques a la || fin. — S. /. n. d. [vers 1 540J, pet. in-8
goth. de 8 ff. de 29 lignes à la page pleine, sans sign.
^82 É. PICOT
Le titre, imprimé en grosses lettres de forme, est orné du bois bien connu
qui représente un page ou un étudiant, vêtu d'un pourpoint à longues manches,
et parlant à un clerc.
Le r» du dernier f. ne contient que 8 vers, sans aucune souscription; le v»
est en blanc.
Mus. britann. — ^y~ (e-xempl. d'Edward V'ernon Utterson).
e — Les gras <![■ mer I| ueilleux faitzdu segnr Nemo auec les preuil |1
leges ql a Ij et la puissance quil peut auoir De || puis le cômencement du
monde iusqs a la fin. — Finis. S. l. n. d. [vers 1525], pet. in-8 goth.
de 8 ff. de 2? lignes à la page, sign. A.
Bibl. municipale de Versailles, E 472. c, dans un recueil provenant de La
Vallière (voy. le Cat. de De Bure, II, i\" 2975). — Biblioth. de feu M. le baron
James de Rothschild (Cat., I, n" $66).
/. — Les grans et merueilleux Faictz de Nemo imitez en partie des
vers Latins de Hutten, et augmentez par P. S. A. Lyon, Macé Bonhomme.
S. d. [vers 1 550^1, in-8.
Edition citée par Du Verdier (éd. de 1775, III, 150).
Comme le nom d'Ulrich de Hutten figure ici sur le titre, il se pourrait que
le texte fût différent.
g. — L'Ami des Livres, novembre 1859, 35-43.
•/z.— Montaiglon et Rothschild, Recueil de Poésies françoises, XI, 3 1 3-342.
Cette dernière réimpression est accompagnée du texte complet du sermon
latin, copié par M. Paul Meyer d'après un ms. du xm« siècle delà Bibliothèque
Bodléienne, et d'une note étendue sur diverses facéties dans lesquelles on a fait
figurer Ncnio.
12. LA Vie de très-haute et tres-puissante dame,
MADAME GuELINE.
[Rouen, vers 1 550.]
«Gueline » est le nom donné à la poule dans le patois normand ; c'est
donc la vie d'une poule que le prêcheur va raconter; mais, avant d'abor-
der ce grave sujet, il s'occupe d'une question prélimaire, qu'il pose en
ces termes dans un latin « de cuisine w, qui est vraiment de circon-
stance :
Quantur utrum capones
Vel gaiina meliores
Sint in brocca quam in poto,
Cum herbis soupa et lardo ;
I^unc videbitis quomodo
Nostri doctores friandi
LE MONOLOGUE DRAMATIQUE. — I ^8?
Disputare pro soulardi
Et scmper in opinando
De galina mixta lardo.
Seigneur[s], les paroles prédites lo
Sont en quelque cuisine escrites,
Dans une armoire bien avant
Ou fut trouvé Caresme-Entrant ',
Ubi supra akgulis,
A sçavoir si chapons rostis, 1 5
Bien lardez, valent mieux a part
Qu'ils ne feroient cuits au bon lard,
Avec(ques) des herbes en un pot.
Un vieil docteur, frère Phlippot
En a fait une question... 20
Après avoir discuté la question, le prêcheur se prononce pour la poule
au pot, puis il raconte la vie de « dame Gueline », d'une façon qui rap-
pelle La terrible Vie, Testament et Fin de l'Oyson (voy. ci-dessus, n" lo).
Le monologue se termine ainsi :
Voila comment il en alla;
Incontinent l'ame voila
Au royaume de Galinage
Et en signe de grand outrage.
Car on a veu plusieurs huchez, 2^0
Qui avoient guelines grupez,
A une boise d'un chevestre,
Comme un cheval qu'on meine paistre;
Enterrez [sont] comme une andouille (?).
Ils sont juchez sus une boise : 255
Qu(i) en ont mangé, dont trop leur (en) poise.
On a pu remarquer, au v. 19, le nom de « frère Phlippot ». Nous
croyons qu'il s'agit ici d'un farceur rouennais dont nous parlerons à
propos du Sermon joyeux des quatre Vens (n° 34^ on trouve plus loin une
seconde allusion à ce personnage :
Ah I vous estes [bien] trop sevére ;
Las! vous devriez faire plustost
Ce que Robin fist à Phlipot
Et Perrine au bon Bertran, i6j
Lesquelles n'eurent point d'ahan
(De) les prier par bonne manière
I . Impr. Prenant.
j84 É. PICOT
Qu'ils fringassent leur chambrière,
A celle fin d'avoir lignée.
Ces deux allusions nous autorisent à placer la composition du mono-
logue vers le milieu du xvF siècle, époque oij Philippot et son compa-
gnon Gaultier étaient déjà légendaires ^cf. les Ténèbres de Mariage, i $46,
ap. Montaiglon, Recueil, I, 29; ks Complaintes des Monniers Aux Appren-
tifs des Taverniers, 1546, ibid., XI, 66).
Nous n'avons rien à dire du menu grotesque joint à la Vie de dame
Gueline dans l'édition rouennaise décrite ci-après; c'est une facétie plus
moderne et qui n'a rien de dramatique.
Bibliographie :
a.— La Vie de I| Puissante et \\ Très-Haute Dame || Madame Gueline .
Il Reueuë & augmentée de nouueau, || par Monsieur Frippesauce. || A
Rouen, \\ Chez la vejue lean Petit, \\ dans la Cour du Palais. || 1O12. Pet.
in-8 de 16 pp. à 32 lignes.
Edition peu correcte, qui a dû être faite après plusieurs autres.
Après le v. 27, deux vers se trouvent réunis en un seul, et le premier de ces
deux vers: // opina que le rosti, n'a pas de rime.
Biblioth. de feu M. le baron James de Rothschild (Cat., I, n" 592). |
b. — La Vie de puissante et très-haute dame, Madame Gueline par
Monsieur Frippesauce ; facétie en vers français entremêlée de latin ma-
caronique, publiée d'après l'édition de Rouen, 1612, et précédée de
l'Estat d'un banquet pour un amoureux, petite pièce inédite du xvie siècle,
avec Notices par Ed. Tricotel. Paris, A. Claudin, éditeur, 5 et 5, rue
Guénégaud. [Arras, typ. Schoutheer.] M. D. CGC. LXXV. In-8de
36 pp. et 2 ff.
Le r'^ de l'avant-dernier f. porte la marque de l'imprimeur et le r" du dernier
\ la marque du libraire.
il existe des exemplaires en grand et en petit papier.
15. EsTRÉNES DE l'Asne, par Jacques de Fonteny.
[Paris, 1 590.]
Jacques de Fonteny, poète et historien, nous a laissé diverses com-
positions dramatiques: La chaste Bergère., pastorale publiée dans Le
Bocage d'amour, 1578, 161$, 1624, et réimprimée séparément en 1^99,
sous le nom de G. de La Roque, qui y avait sans doute collaboré [Bi-
bliothèque du Théâtre français, I, 220; Cat. Soleinne, I, n" 803 ; Brunet,
II, 1334); La Galatée divinement délivrée, pastorale imprimée en 1587
LE MONOLOGUE DRAMATIQUE. — I 385
avec Les Ressentimens de J. de Fonteny pour sa Céleste [Bibliothèque du
Théâtre français, I, 220]; Lebon Pasteur, pastorale qui fait partie des
Esbats poétiques de l'auteur, 1 587, et qui a été reproduite en 161 5 et en
1624 dans Lg Bocage d'amour [ibid.]; Cleophon, tragédie, 1600 (Cat.
Soleinne, I, n" 885I; Le Capitan, traduit de Francesco Andreini, 1608,
1638 (Cat. Soleinne, 1, n" 804). Les Estrénes de l'asne, composées
par J. de Fonteny pour le i" janvier 1 590, appartiennent également au
théâtre. Le latin n'était plus de mode, et les Ligueurs n'auraient pas
permis que l'on rangeât l'âne parmi les saints ; mais, sauf ces légères
différences, le discours du poète parisien appartient à la même série que
les pièces dont nous venons de parler. En voici le début :
Puis que l'an nouveau recommence,
De sa fin tirant accroissance,
Qui se régie par certain cours,
Je veux façonner un discours
Qui soit nouveau, afin qu'on voye 5
Que je n'aynie asuivre une voie
Ou un sentier qui soit tracé,
De ce qu'on y auroit passé...
Le sermonneur a donc pris pour sujet l'éloge de l'âne, emblème de
la patience :
Quelle estreine plus convenable
En ceste saison desplorable.? 42
Il énumère ensuite tous les ânes dignes de mémoire, depuis celui qui
se trouvait dans l'étable de Bethléem jusqu'à l'âne d'or d'Apulée. Il ter-
mine ainsi :
Je pense en avoir trop conté,
Il est temps que je me retire
Et que, comme mon cœur désire,
Cest asne s'en aille chez vous :
Il n'y a plus de foing chez nous. 240
Bibliographie :
a. — Estrénes || de || L'asne. || Par I. de Fonteny || Parisien. 1| A
Paris, Il Par Denis Binet, près la porte sainct || Marceau à l'image saincte
Barbe, jl M. D. XC [1590]. In-8 de 7 ff . et i f. blanc.
Au titre, un bois représentant un âne.
Au v du titre, un sonnet de Denis Binet. — Au v du y» f., un huitain de
J. de Fonteny, accompagné d'un vers latin.
Biblioth. Mazarine, 21657. — Biblioth. de M. le duc de La Trémoille.
b. — Réimpression exécutée par Rousseau-Leroy, à Arras, pour le li-
braire René Muffat, à Paris, vers 1860 [Portefeuille de l'ami des livres).
Romûnia, XV 25
386 É. PICOT
II. — SERMONS SUR L'AMOUR, LES FEMMES ET LE
MARIAGE.
14. [Sermon joyeulx des barbes et des brayes.]
[Vers 1425 .]
Cette pièce ordurière nous paraît appartenir à la première moitié du
xv^ siècle. En voici le début, où le prêcheur déclare remplacer le texte
latin par un texte français :
Barbes et brayes par raison
Ou vit ne sont point de saison.
Celuy qui oit la chiévre poirre
A propos du latin, de voiere,
Il n'est pas sourt; pourtant, ce dy
Car nu! ne doit tant de latin
Gaster pour bailler ung tatin
Du sens qui luy vient de la teste.
Et pour tant doncques je proteste,
Tant que je soye mieulx entendu,
Que mon latin soit deffendu
Affin que je n'en perde point;
Et quant vous ares en ce point
Mon présent sermon bien^^tasté,
Ja n'y verres latin gasté,
Et se raison y est perdue,
Au moins y est rime entendue.
Bibliographie:
Biblioth. cantonale de Berne, ms. n" 473, fol. 120.
1 5. Le Dit du joly cul.
[Vers 142$ .]
Ce sermon, véritablement joyeux, est resté jusqu'ici inconnu comme
le précédent. On y remarque de même l'absence de latin, et cette cir-
constance, jointe à ce que les deux pièces sont placées l'une à la suite de
l'autre dans le même ms., permet de penser qu'elles sont l'œuvre d'un
même auteur, ou tout au moins qu'elles ont dû être récitées sur la même
scène. Aucune allusion ne permet de déterminer la patrie du monologue,
qui commence ainsi :
LE MONOLOGUE DRAMATIQUE. — II 387
Aulcunes gens font mencion
De moult de chouses sans raison
Et prisent les chouses souvent
Qui ne valent mye granment :
Une personne envis se blasme. 5
S'on voit ung homme ou une famé
Qui ait beau chef et beau viaire,
Bel corps et de gentil affaire,
Beaulx bras, belles jambes, beaulx pies,
Il sera de chascun prisiés ; 10
Ly ungsdira en taisant feste:
« Cil la porte moult belle teste » ;
L'aultre dira en sa raison:
« Jambes a de belle façon »,
Et se c'est une damoiselle, 1 5
Qui soit mariée ou pucelle,
On dira: « Hé dieux! quel(le) fillette!
« Qu'elle a tresdoulce mamellette,
• Et qu'elle a les yeulx vocatifs,
« Amoureulx, rians et traitifs ! 20
« Ce semble lin de ses cheveulx. »...
Voici les derniers vers :
Entre vous, gens qui avez culz,
Ouvrés en, n'en faites reffus,
Car, se vous vivez longuement,
Du cul lairés l'esbatement.
Bibliographie :
Bibl. cantonale de Berne, msc. n° 473, fol. 126, v°.
Une copie complète de la pièce nous a été obligeamment communiquée par
M. Cornu.
16. Discours joyeux en façon de sermon, faict avec notable in-
dustrie par deffunt maistre Jean Pinard, lorsqu'il vivoit trottier semi-
prebendé en l'église de S. Estienne d'Aucerre, sur les climats et
finages des vignes dudict lieu ,
[Auxerre, vers 1480 ?]
Cette curieuse pièce n'a pas été restituée jusqu'ici à sa véritable
date. Elle se trouve en tête d'un opuscule publié au commencement du
xvii" siècle et dont on verra plus loin le titre complet. Jean Pinard,
tout homme d'église qu'il était, fut un joueur de farces célèbre dans le
dernier tiers du xv siècle. Il a composé divers poèmes dont deux son
388 E. PICOT I
cités par Du Verdier, mais ne nous sont point parvenus. Nous possé-
dons son Epitaphe, dans laquelle on lit entre autres choses :
Pleurez, pleurez les Enfans sans soucy,
Quant vous voyez icy mort et transy
Votre père qui vous a gouvernez ;
Comblez voz yeulx de veoir son corps ainsi
Piteusement mis a présent icy;
Vous en devez estre bien estonnez ;
C'est bien raison que dueil [vous] en menez
En prévoyant la dure départie
Et comment est vostre bende espartie.
M . de Montaiglon, qui a reproduit VEpiiapheen question [Rec. de Poés.
franc., VIII, 5-15), n'a pas connu notre sermon. Il importe de remar-
quer d'ailleurs que VEpitaphe ne porte pas le nom de Jehan Pinard,
mais seulement de Jehan « trotier », en sorte que le savant éditeur a cru
que le nom du père des Enfants sans souci était Trotier, ce qui est une
erreur manifeste. Ce personnage mourut le 11 janvier 1501 (n. s.). Il
suffira de reproduire les premiers vers du sermon pour se convaincre
qu'ils datent bien de la fm du xV^ siècle, quoiqu'ils n'aient été imprimés
ou réimprimés qu'un siècle plus tard.
Focmineis abus sociabitur, ul dominabus. Alexandri, I. Cap '.
Messieurs, j'ay desja recité
Ce que maintenant j'ay cité
Et dy par le thème prédit,
Qaod omnld malc vadit,
Et poursuyvant telle matière, 5
Qui est pesante et non légère,
Pour consoler pauvres coquuz,
Je dy : Foemineis abuz.
Ce mot fut prins d'un cordonnier
Qui se sçavoit bien délier 10
Des femmes et bigotleries,
Car il craignoit les mocqueries;
Pourquoy rescript aux jovenseaux,
Qu'on trompe comme jeunes veaux,
Fussent ils a jeun ou embuz, 16
Disant : Foemineis abuz.
Les hommes, selon mes raisons,
Sont plus sots que jeunes oysons,
I. Doctrinale Alexandri de Villa Dci, ch. I, v. 14: fol. A iij de l'édition de
Venise, 1519.
LE MONOLOGUE DRAMATIQUE. — M J89
Car pour culler fines ou sottes
S'en vont aux Saulcis, aux Caillettes,
Puis se trouvent en Champolin,
Plus barbouillez qu'un gros vilain...
Le sermon est plein d'allusions locales qui demanderaient un long et
difficile commentaire. Il se termine ainsi :
Cependant Dieu vous gard de mal.
Des pieds et des dents d'un cheval,
De ry d'asne, et femme trop aise,
Qui a vous desplaire se plaise;
Il n'y a point plus grand abus, 216
Suyvant focmineis abus
De nostre thème. Pax vobis
Et, pour ne m'oblier, nobis.
Amen.
Bibliographie :
a. — Discours || ioyeux en |1 façon de sermon, faict||auec notable in-
dustrie par II defïunct Maistre lean Pinard lors qu'il viuoit 1 1 trottier semi-
prebendé en l'église de S. Estien- I| ne d'Aucerre sur les climats et
finages des Vi-ljgnes dudict lieu. llPlus y est adiousté de nouueau le
Monologue du bon || Vigneron sortant de sa Vigne et retour- 11 nant le
soir en sa maison. || Reueu , corrigé & augmenté. lU /lucerr^, Il P^r
Pierre Vatard, Imprimeur et Li-\\braire demeurant en la grand rue S. Si-
meon, \\ à l'enseigne de l'Imprimerie. \\ 1607 . In-8 de 46 pp. et i f. blanc.
Au titre, la marque de Valard représentant un homme vêtu à la romaine,
debout sur la boule du monde, et tenant de la main droite un glaive, de la main
gauche un livre. Ce personnage est accompagné de la devise suivante, qui con-
tient sans doute un jeu de mots sur le nom deVatarJ: Assez va qui \\ Fortune passe.
Librairie Ch. Porquet (exempl. de M. le baron Pichon et de M. le comte
0. de Béhague).
b. — Discours ioyeu.x en façon de sermon... [Paris., imprimerie
Crapelet, 185 1]. In-i6de47pp.
Réimpression à 62 exemplaires, exécutée, d'après l'exemplaire décrit ci-dessus,
par les soins de M. A. Veinant.
c. — Les Poésies et Chansons auxerroises. Avec une Préface de
l'Éditeur. — Le Discours joyeux. Le Monologue du bon vigneron. Les
Chansons vigneronnes. Auxerre, Imprimerie de Georges Rouillé. M DCCC
LXXXII. In-!6 de 2 ff., 91 pp. et 2 ff.
Recueil tiré à 12 j exemplaires. L'éditeur est, croyons-nous, M. Francis
Molard.
Le Discours occupe les pp. 19-27.
390 É. PICOT
17. Le Blason des Armes et des Dames, par Guillaume Coquillart.
[Reims, 29 mai 1484.]
Le roi Charles VIII, âgé de quatorze ans seulement, fit son entrée à
Reims, pour s'y faire sacrer, le 29 mai 1484. Guillaume Coquillart,
qui, depuis l'année précédente, avait obtenu une prébende de chanoine
(21 avril 1483], fut chargé par ses concitoyens d'écrire les vers qui
devaient être récités à cette occasion. Il rima pour la circonstance un
huitain et un quatrain ' qui furent dits par une jeune fille personnifiant
la ville; puis il composa, en Thonneur du jeune roi, un prologue, qu'il
intitula Le Blason des armes et des dames.
Ce prologue est-il un véritable sermon ? On peut en douter^ et nous ne
le faisons figurer ici que sous toutes réserves. Un personnage appelé
« l'honneste fortuné » est placé entre deux échafauds sur lesquels se
voient des tableaux vivants :
Là sont les armes; là^ les dames.
Après être entré en matière, l'honneste fortuné donne la parole au
procureur des armes, puis à celui des dames; mais on peut croire qu'il
récitait lui-même les deux plaidoyers. On aurait ainsi une composition
assez semblable au Monologue fort joyeulx auquel sont introduictz deux
advocatz et ung juge devant lequel est plaidoyé le bien et le mal des dames.
Voici le début du Blason :
Or est le temps passé passé,
Le bien pourchassé pou chassé,
Et ce qu'on a trouvé venu.
C'est grant chose d'avoir pensé,
Mais plus d'avoir contrepensé, 5
Encor(es) plus d'avoir retenu.
J'ay sceu, veu, leu, aprins, congneu,
Noté, entendu, souvenu,
Epilogue mille traphicques
En voici les derniers vers :
Et pour tant la conclusion
Est telle, de tous ces argus,
Que ung prince de noble renom
Doit sçavoir utrumqac tempus, 505
I . Ce quatrain porte dans toutes les éditions des œuvres de Coquillart le
titre de Tradogon. M. d'Héricault (I, 24) a vu dans ce mot le nom d'un person-
nage mystérieux ! 11 est plus probable que c'est un mot grec estropié tel que xz-z-.i-
ycovoç qui aurait le sens dcTcTpâaTtyoç.
LE MONOLOGUE DRAMATIQUE. — H 59!
L'ung et l'autre temps, sans abbus,
Avoir le costé destre armé;
Le senestre et tout le surplus
Aux dames doit estre donné.
Sire, par vous soit pardonné 510
Au rude engin et simple sens
Du povre honneste fortuné
Qui a leu ' es deux passe temps.
Bibliographie :
a. — Sensuyuentllies droitz Nouue-!|aulx Auec le De || bat des dames
et des armes/ Lêqueste en- 1 1 tre la simple et la rusée auec son plaidoy e
H Et le monologue coqllart/ auec plusieurs 1 1 autres choses fort ioyeuses.
Compose par II maistre Guillaume coquillart Officiai deHreims lez
champaigne xxij. || |[ On les vend a Paris j en la rue neuf \\ue nostre
dame. A lescu de france Et an \ \ Palays en la gallerie comme on ra en \ \ la
chancellerie. \\ Cum Priuilegio — HCy finissent \ | les droitz nouueaulx Auec
1 1 le débat des dames, et des \ | armes Imprie nouuelle- 1 ] ment a paris Par la
vefueWfeu iehà trepperel Demou\\rât en la rue neufue nostre\\dame. A
lenseigne de lescuW de france. S. d. [v. 1513], in-4 goth. de 88 fï. non
chiffr. de 32 et 33 lignes à la page, sign. aa, bb, A-V par 4.
Le titrp, imprimé en rouge et en noir, est orné d'un grand S initial sur
fond criblé ; il est orné de deux écus: i" un écu à une croix chargée de cinq
étoiles; 2° un écu à un chevron cantonné de trois roses. D'après des recherches
faites à Reims par M. Loriquet, le second écu, qui est accompagné d'une crosse,
est celui de Jehan Godart, qui fut reçu le 8 décembre 1512 grand-chantre du
chapitre de Notre-Dame de Reims (voy. l'édition d'Héricault, II, 343). II est
probable que les personnages dont les blasons figurent sur le titre contribuèrent
aux frais de l'édition ; en tous cas les armes de Jehan Godart et la crosse quj
prouve qu'il était déjà dignitaire du chapitre ne permettent pas de placer la
publication du volume avant la hn de l'année 15 12 ; mais cette publication ne
doit pas être de beaucoup postérieure, puisqu'il n'y est pas encore fait mention
de la société formée entre la veuve Trepperel et Jehan Janot.
Le v" du titre contient les rubriques du livre et un bois des armes de France.
M. d'Héricault dit à tort que le volume compte 196 pp. ; c'est 176 pp. que
donnent les 88 ff.
Biblioth. nat., Y 4404, Rés. — Biblioth. de feu M. le baron James de
Rothschild (Cat., I, n» 460).
1. M. G. Paris pense qu'il faut lire « a heu ». L'honneste fortuné est
un vieux routier qui a connu les femmes et les armes, et qui en parle par expé-
Î92 É. PICOT
b. — SEnsuyuent les 1 1 droitz Nouue 1 1 aulx Auec le De 1 1 bat des dames/
et des armes. Lëqueste en 1 1 tre la simple et la rusée / auec son plaidoye. 1 1
La complaincte de écho a narcissus/ Jf- le re||fus q luy fist / auec la
mort diceluy narscis 9 1| Et le monologue coqllart / auec plusieurs 1 1 autres
choses fort ioyeuses. compose par 1| maistre Guillaume coquillart Offi-
ciai de II reims lez Champagne, ix. || ^ On les vend a paris en la rue neufue
nostre Dame\\a [enseigne de lescu de France. \\ Cum priuilegio. — C.Cy
finissent les droictz\\nouueaulx. Auec le débat des dames et des ar-\\mes
nouuellement imprime a paris par la vef\\ue jeu iehâ trepperel Demouràt
en la rue neuf\\ue nostre Dame a lenseigne de lescu de France. S. d.
[v. M i$], in-4 goth. de 36 flf. de 38 et 40 lignes à la page pleine,
imprim. à 2 col., sign. A-I.
Le titre est imprimé en rouge et en noir, avec un grand S initial placé sur un
fond criblé et entouré de rinceau.x. La page est encadrée, de deux côtés, d'une
bordure de rinceaux et, des deux autres, de petits ornements typographiques.
Au milieu se voient les deuxécus décrits ci-dessus.
Au verso du titre, un bois représentant un homme et une femme debout dans
un jardin. L'un et l'autre sont vêtus d'une longue robe, et ils se donnent la
main. Au-dessous de ce bois, se trouve la table des rubriques du livre. Une
colonne et demie de la page suivante est occupée par la table détaillée.
Au verso du dernier f., la grande marque de Jehan Tre p penl l^Bruntt, 11,265).
Bibl. de Troyes, X. 8. 989, dans un recueil où les Droictz nouveaulx sonl
réunis à L'Eplstrc de Othea^ déesse de prudmce^^moralisle (par Christine de Pisan),
imprimée par Trepperel.
Cette édition nous paraît devoir être confondue avec celle que M. d'Héri-
cault attribue à Jehan II Trepperel. Les renseignements bibliographiques donnés
par le dernier éditeur de Coquillart sont si confus que nous avouons n'avoir pu
en tirer grand profit.
c. — SEnsuyuent les II Droictz Nouue || aulx Auec le de- 1| bat des dames/
et des armes Lëqueste en-||tre la simple/ et la rusée/ auee son plai-
doye/i| La côplaincte de Echo a Narcisus / f le ref||fus qlluy fist auec
la mort dicelluy narcis9||Et le monologue coqllart || Auec plusieurs
llaultres choses fort ioyeuses. Compose par H maistre Guillaume
coquillart / Officiai de || Reims Lez champaigne. ix. c. || C. 0/z les vend
a lenseigne sainct Iehà\\ baptiste En la rue neufue nostre Dame/ \\ Près saincte
Geneuiefue des ardans. — fl Cy finissent les droitz \\ nouueaulx j auec le débat
des dames et des ar- \ \ mes Imprime nouuellement a Paris en la\\ rue neufue
nre Dame a lêseigne sainct Iehâ \ \ baptiste/ Près saincte Geneuiefue des ardas.
S. d. [v. I $ 16], in-4 goth. "^^ 36 flf. non chiffr., de 41 lignes à la page,
impr. à 2 col. en lettres de forme, sign. a-i.
Le titre, imprimé en rouge et noir, est orné de la grande S et des deux écus
décrits ci-dessus.
LE MONOLOGUE DRAMATIQUE. — II Î9J
Au V" du titre est un grand bois qui représente un clerc lisant à un pupitre.
Au-dessous de ce bois sont huit lignes de texte.
Au V» du dernier f. est la grande marque de Jihan Janot (Brunet, II, 264).
Cette édition ne doit pas être de beaucoup postérieure à la précédente.
D'après Lottin, la veuve de Jehan Janot succéda à son mari en ip7; mais elle
pouvait toujours employer la même marque.
Biblioth. nat., Y 4403 B. Rés.
d. — SEnsuyuent les 1 1 droitz Nouue- 1 1 aulx : Auec le de 1 1 bat des dames/
et des armes Laqueste en||tre la simple/ et la rusée/ auec son plai-
doye. Il La côplaTcte de Echo a Narcisus et le ref-H fus ql luy fist auec
la mort diceluy narcisus 1 1 Et le monologue coqllart Auec plusieurs 1 1 autres
choses fort ioyeuses. Compose par|]maistre Guillaume coquillart Officiai
de II Reims les champaigne. ix. c.{\On les vend a Paris en la rue neufue
nostre Dame a \ \ (enseigne de lescu de France. — C Cy finissent les droictz
\\ Nouueaulx, Auec le débat des Dames et des armes \\ Imprime nouuellement
a Paris par Alain LO'\\trian Demeurant en la rue neufue nostre da-\\me
a Icnseigne de lescu de France. S. d. [v. 152^], in-4 goth. de 36 ff. non
chiffr. de 41 lignes à la page, impr. à 2 col., sign. a-i.
Cette édition reproduit page pour page l'édition de Jehan Janot., mais elle est
imprimée en caractères beaucoup plus petits. Le titre, tiré en rouge et en noir,
porte de même les deux écussons décrits ci-dessus.
Au v» du titre est un petit bois qui représente un clerc assis devant une table
sur laquelle est ouvert un livre; il y a en outre deux fragments de bordure.
Le V" du dernier f. est blanc.
Biblioth. nat., Y 4-4403. Rés. (exempl. de Gaston d'Orléans).
e. — Sensuyuent les droictz nouueaulx ; auec le débat des Dames : et
des armes lanqueste entre la simple: et la Rusée: auec son plaidoye: la
complaincte de Echo a Narcisus: et le Reffus quil luy fist auec la mort
dycelluy Narcisus ; et le monologue Coquillart auec plusieurs aultres
choses fort ioyeuses/ compose par maistre Guillaume Coquillart officiai
de Reyms lez Champaigne. Oaz les vend a Paris/ par Philippe le Noir... —
[A la fin :] Imprime nouuellement a Paris par Philippe le Noirj maistre im-
primeur et lung des deux relieurs de Hures iures en luniuersite de Paris. S. d.
[v. 1 530], in-4 go^h.
Cat. Solar, 1860, n» 1086.
/. — Les œuures maistre Guillau || me Coquillart en son uiuant|| Officiai
de Reims nouuel-|l lement reueues & Im-l| primées a Paris, [j 1 5 32. || O/z
les vend a Paris pour\\ Galiot du Pre, en la \\grant salle du || Palays. —
Fin des œuures feu maistre Guillau- \] me Cocjuillart officiai de Reims nou-\\
394 É. PICOT
uellemenî reueues, corrigées & 1 1 imprimées a Paris pour \ \ Galliot du Pre. \ \
M. D. XXXII. In-i6 de i56ff. inexactement chiffr., impr. en jolies lettres
rondes, sign. a-t par 8, j^par 4.
Le le"" f. du cahier G est coté 51 au lieu de 49 ; cette erreur se poursuit
jusqu'au dernier f. qui est chiffré 158.
Voici la distribution des principales pièces dans cette édition:
Le Plaidoyer de Coqulllart, f. 64 [62], r».
UEnqucste d'entre la Simple et la Rusèe^ f. 87 [8$], v».
Le Monologue de la Botte de foing^ t. 126 [124], r".
Le Monologue du Puys, f. 138 [136], v».
Le Monologue des Perrucques, f. 148 [146], r°.
Biblioth. nat., Y 4399, Rés. (exempl aux armes du comte d'Hoym). —
Biblioth.Méjanes, à Aix, n° 16289 (exempl. sans titre). — Biblioth. de feu
M. le baron James de Rothschild (Cat., I, n" 461). — Biblioth. de M. le baron
de Ruble (Cat. de Lurde, noyo).
g. — Les œuures maistre GuiilauHme Coqulllart en son viuantlj
Officiai de Reims nouuel- 1| îement reueues &im-|| primées a Paris. |!
1532. \\ Imprime a Paris par An\\îhoriine [sic] bonnemere. — Fin des
oeuures feu Maistre Guillau-\\me Co(]uillart officiai de Reims nou-\\uelIe-
ment reueues, corrigées et imprimées a Paris pour\\Anthoinne Bonnemere \\
M. D. XXXIl. In-i6 de 1 56 ff. mal chiffr., sign. a-t par 8, v par 4.
Au v» du titre se trouve Le Contenu an [sic] ce présent vollume [sic].
Le v du dernier f. est blanc.
Le i"' f. du cahier G est coté 51, au lieu de 49, et l'erreur se continue jus-
qu'à la fin du volume, qui paraît ainsi se composer de 1 58 fï.
Biblioth. royale de Berlin, Xt 4180 (Cet exemplaire porte au v° du dernier f.
la date de 1 536 avec ces mots : En espoyr vit Weyssenburg. Au-dessous d'un
monogramme se trouvent ensuite les initiales B. V. W. Sur le f. de garde qui
suit, ce même exemplaire contient cette note peu chrétienne : f espoyr que le
tamps viendra, quy n'est point encore venu, que je morderay cheux qui me ont mor-
du. W.)
h. — ^%)Les Œ- Il ures Maistre Guillaume Coquil-||lart en son viuant
Oofficial [sic] II de Reims/Nouuelle- 1 1 ment corrigées & im- 1 1 primées a Pa-
II ris II . 1 543 . Il f[On les rend a la rue neufue no \ \ stre Dame a Icnseigne
de lescu de W France. — ^ Fin des oeuures Feu Maistre Guil-\\laume
Coquillart Officiai de Reims Nouuellementre \\ ueues., corrigées & Im \\ primées
a Paris ||^ Pierre leber\\demourant || au Coing \\ Du Paue Wpres la place
Maubert, \\ M. D. XXXIIl [1533]. In-i6de ijôfî. inexactement chiffr.,
titre rouge et noir.
Le v du dernier t. est blanc.
LE MONOLOGUE DRAMATIQUE. — II ?95
Le numérotage des ff. présente les mêmes erreurs que celui des deux éditions
précédentes.
Biblioth. de feu M. le baron James de Rothschild (Cat., I, n" 462).
/. — Les Œuures || Maistre Guil || laume Coquil || lart, en son viuant
Officiai II de Reims, nou 1| uellementre || ueues et corri || gees. || M. D,
XXXIII [1533]. Il On les vend a Lyonjen la \\ maison de Francoys lusle. ||
Demourant deuant nostre \\ Dame de Confort. — Finis. || Imprime nouuel-
lement par Francoys \\ luste, Demourant deuât no- \\ sîre Dame de Confort.
\\a Lyon Le .ij. || Daoust. \\ 1533. In-8 goth. de 96 ff. chiffr., sign.
A-M, format allongé.
Le titre est orné d'un encadrement qui a servi ensuite pour les Œuvres de
M^rof, publiées par François Juste, dans le même format, sous les dates de i S 34 et
'53 S (voy. Cat. Rothschild, I, n^^ 597, 600, 602). Au-dessus de cet encadre-
ment on lit en caract. goth. : Co^uillart., puis, dans la frise, les mots Jésus Ma-
ria, en capitales romaines.
Le titre est imprimé en capitales romaines, à l'exception de l'adresse du
libraire, qui est en gothique.
Au bas du cadre un écusson au monogramme de Juste, que supportent deux
amours.
Au yo du titre, se trouve la Table.
Biblioth. grand-ducale de Darmstadt, E. 2077 (le 5» f. de cet exemplaire
est endommagé).
M. Brunet (II, 266) dit à tort que ce volume porte sur le titre la date de
1555, tandis qu'on a conservé à la fin la date de 1 y j .
j. — Coquillart* || Les œuures Maistre Guillaume || Coquillart en son
viuant Offi-||cial de Reins, Nouuellemêt || corrigées & imprimées || a
Paris. Ou sont cô || tenues plusieurs || ioyeusetez || côme || vous pourrez
veoir en la table de ce || présent liure, 1534. || * On les vêd en la rue
neufue nostre || dame a lèseigne sainct khan Bapti || stepres saleté Geneuiefue
des ardas. — Finis. || Imprime a Paris par Denys Lin- \\ not. pour Pierre
sergent & lehan Longis Libraire. In- 16 de 144 fif, mal chiffr.
Len° 16 est double, en sorte que le dernier f. est coté 143.
Cat, Paradis, 1879. n^ 197. — Cat. Jordan, 1881, n" 16.
k . — Coquillart . j ] A-yaOy] Tu/v] 1 1 Les Œuures 1 1 Maistre Guil 1 1 laume
Coquillart, || en son vi || uant officiai || de Reims. Nou ;! uellement || re ||
ueues et corri 1 1 gees, 1 1 M . D . XXXV [i<^]^]. \\ On les vend a Lyon / en la
Il maison de Fràcoys luste, \\ Demourant deuant nostre \\ Dame de Confort.
—Finis. \\ Imprime nouuellemcnt, par Francoys \\ luste, Demourant deuant
?96 É. PICOT
no- Il stre Dame de Confort \\ a Lyon. Le .xxi. de jlanuier. \\ 1555
[1536, n. s.]. In-8, goth. de 96 ff. chiffr., format allongé.
Le titre est imprimé au milieu du bois employé par François Juste en 1533
(voy. !a description de l'édition i).
Biblioth. nat., Y 4400 Rés. — Cat. Lévy, 877, no 127.
/. — Les Œuures || demaistre Guillaume Coquil || lart, en son viual
officiai 11 de Reims, nouuelle || met reueuesf corrigées. || M.D.XL [i $40].
Il On les vend a Lyon, chez Francoys Juste \\ deuant nostre Dame de Côfort.
In-16 de 122 fî. chiffr.
Le seul exemplaire connu de cette édition a successivement appartenu à Cop-
pinger et à Solar; il a fait, en dernier lieu, partie de la bibliothèque de
M. A.-F. Didot(Cat. de 1878, n» 166).
m. — Les Œuures || de maistre Guilleaume [sic] || Coquillart en son
Il vivant [sic] officiai || de Reims. || A Paris chez khan Longis || libraire. — j
Finis. Il Imprime a Paris par Denys lan- \\ not pour Pierre sergent & lehan '
\\ Longis Libraires. S. d. [v. 1 540], in-16 de 144 ff.
Biblioth. nat., Y 4398. Rés.
n. — Les Oeuures de maistre Guillaume Coquillart, en son viuant
Officiai de Reims, nouuellement reueueset corrigées. Le contenu dicelles
est en la page suiuante. A Paris., i ^46. De l'imprimerie de leanne de
Marnefy demeurant en la rue Neufue nostre Dame, à l'enseigne saint lean
Bapiiste. In-16 de 1 12 fï. non chiffr.
Jeanne de Marnef était la veuve de Dcn-js Janot dont nous avons cité ci-dessus
deux éditions. Le volume publié par elle en 1546 n'est pas une simple réim-
pression de ces éditions; les petites poésies de Coquillart n'y figurent pas,
tandis que l'on y a fait entrer les trois blasons de Pierre Danche. Voy. l'édi-
tion d'Héricault, II, 362.
Cat. Brunet, 1868, n" 275.
0. — Les Œuures II de maistre || Guillaume Coquil- 1| lart_,Enson viuant
Officiai de 11 Reims. Nouuellement reueues & || corrigées par C. G.
Champ. Il Le contenu d'icelles est en la page || suyuante. || A Paris. \\
Par Estienne Groulleau, demourant en la\\ rue Neuue nostre Dame à l'en-
seigne \\ saint lean Baptiste. \\ ij$3. In-i6 de 112 ff. non chiffr. de 28
lignes à la page pleine (non compris le titre courant), impr. en jolies
petites lettres rondes, sign. A-0 par 8.
Au v" du titre est la table du volume.
LE MONOLOGUE DRAMATIQUE. — II J97
Au fo du second f., est un petit bois représentant l'acteur. Cette édition est
restée inconnue à tous les bibliographes. Les initiales portées sur le titre sont
celles de Claude Colet, Champenois.
Biblioth. royale de Munich, P. 0. g.ill. 8", 463.
p. — Les II Œuures de || M. Guillaume || Coquillart, en || son viuant
officiai II de Reims. || */ \\ Nouuellement reueues & corrigées. || A Lyon,
Il Par Benoist Rigaud, \\ 1 579. In-i6 de 256 pp. de 2^ lignes inon com-
pris le titre courant; , sign. A-Q.
Au titre, un petit bois représentant divers personnages à table.
Au verso du titre, la table des pièces contenues dans le volume.
a Le Monologue des Penucques ou du Gendarme cassé n'çstpa.s compki; il s'ar-
rête avec ce vers :
Saint Anthoine arde le tripot,
suivi du mot : Fin.
(I Les Petites Œuvres (pièces politiques) annoncées dans la table placée au
verso du feuillet du titre ne s'y trouvent point. »
Cat. A.-F. Didot, 1878, n» 1C7.
ej. — Les Œuures de Maistre Guillaume Coquillart, en son viuant
Officiai de Reims, reueues et corrigées denouueau. A Paris, Pour lean
Bonjons^ libraire, demouranî en la me Neufue Nosîre Dame, à l'enseigne
sainci Nicolas. S. d. [v. 1570], in-i6.
Cat. Béhague, 1880, n» 531.
r. — Les Œuures de Maistre Guillaume Coquillart. A Paris, 1597.
In-8 de 283 ff. inexactement chiffr.
Cette édition, qui paraît avoir été exécutée au xviiie siècle, ne contient pas
seulement les oeuvres de Coquillart; on y a joint un certain nombre de pièces
plus ou moins analogues, qui ont d'autant plus d'intérêt aujourd'hui que les ori-
ginaux de plusieurs d'entre elles sont probablement perdus; on en trouvera la
liste dans l'édition de M. d'Héricault ^11, 368).
Les feuillets sont cotés régulièrement jusqu'à 161 ; le 162^ feuillet est blanc,
puis les numéros recommencent à 165 et se suivent jusqu'à 285.
A la fin du volume est la date de 1 599.
Biblioth. de feu M. Eugène Dutuit, à Rouen (exemplaire de Châteaugiron et
deSoleinne.)
s. — Les Poésies de Guillaume Coquillart, Officiai de l'Eglise de Reims.
A Paris, De l'Imprimerie d'Antoine-Urbain Coustelier, Imprimeur-Libraire
de S. A. R. Monseigneur le Duc D'Orléans. M. DCC. XXIII [1723].
In-i2 de 3 ff., 184 pp. et 2 ff. pour la Table e\ le Privilège.
398 É. PICOT
/. — Blasons, Poésies anciennes recueillies et mises en ordre par D. M.
M*** [Méon] (Paris, Guillemot, 1807, in-8), 242-259.
u. — Les Œuvres de Guillaume Coquillart [publiées par Prosper Tarbé].
1847. Reims, Chez Brissart-Binet, libraire, rue du Cadran-Saint-Pierre;
Paris, Chez Techener, Libraire, place du Louvre. [Impr. de Gérard, liîh.,
rue Cérès, 8, à Reims.] 2 vol. in-8.
Tome premier : xxxv et 217 pp., 1 f. pour la Table et i f. blanc. — Tome
second : 249 pp. et i f. d'Errata.
V. — Œuvres de Coquillart. Nouvelle édition, revue et annotée par
M. Charles d'Héricault. A Paris, Chez P. Jannet, Libraire. [Impr. par
Guiraudet et Jouausî.] MDCCCLVII [1857]. 2 vol. in-16.
Tome I : clj et 200 pp. — Tome II : 599 pp.
On trouvera le Blason, t. II, pp. 14 $-196.
18. Les Drois nouveaulx establis sur les femmes.
[Paris, vers 1490 .?]
Les nouveaulx Droitz de Guillaume Coquillart tiennent par plusieurs
côtés du sermon joyeux; ils étaient évidemment destinés, comme Le
Plaidoyé d'entre la Simple et la Rusée et comme VEnqueste, à égayer
une société de clercs ou de bazochiens dont les réunions avaient lieu
le jeudi, et qui comprenait à demi-mot les allusions malignes, les ex-
pressions si obscures pour nous du poète rémois. Cependant la longueur
du poème n'aurait pas permis à un acteur de le réciter sans s'épuiser.
Les nouveaulx Droitz devaient être lus, et l'auteur le dit expressément à
la fin de sa première partie :
Et consequemment sera leue
Aultre rubriche, De Pactis,
Et d'aultres tiltres cinq ou six ;
Mais, pour ce qu'il est tard, je dy,
Veu que estes tous endormis, 1255
Qu'il vault mieulx attendre a jeudy.
Les nouveaulx Droitz de Coquillart n'appartiennent donc pas au théâtre ;
mais un poète contemporain a composé sous le même titre une pièce
qui devait être récitée, comme l'indique bien le début :
LE MONOLOGUE DRAMATIQUE. — Il 399
Esveillez vous, esperlucatz,
Portans brodequins et pentouffles ;
Procureurs, jeunes advocatz,
Esveillez ainsi comme escouffles ;
Venez céans trestous par couples j
Et escoutez les nouveaulx droictz,
Car, ains que d'icy me descouples,
Vous diray les nouvelles loix.
L'acteur fait donc appel aux spectateurs et annonce qu'il se retirera
quand il sera au bout de son discours.
Le poète est sans nul doute un Parisien, car il parle des Billettes et
de Saincte-Croix (v. 27), des Jacobins [V. ^i', du Champ-Gaillard
(v. 420I. Il écrit en strophes de huit vers, ce qui ne l'empêche pas de
s'approprier des vers entiers de Coquillart, par exemple celui-ci (v. 12):
C'est de jure naturaly.
(Coquillart, éd. d'HéricauIt, I, 38.)
Ce qu'il y a de plus singulier, c'est que l'auteur parisien reproduit, à
la fin du sermon, le rendez-vous que Coquillart donne à ses auditeurs
pour le jeudi suivant. Peut-être faut-il voir dans cette assignation une
simple facétie :
Nous mettons fin aux droitz nouveaulx
Establis sur femmes et hommes.
Jeunes gallans et jouvenceaulx, 435
Bigotz et dévotes personnes.
Encore plus que je ne dy,
Portans que ne perdons nos sommes.
Le demourant aurez jeudy. 440
Bibliographie :
a. — Les Droisnouueaulx establis surles femmes. S.l.n.d. [v. i joo.?],
pet. in-4 goth. de 8 ff. de 26 lignes à la page.
Au titre, une figure en bois.
Brunet, II, 838.
b. — Les drois nouue || aulx establis sur les femmes. — Finis. S. l. n.
d. \v. 1520?], pet. in-8 goth. de 8 fï. de 28 lignes à la page pleine,
sign. A.
Biblioth. nat., Y. n. p., Rés.
400
É. PICOT
c. — Les drois nouueaulx || establis sur les femmes. — Explicit. S. l.
n. d. [v. 1 5 20 ?], in-4 golh. de 8 ff. de 34 lignes à la page, sign. A-B.
Les derniers mots du titre : sur les femmes sont imprimés en très petits ca-
ractères. — Au-dessous de l'intitulé, un bois représentant une femme debout,
tenant une rose à la main. Derrière cette femme on aperçoit une église monu-
mentale; au-dessus est une banderole restée vide.
d. — Les Droits nouueaulx establis sur les femmes. — [A la fm :]
Imprime a Rouen par lelmn Barges le ieune. S. d. [v. 1520], pet. in-4
goth. de 4 ff. de 33 lignes à la page, impr. à 2 col.
Cette édition est incomplète des vers 421-428.
Biblioth. de S. A. R. Mgr le duc d'Aumale (Cat. Cigongne, n» 667.)
e. — Joyeusetez, 1830 (dans le vol. qui contient la Complaincte de
Trop Tosî Marié, etc.).
/. — Montaiglon, Recueil de Poésies françaises, II, 123-1 39.
g. — Recueil de pièces rares et facétieuses, anciennes et modernes [publié
par Ch. Brunet]. (Paris, A. Barraud, 1872-1875, 4 vol. in-8), III, 11,
1-25.
19. La grand Loyaulté des Femmes.
[Rouen, vers 1500?]
Cette composition, restée jusqu'ici inconnue, est une diatribe sati-
rique qui ne s'éloigne guère d'une foule d'autres pièces du même genre.
M. Paul Meyer nous fait observer que le début reproduit, avec quelques
légers changements, un dit du xiii'' siècle, Le Blasme des famés, dont
on possède cinq rédactions plus ou moins développées ' :
Qui prent a femme compaignie
Ne fait pas sens, mais grant folie;
Cil qui a femme met sa cure
Son grief et sa perte procure
Et se met en grant adventure. 5
1. Voy. Remania, VI, 499*500.
LE MONOLOGUE DRAMATIQUE. — II 4OI
Escouter veuillez leur nature
Et aussi leur grant loyaulté;
Je vous en diray vérité ;
Et qui croire ne me vouldra,
Marié soyt, si le sçaura. 10
Qui met en femme son entente
Il acquier[t] de soucy la rente...
Elles sont souvent adirées
Et en a l'amy ce qu'il veult,
Dont le pouvre mary s'en deult
Et ce le met fort en malan,
Car il est appelle Jouan. . . 60
Voici la fin du sermon :
Et qui obeist a ses ditz,
Ce luy est ung droit paradis,
Et la doyt chérir et aymer
Du bon du cueur, sans point d'amer. 210
Aussi celluy qui l'a mauvaise,
Foy que je doy a sainct Nicaise,
S'il la veoit morte ou noyée,
N'en dev[e]royt pleurer journée,
Nompas se au marché aux Veaux 2 1 <,
Estoit bruslée pour tous maulx,
Affîn que autres se gardassent
De faire maulx et s'avisassent.
Prenez y garde, je vous prie,
Vous tous de ceste compaignie. 220
Les allusions à saint Nicaise et au marché aux Veaux prouvent que le
poème a dû être composé à Rouen. C'est sur la place aux Veaux qu'a-
vaient lieu d'ordinaire les exécutions capitales. Voy. Farin, Histoire de la
ville de Rouen, 1731, I, i, 181.
Bibliographie :
J^ La grâd loyaul H te des Femmes. — C Finis. S. l. n. d. [vers
1525], petit in-8 goth. de 4 fF. de 23 lignes à la page pleine, sign. A.
La pièce n'a qu'un simple titre de départ; le recto du premier feuillet con-
tient 18 lignes de texte.
Biblioth. de M. Léon Techener à Paris (excmpl. de Yemeniz, de M. le mar-
quis de B. de M. et de M. Paradis).
Le Supplément au Manuel du Libraire cite cette pièce d'après le même exem-
plaire, mais les auteurs Pont confondue avec un autre poème, entièrement diffé-
rent, qui porte le même titre.
Romania, XV. :6
402
É. PICOT
20. Sermon nouveau et fort joyeulx auquel est contenu
LES MAULX QUE l'HOMME A EN MARIAGE.
\ Paris ^ vers 1 500.]
Cette pièce, inspirée par Les quinze Joyes de mariage^ nous paraît ap-
partenir à la fin du xv® siècle ; elle est divisée en deux parties de façon
à permettre à l'acteur de reprendre haleine. En voici le début :
In nomine Bachi Sileni.
Matrimonia matiimonia
Mala producunl omnia.
Le thesme qu'ay cy recité,
Extraict d'ung livre bien dicté,
Nommé Les Joyes de mariage, 5
Vault autant en commun languaige
Que qui diroit par mocquerie :
L'homme est bien fol qui se marie.
La fin indique clairement que la composition est parisienne :
Or prions [a] Dieu qu'en cest estre
[II] doint patience aux marys,
Mesmement a ceulx de Paris :
Noz voysins nous sont de plus près.
Et puis ilz prirent Dieu après 300
Pour vous, la sus en paradis,
Les sainctz martyrs. A Dieu vous dis.
La paix des chiens soyt avec vous !
Le dernier vers rimait peut-être avec le premier vers d'une moralité.
Bibliographie :
a. — Sermon nouueau et fort ioyeulx, auquel est contenu tous les
maulxque Ihoinme a en mariage, nouuellement compose a Paris. S. l.
n. d. [v. I ^00 .''], pet. in-8 goth. de 8 fF., sign. A-B.
Au titre, un bois qui représente un clerc assis dans une chaire et trônant une
tête de mort devant lui; ce personnage prêche à une assemblée assise à gauche.
Le même bois est répété au verso du titre.
Au verso du dernier feuillet, un moine assis dans une chaire et prêchant à
une assemblée assise à droite.
Biblioth. de S. A. R. Mgr le duc d'Aumale (Gat. Cigongne, n° 71 1).
LE MONOLOGUE DRAMATIQUE. — Il 40?
/'. — Sermon nouueau et fort ioyeulx auquel est contenu tous les
maulx que Ihomme a en mariage. Nouuellement imprime a Paris. S. d.
rcrs 1 $00 .?], pet. in-8 goth, de 8 ff.
Cat. La Vallière, par De Bure, II, n» 309$, dans un recueil acheté pour la
Bibliothèque du Roi, mais qui ne s'y retrouve pas aujourd'hui. Nous empruntons
notre description aux notes manuscrites de Van Praet.
c. — Poésies des xV et xvi^ siècles publiées d'après des éditions
gothiques et des manuscrits. Paris, chez Silvestre. llmprimerie Crapelet.]
i8î2. Gr. in-8 goth. N° 5.
d. — Montaiglon, Recueil de Poésies françaises, \\\, $-17.
21. Nouveau et joyeux Sermon contenant le ménage et la
charge de mariage, pour jouer a une nopce, a un personnage.
[Vers 1 500.]
Cette pièce reproduit une enumération dont la littérature du moyen
âge offre d'assez nombreux exemples. Après Le Dit de ménage^ et VOus-
tillement au villain-, on peut citer Le Ditté des choses qui f aillent en ménage
et en mariage^, Les Ténèbres de mariage^, et surtout La Complaincte du
nouveau marié, lequel marié se complainct des extencilles qu'iluy fault avoir
en son mesnaigei. Notre auteur s'est particulièrement inspiré de la Com-
plaincte, dont il a reproduit presque sans aucun changement plusieurs
vers.
Le sermon commence ainsi :
Libertas est, et catera.
Ces parolles on trouvera
Au livre des tripes d'un veau
Qui jadis fut faict de nouveau,
1. Le Dit de Ménage, pièce en vers du xiil" siècle, publiée par M. Ticbucïcn
(Paris, Silvestre, 183$, in-8).
2. De rOuslilkment au villain {xnv- siècle], public par M. Monmerqué (Paris
Silvestre, 183 ^, in-8).
3. Jubmal, kouveau Recueil de Contes, Ditz et Fabliaux, II, 161 -i6q
4. Montaiglon, Recueil de Poésies françaises, I, 17-32.
5 Ibid., I, 218-228.
404 É. PICOT
Capitula plein d'herbe vende, 5
Folio illuminé de merde.
Il est écrit en mondit livre
Que qui veut joyeusement vivre
Se doit en liberté tenir...
En voici les derniers vers :
Et pour ce, nous ferons prière 165
A Dieu qu'il veuille illuminer
Tous ceux qui sont a marier,
Que jamais n'ayent le courage
De soy ficher en mariage.
Pour éviter tant de misères, 170
Je recommande les prières
Qu'avez accoustumé de faire.
A Dieu vous dis ; je m'en vois boire.
Bibliographie .
a. — Cette pièce occupe les pp. 149-157 d'un volume intitulé sim-
plement : Farce nouuelle très-bonne et fort ioyeuse du Cuuier, à troys
personnaiges. A Lyon, 16 19. Pet. in-8 de 173 pp.
Biblioth. royale de Copenhague.
b. — Emile Picot et Christophe Nyrop, Nouveau Recueil de Farces
françaises^ lxix-lxxi, i 91-198.
22. Sermon joyeux de la Pagience des femmes obstinées contre
leurs marys.
[Rouen, vers 1 500.]
Cette composition satirique paraît appartenir à la fm du xv« siècle et être
restée longtemps populaire; elle est citée comme telle dans Les Cris de
Paris d'Antoine Truquet, pièce dont la plus ancienne édition connue est
de I $45. Un texte fort altéré de ces Cris, le seul que nous ayons entre
les mains, porte :
Les Babioles.
Livres nouveaux ! [Livres nouveaux IJ
Chansons, ballades et rondeaux !
Le Passetemps de Michaud,
LE MONOLOGUE DRAMATIQUE. — Il 4O 5
La Farce de Maumarié,
La Pénitence [sic] des femmes
Obstinées contre leurs maris ! '
Le sermon commence par un proverbe que l'on retrouve, à peu près
dans les mêmes termes, au début de la Moralité nouvelle de la prinse de
Calais [Recueil de Farces, Moralités, etc., publié par Leroux de Lincy et
Michel, I, no 6, p. 4):
Patience passe science ;
C'est belle chose quant je pense
Que les femmes sont si [tres]sages
De faire par subtilz usages
Tout le vouloir de leurs marys. 5
Hz le feront, par sainct Denys 1
De corne soufflez ; (ce) feront mon.
Hz sont couchez, et non sont, non...
Le prêcheur rapporte les discours de plusieurs femmes qui se plaignent
de leurs maris et termine ainsi :
De plorer sont assez legiéres 135
Et de boulier grandes ouvrières ;
Hz ont si bel entendement
Qu'on ne les cognoist bonnement ;
Le plus sage n'y sçait que faire,
Le plus fin y treuve a refTaire, 140
Le plus rusé n'y entend notte,
Et le plus simple s'en desporte:
Le plus rouge est le premier prins.
A Dieu vous dis, et plus n'en dis.
Bibliographie :
a. — CL Sermon ioy- || eulx de la patience des femmes obstinées ||
contre leurs maris. Fort ioyeulx et recréa H tif a toutes gens. — C. ^^nis-
S. l. n. d. [Paris, v. 1 $ 10], pet. in- 8 goth de 4 lï. de 21 lignes à la
page.
Au titre, un bois qui représente un homme jouant du galoubet, tandis qu'une
femme et un page l'écoutent. A droite, un roi barbu, sa couronne sur la tête
et son sceptre à la main, se tient devant un arc de triomphe. Ce bois se retrouve
1. Voy. Paris ridicule et burles:}iie au dix-scptiane siècle; nouvelle édition,
revue et corrigée, avec des notes par F.-L. Jacob (Paris, Delahays, 1865, in-16;,
p. 320.
406 É. PICOT
sur le titre d'une édition des Facccies de Pogc, imprimée par la veuve de Jehan
Treppuei à Paris.
Biblioth. de !eu M. ie baron J. de Rothschild (Cat., I, n« 589; cf. jll,
n» 1771).
b. — Sermon ioyeulx de la || Patience des femmes obstinées con- 1| tre
leurs maris. Fort ioyeux f recre- 1| atif a toutes gens. S. l. n. d.
[v. 1 510], pet. in-8 goth. de 4 ff. de 21 lignes à la page.
Au titre, un bois représentant une femme assise sur un trône. Cette femme
est coiffée d'un capuchon de fou, de ce qu'on appelait un « sac à coquillons » '■>
elle tient, de la main gauche, un paquet de verges et, de la main droite, un livre
que lui présente un clerc. Derrière le clerc, une autre femme portant également
un capuchon de fou. Sur le premier plan, deux canards.
Mus. britan., C. 22. A. 5.
c. — Sermô ioyeux de la Pacience des femmes obstinées contre leurs
marys : fort ioyeulx et récréatif a toutes gens. S. /. n. d. [v. 1510],
pet. in-8 goth. de 4 ff. de 2 1 lignes à la page.
Au titre, un bois représentant une vieille femme qui tient une quenouille.
Près de cette femme, un mendiant appuyé sur une béquille et suivi d'un cochon.
Le bois est encadré de deux fragments de bordure placés en hauteur.
Édition citée par M. Brunet et reproduite en fac-similé en 1830.
^. — Sermon ioyeulx de la patience des femmes obstinées contre leurs
maris. Fort ioyeulx et récréatif a toutes gens. S. /. n. d. [v. 15 10],
pet. in-8 goth. de 4 ff. de 21 lignes à la page, impr. en lettres de
forme.
Cat. La Vallière, par De Bure, II, n» 3095, dans un recueil qui ne se re-
trouve plus aujourd'hui. Nous donnons notre description d'après les notes
manuscrites de Van Praet.
e. — Sermon ioy- || eulx de la paci || ence des fémes || contre leurs
maris. — C. ^'"'^- ■S- ^ n- à. [Paris, v. 1 $ 1 5], pet. in-8 goth. de 4 fï.
de 26 lignes à la page, sign. A.
Le titre porte le même bois que le titre de l'édition A (on en trouvera la
reproduction dans le Cat. Rothschild, I, n» 589), et le volume a probablement
été imprimé à Paris, par la veuve de Jchati Tnppird. L'édition est cependant
postérieure à A en raison du nombre des lignes contenues dans chaque page.
Au v" du titre, un bois représentant des femmes qui sortent d'une tente, près
du rivage de la mer. Ce bois se retrouve fréquemment dans les vieilles impres-
sions populaires ; il orne notamment une édition du Débat de deux Danwysellcs.
Biblioth. roy. de Dresde: M. jj. q. 189 [Libn rom. et ital.).
LE MONOLOGUE DRAMATIQUE. — II 4O7
/. — Lagrâd patience des |[ Femmes otre leurs || maris. Finis. — S. l.
n. d. [v. 151$], pet. in-8 goth. de 4 ff. de 23 lignes à la page,
sign. A.
Cette édition n'a qu'un simple titre de départ; le r^ du 1" f. contient 16
vers; le v^ du dernier f. en contient 18, plus le mot Fmis.
Cat. Didot, 1878, n° 230.
g. — Les Œuures de Maistre Guillaume Coquillart, 1597 (voy. ci-
dessus, n" 17).
/;. — Discours || ioyeux de la Patien- || ce des Femmes obsti- || nés [sic]
contre leurs || maris. || Fort ioyeux & récréatif a || toutes gens. || A Rouen,
Il Chez Théodore Rainsarî,pres la porte du || Palais, à F Homme armé. S. d.
[v. 1600], pet. in-8 de 4 ff. de 26 lignes à la page, sign. A.
Titre encadré, avec un fleuron orné de deux chimères.
Biblioth. municip. de Versailles, E. 712,0., dans un recueil contenant plu-
sieurs pièces sorties des mêmes presses.
/. — Discours II ioyeux de la pa ||tience des fem- || mes obstinées
contre || leurs maris || Fort ioyeux & récréatif || a toutes gens || A Rouen.
Il Chez Loys Costé, libraire rue Es- \\ cuyere aux trois fff . || Couronnées.
S. d. [v. 1600], pet. in-8 de 4 ff. de 26 lignes à la page, sans sign.
Titre encadré, dont le v^ est blanc.
Biblioth. nat., Y -j- éi 18. A(7). Rés. , dans un recueil qui contient douze
pièces publiées par Costc.
j. — Sermon || ioyeux de la || Patience des || Femmes obsti- || nées
contre leurs || maris 1| Fort ioyeux & récréatif |1 a toutes gens |1 A Rouen,
Il Chez Nicolas Lescuyer, près le grand \\ portail, nostre Dame. — Fin. S.
d. [v. 1600], pet. in-S de 6 ff. de 27 ligres à la page, sans chiffr.,
réel., ni sign.
Le titre, dont le v» est blanc, est orné d'un encadrement et de la petite marque
de Lescuyer avec la devise: Ilâpovra /a: [AE^.Xovxa.
Dans le coin inférieur de droite, on remarque le chiffre 21.
Biblioth. de M. le comte de Lignerolles.
k. — Discours || ioyeux de la patien- 1| ce des femmes obsti- 1| nés [sic]
contre leurs i| maris. 1| Fort ioyeux & récréatif à || toutes gens. ||^
Rouen, \\ Chez Pierre Mullot, marchand Libraire \\ rué Escuyere au nom de
lesus. — Fin. S. d. [r. 1600], pet. in-8 de 8 ff. de 26 lignes à la page.
Le titre, dont le v" est blanc, est orné d'un encadrement et d'un fleuron.
408 É. PICOT
Au r° du j« f. commence La Complainte du temps passé par le commun du
temps présent, qui occupe les 4 derniers fF.
Biblioth. de M. le comte de Lignerolles.
. — Fac-similé lithographique de l'édition c exécuté en 1830 et tiré
à 40 exemplaires.
m. — Joyeusetez, 1830.
n. — Monl3\g\oT\^ Recueil de Poésies frariçoises^ lU, 261-26-7.
23. Sermon joyeulx d'ung Fiancé qui emprunte ung pain sur
la fournée a rabattre sur le temps advenir.
[Rouent, vers 1 500.]
Avant de raconter l'histoire, d'ailleurs très courte, que le titre indique,
le prêcheur tonne contre le monde où toutes choses vont à l'envers ; il
entre ainsi en matière :
Putruerunt et corrapte sunt.
Exposer [vueil] le thème au long ;
[En] dire vueil le contenu.
Mes bons amys, j'ay entendu
Que l'antechrist est desja né ; 5
Le dyable l(uy)' a bien amené;
Il vient devant qu'on le demande.
Les vers 4-7 sont tirés à peu près textuellement de la sottie des
Menus Propos (v. 457-460) :
Le Second.
Fuyons nous en ; j'ay entendu
Que l'antechrist si est ja né.
Le Tiers
Le dyable l'a bien amené,
Car il vient devant que on le mande.
Quelques lignes plus loin nous constatons un nouvel emprunt à la
même pièce :
LE MONOLOGUE DRAMATIQUE. — II 4^9
Sirmon. Menus Propos
LE PREMIER
Il me souvient bien que ma mère
Il me souvient bien quant ma mère j^j^^jj ^^.^1,^ çj^qj^ p^eude femme;
Disoil qu'elle estoit prude femme ; ^^^-^ ^^^.j, ^^ j^^^ p^^ Rostre Dame,
Mais qu'il en soit, par Nostre Dame, j^ n'oseroie de riens jurer. 420
Je n'oseroys de rien jurer. 3 s
Je ne suys point aise a crier Je ne suis point aise a crier
Se ne vous dis mon cas a plain. Si je n'ay a boire a la main.
Après ces facéties, l'acteur annonce qu'il va faire la quête :
Or ça, chascun tende la main 38
A la bourse ; il en est temps.
Il entre ensuite en matière et raconte l'histoire du fiancé, histoire
qu'il termine ainsi :
Voila la fin de mon mignon :
Putruerunt et corruptc sunt.
Ung chascun [donc] se contregarde
Et a son fait si preigne garde, 1 20
Car plusieurs povres trupelus
En ce point sont souvent deceuz,
Chascun le congnoist tout a plain.
Allez et revenez demain.
Les menus Proposant dû être joués à Rouen au mois de février 1461
(voy. notre monographie de la SomV, p. 20; Romania, VIII, 251); le
sermon est nécessairement postérieur ; il est probable cependant qu'il
appartient encore au xv^ siècle, car les éditions les plus anciennes que
nous possédions, éditions qui remontent au commencement du xvi^ siècle,
sont déjà des plus fautives. Quant au lieu oij la pièce aura été composée,
rien ne l'indique; mais ce sont les acteurs rouennais qui devaient le
mieux connaître Les menus Propos.
Bibliographie :
a.— Sermon || ioyeux dung fiance q || ëprunte vng pain sur || la fournée
a rabatrejlsur le tëps a venir. S. l. n. d. [v. ijjoj.pet. in-8 goth.
de 4 ff . , fig. sur bois.
Un exemplaire de cette édition, acheté par Fernand Colomb, à Turin, le
410 É. PICOT
14 janvier ijji, était conservé jusqu'à ces derniers temps dans la Bibliothèque
Colonibine, à Séville. Voy. Harrisse, Excerpta Columbimana, v Sermon.
b.— Sermon ioyeulx dung fiance qui emprunte vng pain sur la fournée
a rabattre sur le temps aduenir. S. l. n. d. [v . 1550], pet. in-8 goth.
de 4 ff. de 22 lignes à la page.
Cette édition n'a qu'un titre de départ, mais le r" du i^'' f. est encadré d'un
double filet.
Au v° du dernier f. , deux bois disposés côte à côte; l'un, placé à gauche,
représente trois boules, restes d'un cordon qui entourait une armoirie ; l'autre,
à droite, représente un ermite vu à mi-corps, dans un cadre rond. Ces bois
sont différents de ceux qui ornent l'édition a.
Pour remplir l'espace resté vide à la fin de la plaquette, l'imprimeur a ajouté
au sermon une tirade de 25 lignes en vers terminés par le mot point.
Biblioth. de S. A. R. Mgr. le duc d'Aumale {Cat. Cïgongnt, n° 710).
c.J^ Sermon || dung fiance qui || emprunte vng pain sur la fournée a
ra- Il batre sur le temps aduenir. - C". Finis. S. l. n. d. [v. i $ 30] pet.
in-8 goth. de 4 fï. de 22 lignes à la page.
Au titre, une marque représentant un grand P entouré de rinceaux.
Mus. britann., C. 22. a. 50, dans un recueil où k Sermon est réuni au Mono-
logue des nouveaulx Sotz de la joyeuse tende, lequel ne sort pourtant pas des
mêmes presses.
d. — Sermon ioyeulx. — Explicit. S. l. n. d. pet. in-8 goth. de 4 fî.
Au titre, deux petits bois placés côte à côte et représentant, l'un, un jeune
clerc à longue robe, l'autre, un soldat armé d'un sabre grotesque. Chacun de ces
personnages est surmonté d'une banderole restée vide.
Cette édition, qui ne contient pas les 25 vers décasyllabiques placés à la fin
des précédentes, a été reproduite en fac-similé chez Prudhomme à Grenoble., en
1835, et tirée, parles soins de M. le vicomte P. C. de B. [Colomb de Batines],
à 42 exemplaires, savoir: 32 sur papier vélin, 8 sur papier de couleur et 2 sur
peau vélin.
e.~ Sermon d'vn I| fiance qui em- 1| pruntavn pain || sur la fournée, à
rabatre 1| sur le temps auenir. || A Rouen. \\ Chez Nicolas Lescuyer, près le
\\ grand portail, nostre Dame. — Fin. S. d. [v. 1600], pet. in-8 de
4 ff. non chiffr. de 27 lignes à la page, sans sign.
Titre encadré, dont le v° est blanc. Ce litre porte la marque de Lescuyer
représentant une tète de Janus, enfermée dans un cercle formé de deux serpents,
et accompagnée de la devise : nâpovca vi«l fj.£XXovca.
LE MONOLOGUE DRAMATIQUE. — Il 41 I
Dans le coin inférieur de droite se trouve le chiffre 10, qui indique la place
que le Sermon devait occuper dans les recueils de Lcscujcr.
Biblioth. de M. le comte de Lignerolles.— Biblioth. de feu M. le baron James
de Rothschild (Cat. I, n" 590, art. 1).
f. — Discours || d'vn Fiancé qui || emprunta vn pain || sur la fournée, à
rabattre || sur le temps aduenir. |( Nouuellement Imprimé reueu & recor-
rigé Il de nouueu [sic]. \\ A Rouen, \\ Chez Pierre Mullot, marchant Libraire
Il rue Escuyere au nom de lesus. S. d. [vers 1600], pet. in-8 de 4 ff. de
27 lignes à la page. sign. A.
Le titre, entouré d'un encadrement, est orné d'un petit bois qui représente
une femme poursuivie par un homme près d'une porte.
Le y du titre est blanc.
Les 4 ff. qui terminent la feuille sont occupés par le Sermon joyeux des Fri-
ponn'urs et des Friponnieres.
Biblioth. de M. le comte de Lignerolles.
g. — Réimpression exécutée à Paris, par Pinard, en i829jettirée à
60 exempl. pour MM. Techener [et Aimé Martin].
h. — Réimpression exécutée à Grenoble, \)^v Prudhomme, en 1855
(voy. d).
i. — Montaiglon, Recueil de Poésies françaises, III, 5-10.
y. — Recueil de Pièces rares et facétieuses, anciennes et modernes, etc.
[publié par Ch. Brunet] (Paris^ A. Barraud, 1872-1873, 4 vol. in-8), II,
XXIII, 1-6.
24. Sermon pour une nopce, autrement dit ; Discours joyeux pour
ADVERTIR LA NOUVELLE MARIÉE DE CE QU'eLLE DOIT FAIRE LA PRE-
MIERE NUiCT, ou Plaisant Discours et Advertissement aux nou-
velles MARIÉES POUR SE BIEN ET PROPREMENT COMPORTER LA PRE-
MIERE nuict DE LEURS NOPCES ; par Rogcr de Collerye.
[Auxerre, vers 1 505.]
Comme Guillaume Coquillart, comme Jehan Pinard et comme Jehan
Molinet, Roger de Collerye appartenait à l'Église; comme eux il cultivait
la poésie, et il ne craignait pas de traiter des sujets plus que scabreux.
Ce sermon, destiné à être récité à la fin d'un repas de noce, est un eu-
412 É. PICOT
rieux monument de la gaieté de nos pères. Le titre d'une des éditions
que nous décrivons ci-après nous apprend que les vers de Roger de
Collerye furent intercalés dans un ballet lyonnais du commencement du
xviie siècle. Les auteurs de ballets aimaient alors en effet les tirades for-
tement épicéas.
Le texte du sermon est emprunté au verset i i du psaume xliv et pa-
raîtra tout à fait en situation. Les mots Audi, filia et vide, ont été plus
d'une fois invoqués par les prédicateurs, entre autres par frère Robert
Messier dans son Adresse de salut (Biblioth. nat., ms. fr. 1888), et l'on
a même cru au xvii" siècle que l'abbé de Choisy les avait malicieuse-
ment attribués à madame de Maintenon (voy. Brunet, III, 424).
La pièce commence ainsi :
Le Prescheur, habillé en jemmc
Theume :
Audi, filia, et vide.
Ce theume que j'ay dévidé
Est escript d'une grosse plume,
Aussi pesante qu'une enclume,
Et d'un vielz psaultier enfumé
Je l'ay extraict et escumé,
Affin d'en faire un bon brouet. . .
En voici les derniers vers
Mais si quelqu'un de vous s'abuse,
Monstrez que vous sçavez la ruze ,
Comment on se doibt gouverner
Affin de le bien yverner; 260
Qu'il me soit mené et guidé.
Audi, filia, et vide;
Qui sera sans dilation
De nostre prédication
L'achèvement, et bien couché 265
Ainsy que je vous ay louché.
Bibliographie
a. — Les Œuures de maistre || Roger de Collerye home tressauât || natif
de Paris. Secrétaire feu monsieur Dauxerre || lesquelles il composa en sa
ieunesse. Contenant || diuerses matières plaines de grant recreatiom [sic]
& 11 passetemps, desquelles la déclaration est au sec ôd || feullet. 1| On les
LE MONOLOGUE DRAMATIQUE. — Il 4I3
vend a Paris en la rue nenfue \\ nostre Dame a lenseigne Faulcheur. \\ Auec
priuilege pour deux ans. || M. D. XXX. VI [15^6]. — Fin. Pet. in-8 de
104 ff. non chiffr. de 29 lignes à la page, impr. en lettres rondes, sign.
A-N.
Au titre la marque de Pierre Roffct (Silvestre, n» 1 ^0).
Au verso du titre se trouve la table.
Le volume ne contient pas d'extrait du privilège.
Notre pièce, intitulée : Sermon pour une nopce, occupe les ff. Fij-Fiiij.
Biblioth. nat., Y 4478. Rés. — Bibliotii. de feu M. le baron James de Roth-
schild (Cat., I, n" 517). — Biblioth. de M. le comte de Lignerolles. — De ces
trois exemplaires, les seuls qui soient connus aujourd'hui, le premier est incom-
plet de plusieurs feuillets.
b. — Les Œuures de Maistre Guillaume Coquillart. A Paris, 1597.
ln-8.
Sur ce volume, qui paraît avoir été imprimé au xviiP siècle et dont on ne
connaît qu'un seul exemplaire, voy. ci-dessus notre n» 17. La pièce de Roger
de Collerye y est reproduite sous le titre de Sermon pour une nopce, c'est-à-dire
qu'elle est directement extraite des Œuvres du poète.
c. — Œuvres de Roger de Collerye. Nouvelle édition, avec une Pré-
face et des Notes par M. Charles d'Héricault. Paris, Chez P. Janneî, Li-
braire. [Imprimerie de J. Claye.] MDCCCLV [1855]. In-i6 de xxxviiij et
287 pp.
Le Discours occupe les pages 1 1 1-122.
d. — Discours 1| ioyeux pour ad- |1 uertir la nouuel- 1| le mariée de ce
quelle doit || faire la première nuict. || A Rouen, \\ Chez Loys Costé, libraire
rué Es 11 cuyere aux trois -j-ff. || Couronnées. S. d. [v. 1600], pet. in-8
de 4 fï. de 27 lignes à la page, sign. E.
Les vers 29-47, 68, 1 17-132, 18^-222, 253-262 manquent dans cette édition.
Biblioth. nat., A -|- 6118 A (5). Rés., dans un recueil contenant 12 pièces
imprimées par L. Costé et dont les signatures se suivent d'^l à M.
e. — Sermon |1 ioyeux pour || aduertir la || nouuelle mariée, de ce ||
qu'elle doit faire la H première nuict. || A Rouen, \\ Chez Nicolas Lescuyer,
Il près le grand portail \\ nostre Dame. — Fin. S. d. [v. 1600], pet. in-8
de 4 flF. non chiffr. de 27 lignes à la page, sans sign.
Le titre, entouré d'un encadrement, porte une petite marque de Lescuyer^
réduction de celle qu'a donnée Silvestre (n" 986).
Il existe de cette édition deux sortes d'exemplaires. L'exemplaire de M. le
414 É. PICOT
comte de Lignerolles porte sur le titre, dans le coin inférieur de droite, le
chiffre 10, indiquant la place que le Sermon occupait dans les recueils mis en
vente par Lescuycr; celui qui lait partie de la bibliothèque de feu M. le baron
James de Rothschild (Cat. , I, n° 590, art. 8) porte à la même place le chiffre 1 2.
Le texte est le même que celui de Loys Cosié.
f. — Le Plaisant Discours et Aduertissement aux Nouuelles Mariées
pour ce [sic] bien et proprement comporter la première nuict de leurs
nopces, recite a vn Balet par vn ieune homme Lyonnois le iour du
leudy Gras dernier. A Lyon. 1606. Pet. in-8 de 8 ff.
Cette édition est incomplète des v. 29-47, '>7->32, 185-222.
Cat. de Charles Nodier, n° 569.
g. — Le plaisant Discours et Aduertissement aux nouuelles Mariées. . .
In-8 de 7 ff.
Réimpression à 25 exemplaires exécutée chez Guiraudd]^ Paris, en 1829,
par les soins de M. de Montaran. Le texte reproduit par l'éditeur est celui de
d, bien qu'il ait emprunté le titre de f.
h. — Le Plaisant Discours et Aduertissement aux Nouuelles Mariées...
A Lyon. In-8 goth. de xv pp.
Réimpression à 60 exemplaires exécutée chez J. Pinard, à Paris, en iBjo,
d'après l'édition/. L'avis de l'éditeur est signé T. (Trébutien.?).
i. — Le plaisant Discours et Avertissement aux nouvelles mariées. A
Lyon, 1606. ln-8 goth. de xiv pp. et i f.
Autre réimpression de l'édition f exécutée en 185 1 par la veuve Berger-Le-
vrault, à Strasbourg, pour le libraire Salomon et tirée à quelques exemplaires.
25. Sermon de l'Endolmlle.
[ Paris, vers 1 5 20. |
L'histoire des commères et de l'andouille est une des plus ordurières
qui aient pu être mises sur la scène; elle témoigne des obscénités
inouïes que pouvaient se permettre les acteurs. En voici le début :
Mon thesme c'est : Rejecti sunt.
Sotise nous a huy refaicts
Pour fonder a Sainct Jehan le Rond
LE MONOLOGUE DRAMATIQUE. — II 415
La confrérie (de) Sainct Jehan Lipais.
On ne sçauroit faire trois pets 5
D'une vesse sans alainer,
Et qui voudroit baiser la paix
Auroit de quoy boire et humer.
Pendant que je suis de loisir,
Je vous veulx racompter et dire 10
Une histoire ou prendrés plaisir
Et qui vous fera, je croy, rire. . .
Le jeu de mots sur Saint-Jean le Rond ne permet pas de douter que
la pièce ne soit parisienne. On lit du reste (v. 1 17-120) :
S'il en failoit aultant bailler
A celles qui n'en ont leur soûl,
Ce seroit assés pour aller
De Paris jusques en Poitou.
Le monologue finit ainsi :
Sa femme et sa mère alors viennent
Le trousser, qui bien se souviennent
Qu'il fault que son [oustil] on frote ; i so
Si l'ont froté de telle sorte
Avec des verges par tel sy
Qu'il requit pardon et mercy.
La servante pareillement
Fut estrillée proprement;
Mais, afin que ne vous ennuyé, 1 5 J
A Dieu toute la compagny[e].
Bibliographie :
a. — Sermon de || landouille nou- 1| ueau et fort ioy-eulx || pour rire.
S. l. n. d., pet. in-8 goth. de 4 fiF.
Un exemplaire de cette édition, qui faisait partie d'un des précieux recueils
de la Bibliothèque Colombine, à Séville, et qui s'y trouve peut-être encore,
avait été acheté par Fernand Colomb, à Lyon, au mois d'août 1535. Voy. H.
Harrisse, Excerpla Columbiniana^ w^ Sermon.
b.— Les Œuures de Maistre Guillaume Coquillart, 1597 (voy. ci-
dessus le n" 17 .
c. — Montaiglon, Recueil de Poésies françaises, IV, 87-93.
Cette réimpression a été donnée d'après une copie qui faisait partie d'un
4l6 É. PICOT
recueil de sermons joyeux, copié par M. Gratet-Duplessis, et qui a figuré à la
vente Baudelocque. La copie paraît avoir été exécutée d'après h.
d. — Recueil de Pièces rares et facétieuses^ anciennes et modernes, etc.
[publié par Ch. Brunet], (Paris, A. Barraud, 1872-1873, 4 vol. in-8),
III, VI, 1-8.
26. Sermon joyeulx pour rire.
[Rouen? vers 1530.]
Ce sermon commence ainsi :
In nomine Patris prima
Et Fin[i] secunda,
Barbara pota baston;
J'ayme Regina Celorum.
In hoc presenty opère, 5
Le sens d'un Caiton inspiré,
Avec[que] l'engin d'une bûche,
Qui soyt desoublz ma capeluche !
Omnya subjesisti su[b] pedibus ejus, oves et bons. Hec vcrba generaliter desimo
[sunt] capitula.
En l'abaye de Sainct Lo, lo
Les carmes [et] le[s] augustins,
Cordeliers, mesmes jacobins,
Toutes gens en font mention. . .
Pour montrer que tous les animaux sont soumis à l'iiomme, le prê-
cheur cite l'exemple de la femme :
Sy tost que nature la somme
Souvent se renverse soublz l'homme.
Telle est la thèse délicate qui est développée dans la plus grande
partie du sermon.
Voici les derniers vers de la pièce :
Regardés comme il en print
A Paris pour l'amour d'Eleine: 125
Y feist destruction villeinne
Par l'ardeur d'amour qui le print
Que luy seul en combatant vint.
LE MONOLOGUE DRAMATIQUE. — 11 417
[Or], le pardon que Dieu donna
A Romme et constitua 1 ?o
A son bon apostre sainct Pierre,
Je le vous donne, et l'aies querre.
La mention de Saint-Lo au v. 11 semble indiquer que le monologue
est normand ; il appartient sans doute au théâtre de Rouen.
On retrouvera les quatre vers en latin macaronique par lesquels dé-
bute le prêcheur en tête d'un monologue de Jehan d'Abundance, Les
quinze grands et merveilleux Signes nourellcment descendus du ciel au pays
d'Angleterre (voy. ci-après n'' ^9! ; ces vers faisaient probablement partie
du fonds commun des auteurs de farces.
Bibliographie :
a. — Biblioth. nat., ms. franc, n" 24341 (La Vallière, 63), fol. 12,
V-i 5, r°.
b. — Recueil de Farces, Moralités et Sermons joyeux, publié d'après
le manuscrit de la Bibliothèque Royale, par Leroux de Lincy et Fran-
cisque Michel. Paris, Chez Techener, 1837. 4 vol. pet. in-8.
Le Sermon est joint à la farce de La Rtjormercsse, n" 17.
27. Discours joyeux des Friponniers et Friponniéres.
[Rouen, vers 1 530.]
Ce sermon de friponnerie est des moins édifiants ; en voici le début :
In nomine Patris, silence,
Seigneurs et dames, je vous prie.
Car je n'ai pas haute loquence ;
In nomine Pûtris, s\]ence\
Je vous feray cy en présence 5
Un sermon de friponnerie :
In nomme Patris, silence.
Seigneurs et dames, je vous prie.
Je ne feray qu'une partie
En [la] colation présente 10
Qui sera jointe a mon attente
En bon françois, de point en point
Car de Intin je n'en sçay point.
XV. 27
41 8 É. PICOT
Le prêcheur parle de Paris, de Rouen, de Lyon, d'Orléans et de
Tours; mais la pièce est certainement rouennaise, ainsi que le prouve
une allusion aux Canards :
Vous viendrez, par dévotion,
Vous toutes, en procession : i jo
Il y a pardons généraux,
Dont nous portons bulles et seaux,
Donnez de souverains prelatz,
Autant abbez comme canards.
L'acteur donne lecture de ses bulles, qui devaient être en prose comme
celles que nous avons relevés dans le Sermon joyeulx de monsieur sainct
Velu (n" 9), et termine ainsi :
Jeunes filles qui, en bas aage,
Ont esbranlé leur pucelage,
Faisant service a leurs amis,
Tous ces cas cy leur sont remis 170
Et pardonnez, sans faute nulle,
Ainsi que récite la bulle ;
Si une femme, par sa prouesse.
Est de son mary la maistresse.
Ou qu'el le batte a chacune heure : 175
Ouy, pourveu que le vilain meure.
Bibliographie :
a. — Les Œuures de Maistre Guillaume Coquillart, 1597 (voy. ci-
dessus le n" 17).
b. — Sermon || ioyeux des || Friponniers || et Fripon- || nieres. || En-
semble la Confrarie des dits Friponniers || & les pardons de ladicte Con-
frarie. 1| A Rouen, \\ Chez Nicolas Lescuyer, près le grand \\ portail, nostre
Dame. — Fin. S. d. [y. 1600], pet. in-8 de 4 ff. non chiffr.de 2G lignes
à la page, sans sign.
Le titre est orné d'un encadrement et de la petite marque de Lescuyer, avec
la devise : Ilâoovia xal ;j.£X?.ovxa.
Dans le coin inférieur de droite, on remarque le chiffre 20.
Biblioth. de M. le comte de Lignerolles.
c. — Discours ioyeux des Friponniers et Friponnieres. Ensemble la
Confrairie desdits Friponniers et les Pardons de ladite Confrairie. A Rouen,
Chez Richard Aubert, libraire, rué de VOrloge, deuant le Lyon d'or. S. d.
[v. i6oo], pet. in-8 de 4 ff. de 26 lignes à la page, titre encadré.
Un des coins inférieurs du titre porte le chiffre 13, ce qui permet de croire
LE MONOLOGUE DRAMATIQUE. — Il 4I9
que Richard Aubert a publié des séries de pièces facétieuses dont il faisait des
recueils comme Lescuyer, Coustuncr, Costé, Mullol^ Rainsard, etc.
Édition réimprimée en 1851.
d. — Le Sermon || ioyeux des Fri- 1| ponniers et Fri- || ponnieres. ||
Ensemble la Confrarie desdits Friponniers, || & les pardons de ladite |1
Confrarie. — Fin. Pet. in-8 de 4 ff. de 29 lignes à la page.
Ce Sermon est imprimé à la suite du Discours d'un fiancé qui emprunte un pain
sur la fournie {Rouen, Mullot, s. d., mais v. 1600), et occupe les quatre der-
niers feuillets du volume.
Biblioth. de M. le comte de Lignerolles.
e. — Réimpression exécutée chez Pinard, à Paris, pour le libraire Sil-
vestre, en 183 1, et tirée à 42 exemplaires.
/. — Moma\g\oTi, Recueil de Poésies françaises, l, 147-153.
g. — Recueil de Pièces rares et facétieuses, anciennes et modernes, etc.
[publiées par Ch. Brunet] (Paris, A. Barraud, 1872-1873, 4 vol. in-8),
III, V, I- I.
28. Le Caquet des bonnes Chambrières.
[Paris? vers 1 530.]
Cette pièce parait avoir subi plusieurs remaniements successifs qui en
ont développé et, par conséquent, altéré le texte. Un certain nombre
de vers (208 et suiv.) se retrouvent à peu près textuellement dans la
Farce des Chamberiéres qui viennent a la messe de cinq heures (Viollet Le
Duc, Ancien Théâtre français, II, 435, 439I. Malgré ces remaniements,
le Caquet a conservé la forme dramatique ; il commence par le triolet
suivant :
Chamberiéres, vueillez moy pardonner
Si je pretendz descouvrir voz finesses ;
Je n'entends point les bonnes blazonner :
Chamberiéres, vueillez mo;y pardonner
Aux maulvaises je vueil le tort donner, s
Que chascun sçait plus communes qu'asnesses :
Chamberiéres, vueillez moy pardonner,
Si je pretendz descouvrir voz finesses.
La seconde moitié du monologue, prise dans diverses farces, est en
vers de huit syllabes. La pièce se termine ainsi :
420 . E. PICOI
Une aultrefoys te compteray
De ma maistresse bon propos,
Comment elle boit a plains potz
Quant nostre maistre n'y est point,
Comme elle chante en contrepoint
Avec son aniy par amours ;
Mais, pour présent, !e temps est cours, J40
Heure est que la nappe je mette.
A Dieu je te dis, Guillemette.
Nous connaissons de cette pièce des éditions imprimées à Lyon et à
Rouen, mais la mention de Gentilly au v. 117 nous montre qu'elle a été,
sinon composée à Paris, du moins arrangée pour un théâtre parisien.
Bibliographie :
a,— ^i; Le caquet desbônescham- 1| berieres/ déclarant aucunes finesses
Il dont elles vsent vers leurs maistres |j et maistresses. Imprime nou- 1|
uellement par le comman- |j demët de leur secrétaire 1| maistre Pierre ||
babillet. — CL ^'«"- S. /. n. d. \v . 1 530] pet. in-8goth. de 8 fF. de
26 lignes à la page, sign, A-B.
Au titre, un bois d'un docteur assis dans une chaire et tenant un livre à la
main; devant ce personnage, un clerc agenouillé étend la main pour prendre le
livre; trois autres clercs se tiennent debout par derrière. Un cartouche placé
dans le haut de la composition porte ces mots : MSxstn Pier- \ \ re babillet.
Au v» du dernier f., une marque portant les initiales S. M,
Biblioth. de M. le baron de Ruble (Cat. de Lurde, n" 85).
b. — Le Caquet des bonnes Chambrières declairant aulcunes finesses
dont elles vsent vers leurs maistres et maistresses. Imprime par le cô-
mâdemët de leur Secrétaire maistre Pierre Babillet. fl Auec la manière
pour côgnoistre de quel boys se chauffe Amour. S. l. n. d. [v. 1530],
pet. in-8 goth. de 8 fif. de 26 lignes à la page.
L'addition de la pièce intitulée De quel boys se chauffe Amour à l'édition b et
aux suivantes permet de considérer l'édition a comme plus ancienne.
Catal. La Vallière, par De Bure, n^ P95, dans un recueil acheté par la Bi-
bliothèque du Roi. — Le volume ne se retrouvant pas aujourd'hui, nous don-
nons notre description d'après les notes manuscrites de Van Praet. M. Brunet
cite la même édition d'après les catalogues Lang et Cailhava.
c. — Le Caquet des bonnes Cnambrieres, déclarât aucunes finesses
dont elles vsent vers leurs maistres et maistresses. Imprime par le com-
mandement de leur secrétaire maistre Pierre Babillet. Auecq la manière
LE MONOLOGUE DRAMATIQUE. — II. 421
pour cognoistre dequel boys se chauffe Amours. S. l. n. d. [y. ijjo],
pet. in-8 goth. de 8 ff.; avec fig. en bois au titre.
Biblioth. Méjanes à Aix, n" 29SS0 (recueil).
d. — ^L Le caquet |! des bonnes Chambrières 'déclarant aucunes fi- I|
nesses dont elles vsent |! vers leurs maistres <f maistres ]| ses. Imprime par
le com- Il mandement de leur || Secrétaire mais '(^ tre Pierre || Babil- || let.
1 1 Item vne Pronostication sur les | [ Maries ^ femmes veufues, 1 1 CL Auec la
manière pour con- |! gnoistre de quel boys se |1 chaulfe || Amour. || C 0^^
les vend a Lyon en la mayson || de feu Barnabe ChaussardI près \\ nosîre
dame de Confort — Finis. S. d. [vers 1549], pet. in-8 goth. de 12 ff.
de 22 lignes à la page pleine, sign. A-C par 4.
La Pronostication sur les mariez et femmes veiifves est accompagnée de cette
mention t Pour l'an mil cinq cens et cinquante », ce qui permet de croire que
l'édition a été exécutée en 1549.
M. Brunet indique à tort cette édition comme ne comptant que 8 ff.
Cat. Didot, 1878, n» 2! 5 (exemplaire de Nodier et de Yemeniz).
e. — Le Caquet des bonnes Chamberieres, declairant aulcunes finesses
dont elles vsent vers leurs maistres et maistresses. Imprimé par le com-
mandement de leur secrétaire maistre Pierre Babillet. Auec la manière
pour congnoistre de quel boys se chauffe Amour. A Paris, Pour lean de
Lasîrc demeurant près le collège de Reims, i $77. Pet. in-8 de 8 ff., titre
encadré.
Edition qui présente de nombreuses transpositions.
Biblioth. de S. A. R. Mgr. le duc d'Aumale iCat. Cigongne, n" 830).
/. — Les Œuures de Maistre Guillaume Coquillart, 1597 (voy. ci-
dessus le n" 17).
g. — Le !i Caquet || des bonnes Cham- brieres déclarant [j aucunes
finesses, dont elles vsent vers leurs mai- |j stres & maistresses. |] Imprimé
par le commandement de \] leur Secrétaire maistre jj Pierre Babillet. ||
A Rouen, \ \ Chez Loys Costé, Libraire rue \ \ Escuyere à l^ enseigne des trois \ \
•|"p]-. couronnées. S. d. [v. 1600], pet. in-8 de 8 ff. de 24 lignes à la
page, sign. C.
Titre encadré dont le v" est blanc.
Biblioth. nat., Y 61 18. A (3), dans un recueil où se trouvent onze autres
pièces imprimées par Costé, et dont les signatures se suivent dM à M.
11. — Le Caquet des bonnes chambrières déclarant aucunes finesses
422 É. PICOT
dont elles vsent vers leurs maistres et maistresses. Imprimé par le com-
mandement de leur Secrétaire, maistre Pierre Babillet A Rouen, Chez
Nicolas Lescuyer près le grant portail nostre dame S. d. [v. 1600], pet.
in-8 de 8 ff.
Edition extrêmement incorrecte, oili tous les vers sont transposés. Le titre
porte en signature le chiffre 1 5, lequel indique la place réservée à cette pièce
dans les recueils de Lescuyer.
Biblioth. de S. A. R. Mgr. le duc d'Aumale (Cat. Cigongne, n» 8j i).
i. — Le II Caquet || des bonnes Cham-||briere[5/c], déclarant || aucunes
finesses, dont elles || vsent vers leurs maistre [sic] \\ & maistresses. || Im-
primé par le commandement de leur Se- 1 j cretaire maistre Pierre Ba-
billet, Il A Rouen, \\ Chez Pierre Mulloî, marchant Libraire rue\\Escuyere
au nom lesus [sic]. S. d. \v. 1600], pet. in-8 de8 flf., sign. A.
Le titre, dont le v° est blanc, est orné d'un encadrement et d'un petit bois
qui représente un homme parlant à quatre femmes. Ce bois est signé des ini-
tiales A. M. R.
Biblioth. de M. le comte de Lignerolles.
j. — La Méchanceté des Femmes, auec le Caquet des Chambrières
Ensemble la Lettre d'vn Gentilhomme à vne Damoiselle et la Response
de la Damoiselle au Gentilhomme. Plus la Lettre d'escorniflerie. A Lyon,
iouxte la copie imprimée A Paris, 1650. Pet. in- 12 de 46 pp.
Cat. Béhague, n° 1419.
k. — Joyeuselez, 1830.
/. — Poésies desxv^ et xvi^ siècles publiées d'après des éditions go-
thiques et des manuscrits. Paris, Chez Silvestre. [Imprimerie Crapelet]
1832. Gr. in-8 goth. N» 2.
m. — Montaiglon, Recueil de Poésies françoises, V, 71-84.
n. — Recueil de Pièces rares et facétieuses, anciennes et modernes, etc.
[publié par Ch . Brunet]. (Paris, A. Barraud , 1872-1873, 4 vol. in-8),
II, V, 1-5.
[A suivre.)
Emile Picot,
MÉLANGES
SUL METRO DI DUE COMPONIMENTi POETICI DI FILIPPO
DE BEAUMANOIR, ED. SUCHIER'.
Il Suchier opina che il verso del Lai d'amours (I, cxlviii) è l'endeca-
sillabo, diviso in due parti, che ci permetteremo di chiamare emistichii ;
di 7 -j- 4 sillabe, quando la cesura è maschile. Egli considéra quindi
quai normale il tipo
I . Nus ne puet sans bone amor grant joie avoir,
ed aggiunge poi che il poeta si permise « assez souvent » di dare al
primo emistichio otto sillabe in luogo di sette; p. es.
8. E! Dix, dont verroit la fierour dont el me hee.
Esaminiamo il componimento. Fra 152 versi, di cui esso consta, ne
troviamo 109 con cesura maschile. Ora, di questi solo otto ( 1-6, 11, 17)
sono costruiti secondo il primo tipo; loi sono dodecasillabi (8 -|- 4).
Una taie oscillazione nel métro è atta a destare meraviglia. Volendo am-
mettere errori di copista, gli è naturale che si supporrebbero piuttoslo
nella tenuissima minoranza che in una maggioranza cosi imponente. Ma
poichè gli esempii del primo tipo ricorrono tutti cosî vicini l'uno ail' altro
ed anzi nel principio formano una série compatta di sei versi, è difficile
credere che per un caso fortuito il copista abbia cosi di fréquente sba-
gliato nei primi versi e scritti correttamente gli altri ; non si puô quindi
I . Œuvres poélicjues de Philippe de Remi, sire de Beaumanoir [Société des an-
ciens textes français), vol. I, 1884; vol. II, 1885.
424 MÉLANGES
a meno di pensare ad un proposito deliberato. È possibile quindi che si
sia dapprima tentato l'endecasillabo ; ma ben tosto il primo emistichio
abbia ceduto ail' influenza potentissima dell' ottosillabo. Dico « si sia
tentato », perché due suppozioni possono farsi : o il poeta stesso co-
minciô coU' usare l'emistichio di setîe sillabe e non tardô a scivolare in
quello di otto; 0 egli usô costantemente il verso dodecasillabo ed un ri-
maneggiatore, dopo essersi provato a rifare il componimento con altro
raetro, rinunciô ben tosto alla difficile impresa. Corne che sia, pare a me
(e credo parrà anche ad altri) poco opportuno il considerare quai nor-
male un tipo rappresentato da soli 8 versi, di fronte ai quali si dovreb-
bero registrare ici eccezioni. Ne conchiudo chei versi del Lai con ces.
masch. ci danno quai tipo normale il dodecasillabo, composto di 8 -[- 4
sillabe ; i due accenti d'obligo vanno adunque sulia ottava e sulla decima-
seconda sillaba.
Che cosa c'insegnano i versi con cesura femminile? Qui, a dir vero,
la varietà è maggiore ; ciô non di meno pressochè tutti i versi confermano
il risultato fmora ottenuto. Per brevità, non citerô le opinioni del Suchier,
che in parte concordano colle raie, ma che mi sembrano oscurate dal-
Pidea preconcetta che il tipo normale sia l'endecasillabo, quindi col primo
accento d'obligo sulla settima.
Il caso più semplice è quello in cui il secondo emistichio comincia con
vocale. In questi V-e metatonico alla fine del primo emistichio si elide
in virtù délia vocale che ricorre in principio del secondo emistichio. An-
che qui abbiamo dodici sillabe. Cosî p. es.
7. Que voelle ja estre m'amie a nés un jor
ed altri sette versi : 41, 5 1 , 68, 93, 124, 1 50, 1 5 1.
Nel caso in cui il secondo emistichio comincia con consonante^, il primo
emistichio ha del pari quasi sempre il primo accento suU' ottava sillaba,
ma rispetto alla sillaba che contiene V-e metatonico, due procedimenti
sono leciti :
1° -e forma la prima sillaba del secondo emistichio. P. es.
18. Ele l'a lonc et si blancoie comme argent.
D'eguale struttura sono altri 20 versi : 29, 30, 39, 46, 49, $7, 59, 60,
63. 65, 70, 72, 74, NO, 112, 121, 132, 137, 140, 141.
2° -e non viene computata, a quel modo che non si computa nella ce-
sura epica. Il verso ha dodici sillabe ed una ridondante alla cesura.
10. La biauté dont mes cuers se claimme voel deviser
SUL METRO Dl DUE COMPONIMENTI POETICI DI F. DE BEAUMANOIR 425
D'eguale struttura sono altri nove versi : 4^, 53, 81, 98, 103, 108,
1 18, 1 19, 149.
Abbiamo. quindi fra si ' versi con ces. fem., non meno di 39C0I-
l'accento sulP ottava sillaba del primo emistichio ; rimangono soli tre, i
quali hanno 1' accento sulla settima. Rispetto ail' -e anche qui i due pro-
cedimenti suindicati :
I" -e è la prima sillaba del secondo emistichio. Due versi :
1 5. Dix ! com sont de belc assise ses oreilles.
16. Je me merveil a merveilles de son col.
2» -e non viene computata, o semmai, essa forma parte del primo emis-
tichio, che è allora d'otto sillabe con cesura lirica. Un verso :
9. Ele m'a la mort donee s'ele ne m'aime?.
Dunque iripetoi 5 versi di fronte 3396, aggiunti gli 8 con ces. masch.,
1 1 versi con accento sulla settima, che è quanto dire di tipo endecasil-
labo, di fronte 3141 con accento suU' ottava, che è quanto dire di tipo
dodecasillabo, e (sibadi bene) tutti gli undici per entro ai primi 17 versi.
Potremo continuare a dire che il verso del Lai è l'endecasillabo modifi-
cato 0, come dice il Suchier, « deteriorato » con moite licenze ? Non mi
pare.
Quello che fmora si è esposto trova spplicazione ancor più valida ri-
spetto ad altrapoesia di Filippo, la /""• Fatrasie. Il verso di questocompo-
nimento si divide in tre piccole sezioni, che indicheremo con A, B, C.
A B possono considerarsi quai primo emistichio, C quai secondo. A e B
del primo verso rimano fra dl loro ; C dà la rima âd AB del verso se-
guente e cosî via; C dell' ultimo verso è senza rima. Cosi p. es.
1. En grant esvel sui d'un conseil que vous demant
2. Au parlement eut asses gent de maint pais.
1. Veramente 43; ma escludo il 52, di cui tratto nella nota seguente.
2. Si potrebbe rendere identico a 1 ^, 16 leggendo el; ma non è necessario.
Ricordo qui il v. 152 che a prima vista sembra identico a 9, ma che a me
sembra esigere un' emendazione. Il v. 151 finisce in -a, e in -a deve essere la
rimalmezzo di 1^2. Ora il codice ha :
J'atendrai tant merchi, dame qu'il vous plaira.
Per ristabilire l'ordine consueto délie rime leggo : fat. t. quU v. p. d. m., ed
abbiamo il solito dodecasillabo con cesura maschile.
426 MÉLANGES.
Seconde il Suchier, anche qui il verso sarebbe endecasillabo; con
questo perô che il poeta si permise di fréquente d'aggiungere al primo
emistichio [A B) una sillaba di più. Ma l'esame del componimento ci di-
mostra tutl' altra cosa. Incominciamodai versi con césure 0 rime interne
maschili. Dei 75 versi délia Fatrasie non meno di 61 spettano a questa
categoria. Ora, neppur uno di essi ha undici sillabe, ma tutti ne hanno
dodici ; e fra questi, non meno [di 59 sono costruiti come i due primi
pur ora citati ; cioè 4+4 + 4 coll' accento d'obligo sulla quarta sil-
laba d'ogni sezione ; quindi sulla 4% 8% 1 2>, di ciascun verso ' . Dunque,
il tipo considerato normale non ricorre mai, e quello che viene conside-
rato come prodotto di una licenza del poeta è costante.
Passiamo a studiarei 14 versi con césure ossia rime interne femminili.
Secondo che B, C cominciano con consonante 0 con vocale, avremo
tre casi possibili :
Primo caso : B e C cominciano con consonante. I soliti due procedi-
menti :
1° -e è prima sillaba di B, C. Due versi :
5. Cil se renvoise peu il poise du froit tans
10. En la taverne me governe volenliers.
2° -e non viene computata. Il verso è dodecasillabo, con due sil-
labe ridondanti aile césure. Tre versi :
9. Bons est froumages et compenages quant il yverne
37. Baissiés vostre ire ! Saciés, biaus sire, peu en donroie
75. Pour riens que voie plus ne diroie de ces oiseuses.
I. Due soli hanno S + 3 + 4 •
2$. Se ne vous gardés vous perdrés tout vostre argent
30. Je sai bien le cant d'Agoulant et de Hiaumont.
Abbiamo adunque quella mancanza di simmetria che è inisvitabile negli endeca-
siliahi provenzaii e trancesi citati dal Bartsch nella Zatschrift f. rom. Phil., II,
\Ç)^ ss. (p. e^. En abriu stsclaroill na contrai pûscor^ 0 Pastord Usunboschcl
trovai scanl ; quasi sempre 5 -|- 4 -|- 4, molto di rado 4-1-5+4^. Se perô
ci ricordiamoche tante gli endecasillabi del Bartsch quanto i nostri dodecasiilabi
propriamente sono composti di due parti principali (emistichii), e che il suddivi-
dersi del primo emistichio in due sezioni è alcunchè di secondario, di accessorio,
non tardiamo ad awederci che la struttura del verso da questa varietà, ricorrente
per cntro al primo emistichio, non è punto sturbata nella sua vera essenza. Le
sillabe sono sempre dodici ed i due accenti principali del dodecasillabo sono al
loro posto : sull' 8" e la 12*. Che se i versi che presentano questa varietà sono
di numéro tenuissimo, questo non è motivo sutficiente per metterne in dubbio la
lezione; giacchè fra i versi con cesura lemm. ne troveremo parecchi con questa
particolantà (5 : 9).
SUL METRO Dl DUE COMPONIMENTl POETICI Dl F. DEBEAUMANOIR 427
Seconde caso : una délie due sezioni comincia con vocale, l'altra con
consonante. La -t dinanzi vocale si elide ; quella dinanzi a consonante
consente i due noti procedimenti :
x" -eh prima sillaba délia sezione seguente :
38. Je n'oseroie aler la voie par delà
43. Grant reparlance est de l'enfance Lancelot.
2" -t non viene computata. Il verso ha tredici sillabe, è cioè dodeca-
sillabo con una sillaba ridondante alla cesura :
27. Vostre chemise fu gehui mise envers l'envers.
Terzo caso : B e C cominciano con vocale. Fortuitamente non ce n'è
esempio; ma quando pure ce ne fosse taluno^ nulla offrirebbe di spéciale;
ambedue le -t s'eliderebbero.
In tutti gli Otto versi adunque dodici sillabe (talvolta con una o due di
più aile césure ; gli accenti sempre sulla 4% 8'', !2^
Dei sei che ci rimangono cinque hanno ar.zi tutto questa particolarità
che l'accento di A che è quanto dire l'accento secondario del primo
emistichio è sulla terza sillaba ; ne risulta una leggiera assimetria fra A
e B, che perô non disturba gran fatto la struttura del verso. Distinguiamo
di nuovo :
Primo caso : B C cominciano con consonante. La -e di A, perché in
sezione con accento sulla terza, spetta ad una cesura lirica e deve quindi
di nécessita far parte di A; in B, sezione con accento sulla quarta, sono
teoreticamente possibili i due procedimenti :
i" -^ è prima sillaba di C :
1 5. Simple et coie, moût m'i guerroie vostre amour
55. Geste poise decha plus poise que delà.
2" -e non viene computata.
Fortuitamente non ce n'è esempio. .Se ce ne fosse, il verso sa-
rebbe dodecasillabo con una sillaba di più alla fme del primo emistichio.
Secondo caso : Una sezione comincia con vocale, l'altra con conso-
nante. La -e dinanzi vocale si elide; quella dinanzi a consonante con-
sente i due procedimenti :
i" -e è prima sillaba délia sezione seguente :
13. Dame Aubree, ou est alee Marion
62. Quatre vaille. Il ne me caille se tu pers-
2° -e non viene computata :
68. Sire maistre, estes vous prestre.? Gouronne avrés.
428 MÉLANGES
Soli questi tre versi avrebbero undici sillabe ;6S con sillaba ridondante
alla cesural , e i due primi vengono infatti recati dal Suchier quali rap-
presentanti del tipo normale. Ma c'è la possibilità di eliminare pur questi,
riconducendoli al 1° caso ; giacchè la pausa logica (specialmente in 62)
puô motivare l'iato'; leggiamo A ubrec, vaille, ed abbiamo versi identici a
15, $ 5 ; leggiamo maistrë, ed abbiamo quell' esempio che cercavamosopra
(primo caso, 2"). Sarebbero adunque cinque versi dodecasillabi coi due
accenti principali sull' 8* e la 1 2^ e (come s'è dettoj solo divers! dagli
altri Otto in questo che l'accento secondario del primo emistichio è sulla
terza.
Resta il solo verso
47. Douce amie, je vous prie pour Dieu merci,
nel quale non solo A ma anche B ha cesura lirica, cioè accento sulla
terza délia sezione e quindi sulla settima del primo emistichio. Il numéro
délie sillabe è bensî di dodici, come sempre ; ma quest^ unico verso si
diversifica dai 152 del Lai e dagli altri 74 délia Fatrasie per la sede del
primo accento principale. La proporzione di i : 226 è atta a generare
dubbiezza sull' autenticità di quest' unico verso. Accettando l'iato ai vv.
13, 62, 68 e correggendo in qualsiasi modo il v. 47, avremoqualrisul-
tato : Nella Fatrasie e nel Lai il verso consta di due emistichii, l'uno di 8
e l'altro di 4 sillabe ; quindi con due accenti principali sull' 8" e sulla 1 2^;
nella Fatrasie il primo emistichio si suddivide alla sua volta in due se-
zioni; la prima ha un accento secondario, che di solito è sulla 4^, tal-
volta sulla j^". L'~e di cesura 0 funge quai prima sillaba dell' emistichio
(sezione) seguente 0 non si computa ; nel secondo caso il numéro délie
sillabe (a volerle contare meccanicamente) cresce di uno 0 (nella Fa-
trasie] di due.
Approfitto dell' occasione per fare alcune osservazioni di lieve mo-
mento ail' edizione in ogni rispetto commendevolissima délie opère di
Filippo curata dal Suchier. Esse risguardano unicamente il romanzo di
Jehan et Blonde.
Si badi ail' uso di tenser d'un penser (v. 472) ; et estantier d'un p.
I. Si confronti il v. 4361 délia Manekine ainsi pleure^ ainsi soupire che i'edi-
tore prima rimuto ed ora vuole lasciare intatto, perché la virgola permette
l'iato. Anche al v. 4936 di Jehan et Blonde :
Sire, on vous dist voir par m'ame
egli poteva per lo stesso motive astenersi dal mutamento, del resto leggeris-
simo, di on in Yon.
SUL METRO DI DUE COMPONIMKNTI POETICI Dl F. DEBEAUMANOIR 429
(V. 706) ; due voci per esprimere la stessa idea. Forse cosi voile l'autore
in servigio délia rime riche; ma è lecito chiedere se non si debba intro-
durre in ambedue i luoghi la stessa parola.
94^, Ai ! mi oel, vous m'avés trai. Poichè in francese anlico l'interje-
zione ai è quasi sempre bisillaba, si potrebbe cancellare mi.
1 520 ss. De tous les jus d'amours s'aaiscnt Fors d'un que loiatés despit;
Pour chou le metent en despit Dus/ces a tant ke etc. Mètre en despit verrebbe
a significare « mettere in non cale, non si curare ». S'ha da leggere
respit. E al v. 5795 Li cambre vuide sans despit si farù la stessa
emendazione .? 0 finalmente s'attribuirà a despit il valore di « indugio,
dilazione « ? In tal caso sarebbe stato utile registrarlo nel Vocab.
1872. Preferirei restes (r -+- estes] a restés.
2350. De l'alonge en valoir u mist. 0 /'/ 0 più semplicemente /e;
giacchè pare che il copista abbia sbagliato alcune volte da le a //. Anche
al V, 2683 preferirei le a /'/.
2929. Mérita essere notato il pronome personale atono in principio
di proposizione. Se non v'ha errore 0 ommissione d'una coppia di
versi, sarà uno dei più antichi esempii di questa costruzione.
3078. Cil s'en vont que de riens n'en poise. Il dativo sembra indispen-
sabile ; leggi oui.
3556. seur le jons; 1. les (forse errore di stampal.
3621-22. Car maintenant est plus de mal; Petit est mains d'amour loial.
Cosî il codice ; l'editore corresse prima mais; ora vorrebbe leggere et mains.
Mi pare assai più sodisfacente la prima lezione : « omai (ai tempi che
corrono) c'è poco amor leale ». Il mains è sbaglio del copista, originato
dal plus del verso antécédente.
Alla domanda ove passi la notte il conte di Glocester, il marinajo ris-
ponde :
3768. En la vile au chief de decha
Qui de ci un cri jeteroit
5770. A son ostel oïs seroit,
Et s'est bien de nuit une lieuwe.
Avant que du port se deslieue,
Puis laisse a cest port quatre espies.
L^editore corregge ail' ultimo verso Puis in Si. lo confesso di non com-
prendere, e muto l'interpunzione. Dopo 7opunto 0 almeno punto e vir-
gola. Dopo 71 virgola 0 (volendo) nulla; dopo 72 punto e virgola; al
v. 73 rimanga Puis. U marinajo vuol dire che il conte tutto il giorno se
ne sta nel porto; si reca poi a pernoltare in città in unalbergo vicinis-
simo. E prima di abbandonare il porto aspetta che sia passata una parte
délia notte {une lieuwe de nuit; indicazione di luogo a designare il tempo ;
430 MÉLANGES
come chi dicesse un miglio di notie^ una lega di notie] , pot, quando cioè
finalmente si décide ad andarsene, lascia ecc.
Robin è carico d'armi e si duole del gran peso; ora al v. 3919 si
legge che è cargié de toile et de fer. La tela non doveva gravarlo poi
tanto. Che fosse tôle?
Jehan abbatte a terra il conte gravemente ferito ; 41 81 // cols moût fu
navrés forment. « Il collo » pare singolare ; leggerei li cuens.
4404. Cavalli uccisi, cavalieri a terra; altri morti, altri feriti; mains
poms, mains puins i fu copés. Il Vocab. cita questo passo e spiega
pommeau. Ma sembra poco conveniente il ricordare qui i pomi délie
spade. Leggerei pies., cosî frequentemente usato in casi simili in unione
a poins.
Ad. Mussafia.
II.
LE POSSESSIF TONIQUE DU SINGULIER EN LYONNAIS
M. J. Cornu s'étonne (Rom^^z/'a, 1886, p. 154) que je n'aie point
cru devoir donner, dans la Phonétique Lyonnaise au XIV" siècle, l'expli-
cation de ce qu'il appelle, non sans quelque inexactitude, « l'adjectif pos-
sessif féminin en lyonnais. ' >' J'avoue que de la part d'un romaniste
aussi distingué que M. Cornu, ce reproche m'a quelque peu surpris.
Est-ce qu'il n'est pas de règle en effet, lorsqu'on étudie les caractères
phonétiques d'un dialecte, d'éviter, autant que faire se peut, de s'ap-
puyer sur les formes flexionnelles ? Et, pour me réclamer d'une autorité
dont personne ne contestera la valeur, est-ce que Diez n'a pas renvoyé
au chapitre de la Flexion l'analyse des formes du possessif dans les
langues romanes ?^.
Aussi bien n'avais-je pas attendu l'article de M. Cornu pour signaler
des dérivations dont il s'exagère peut-être un peu la singularité, mais
qui cependant ne sont point sans présenter quelque intérêt ; seulement
l'explication que j'en donnais différait de la sienne 3.
1. Cette dénomination me paraît à la fois trop et trop peu compréhensive:
d'une part, en effet, deux des exemples cités, sur trois, se réfèrent au pronom
possessif, et d'un autre côté, l'adjectif possessif proclytique reste en dehors des
observations de M. J. C.
2. Gramm. des lan-^. rom., II, 97.
3. Cf. dans la Revue Lyonnaise, n» de juin 1885 (pp. 418-430), Les Bénéfices
LE POSSESSIF TONIQUE DU SINGULIER EN LYONNAIS 4? I
L'auteur de la Phonologie du Bagnard dérive le lyonnais la min du no-
minatif mej, devenu en roman mia.
« Si l'on considère, ajoute-t-il, que \\i tombe dans bateri, cortesi,
maladi, il est clair que la mia a dû donner la mi, devenu la min par l'in-
fluence de la nasale initiale. «
Quelque ingénieux qu'il soit, ce raisonnement ne me satisfait point,
non pas certes que la production d'un n non étymologique soit chose
rare en lyonnais, — bien au contraire, les exemples qu'on apporte à
l'appui se pourraient aisément multiplier, — mais parce qu'il n'est pas
exact de dire que dans notre dialecte 1'^ tombe régulièrement après /
accentué. C'est même le contraire qui est la vérité. Dans les Œuvres de
la prieure de Polletins, par exemple, la règle est le maintien de 1'^, dans
cette situation: vw vitam (pp. ]6, 39, 51, 54, 92), largia (p. 69), en-
durmia (p. 77), sevelia, sevelya (pp. 91, 92). Il en est de même dans les
textes administratifs des xiii' et xiV siècles et notamment dans le
Terrier du chapitre de Saint-Jean, le Tarif de l'Octroi de Lyon, vers 1295 ',
la Taille communale de 1^41 ^ et le Règlement fiscal ^^ i^ 5 1 ?, qui m'ont
fourni les formes partia, sallia et saillia. Assurément il y a des exceptions
à cette règle : dans certains mots Va posttonique a disparu, après s'être
d'abord aminci en /, comme dans ces formes I;tïrm7,/7e//e/drn, draperii, eic.
du Règlement fiscal de 1351, mais si l'on va au fond des choses, on ne
tarde pas à se convaincre que ces exceptions sont dues, pour la plus large
part, à des causes qui n'ont rien d'organique: ou bien il fallait éviter
une confusion possible, et l'on a prononcé vi via m, au lieu de via qui
se serait confondu avec le'^dérivé de vitam 4, ou bien les formes dépour-
vues d'à appartiennent à cette classe de mots savants, pourrait-on dire,
où le suffixe ariam a rejeté son accent sur !'/ et qui ont pu, dans une
du chapitre de Saint Jean {de Lyon) à Saint-Gcrmain au Mont-d'Or et h Poley-
mieux, d'après un terrier en dialecte lyonnais du Xllh siècle. Ce terrier contient
(§§ 27 et 28) les passages suivants: • Item Jaquemos Derochi, per la sin partia
de la terra de la Buisseri... Item Guillermet Derochi, per la sin part de la
Buisseri... » A ces exemples, on en pourrait ajouter bien d'autres ; c'est ainsi
que le lis dans un fragment de registre terrier conservé aux archives du
Rhône, (partie non classée) : « Item Alys Pascala deit VII den. vien. per una
sin vigni. » Voyez aussi la Taille communale de 1341, § I34 {Remania, t. XIII,
1. Ce tarif se trouve au nombre des pièces pubbliées par M. C Guigue, à
la suite du Cartulaire municipal de la ville de Lyon, p. 419.
2. Romania, XIII, 570.
3. Lyon-Revue, nov. 1883.
4. Dès que la confusion n'est plus à craindre, Va reparaît: vies vias. On
sait que l'adoucissement de a en e devant s de flexion est de règle en lyonnais, il
faudrait donc se garder de l'attribuer à l'influence de l'i accentué.
432 MÉLANGES
certaine mesure, subir l'influence des féminins en ariam accentués régu-
lièrement, tels que lumeri luminâriam (Marguerite d'OiNGT, p. 40),
pereyri petrâriam, cudurery, etc. [Romania, XIU, 582, 573), ou bien
enfm il s'agit de formes qui bien évidemment n'étaient pas populaires,
telles que corîesi. A part ces exceptions qui, on le reconnaîtra, sont loin
d'être décisives, la persistance de Va originaire sous sa forme latine est
la règle. Les patois actuels sont là d'ailleurs pour en témoigner, eux qui
non-seulement ont maintenu cette voyelle intacte, mais qui même l'ont
accentuée partout au détriment de 1'/ qui n'a plus aujourd'hui que la va-
leur d'une semi-voyelle dansamyd, vyd, pariyd, invyd,jôlyd, epyd spicam,
avartyd et tous les participes passés féminins des verbes appartenant à
la quatrième conjugaison '.
Ce que dit M. J. Cornu de la chute normale de 1'^ après /, ne s'ap-
plique en réalité qu'aux diphtongues posttoniques ea, ia, 2 et c'est dans
ce fait, pour le dire en passant, que se trouve justement l'explication des
formes proclitiques mi, si, employées dans un certain nombre de textes
lyonnais?.
Pour ce qui est du possessif tonique, au contraire, je ne vois pas pour-
quoi r^ serait tombé dans mia, sia, alors qu'il a persisté dans vw, partia,
sallia, etc.
Jusqu'à présent j'ai supposé avec M. J. Cornu que la dérivation dont
je m'occupe avait gardé l'accentuation du type latin ; mais il n'en a cer-
tainement pas été ainsi. Il est en effet di- règle en lyonnais que l'e tonique
rejette son accent et se transforme en semi-consonne, lorsqu'il est immé-
diatement suivi d'une voyelle, soit en latin, soit en roman, de telle sorte
que mea a dû produire mià de même que pedem a donné pid et Deum
Diâ (Romania, XIII, 545)4.
1. Le même phénomène s'est produit dans le patois bugeysien et dans celui
de la vallée de Bagnes. (Cf. J. Cornu, Phonologie du Bagnard, dans la Romania,
VI, 575 et E. Philipon, Patois de la commune ih Jujuricux, Bas-Bugcy, p. 14).
2. il serait même plus exact de dire que \')oJ a transformé Va en e, puis en /,
et que ia diphtongue ainsi obtenue s'est réduite par la suite à 1.
3. Item Johanna Yvernona, filli czay en areres Bernert Yvernon, deit per
sey et per Peronella si serour, dime copon de froment. (Fragment d'un Terrier
lyonnais, relatif à Saint-Maurice de Beynost (Ain) ; Archives du Rhône, partie
non cla:sée). — Peros Durant de Meunay deit à midama l'abessa dimey bichet
de froment. (Terrier de Mionnay, dressé en 1317. Ibidem). Cf. Fragments d'un
Terrier lyonnais §§ 47 et 60 dans la Romania, t. XIII, p. 584.
4. Mia ne se rencontre point à la vérité dans les nombreux textes lyonnais
que j'ai eu l'occasion de consulter, mais j'ai relevé dans un terrier relatif préci-
sément à cette paroisse de Mionnay, où se trouvait le couvent dirigé par l'auteur
des Visions, l'adjectif possesif soa qui permet sans trop de témérité d'admettre
l'e.xistence d'une forme mui à ia même époque, c'est-à-dire vers la fin du xiil^
ou le commencement du xiv-' siècle : « Primeriment Guill. Burdins deyt iv
LE POSSESSIF TONIQUE DU SINGULIER EN LYONNAIS 4^3
A ce double point de vue, je rejette donc comme entièrement inad-
missible la forme hypothétique mî, créée par M. J. Cornu pour les
besoins de son argumentation.
L'explication que j'ai donnée dans la Revue Lyonnaise (n" de juin 1885)
des formes du possessif tonique a ce mérite qu'elle ne va à l'encontre
d'aucune des règles qui ont présidé à la formation du dialecte lyonnais.
Suivant moi /j min dérive de l'accusatif meam: Ve rejetant son accent
et prenant le son d'/ semi-voyelle, meam a passé à miàm ; sous l'influence
de l'yod l'a s'est adouci en e et l'on a eu mien. La diphtongue ie s'est
de bonne heure réduite à / devant n, comme le prouve la forme S. Ca-
furin Symphorianum qui se rencontre dans le Terrier de la comman-
derie de Chazelles sur Lyon, lequel porte la date de 1290 ', si bien que
mien peut très bien avoir donné min à une époque où d'ordinaire ie to-
nique se maintenait encore en lyonnais.
Quant au choix de l'accusatif comme type de dérivation, il constitue^
je le reconnais, une véritable singularité, les dialectes français ayant tiré
leur possessif tonique féminin du nominatif (me/'e, // moie], mais il n'a rien
cependant d'absolument anormal, surtout si l'on songe qu'ainsi que le
français^ plus volontiers même, le lyonnais dérivait de l'accusatif le cas
oblique de la première déclinaison-. A tout prendre d'ailleurs, on ne voit
véritablement pas pourquoi, alors que le possessif tonique masculin a été
tiré de m eu m, c'est du moins l'avis d'un grand nombre de romanistes,
le féminin ne pourrait pas provenir de meam.
Dans quelques-uns des patois lyonnais la min a persisté jusqu'à nos
jours sans recevoir de désinence féminine: je citerai notamment les
patois de Craponne et de Saint-Genis-les-Ollieres (Rhône), où le possessif
absolu féminin est resté la min, la tin, la sin^ plur. le min, le tin, le sin.
A Lyon, au contraire, on écrivait au commencement du xviii" siècle la
tina [La Ville de Lyon en vers burlesques. Lyon 1728).
copes de froment, a la mesura de Meonay et la tierci partia d'una ga!!ina,per la
mayson et per la vercheri soa. » {Archives du Rhône, partie non classée). Cf.
Fragments d'un Terrier lyonnais, § 12 : « E deit la sua partia de ij gelines... »
{Romania, XIII, 585).
1. C'est ce qui est arrivé d'une façon générale pour les prénoms féminins et
pour un certain nombre de vocables topographiques. Suivant la première décli-
naison : je relève notamment dans un terrier de la fin du xiv« siècle, conservé
aux Archives de la Côu-d'Ur (B. 5701, la forme Soumin (Saguaani, et dans le
terrier bressan que je cite plus bas, la forme MaUisolun. Notons de plus que
les exemples qui nous sont parvenus de la min, ta sin sont tous au cas oblique.
2. Cf. dans le Tarif d'octroi de 1 295 .• Sanl Saphorin et dans le Règlement fiscal
de 135 1 ; Czabatin (Sebastianum).
Romania, XV. 28
434 MÉLANGES
Pour ce qui est du possessif tonique masculin, il est identique au fémi-
nin : en voici des exemples, tirés de textes du xiv" siècle :
Item se aucons drapers de la dicta cita vost marchiandar d'atro nieiter que
de! SIX, faire o porra. {Reglanent fiscal de 1351, § 7).
Item deit .viij. d. pcr .]. petit de curtil qu'il aquist de Johan Boilliet assis josta
io curtilJohan Chat et josta lo sin curtil. [Terrier du Temple de Maillisola, dressé
vers i34i)'-
L'explication de cette forme n'offre pas de difficulté : m eu m est devenu
miùm, puis, suivant une tendance qui a acquis dans les patois actuels
son plein développement, la nasale un a passé à in : d'où la forme miin
bientôt réduite à min.
E. Philipon.
III.
L'ADJECTIF-PRONOM POSSESSIF EN LYONNAIS.
Dans le tome XV de la Romania, p. \ 54, M. Cornu cite trois cas de
nasalisation de e, a, qu'il attribue à l'influence d'une nasale précédente.
Ces exemples, tirés de Marguerite d'Oyngt, sont: 1° la min^ p. 36, la
sin^ip. 49'; 2° menais, p. 675; 3° manques, p. 40. M. C. s'appuie
sur une analogie de faits dans le bagnard, où sa compétence est
incontestable.
Je ne crois pas ces faits concluants pour l'existence de la tendance
signalée par M. Cornu. Il ne reste en lyonnais aucune trace de la nasa-
lisation ni dans menais (aujourd'hui mi-jor] ni dans manques (aujourd'hui
maque) ni dans aucun mot de cette catégorie. Cette tendance à la nasa-
lisation aurait dû pourtant plutôt se développer que s'éteindre.
Dans l'ouvrage où M. C. a pris ses exemples, maques, maque, est
écrit cinq fois sansn (p. 47, 59, 61, 62, 68) et médis deux fois (p. 67
et 70). Les deux cas cités par M. C. semblent trop isolés pour en tirer
une conclusion.
Les exemples que M . C. donne pour le bagnard, outre que la plupart
ont des /, tandis que dans Marguerite il s'agit de e et de <î, ne sont nasa-
1. Ce terrier est conservé au.x Archives du Rhône, partie non classée. Le
Temple de Maillisola était situé sur le territoire de la commune actuelle de
Druillat, canton de Pont-d'Ain.
2. Auxquels il faut ajouter la sin dans les Conventioncs {Romania, XIII,
p. 5801.
3. Le chiffre 36, donné par M. C. pour celui de la page des exemples
mendis et manques, est sans doute une faute d'impression.
ANT, EN LANGUE d'oC 455
lises ni dans l'ouvrage cité ni dans le lyonnais actuel. Le bagnard a nin,
tcnin, venin, étiirnin, femin, drumin; Marguerite a adurmit, p, 77, dormi,
p. 85 ; La Lcide de l'Archevêché [Romania, XIII, p. 568) a mirex, et non
m/Vzrex; le lyonnais moderne a;2/(nidus\ teni, veni, torgni,jami, drumi'.
On ne saurait donc appliquer au lyonnais les règles de nasalisation que
M. C. a constatées pour le bagnard.
Ce n'est pas que la nasalisation de / ne s'opère chez nous, mais voici,
je crois, la règle : i est nasalisé très souvent, à la protoniqae, quand il est
suivi d'une gutturale: pïjô pigeon)^ jlgà « donner des coups de pieds »,
délïgé (dis-ligare^) « diminuer, s'affaiblir »; /^rgôidebiga a jambe»
au fig. ?) « se fatiguer », kllkète [cliquettes], aplxi (d'ad- spectare?)
« guetter », rîgé (de rigare) « avoir la diarrhée ». Mais à la tonique
/ ne se nasalise pas: higa « perche » et non blga, jiga « cuisse » et non
m-
Il y a quelques exemples de a nasalisé dans les mêmes conditions;
âgriilo (agrifolium) « houx », bâxia ^fr. <' bâche ») « grangée de foin »
mais d'autres exemples ne s'expliquent pas de même: c/zcw/ (capsi-
culum) « cercueil y^,gàduze (fr. « gadoue »), biiyâdiri [bucataria),
« lavandière », xîxia (de calcare), « secouée4 ».
Il ne semble donc pas légitime de tirer min de rnea.
PUITSPELU.
IV.
ANT, EN LANGUE D'OC.
Dans le tome VII de la Romar.ia, p. $94, M. P. Meyer propose de
traduire antz par « les outils en bois, peut-être les manches en bois des
pelles, pics, bêches, etc. », et propose pour étymologie âmes.
Interprétation et étymologie sont pleinement confirmées par le patois
lyonnais où antiron signifie le bois de choix que l'on rencontre dans les
fagots. Antiron vient à'amitem et d'un suffixe, qui peut être e/, auquel
s'est adjoint un deuxième suffixe on, d'où antcl, antelon et anteron, antiron,
par changement de / en r, comme dans courterolle, taupe-grillon, pour
1. Il en est de même pour les exemples de ^ cités par M. Cornu :^ le bagnard
a magidemz= min et macrem ::i:: mingro; nous avons maya cimégro.
2. La persistance delà gutturale dure indique une origine provençale.
3. L'élymologie pourrait être contestée, si elle n'était appuyée du pr. espinchar
(Raynouard a expuictar et cspingar), en prov. mod. espmcha ; cl. pectinare,
rz pinchina.
4. Faut-il voir l'influfnce de la gutturale qui précède (au lieu de suivre) la
voyelle nasalisée?
4}6 MÉLANGES
courtilliole, de courtil. — Le suffixe a pu encore être simplement on,
relié au thème par r, comme dans cope, cope-r-on, chape, chape-r-on.
PUITSPELU.
V.
ACALA, EN AUVERGNAT.
Dans le tome VIII de la Romania, p. 213, MM. Cohendy et Thomas
signalent comme douteux l'auvergnat acala dans le passage suivant des
Strophes au Saint-Esprit :
D'aquest fuec vol Deo c'on chala,
Et arda voIu[n]tat mala
Que al cors del homme s'acala.
Je crois que l'explication est fournie par le lyonnais se cala ^aujour-
d'hui se calô), «se glisser ». Madama, jemc ca!a,esx le refrain de ce « vau-
deville » composé à Lyon au xviii® siècle à l'occasion d'un petit Savoyard
à qui l'on avait persuadé de se glisser dans le lit de sa maîtresse.
Cala, verbe neutre, a la signification de descendre, glisser en des-
cendant :
O la bonna echella !
Et se faut coity, vey-vo.
Creigny-vo de cala? {Noël, xvi^ s.).
Cala (de calare), « glisser », indique clairement l'étymologie du fr.
cale, morceau de bois que l'on glisse sous quelque chose, et pour laquelle
Diez propose l'esp. cala, sonde, Littré cala, bûche, et Scheler l'allem.
keil, coin.
PUITSPELU.
COMPTES-RENDUS
Kiistoffer xYRor. Adjektivernes Kœnsbœjning i de romanske
Sprog. Med en Inledning om Lydlov om Analogi. Copenhague, Reitzel,
1886, 8°, 192 p.
M. Nyrop partage son activité entre l'étude des littératures et celle des langues
romanes, et dans les deux domaines il se montre bien informé, judicieux et
intelligent. Le petit livre qu'il vient de nous donner est intéressant par les
questions qu'il soulève, par les faits qu'il rassemble et par les résultats qu'il
obtient. L'auteur étudie dans toutes les langues néo-latines un point spécial,
digne de toute attention, la flexion du genre dans l'adjectif. Après un court
exposé de ce qu'était cette flexion en latin et de ce qu'elle était devenue en
latin vulgaire, il la suit dans chacun des groupes romans (gallo-roman, hispano-
roman, réto roman, italo-roman, daco-roman) et jusque dans ce qu'il appelle
les idiomes créolo-romans. Il résulte de ses recherches: 1° que la flexion à
genre (-us, -a) est presque partout la seule vivante, et a absorbé plus ou moins
la flexion sansgenres(-(V, -/ictc.'); 2"que la forme sous laquelle se manifeste cette
flexion à genres est aujourd'hui, dans plusieurs des langues romanes, tellement
différente de la forme latine que sans les intermédiaires historiques on aurait peine
à en reconnaître l'identité; 3" que tous les changements survenus dans le système
latin sont déterminés par la phonétique ou dus à l'analogie. Il n'y a là rien de
bien nouveau, mais l'étude de M. N. précise plusieurs points dont on n'avait qu'une
intuition plus ou moins exacte et appuie par un exemple frappant l'application
à la grammaire romane de la méthode rigoureuse qui y prévaut aujourd'hui et
qui se résume dans la stricte observation des lois phonétiques et dans l'obliga-
tion d'expliquer tout ce qui paraît leur échapper ou les contredire. Comme c'est
surtout en vue de cet enseignement que l'auteur a fait son travail, il est naturel
qu'il lui ait donné pour préface un court exposé de l'état actuel de la science
sur la question des lois phonétiques et de l'analogie 2. H dit des choses fort rai-
sonnables sur ces sujets, qui sont depuis quelque temps, même sur le domaine
roman, l'objet de vives polémiques. Il est clair que le même phonème, dans
des conditions identiques, ne peut pas donner deux résultats différents; tout
1. L'auteur laisse le neutre de côté; il ne s'agit que du masculin et du féminin.
2. Le chapitre sur l'analogie contient des exemples intéressants : l'explication de mau-
dissons etc. par l'influence de bénissons etc. paraît juste.
4^8 COMPTES-RENDUS
ce qu'on fera pour ébranler cette vérité ne saurait rien prouver, car on répondra
tou|Ours que, du moment qu'un même phonème donne deux résultats différents,
c'est qu'il s'est trouvé respectivement dans des conditions différentes, que ces
conditions soient phonétiques ou d'un autre ordre. En somme, une loi phoné-
tique comme tells agit d'une manière absolue et toujours identique et ne peut
agir autrement ; mais l'action en est souvent entravée par d'autres lois, soit
phonétiques, ce qui est tout simple, soit d'un autre ordre, ce qui complique
la question. Le linguiste, après avoir posé la loi du développement régulier de
chaque phonème dans une langue, doit donner aux exceptions apparentes des
explications auxquelles jadis il ne se croyait pas rigoureusement astreint. On
ne peut plus dire comme faisait encore Diez : telle voyelle tonique brève devient
dans tel dialecte tantôt ceci, tantôt cela, quelquefois autre chose. C'est là le
progrès réalisé par les disciples du maître, qui n'ont fait d'ailleurs que continuer
ce qu'il avait inauguré, qu'exécuter dansson esprit ce qu'il croyait déjà faire. Nous
nous imaginons aujourd'hui être arrivés à une rigueur complète ; nos successeurs
nous montreront et nous montrent tous les jours que nous sommes loin d'appliquer
toujours dans la pratique ce que nous établissons en théorie. C'est là la marche
naturelle de la science; la philologie romane a, dès ses premiers pas, suivi avec
une grande siireté la voie où elle continue de s'avancer, et ce n'est pas dans
son domaine qu'on aurait prétendu faire une révolution en proclamant le carac-
tère général des lois phonétiques et la puissance de l'analogie. Ces deux flambeaux
l'éclairent depuis plus d'un demi-siècle, et c'est à leur lumière qu'elle a fait tous
ses progrès. Quand on range une chambre où tout est dans un complet désordre,
on commence par ce qui est le plus nécessaire et le plus facile ; on sait bien
qu'il faut qu'il y ait une place pour chaque chose et que chaque chose soit à sa
place, mais ce n'est que peu à peu qu'on trouve chaque place et qu'on place
chaque chose. Celui qui met où il faut les principaux meubles garnis de leurs
plus importants accessoires a fait l'essentiel; ceux qui viendront après n'auront
qu'à suivre et à corriger çà et là ses indications. Cela étant, M. Nyrop,
comme il le reconnaît lui-même à la fin de son livre, pouvait ne considérer son
sujet que comme « de la phonétique appliquée », et suivre une marche plus
logique que celle qu'il a adoptée. La flexion de genre des adjectifs dépendant
du sort des consonnes et voyelles finales, il pouvait exposer les lois qui règlent
ce sort et montrer comment la forme de la flexion de genre des adjectifs s'en
déduit; considérant ensuite les phénomènes qui ne s'expliquent pas par ces lois,
il aurait montré qu'ils proviennent de l'analogie. Il dit avec sincérité que ce qui
l'a empêché de procéder ainsi, c'est que pour les dialectes les lois des finales
ne lui étaient pas assez bien connues, et tout le monde avouera que la science
sur ce point est loin d'être complète. Il est arrivé, en prenant les choses d'un
autre biais, à mettre en lumière la conclusion qu'il voulait tirer de ses recherches,
et cette conclusion ne rencontrera pas de contradicteurs.
Dans le détail, l'ouvrage est plein de faits intéressants et d'observations
justes; il n'est pas complet, il s'en faut, mais il n'est que rarement inexact.
L'auteur a beaucoup lu, aussi bien les textes que la littérature qui s'est amon-
celée autour d'eux de manière à faire reculer plus d'un courage. Il est au cou-
rant des études sur le ladin et le roumain, aussi bien que sur l'italien ou le
NYROP, Adjektivcrnes Kœnsbœjning i de romanske Sprog 459
français; il suit les progrès de la grammaire comparée et de la grammaire latine,
et de toute son érudition il sait tirer un exposé court, parfaitement clair et nul-
lement surchargé. J'ai lu avec une attention particulière ce qui concerne le
français, et c'est sur ce point que je présenterai quelques observations, som-
maires du reste et incomplètes.
Toute l'exposition de M. Nyrop est un peu gênée par le fait qu'il restreint à
l'adjectif une étude qui en plusieurs points concerne le nom tout entier '. Ainsi
la question du traitement de l'adjectif féminin uniforme (grandis) au cas-sujet
singulier et pluriel ne peut se séparer de celle du traitement du nom féminin
de la troisième déclinaison : si on a dit grant et non granz au cas-sujet singulier,
granz au cas-sujet pluriel, comme je le crois, c'est parce qu'on disait/ie/et non
nés au cas-sujet singulier, ncs au cas-sujet pluriel, et pour adopter sur ce point
une des deux opinions qui ont été proposées il faut tenir compte des substantifs
aussi bien que des adjectifs 2. Ce qui concerne au contraire bien spécialement
l'adjectif, c'est: i" le passage d'un grand nombre d'adjectifs de la déclinaison
uniforme à la déclinaison biformeJ; 2" l'influence réciproque du masculin sur
le féminin et du féminin sur le masculin dans la déclinaison biforme. Sur le
premier point l'exposition de M. N. est parfaite. Il note d'abord les adjectifs
qui dès l'origine (quelques-uns déjà en latin vulgaire) ont changé de déclinaison:
commun, dolent 4, dolz 5, fol, mol^ ■ds(>; puis il suit, des textes les plus anciens
1 . Aussi les observations de l'auteur dépassent-elles parfois les limites de son sujet. Il
a noté avec toute raison (p. 71) qu'en latin vulgaire toutes les prépositions gouvernent
l'accusatif, et c'est ainsi que l'accusatif, qui faisait fonction à la fois de régime direct et
de régime prépositionnel, a subsisté seul en face du n:minatif faisant fonction de sujet; il
est même arrivé dans certains cas (avec les noms de personne) à faire fonction de génitif
et de datif. Le génitif, le datif et l'ablatif n'ont pu laisser de traces que dans des com-
posés ou des locutions toutes faites. On pourrait naturellement augmenter beaucoup la
liste des exemples donnés par l'auteur de l'emploi de l'accusatif avec cum, de. etc. (citons
seulement la hcution adverbiale si ancienne de lalus] ; mais il a signalé le fait, qi;i est de
la plus grande importance pour la question de la transformation d'une déclinaison à six
cas en une déclinaison à deux cas.
2. Les adjectifs seuls cependant offrent certaines formes qui appuient l'hypothèse
d'après laquelle le cas-sujet des féminins de la troisième déclin ûson ne prenait pas à's.
Je r.e pense pas qu'on trouve \d.md\s fraisles , graisles . utles,fleibles, nobles, colpables, etc.
au cas-sujet féminin. Il est vrai qu'en provençal, comme le remarque fort bien M. N.
(p. Ils), tous ces mots oi.t le féminin en -a, et on peut croire qu'il en était déjà ainsi
en gallo-roman; mais ce fait même semble indiquer que le cas-sujet n'avait originaire-
ment pas à's. On ne trouve guère de substantifs ainsi faits : arbre est si souvent masculin
qu'il y a de l'incertitude dans sa déclinaison; strigilis est devenu strigila de fort
bonne heure.
j. Je préfère ces dénominations à celles de « immobile » et « mobile », qui semble-
raient exclure de la première c. tégorie toute flexion.
4. Ce mot a subi l'influence des adj. en -lentum ; c'est un vrai changement de suf-
fixe. Notons que c'est par erreur que M. N. (p. 89) range sanglent dans les adjectifs uni-
formes : il vient desanguilentum et a toujours été biforme. De même en prov.
sagnenta (p. 117) répond à sanguinenia.
5. On a dit que le gallo-roman disait dulcium et non dulcem; mais le prov. doussa
ne favorise pas cette opmion ; le féminin paraît refait sur le masculin. En tout cas,
douce en français est de toute antiquité, et je ne crois pas que le nom de lieu Villedoux,
cité par l'auteur 'p. 94», puisse venir de Vil la m dulcem.
6. M. N a raison de ne pas voir un féminin dans une livre tournois (p. 95) ; il y a là
une ellipse pour une livre [de deniers] tournois; c'est ce que montre l'expression constante
en latin : libram turonensium, parisiensium, etc.
440 COMPTES-RENDUS
à l'époque moderne, le progrès de l'emploi des autres avec une forme féminine
(gr^«<fe,vfr/<, etc.'), et signale les traces de l'ancienne uniformité qui subsistent dans
la langue actuelle. Sur le second point, qui est plus intéressant et moins connu,
ce que dit l'auteur aurait besoin d'être complété et parfois rectifié. L'influence
du féminin sur le masculin notamment a été considérable ; il l'a fort bien
reconnue, mais on pourrait ajouter plus d'un exemple à ceux qu'il cite: ainsi
pâle éXall ]did'\s pal au masculin, quoiqu'on ait déjà paie dans Rollant ; moite
paraît s'expliquer par une série assez curieuse de transformations: d'abord moist
(cf. anglais moist) moisde,pu\s moi{s]t moi{s)te, enfin moiti moite: on trouve sou-
vent au moyen âge blonde au masculin j qui provient siîirement du féminin ; con-
traire au masc. paraît dû au fém. contraire, d'abord substantif, etc. Honeste au ms.
se trouve tort bien dans des textes populaires (Jrans chevaliers honestes)^ mais n'en
est pas moins un mot savant. Il n'y a aucune raison de rejeter jaz =: justus
dans Beneeit; on en a d'autres exemples. Lasche à mon avis ne vient pas de
laxum; c'est un adjectif verbal tiré de laschier [Rom. VIII, 448). Je puis citer
au moins un exemple de lare (ticnart, éd. Martin, XXIII, 1766), et j'en ai ren-
contré d'autres. Il n'est pas admissible que malade, rade, sade, aient jamais
été au masc. malat, rat, sat; cf. coude. Trist n'est nullement inconnu au français
en dehors du S. Léger, voy. P. Gatinel, p. 149. La forme veuve 3.\i masc. n'est pas
un parisianisme moderne (p. ni); c'est veuf 3iU contraire qui est tout récent :
le fait d'avoir perdu sa femme ne constituait pas pour un homme une
condition sociale particulière comme pour une femme le fait d'avoir perdu son
mari ; quand on a voulu exprimer l'idée de veuvage par un adjectif mas-
culin, on a dit un homme veuve; c'est la seule forme usitée jusqu'au xviv
siècle, et je ne l'ai pas rencontrée avant le xiv« ; plus tard on a fait le mas-
culin veuf sur le modèle de neuf en regard de neuve 2. Les remarques sur la façon
variée dont se forme aujourd'hui réellement, sous l'apparente uniformité indiquée
par l'orthographe, le féminin des adjectifs français, sont curieuses et seront
nouvelles pour beaucoup de lecteurs. Ce qui est dit sur les patois n'a pas grande
importance, l'auteur n'ayant pas de cette partie de son sujet une connaissance
assez étendue ; on y remarque surtout la tendance à assimiler le masculin au
féminin, dans la déclinaison biforme; ainsi en lorrain on àlibasse, slchel, Jraiche,
verte {baihhe, chosse, frohhe, vochc) pour bas, sec, frais, vert. La cause de ce phé-
nomène, sur laquelle M. N. n'a pas émis de conjecture, serait curieuse à
rechercher; la même tendance existe en français depuis longtemps, comme on
vient de le voir: nous disons au masc. roidc, ferme, juste., triste, chauve., l^rge,
louche, pâle, v{u)ide., moite, comme au féminin, au lieu de roit, fcrm, just, trist,
chauj, lare, lois, pal, vit, moit. C'est un changement directement opposé,
semble-t-il, à celui qui fait dire au fém. grande, forte, verte, telle, etc., au lieu de
1. Verte ne peut venir de virida, qui aurait donné verde; le féminin a été refait de
fort bonne heure sur le masc. vert. La forme verde, qu'on trouve aux xV et xvi* siècles,
est savante (M. N. a tort, p. 105, d'en nier l'existence).
2. Sur le rapport du lat. viâuus à vidua, au sanscr. vidhâva,'3i l'ail, wittwe, il y
aurait à faire des recherches que je ne puis aborder ici.
3. Dans le langage populaire de Paris (p. iii) on dit également skhe'çiom sec.
TOBLER, Vermischte Datrage zar franzœsischen Grammatik 441
grjnt, fort, vert, tel ; comment l'un et l'autre se sont-ils produits concurrem-
ment, et à peu près en même temps, dans la môme langue? Je noterai seulement
que le premier {grande pour grand) est un fait général, l'assimilation de toute
une déclinaison à une autre, qui avait l'avantage de distinguer les genres ; le
second au contraire est propre à certains adjectifs: on dit roide mais froid \
chauve mais sauf^, louche mais rais '. Il y a donc des raisons particulières pour
chaque mot. Il existait d'ailleurs une classe d'adjectifs qui dès l'origine avaient un
i féminin aux deux genres, ceux qui, provenant d'adjectifs latins uniformes ou
biformes, prenaient cet e comme consonne d'appui : tiédc, sade, pauvre, faible, etc. ;
ce sont ceux-là qui ont agi sur quelques adjectifs biformes, placés dans des con-
ditions particulières, pour faire attribuer au masculin la même forme qu'au
féminin.
Sur les autres langues romanes je laisse à d'autres à faire les observations
qu'elles appellent. Je me borne à remarquer que le « suisse » n'a aucune exis-
tence réelle, et que l'auteur aurait dû grouper les dialectes (franco-provençaux)
qui présentent l'intéressant phénomène de (V zr: atum influencé par une pala-
tale, j = ata dans les mêmes conditions. Le catalan serait mieux rangé avec
le provençal qu'avec les dialectes hispaniques. Sur soc:, cf. Rom. VII, 104.
En somme, on le voit, le nouveau livre du jeune savant danois est une excel-
lente contribution à la grammaire romane, et tout le monde accordera à l'au-
teur, comme il le demande en terminant, que ce livre n'est pas « indigne d'être
offert à l'homme (V. Thomsen) dont // a inscrit le nom sur la première page
en témoignage de dévouement et d'admiration ».
G. P.
Vermischte Beitraege zur f ranzœsischen Grammatik , gesam-
melt, durchgesehen und vermehrt von Adolf Tobler. Leipzig, Hirzel,
1886, 8% IV-239.
Des quarante Bcitrage qui sont réunis dans ce volume, trente-huit ont paru
dans la Zeitschrifl f ir romamsche Philologie; ils ont été signalés et appréciés ici
au fur et à mesure de leur première publication. « J'y ai fait, dit l'auteur, maints
changements, provoqués parla contradiction ou l'adhésion qu'ils ont rencontrée,
ou plus souvent par le résultat de mes observations ou de mes réflexions
propres ». Ces changements n'ont d'ailleurs pas atteint l'essentiel; l'auteur n'a
eu qu'à préciser, à élargir, à compléter ce qu'il avait établi avec une solidité
presque toujours inattaquable; parfois il a di!l supprimer un exemple ou modifier
une explication. Tel qu'il est, ce volume est un véritable trésor d'observations
fines et profondes, nées dans un esprit à la fois très pénétrant et très circons-
pect, qui dispose d'un incomparable matériel. En lisant ces pages serrées.
1. Froide au masc. se trouve en anc. fr. (Nyrop, p. 108).
2. Sauve pour sau/ s'est dit et se dit encore populairement (p. m).
5. Dans beaucoup de patois, comme en Icrrain, frais est remplacé par fraîche.
442 COMPTES-RENDUS
remplies de citations admirablement choisies qu'accompagnent des explications
toujours concises et disposées dans un ordre rigoureusement logique, on est
confondu à la pensée du travail qu'elles représentent et de la masse de colkc-
tanées qu'elles supposent; mais ces collectanées ne sont pas de celles que tout
le monde peut faire sur des fiches alphabétiquement rangées : pour prendre les
notes à l'aide desquelles l'auteur a pu écrire ces articles, il fallait déjà avoir
l'idée du caractère des phénomènes observés et de leur interprétation, et cette
première condition d'un semblable travail est donnée à peu de personnes. Il s'agit
en effet presque tout le temps non seulement de syntaxe, c'est-à-dire de la partie
la plus délicate et la plus complexe de la grammaire, mais, comme le dit l'au-
teur lui-même, de psychologie presque autant que de grammaire proprement
dite. Il s'agit de surprendre derrière la façon de parler d"un peuple ou d'un
individu sa façon, même inconsciente, de concevoir les rapports de la pensée.
Tandis que le philologue qui étudie la phonétique ou la morphologie a sous son
microscope des objets précis, distincts et immobiles, celui qui veut observer
les relations de la pensée avec le langage voit passer sous sa lentille une matière
toujours en fluctuation, traversée par des courants qui se croisent, changeant
de forme et de couleur suivant l'éclairage, et qui, si on la touche, s'évapore
souvent sous les doigts. Aussi ces études sont-elles l'apanage d'un bien petit
nombre, et cependant elles constituent la partie la plus intime en même temps
que la plus philosophique de la linguistique. Ajoutons qu'elles réservent à ceux
qui les aiment les jouissances les plus vives de la science, et leur donnent le
plus complètement ce plaisir inconnu du vulgaire et qui est la récompense suf-
fisante du savant, qui consiste, comme disait Fontenelle, à a prendre la nature
sur le fait ». Ce plaisir, M. Tobler l'a certainement souvent éprouvé en pour-
suivant obstinément dans les fibres les plus cachées des tissus linguistiques le
fonctionnement de la vie ; grâce à lui nous pouvons le goûter nous-mêmes, et
suivre, dans ses savantes préparations, la souplesse étonnante et la mécanique
pourtant inflexible avec lesquelles la pensée pénètre et anime les formes maté-
rielles du langage. D'ailleurs aucune langue ne se prête peut-être mieux à des études
de ce genre que l'ancien français: la richesse, la naïveté, la franchise, la variété
de ses tournures sont merveilleuses, et on sent que l'auteur, qui a consacré à
connaître et à faire connaître notre vieille langue le meilleur de son activité intel-
lectuelle, l'aime autant qu'il la comprend. Ajoutons que rien ne montre mieux que
les recherches de syntaxe historique combien est intime encore, malgré bien des
ruptures, le lien qui attache le français moderne à l'ancien français. Si nos gram-
mairiens classiques avaient soupçonné une partie seulement de ce que révèle le
livre de M. Tobler, ils auraient respecté davantage l'indépendance et même les
caprices d'une langue qu'ils ont trop réglementée, mais qui heureusement a su
malgré eux conserver quelque chose de sa grâce libre et primesautière.
Je ne passerai pas en revue les articles parus dans la Zcitschrift; les lecteurs
delà Romania les connaissent. Il y en a deux nouveaux: 59, Discours direct
précédé de que; discours direct continuant un discours indirect; — ^0, Préposition
avec le nominatif. Ils ont l'intérêt et la valeur des précédents. Si le passage du
style indirect au style direct est assez fréquent, l'inverse est bien douteux:
M. T. n'en cite en français qu'un exemple, et il ne vaut pas: dans le passage
KoscHwiTZ, Commenîar zu den (elîesten franzœsischen Denkm£lern 443
allégué de Tristan, il faut corriger Corne (pour Dame). Sur l'emploi du nomi-
natif après les prépositions on pourrait ditférer quelque peu d'avis avec l'auteur ;
j'avoue que malgré son avertissement je vois dans fors employé avec le nominatif
{Cui nus fors Damcdius n" accise) un synonyme de nisi.
Une table alphabétique dressée par M. A. Schuize permet de retrouver ce
qu'on cherche dans cette collection si riche et si variée. Je regrette que l'auteur
n'ait pas également réuni les autres articles qu'il a écrits sur l'ancien français",
la raison qu'il en donne ne s'applique pas en tout cas à ceux qu'il a mis dans
des recueils autres que la Zeitschri't, et qui par là même sont moins facilement
accessibles à ceux qui en ont besoin. Je lui demande, quand le présent volume
sera épuisé, de faire de ses contributions à l'étude de l'ancien français, revues et
complétées, un recueil général, auquel sera joint, comme à celui-ci, un bon
index. Un tel livre sera le manuel de tous ceux qui voudront non seulement
comprendre le sens externe des ouvrages écrits en vieux français au moyen
âge, mais pénétrer le génie et l'âme même de notre langue quand elle était
jeune et que, sans pédagogue, elle s'ébattait librement.
G. P.
Commentar zu den aeltesten franzœsischen Denkmaelern, von
Dr. Eduard Koschwitz, Professer der romanischen Philologie an der
Universitset Greifswald. I. Eide, Eulalia, Jonas, Hohes Lied, Stephan.
Heilbronn, Henninger, 1886, 12", VIII-227 p. (tome X de VAltfranzœsische
Bibliothik dirigée par M. Fœrster).
Les Allemands s'emparent de plus en plus du terrain des études romanes et
spécialement du domaine de l'ancien français. C'est en vain que nous essayons
de marcher au moins de conserve avec eux; nous sommes vaincus par le nombre
d'abord, et nous sommes loin de posséder un outillage aussi commode. Ce que
nous avons de mieux à faire est de profiter des travaux qu'ils accumulent et de
les remercier quand ces travaux sont vraiment utiles. Ce n'est pas le cas de tous;
c'est le cas de celui-ci. J'ai annoncé il y a dix ans un commentaire aux plus
anciens monuments de la langue française; j'en ai écrit depuis longtemps une
bonne partie, mais je ne l'ai pas terminé, et voici qu'il nous arrive deCreifswald
et de Heilbronn. Encore ne devais-je m'occuper que des Serments, d'EuIalie, de
Jonas et des poèmes de Clermont ; M. Koschwitz y joint le poème imité du
Cantique des Cantiques et l'Epître de S. Etienne (textes publiés par moi l'un
et l'autre) ; il y joindra sans doute le jeu liturgique des Dix Vierges et autre
chose encore. Je n'abandonne pas mon projet, qui constitue une promesse vis-
à-vis de la Société des Anciens Textes; je tâcherai de prendre le sujet un peu
autrement que ne l'a fait M. Koschwitz; je me servirai naturellement de son
travail. Il l'a conçu sur un bon plan, et l'a fort bien exécuté. Pour chaque texte
nous trouvons les paragraphes suivants : Manuscrit^ Editions, Source (s'il y a lieu),
Particularités linguistiques {voyelles^ consonnes, flexion), Dialecte, Remarcjues
détachées, Versification (s'il y a lieu). Ce qu'il y a de particulièrement louable
dans le commentaire, c'est la partie historique. Toutes les opinions émises sur
chaque texte et sur chaque fait de chaque texte sont, pour peu qu'elles aient
444 COMPTES-RENDUS
la moindre valeur, rapportées avec une concision qui n'empêche nullement la
clarté et discutées avec une impartialité éclairée. Mais loin de s'en tenir à une
compilation, même critique, M. K. émet des opinions qui lui sont propres;
parfois il se borne à prendre le rôle de rapporteur et à conclure par un non liquet,
souvent aussi il se fait juge et prononce une sentence, qu'il appuie par des con-
sidérants sobrement et solidement motivés. On peut ne pas être toujours de son
avis, mais son avis mérite toujours d'être pris en sérieuse considération, et son
livre, quand il sera terminé, formera la base indispensable de tous les travaux
sur la plus ancienne période de la langue française, période presque souter-
raine, que nous ne connaissons que par de rares et fugitives échappées.
Le livre de M. Koschwitz ne se prête pas à un compte rendu sommaire;
pour l'apprécier dans le détail, il faudrait un espace considérable, et j'aurai
l'occasion ailleurs d'en reprendre pied à pied l'examen. Je me bornerai ici,
après avoir recommandé le livre à tous les romanistes, à présenter quelques
observations sur des points notés çà et là au courant d'une première lecture.
I. Serments. Sur l'histoire du manuscrit, des premières éditions, etc., voyez
mon article dans les Mélanges Caix-Canelio (avec les rectifications de M. Cari
Wahlund). J'ai indiqué dans cet article, écrit il y a bien longtemps, une opi-
nion tout autre que celle de M. K. sur le dialecte des Serments. Les arguments
qu'il donne à l'appui de la sienne (dialecte du sud-ouest) sont très notables; je
ne les juge pas convaincants (et d'ailleurs l'auteur lui-même ne regarde sa thèse
que comme vraisemblable). Je vois des phénomènes proprement graphiques dans
beaucoup de traits qu'il envisage comme dialectaux, et en revanche je trouve extrê-
mement pvohMe que cadhunn, eosa indiquent un c persistant devant a (sur /iT^r/^
dans le Turpin saintongeais et ailleurs cf. Rom., VII, 139). Sendre est pour
siendre, si on admet que le scribe des Serments n'a systématiquement jamais
noté les diphtongues issues des voyelles simples latines i\'ei de dreit est dans un
cas différent); poblo est picard; ab a existé dans tous les dialectes français,
lémo'm avec. — A propos d'une tentative pour corriger le fameux non lostanit,
j'ai dit ici même (XI, 444) : a conjecture aussi inutile que possible ». M. K.,
en citant cette appréciation, ajoute qu' « on pourra l'appliquer avec plus ou
moins de droit à toute nouvelle tentative d'explication ». Au risque de ressembler
à ce fou qui servait de guide dans un asile et qui montrait fort bien la folie
de ses compagnons, mais révélait tout à coup la sienne, je veux noter l'explica-
tion de ce passage que je crois vraisemblable depuis longtemps. Elle se rattache
à l'hypothèse Meyer-Suchier-Lùcking-Lindner, c'est-à-dire qu'elle suppose qu'il
y avâ'il frai nt, comme l'exigent le sens et le parallélisme avec l'allemand (et l'ob-
servation paléographique deLùcking ne me paraît nullement à dédaigner); mais
la fraint rencontre la grave objection de Diez {lo se rapporterait au serment de
Louis) et celle que Meyer y a faite lui-même; \e lis donc: et Karlus meos sendra
de sua part lo suon fraint. La leçon en soi est évidemment satisfaisante; reste à
expliquer comment elle a été altérée. Je suppose qu'un copiste intermédiaire
entre l'original et le nôtre (ou peut-être le premier scribe) avait oublié les trois
lettres non [losfralnt pour losuonjraint) et les avait récrites au-dessus de la ligne : un
autre les aura remises dans le texte, mais en lisant non et en se trompant de place :
non losfraint\ un autre aura écrit non en abrégé, et omis l'idevenue inintelligible
KOSCHwiTZ, Commentar zu den altesîen franzœsischen Denkmdern 445
de los, et ainsi s'est formée la leçon actuelle, n lostanit^ en y joignant la mau-
vaise lecture st pour fr; notre copiste ne comprenait rien à ce passage, qu'il
a copié, comme il a fait l'allemand qu'il ne comprenait pas davantage, aussi fidè-
lement que possible. Voilà mes « herbes » : t qui en voudra si en prenge, et
qui n'en voudra si les laist ».— Je ne puis admettre la leçon de M. Lûcking pour
les mots nun lui ier, parce que je regarde toute diphtongue du genre de ce le
comme exclue de la graphie de notre texte ' : un scribe qui aurait écrit icr
aurait aussi écrit dUo, dieus, micon, sicndra^ ko. Au reste j'entends la non pas
comme ;v, mais comme ia\ cf. ou = ubi qu'on trouve dans des textes où d'ail-
leurs 6 est rendu par 0 ou 11 simples 2.
II. Euldlk. Les observations (p. 59) sur la forme menestkr ne me paraissent
pas tout à fait justes, et comme j'ai varié d'opinion sur ce point, je m'y arrêterai
quelque peu. Régulièrement ministerium n'a pu donner que mencstkrl\
cette forme une fois existante en français n'a pu donner postérieurement mesîkr
ni par l'intermédiaire de mcnstkr (car un e ainsi placé ne tombe pas et n devant
s ne tombe pas en français), ni par l'intermédiaire de mcesîkr (car n entre deux
voyelles ne tombe pas). Mestier est une forme parallèle, remontant au latin
vulgaire, puisqu'elle se retrouve dans toutes les langues romanes de l'Occident,
et qui s'explique peut-être par une confusion de ministerium avec myste-
rium. Mcncstkr nt nous est connu que par Eulalie, mais la même formation
régulière, qui se retrouve m provençal, s'est conservée dans le dérivé ménestrel,
de sorte qu'on ne peut voir dans mcncsticr un trait dialectal; c'est un mot qui est
tombé de l'usage devant la concurrence de mestkr.— Il est inexact de croire que
t i/omn/rc//<: vient dedonii nie el la par l'expulsion du premier /atone. i> D'après
le rythme de l'accentuation du latin vulgaire, dominicella n'aurait pu réguliè-
rement donner que domi ncella; domnizelk répond à do m nicel la, forme tirée
de do m n a, seul connu (comme domnus) du latin vulgaire; \'i:=zé a été con-
servé par euphonie. — Sur l'explication de suon suen^ taon tuen (p. 60) je par-
tage complètement l'opinion de M. Koschwitz. — L'explication de coist, ranekt
(pour cuist, rankl) par l'influence des formes faibles (cokant^ ncier] est fort peu
probable, et ne saurait s'appliquer à ki ; il est bien plus naturel d'y voir avec
M. Suchier un trait dialectal.— Je vois bien (p. 62) comment la rime de ie = ja
et de ic — é [conseillkrs : ckl) prouve que la prononciation des ie de cette
double origine était identique, mais je ne vois pas du tout comment elle prouve
que cette prononciation était « ié avec accentuation ascendante ». — Je vois
dans ad {ad une espcde) le latin ad et non apud, et je suis très porté à voir
également dans ai) ab et non apud. — La question la plus intéressante pour
la phonétique à' Eulalie est celle du c{a) et du c(t). Si on admet avec M. K. (et
je crois qu'il est bien difficile de faire autrement) que le c devant a restait c
1. C'est pourquoi je regarde également \'i de savir, podir, dift (forme dont je ne doute
nullement aujourd'hui), mi, sit, comme équivalent à ei sinon phonétiquement, au moins
graphiquement.
2. Cf. Fcerster [Lit. Centralblatt, 26 janv. 1878).
3. Ou plutôt menesiir; mais il y a eu substitution de suffixe comme dans entier pour
entir.
446 COMPTES-RENDUS
(sans entrer dans de subtiles distinctions) comme en picard, faut-il admettre par
là même que l'auteur, qui écrit c/e/, cels, celle, pulcelb, merciî et surtout czo et
manatce^ prononçait chicl, chcls, etc., comme en picard au xiiF siècle? Pour moi,
je pense de plus en plus que le picard a commencé par dire ts tout comme le
français et que tch est un développement postérieur '. Notez le parallélisme du
traitement du c devant e en position forte et en position faible. Si dès l'origine
cervum avait fait en picard tcherf et en français tserf, lucerna aurait dû
donner en picard ludjcrne et en français ludzcrne. Orpourle traitement du c (ou
du t) devant e, / en position faible, les deux dialectes sont parfaitement d'accord:
le picard dit comme le français liiiserne, damoisete, plaisir, voisin, raison, acoisier
et non luijerne^ damoijele, plaijir, voijin , raijon, aeoijien. Quelles que
soient l'origine et l'explication des formes franco-picardes /ui.s£rnif, etc. 3, il est
clair qu'elles remontent à une forme première qui est parallèle non pas à tcherf
mais à tserf. On peut en conclure qu'à l'origine toute la langue d'oui disait
tserf, ludzerne, et que le changement de tserf en tcherf dans une certaine région
est postérieur 4. Ce qui est un peu singulier, mais ce qui n'est pas encore abso-
lument établi, c'est que cette région soit rigoureusement la même que celle oij
c devant a a persisté et ne s'est pas changé en tch. Et après tout, cela même
peut s'expliquer : on n'a développé le ts en tch que là oi!i on n'avait pas d'autre
tch. L'auteur d'Eulalic peut donc, si on accepte cette théorie, avoir dit en même
temps kose, kicll, kicf, et tsiel, tsel, pultselle, tso, etc. — J'interprète aujour-
d'hui pagiens, regicl comme M. K. et je considère la graphie étymologique de
ces mots comme amenée par la prononciation du latin, oiî le g dans des mots
comme «lîgmm, naiifragium, etc., n'avait que la valeur d'une tradition graphique.
— Il y a longtemps que j'ai proposé de traduire si ruovet Kiist non par si rogat
Christus, mais par sic rogat Christum ; on évite ainsi la forme fautive Krist au
nominatif, et on a une meilleure construction ; le sens derover peut faire quelque
difficulté, mais on a des exemples d'emplois analogues. — Pallicella (p. 89)
n'est pas le diminutif de pull a, puisque les deux u, comme le remarque
M. K., sont différents. Pûllum est un diminutif de pûtum; pullicella
est un diminutif de pûella, dont Vu s'est allongé par sa fusion avec \'e. — Au
v. 19 corn arde tost veut-il bien dire « comme si elle brûlait vite » .? Il semble
qu'il faudrait le passé du subjonctif, et le sens est bizarre. Je préfère entendre
corn au sens de « de manière à ce que, pour que t>, tout en avouant n'en pas
connaître d'autre exemple. — L'étude sur la versification à'Eulalie (p. 1 01- 120)
est très approfondie ; je n'ai presque pas besoin de dire que j'ai abandonné
1. Il n'y a aucune connexité réelle entre tch = ce et k =ca. Dans plusieurs dialectes
de la langue d'oc qui conservent c devant a, c devant e devient ts [s] et non tch.
2. On trouve bien des formes avec j pour plusieurs de ces mots dans tel ou tel par-
ler actuel; mais ce sont là des développements postérieurs et qui se produisent aussi bien
hors de la région où c persiste devant a.
]. L'hypothèse proposée par M. K. pour ce problème difficile me paraît être la meil-
leure qu'on ait présentée jusqu'ici.
4. Le parallélisme postulé se trouve à peu près en italien : cf. ragione, dugento, da-
migella, etc.; mais l'histoire du c (,e, i) en position faible en italien est aussi fort obscure.
KOSCHWiTZ, Commcntar zu den£ltesten Jranzœsischen Denkmdern 4:\-j
depuis longtemps mon ancienne opinion sur ce sujet; elle contenait d'ailleurs
une parcelle de vérité^ qu'il ne serait peut-être pas inutile de mettre en lumière;
mais cela m'entraînerait présentement beaucoup trop loin.
III. Fragment de VaUncicnncs. M. Koschwitz a consacré à ce texte, qui
pique si vivement la curiosité et la satisfait si peu, une étude véritablement digne
d'admiration par la force d'attention et la clarté d'exposition qu'elle atteste,
dans un sujet obscur et embrouillé entre tous. Il a eu le courage de couronner
son travail par une traduction, qui rendra de grands services à ceux qui s'es-
saieront après lui sur ce texte. Cette traduction ne porte naturellement que sur
le verso de la feuille de parchemin qui nous a conservé par miracle le brouillon
de l'homélie française du xe siècle. En la lisant en regard du texte, et en la
comparant à celle que j'ai faite autrefois pour mon usage, je soumettrai à l'au-
teur les observations suivantes. Je ne suis pas convaincu quefo (f/? signifie « cela
veut dire » (p. 128, 160); je le traduirais plus volontiers par « ce dit-il b ;
si ço dît répondait à t das heisst », il me semble qu'il serait placé en tète de
chaque phrase française, au lieu qu'il est toujours en incidente après donc ou
autrement ; d'ailleurs la vraie forme française serait plutôt ço espelt. — L. 4 '
pour ne doceiet je lis ne doleiet et au commencement de la 1. 5 je supplée tant de
lor salut^ct qui donne un sens simple et naturel : « il ne s'affligeait pas tant
de leur salut qu'il faisait de la perte des Juifs », tandis que la version de M. K.
est fort compliquée; doceiet^ comme le remarque l'auteur (p. 146), est phonéti-
quement incorrect; enfin je crois que la leçon doleiet est très acceptable
paléographiquement. Ici et 1. 30 j'entends ne si comme ensi, sans d'ailleurs
pouvoir bien l'expliquer. — L. 18 je corrigerais videbat per spiritum profetie.
— L. 37 la leçon [Mat]heutn est-elle bien assurée.? J'ai lu jusqu'ici leu de avant
di{s^t, et il me semble que la répétition de dist est bien invraisemblable. — Entre
les 1. 22 et 23 je supplée non une phrase terminée par [de]fendut^ mais quelque
chose comme: Cil homines de celé civitate [tant Faveient o]fcndut que... — Le
mot terriculum, 1. 23 et 28, est douteux de l'aveu de M.Schmitz (J. Tardif lisait
prcdictarn); je propose de lire dans les deux passages triduum., qui convient à
merveille au moins au second, et, il me semble, aussi au premier. — J'ai bien de la
peine à admettre liberi, 1 . 26 : Di:us n'a plus alors de verbe à gouvernerS ; il fau-
drait liberaviî. — Entre 27 et 28 je supplée : E poro si vos avient [que vos bie]n
jacicst «iMriduum, etc. ; je comprends donc si z=z sic et non =: si comme
M. Koschwitz, et je traduis comenciest par « commencez n et non par « beginnen
môget », qui n'est pas autorisé par le texte. — Le Sire qui commence la ligne
jo, et dont M. K. ne dit rien, peut aussi bien se lire [e]stre, et il suffirait de
suppléer por ou por en ciel. — L, 3 1 je ne puis concevoir la construction admise
par M. K. : « prions lui que de ce purgatoire nous délivre qui tant de maux
1. Je cite, comme M. K., d'après son édition dans Les plus anciens monuments (Réédi-
tion}; mais il faut avouer que h disposition n'en est pas commode. Chaque ligne du ms.
devrait être numérotée, et ce qui manque au début de chaque ligne devrait être suppléé
à cet endroit et non à la fin de la ligne précédente.
2. La restitution de M. K : « Dieu [eut pitié d'eux, et ainsi ils furent] libres » me pa-
raît demander trop d'espace.
448 COMPTES-RENDUS
nous ayons fait » ; il traduit, il est vrai, habcamus simplement par a avons »
et rapporte « qui » à «nous » : « prions-le qu'il nous délivre, nous qui avons
fait tant de maux », mais cela ne me semble pas possible. Pourrait-on lire
habcnt au lieu d'habeamus ? Si on le pouvait, je serais tenté de lire paganos le
mot que Tardif a lu /?£ncu/o, où M. Schmitz n'a déchiffré que PGos et où
M. K. soupçonne purgatorio\ On comprendrait alors: « Prions-le de nous
délivrer de ces païens qui nous ont fait tant de mal », et on aurait là une allu-
sion aux Normands. Le fait que le prêcheur parle encore aussitôt après « d^
paganis e de mais christianis » ne contredit pas Cette hypothèse. — L. 53 au lieu
de c cels eleemosynas on peut lire et je lis e tels, qui convient mieux sous tous
les rapports. — Dans l'introduction je remarquerai les points suivants. Unanimes
(p. 131, 150) me paraît un mot purement latin {unanimes pour unanimi). —
P. 131 je lis daréùe = durece et non duretie ; de duritîa (?) on aurait i/ur//ie.
— Haire (p. 135) viendrait de l'ail, hara, 1'^ ayant donné <?( t sous l'influence
de Vr. » Il vaut bien mieux admettre un ha ria dérivé de har. — P. 162 M. K.
dit que toutes les explications proposées pour souâr sont impossibles, et il ne
mentionne pas celle qu'il a donnée plus haut (p. i58)sans hésitation: sopire;
je l'ai crue bonne aussi, mais je ne l'admets plus; il n'y a pas d'exemple de
verbe en -ire passant à la conjugaison en -eir. — P. 1^7, malgré les re-
marques de l'auteur et de M. Forster, je ne puis croire que noieds^ aussi lisi-
blement écrit que possible "dans le ms., ne réponde pas à necatus ou à
necatos, et j'y vois le plus ancien exemple du changement (à l'atonel de à en oi
(voy. Rom. XI, 606). — Sur la question du dialecte et divers points de gram-
maire, j'aurais à faire d'autres remarques que je réserve pour plus tard; mais
le répète que le travail de M. K. mérite tout éloge.
IV. Fragment de polme sur le Cantique des Cantiques. Ici aussi le commen-
taire est excellent. La question du dialecte n'est pas éclaircie et ne pouvait
l'être avec certitude; il faudrait en exclure la forme laisîat), qu'il n'y a aucune
raison à mon avis de ne pas interpréter laissiét (cf. p. 196). Mon opinion est
que rien n'empêche de regarder le poème comme composé dans le centre occi-
dental de la France (la rime Jérusalem: amant n'est certainement pas un obs-
tacle), et c'est cette région plutôt que l'est qu'indique l'emploi des accents
diacritiques ; mais la brièveté du texte et l'étrange graphie du copiste rendent
toute décision fort douteuse. — Oillet n'est pas oleet (p. 176), mais oleat,
et tout à fait correct. — Dans entreiz cent milie (p. 189) M. K. comprend entr'eiz
=z inter i p su m; cela me paraît peu vraisemblable ; \e préfère entre ou en treis.
— La graphie chine me semble provenir tout simplement de l'habitude du co-
piste d'écrire chi r= qui. — La locution e chi est illi? (v. 9) n'a rien d' « aut-
fâllig )) (p. 196), et est parfaitement conforme à l'usage français, même moderne. —
Aromatigement est plus singulier que ne le dit l'auteur, et ne se justifie pas par
es exemples allégués; les noms empruntés à des verbes en -izare sont nom-
breux et ne présentent jamais g; il est donc fort probable que le g est une faute
I . On ne demande pas à Dieu de préserver les vivants du purgatoire, mais de lenfer ;
c'est ceux qui sont déjà au purgatoire qu'on prie Dieu d'en faire .sortir.
KOSCHWiTZ, Commentar zu den dîesten franzœsischen Denkmdlern 449
pour 5 ou j. — Au lieu de qu'il aràd une annt (v. 52), M. K. pense que l'ori-
ginal portait qu'il aveïct amie ; c'est fort peu probable, si on compare ert aux
V. 53 et 68; d'ailleurs notre poème est postérieur à VAlexis^qui ne connaît déjà
que les formes en -eit.
V. Epitrc farcie sur saint Etienne. J'aurais peut-être ici plus d'objections
de détail à présenter sur des points de doctrine, mais elles n'ont pas grande
importance;. Ainsi je ne crois pas que juif vienne de judivum, ce qui oblige
à voir dans juef « un compromis entre jué et juïj » : juïj est une des formes
qui proviennent de judaeum; mais la discussion me mènerait trop loin. —
La chute de Va atone pénultième dans Estevre (p. 205) n'est pas contraire à la
phonétique; le v ne vient pas de/ par adoucissement devant n ou r (p. 214) :
on a dit de Stepanum Estiévene puis Esticvnc, d'où Estievre ou Estienne. —
Pourquoi nule (p. 206, 219) ne répondrait-il pas à nulla et serait-il pour
neiile? — Je ne crois pas que volentiers réponde à voluntariis avec une
provenant correctement d'u atone; je vois dans cette forme, comme dans volenteî
et rit. volentieri, l'influence de volentem, volenter. — M. K. n'admet
pas que l'auteur ait laissé passer des rimes inparfaites; il attribue pren pour
prent au copiste (p. 226) et croit devoir corriger (d'une façon assez peu plau-
sible) lev. 51 (p. 224) parce qu'il présente une assonance. U.3.\% pren = prende
est la seule forme usitée en anciert français (de même que pren zzipvtnào,
prens = pren dis, et un versificateur aussi médiocre que celui dont il s'agit a
bien pu laisser échapper de mauvaises rimes. — La recherche sur le dialecte
aboutit à rendre très vraisemblable l'opinion que j'avais émise il y a vingt-quatre
ans, sans être en état de l'appuyer comme le fait aujourd'hui M. Koschwitz.
En résumé on voit, même par ces remarques éparses, quelle est la valeur et
quelle sera l'utilité du Commentaire de M. Koschwitz ; souhaitons qu'il nous en
donne promptement la seconde partie. Qu'il me soit permis en terminant de
dire un mot personnel : l'auteur a constamment l'occasion de me citer et bien
souvent celle de me contredire; il le fait toujours avec une courtoisie parfaite, à
laquelle il a visiblement attaché du prix, car il lui a souvent sacrifié la concision
qu'il recherche avec raison. Je ne puis que lui en être reconnaissant, sachant
mieux que personne combien une sévérité plus grande aurait été facile et souvent
justifiée.
G. P.
Die Trojanersage der Britten. Von Georg Heeger. Mùnchen, Olden-
bourg,-1889, 8°, p. 99.
Voici une excellente dissertation, qui apporte à l'histoire littéraire des résultats
vraiment intéressants. On a répété souvent que la fable de l'origine troyenne
_i. On remarque aussi dans cette partie d'assez nombreuses fautes d'impression, par-
fois gênantes. Chons Sdint-Oug: iiAnjoumois (p. 217), Bucassé pour Bourassé {p. 218),
parlait pour portait (p. 226).
Romania, XV. 29
4^0 COMPTES-RENDUS
des Bretons était une légende ancienne et populaire; M. Heeger n'a pas
de peine à montrer qu'il n'en est rien, que c'est une pure fabrication érudite, et
qu'elle n'apparaît nulle part avant VHistoria Britonum du prétendu Nennius'.
Mais dans ce texte même elle est très probablement interpolée. L'auteur primitif
avait inséré dans son œuvre, en la modifiant, la Generatio regum bien connue,
de source franque, qui remonte au x« siècle 2, et qui fait d'un certain Istio,
frère d'Erminus et d'Inguo, le père des Romains, des Bretons, des Francs et des
Alemans. De même, d'après VHistoria Brito:Mm^ « Hissitiohabuit filios quatuor,
hi sunt Francus, Romanus, Britto, Albanus. » Un premier interpolateur.
jaloux sans doute des légendes troyennes des Francs et des Normands, joignit à
cette généalogie, tirée d'après l'auteur « ex veteribus libris veterum nostrorum »,
une autre qui se trouverait « in annalibus Romanorum », et d'après laquelle
Britto ou Bruto aurait été un fils ou un petit-fils d'Enée, et, chassé d'Italie,
serait venu occuper la Bretagne. Un troisième savant a voulu mêler à ce récit une
autre fable d'après laquelle le consul Brutus serait venu d'Espagne en Bretagne ?,
et a produit un inextricable imbroglio. Enfin un quatrième a essayé de réconci-
lier le premier récit avec l'origine troyenne. Ces quatre versions se retrouvent
dans divers mss. de VHistoiia Britonum, dans un ordre qui n'est pas celui de leur
incorporation à l'œuvre ; aussi avait-on regardé la 2<= et la 3", qui occupent
le I" et le 2« rang (A, B), comme authentiques, la re (C) comme interpolée
ainsi que la 4» (D). M. H. discute avec une grande finesse et réfute fort bien, à
l'aide delà comparaison des mss. et de la traduction irlandaise, ce système, qui
est celui de M. de La Borderie; il montre que jusqu'au xii« siècle on ne trouve
d'allusions qu'à la i""*^ version (C), tandis que la 2" (A) est citée pour la pre-
mière fois (avec B) par Henri de Huntingdon. Pour connaître la date de la
première interpolation, source de tous les récits britanno-troyens, il faut d'abord
connaître la date de VHistoria Britonum elle-même. M. H. rejette avec moi la
date de 822; mais il n'accepte pas non plus celle de 878, cette année ne
pouvant pas être la quatrième du règne de Mervin fils de Rodri, parce que
Rodri ne mourut qu'en 877. Il en conclut que le passage où se trouve cette
date n'appartient pas originairement à VHistoria, mais est d'un auteur qui
plaçait l'invasion des Saxons à une date autre que celle de 429, admise par
VHistoria. Tout son raisonnement me paraît fort solide. Rien ne permet donc
de dater avec certitude VHistoria Britonum. Quant à l'interpolation A, qui nous
intéresse seule ici, elle se trouve dans le manuscrit du Vatican, qu'on a toujours
attribué au X'^ siècle. M. H. conteste cette date, un passage du manuscrit dési-
gnant l'année 1024 (ou plutôt 1027), en sorte que « le ms. du Vatican ne peut
pas avoir été fait plus tôt, mais peut bien l'avoir été plus tard (p. 56), » et il faut
1. Sur le jeu de mots hruti Britones, voy. p. 19.
2. Il y aurait à faire sur le rapport de ces deux textes des recherches critiques; il
semble que le passage de VHistoria Britonum ait une source commune avec la Generatio
regum plutôt qu'il ne provient d'elle.
3. Cette fable a probablement existé d'abord à part, et indépendamment de toute allu-
sion à Troie. Decimus Brutus, consul au n" siècle avant J.-C , y est confondu avec Bru-
tus le premier consul.
HEEGKR, Die Trojanersage der Britten 45 1
appliquer le même raisonnement au ms. perdu, encore plus ancien que celui du
Vatican, qui a été la source du ms. de la B. N. (La Borderie, n° 19), et qui
contenait la même date. Toutefois cela ne prouve rien que pour la date de la
plus ancienne copie à laquelle nous puissions remonter, et il faut remarquer
que cette copie contenait déjà l'interpolation A. M. Heeger va donc trop loin
en faisant descendre cette interpolation jusqu'au temps d'Edouard le Confesseur;
on doit admettre qu'elle est antérieure à 1027; mais si on pense avec l'auteur
quelle s'est produite sous l'influence de la légende normanno troyenne racontée
par Dudon de Saint-Quentin, elle n'a du être antérieure que de bien peu '.
Les chapitres suivants ont moins d'importance, mais on y retrouve la même
critique judicieuse et pénétrante. M. H. montre que Gaufrei de Monmouth a
composé son récit de l'expédition de Brutus d'après VHistoria Brilonum et en
empruntant plusieurs traits (notamment le nom de Connwi) à Virgile ; que
VHistoria britannica citée dans la vie de saint Gouëznou ne peut être que le livre de
Gaufrei ; que Geoffrei Gaimar n'a pas eu de sources bretonnes^ ; enfin que Giraud
de Barri ne tire que de Gaufrei de Monmouth sa connaissance de la fable
troyenne?. Tous ces points étaient déjà hors de doute pour les genscompétents,
mais on saura gré au jeune auteur de les avoir mis en pleine lumière.
L'étude de M. Heeger est une thèse présentée à l'université de Munich. Elle
fait honneur aux maîtres du nouveau docteur, et on peut dire qu'on n'en voit
pas souvent qui promettent et tiennent déjà autant.
G. P.
1. M. H. voit dans le ms. du Vatican la forme originale de l'interpolation, mais
j'avoue que cette hypothèse me paraît douteuse. Dans ce ms. le mage qui fait l'horoscope
de Britto dit que l'enfant sera très vaillant et » amabilis omnibus liominibus, » et on lit
ensuite : « Propter banc vaticinationem occisus est magus ab Ascanio. » Voilà une singu-
lière récompense pour une prédiction si flatteuse! Le ms. continue : « Sic evenit : in na-
tivitate iHius mater {ms. mulier) mortua est ». Que signifie sic evenit? Combien tout est
plus clair dans les autres mss. et dans la version irlandaise' l.e mage prédit que l'enfant
tuera son père et sa mère ; c'est pour avoir annoncé cela qu'on le met à mort. En effet,
sic evenit: sa naissance coûta la vie à sa mère, et il tua son père par accident. 11 me
semble très probable que l'auteur de la version du ms. du Vatican (et du ms.de la B. N.)
a été choqué de voir attribuer à l'ancêtre des Bretons des crimes même involontaires, et
qu'il a maladroitement retouché l'histoire, en laissant d'ailleurs subsister des vestiges de
la forme originaire.
2. Il y a dans le passage tant de fois cité de Gaimar sur ses sources un vers altéré
dans le ms. et qu'on a essayé de rétablir de diverses façons; M. H. adopte celle de
M. Ten Brink : Le translata e fes i mist. La vraie leçon est : E les transcendences i
mist : on sait que transcendcnce signifie ce que nous appelons « synchronisme. » Ce sont
ces synchronismes qui n'étaient pas dans VHistoria regum Britanniae, et que Gaimar,
d'après d'autres sources, avait ajoutés à sa version : rien donc de moins breton.
3. M. H. accorde même trop à M. Joly en admettant que la fable troyenne était au
xiiie siècle fgrâce à Gaufrei', « populaire,' universellement répandue » chez les Gallois;
du moins les ouvrages de Giraud de Barri ne peuvent servir à le prouver.
45 2 COMPTES-RENDUS
In memoria di Napoleone Caix e Ugo Angelo Canello. Miscellanea
di filologia e linguistica. Firenze, successori Le Monnier, 1886, in-4°,
xxxvni-478 pages.
Nous avons parlé à plusieurs reprises de ce recueil, dont l'impression, depuis
longtemps en train, vient enfin d'être achevée. Il forme un beau volume, digne
en tous points, par le fond et par la forme, de la pieuse destination à laquelle
il doit l'existence. L'Italie, la France, l'Espagne, le Portugal, la Roumanie,
l'Allemagne, l'Autriche, la Suisse sont représentés dans cet hommage rendu à
la mémoire de deux romanistes enlevés coup sur coup à la science dans la pleine
force de l'âge et du talent; l'Italie et l'Allemagne, pour des raisons différentes,
le sont le plus richement. Le volume s'ouvre par une courte préface, puis vient
un beau discours de M. Villari sur la vie de N. Caix et une intéressante notice
de M. Rajna sur ses écrits; la notice sur U. A. Canello est de M. Crescini;
elle se termine par une très utile bibliographie, qui montre dans combien de
directions s'était exercée, de 1870 à 1883, l'activité de ce jeune et ardent tra-
vailleur.
Le recueil proprement dit se compose de trente-six articles, que nous allons
rapidement passer en revue.
P. 1-4. Fr. Miklosich, Ucbcr die Nationalitat der Balgartn. Le savant lin-
guiste croit que les Bulgares formaient un mélange de Turcs et de Finnois.
P. 5-9. Edm. Stengel, Ueber dm bteinischen Urspiung der romanischen Fûnj-
zehnsilbiur und damit vcrwandter weitercr Versarien. M, St. reconnaît, comme
on l'a fait ici (IX, 177-191), l'origine du vers en question dans le tétramètre
trochaïque catalectique rythmique; cela est de toute évidence. Il explique d'une
façon particulière la dérivation du vers de 1 1 syllabes de ce vers de 1 5 syllabes,
et tout son article mérite d'être lu.
P. I 1-38. P. Merle, ProbUini fonologici suW aiticulazione e salï accento. I.
Tentativo di classificare in un sistema unico d\nticolazioni k vocali e le consonanti.
II. Diverse graduzioni délie voci toniche e perdita 0 naturdle rotazwne délie atone.
Observations fines et pénétrantes, qui donnent le désir de voir bientôt l'ou-
vrage que l'auteur annonce sur ces matières.
P. 39-49. G. Grôber. Etymologicn. i. Fr. aiguille, serait dû à l'influence
combinée d'aiguiser., d'anguille et d'aigu. — 2 . It. ammiccare, serait formé sur
ammi, ce qui n'est probable ni pour la forme ni pour le sens. — 3. Andare.
Défense très ingénieuse de l'étymologie a m bit are; elle ne convaincra sans
doute pas les partisans d'addare et d'à m bu lare — 4. Fr. arroser, viendrait
du nom. ros, mais voyez l'explication bien préférable de W. Meyer, qui
prouve l'existence d'un neutre ros, rosis. — 5. It. astore.,\v. autour. M.
Gr. le tire d'asturem ; il ne s'est pas souvenu que ce rapprochement avait
déjà été fait {Rom. XII, 100); la question est d'ailleurs fort compliquée, — 6.
V. fr. bleron, poule d'eau, « du néerl. blaar, tache blanche sur le front qu'
distingue cet oiseau »; le fr. bellcque est l'ail, belche, le fr. macroule, macrole,
mi7cr£iiic tient peut-être au hollandais meyrkoet. — 7. Esp. borraja, fr.
bourrache. M. Gr. défend l'étymologie de Diez contre celle de Littré et uneautre
In memoria di Napoléon Coix e Ugo Angelo Canello 45 3
qu'il imagine. — 8.Fr. encre, viendrait d'ïyy.a'ju.a et non d'à'y/.au'jTov; maison n'y
gagne pas grand'chose pour la forme et on y perd beaucoup pour le sens,
£Y/.au!i.a n'ayant pas la signification d'encre. — 9. Fr. jadis serait pour ja a dis
{= dies) ; mais il tient à tandis, celui-ci à {juandis, et déclarer ejuamdiu dans
Boèce, ^uandius dins Léger pour des mots savants est peu acceptable; il vaut
mieux s'en tenir à jam diu. Je hui ponr ja hui zn jam hodie est une
étymoiogie donnée ici jadis (VI, 629) et repétée depuis. — 10 Pr. jassè, ancsc,
^«if, rattachés à jam exin, de exin; ancse serait formé du prov. ^«c et
d'exin. Tout cela est bien peu vraisemblable. Pour une autre étymoiogie,
cf. Rom. XIV, 577-9. — 11. It. malvagio, fr. mauvais =r maie vatius;
peu probable pour plus d'une raison. — 12. Fr. morceau., non de morse llum
iDiez), mais de * morscel lum ; le seul appui de cette opinion est le pic.
morchel (?), mourchcu (Littré); mais il faut le juger comme amorche pour
amorsc et l'expliquer sans doute autrement. M. Gr. dit que personne ne songe
plus sans doute à fonder percer sur pertusier; pert(u)sare est cependant la
seule étymoiogie acceptable qu'on ait proposée; ici on n'aurait pas cziz s, mais
c zn ts. — 13. Fr. nièce; le iat. neptia n'est pas, comme le veut Diez, de
création française, mais se trouve déjà dans une inscription (C. /. L.,V, 2208).
— 14 Fr. patois, se rattache à patte ; plutôt, croyons-nous, au thème qui est
dans patte. — 15. Fr. pièce etc., viendrait de pe lia tiré de pedem; la
discussion de cette hypothèse nous entraînerait trop loin; bornons-nous à dire
que le tripetias de Sulpice Sévère n'a rien à taire ici; nous pensons qu'il
faut lire tripedas, devenu dans une première copie, par une faute très na-
turelle, tripecias, d'où, tripetias d'une pan et tripeccias de l'autre. — 16.
Fr. ruisseau; rejetant avec raison l'étymologie de M. FÔrster, M. Gr. rattache
ce mot au bas-latin rogium, d'origine d'ailleurs inconnue; ses remarques à
ce sujet sont fort savantes ; il n'en résulte pas nécessairement que ru ne soit
pas rivum et ruisseau riviscellum.
P. 51-55. G. B. Gandino, Osscrvazioni sopra unversodel poema provenzale
di Boezio. jOn a jusqu'ici entendu non i mes foiso, Boèce, v. 26, au sens de « il
n'y réussit pas » en paraphrasant » il n'y mit pas assez (ou ce qu'il fallait) pour
réussir ». Metrc foiso est une expression jusqu'ici sans autre exemple, mais je
crois, avec M. Tobler, Zcitschrijt. f. rom. Phil. II, 505, qu'elle n'a rien de
choquant. M. Gandino propose une nouvelle explication à laquelle je ne puis
attribuer aucune vraisemblance. Selon lui ma vient du latin metere, mois-
sonner j), et le sens serait : « il ne fit pas une moisson abondante, il ne tira pas
grand fruit (de ses exhortations) ». Mais, outre que Joiso peut difficilement
signifier « fruits, récolte », on n'a aucune raison de supposer l'existence d'un
verbe provençal venant de metere, — P. M.].
P. 57-69. A. Gaspary. Molicrcs Don Juan. Remarques littéraires.
P. 71-76. A. Tobler, Etymologisches. Butor; on peut voir la forme originaire
dans /rufor, qui serait composé de ^Au/r^ à l'impératif ou de brui primitif de
bruyère et de tor =: taurum; mais il est plus probable que la première
partie du mot contient le verbe bûtire ou bûbire, qui désignait en latin
le cri du butio zz: butor. — Piaffer, de picf == pied ; mais piaffer est un mot
d'argot qui n'apparaît que dans la seconde moitié du xvi« siècle, a trois syl-
4^4 COMPTES-RENDUS
labes, et n'a jamais d'autre sens que celui de « se pavaner, faire des embarras,
braguer, comme on disait aussi » ; l'application par métaphore à un cheval qui
relève les jambes avec élégance est enregistrée pour la première fois dans Richelet
et encore inconnue à la première édition de l'Académie, ainsi qu'aux diction-
naires antérieurs; quant au sens de « frapper du pied », il est absolument
moderne et dérive du précédent. L'origine de piaffer est inconnue. — Forra it.
a défilé » = Furre, forme dialectale, notamment suisse, de Furche. —
Recrue est le part, de recroître^ ce n'est pas douteux, mais recruter, que M. T. en
tire, n'en est pas moins pour l'ancien recluter, qui a changé déforme précisément
sous l'influence de rdcru« ; on ne voit pas pourquoi l'espagnol aurait changé
recrutar en reclutar, et rien ne prouve que l'it. reclutare vienne de l'espagnol.
— Avertin est un composé de vertin =: vertiginem et n'a rien à faire avec
avertere (Littré) ; cela est évident. L'avertin serait pour la vertin; c'est pos-
sible, mais on peut croite 2iuss\ qu' avertin ^nesvertin m ex vertiginem. Notons
les remarques sur ningremance. — Gerla it., a. fr. jarle; intéressantes explications
sur les dérivés de gerula et accessoirement sur le v. fr. gor/e =: gùr tel.
P. 77-89. G. Paris, Les Serments de Strasbourg; introduction à un commen-
taire grammatical. Ce morceau contient quelques inexactitudes qui sont rectifiées
par M, Cari Wahlund dans une note additionnelle publiée p. 473 de ce vo-
lume.
P. 89-93. C. Paoli, Notizia di un codicetto fiorentino di ricordi scritto in vol-
gare nel sccolo XIII. Description d'un cahier de parchemin contenant des actes
de vente rédigés en toscan et se rapportant à des terres du Vald'Arno intérieur.
Les dates de ces actes sont comprises entre 1255 et 1290.
P. 95-102. F. G. Fumi, Pastille romanze. I. Au romanzo per 0 atono latino;
ces formes, qui sont propres à l'italien et au provençal, s'expliquent par une
analogie ou mieux un mal-entendu. — II. Grcggio, grczzo ; l'auteur défend une
étymologie ancienne de lui qui rattache ces mots à grevius = gravius et
combat celle de Canello (egregi us) et de Caix (agrestis).
P. 103-1 1 1. G. Meyer, Dcr Einfluss des Lateinischen auf die albanesische For-
menlehre. L'auteur montre que l'influence du latin sur l'albanais a atteint non
seulement le vocabulaire, mais des parties essentielles de la grammaire.
P. 113-166. C. Michâelis de Vasconcellos, Studien zur hispanischen Worl'
deutang. [1. Açamo., açaimo., port. « muselière», açamar., açaimar « museler ».
Du v. port, açaimar « charger une bête de eomme, ravitailler une place », qui
est le lat. salmare pour sagmare. — 2. AIçapâo., port, «trappe», est
pour alça-pde « lève et baisse •. — 3. Alinhavo, alinhavâo, port, i faufilure »,
est pour â linha va (cf. fr. fau-fil). — 4. Bagoa, galicien, a larme »
Debaccûla, dérivé de bacca « baie ». — 5. Birta, esp. bilro, port. « quille y>.
De pyrulum, diminutif de pyrum. — 6. Birlocha, cast., milocha, arag.,
miloca, catal., miloja, valencien « cerf-volant ». Même mot que mil-ano avec
un autre suffixe. Le b du castillan viendrait de ce que milano a été confondu
avec vilano (le milano passe pour oiseau vil) ; IV de birlocha n'est pas expliqué.
— 7. Bisalho, port. « petit sac ». De bissac(c) u lum. — 8. Bolor, port.
« moisissure ». De pallor, qui a ce sens dans Vitruve, Columelle, etc. —
9. Bugio., port, f singe ». Du nom de la ville de Bougie. Dans l'archiprêtre de
In memoria di Napoléons Caix e Ugo Angeh Canello 4 5 5
Hita: D. Gimio alcade de Buxùr, dans le Cane, gênerai: monos de Bugia. — 10.
Buir, esp.,port., » polir »,v. port. /Jo/r, pair. Du lat. polire. — 11. Caramunha
port., Cl grimace, moue s. De quaerimonia. — 12, Cî/io, galicien « céli-
bataire ». De caelibus pour caelibe. — 13. Ccrniglo (c'est ce qu'il faut
lire dans l'arch. de Hita, Str. 982, au lieu de cenniglo), esp. i fantôme, épou-
vantai! )). Doublet de cerm'calo, sorte d'oiseau de proie. — 14. Derreter, port.
« fondre i, est pour de-rreter, de-tcrer. De deterere. Cf. v. esp. retir^ de
ter ère. — 15. Dobar, port. « dévider »; v, port, debarzn debaar^ dtbàar, esp.
devanar. De de pan are (pan us). — 16. EjVo, «i7o,port., galic, aido, forme popu-
laire, a place devant une ferme, étable pour le petit bétail ». De aditum. —
17. f/va, port., <i tache, défaut ». De labia pour labiés, iabes. — 18
Encinta^esp. « (femme) enceinte ». De inciens. — 19. Eîrr««r, esp., port.
• échapper à, éviter », pour estrocer r= estorcer. De extorquere. — 20.
Fasca^ jascas, hascas^ esp., port. « presque, à peu près ». De faz (impératif
ou 5« p. s. du prés, de fazer) joint h ca = que. — 21. Gulnllla, esp. « pru-
nelle de l'œil >. Pour guindïlla, diminutif de guinda e guigne », cf. fr. prumlle.
— 23. Lùra, port. « couche de terre, carreau »„ De area, auquel s'est joint
l'article. — 23. Macho, esp. « mulet ». De mulus, par les formes mulacho,
muaiho.— i^. Madroho, esp., port. « arbouse, arbousier f. De matur-
oneus. — 2^. Macico. esp. Doit être le même mot que le port, maçarico,
massarico, sorte d'oiseau. — 26. Mcigo, port., m:gd, esp. « doux, bénin ».
Plutôt de magius que de magicus. — 27. Morango, port, s fraise ».
Formation hispanique de niorus et du suffixe ango (p.-e. a nie us). — 28 Mouco,
port. « dur d'oreille ». De Malchus, le sergent auquel Pierre coupa l'oreille
droite. — 29. Non, noni^ esp. ; nom, nâo, port. « nom ». Formes abrégées et
usitées seulement dans les serments et jurons de nome nomine. — 30. Pcl-
mazo, esp. <• masse aplatie » De pelma pour pegma. — 31. Pintalsigo.,
esp., port. 0 chardonneret »; formes anciennes: p'mtasirgo, pintisirgo, plnta-
x/rgo. Le mot iî'rgo est syricus; pinti est pour piti zi: pcctus . — 32. Pou-
salousa, port. « papillon ■>. Pousa, impératif de pousar, joint à lousa « dalle ».
Le composé n'a pas de sens, les deux mots n'ont été réunis que parce qu'ils
rimaient ensemble. — 33. Quera, arag. a vermoulure 0. De caria pour
caries. — 34. Qiicxigo, esp. » sorte de chêne vert 1. Vient du portugais, où
il a été formé, comme perigo, artigo, de *querci eu lum.— 35. Relha, port,
f soc de charrue ». De *rallia, *rallium pour ralla, rallum. — 56.
Sandcu. port, sandio, esp. • fou, niais ». Ou bien de sine Deus, ou bien
d'un nom de personne Sandaeus. Peut-être l'esp. sandio a-t-il quelque
chose de commun avec sandi'a « melon d'eau r. . — 37. Sar.iu. « fête de nuit ».
scrào « veillée ». Doublets dérivés de sérum. L'esp. ^arjo vient du portugais.
— 38 Senzido, V. esp., cencido, esp. « non foulé, en parlant d'un pâturage ».
Delà famille du port, singello t simple», sing- i 11 us, et du cat. sancer « entier »
sincerus. — 39. Sosegar, esp. ". calmer », v. port, sessegar « s'asseoir,
s'établir». De sessicare, dérivé du part, sessum. — 40. So/urno, port.
« sombre, triste ». De Satu rnu s. — 41. Sovela, porl., subilla, esp., «alêne».
De * su b il la pour subùla. — 42. Atordido^ esp., stordire, ital. Il n'y a pas
lieu d'écarter définitivement l'étymologie turdus. — 43. Terçô, port, t orgelet».
40 COMPTES-RENDUS
De * triticeol um. — 44. Tiinca, esp., port, a assemblage de trois personnes
ou de trois choses ». De *trinicus, formé sur unicus. — 45. Umbral,
esp., port. « seuil d'une porte 1. On peut hésiter entre des dérivés de lumen,
l'imen, humeras et limes. — 46. Urce, esp. ■< romarin », urzc, port. « bru-
yère », L'étymologie de M. Baist, ulice, est bonne; mais présente quelques
difficultés de sens. — 47. Vestiglo^ esp. « monstre, spectre •. De besti-
culum. — 48. Fmco, port. « pli, raie, ornière ». De vinculum. — 49.
Xato, esp. • veau ». L'identité de ce mot avec chato., « épaté », proposée par
M. Baist, n'est pas encore démontrée. — 50. Xodreiro, port., s'emploie en
parlant du porc. Dérivé de xodro, xordo, sordidus. — $1. Yjada, esp.
Dans Rabbi Santob : « piel syn yjada » .? — p Zisme, esp. Dans un passage
de Juan Manuel, à côté du mot pulga. C'est cimicem, par la forme inter-
médiaire zimcc. — A. M. -F.].
P, 167-174. F. Neumann, Die Enhvickelung von consonant + w ini Fran-
zôsischen; remarques très ingénieuses, comme on peut s'y attendre, mais non
moins contestables. Que Vs de co(n)suere soit appuyée, c'est ce qui n'est
pas facile à concéder ;■ et futuere doit-il prendre deux / comme batuere.!*
L'auteur à un endroit dit avec grande raison qu'en phonétique des formes ver-
bales, exposées à tant d'influences analogiques, ne peuvent avoir de force contre
des mots ordinaires ; il aurait dû, pensons-nous, appliquer cette règle à l'en-
semble de son travail, dont la première partie établit des lois phonétiques à peu
près uniquement sur des formes verbales.
P. 175-189. A. Miola, Un testa drammatico spagnuolo dcl XV secolo pubbti-
cato perla prima volta. [Dhlogue entre un vieillard, l'Amour et une femme,
tiré d'un ms. de la Bibliothèque nationale de Naples. M. Miola disserte sur les
rapports de cette petite pièce avec le Didlogo entre el Amor y un vie/o de Ro-
drigo Cota sans arriver à des conclusions bien précises. Le texte est correcte-
ment établi. Str. 13, v. 2, lire Nestor; str. 22, v. 5, lire tuerça ; str. 26, v. 5.
la correction est inutile; str. ^i, w . ^., aparejadas est hon; str. 47, v. 10 la
correction est mauvaise; il faut lire le vers ainsi: sin boradarnos el sayo (sans
percer le pourpoint). — A. M. -F.].
P. 191-197. B. Wiese, Einige Dichtungai Lionardo Giustiniani' s . Diverses
rectifications et indications bibliographiques sur ce poème, suivies de quatre
compositions inédites tirées d'un ms. de la Marciana.
P. 199-108. G. P'iechia, Etimologie Sarde. [Rectifications au Vocabulario
Siirdo-Italiano de Spano. On trouve dans ce travail, rédigé depuis bien des
années, comme nous l'apprend une note, l'érudition et la pénétration dont l'au-
teur a donné tant d'autres preuves. Bien curieuse est l'explication de meda (lat-
meta), pris dans le sens de meule de paille ou de foin, signifiant « beaucoup »,
que M. F. rapproche avec raison de l'emploi au même sens de massa en pro-
vençal. C'est de même encore qu'aux Etats-Unis on emploie a heap. — P. M.].
P. 209-21 5. M. Obédénare, Une forme de l'article roumain qui se met devant
les substantifs et les adjectifs. [Les éditeurs de la Miscellanca ont-ils su que cet
article est un simple extrait d'un travail plus étendu publié par feu Obédénare
dans h Revue des langues romanes, j« série, XI, 131 et suiv. i" L'utilité de
cette réimpression nous échappe. — P. M.].
In memoria di Napoleone Caix e Ugo Angelo Canello 457
P. 217-229. J. Cornu, Recherches sur la conjugaison espagnole aux xiil* et
xive suclis. [La voyelle de l'infinitif tombe au futur et au conditionnel, en
ancien espagnol, toutes les fois qu'une raison d'euphonie ne s'y oppose pas :
combrc (esp. mod. comeré), mais traerc, partiré pour éviter la répétition de l'r. —
Forme du futur où l'auxiliaire précède l'infinitif au lieu de le suivre. M. Cornu
en a réuni un certain nombre d'exemples, pour la plupart assurés, dans
d'anciens textes en vers : çà et là, toutefois, l'omission d'un de entre l'auxiliaire
et l'infinitif ne serait pas contredite par la mesure. On peut remarquer à ce
propos que des romances en castillan assez archaïque, qui se récitent encore
dans les Asturies, ont conservé quelques vestiges de cette forme. Dans celle
qui commence Mananitas de San Juan, la fille du Roi dit à la Vierge: « Ha
declrmc la Senora Si tengo de ser casada ? » Puis la Vierge lui demande oii
elle mettra l'eau qu'elle vient puiser à la fontaine: 0 En que lo has llevar, mi
vida. En que lo has llevar, mi aima ? — Hélo llevar yo, Senora, En regozos de
mi saya, etc. » (Jahrbuch/ur rom. Literatur, l\l, 281)- Une autre version donne
ici : « Diga, diga la Senora, Donde llevaré yo el agua? — Llevaràslo tu, don-
cella, Nel regazo de tu saya » etc. (Menéndez Pidal, Coleccion de las viejos
romances que se cantan por los Asturianos, etc. Madrid, 1885, p. 233). —
M. Cornu termine son article par un tableau des conjugaisons en ancien
espagnol. — A. M.-F.]
P. 231-6; cf. p. 474. P. Meyer, Complainte provençale et complainte latine
sur la mort du patriarche d'AquiUc Grégoire de Montelongo.
P. 237-241. C. Avolio, La questione délie rime nei poeti siciliani del secolo
XIII. [Soutient l'opinion selon laquelle les poésies de l'école sicilienne ont dû
être écrites dans le dialecte local, et remarque à ce propos que ceux qui ont
étudié la question si controversée des rimes de ces poésies n'ont pas tenu un
compte suffisant des variétés dialectales qu'offre le sicilien. — P. M.].
P. 243-254. F. Zingarelli, Un serventese di Ugo di Sain Cire. [C'est le sir-
ventés Un sirventes veuill far, déjà publié par Raynouard, Lex. Rom., I, 417, ici
réédité d'après le ms. d'Esté. Diez, qui ne le connaissait que par la traduction
bien imparfaite de Millot, le plaçait en 12 17; M. Gaspary, dans sa récente his-
toire de la littérature italienne, l'attribuait à l'année 1246. M. Z. prouve qu'il
a dû être composé en 1240. M. Casini était arrivé indépendamment et en même
temps au même résultat, dans son mémoire sur les troubadours de la Marche
Trévisane (voy, Romania, XV, 158). L'édition de M. Z. est meilleure que celle
de M. Casini. Son commentaire, toutefois, n'est pas exempt de fautes. Au
v. 18 Argensa, mentionné à côté d'Avignon, de Nîmes, de Carpentras, ne
saurait être Argence dans le Calvados. C'est la terre d'Argence, sur la rive
droite du Rhône, près Beaucaire; voy. mon édition du poème de la Croisade
albigeoise, II, à la table. Au v. 19 on ne comprend pas comment M.Z. n'a pas
vu qu'il s'agissait de Venasque dans l'arrondissement de Carpentras. — P. M.]
P. 255-261. A Mussafia, Una particolarità sintattica délia lingua italiana dei
primi secoli [Observations très fines et très exactes sur la place des pronoms
personnels atones, au cas oblique, quand ils sont joints àun verbe. Actuellement,
en italien, ils se placent avant le verbe {la vidi); anciennement il se plaçaient
après (vidilo) quand ce verbe était au commencement de la proposition. L'his-
45° COMPTES-RENDUS
toire de cette particularité est exposée avec autant de précision que de clarté.
Une exception que M. M. avait cru trouver daus un texte fort ancien, la for-
mule de confession en latin mélangé de langue vulgaire publiée et étudiée par
M. Flechia (voy. Rom. XIV, 304-5), se trouve n'être qu'une fausse lecture,
voy. p. 474 de la Miscellanea. ~- P. M.].
P. 271-288. R. Renier, Un mazzdlo di poésie populari fmncesi. Ce sont 28
morceaux, extraits de deux manuscrits du xvie siècle de la bibliothèque de Cor-
tone; malheureusement ce sontdes manuscrits musicaux (l'un contient le io/jr^no,
l'autre le contralto des mêmes chansons), qui ne donnent que le début des pièces,
et ces fragments, copiés en Italie, sont fort altérés. M. Renier a joint à l'édition
une introduction fort intéressante sur les chansons italiennes que contiennent les
mss. de Cortone et sur les autres recueils italiens où se trouvent de ces chan-
sons françaises, si populaires jadis au delà des Alpes (on peut y joindre le ms.
de Pavie cité Rom., VI, 271). Parmi les 28 morceaux des mss. de Cortone,
plusieurs se retrouvent ailleurs, notamment dans le ms. B N. fr. 12744 publié
par la Société des Anciens Textes. M. R. n'en y a retrouvé que quatre, mais
d'autres lui ont échappé : ainsi les derniers mots du n» XVIII (à partir de
tousior) sont en réalité le début d'une autre chanson, le n» XCVI A. T.; le
no XXI R. =: XXVII A. T. ; XXVIII R. = XCV A. T. Pour l'édition, M. R.
énonce des principes fort dignes d'approbation, mais il les suit imparfaitement.
Il dit qu'il faut donner de ces morceaux si altérés une reproduction diploma-
tique; or 1° il prend pour base le texte d'un des mss., et, quand les leçons de
l'autre sont decisamenU da preferirsi, il les adopte, sans donner les variantes
qu'il rejette, en sorte qu'après la publication il faudra revoir les textes ; 2"^ i I
divise les vers à son idée, et parfois inexactement (voyez par exemple la fin
déjà citée du n' XVIII); il met la ponctuation, des apostrophes, des accents, etc.,
et préjuge ainsi la lecture, quelquefois peu heureusement (ainsi XI, 16 je n'é
pour j'en é ; XW, \, je pour j'è, etc.); la distinctio verborum surtout laisse à
désirer: XI, 8 vigie corne, 1. viglecome ; XII, ^ che con scias aghut, 1. che consel
as aghut, avec un.? qui manque; XVII, 12 outre buciet, 1. ou trebuciet. Il est
probable que les fautes réelles, comme Se pour Le XIV, i,Sardonnès pour Par-
donnés XV II, 12, sont déjà dans les manuscrits. Malgré ces imperfections, la
publication de M. Renier est digne d'éloge et de remerciements; elle en mé-
riterait plus encore si la musique était jointe au texte.
P. 289-291. H. Suchier, Ueber die Tenzone Dante's mit Forese Donati. [M. I.
del Lungo a mis définitivement hors de contestation l'authenticité des cinq
sonnets qui composent cette tenzone et dont trois sont de Dante et deux lui sont
adressés par Forese Donati, voy. son édition de Dino Compagni, II, 611 et
suiv. Le même savant a édité le premier l'un de ces sonnets jusqu'alors resté
inédit et amélioré le texte des autres. La note de M. Suchier est un supplément
au travail de M. del Lungo. Elle contient l'explication d'un passage obscur du
sonnet [Ben ti faranno) publié pour la première fois par M. de) Lungo, et des
conjectures sur l'ordre de ces sonnets. — P. M.].
P. 295-303. A. d'Ancona, L'Artc di dire in rima. SonctU di Antonio Pucci.
Suite de sonnets publiés d'après un ms. d'Udine. M d'Ancona, qui n'en exa-
In memoria di Napoleone Caix e Ugo Angelo Canello 459
gère pas la valeur, fait observer que l'auteur a imité en un endroit le Tesoro de
Brunetto Latine.
P. 30J-} I I. S. Pieri, // vcrbo arclino et lucchcsc.
P. 313-352. G. Morosi. L'odkrno dialctto catalano d'AIghero. [On sait
que la ville d'AIghero située sur la côte occidentale de la Sardaigne fut peuplée
de Catalans à la suite de la conquête de l'île par Pierre IV d'Aragon. Le cata-
lan, bien que de plus en plus mêlé de sarde et d'italien, y est encore parlé
aujourd'hui. Le mémoire de M. Morosi, composé avec une excellente méthodei
montre que le catalan d'AIghero n'offre guère de traits qui ne se retrouvent en
Catalogne. Les secondes personnes du plur. sont en au, eu, comme en catalan
moderne. L'auteur en conclut que ces formes, considérées par feu Alart {Rev.
des l. rom., 2» série, IV, 1 10) comme relativement récentes, devaient être plus
anciennes que le milieu du xiv>-' siècle, au moins dans la langue usuelle ; mais
la conclusion ne me paraît pas rigoureuse : jusqu'au traité de Rastadt, Al-
ghero a été possession espagnole, et les rapports entre cette ville et Barce-
lone ont dû être assez fréquents pour que le catalan de la métropole ait influé
sur celui de la colonie. En appendice M. M. a publié une petite collection de pro-
verbes et de comparaisons populaires qui n'offrent rien de bien saillant; et enfin
un chant populaire, évidemment incomplet, qui n'est autre que le célèbre chant
des transformations auquel Mistral a donné une nouvelle popularité par la
chanson de Magali. On connaît beaucoup de rédactions de cette poésie vérita-
blement originale (voy. Romania, Vil, 61-4). Il en e.xiste une en Catalogne',
mais elle diffère notablement de celle d'AIghero, qui a un commencement tout à
fait particulier. Je citerai une strophe de cette dernière :
Ma faré a unaanguiléta,
I ma 'n fugiré nadant.
— Si vus feu a un' anguileta,
Ely ' sa fara pascador [lis) :
I vu 'n prangara pascant.
Nous aurons prochainement l'occasion de parler de nouveau du catalan d'AI-
ghero, à propos d'un récent mémoire paru dans VArchivio de M. Ascoli (t. IX)
au moment où s'achevait l'impression de la Miscellanea. — P. M.].
P. 333-344. M. Casier, Die rumdnischen « Miracles de Nostre-Dame ». C'est
une simple traduction de l"A;i.a'.ToAwv 7oj-r,pia du moine Agapios.
P. 345-3 n- ^- Salvioni. Antichi testi diakttali chieresi. [Copie figurée, au-
tant que le permet la typographie, de deux textes signalés pour la première fois
en 1783 par Pipino dans sa grammaire piémontaise et publiés en 1827 par
Cibrario dans ses Storie di Chieri. Le plus long des deux, le statuto, est daté de
1321, mais je dois dire que j'ai toujours considéré cette date comme fort dou-
teuse. !1 se pourrait bien que ce document fût une traduction faite au xv siècle.
1. Pelay Briz, Gansons de la trrra,
2. Ou elh ; remarque la mouillure.
460 COMPTES-RENDUS
L'éditeur ne nous renseigne pas sur l'âge du ms. A la suite du texte viennent
un dépouillement grammatical et un glossaire. — P. M.].
P. 357-372. L.Bhdene, La forma metrica del « commialo » nclla canzont
italiana dei secoli XIII t XIV. [Ce mémoire expose selon un ordre satisfaisant,
mais avec trop de divisions et de subdivisions, les résultats d'un dépouillement
à peu près complet de la poésie lyrique italienne du xiii« siècle et du xiv^.
M. Biadene montre que le commiato, ou comme nous dirions en français, l'envoi,
est d'origine provençale; que cependant il n'est pas fréquent dans la poésie de
l'école dite sicilienne; qu'il a surtout été mis à la mode par Guittone d'Arezzo.
Tout d'abord, il se présente dans les mêmes conditions qu'en provençal, où,
comme on sait, l'envoi [tornada] reproduit la forme et les rimes des derniers
vers de la strophe précédente ; mais bientôt apparaissent, notamment chez Dante,
des dispositions tout autres et susceptibles d'une variation presque infinie. En
appendice M. B. cherche quel a pu être le sens primitif du prov. tornada. Il
repousse avec moi l'explication proposée par un certain Kalischer qui écrivit
en 1866, en mauvais latin, une dissertation de la dernière faiblesse sur la tornada,
et croyait retrouver dans tornada tous les sens du verbe tornar. M. B. a bien vu
qu'il fallait s'en tenir à un seul sens, mais auquel.? Il remarque que dans l'usage
populaire, la commiato ou congedo a pour synonime volta. Or Dante nous apprend,
dans un passage souvent cité et commenté de son de vulgari eloijuio, que volta,
en latin dictsis, était le point où, dans le corps d'un couplet, on passait d'une
mélodie à une autre. Par suite on a appelé volta toute la fin de la strophe à
partir du point où avait lieu le changement. Le prov. tornada^ qui au fond
signifie la même chose que l'it. volta., aurait subi, selon M. B., la même extension
de sens. Je dois dire que je ne puis me rallier à cette opinion. J'ai depuis long-
temps abandonné l'explication que j'opposais il y a vingt ans, dans la Revue cri-
tique, à celle de M. Kalischer; j'étais alors porté â voir dans tornada un syno-
nyme du fr. envoi. Je crois actuellement que tornada est tout à fait comparable
à volta, ou a ritornello, ce dernier mot aussi ayant été employé comme synonyme
populaire de commiato]; mais il faut, selon moi, prendre volta en un sens différent
de celui que Dante définit dans le de vulgari eloquio. Je crois que par tornada,
comme en italien par volta ou ritornello, on a voulu désigner un retour à la
mélodie des derniers vers de la strophe précédente. Et c'est là ce que Dante
nous apprend quand, dans le Convivio (II, chap. xii), il dit que htornata a été
imaginée pour que « une fois la chanson chantée, on y revînt avec une certaine
partie du chant », perche, cantata la canzone., con ccrta parte del canlo ad cssa si
ritor nasse. — P. M.].
P. 375. M. Mila y Fontanals, Un' alba catalana. Déjà malade du mal qui
devait l'emporter, Mila voulait cependant apporter quelque contribution au
recueil et envoyait la copie d'une charmante aubade, toute moderne, recueillie
par lui en 1865 en Roussillon.
P- 37S'39'- P- Novati. // ritmo Cassinese e le sue interpretazioni. [Tentative
ingénieuse à l'effet de donner une idée générale du sujet de ce poème, dont
l'obscurité est si grande. A tout le moins, M. N. nous semble avoir prouvé que
les diverses interprétations proposées jusqu'à présent ne sont pas acceptables.
La copie unique que nous possédons de ce poème présente des lacunes et con-
In memoria di Napoleone Caix e Ugo Angelo Canello 461
tient beaucoup de fautes, ce qui ne permet guère d'espérer qu'on arrivera jamais
à l'intelligence complète de ce poème, qui du reste, parce qu'on en peut com-
prendre, semble au fond médiocrement intéressant. C'est une suite de lieux
communs moraux comme il n'y en a que trop dans les littératures du moyen
âge. — P. M.].
P. 395-415. Fr. d'Ovidio, Dclla qiuintità pcr natura délie vocali in posizione.
On lira avec un grand intérêt ce travail plein d'esprit et de science, où l'auteur
fait l'historique de la lente découverte et de la plus lente utilisation d'une vérité
aujourd'hui si palpable, en éclaire les différents aspects et en signale les prin-
cipales applications.
P. 417-421. E. Monaci, // Trattato di poetica portoghese esistente nel canzo-
niere Colocci Brancuti. [Ce traité nous est parvenu, comme tout le chansonnier
Colocci Brancuti, en tète duquel il se trouve, dans l'état le plus défectueux.
La copie que nous possédons de ce chansonnier a été, comme on sait, exécutée
au commencement du xvi« siècle sous la direction de Colocci et revue et com-
plétéepar lui. L'original, aujourd'hui perdu, était en très mauvais état ; il y
avait des lacunes et des parties plus ou moins illisibles. Le fait est que la copie
de Colocci, bien que faite avec un souci de l'exactitude qui n'était pas général
à cette époque, est bien souvent inintelligible. L'édition publiée par M. Mol-
teni, sous la direction de M. Monaci 2, est une reproduction aussi rigoureuse-
ment exacte que le permet la typographie. Les abréviations sont reproduites,
les lacunes sont indiquées avec précision ; de sorte que cette édition vaut le
manuscrit. Mais il reste à faire, pour faciliter l'intelligence de ces textes si cor-
rompus, tout un travail de restitution, que M. Molteni, enlevé à la science par
une mort prématurée, n'a pu faire. Actuellement M. Monaci tente cette resti-
tution pour la partie la plus défectueuse, le traité de poétique. Ce travail, où il
y a beaucoup de corrections ingénieuses, n'est donné par l'auteur que comme
provisoire. C'est du moins un excellent point de départ. M. Chabaneau avait
supposé que l'auteur de ce traité avait mis à profit les Le-js d'amors. M. M.
exprime à cet égard des doutes qui me paraissent fondés. 11 est même porté à
douter que l'ancienne poésie lyrique des Portugais soit une dérivation de la
poésie des troubadours, et là encore il me semble avoir raison : du moins est-il
certain qu'on a exagéré le rapport des deux poésies. Je crois du reste que
l'opuscule si mal traité dont M. M. a tenté la restitution n'a pas une grande
valeur: c'est un travail fait uniquement d'après les poésies mêmes qui nous sont
parvenues. L'auteur anonyme ne nous dit à peu près rien que nous ne puissions
trouver par nous-mêmes en étudiant les poésies qu'il avait sous les yeux. Quand
vivait-il? Avant le xv« siècle, selon M. Monaci. Je conjecture que la composition
de son traité ne doit pas être de beaucoup d'années antérieure à cette époque et
qu'il connaissait la terminologie poétique usitée en français. En effet il se sert du
mot tulho pour désigner la forme des couplets (III, viii et IV, i, pp. 420, 421).
Or c'est précisément le sens du mot taille en français au xiv siècle et au xv.
I. Elle forme le t. II des Communicazioni dalle Bibliotheche di Roma
bibliotheche de M. Monaci; Halle, 1880, in-4'.
462 COMPTES-RENDUS
chez Eustache Deschamps, dans son Art de dicticr (éd. Crapelet, p. 278, 280),
dans le Doctrinal de science rhétorique (Arch. des Missions, I, 269) etc.' — P. M.]
P. 425-471. Gr. Ascoli, Due lettre glotlologiche . I. Di un filone italico, di-
verse dal romano, che si avverta nel campo neolatino; il s'agit surtout de/ entre
voyelles, qui n'est pas latin, mais italique, et se trouve en roman, non seulement
dans des mots qui avaient déjà pénétré en latin [sifilare)^ mais dans des mots
où le b seul est attesté en latin [bubulcus); on retrouve là la profusion de science
et d'idées habituelle à l'illustre auteur. II. Dei neogrammaiici. M. Ascoli, comme
dans sa première Leltera glottologica (voy. Rom., X, 130), tout en rendant jus-
tice au mérite et aux découvertes de certains « néo-grammairiens », montre
par des exemples puisés dans plusieurs domaines linguistiques que la prétention
de quelques-uns d'entre eux à avoir fait une révolution dans la science n'est nul-
lement fondée, et que les romanistes notamment appliquaient depuis longtemps
|es principes soi-disant nouveaux. Il revient en passant à sa théorie du « motif
ethnologique », et essaie de démontrer que le changement espagnol de /"en h est
d'origine ibérique, ce qui peut se contester surtout à cause de la date récente
du phénomène (que jusqu'au xiii" siècle on ait conservé Vf par tradition éty-
mologique, c'est fort peu probable : notez surtout la chanson polyglotte de
Raimbaut de Vaqueiras) et pour d'autres raisons encore; il donne une explica-
tion très ingénieuse du fr. hors, qui égalerait ors, extrait de dehors = de foris
{Estiene =^ Estievne = Estiévene esl une rmu\a\se analogie; escroele = scro-
f e 11 a vaudrait mieux); mais comment s'expliquerait le maintien de l'i; (il faudrait
deors, dors) et l'aspiration de l'A, qui est incontestable ? Sur la question du
développement de 0 tonique en uo, uf, of, ô {Rom., X, iji), il faudrait une
discussion que nous ne pouvons aborder ici. A propos d'une note de la Romania
(IX, 485) M. A. se demande comment expliquer Clairac si clarum a
donné cler et non clair f Bien simplement : Clairac est Clariacum et répond
au fr. du nord Clairi, Cléri ; de même clairon vient d'un type clarionem con-
servé dans \'ar\g\.'clarion et attesté en bas-latin (voy. Littré). La forme mesu-
rier =z mensurare n'est pas française, à notre connaissance, et nous ne
comprenons pas quelle conséquence en voudrait tirer M. Ascoli.
L'impression, qui ne laissait pas de présenter de sérieuses difficultés, est en
général correcte. On regrette l'absence de titres courants qui eussent singulière-
ment facilité les recherches. G. P.
Teatro espauol del siglo XVI. Estudios historico-literarios, por
D. Manuel CAfiETE. Madrid, 188$, VIII et 360 pp. in-8".
Dans ce volume M. Cafiete a réuni quatre études sur divers poètes drama-
1 . Cette expression s'appliquait originairement à la rime. On disait tailler la rime,
pour rimer:
Nus hom ne puet chanson de geste dire
Que il ne mente la ou li vers define,
As nios drecier et a tailler la rime
{La mort Aymeri de Narbonne, vv. 30)5-7)
CAfiETE, Tcatro espafwl dtl siglo x\i 463
tiques du xvi* siècle, Lucas Fernandez de Salamanque, Miguel de Carvajal de
Plasencia, Jaime Ferruz, Alonso de Terres et Francisco de las Cuebas. Les
deux premières ne sont que la reproduction textuelle — avec quelques légères
coupures, mais sans additions ni corrections — des préfaces' que l'auteur avait
mises naguère à ses éditions des Farsas y édogas de L. Fernandez et de la
Tragcdla Joscfina de M. de Carvajal 2. Quant aux deux autres, qui traitent d'un
juro de Caïn et Abel dû au poète valencien Jaime Ferruz et de deux pièces
relatives au martyre des patrons d'Alcala de Henares, S. Juste et S. Pasteur»
composées par A. de Torres et F. de las Cuebas, je ne saurais dire si ce volume
nous en offre la primeur ou si, auparavant, elles avaient déjà été publiées dans
quelque recueil périodique ; leur intérêt est d'ailleurs assez mince.
L'article sur Lucas Fernandez, quoiqu'il s'y trouve des choses fort contes-
tables ;, n'appelait pas grands remaniements, rien d'important sur l'auteur de ces
Farsas n'ayant été mis au jour depuis 1867. Pour la Joscfina de Carvajal il en
est autrement. M. Cafiete aurait pu compléter son travail, notamment sa biblio-
graphie plus ou moins raisonnée des « œuvres dramatiques antérieures à
l'année 16^0 qui ont pour sujet Thistoire de Joseph », en consultant les trois
premiers volumes du Mistére du vicl testament publié par feu le baron James de
Ko\\\sc\\M youT h Société des anciens textes française. D'ailleurs l'édition elle-
même de cette Josefina, donnée par M. Cafiete, d'après un exemplaire de
l'année 1 ^6 appartenant à la bibliothèque de Munich), est à refaire depuis qu'a
été retrouvé un autre exemplaire, jusqu'ici unique, d'une édition de !a même
pièce datée de i 540.
Je vais montrer rapidement dans quelle mesure cette découverte modifie le
texte restauré en 1870 par M. Cafiete.
L'exemplaire de l'édition de 1540, acquis il y a trois ans en Italie et que son
propriétaire actuel, M. le comte de la Sizeranne, a bien voulu mettre à ma dis-
position, est une plaquette gothique in-4" de cinq cahiers de huit feuillets chacun,
sauf le dernier cahier qui n'en a que six. 11 manque au premier cahier les deux
premiers et les deux derniers feuillets, c'est-à-dire, d'une part, le titre et pro-
bablement la dédicace de Carvajal au marquis d'Astorga, car on n'a pas de raison
de supposer qu'elle ne s'y trouvât pas, puis, d'autre part, le passage qui dans
l'édition Cafiete commence (p. 21) par les mots Hoy le qmiais la salud et finit
(p. 26) par le vers Que estas alla sin sospecha, c'est-à-dire quinze strophes : ou
même davantage, le texte de 1540 pouvant être à cet endroit plus développé
que celui de 154^' comme on le constate ailleurs. En effet, ce qui distingue
1 . Farsas y églogas al modo y estilo pasîoril y castellano fechas por Lucas Fernandez
Salmantino. Madrid. 1867, 8° [Biblioteca selecta de autans claskos espaiioles,t. III).
2. Tragedia Uamada Josefina... trobada por Micael de Carvajal. Madrid. 1870. 8'
[Sociedad de los bibliôfilos espaholes).
j. Pour la partie philologique, voy. Romania, t. X, p. 239.
4. Paris, Didot, 1879 à 1881, in-8".
5 . C'est Ferdinand Wolf qui a révélé aux savants espagnols l'existence de cette œuvre
dans un mémoire intitulé Ein spanisches Frohnleichnamspiel vom Todtentanz [Sitzungs-
berichtc d. K. K. Akad., Phil.-hist. Classe (t. Vlll, p. 1 14 et suiv.), qui a été traduit en
espagnol et imprimé dans la Coleccion de doc. inéd. para la historia de Espaùa,t. X.XII,
p. 509 et suiv.
464 COMPTES-RENDUS
surtout l'édition la plus ancienne de l'autre, c'est que les deux premiers actes
y sont beaucoup plus étendus: on y compte en tout soixante-huit strophes que
l'éditeur de 1 ^6 a omises. Au contraire les deux derniers actes sont, pour le
nombre des strophes, identiques dans les deux textes. L'achevé d'imprimer de
notre plaquette, qui se trouve au verso de l'avant-dernier feuillet du cinquième
cahier (le dernier feuillet est blanc), est ainsi conçu: « Fue impressa la pres-
sente obra I en la noble cibdad de Palencia por Diego Fernandez de | Cordova
A Costa de Juan Despinosa mercader de libres | vezion (sic) de Médina del
Campo. Acabose postrero de setiem | bre. Ano del nascimiento de nuestro senor
Jesu Christo | de mill e quinientos e quarenta anos. » | Suit la marque de l'im-
primeur, oij est inscrit son nom D. F. de Cordova et qui, par l'agencement,
ressemble assez à l'une de celles qu'employa Guillem Brocar " .
En général les strophes qu'a en plus l'édition de 1 540 ne sont pas essentielles
au sens, et en les supprimant l'imprimeur de 1546 n'a pas nui à l'enchaînement
des idées: pur remplissage ou délayage, on le concède; mais l'auteur l'a voulu
ainsi, ces strophes-là sont bien de lui et une édition définitive devrait les repro-
duire. Du reste il est un long passage de l'acte II que le second imprimeur a eu
tort de supprimer, sous prétexte probablement qu'il faisait longueur : c'est
l'explication par Josef des songes du bouteiller et du pannetier. Je les reproduis
pour donner un spécimen de cette édition de 1 540 jusqu'ici inconnue: il doit
s'intercaler après le vers Como en esta fcneceis (p. 98 de l'éd. Canete) :
Moços.
Carcelero.
Carcelero, que hazeys .?
Tornad, tornad ese preso,
y cadena de gran peso
prestamente le echareys ;
y a recaudo le porneys
con los otros criminales,
que por sus culpas y maies
encarcelados teneys.
Y bivi muy avisado
que a nadie le dexeys ver.
Carcelero.
Yo hare bien mi dever,
Senores, perde cuydado,
que, segun lo qu' e alcançado,
el deve ser mal hechor.
Moços.
Antes es muy gran traydor;
tenelde a muy buen recaudo.
Amigo, pues tu ventura
a esta carcel te a traydo,
tu seras de mi servido
por ver tu gran hermossura;
que bien muestra tu figura
ser sin culpa tu prision.
En ti no reyne passion,
mas todo plazer procura.
Y pues no mereces pena,
que no as hecho maleficio,
aunque sea contra mi oficio,
no quiero tengas cadena.
Passeate nora buena
y huelga y toma plazer,
que tu vida deve ser
de toda virtud muy llena.
Y pues vienes fatigado,
recibe algun refrigerio
conque en este captiverio
des consuelo a tu cuydado.
I. Voy. p. Salvâ, Catàlogo, n' ii^z.
CAfiETE, Teairo espanol delsiglo XVI
465
Come, amigo, algun bocado,
alcança destos manjares
y todo quanto mandares
hare por ti de buen grado.
Josef.
Carcelero, yo no siento
como te pueda pagar
la merced tan sîngular
que me as hecho y tratamiento.
El pago, a mi pensamiento,
que dare a tu gran virlud :
sera con la gratitud,
segun tu merecimiento.
Carcelero.
Porque, segun tu bondad,
deves ser hombre de ley,
con el copero del rey
quiero tengas amistad.
Josef.
De aquessa suerte, en verdad,
podre dezir con razon
la que tengo no es prision
sino dulce libertad.
Copero.
Amigo, seas bien llegado,
y porque fue tu prision ?
que en verdad y con razon
a todos nos a pessado.
Josef.
Hermanos, por mi peccado;
que mi gran dios lo a qucrido
y pues él d' ello es servido
sea bendito y alabado.
Que por seguir la virtud
soy puesto entamana afrenta.
Copero.
Por cierto que me contenta
muy mucho tu joventud.
Josef.
Dios conserue tusalud
y libre desta prision.
Copero.
Y a ti tambien, que es razon,
pues sigues la gratitud.
Tus lenguajes muestra dan
no deves ser Egypciano.
Roinania, XV.
Josef.
No, si plugo al soberano,
que hebreo soy deChanaan,
de la casa de Abrahan
desciendo por lina reta,
enemigo de la seta
gentilica sin desman.
Copero.
Pues toda sciencia y saber
los judios alcança ys
y la ventaja Uevays
en secretos conocer,
hazme, amigo, este plazer
que un sueno que yo he sonado,
que me tiene congoxado,
tu me lo des a entender.
SueFio del copero.
De très sarmientos soiîava
que unos razimos nacian,
y del uno que salian
razimos me figurava
tan hermossos que bastava
vendimiarse, segun ley,
y que en la copa del rey
tras esto los estrujava.
E yo con gran cortesia,
como siervo muy leal,
a la persona real
aquel mosto le ofrecia,
y el rey con gran alegria
no tardava en lo bever.
Amigo, da me a entender,
si alcanças, tal fantasia.
Josef.
Hermano, sin mas dezir,
yo quiero luego de grado
desse sueiïo que as sonado
el secreto descubrir.
Tu sabras que sin mentir
en très dias y no mas
de prision suelto seras
y al rey yras a servir.
Porque a él mucho le a plazido
tu servicio do estas,
en su servicio seras
muy presto constituydo.
De oy mas tu pon en olvido
tus tiistezas y passiones,
porque ya de las prisiones
saldras con gozo crecido.
30
466
COMPTES-RENDUS
Copero.
Es verdad nueva tan buena,
amigo, como as contado ?
Y aquesto es lo que he sonado
en mi prision y cadena ?
Esta no es cosa terrena,
sino gran divinidad.
JoseJ.
Bive Dios, que esto es verdad !
Por tanto ten buena cena.
Y pues esto passa assi,
ruego te, si tu quisieres,
que, quando suelto te vieres,
que tu te acuerdes de mi,
pues sabes que estoy aqui
sin culpa en esta prision.
Copero.
Por cierto tienes razon ;
yo hare esso y mas por ti.
Que obra de tal condicion
no se puede assi pagar
»in contino hombre quedar
en perpétua obligacion;
cierto tu ères gran varon
y gran espiritu alcanças,
tu mereces alabanças
y densete, que es razon
Que mereces mucha gloria,
y por tu sciencia y bondad
en toda prosperidad
yo terne de ti memoria ;
quiero contar tal historia
a questotros companeros
que estan aqui prissioneros
porque a todos sea notoria.
Hermanos, hago saber
qu'este presso que aqui veis
los que no lo conoceys
le deveys de conocer ;
porque bien podeys créer
que es el moço mas prudente,
mes (sic) sabio, mas eccelente
que jamas podra aver.
Que un sueno me a tenido
congoxoso y fatigado,
por cierto el lo a declarado.
como hombre en tod: sabido.
Panadero.
Pues saber tan ascondido
diz que tienes no pequeno,
declarame a mi otro sueîio
que me tiene ora afligido.
Josef.
Amigo, di de buen grado
que, mediante mi gran dios,
yo sîtisfare a los dos
lo que me aveys demandado.
Panadero.
Dime que a significado
lo que en la noche passada
tray mi vida tan penada
que me a puesto en gran cuydado.
Sonava con gran afan
sobre mi cabeça yr piiestos
aquesta noche très cestos
y los dos Uenos de pan
y el tercero con desman
lleno de muchos menjares,
muy ricos y singulares,
quales a reyes se dan,
y que, bolando las aves,
todo melo avian Uevado.
Josef.
Hermano, tu me as contado
cosas estranas y graves
y nada seran suaves
para ti , segun yo pienso.
Panadero.
No me tengas mas'suspenso,
abre, pues tienes las llaves.
Josef.
Amigo, mucho quisiera
de otra cosa muy mejor
serte yo el declarador
que tu servicio cumpliera,
y nueva tan lastimera
no quisiera dedararte,
mas mejor es avisarte
pues passa de tal manera.
Los dos cestos que as sonado
muestran claro que sabras
que solos dos dias no mas
de vida a ti te an quedado;
y el letrero que as contado
es cierto tal fantasia
mostrar que al tercero dia
tu seras crucificado.
CAfiETE, Teatro espafiol ciel siglo XVI 467
Do, sin remedio tener y tn verdad quisiera ser
por tos delitos tan graves, interprète de tus bienes,
seras manjar de las aves mas perdoname y no pênes
te hago amigo saber ; que al no se puede hazer.
Pour la partie commune aux deux éditions, la plaquette de 1 540 donne sou-
vent une meilleure leçon ou même la seule bonne leçon. Voici quelques
exemples.
Dans le boniment que le héraut débite au début de la pièce figurent quelques
phrases en allemand, en italien et en Irançais. 11 est évident qu'il prononce là
des paroles qu'il n'entendait qu'à moitié; il les reproduit telles qu'il croyait les
avoir entendues. L'allemand surtout est obscur; on y reconnaît quelque chose
comme Es is gui ^ Hcrr ... danke, gulliebcr Herr, Hcrr liebcr Lanzeman. Mais le
français, très altéré dans l'édition de 1 546 : perla sandi akhusan donami balUsa
dd bon Vin, peut-être restitué à l'aide de la nôtre : Par le san Dieu, aies vous
an, won ami; baillés ça du bon vtn. Plus loin, dans le même prologue, l'édition
de 1540 ajoute, après le mot representar, la mention en este pueblo, et ceci porte
à croire que la première représentation du drame n'a pas eu lieu, comme le
voudrait M. Canete, en la cité de Plasencia.
L'Envie entre en scène au premier acte et dit un prologue, bien certainement
imité de celui de la Vcndilion de Joseph '. où se lisent ces vers: Cuatro jurias
infernales, Mis hijas, les dejo al lado : El pesar del prospcrado, El placer del
abatido, Maldecir contra elsubido, Odio contra el abonado. Ici abonado n'a pas
de sens et de plus avec ce mot l'antithèse disparaît. Lisons avec i ^o: abaxado.
— P. 59. Aux vers obscurs et qui ont à juste titre embarrassé M. Cafiete:
Pues eus bien de las bier.es, Ejecuta tantos maies, il faut maintenant substituer
ceux-ci: Porque del cielo no vienes A secutar tantos maies ? — P. 61. L'homme
n'est pas Delodo y pobre nascido., mais de lodo y poho a de boue et de pous-
sière ». — P. 64. Le vers manquant est: Do estava la fortaleza. — P. 73.
Prologue du deuxième acte. La fin est ainsi conçue dans 1 540;
« El auctor, como es algo grossero y tosco y sabe poco de amores, os pide perdon y
os suplica le perdoneys si este passe no fuere tan caliente que baste a calentar a todos :
aun creo que noavra ninguno, por frio que sea, que no sienta calor. El auctor hizo
sus diligencias que fue procurar personas sufficientes y abiles que le adestrassen en esta
cosa, y no hallo sino Celestina, y tomarse a como se hallare. » a Quiero me yr,
porque esta senora anda salida, y creo querra salir y pesar le a de mi tardança. »
P. 84. Le vers manquant est dans 1540: Larga vida te concéda. — P. 91.
La transposition de darme était inutile; il faut lire: 1 Porque me quies (pour
qiiieres) dar enojos. — P. 101. Le début du prologue est tout autre dans 1 540:
4 Senores, yo vengo algo vergonçosso y muy alterado : vergonçoso por ver las faltas
passadas, ansi en los repressentantes como en los oyentes ; alterado, por veros alterados,
Voy. le Mislere du Vid Testament, éd. J. de Rothschild, t. Il, p. 343.
408 COMPTES-RENDUS
y como ya enhadados, suplicos no me hagays tal afrenta, porque yo he repressentado
en el coliseo romano y en Bolonia ante el Papa y Emperador, y en Augusta y en
Bohemia ante el Rey de Romanos, y en Londres ante el Rey de Inglaterra, y en Paris
ante el Rey de Francia, y en Napoles ante el Senor Virrey e principes, y enConstanti-
nopla ante el Gran Turco, y en Lisbona ante el Rey de Portugal, y en el Campo ante el
seiior Marques del Gasto, e siempre gratamente largas seys oras con atencion he sido
oydo. Aqui, segun estays mostrados a rebatar un sancto y degoUalle', pues hagos sabei"
que ya no ay sancto que merezca muerte ».
Et plus loin dans le même prologue: Hoy «el autor no quiere joyas ni presas
ni dinero. p II faut lire preseas. — P. 1 53. Le vers fautif dans 1 546 doit être
rétabli ainsi : « Gozc yo de vueslra gloria. — Enfin le congé donné aux spec-
tateurs à la fin de la représentation ne peut-être : Jesuchristo bonis avibus,
mais : Ilo bonis avibus.
Il résulte, je le pense, de ces Quelques remarques, qu'une édition nouvelle de
la Josefina, si on la donne jamais, devra avant tout reproduire le texte plus
complet et souvent plus correct de l'exemplaire de 1540 acquis par M. de la
Sizeranne. L'édition de M. Caiïete, quoique établie avec beaucoup de soin, ne
nous livre qu'un abrégé et un remaniement de l'œuvre de Miguel de Carvajal,
œuvre dont le mérite littéraire est incontestable, encore bien qu'il ait été un
peu exagéré par l'académicien espagnol.
Alfred Morel-Fatio.
I. \\lus\on anx comedias de santos. Il doit manquer quelques mots ici. « Vous qui
êtes habitués à enlever un saint et à l'égorger, vous pourriez bien prendre un peu de
patience », ou quelque chose d'approchant.
PÉRIODIQUES
I. — Revie des langues romanes, 5« série, XIV; septembre 188^. —
P. 105. Chabaiieau, Paraphrase des psaumes de la pénitence, commentaire d'un
texte publié dans le n» d'aoiît 1881; voy. Romania, X, 620. En appendice
M. Ch. réimprime une courte dissertation de Scaliger sur les dialectes romans
de France (Diatriba de hodicrnis Francorum linguis), qui, sans nous rien apprendre
que nous ne sachions beaucoup mieux, porte l'empreinte de l'esprit pénétrant
du grand philologue. On y lit que les Bas Bretons peuvent s'entendre, sans
interprète, avec les Gallois, assertion souvent répétée, qui maintenant est cer-
tainement inexacte et qui l'était sans doute déjà du temps de Scaliger. —
P, 118, Chabaneau, Le romanz de saint Fanuel et de sainte Anne et de Nostre
Dame et de nostre Segnor et de ses apostres (premier article). Ce sont deux
romans pieu.x qui se suivent assez naturellement, puisque le premier {saint
Fanuel) est le récit de la naissance miraculeuse de sainte Anne, mère de la
Vierge. Ils ont été l'un et l'autre souvent signalés, maison n'en avait publié que
des extraits. Saint Fanuel a été intercalé en d'autres romans pieux. On en
trouve notamment une partie dans le texte de la Conception de Wace que
contient le ms. Add. 15606 du Musée britannique dont j'ai donné la descrip-
tion dans le t. VI de la Romania. J'avais négligé de signaler cette importante
interpolation dans ma notice. M. Reinsch a publié dans VArchiv de Herrig,
t. LXVII(i882), p. 263 et suiv., la légende de saint Fanuel telle qu'elle se
trouve dans ce ms. M. Chabaneau donne, dans le numéro dont nous rendons
compte, la bibliographie des mss. en se servant des travaux antérieurs de
M. Reinsch et de M. Bonnard. Cette bibliographie est loin d'être complète
et d'être faite avec la précision nécessaire. M. Ch. semble croire (p. 119) que
A, c'est-à-dire la vie de saint Fanuel, ne se trouve pas dans les mss. fr.
1535 et 1768 delà Bibl. Nat. et dans le ms. d'Arras. Il s'y trouve certaine-
ment, comme l'indiquent les catalogues imprimés. Le même poème se rencontre
encore dans le ms. de la Bibl. Nat. fr. 2815 que ne mentionnent ni M. Ch.
ni ses devanciers. Quant au second poème (Z?), celui qui raconte l'histoire de
Notre Dame et de Jésus (inc. : Qui Dex aime parfitement], il se trouve, en
outre des mss. jusqu'ici signalés, dans le ms. 147 de Rennes, où il est isolé,
voir le catalogue rédigé par D. Mallet (Rennes 18371, P- '22; dans le ms. de
l'Arsenal 5201, pages 87 à 136; dans le ms. précité 2815, où il est rattaché
(fol. 197 ^) à la vie de saint Fanuel, comme en d'autres mss. et particuliè-
470 PÉRIODIQUES
rement dans celui de Montpellier, et ailleurs encore. De plus, la fin de ce
même poème se trouve copiée à part, sous ce titre: a le Trespassement
Nostre Dame », dans le ms. Bibl. nat, fr. 1807, fol. 174. Voici le début de ce
morceau, en regard de la leçon du ms. de Montpellier.
Montpellier (v. 3668 et suiv.) Paris, Bibl. nat., n" 1807.
Après la sainte passion Grant tans après la passion
Ert Nostre Dame en sa maison Estoit Nostre Dame en maison
En Nazareth ou el fu née Seule en .j. lit priveement
Molt corrocie et molt irée, Et prist a plorer tendrement;
Por desirrierdel roi autisme Pour dousor et pour desirier
Se dementoit a soi meïsme. De son douz fiz qu'avoit tent (sic) chier
• Forment », feit el, « désir que fusse Se dementoit a soi meïsme :
» Ou mon chier fix veoir peùsse, « Forment désir que je la fusse,
(i La ou il est, en paradis « Ou je mon fiz veoir peùse.
(I Que il otroie a ses amis. » « Biaus sire fiz, reguarde moi,
« Fes que fusse oveques tai {sic)
« La ou tu ies, en paradis
t Que promesis a tes amis. »
A première vue la leçon de Montpellier semble abrégée. Puis le « Tres-
passement Nostre Dame » forme-t-il un poème par soi, ou est-il simplement
un extrait.? Il reste, comme on voit, bien des points à élucider. — P. 124-8,
L. Lambert, Contes populaires du Languedoc (suite). — Bibliographie. Nizier
du Puitspelu, Très humble essai de phonétique lyonnaise (Clédat ; cf. Remania,
XIV, 317). — Clédat, La Chanson de Roland (Constans; cf. ci-dessus, p. 138).
Octobre-décembre 1885. — P. 158. Chabaneau, Le Romanz de saint Fanuel
et de sainte Anne et de Nostre Dame et de Nostre Seignor et de ses apostres (suite).
Texte du ms. de Montpellier. Deux lacunes, l'une au début du'premier poème,
l'autre dans le courant du second, ont été comblées la première à l'aide d'un
ms. de Berne, la seconde à l'aide d'un ms. de Paris. C'est à tort que M. Cha-
baneau a donné une numérotation continue aux deux poèmes. Le second, qui
est bien distinct du premier, commence au v. 85 1 (Qui Dex aime parfitement). La
délivrance de la Vierge, avec l'aide de « sainte Agnetese », y est contée comme
dans le mystère provençal de la Nativité de Jésus; voir Rom. XIV, 497. Nous
remarquons dans ce poème un fait singulier. L'auteur (car il ne semble pas
qu'il y ait en cela erreur du copiste) paraît avoir été si satisfait des vers par
lesquels il a rendu la célèbre comparaison de la conception de Jésus avec le
passage de la lumière à travers un verre, qu'il les a répétés deux fois, v. 963-
72 et v. 15^9-66. Cette édition, que nous ne pouvons apprécier puisque les
notes qui doivent l'accompagner n'ont pas encore paru, ne saurait être que
provisoire, l'éditeur n'ayant eu à sa disposition qu'un seul des nombreux mss.
qu'on possède de ces deux romans. Faisons observer dès maintenant que le ms.
reproduit par M. Ch. donne une leçon incomplète de la fin. Il y manque
près de 250 vers. — P. 2^9-282, Chabaneau, Deux lettres inédites de Pierre Je
Chasteuil Gdlaap. Ce sont les deux lettres relatives aux troubadours que j'ai
signalées ici-même (XIV, 633) d'après le catalogue des mss. de Nîmes
PÉRIODIQUES 471
rédigé par M. Molinier, Comme je l'ai dit alors, j'en ai une copie, prise il
y a bien des années, sur un exemplaire manuscrit appartenant à la Bodiéienne.
Ces lettres, examinées de près, m'ont paru dénuées d'intérêt, et je vois avec
plaisir que M. Chabaneau, qui les publie aujourd'hui, partage mon opinion.
— P. 509. CIcdat, Une correction an texte des Serments de Strasbourg. Il s'agit de
lire: « et in adiudha er in cadhuna cosa », cr au lieu d'et du ms. C'est une
correction acceptable, bien qu'elle ne s'impose pas, mais peu nouvelle. Chaque
année, dans mon cours de l'Ecole des Chartes, je la signale, en en faisant
honneur à celui qui, longtemps avant M. Clédat, l'a proposée, à Bonamy,
auteur d'un mémoire bien connu sur les Serments publié en 1749 dans le
t. XXVI des Mémoires de l'Académie des Inscriptions (voy. p. 647).
P. M.
II.— RivisTADELL.\ Letteratura iT.\LiANA, diretta da T. Casini,S. Mor-
PURGO, A. Ze.n.'Vtti, Roma e Firenze'. In-4, à deux colonnes; six numéros
de trente-deux colonnes par an. — Cette revue, dirigée par trois jeunes érudits
dont deux ont figuré un instant parmi les fondateurs du Giornale storico délia
Letteratura Italtana (voy. Roni.,X\, 627), est une preuve nouvelle de l'ardeur
et en même temps de la critique avec laquelle se poursuivent les études sur la
littérature italienne. Il est bien difficile maintenant qu'un livre concernant l'Italie,
fût-il mauvais (peut-être faudrait-il dire, surtout s'il est mauvais), échappe
à un examen .sérieux. Le Giornale storico, qui a pourtant une excellente biblio-
graphie, aura désormais dans la Rivista un complément utile. Aux comptes-
rendus, qui nous ont paru émaner d'hommes parfaitement compétents, s'ajoutent,
en chaque numéro, d'intéressantes notices sur divers points d'histoire littéraire.
Le manque de temps et I abondance croissante des matières nous ont empêchés
jusqu'ici de signaler ce nouveau recueil A l'attention de nos lecteurs: nous
ferons en sorte d'annoncer désormais les numéros au fur et à mesure de leur
apparition. Nous ne mentionnerons que les articles concernant le moyen âge.
1884, n» 1. — A. Bartoli, Storia délia Letteratura ttaliana, vol.Vll, Petrarca
(Torraca). — L.CappeWetù, Storia délia Letteratura italiana (Casini ; art. justement
sévère). — A. Capelli e S. Ferrari, Rime édite ed inédite di Antonio Cammelli dette
il Pistoia (Morpurgo). — Opérette inédite 0 rare pubblicate dalla libreria Dante,
Firenze (Casini; art. intéressant. Il fallait dire que la publication n" 2, Index
bibliothcc£ Medicece, laisse beaucoup à désirer, et que les textes latins édités dans
\ts Carmina medïi xvi sonih'xenhnùh. Mais en somme, cette collection, fort
élégamment imprimée, est intéressante). — J. Ulrich, Recueil d'exemples en
ancien italien (Monaci; critique sévère, mais juste, de la publication faite
dans la Romania, XIII, 27 et suiv., par M. Ulrich). — N. Lundborg, Studi sut
congiuntivo nella Divina Commcdia (Setti; dissertation inepte présentée à l'uni
versité de Lund). — Lumini, Dante e gli Aretini (Zenatti; très faible).
I. Rome, librairie Manzoni; Florence, Piazza d'Arno, i. Prix de l'abonnement. 6 fr
par an.
472 PÉRIODIQUES
N'^ 2. — L.Morandi, Origine délia lingua italiana (Frati; très médiocre dis-
sertation).— F. Torraca^ Studi di storia letleraria napoletana (Zenatti; très favo-
rable). — Zambrini, Le opère volgari a stampa^ quarta ediz. (Carducci; indique
à mots couverts, et avec bienveillance, les graves défauts de cet ouvrage. —
Ferrai, Lttterc dicortigiane del sec. XVI (Casini; édition très inexacte). — Poggio,
Facezie (Gentile; mauvaise traduction). — A. Tobler, Das Bach des Uguçon da
Laodho (Morpurgo). — G. Guasti, Le /este di S. Giovanni Batista in Firenzt
(Morpurgo). — Variétés G. Biagi, // Decamerone giudicato da un contemporaneo
(Document contemporain, extrait par M. Biagi d'un ms. de la Bibl. naz. de
Florence).
N" 3. — D'Ancona e Comparetti, Le Antiche rime volgari, vol. III (Casini;
observations intéressantes sur le caractère de la poésie de Ghiaro Davanzati). —
Monaci, Sui primordj délia Scuola poetica siciliana da Bologna a Palermo (Gasini;
ne considère pas la question comme résolue; et. Remania, XIV, 297). —
A. Tobler, Die Berliner Handschrifl des H uon d'Auvergne (Gasini).— A. Mussafia,
Mitlheilungen aus romanischen Handschriftcn, I (Zenatti). — Poésie édite cd inédite
di Lionardo Giustiniani, per cura di B. Wiese (Gasini ; art. plein d'observations
techniques sur la versification). — Quattro Canzoni popolari del sec. XV (Mor-
purgo; publication per nozze). — Variétés. Monaci, Per la storia dclla ballata.
— Gasini, Un provcnzalista del sec. XVI. Il s'agit d'un certain Bartolomeo
Gasassagia dont on possède une traduction inédite de plusieurs pièces d'Arnaut
Daniel et deFoIquet de Marseille; cf. n» ^, col. 1 57-8.
N» 4. — Gaspary, Geschichted. Italiemschen Literatur (Morpurgo; art. appro-
fondi et généralement favorable). — G. Paris, Le lai de l'Oiselet (Teza ; quelques
additions aux recherches de l'éditeur). — E. Sola, // Padiglione d'Atila ; fram-
mento inedito del poema italico Atila flagellum Dei, composta in francese da Nicolo
da Casola (Gasini; très faible; cf. Romania, XIV, 174).
N° 5. — L. Rigutini,La unità oriografica délia lingua italiana (Straccali). —
Di Giovanni, Ciulo d'Alcamo, ladefensa, li agostari e il giuramento del Contrasta
anteriori alla costituzione del regno del 12 ^yi ; Salvo Gozzo, Ciullo d'Alcamo 0
Cielo dal Camo?; L. Natoli, // contrasto di Cieto dal Camo (Gasini; écrits qui
n'apportent aucune solution acceptable à des questions dont on commence à se
fatiguer). — Gellrich, Ueber die Qiiellen welche der in der Intelligenza enthaltenen
Erzœhlung derThaten Cdcsars zu Grunde liegen (Frati; M. Gellrich croit que
l'auteur de Vlntelligcnza s'est servi du texte français du Fait des Romains et
d'une des versions italiennes; supposition qui nous paraît très contestable.
Du reste M. G. ne connaissait qu'imparfaitement le Fait des Romains; il lui
est maintenant possible de se mieux renseigner depuis que la Romania (XIV, i)
a publié un mémoire sur cet ouvrage, — Poésie giocose inédite 0 rare pubbli-
cate per cura del dott. A. Mabellini e precedute da un saggio sulla poesia
giocosa in Italia di Pietro Fanfani (Morpurgo; l'essai de Fanfani est arriéré
et sans valeur, comme tout ce qu'a écrit ce fougueux partisan de M. Schasffer-
Boichorst dans sa campagne contre Dino Compagni, et le recueil lui-même est
fait sans méthode). — Variétés. Otium sencnse ; lettre de M. Teza à M. Garducci
contenant diverses notes sur des sujets variés d'histoire littéraire.
PÉRIODIQUES 47J
N° 6. — L. Frati, La Buca di Monteferrato, lo Studio di Atcne c il Gagno,
potmdli satina dd xv secolo, di Stcfano di Tommaso Finiguerri (Morpurgo ;
poèmes médiocres composés vers 1410). —G. Antonelli, Indice dci manoscritti
délia civica bibliotcca di Ferrara, parte I (C. Frati). — A partir de ce numéro,
la Rivista contient un Bollettino bibliograficodans lequel sont brièvement annoncés
et appréciés les ouvrages auxquels il n'a pas paru à propos de consacrer un
article approfondi.
188^. N° I. — L. Morandi, Antologia dclla nostra critica letteraria moderna
(Morpurgo). — Canzonette antiche {ZemlX]; recueil formé d'éléments très dis-
parates par M. Alvisi.) — Fr. Ettari, // giardeno di Marina lonata Agnonese,
poema de! sec. xv (F. Torracal. — E. Gerunzi, Pietro de' Faytinelli detlo Mu-
gnone e il moto di Uguccione délia Faggiola in Toscana^ studio storico-critico
(Morpurgo). — Variétés. Dante a San Cemignano. — Un nuoro documento di
Cino da Pistoia.
N° 2. — G. Baccini, Le facczic dcl piovano Arlotto, precedute dalla sua vita
ed annotate (Medin; médiocre). — A. Piumati, La vita e le opère di Dante
Alighieri; le même, La vita e le opère di Francesco Petrarca (Casini). — A
Gloria, Un errore nelle edizioni délia divina Commedia ; uno nci Vocabolari
(Crescini; il s'agit de Par. IX, 46-8). — A. Zanelli, Le schiave orienlali a
Firenze nei sec. XIV e Xr(Morpurgo]. — Variétés. Iczz^Otium senense, II.
No 3. — G. Finzi, Sow.mano dclla storia délia letteratura italiana compilato
ad uso délia scuole secondarie (Casini ; nombreuses erreurs). — F. Torraca,
Cola di Rienzo e la canzone 0 Spirto gentil » di Fr. Petrarca (Morpurgo). —
Rime inédite di un cinquecentista, da un codice Ashburnhamiano, a cura di Pio
Ferrieri (Zenatti ; ce ms. est le n" 606 de la collection Libri, le cinquecentista
est Lorenzo Strozzi). — G. Porro, Catalogo dei codici manoscritti délia Trivul-
ziana (Morpurgo; catalogue d'une importante collection privée ; il est regrettable
qu'il ait été disposé selon l'ordre alphabétique des auteurs, ordre qui ne saurait
convenir à un catalogue de manuscrits). — L Biadene, // collegamento délie
stanze mcdiante la rima, nella canzone italiana dei sec. Xlih XIV (Casini).
N° 4. — T. F. Crâne, Mediaval sermon Books and Stories (Teza). —
G. Pitre, Curiosità popolari tradizionati iZenMi). — L. Biadene, Las Razos
de Trobar e lo Donatz proensals (Casini ; relève beaucoup d'inexactitudes dans
cette édition; cf. Romania, XIV, 616-8). — Variétés. E. Larama, Di un codice
di rime dei sec. XIII (le ms., qui est un simple fragment de 17 feuillets, est
daté de 1491 ; il contient diverses pièces, connues d'ailleurs, de Guinizelli, de
Dante, de Frescobaldi, etc.).
N° 5. — R. Renier, // tipo estetico délia dona nel mediocvo (Morpurgo;
conteste la thèse de l'auteur, et produit divers textes qui lui sont restés in-
connue). — P. Ercole, Guida Cavalcantie le sue rime (Casini; en grand progrès
sur l'édition publiée en 1881 par M. Arnone). — V. C\an, Ballate e strambolli
dei sec. AT (Biadene; nombreuses remarques sur la langue et sur la versification
de ces pièces) .
N° 6. — // teatro italiano dci sec. XII f, XIV e XV, a cura di F. Torraca
(Casini ; favorable). — C. Ricci, Cronaca bolognese di Pietro di Marliolo:
474 PÉRIODIQUES
le même, Framminto délia Cronaca bolognese di Prête Giovanni (Casini). —
Max Laue, Ferreto von Vicenza, seine Dichtungen u. sein Geschichlswerk (Rœdiger).
— A. d'Ancona, L'arte di dire in rima; sonetti di Ant. Pucci,extra'\t delà Miscel-
lanea CaixCanello (Morpurgo). — G. Mignini, Le tradizioni délia epopea caro-
lingia neW Umbria (Zçmtù). — Les douze n", de 1884-5, sont accompagnés
d'une table détaillée.
P. M.
m. — Bulletin de la Société des anciens textes français, 1886,
n" I. — P. 41-76. P. Meyer, Notice du ms. 535 de la bibliothèque municipale
de Metz, renfermant diverses compositions pieuses (prose et vers) -^en français. La
description de ce ms., dans le t. V du Catalogue général des manuscrits des
Biblwthlques publiques des départements, bien qu'imparfaite, puisqu'elle ne men-
tionne qu'un très petit nombre des traités, sermons ou poésies dont il se com-
pose, et n'en identifie aucun, permettait toutefois d'en soupçonner l'importance.
La notice détaillée publiée dans le Bulletin distingue dans ce ms. 57 opuscules
dont le premier est le traité incomplet du début, intitulé ordinairement « le livre
du paumier », ou « le sermon du paumier », et dont le dernier est une copie
incomplète de la fin du « Doctrinal Sauvage ••, à ajouter aux exemplaires ma-
nuscrits du même poème énumérés dans la Romania, VI, 21. Le même ms.
renferme une copie jusqu'ici inconnue du curieux traité des quatre temps d'âge
d'homme, de Philippe de Navarre, dont la Société des anciens textes publiera
prochainement la première édition. D'ailleurs presque tous les textes en prose
ou en vers, que contient le ms. de Metz, étaient inconnus. On remarquera dans
le nombre un certain nombre de chansons pieuses, composées vraisemblable-
ment sur le modèle de chansons profanes. C'est du moins ce qui est démontré
pour l'une d'elles (n» 42) qui est imitée d'une pastourelle du duc de Brabant,
publiée en dernier lieu par M. Scheler [Trouvères belges, I, 46). Beaucoup des
pièces contenues dans ce ms. sont, selon toute apparence, d'origine messine. On
arrivera peu à peu, par des investigations bien conduites, à constater que Metz
a été au xiii« siècle pour la littérature vulgaire, particulièrement dans le sens
religieux, un centre véritablement important.
IV. — Bulletin de la Société dunoise (Archéologie, histoire, science
et arts) n' 69, juillet 1886, Châteaudun, libr. Pouillier. — P. 219-235.
Ch. Cuissard, Epitres farcies pour les fêtes de saint Etienne et de l'Epiphanie. Ces
deux épîtres sont tirées du ms. d'Orléans, n» 96, provenant deFIeury-sur-Loire.
La première est bien connue. C'est la pièce Entendez tuit a cest sermon \ Et clerc
et lai tuit environ, qui commence par huit vers rimant en ors et se poursuit en vers
accouplés. Elle a été mainte fois publiée, et récemment M. E. Langlois en a
édité un texte tout en quatrains, par conséquent fort différent, d'après un ms.de
Rome (voy. ci-dessus, p. 153). La seconde épître, que je ne me rappelle pas
avoir rencontrée ailleurs, commence ainsi :
Lectio Ysaie"^ prophète.
isaïe, le fix Amos,
Fist ceste leçon, fist ces mos.
PÉRIODIQUES 475
Bon sunt li mot, bon sunt li son.
Chrestienne religion
Les tient, les| croit et croire doit,
En créance... et en droit,
Dont sainte Eglise rtsplendist
A qui saint Ysaïes dist ' :
Surgc, illuminare Jérusalem...
Tout en sachant gré à M. C. de sa publication, on ne peut dissimuler qu'elle
trahit beaucoup d'inexpérience. Le texte contient des lectures défectueuses qui
auraient pu être amendées par la comparaison avec les éditions antérieures qu'on
a de la même pièce. Le commentaire contient plusieurs erreurs. Par exemple,
qui primkrs conquist a durs cos est traduit par « le premier il a conquis les
cœurs durs »; mais cos signifie « coups. » L'introduction laisse aussi bien à
désirer. On y lit (p. 223) que Lambers li cors est l'inventeur du vers alexandrin.
Il n'est plus permis d'ignorer que l'auteur de la troisième branche du roman
d'Alexandre s'appelait Lambert li tors., et que les vers de douze syllabes étaient
usités avant lui.
P. M.
Ces vers sont mal coupés dans l'édition de M. Cuissard (p. 232).
CHRONIQUE.
La Société des anciens textes français va publier deux volumes qui com-
pléteront l'exercice i88$ avec le tome II des œuvres de Philippe de Beauma-
noir. Ces deux volumes sont: i" Trois versions en vers de l'évangile de Nicodéme
publiées par MM. G. Paris et A. Bos ; 2° Fragments d'une vie de saint Thomas
de Cantorbery en vers accouplés^ publics pour la première .fois d'après les feuillets
de la collection Goethals Vercruyssc^ avec fac-similé en héliogravure de l'original,
par M. P. Meyer. Ces fragments se composent de quatre feuillets ornés de
magnifiques miniatures. La Vie à laquelle ils appartiennent était restée jusqu'à
présent inconnue. Elle n'a comme document historique qu'une valeur très
secondaire, étant rédigée, comme l'éditeur le montre, d'après la compilation
latine connue sous le nom de Quadrilogus. Ce n'en est pas m.oins un fort curieux
document de la poésie française en Angleterre. En même temps sera distribué
le t. V du Mistere du Viel Testament.
— M. Johann Storm a rédigé pour le tome XX de VEncyclopadia Britannica
un article intitulé Romance languages, qui comprend seize colonnes. On y trouve
des idées fort intéressantes, quoique çà et là prêtant à la contestation, sur l'his-
toire du latin. L'auteur insiste plus que nous ne l'aurions fait sur la ressem-
blance du néo-latin avec le latin archaïque. La partie consacrée aux langues
romanes en elles-mêmes paraîtrait un peu courte, si YEncyclopxdia ne contenait
pas des articles spéciaux sur chacune d'elles. Ces articles sont les suivants:
Frfnc/!, par H. Nicol ; Italian, par M. Ascoli ; Provençal^ par Paul Meyer.
L'article Spanish language and littérature, qui comprend aussi le catalan, sera
rédigé par M. Morel-P'atio.
— Notre collaborateur M. le professeur F.-A. Wuiff, qui a fait, ce prin-
temps, divers travaux à la Colombine de Séville, a bien voulu nous adresser
la collation du ms. de celte bibliothèque qui renferme le Gardacors et le mystère
provençal, publiés dans le tome précédent de la Romania d'après le ms. Libri.
Cette collation, qui comble la lacune que nous avons signalée p. 506, paraîtra
dans un de nos prochains numéros.
— Depuis que la consultation de Maître Jean Le Fevre est imprimée (ci-dessus,
p. 181), j'ai remarqué dans le dit d'Eustache des Champs intitulé « Notable
enseignement pour continuer santé en corps d'homme» (éd. Crapelct, p. 165
et suiv.), certains conseils d'hygiène qui ont beaucoup de rapport avec ceux
CHRONIQUE 477
du médecin de Montpellier, les uns et les autres ayant probablement été puisés
à une même source. Il réprouve, comme J. Le P'evre («i 3), l'usage des poissons
« limoneux» Crapelet, p. 167), des oiseaux aquatiques (p. 164, cf. Le Fevre
§ 4), du lièvre (p. 163, Le Fevre jJ 7), des châtaignes et autres fruits (p. 164;
cf. Le Fevre >;?; i, 17), des viandes salées (p. 164, Le Fevre ?i 10). Il ne veut
pas qu'on se couche sur le dos p. 170; cf. Le Fevre § 18). Il recommande le pain
bien cuit sentant un peu son levain (p. 164, Le.P'evre, §§ 20, 23), etc. — P. M.
— Je n'ai point trouvé l'original du miracle opéré par la vertu d'un trente!
publié ci-dessus, p. 282, mais je puis signaler un poème anglais du xv' siècle
sur le même sujet, intitulé Trentalle Sancti Gregorii, qui a été publié par
M. Fr. J. Furnivall dans ses Politicjl, religious and Love poems. London, 1886,
pp. 83-92 {Early english Text Society). — P. M.
— Livres adressés à la Romania :
Rustebuefs Gedkhte. Nach den Handschriften der Pariser National-Bibliothek
herausgegeben von D"- Adolf Kressker. Wolfenbùttel, Zwissier, 1885. —
Sans être irréprochable, cette édition donne un texte assurément meilleur
que celui de Jubinal, et a l'avantage de communiquer, d'une façon plus ou
moins complète, les variantes des manuscrits consultés. Il n'y a pas de
glossaire et la préface est insignifiante.
Contes populaires de la Gascogne, par M. Jean-François Bladé, correspondant
de l'Institut. Paris, Maisonneuve, 1886, 3 vol. in-12. — Ces trois volumes,
qui ne contiennent pas moins de 185 numéros, forment une contribution des
plus importantes au trésor des contes populaires européens. Ils doivent être
complétés par un commentaire comparatif de M. Reinhold Kœhler.
Alcune osservazioni a proposito del Ussico genovese antico, di G. Flechia, del dottor
E. G. Parodi. Genova, 1886, 8'^ (extrait du Giornalc Ligustico).
Bases da ortografia portuguesa, por R. Gokçales Vianna, romanista, y G. de
Vasconcellos Abreu, orientalista. Leiboa, Imprensa Nacional, 1885, 8»,
14 p. — Nous félicitons le Portugal s'il demande aux savants une ortho-
graphe raisonnable; on n'en est pas là chez nous.
Tradizioni popolari Abbruzzesi raccolte da Gennaro Finamore. Vol. I. Novelle
(parte secunda), i88j, 12", 131 p. Vol. II. Canti, 1886, xii-167 pages.—
Nous avons déjà signalé l'importance et la valeur de ce recueil.
Der einfluss Crestien de Troies aufdie altenglische literatur, von Dr. Paul Stein.
BACH. Leipzig, Fock, 1886, 8°, 51 p. — Cette dissertation est surtout con-
sacrée à un examen comparatif du Chevalier au lion et du poème anglais qui
en est sorti. Le système de l'auteur relativement au Sir Perceval appelle une
discussion que nous aurons occasion de reprendre prochainement. Il montre
que le Sir Isumbras ne vient pas de Guillaume d'Angleterre. Pour le Vert
Chevalier nous renvoyons aux observations faites ici (XII, 377).
Encyklopaedic und Méthodologie der Romanischen Philologie, mit besonderer
Berùcksichtigung des Franzœsisclien und Italienischen, von Gustav Kœr-
TiNG. Dritter Theil. Die Encyklopadie der Romanischen Einzelphilolo^ien.
Heilbronn, Hendinger, 1886, 8", XX-838 p. — Cet important ouvrage,
^yg CHRONIQUE
sur lequel nous reviendrons, n'est pas encore absolument terminé ; il y manque
les index, dont on nous promet la prochaine publication.
Les plus anciens monuments de la langue française, puhWés pour les cours universi-
taires par Ed. Koschwitz. Quatrième édition enrichie et augmentée. Avec
un fac-similé. Heilbronn, Henninger, 1886, in-12, VIII-50 pag. — Ce
petit livre si commode et si soigneusement fait dém.ontre son utilité par son
succès croissant depuis la troisième édition, dont celle-ci n'est] qu'une révi-
sion, où M. A. Darmesteter a pris une part. On sait qu'aux textes primiti-
vement admis est venu se joindre celui du mystère de VEpcux ou des Vierges
Folles.
Romanisches und Keltisches. Gesammelte Aufsaetze von Hugo Schuchardt.
Berlin, Oppenheim, 1886, iv-439 pages. — Recueil d'essais publiés de
1871 à 1880 et destiné au gênerai reader. Tous se lisent avec un grand
intérêt et montrent chez l'auteur autant de talent que de science et d'idées.
Citons particulièrement ceux qui sont intitulés : Boccace^ Anoste, Camoens,
Calderon, la Rime et le rythme en allemand et en roman.
Miitheilungen aus romanischcn Handschriften. Von Adolf Mussafi.\. //. Zur
Katharinenlegende. Wien, Gerold, 1885, 8°, 69 p. — Texte en vers,
composée Aquila (Abruzze) en 1330, publié d'après le ms. unique et
accompagné de remarques linguistiques et philologiques.
Der Roman von Mahomet, eine sprachliche Untersuchung von D' Richard Peters.
Besprochen von Boleslaw Ziolecki. Greifswald, Abel, 1886, 8", 35 p. —
L'auteur justifie par le menu ce que nous avons dit (ci-dessus, p. 1 59)
du travail de M. Peters, et fait sur la langue et la source du roman de
Mahomet quelques bonnes remarques.
La chanson de Roland traduite en vers par Amédée Jubert, Paris, Librairie des
Bibliophiles, 1886, in-12, XXIV- 1^ p. — M. Jubert a eu la singulière
idée de traduire la vieille chanson en vers rimant deux à deux, alter-
nativement alexandrins et décasyllabiques ; le rythme est peu agréable en
lui-même, et jure étrangement avec celui de l'original.
Doine si strigâturë dm Ardeal date la ivealâ de Dr. loan Urban Iarnik si
Andreiu Barseanu. Bucharest, imprimerie de l'Académie, 1885, 8°, XV-
326 p. — Ce recueil de chansons d'amour [doinas) et d'airs de danse
[strigheturas], entièrement puisé dans la tradition vivante des Roumains
de Transylvanie, est précieux en lui-même comme document sincère et
■ riche de langue et de jolk-lorc; mais il l'est bien plus encore par le
glossaire extrêmement complet et détaillé dont l'a accompagné M. Jarnik,
qui a rédigé en français la partie explicative; on ne saurait recommander de
lecture plus fructueuse à ceux qui veulent connaître la langue du peuple
roumain et l'individualité ethnique dont cette langue est l'image.
Ar)jj.0Tr/.ôv àujjLa irsp; xoCÎ vszpoO kozkoou, iiKO N. F. IIoXixo-j. Athènes, 1885,
S-, 69 p. — M. Politis combat sur ce chant célèbre, qui ressemble à la
ballade de Lenore et dont on retrouve des versions chez les Roumains, les
hypothèses émises par M. Psichari. Quoiqu'il ne nous semble pas, en
général, avoir réfuté les raisonnements qu'il contredit, son opuscule mérite
CHRONIQUE 479
d'être recommandé à tous ceux qu'intéresse la littérature comparée ; il con-
tient beaucoup de choses nouvelles et d'observations dignes de remarque.
On lira avec fruit sur le sujet en litige un article de M. Jules Girard dans
le Journal des Savants.
S'ih'io PiEUi. Note sul dialctto ûrelino. Pisa, :S86. 8°. 5 1 p. — Bon travail
sur la phonétique et la conjugaison.
Glossar zu den Gcdichtcn des Bonresin da Riva^ von Dr. Adolf Seifert.
Berlin, Weber, 1886, 8% VI-78 p. — Excellent travail, qui ne servira
pas seulement à l'interprétation des poésies de Bonvesin, mais qu'on doit
recommander à tous ceux qui s'occupent de lexicologie romane.
Grundriss dcr romanischen Philologie, unter Mitwirkung von fùnfundzwangig
Fachgenossen herausgegeben vonGustav Grokber. I. Lieferung. Strasbourg,
Trùbner, 1886, gr. 8", 280 p. — L'Encyelopédie de la philologie romane de
M. Kœrting n'est pas encore terminée, et il commence à en paraître une
autre, qu'on nous promet devoir être complète en six fascicules et en dix-
huit mois. Reconnaissant que les forces d'un seul ne suffiraient pas à mener
à bonne fin, de manière à satisfaire les exigences actuelles de la critique,
une entreprise de ce genre, M. Grœber a fait appel au concours d'autres
savants, et il n'en a pas groupé moins de vingt-six (et non vingt-quatre,
comme le dit le titrei autour de lui. Ce sont MM. Baist (langue et littéra-
ture espagnole), Bartsch (littérature provençale), Braga (littérature portu-
gaise), Cornu (langue portugaise), Decurtins (littérature rhétoromane),
Deecke (idiomes anciens de l'Italie), Gartner (langue rétoromane), Gaster
(littérature roumaine), Gerland ibérique), Jacobsthal (musique des peuples
romans), Janischek (arts plastiques des peuples romans), Kluge (élément
germanique), W. Meyer (le latin et les langues romanes), Morel-Fatio
(langue catalane), D'Ovidio (langue italienne), Schefîer-Boichorst (histoire
des peuples romans), Schuchardt (créole), Schuitz (histoire de la civilisation
chez les peuples romans ,Schum (sources écrites), Seybold (élément arabe),
Stengel (métrique et stylistique romanes), Suchier (langue française, langue
provençale), Tiktin (langue roumaine), Tobler (méthode de la recherche
philologique), Torraca (littérature italienne), Windisch (élément celtique).
On voit que la plupart des noms connus dans notre science, du moins en
Allemagne, figurent sur cette liste, et garantissent la haute valeur de l'ou-
vrage. Le directeur s'est>éservé plusieurs chapitres (histoire de la philologie
romane, but et division de la philologie romane, sources orales, méthode
de l'étude linguistique, classification et histoire externe des langues romanes,
littérature latine, littérature provençale). — Le premier fascicule est surtout
de M. Grœber, et contient les quatre premiers des articles dont on vient de
lire les titres. Le plus intéressant de beaucoup est l'histoire de la philologie
romane, exposée avec clarté, impartialité et précision (sauf naturellement çà
et là quelques erreurs de détail). La division de cette histoire en deux
périodes, celle des efforts isolés dans chaque nation et celle de la collabo-
ration des romanistes de toute l'Europe, travaillant à une même œuvre et
sur un même plan, est frappante et juste. Dans la même livraison nous trou-
vons un aperçu de M. Schum sur « les sources écrites de la philologie
480 CHRONIQUE
romane », qui ne nous paraît pas avoir été fait de manière à rendre de bien
grands services, et trente pages de M. Tobler, pleines de remarques judi-
cieuses et utiles sur la méthode et la critique dans la recherche philolo-
gique appliquée aux langues romanes. Malgré la valeur et l'intérêt de plusieurs
parties, ce premier fascicule est naturellement un peu abstrait et aride. Les
suivants, qui sortiront des généralités et aborderont plus directement le do-
maine des faits, rencontreront sans doute auprès des savants et de ceux
qui aspirent à le devenir un accueil empressé, et rendront aux études romanes
un service dont on peut déjà pressentir l'importance.
Glaube unJ Aberglaube in dm altfranzdsïschen Dichtungen. Ein Beitrag zur Cul-
turgeschichte der Mittelalters, von Dr. Richard Schroeder. Erlangen,
Deichert, 1886, 8% 176 pages. ^- Beau sujet bien imparfaitement traité.
Nous ne parlons pas seulement des omissions, bien qu'il y en ait de fort
grandes (mentionnons seulement les fableaux, cette source si riche pour le
sujet choisi par l'auteur), mais tout le travail est superficiel, et atteste une
préparation et une réflexion insuffisantes. Comme recueil de passages, il ne
laissera pas de rendre des services. Voici, pour indiquer ce qu'on peut
y chercher, la liste des chapitres: Dieu, le Culte de Marie, les Saints^
les Anges, le Purgatoire et le Paradis, le Diable, l'Enfer, l'Ancien Testament,
Fées, géants, nains, etc., la Superstition dans les différents règnes de la nature,
le Jugement de Dieu, la Croyance des païens. Le volume se termine par un
index.
Racconti popolari siciliani di Emmanuele Gramitto Xerri. Girgenti, Montes,
1885, 18", 75 p. — Récits traditionnels reproduits avec plus de fidélité
pour le fond que pour la forme, et en italien.
La Trasuta di Garibaldi a Palermo, storia popularc siciiiana in poesia, pubblicata
da Salvatore Salomone-Marino. Palermo, Virzi, 1885, 18°, 13 p. —
Curieux échantillon de la poésie populaire contemporaine.
Les noms topographiejues devant la philologie, par Ferd. Pennier. Paris,
Vieweg, 1886, in-8», 161 p.— L'auteur de cet ouvrage est un celtomane
d'un genre particulier. Il croit que « la plupart des noms topographiques
sont la représentation du mot eau >• et que ce mot est indiqué par trois
termes celtiques, av, ac et dour, qu'il se fait fort de retrouver dans tous les
noms de lieux. H ne paraît pas d'ailleurs être très au courant des derniers
travaux sur les langues celtiques, à en juger par cette phrase: « Tous les
« ouvrages celtiejues déclarent que les voyelles n'ont pas ou presque pas de
« valeur et qu'elles peuvent à peu près se substituer l'une ou l'autre arbi-
« trairement. Pour appuyer cette singulière assertion, ils invoquent l'hébreu
« et d'autres idiomes sémitiques qui autrefois ne prenaient même pas la
« peine de les écrire... » (p. 32). Inutile de poursuivre: le lecteur voit à
quel genre d'ouvrage il a affaire.
Errata. — P. 165, 1. 12, les, lis. lez; 1. 13, mes, lis. niez.— P. 191, I. 18,
un, lis. au. — P. 296, 1. 1, doT.eés. lis. donnes. — P. 297, 1. 4, A on té
hier, lis. ,1 son très ehier.
LA MORT
TRISTAN ET D'ISEUT,
D'APRÈS LE MANUSCRIT FR. 103 DE La BIBLIOTHÈQUE NATIONALE COMPARE
AU POÈME ALLEMAND D'EILHART D'OBERGl,
Tous les manuscrits du roman en prose de Tristan s'accordent dans
un même récit, non traditionnel, de la mort de Tristan et d'Iseut. Un
jour que Tristan harpait dans la chambre d'Iseut^, une dénonciation aver-
tit le mari de celle-ci, le roi Marc, qui accourt et frappe Tristan d'une
lance empoisonnée. Blessé à mort, Tristan se réfugie au château de
Dinas, et obtient d'y revoir une dernière fois son amante. Iseut voudrait
mourir avec lui, mais comment y arriver .f' Elle n'a pu mourir de sa seule
douleur. Elle supplie Tristan de l'emmener avec lui dans la mort. Tristan,
heureux de ce sombre désir, lui ouvre ses bras, et l'accole si étroitement
que, dans cet embrassemenî, leurs deux cœurs se rompent, et leurs âmes
s'en vont.
Telle est la version commune des manuscrits en prose, sauf un. C'est
un manuscrit du xV siècle^ — le manuscrit Fr. 105, — qui a d'ailleurs
servi de base à toutes les éditions du roman en prose imprimées du xv*
au xvi'' siècle ^ Ce manuscrit, qui suit fidèlement, presque dans toute
son étendue, le te.xte commun des romans en prose, l'abandonne brus-
quement pour donner de la mort de Tristan et d'Iseut un récit tout dif-
1. Ce travail m'a été indiqué par M. Gaston Paris pour les conférences de
l'Ecole pratique des hautes éludes; il a été lu et critiqué à ces coniérenccs.
2. Les éditions n'ont pas été faites sur ce ms. même, mais sur un ms. très
voisin, qui ne diffère du 103 que par des détails de style. Cf. l'édilion de 1489.
par exemple, cfiez Jehan Bourgoys à Rouen, avec letextedu ms. 103 publié
plus loin. [Dans l'article de M. Lutoslawski qui suit celui-ci, on trouvera
relevées, pour un passage assez long, toutes les variantes de l'édition de Rouen,
1489; on verra qu'elles consistent surtout en suppressions pratiquées assez
habilement dans la prose un peu prolixe de l'original. — Les éditions posté-
rieures à celle de Rouen sont toutes faites sur celle-ci et n'en diffèrent que par
des fautes. — G. P.].
Romaniay XV 3 1
482 J- BÉDIER
férent, qu'il paraît intéressant de publier, et dont voici, brièvement, les
traits essentiels.
Tristan, marié en Petite Bretagne avec Iseut « aux blanches mains »,
a aidé son jeune beau-frère, Ruvalen, dans une équipée amoureuse. Il
s'agissait de pénétrer dans le château d'un mari jaloux, Bedalis, où vit
étroitement surveillée la belle Gargeolain, amie de Ruvalen. La galante
entreprise réussit ; mais, au retour, Tristan et Ruvalen sont poursuivis
et atteints par le mari. Ruvalen est tué, et Tristan blessé d'une lance
envenimée. Comme les médecins, appelés, renoncent à le guérir, Tris-
tan, mourant, songe que, seule, son amie Iseut de Cornouaille, qui
tient de sa mère, le secret de remèdes puissants, et qui deux fois déjà a
guéri ses blessures, le pourra sauver ; il envoie donc en Cornouaille un
de ses vassaux la supplier de venir. Pour qu'il sache quelques heures
plus tôt son bonheur ou sa peine, que la voile de la nef soit, au retour,
blanche, si Iseut vient; si non, noire. Iseut réussit à fuir de chez Marc ;
elle s'embarque, la nef approche et la voile apparaît au large, toute
blanche. Mais la femme de Tristan a appris ces conventions ; à peine
a-t-elle vu le vaisseau qu'elle accourt au lit de son mari. « De quelle cou-
leur était la voile ï lui demande-t-il. — Toute noire. » A cette parole,
Tristan rend l'âme. Iseut débarque, apprend la nouvelle, embrasse le
cadavre cher, et meurt à son tour.
Si cette version appartenait en propre à l'auteur du ms. 105, elle
n'aurait d'autre intérêt que sa grande valeur poétique. Mais il n'en est
pas ainsi. Le ms. 103 ne fait que reproduire ici de très anciennes tra-
ditions. Car l'auteur de ce ms. 105, écrit au xv" s, s'accorde, — cer-
tainement à son insu , — avec un poète allemand qui écrivait vers 1165,
un vassal de Henri le Lion, duc de Brunswick, Eilhart d'Oberg. Or,
nous savons ce qu'est ce poème d'Eilhart: c'est la traduction d'une com-
pilation française très voisine de celle dont nous possédons un fragment
sous le nom de Béroul. Il y a donc grand intérêt à comparer, dans leurs
parties correspondantes, le poème d'Eilhart et le ms. 103 : les comparer,
c'est chercher à reconstituer leur modèle commun, perdu.
Mais ce n'est pas tout : dans le bref abrégé qui vient d'être fait du ms
103 et d'Eilhart, on a reconnu bien des traits d'une tradition voisine.
Cette blessure envenimée, ce voyage d'Iseut appelée pour guérir le
mourant, cet épisode de la voile blanche et de la voile noire, cette trom-
perie de la femme de Tristan, enfin cette mort des deux amants, — tous
ces traits, nous les reconnaissons pour les avoir lus dans le poème fran-
çais attribué à Thomas. Or, Thomas et le modèle d'Eilhart représentent,
nous le savons, deux traditions indépendantes l'une de l'autre.
Nous arrivons donc à ces principes de comparaison :
1) Les traits communs à Eilhart et au ms. 103 appartenaient au
LA MORT DE TRISTAN ET d'iSEUT 483
poème qu'ils imitaient tous les deux : Béroul, ou une compilation voi-
sine de Béroul.
21 Les traits communs non seulement au ms. 103 et à Eilhart, mais
encore à Thomas, — outre qu'ils appartenaient à la source des deux
premiers, — faisaient aussi partie d'un fonds plus ancien de traditions
où puisait également Thomas.
3I Si tel trait donné par 103 est omis par Eilhart, ou inversement, —
et qu'il se retrouve dans Thomas, — il est ancien, et provient de cette
compilation voisine de Béroul, que nous cherchons à reconstituer.
4I Enfin, il est un seul cas où nous ne pourrons décider, autrement
que par conjecture, si un détail d'Eilhart ou de 103 est primitif; c'est
le cas où ce détail nous sera fourni par Eilhart seul, ou 103 seul, —
sans que nous puissions recourir au contrôle de Thomas.
Toutes ces observations sont représentées par la figure suivante:
Fonds commun de traditions.
1 . I
Béroul, ou la compilation Thomas,
voisine de Béroul.
I
I I
I Le ms. 103.
Eilhart.
On procédera à cette comparaison en divisant, pour plus de clarté,
le récit commun d'Eilhart et du ms. 103 en épisodes très courts. Il est
inutile de dire que ces divisions sont tout arbitraires, et qu'il ne s'agit
pas ici de distinguer des épisodes primitivement indépendants les uns des
autres, plus tard réunis par compilation. Tout ce récit de la mort de
Tristan offre un caractère frappant d'unité; c'est un seul épisode, qui a
germé, — tout organisé, — dans l'esprit d'un seul poète.
\. Le premier de ces épisodes pourrait s'intituler : « Comment Ruvalen
et Tristan parviennent à la chambre de Gargeolain (avec interpolation
de l'aventure de Tristan déguisé en fou] ». Voici le récit du ms. 103,
qui est aussi, mais plus développé, le récit d'Eilhart:
Ruvalen, frère de Kehedin et d'Iseut aux blanches mains, n'a jamais
parlé à son amie Gargeolain qu'une toute seule fois ; encore était-ce « sur
la douve d'un fossé de son manoir, et elle était enfermée dedens, et lui
dehors. « — Mais, dans cette unique entrevue, Gargeolain a promis à
son galant de lui envoyer les empreintes en cire de toutes les clefs du
manoir. Elle tient sa promesse, et un jour que Tristan chassait, Ruvalen
accourt au galop auprès de son ami, le cor au cou, une boîte à la main;
484 J- BÉDIER
dans cette boîte sont les empreintes de cire qu'il vient de recevoir. Ils
brisent la serrure, et « voient dedans leur grand deuil et leur mort;
mais ils ne s'en aperçurent ». Au lendemain matin, Tristan mande un
fevre de Nantes, nommé Goudri par 105, anonyme pour Eilhart, et lui
commande de fabriquer des clefs d'après les empreintes. Ce sont, lui
dit-il, les clefs d'un château rebelle.
Il faut se borner ici à remarquer les noms différents donnés par
Eilhart et 103 aux héros de cet épisode.
Le nom de la femme est le même dans nos deux auteurs. Eilhart
appelle Gargeolain Gariole, qui est le cas sujet du nom dont Gargeolain
est le cas oblique. Il est à remarquer d'ailleurs que Garjole est un nom
celtique.
Mais le Riivalen du ms. 103 est Kehenis dans Eilhart. Dans Kehenis
nous reconnaissons Kaherdin, le frère d'Yseut aux blanches mains. Pour
le modèle commun de nos deux auteurs, quel était le héros de l'aven-
ture .f" — C'est, à n'en pas douter, Kaherdin. — C'est Thomas qui
nous le prouve.
Thomas, en effet, suit une autre version : chez lui, Tristan n'est pas
le confident complaisant qui aide son beau-frère à tromper un jaloux ;
il est au contraire le vengeur d'un mari trompé. Mais Thomas a connu
l'autre tradition. Or, voici ce qu'elle disait :
Plusurs de nos granter ne vf)lent
Ce que del naim dire ci soient,
Que femme Kaherdin dut amer.
Li naim redut Tristan navrer
E entuscherde grant engin,
Quant et affolé Kaherdin.
Par cest[e] plaie et par cest mal
Enveiad Tristan Guvernal
En Engleterre pur Isolt '.
Dans l'original, le héros de l'aventure était donc Kaherdin,
Quant au mari, il s'appelle Bedalis dans 105, Nampelênis dans Eilhart.
Peut-être n'est-ce là. malgré les différences extérieures, qu'un seul et
même nom. Ce mari jaloux était, à l'origine, un nain. Thomas nous le
dit:
Li naim redut Tristan navrer;
et Thomas, bien qu'il n'accepte pas cette tradition, appelle le héros de
l'aventure qu'il raconte en place « Tristan le nain ». Le personnage pri-
1. Tristan, éd. Michel, t. II, p. 40.
LA MORT DE TRISTAN ET d'iSEUT 485
mitif serait donc « le nain Bedenis «, nom qui, mal compris et mal
prononcé par l'allemand Eilhart, serait devenu Nampetênis.
Cette hypothèse est confirmée d'une manière inattendue par un rap-
prochement possible entre la légende de Tristan et celle de Thésée.
Des rapports frappants unissent en effet le héros breton et le demi-dieu
athénien. Ces traditions qui charmèrent les vieux auteurs de lais bretons
sont en partie les mêmes qu'avaient dites Hésiode ', Pindare et Sophocle;
et que les artistes grecs sculptaient en bas-reliefs sur les murs du Thé-
seion d'Athènes. Et pourtant, — il est inutile de le dire, — les poètes
bretons ignoraient Hésiode, Sophocle, et tout le cycle classique gréco-
romain. Il faut assimiler Tristan et Thésée, le vainqueur du Minotaure
et le vainqueur du Morhout, de ce géant qui, comme le monstre crétois,
exigeait un tribut de vierges et de jeunes garçons ; la voile blanche ou
noire qui devait parer la nef d'Iseut est bien celle que le vieil Egée
cherchait à l'horizon sur les flots grecs. Ce sont les mêmes légendes qui
remplissent un poème hésiodique et les romans de la Table Ronde; et,
sans que l'un ait connu l'autre, Hésiode, bien des siècles avant Jésus-
Christ, et Béroul, bien des siècles après, glanaient dans le même fonds
de légendes qui avaient amusé, en des temps quasi préhistoriques, les
esprits des hommes 2.
Or, dans la légende de Thésée, il est un récit qui rappelle celui qui
nous occupe. Comme Tristan va conquérir une femme qu'aime son ami,
Thésée aide Pirithoos à ravir Corè. Mais Corè est fille d'Aidoneus et de
Perséphonè, et c'est aux enfers que Thésée va la chercher. Ne faut-il
pas voir un souvenir presque effacé de cette descente aux enfers dans
l'intervention d'un nain, c'est-à-dire d'une divinité souterraine, dans la
quête amoureuse de Tristan .?
Les clefs doivent donc être remises dans huit jours à Tristan par le
fèvre^Goudri, et ces huit jours sont employés, d'une manière qui sur-
prend, par Eilhart et par le ms. 103, à introduire l'épisode de Tristan
fou.
Ici le récit qui nous intéresse s'interrompt ; au lieu de la suite des
amours de Ruvalen, il est longuement raconté par nos deux auteurs
(donc par leur modèle! comment Tristan fut blessé — devant une ville
que ne nomme pas Eilhart et qui est Nantes selon 103, — et comment
Tristan profita de sa blessure pour se déguiser en fou et revoir Iseut.
I Dans un poème qu'a connu Pausanias (IX, 31, 15).
2. [Ce rapprochement que j'ai depuis longtemps proposé dans mes cours me
paraît s'appuyer sur divers rapprochements frappants, dont quelques-uns seu-
lement sont indiqués ci-dessus. — G. P.].
486 J. BÉDIER
Le procédé de compilation est ici curieux, parce qu'il est mal dissimulé ;
outre que notre attention, attirée sur les amours de Ruvalen, en est
longtemps et maladroitement distraite, Eilhart est obligé de faire durer
trois semaines le travail du fèvre, et le ms. 103, deux mois : or ce tra-
vail devait être accompli dans la semaine.
On sera très bref sur cet épisode de Tristan fou, qui a fait l'objet d'un
travail spécial de M. Lutoslawski. On n'en retiendra que quelques indi-
cations directement utiles au récit de la mort des deux héros.
Selon 103, et selon 103 seul, la nuit oi!i Tristan fou, déjà deviné sous
son déguisement par les chambellans du roi Marc, fait ses adieux à
Iseut, celle-ci lui demande un don : « Beaux doux ami, fait-elle, je vous
demanl que, s'il avient que vous mourez avant que moy ou que si vous
avés mal de mort ains que moy, que vous vous fassiez mettre en une
nef et vous faites ça apporter, et gardés que la moitié du voile qui en la
nef sera soit blance et l'autre moitié noire, etc.. »
Dans Eilhart, il n'est pas question de ce don : cette convention de la
voile blanche et de la voile noire n'est qu'une imagination de Tristan
déjà blessé et mourant, quand il envoie son hôte chercher Iseut.
Quelle était la version primitive ^ Il est difficile et peu utile de le sa-
voir-, pourtant il est peut-être plus probable que c'est celle d'Eilhart. On
peut croire en effet que l'auteur du ms, 103 a prêté ces sombres pres-
sentiments de mort à Iseut pour rattacher un peu plus fortement l'épi-
sode de Tristan fou à la trame du récit.
On peut faire encore ici une remarque générale : c'est, chez l'auteur
du roman en prose lou chez son modèle), une recherche constante de
noblesse, de bon goût soutenu et de gravité.
Voici comment Tristan fou se fait reconnaître d'Iseut, selon le bon
Eilhart.
Il dit aux seigneurs : « Voyez ; je veux vous montrer que, de tous
« mes sens, je pensais à ma dame, puisque de si loin je lui apportais ce
« petit objet. « — Il mit sa main dans sa capuce, et en tira un fromage.
— « Prenez-le; si vous ne m'étiez pas si chère, je ne vous aurais
« pas apporté ce joyau. » (v. 8865.) « Puis, un instant après, il met
sur ses genoux le fromage qu'il avait apporté et gardé sept nuits dans
sa capuce, — et demande à Iseut de le manger avec lui. « Sur son
refus, il prit un peu de fromage, et le mit dans la bouche de sa dame,
qui lui répondit en le frappant sur l'oreille. « Dame, lui dit le fou, si
« vous aimiez Tristan, vous ne me frapperiez pas. (v. 889 5. 1 »
Cet épisode, dans sa grossièreté plaisante, est évidemment primitif. Il
a choqué l'auteur du roman en prose, qui rappelle bien aussi qu'Iseut
frappa Tristan; mais du fromage, il n'est plus question. Le fou est ici
LA MORT DE TRISTAN ET d'iSEUT 487
frappé pour avoir regardé trop amoureusement la reine pendant qu'elle
assistait à une partie du noble jeu des échecs '.
Mais revenons à Karahès. Tristan a déposé son habit de fou, et
voici que le fèvre Goudri vient apporter à Ruvalen les clefs du château.
Tristan et Ruvalen partent donc pour leur équipée d'amour, couronnés
de fleurs, sans autres armes que leurs épées, « tout chantant et esba-
noyant »; les voici arrivés aux portes du château. Ils entrent; mais
comme ils passent le pont, le chapel d'olivier que porte Tristan est en-
levé par le vent et tombe dans le fossé. Tandis que les deux amants
« font leur deduyt ^\ Tristan, qui les a laissés ensemble, s'est couché
sur les joncs verts et nouveaux répandus par terre. Sur une belle cour-
tine où sont peints les exploits d'Artus et tous les sept arts, Tristan
s'amuse à lancer des joncs. — Mais, hélas ! le mari va reparaître. On
l'entend, tout d'un coup, dans la forêt, « corner de prise ». Tristan
rappelle son ami, et tous deux s'échappent comme ils étaient venus.
Jusqu'ici Eilhart et 105 concordent parfaitement; il serait, par exem-
ple, sans importance de noter que, dans Eilhart, c'est la couronne de
Kehenis qui tombe au fossé (v. 9060); qu'Eilhart abrège; que la des-
cription de la courtine où est peinte l'histoire d'Artus est une addition
du ms. 105; que dans Eilhart c'est devant les femmes de Gargeolain que
Tristan s'amuse à lancer des joncs (v. 9075) ; enfin que dans Eilhart ce
n'est pas, comme dans le roman en prose, le mari lui-même qui, par
une sonnerie de cor expressive, annonce son retour aux amoureux.
Les traits qui suivent sont aussi communs au roman en prose et à
Eilhart. Bédalis, en rentrant au château, voit avec soupçon le chapel de
fleurs tombé dans le fossé. Il entre, baise sa femme tout botté, et aper-
çoit sur la courtine les joncs fichés par Tristan. « Lors se dresche, et
prend Gargeolain, et trait l'espee, et dit que par l'ame de son père il
l'occira si elle ne lui dit voir. « Car je sais bien, fait il, que ce sont là les
« jeux Tristan. — Certes, fait-elle, ce fut mon; lui, et Ruvalen qui me
« baisa par force. . . Car ils étaient deux, et je suis une femme toute
« seule et sans nulle garde. »
Bédalis se met, avec ses hommes, à la poursuite des deux amis qui
I. On pourrait citer d'autres exemples. Eilhart nous apprend que Tristan
faillit bâtonner des espions cachés dans la chambre d'Iseut. Le ms. 105 sup-
prime cet épisode, et place dans la chambre d'étranges espions, qui sont comme
s'ils n'étaient pas, — immobiles et muets. Le ms. 103 paraît avoir craint de
compromettre Tristan avec des manants. Ce trait fait songer au scrupule que
Béroul a quelque part de faire tuer des lépreux par Tristan, — scrupule inconnu
à Eilhart.
^88 J- BÉDIER
s'aitardaient par la forêt, gaiement, à poursuivre une biche et ses bi-
cheaux. Ici, seulement, se présentent d'assez importantes différences.
Voici exactement le bref récit d'Eilhart : » Tristan le guerrier entendit
que l'on galopait derrière eux. Je crois que nous resterons ici, dit-il à
« Kehenis. Comment pourrions-nous sauver notre vie .'* Au moins, défen-
« dons-nous bravement. » Nampetênis arriva. Tous deux se défendirent
de grand courage. Ils auraient volontiers sauvé leurs vies, mais ils
étaient en grand péril. Les hommes de Nampetênis frappèrent Kehénis
à mort; mais avant de mourir^ le héros en tua trois de sa main. Tristan
en abattit rapidement quatre. Mais il fut blessé dans la lutte. Nampe-
tênis le blessa d'une pointe empoisonnée, en sorte qu'ils le laissèrent
pour mort sur le champ de bataille. Nampetênis aurait volontiers tenu
son honneur pour satisfait, si les deux braves guerriers avaient survécu.
Il dit en gémissant : « J'ai vengé mon déshonneur, mais je peux me
« plaindre à Dieu dans le ciel de ce que ces deux héros sont morts. Je
« ne peux les guérir, et j'ai perdu beaucoup de mes hommes chers. »
Puis il rentra tristement chez lui. » (V. 9195 ss.)
Il est inutile de s'arrêter aux détails du combat qui sont sans doute
propres à l'auteur du roman en prose et d'invention individuelle. Peu
importe que Ruvalen ait tué un certain Authon, et que lui-même ait été tué
par le frère de cet Authon, Cadio, qui naguère lui avait, comme messager
de Gargeolain, porté les empreintes de cire ; peu importe encore —
bien que cette remarque soit plus intéressante, — ce fait assez étrange
que, dans le manuscrit 103, Tristan n'intervient que vers la fin du
combat, après la mort de Ruvalen; jusque-là, il s'est tapi derrière un
buisson, non par lâcheté s'entend, mais parce qu'il espérait que Ruvalen
aussi se cacherait à temps. La véritable divergence des deux versions est
dans l'attitude du mari vengé. Le Nampetênis d'Eilhart, on vient de le
voir, pleure noblement ses ennemis abattus; le Bédalis du roman en
prose reste jusqu'au bout un personnage odieux ou méchant. — Il n'a
qu'un mot après sa victoire: « Or fuyons-nous-en de cest pais. » Il s'em-
barque donc avec sept cents de ses compagnons pour l'île de Caussié ',
où il sera pirate, en rançonnant les navires qui passent dans ces parages.
Le manuscrit 103 nous raconte longuement comment les barons
marchands de Flandre, de Saxe, de Normandie, s'assemblèrent pour
balayer la mer, et par quelle ruse un prudhomme du Cotentin, Guiffroy,
prit les « ullagues » au piège, et coupa la tête de Bédalis.
1. Il faut voir dans Caussié le petit groupe des îles Chausey, au large de
Granville.
LA MORT DE TRISTAN ET d'iSEUT 489
Cet épisode est-il une addition récente ? Il est probable que non ;
peut-être même peut-il nous renseigner sur la patrie du poète qu'imitaient
Eilhart et le roman en prose. On comprend en effet que les détails de
cette petite expédition maritime aient médiocrement intéressé les audi-
teurs brunswickois d'Eilhart, qui n'avaient point vu de pirates sur
rOcker ; mais des Normands, des Anglais, des Bretons pouvaient se plaire
à retrouver, mêlé aux aventures de Tristan, le récit d'une expédition peut-
être, au moins en partie, historique. Pour les mêmes raisons qu'Eilhart,
la saga irlandaise supprime une description de Londres que nous donne
Thomas. On croirait donc volontiers ici que le roman en prose n'a rien
inventé.
Avant de quitter cette histoire de Gargeolain, il importe de noter une
dernière différence entre nos deux récits. Dans Eilhart nous ne voyons
Gariôle que dans la salle de son château, d'abord entre les bras de son
ami, puis aux pieds de son mari furieux. Ensuite, elle disparaît. Dans le
roman en prose, elle a entendu de son château le deuil que menaient les
gens de Tristan auprès du cadavre de Ruvalen ; ell2 accourt au bruit,
tombe sur le corps décapité de son ami, l'enserre de ses bras, meurt
sur lui, et tous deux vont reposer dans le même tombeau.
Il n'est peut-être pas possible de décider en toute sécurité de l'ancien-
neté de ce trait. Pourtant, on peut y soupçonner avec vraisemblance une
imagination du romancier en prose. On verra bientôt en effet, combien
il est préoccupé de ne pas quitter un seul de ses héros secondaires sans
dire ce qui lui advient par la suite, sans lui « faire un sort ». D'ailleurs,
il ne s'est pas mis en frais d'im^agination ; il s'est borné, par une inven-
tion facile, à raconter par avance, à propos de Gari-eolain et de Ruvalen,
la mort de Tristan et d'Iseut.
II. La blessure de Tristan est envenimée. Eilhart nous dit très briève-
ment 1 vers 9247-925 5 : « La femme de Tristan manda à la hâte les
médecins pour le soigner et guérir ses blessures. Ils bandèrent la plaie
du héros, mais en vain. Il était blessé de telle sorte que personne ne l'eût
pu guérir, sauf Iseut, femme du roi Marc ».
Le roman en prose nous fait pénétrer dans l'officine de ces mires ; il
nous dit comment le médecin Agar, après avoir retiré le bout de la lance,
lia sur la plaie un emplâtre de blancs d'œufs, puis une mixture de « jus
de plantain, d'ache, de fenouil et de sel pour étancher le sang ; mais la
jambe devint pourtant plus noire que charbon. » Puis vient une petite
scène de comédie qui ne manque point d'agrément. Parmi ces médecins
dignes de Diafoirus et de Défonandrès, était « un pauvre mire qui tout
nouvelement estoit venu des écoles de Salerne.» Il donne un bon conseil,
qui eût sauvé Tristan, dit le roman. Mais quoi! le petit médecin est
490 i. BÉDIER
pauvre ; il proteste en vain que « le sens n'est pas en draps ne en ves-
tures, mais en coeur où Dieu l'a mis », que Tristan mourra sans lui.
Il est pauvre, et ses confrères décrètent que Tristan ne doit mourir que
sur leurs ordonnances. — « Lors fut le pauvre mire bouté dehors avec
un marc d'argent, un habit, un cheval»^ présents d'Iseut aux blanches
mains. Car nous savons qu' « on n'a cure de pauvre homme en nul lieu ».
Cette jolie scène est-elle de l'original du xii'' siècle ? Elle n'est pas en
tout cas de l'auteur du ms. 103. Il est peu probable qu'au xv^ siècle on
eût pensé à faire venir un médecin de Salerne: la vieille école italienne,
dont l'apogée fut au xii^ siècle, était trop abaissée pour que !e meilleur
médecin de Tristan fût, aux yeux d'un romancier du xv^ siècle, un étu-
diant de Salerne.
Tristan, qui désespère de guérir, mande Iseut de Cornouaille. Dans
Eiihart,* (v. 9285-9310), comme dans le roman en prose, comme dans
Thomas (v. 1124SS.), le messager se fera reconnaître par l'anneau de
Tristan, et annoncera au moyen d'une voile blanche ou noire le succès
ou l'insuccès de sa mission.
Quel sera ce messager .'' Pour Thomas, c'est Keherdin. Mais Tnomas
connaissait une tradition différente : une version — voisine d'Eilhart
et du roman en prose en ce qu'elle faisait blesser Tristan dans une
équipée amoureuse entreprise pour le compte de son beau-frère, —
chargeait Guvernal de ce message :
Enveiad Tristan Guvernal
En Engleterre pur Ysolt.
Mais Thomas se refuse à admettre une telle tradition, et se fait fort de
montrer par raison
Que iço ne put pas ester.
Cil (Guvernal) fust par tut la part coneuz,
Et par tut le règne siuz
Que de! amur ert parçuners'
Et emvers Ysolt messagers.
Li reis l'en haeit moult forment;
Guaiter le feseit a sa gent.
Et comment pust il dune venir
Sun service a la curt offrir?...
Il sunt del cunte forsveisé
E de la verur esluingné;
Et se ço ne veulent granter,
Ne voil [jo] vers eus estriver:
I . L'édition porte parvincrs.
LA MORT DE TRISTAN ET D ISEUT 49 1
Tengent le lur e jo le mien ;
La raisun s'i provera bien',
Ce passage est curieux, en ce qu'il prouve l'existence d'une tradition
qui se rapprochait fort du modèle d'Eilhart et de Thomas, et qui pour-
tant n'est pas ce modèle. Car cette invraisemblance qui a choqué si fort
Thomas, le message confié à Guvernal, a frappé de même le compilateur
voisin de Béroul : pour lui (Eilhart et le roman en prose nous le montrent),
ce n'est pas Gouvernai qui va chercher Iseut, — ce n'est pas davantage
Kaherdin, — c'est un personnage tout secondaire, un « hôte » de Tristan.
Le ms. 103 ajoute ce détail que cet hôte était aussi le « compère » de
Tristan, qui avait tenu sa fille sur les fonts de baptême, et l'on sait quels
liens cette qualité de « compère « établissait entre les hommes du moyen
âge.
L'hôte s'est donc mis en route, après avoir donné à sa fille commis-
sion d'observer le retour de sa voile.
De son voyage, du départ d'Iseut, Eilhart ne nous dit qu'un mot, —
éloquent, mais bref: « L'hôte partit, se hâta vers la reine, et lui rap-
porta le message de Tristan. Qnand elle eut vu le petit anneau, elle
laissa mari et pays, trésors et parures, et navigua avec le marchand ;
sans rien emporter, sauf ses remèdes. « (Vers 9320 ss.l
Ici, le roman en prose développe longuement, et non sans intérêt.
Gènes [c'est le nom de l'hôte dans le ms. 103] vogue jusqu'à Bomme
en Cornouaille, déguisé en marchand. Le roi Marc vient à sa rencontre,
retient toute sa cargaison de vins, et lui offre de venir tous les jours
manger à la cour. Gènes, le bon apôtre, refuse humblement. « Car, dit-
« il, je promis et juray a ma femme quand je me party d'elle qu'en autre
« lieu ne prendroye aisément. « Le roi rit, et va raconter à Iseut
comment un marchand est arrivé de Bretagne ; et le bon roi n'a rien
de plus pressé que de décrire minutieusement à sa femme un certain
bel anneau que le marchand porte à son doigt, anneau plat où s'enchâsse
une émeraude, — et qu'Iseut n'a garde de méconnaître.
Tout ce récit est-il postérieur ? appartient-il en propre à l'auteur du
roman en prose .'' Non sans doute : il l'a trouvé dans son modèle, et son
modèle lui-même a été le puiser, en même temps que Thomas, dans un
fonds plus ancien et commun de traditions, — Ce messager qui charge
sa nef de marchandises, nous l'avons déjà vu dans Thomas s'embarquer
avec ses compagnons:
De seie portent draperie
A ovre d'estranges colurs
I. Tristan^ éd. Michel, t. II, p. 41.
492 J. BEDIER
Et riche veissele de Tiirs,
Vins de Peito, oisels d'Espaigne.,.. '
Nous l'avons vu aussi faire reconnaître son anneau, autrement, mais
aussi spirituellement que le messager du roman en prose :
Un aficailovré d'or fin
Li port[e] en sa main Kaherdin,
Ne qui qu'el seclc meiliur ait;
Présent a la reine en feit.
« Li ors en est mult bons, ce dit.
Unques Ysoit meiliur ne vit. »
L'anel Tristan de sun dei oste.
Juste l'altre le met encoste,
Et dit : « Reine, ore veiez ."
Icest or est plus colurez
Que n'est ii ors de cest anel. . . »
Cum la reine l'anel veit,
De Kaherdin tost s'aperceil^.
Jusqu'ici Thomas nous garantit Tancienneté du récit en prose. Mais
ils se séparent l'un de l'autre quand il s'agit de raconter l'évasion d'Iseut.
Chez Thomas, elle s'échappe facilement, avec Brangien, la nuit,
Mult cuintement, par grant eur,
Par une posterne del mur
Que desur[e] Tamise estoit.
Dans le ms. 103, elle a plus de peine à quitter son palais. Elle dit à
Audret qu'elle veut « aller en gibier », et quand, avec sa suite, elle
arrive dans la campagne, un faisan s'enlève ; Audret laisse aler un fau-
con pour le prendre. « Le temps estoit cler et bel ; si se essora le fau-
con. « Iseut prétend qu'elle le voit, posé sur le mât de la nef de Gènes.
Audret l'accompagne jusque là, laisse monter la reine ; mais quand il veut
la suivre, Gènes fait basculer la planche qui relie le vaisseau au rivage, —
et « fiert Audret de son aviron, si qu'il l'abat en l'eaue — et Gènes le
refrapoit et le rabatoit en la mer, et disoit : « Couvert, — traître ! » Tout
ce récit est-il ancien .? On peut le croire, à cause de sa brutalité même.
lu. — Tandis qu'Iseut vogue vers Tristan, le blessé qui l'attend se
fait chaque jour porter sur le port de Penmarc, d'où il regarde au loin
la mer. Ce détail, qui nous est fourni parle ms. 10:;, est omis par Eilhart.
Mais il est ancien ; car Thomas le confirme :
1. Tristan, éd. Michel, t. II, p. 61 ; t. III, p. 57.
2. Tiislan, éd. Michel, t. II, p. 66; t. III, p. 61,
LA MORT DE TRISTAN ET d'iSEUT 493
Et sovent se fait reporter,
Son lit faire juste la mer,
Pour atendre et veeïr la nef,
Comme el sigle et a quel tref '.
Il est à croire aussi que le poste d'observation de Tristan était bien
Penmarch dans l'original : tant est bien choisie, pour voir au loin vers
la haute mer, cette falaise avancée. Il est inutile de dire que le port de
Penmarc est une fantaisie géographique de l'auteur du roman en prose
ou du modèle immédiat qu'il suivait.
Mais le mal empire. Tristan n'a plus la force de quitter sa chambre ;
c'est désormais sa filleule, la fille de Gènes, qui interrogera pour lui
l'horizon. Selon Eilhart, comme selon le manuscrit en prose, la femme
de Tristan s'inquiète de ce guet continuel que fait l'enfant sur la plage.
Elle l'interroge, la menace, apprend son secret.
Ici, une grave divergence se produit entre les deux récits. D'après le
roman en prose, la jalousie saisit Iseut aux blanches mains : « Lasse !
s'écrie-t-elle, « qui cuydast qu'il aimast autre que moy ^ Certes, ils
« n'orentoncquessi grant joye l'un de l'autre, comme je leur feray avoir
« de doulouret de tristesse, » — " Lors regarde aval la mer bien loing
et voit venir la nef au blanc voile. » — On sait le reste : elle
court, délibérément , de parti pris, au lit de Tristan, — et se venge.
Tout autre, — et bien difficile à comprendre, - est l'Iseut d'Eilhart.
— C'est « par hasard » (9546) qu'Iseut apprend le secret de Tristan;
c'est sans aucune mauvaise intention, par pur caprice de femme (v 9580'
qu'elle dit noir au lieu de blanc. Elle ment, — par inconscience.
Cette version semble la plus ancienne. Les poètespostérieurs expliquent
les obscurités de leurs devanciers. On ne saurait guère admettre la marche
inverse et la substitution volontaire d'Iseut inconsciente àlseut jalouse.
Cette opinion paraît contredire la méthode suivie jusqu'ici, et qui a
consisté à admettre comme primitifs les traits communs à Eilhart ou au
ms. 103 d'une part et à Thomas d'autre part. Dans Thomas, en effet,
Iseut agit par jalousie. Cachée derrière la paroi de la chambre de son
mari, elle a surpris ses confidences à Kaherdin ; elle apprend pourquoi
Tristan l'a respectée dans le mariage ; quels souvenirs unissent les deux
amants.
Les granz peines, et les tristurs,
Et les joies et les dulurs
De leur amour fine et veraie.
Mais elle saura punir son mari,
:. Tristin, éd. Michel, t. II, p. 73 ; t. III, p. 60.
494 J- BÉDIER
Et pense mal en cele irur.
Par quel manere venge[e] ert.
Il semblerait donc que l'accord de Thomas et du ms. loj dût nous
faire conclure que dans la compilation voisine de Béroul Iseut était déjà
jalouse et qu'elle se vengeait sciemment.
Mais peut-être cet accord n'est-il pas probant ; l'inconscience d'Iseut
est si peu vraisemblable, sa jalousie est une explication psycholo-
gique si naturelle, si simple, qu'elle a pu se présenter comme une né-
cessité à l'esprit de deux poètes, étrangers d'ailleurs l'un à l'autre. Il est
très naturel que Thomas et l'auteur du roman en prose se soient, indi-
viduellement, l'un au xir", l'autre au xv" siècle, avisés d'introduire, de
leur autorité privée, la jalousie d'Iseut.
Notons enfin que dans la légende de Thésée, bien que la négligence
soit le fait des matelots et fasse substituer réellement, et non pas seu-
lement en paroles, la voile noire à la voile blanche, il s'agit aussi non
d'une tromperie intentionnelle, mais d'une erreur involontaire,
IV. Tristan est mort quand Iseut débarque. Le récit d'Eilhart est ici
d'une simplicité profonde et sublime :
« Quand Iseut arriva sur la plage et qu'elle entendit le grand deuil
qui montait par la ville, elle fut prise d'une grande peur et s'écria : « 0
malheur à moi ! et toujours ! 0 Tristan ! Il est mort ! « — Elle ne pâlit
ni ne rougit. Elle ne pleura pas davantage ; son cœur pourtant lui faisait
bien mal. « (Vers 941 5 ss.)
Suit alors une belle et courte scène entre les deux femmes qui avaient
aimé Tristan. La femme de Tristan, cause innocente de sa mort, 'pousse
de grands cris sur le cadavre. Sans larmes, l'autre Iseut entre, et lui
dit (vers 9430I : « Femme, relève-toi, et laisse-moi m'approcher. J'ai
« plus de droits à le pleurer que toi ; crois-m'en. Je l'ai plus aimé. » Elle
découvre le cercueil, déplace un peu le corps^ se couche sur la civière,
tout le long de son ami, et, s:ins une parole, meurt.
Le récit du roman en prose supprime ces traits si originaux. La scène
entre les deux femmes n'existe plus : il est vrai que c'est une conséquence
presque nécessaire de l'attitude prêtée par le roman à la femme de Tris-
tan. Si Iseut aux blanches mains a tué son mari par jalousie, il nous
eût été odieux de la voir pleurer sur son cadavre. Aussitôt que Tristan
est mort, elle disparaît (comme dans Thomas^^ et c'est un personnage
épisodique, la comtesse de Montrelles, qui rend à Tristan les derniers
devoirs.
Un trait du roman en prose, omis par Eilhart, mérite d'être retenu.
Quand Iseut entend les cris que pousse le peuple qui « regrette » Tris-
LA MORT DE TRISTAN ET D ISEUT 495
tan, elle est prise de pressentiments: « Je me doubte trop, dit-elle, que
« le songe que j'ai songé ennuyt ne soit voir. Car j'ai songé que je te-
« noyé en mon geron la teste d'un grant sanglier qui toute me honnis-
« soit de sang et ensanglantoit ma robe. Pour Dieu ! je me doubte trop
« que Tristan soit mort . »
On reconnaît ici l'un de ces songes d'animaux si fréquents dansno
plus anciennes épopées, et auxquels les critiques attribuent une origine
germanique. Ce trait du roman en prose doit donc être ancien.
V. — Eilhart nous dit en très peu de mots que la femme de Tristan
fit ensevelir magnifiquement les deux amants ; que Marc apprit la triste
nouvelle, et l'histoire du breuvage amoureux; qu'il regretta de l'avoir
ignorée jusque-là : il « aurait laissé à Tristan et à Iseut ses royaumes,
à toujours. » — Et le roman est terminé.
Le ms 10? développe très longuement toute cette partie ; tous les dé-
tails de l'ensevelissement nous sont donnés : nous savons que Tristan et
Iseut « furent cousus en ung cuir de cerf, et que les deux corps furent
mis en ung tonnel en une nef « (tous traits qui doivent être fort anciens;.
Nous savons aussi comment le roi Marc fut informé du malheur par
des lettres écrites par Tristan mourant, enfermées par lui dans un écrin,
et remises au roi par un vieil erm.ite ce qui est visiblement d'invention
plus récente).
Nous assistons enfin à l'embaumement du corps de Tristan, à son
voyage sur la mer, à la veillée funèbre qui est confiée à une petite vieil-
lotte, etc Lesquels de ces détails sont anciens .? Il est difficile d'en
faire le décompte. Pourtant il est permis de croire que l'auteur du roman
en prose a imaginé la plupart des renseignements qu'il nous donne sur
lesort qui attend, après la mort de ses héros principaux, les personnages
secondaires du roman. Il nous apprend ce que deviennent Perinis, le
chien Hudent, Gouvernai et Brangien. On peut croire que son modèle,
— comme Thomas, — terminait son récit sur l'image de Tristan et
d'Iseut embrassés dans la mort. L'intérêt qui s'attache aux personnages
de [second plan disparaissait devant cette grande catastrophe.
Il faut pour terminer noter un dernier trait, — où le ms. 103 paraît
suivre une tradition bien plus ancienne qu'Eilhart.
« De dedens la tombe Tristan, nous dit le roman en prose, yssoit
une ronche belle et verte et foillue qui aloit par dessus la chappelle et
descendoit le bout de la ronche sur la tombe d'Iseut et entroit dedens.
Ce virent les gens du pays et le comptèrent au roy. Le roy la fit par
trois fois couper. A landemain restoit aussi belle et en autel estât comme
elle avoit esté autrefois. »
Eilhart paraît éprouver un véritable embarras à adopter cette tou-
496 J. BÉDIER
chante légende. « Je ne sais pas, dit-il, si je dois vous le dire : pourtant,
j'ai entendu raconter que le roi fit placer un buisson de roses sur la
tombe de sa femme , et sur le corps de Tristan un cep de noble
vigne. Les deux plantes crurent ensemble, si bien qu'on ne put en aucune
manière les séparer l'un de l'autre, — si même on les voulait couper. »
(Vers 95 10.)
Le récit du roman en prose est ici évidemment plus ancien. Eilhart a
reculé devant le symbolisme presque païen de son modèle ; il a refusé
de croire à cette germination spontanée, émanation vivace de l'âme même
de Tristan, qui va embrasser dans sa tombe celle qu'il a tant aimée'.
Joseph BÉDIER.
TEXTE
du ms. B. N. fr. 103, /o/. 374 sqq.
En ce temps que Tristan et Yseultdemouroient a la Joyeuse Garde, fu entre-
prise la queste du .saint graal. Tristan se mist en la queste et en fu compain-
gnon et par ce rot le roy Marc Yseult et en fist le roy Artus la paix. Et fu le
roy Marc delivray de prison. Mais oncques pour ce ne se remuèrent les amours
de Tristan et d'Yseult. Mais atant leisse le compte a parler de ceste matière,
et parole de Tristan qui revenu est a Karahès en Bretaingne avec le roy Hoel
et Yseult aux blances mams sa femme et Ruvalenz qui filz estoit au roy Hoel et
fu frère Kehedin et Yseult fem.me Tristan, qui moult firent a Tristan grant feste
et grant joye^ et tous ceulx du pais aussi, quant il fu revenu à Karahèes.
Or dit le compte que Tristan et Ruvalen estoient ung jour ensemble, si dit
Tristan : « Beaux doulz amys, je me merveil moult que vous ne me dites au-
cunes nouvelles de Gargeolain vostre amye. » — « Parfoy, » fait Ruvalen tout en
riant, « je ne parlé a elle oncques encore que une toute seule fois, et encore fust
ce sur la douve dun fossé de son manoir, et si estoit dedens enfermée et j'estoie
dehors. Car Bedalis son baron qui tant est geloux d'elle en avoit portée la clef
de la porte. Et tant me dit quant je parlay a elle qu'elle menvoieroit les seaulx
de toutes les clefs de leans en cire se je voulloye. Si me merveil moult que n'en
ay ouy aucunes nouvelles. » — « Par foy, » fait Tristan, « ce seroit bien fait
se vous aviés les seaulx. Et je sçeis ung fevre a Nantes, qui vint de Nicole pour
1. [Ce qui prouve l'antiquité de la version du ms. 103, c'est qu'elle ressemble
plus à celle de la Tristrams Saga (Kôlbing. p. 112, 204), qui suit en général le
poème de Thomas ; en revanche, le récit d'Eilhart paraît plus voisin de celui de
la Tavola Ritonda dont on ignore la source directe. — Sur des récits pareils à
celui-là appliqués à la sépulture d'autres amants, voyez P. Child, The english
and scottish Battads, t. I, p. 96. — G. P.]
2. Ed. 1520 : Runalen.
LA MORT DE TRISTAN ET d'ISEUT 497
l'amour de moy, qui trop bien les forgera selon l'exemplaire mieulx que nul
autre et plus proprement. » Quant ils curent assés parlé de leur volenté si se
sont partis d'illeuc et ont devisé telle chose dont ilz moururent puis a grant
doulour. Et en perdi Tristan la queste du Saint Graal ou il estoit entré avec
les autres compaingnons de la Table Roonde.
Ung jour estoient Tristan et Ruvalen aies cachier en la forest. Atant es vous
Cadio le message Gargeolain atout une boite bien fermée ou les seaulx de cire
estoient. Quant Cadio voit Ruvalen, si vint a lui et trait la boite du sain et
dit : « Sire, vostre amye Gargeolain vous salue et vous envoie ceste boite. Et
sachiez qu'il n'y a point de clef dont il n'ait cy l'emprainte. Or me dites vostre
volenté, car je m'en veul aler encore nuit. » — k Amis, fait Ruvalen, tu la me sa-
lueras et lui diras que je suis tout sien. » A tant s'em part Cadio, et Tristan
s'en vint apoingnant a Ruvalen, le cor au col, et voit la boite qu'il tenoit en sa
main, si sceut bien que Gargeolain lui avoit envoyée, si lui dit : « Ruvalen, fait
Tristan, chascun ne sceit pas qu'il a dedens celle boite. » Lors la prent en la
main Ruvalen et brise la serrure, et voit dedens son grant deul et sa mort et
son dommage; mais il ne s'en perchut. »
Quant Tristan et Ruvalen virent les seaulx, si firent grant joye de leur en-
combrement; mais on dit que on est aucune fois plus lié de son mal que de son
bien, et plus volentiers va on ou on a tourment que on ne fait la ou on a joye
et déport. Tout ce ay je dit pour Tristan et pour Ruvalen qui firent grant joye
des seaulx qui furent achoison de leur mort; mais ils ne s'en perchurent. Tris-
tan cacha toute jour et Ruvalen, si eurent pris une beste qu'ilz emportent a
Karahès. Temps fu de soupper, si mengerent et s'alerent dormir et reposer pour
le travail qu'ilz avoient souffert de la cache. A l'andemain par matin manda
Tristan a Nantes Goudri le fevre qu'il vensist parler a lui, et il y vint. Tristan
le mena en une chambre tout coyement en ung destour et lui dit : « Goudris,
beaux amis, je me fie moult en toy, et je t'ay mandé pour ung mien grant be-
soing. Girolebours, qui de moy tient ung chastel, ne me daingne servir ne faire
envers moy ce qu'il doit; si nous ont cha les guetes du chastel envoié(^e)s les
seaulx de toutes les portes des tours et des forteresses. Et pour ce te pry que
tu forges les clefs selon l'exemplaire des seaulx, et qu'il n'y ait ne plus ne mains,
et que je les aye dedens huit jours. Et garde que cest segret ne soit a nulli des-
couvert. — Sire, dit Goudris, ne vous en soussiés ja ne esmaiés, car nul du
monde ne le saura ja par moy. » Atant s'en part Goudris le fevre et emporte les
seaulx des clefs, et les commence a forgier, et fit les clefs bien et bel, qu'il n'y
avoit ne plus ne mains qu'il avoit l'emprainte des seaulx. Ha! tant maie forge-
rie s'ilz le sceussent, mais ilz ne s'en donnent de garde, si est pitié et dommage
grant a toute chevalerie. Mais atant laisse le compte a parler de Goudry et des
clefs et parole du comte Urnoy de Nantes qui commence a révéler contre Tristan.
En ceste partie dit le compte que quant le roy Hoel de Karahès fu mort,
Urnoy le comte de Nantes, que Tristan avoit jadis pris devant la porte de Ka-
rahès, et les barons de la terre se commencèrent a révéler contre Tristan et Ru-
valen. Ung jour estoit Tristan en sa sale ou il jouait aux esches a Yseult sa
femme; estes vous venir devant lui ung niessagier de par Urnoy le conte de
Nantes, qui lui dit sans saluer : « Tristan, je te deffy de par le conte de Nantes,
Romania, XIV 52
498 J. BÉDIER
qui te mande qu'il te rent tes trieves et ta paix et dit qu'il ne veult de toy tenir
terre ne riens nulle qui soit. — Amis, dit Tristan, puisque le conte me deffie
par toy, dy lui que je le deffie et qu'il se gart de moy; car dedens .viii. jours
je luy monstreray devant Nantes deux mille chevaliers armés, et se je le puis
prendre je le feray mourir a honte comme traitre. » Le messagier s'en retourne
et dit au conte ce que Tristan lui avoit dit et respondu, (Et) lequel dit qu'il ne
le double, car il est bien garny. Tristan a mandé ses gens et son pouoir partout,
et leur monstre lorgueil que le conte luy avoit mandé, et ils lui crient tous a
une voix : « Tristan, alons sur luy! Tu soies honny, si tu le peulx prendre, se
tu ne le prens et pens comme traitre qu'il est. » Ad ce mot se mist tout l'ost
a chemin et s'en va droit a Nantes.
Quanf il vit l'ost Tristan, si dit a ses chevaliers que jamais ne retourneroit
decha qu'il aroit jousté a Tristan. Lors se part des siens, et Tristan aussi des
siens, ets'entremeinnent au terir des espérons et s'entrefierent si durement sur
leurs escus que Tristan porta le conte du cheval a terre tout estourdi ; mais tost
serelieve et trait l'espee et vient vers Tristan et le cuide ferir : il ataint le che-
val au col et lui trenche la teste, et Tristan chiet. Mais tost fu relevé, si tray
lespee dont il occist le Morhoult et fiert le conte, se lui couppe le bras tout hors
et le conte chiet, si fu prins et retenu.
Quant le conte de Nantes fu pris, si assemblent les ostz d'une part et d'autre
et moult fu grant la bataille; mais ceulx de Nantes ne pourent durer, si se
mettent a la fuye et s'en entrent dedens Nantes. Tristan et sa gent assistrent la
ville, et les bourgois de la ville vinrent sur les murs et distrent a Tristan :
« Sire, bien soies vous venu. Nous vous rendons la ville et nous avec; si nous
tenez comme preudomme doit faire ses hommes. « Par telle manière prist Tris-
tan la ville de Nantes. Au dehors de la ville avoit une tour bien garnye de vi-
taille et desergens que le queux ' avoit fait faire. Le maistre des sergens qui gar-
doit la tour avoit a nom Corbel au court menton. Tristan lui demanda s'il lui
rendroit la tour, et il lui respondi que non. Lors commanda Tristan a assaillir
fort la tour. Tristan avoit son chief desarmé pour le chault, si tint son escu sur
son chief et vint vers la tour pour monter amont. Et Corbel jecte une grant pierre
et le feri sur son escu si qu'il le fist jus voler a terre, puis reprint une autre
pierre et la jette, si qu'il le fiert en avalant sur la testes! qu'il lui fendi toute, et
l'abat eu fossé aval. Et Tristan sault sus et yst hors du fossé a moult grant
peine, et lors commande la tour a miner et a bouter le feu aux estages, si com-
mencèrent a ardoir et la tour a croistre, et fendi la tour en quatre parties, si
furent prins tous les traîtres et pendus devant les portes de Nantes. Et le queux
fu mené a Karahès et mis en chartre a tousiours. Tristan revint a Karahès, qui
fu moult blechié. Si fist mander par tout mires pour le garir. Grant peine mis-
trent les mires tant quil fu gari. Ung jour se jesoit en son lit et estoit presque
gari, si lui print volenté de gésir avec sa femme, si just avec elle et en fist sa
volenté; et quant il ot fait son désir, si chay emprès elle tout pasmé aussi comme
Faute pour quens, qui n'est pas rare dans les copies du xvo siècle.
LA MORT DE TRISTAN ET d'/SEUT 49C)
tout mort. Et quant sa femme le vit, si en fu forment espoventee, si manda le
mire, qui moult tost y vint, et quant il vit Tristan, si ot doubtance qu'il ne
fust mort, et bien sceut qu'il avoit geu avec Yseult sa femme, si dist : « Ha !
Tristan, comme c'est grant dommage de vostremort! » La dame lui dit qu'il se
teust et que plus n'en fust. Le mire fist ung bevrage et lui oeuvre les dens a ung
coutel et lui avala dedens le corps. Si tost comme Tristan en ot beu, il souspira
et ouvry les yeul.v, et quant il vit le mire, si ot vergoingne. Le mire le fist por-
ter hors d'illeuc et s'entremist moult durement de le garir, et y mist grant peine,
si le gari bien et bel, et Tristan le paia bien tout a sa volonté, si prist le mire
congié et s'en ala en son pais. Mais atant leisse le compte a parler de ceste ma-
tière, et compte comment Tristan ala veir la royne Yseult s'amye en Cornoaille
et comment il fist le sot. Et commencent cy endroit les soties de Tristan '.
En ceste partie dit le compte que quant Tristan se fu parti de la royne Yseult
de Cornoaille s'amye femme du roy Marc son oncle, et il fu revenu à Karahès,
ses hommes et ses gens lui firent grant feste, car il(z) le cuident bien avoir perdu.
Moult fu Tristan bien venu et moult honnourablement receu. Or avint que
Tristan et Ruvalen estoient uiig jour ensemble et parloient l'un a l'autre de leurs
volentés. Atant es vous venir Goudris le fevre, qui aporta les clefs qu'il avoit
forgées, et les baille a Tristan, si les noua toutes ensemble a ung las de soye,
puis dit : « Amy, monton^ si yrons veir Gargeolain vostre amye. — Sire, dit
Ruvalen, volentiers. » Lors montent sur deux chevaulx et ne pristrent nulles
armes fors seulement leurs espees et s'en vont. Ha! Dieu, comme pesant aven-
ture leur avint en celle journée ! Tristan avoit en son chief un chappel d'olivier,
si s'en aloit tout chantant et esbanoyant, et moult grant joye faisant, lui et Ru-
valen, a leur mort; mais ilz ne s'en donnoient de garde. Bedalis, le mary Gar-
geolain, estoit ce jour aie cachier, et avec luy bien trente chevaliers qu'il avoit
tous mandés pour lui tenir compaingnie. Tristan et Ruvalen vindrent au ma-
noir devant le pont, qui estoit fermé à la clef, et en avoit Bedalis portées les
clefs avec lui. Tristan descent et boute la clef en la serrure du pont qui estoit
fermée a la chaene, et le defferme, et leisse avaler tout bellement et tout doulce-
ment, et a l'avaler 2 du pont son chappel lui chay, dont ce fu malheur. Puis
passent oultre et defferment la porte et tous les autres huys et s'en viennent en
la chambre ou Gargeolain estoit, et estoit toute la chambre jonchie de joncs
vers et nouveaulx, et encourtinee 3 d'une courtine la plus belle et la plus riche
qui oncques fust, car toute l'istoire d'Artus si comme il avoit conquis la sein-
gnourie sur les Bretons y estoit pourtraite, et tous les sept ars.
Quant Ruvalen entra en la chambre, si se leisse chier eu 4 lit avec Gargeo-
lain s'amye qui moult l'amoyt, et Tristan s'en va dautre part et les leisse en-
semble, et print une poingnee de joncs et se couche sus l'erbe tout envers, et
1 . Cet épisode, étranger à notre sujet, est imprimé dans le travail de M. Lu-
toslawski.
2. Ms. ala voler.
3. Ms. encontinee.
4. Ms. Sens.
JOO J. BÉDIER
commence les joncs a lancher et atacher en la courtine l'un dedens l'autre. Hé-
las ! oncques si mal jeu(s) ne fist! Mais il ne se donnoit garde, car il le faisoit
pour soy esbanoyer. Ruvalen et Gargeolain s'amye furent en lit et firent leur
deduyt et toute leur volenté. Ne demeura gueres que Bedalis ot pris ung cerf,
si commença a corner de prise. Tristan l'oy, qui bien savoit que ce montoit,
si dit à Ruvalen : « Alons nous ent, amys; car j'ay ouy Bedalis corner de
prise. » Lors prennent congié et s'en vont. He ! dieux, que ilz ne sont bien
armés de leurs armes! car grant mestier en eussent en ce point d'ore. Mais ils
n'avoient fors leurs chevaul.x et leurs espees. Tristan et Ruvalen s'en vont jouant
et esbanoyant. Estes vous Bedalis qui s'en est retournée a l'ostel cornant et dé-
menant grant bruyt, si deiTerme le pont et voit le chappel qui estoit cheu a
Tristan, si en fu en grant souspechon; puis regarda partout, mais il ne vit lieu
par ou on peust avoir passé, si s'en entre leans et defferme tous les huys et
treuve sa femme Gargeolain, si l'acole et beise tout housé et se leisse cheir eu
lit tout envers et voit les joncs fichiés en la courtine, si commence tout a fré-
mir, car bien sceut que c'estoient des gieux Tristan. Lors se dresche et prent
Gargeolain sa femme et trait l'espee, et dit que par l'ame son père il l'occira
s'elle ne lui dit voir. « Car je sceis bien, fait il, que Tristan a cy esté. — Certes,
fait elle, ce fu mon, luy et Ruvalen, qui me baisa par force. » Et quant Bedalis
oy ce, si fu plus a malaise que devant, si dit : Ha! mauvaise, plus y ot fait.
Dites moy voir, ou je vous occiray. Et se vous me congnoissiés vérité, je vous
pardonneray mon maltalent. — Certes, fait elle, ne m'en chault se tu m'occis ;
car mieulx aime mourir que estre en ceste prison ou tu m'as mise. Et quant tu
m'auras occise, si dira l'en que ce sera pour aucun meffait ; mais le blasme en
est tien pour ta gelousie. Et certes je te diray vérité, et puis fais de moy ce
que tu vouldras. Saches que Ruvalen geust avec moy et fist de moy toute sa
volenté; car je ne me puis pas de lui deffendre; car ilz estoient deux, et je suis
une femme toute seule et sans nulle garde. »
Quant Bedalis entent que Ruvalen avoit sa femme corrumpue, si vint a ses
hommes et leur compta, et se clama a eulx de Tristan et de Ruvalen qui tel
honte lui ont faite, et dit qu'il ne mengera jamais s'il n'en est vengié. Et lors
montent qui mieulx mieulx et s'en vont après les deux compaingnons qui s'en
aloient deduyant parmy la forest, et avoient trouvée une biche et ses bichaulx,
si estoient courus après pour les prendre, mais ilz faillirent, et ce fu contre leur
maie aventure qui leur devoit avenir. Atant es vous venir Bedalis et ses gens
tout aatis de mal faire. Tristan les voit venir, si se mist desriere ung buisson, et
ilz passent oultr*e. Bedalis vint ataingnant Ruvalen, qui tout desarmé estoit, si
lui mist le glaive parmy le corps et l'occist, mais ne l'occist pas [si tost] que
Ruvalen ne traist son espee et leri ung des hommes Bedalis, qui avoit a nom
Authon, et lui couppa la teste. Quant Cadio voit Ruvalen qui a Authon ' son
frère avoit couppée la teste, il trait l'espeeetfiert Ruvalen et lui couppela teste,
et cil chiet mort a terre. Quant Tristan voit Ruvalen mort, si sault du buisson
Ms. Anthon.
LA MORT DE TRISTAN ET D'ISEUT 5OI
et trait l'espee et fiert Cadio et l'occist, et puis ung autre et l'occist, et puis
!e tiers. Atant es vous Bedalis qui tint ung glaive dont le fer estoit envenimé,
et le jecte a Tristan, et le nert en la hanche jusques a l'os et lui trenche la char
et les os et les nerfs, et demoura le fer atout le tronchon en la hanche. Ha !
dieux, comment ce fu grant doulour a tout le pays ! Quant Tristan se voit navré
et Ruvalen mort, et vit la grant force de gens que Bedalis avoit, si s'en part et
se met en la fuye droit vers Karahès. Bedalis et ses gens le cachent grant pièce,
mais ilz ne le pourent attaindre, car trop estoit bien monté, si s'en retournèrent.
Mais oncques puis celle heure n'osèrent demeurer ne arrester ou pais.
Quant Bedalis ot Ruvalen occis et Tristan navré, si dit a ses hommes : « Or
fuyons nous ent de cest pais, car se Tristan peult eschaper, il nous honnira et
destruira tous et fera livrer a honte et a tourment ». Lors s'en vont et se met-
tent en mer. Et singlerent tant qu'ilz arrivèrent en Caussié en une ysle belle et
noble, close de mer et de montaingnes. Et dit lescript quilz furent bien sept cens
de celle compaingnie, et furent ulagues ', c'est a dire larrons de mer; et ne
pouoit passer par illeuc nulle nef quelle qu'elle fust qui marchandise portast qui
ne fut desrobée et les gens de dedens mis a mort et a destruction. Les barons
marchans de Flandres, de Sessoingne, de Normendie et de par tous les pors
vindrent en Costentin et s'assemblèrent illeuc et pristrent conseil qu'ilz feroient
de ces larrons ullagues de l'isle de Causié. I. preudomme de Costentin, marchant
en mer, preux et hardi et vaillant, qui Guiffroy avoit a nom^ se leva et dit :
« Seigneurs, fait-il, je vous conseilleray mouli bien. Nous prendrons une nef
bien garnie et plainne de tous biens, si l'envoirons devant Causié. Quant la
verront, si yront celle part, et la vouidront traire au port pour rober ce qui
sera dedens; et nous serons tous armés yssus par nuyt de la mer en l'isle, si
demourra une partie de nous sur la marine et l'autre partie s'en yra droit au
chastel par devers la roche et entreront au chastel quant les larrons seront
yssus, si les enclorrons ; puis les métrons tous a l'espee. » Ad ce saccordent tous
et dient que bien a dit.
A l'andemain par matin garnirent la nef de diverses marchandises et entrèrent
ens jusques a douze cens personnes fors et hardis et bien appareilliés de bonnes
armes et de chevaulx, et s'esquiperent en mer. Et singlerent tant qu'ilz ariverent
a ung soir soubz Causié, si yssirent hors de la nef tous armés et montés sur
bons destriers. L'une partie deulx se mist devers la roche, et l'autre partie de-
moura sur la marine. A l'aube du jour appairant, apperchurent ceulx de Causié
la (casie la) nef, si descendent du chastel aval qui mieulx mieulx, et entrent en
la nef et l'emmenèrent a port. Ceulx qui furent en agait devers la roche entrent
au chastel et le pristrent sans nulle deffense, car nul n'y estoit demouré qui
tous ne fussent aies en la nef, car ilz ne se doubtoient que nul les peust prendre.
Ceulx qui furent demourés sur la marine escrierent les ullagues a la mort, si se
fièrent a eulx et les occyent et mettent tous a mort. Et ceulx qui avoient le
chastel pris reviennent d'autre part, si encontrent ceulx qui fuyoient au chastel
Ms. blagues.
p2 J. BÉDIER
a garant, si les mistrent tous a l'espee; les autres fuyoient vers la mer, si se
fièrent ens, et furent tous noyés, et Bedalis ot la teste couppee. Ainsi fu le pais
délivré de ces ullagues larrons de mer. Mais atant laisse le compte a parler
d'eulx et retourne a parler de Ruvalen et de Gargeolain s'amye.
En ceste partie dit le compte [que], quant Bedalis ot Ruvalen occis et Tristan
navré, Tristan se fuy a Karahès, et le sang couroit de luy a trache partout ou
il aloit. Quant Tristan entra en Karahès ses gens virent le sang qui de lui yssoit,
si furent tous esbahis, et vont après lui eu chastel pour savoir qu'il avoit. Quant
il vint ou chastel et il fu descendu de son cheval a grant paine et a grant dou-
leur, il se laisse cheir sur eulx tout pasmé, car trop avoit leissié de sang; et
quant il revint de pameson, si dit que Bedalis avoit occis Ruvalen et lui navré
a mort. Quant Yseult sa femme et ses gens l'entendent, si fontung deulsi grant
que trop eust dur coeur qui les veist s'il nen eust pitié. Tristan leur enseingne
ou ilz (les) trouveront Ruvalen mort. Lors montent et s'en vont suyvant la
trache du sang, et trouvent Ruvalen mort, qui avoit la teste couppee. Lors
commence le deul si grant que Gargeolain l'oy de son manoir ou elle estoit, si
s'en yst hors et s'en vient au cry toute effree[e], et treuve son amy mort, si fu
si dolente qu'elle se pasme sur le corps plus de cent fois, et quant elle revint de
pâmoison si dit : « Ha! Ruvalen, gentilhomme, filz de roy, tu es mort pour
moy : je mourray aussi pour l'amour de toy, si fera m'arme compaingnie a la
tienne, et serons ensemble enfouys l'un emprès l'autre, i Ad ce mot se pasme
et le coeur lui crevé, si s'en part l'ame du corps. Lors firent ceulx une bière de
feuillie et mirent les deux corps ens, et furent tous esbahis de l'aventure, si les
portèrent a grant deul enfouir. L'archevesque chanta la messe et les mist en
terre l'un emprés l'autre en' deux tombeaulx les plus riches qui oncques mais
fussent veus. Et ainsi furent mors Ruvalen et Gargeolain s'amye et enfouys
ensembles.
Tristan fist mander les mires de partout pour lui garir de sa playe. Entre les
autres mires y en vint ung qui ot nom Agar. Cil en sacha le fust. Mais le fer
demoura : a mal heure s'en entremist il oncques! Puis prist l'aubin de l'œuf et
le lie sur la playe sans plus faire : la playe ne pot estancher de saingner. Cil
print jus de plantain et d'ache et de fanoul et sel et en fist une emplâtre et le
mist dedens la playe, si l'estancha ; mais la jambe lui devint plus noire que char-
bon. Le chetif Tristan crioit et braioit nuit et jour, et tant fist qu'il tasta a la
playe et senti le fer, si appella Yseult sa femme et lui dit : « Dame, tastés cy,
si sentes le fer qui tant me fait mal souffrir, que le mire n'a pas osté. Pour
Dieu, mandés le moy erraument. » Lors tasta Yseult et senti le fer, puis fu
mandé le mire et il y vint tantost, si esracha le fer; mais moult en soufTry le las
Tristan angoisse et travail.
Quant le fer iu hors, le mire mist sur la playe oingnement; mais c'est pour
néant, car il ne sceit rien du mestier, si est grant dommage, car ce qu'il fait a
Tristan ne luy fait fors nuyre. Les mires qui de par tout furent venus se pene-
I. Ms. et.
LA MORT DE TRISTAN ET D'iSEUT 5O3
rent moult de faire lui ce qu'ilz cuiderent qui bon lui fust. Entr'eulx estoit ung
povre mire qui tout nouveiement estoit venu des escoles de Salerne. Quant il
vit ces grans maistres, si dit : « Seingneurs, vous ne savés que vous faites; car
il ne garira ja ainsi. La jambe est ja toute pleinne de feu, et se le feu passe la
jointte, nul n'y pouroit mettre conseil jamais. 1
Quant les mires cent ce et ilz le virent povre, si le commencèrent a despire,
et distrent : « Ha! sire, comment vous estes bien a harnas de vostre sens! Il
vous pert bien! — Seingneurs, fait il, se je suis povre, Dieu me donnera assés
quant il lui plaira. Nonpourquant le sens n'est pas en draps ne en vestures.
mais en coeur ou Dieu l'a mis. Mais je m'en yrai, et vous remaindrés avec cest
las qui souffrera les angoesses que vous lui faictes souflFrir, et en aurés le grant
avoir pour le mettre a mort. Car je sceis certainement qu'il ne vivra pas lon-
guement ainsy : t Adonc distrent les mires que se on ne len cachoit ilz s'en
yroient tous, que jamais n'y demourroient. Lors fu le povre mire bouté dehors;
car vous savés que on n'a cure de povre homme en nul lieu. Et Yseult la femme
Tristan lui donna un marc d'argent et le vesti bien et appareilla, et lui donna
beau palefroy, puis print congié et s'en ala, Helas ! quelle doulour quant il ne
demoura! Car il l'eust tost gari. Les autres mires demeurèrent avec Tristan,
qui moult bien se penerent de le garir; mais c'estoit en vain et pour néant. Et
quant ils virent qu'ilz perdoient leur peine, si le déguerpirent tous. Et quant
Tristan voit ce, si dit tout bellement entre ses dens : « Dieu, que pourray je
faire, quant nul mire ne me peult garir? Bien sceis que se j'eusse par qui mander
la belle Yseult m'amye qu'elle me vensist garir, tost y vendroit; car autre fois
m'a elle gari. » Lors s'apensa qu'il avoit en la ville ung sien compère marinel,
qui avoit a nom Gènes; si le manda qu'il vensist a lui parler sans targer, et
Gènes y vint et s'assist devaut luy. « Gènes, fait Tristan, beau doulz compère,
je vous ay cy mandé, car vous me poués donner santé se vous voulés. Je vous
aime moult, et sachiez se je puis eschapper je marieray moult richement Yseult
vostre fille, ma fiileule, et vousferay encore moult de biens. — Sire, dit Gènes,
commandés moy, et je feray vostre commandement, ou par mer ou par terre.
— Gènes, dit Tristan, cinq cens mercis. Vous en yrés en Cornoaille a la royne
Yseult m'amye, et lui dires que je lui mande qu'elle me vienne garir, et lui
compterés comme je suis navré, et lui baillerés ccst anel, a enseignes quelle
vous croie mieulx. Et s'elle vient avecques vous gardés que le voile de vostre nef
soit blanc; et se ne l'amenés qu'il soit noir. — Sire, dit Gènes, moult volentiers
le feray. Ma nef est ja toute preste et appareillie au port pour mouvoir. Mais
Sire, pour Dieu je vous pry de ma fille vostre filleule. — Certes, dit Tristan,
je la garderay comme la moye, et de ce ne vous doubtés; mais pensés de ma
besoingne. »
Atant se part Gènes de Tristan et print congié et s'en vint au port ou sa net
estoit toute carchie et toute appareillie, si entre ens. Et commanda a sessergens
qu'ilz desancrassent et menassent la nef droit a Bomme en Cornoaille. Les
mariniers esquiperent du port, et singlerent tant par jour et par nuyt qu'ilz
sont arivés scubz Bomme au port. Le roy Marc sceut qu'il avoit au port une
nef de Bretaigne arivee, si ala veoir que[l] marchandise elle apportoit. Quant
Gènes vit le roi Marc, si yssi hors de sa nef et le salue. Le roy lui demanda
C04 J- BÉDIER
dont il estoit : « Sire, dit Gènes, je suis un marchant devers Bretaingne, si
apporte marchandises a vendre en vosîre terre, qui sont toutes en vostre com-
mandement. B Le roy regarda Gènes, qui rnoult lui sembla courtois, si lui dit:
« Frère, fait il, je veul eî te comande que tous les jours que tu séjourneras cy
tu viennes au mangier en ma court, et si retien tous tes vins et te feray main-
tenant délivrer ton paiement, — Sire, dit Gènes, cinq cens mercys; mais je ne
bevroye ne mengeroye fors en ma nef, sauve vostre grâce; car je le promis et
juray a ma femme, quant je me party d'elle, qu'en autre lieu ne prendroye aisé-
ment. » Lors sen rit le roy et dit qu'il estoit loyaulx homs. Atants'en retourna
le roy a la royne et elle lui demanda dont il vcnoit, et il lui dit qu'il venoit du
port, ou il avoit une nef de Bretaigne arivee. « Si ay détenu tous les vins,
mais de tout l'autre avoir qui estoiî en la nef ne goulousay riens nulle autant
comme ung anel que le marchant a qui la nef est avoit en son doy. — Sire,
dit-elle, quel est l'anel .? — Dame, dit-il, jen'en vy oncques en ma vie nul si bel.
II est tout plat, et si y a une esmeraude, la plus belle que je veisse oncques. »
Quant la royne entent la façon de i'anei, si pense que ce soit cellui qu'elle
donna a Tristan, et que ce soit aucun message qu'il y ait envoyé, si dit au roy :
« Sire, mandés au marchant qu'il vienne menger a vostre court. — Dame, fait
il, il n'y vendroiî pas, pour le convenant garder qu'il fist a sa femme au partir;
mais je luy manderay qu'il vienne parier a vous, et si saurés s'il vendroit l'anel.
— Sire, dit la royne, moult avés bien dit. » Et lors manda le roy Gènes qu'il
vensist parler à la royne, et il y vint. Quant il fu venu devant le roy, si lui dist
qu'il alast en la chambre de la royne parler a elle, et Gènes y ala: Assés fu qui
le conduit et mena. Quant la royne vit Gènes, si le fist asseoir emprès elle, et
lui demanda dont il estoit. • Dame, dit il, je suis de Bretaingne natif, et si suis
messager Tristan, qui vous mande salus par moy et vous mande que vous ne
leissiés pour riens que vous ne le venés garir d'une plaie que Bedalis lui fist
d'un fer envenimé, dont il meurt a doulour et mourra s'il na secours de vous ;
car nul mire ny peult riens faire, ains l'ont tout leissié et guerpi; a ces enseignes
que vecy l'anel que vous lui donnastes quant il vous rendy au roi Marc, et
vous lui distes que vous ne croirriés chose que on vous dist de lui se vous ne
voies cest anel. — Par foy, dit la royne, c'est vérité. Gènes, fait la royne, le
roy Marc yra demain au matin a Cardueil en Gales au roy Artus qui l'a mandé,
et quant il sen sera aie, je diray a Andret que je veul aler au gibier, et m'en
yray sur cil rivage, et luy demanderay de vostre nef qui elle est, aussi comme
se je n'en sceusse riens de vous; et il me dira que c'est vostre nef. Et vous
soies tout appareillié comme de mouvoir, et me dires que je voise dedens vostre
nef veir l'avoir qui dedens est ; si sera mise une plance en la nef par ou je
yrai, mais je vous pry, que a Andret ne faites mal. — Dame, dit Gènes,
volentiers. » Lors prent congié et s'en va, et lui leissa l'anel. Lors vint la
royne au roy Marc son seingneur, et dit que le marchant lui avoit donné son
anel. Le roy en mercia moult Gènes, et lui en sceut sans faulte très bon gré;
mais il lui vensist mieulx quil l'eust congeé de son royaume.
A l'andemain par matin s'en ala le roy Marc au roy Artus, qui l'avoit mandé.
Et quant il s'en fu aie, la royne Yseult dit a Andret qu'elle vouloit aler eu
gibier, si fist apprester les chiens et les oyseaulx, puis montent et s'en vont aux
LA MORT DE TRISTAN ET D ISEUT JO5
champs. Moult de gens suyrent la royne. Quant ilz furent aux champs, si firent
saillir un faisant. Andret ieisse aler ung faucon pour le prendre, mais le faucon
failli. Le temps estoiî cier eî bel, si se essora le faucon. La royne appella
Andret, si lui dist que le faucon s'estoic assis sur le mast de la nef qu'elle voit
au port, si lui demanda qui elle estoit. a Dame, fait Andret, c'est la nef Gènes
le marchant de Bretaigne qui hier vous donna son anel. — Alons, fait la royne,
la pour nostre faucon. » Eî lors s'en vont a la nef. Gènes fu yssu de sa nef et
ot mis une planche, et vint contre la royne, et dit : c Dame, s'il vous plaisoit,
vous vendriés veir ma nef et l'avoir qui dedens est, et s'il y a chose qui vous
plaise, prendre le povés. — Gènes, dit la royne, cinq cens mercis. • Lors
descent la royne et s'en va par la planche droit a la nef et entre ens. Andret
aloit a elle, mais Gènes, qui dessus la piance estoit et tenoit ung aviron,
fiert Andret de l'aviron si qu'il l'abat en l'eaue. Andret se cuidoit a erdre
pour se relever, et Gènes le refrapoit de l'aviron et le rabatoit en la mer, et
disoit: « Couvert! traître! Or avés vous vost!-e loyer du mal que vous avés
par tantes foys fait souffrir a Tristan et a la royne Yseult ! 1 Lors vient a sa
nef et esquipe du port. Lors s'en va le cry et la noyse et lieve partout que
Gènes emmeine la royne; si courent tous aux nefs et aux galies et vont après;
mais c'est pour néant, car oncques attaindre ne le pourent, si s'en retournent
arrière et trouvent Androit qui noyé estoit, tant avoit beu de l'eaue de la mer;
si le sacherent hors eî (le) l'enfouirent, car autre chose n'en pouoient faire,
Mais atant en Ieisse a parler le compte, et retourne a parler de Tristan.
En ceste partie dit le compte que puis, que Gènes se fu parti de Tristan pour
aler querre la royne Yseult, que tous les jours puis le matin jusques au soir
estoit Tristan sur le port de Penmarc pour regarder les nefs qui aloient et ve-
noient pour savoir si verroit la nef Gènes venir qui amenast la royne Yseult
s'amye qu'il desiroit tant a veir. Tanî y fu qu'il ne pot plus endurer et qu'il
s'ala coucher arrière du tout en sa chambre. Il fu tel atourné quil ne se pot
plus soustenir sur pié qui! eust et qu'il ne peult mais boire ne menger. Il sent
plus de doulour que oncques mais; il se pasme menu et souvent. Tous ceulx
qui entour luy sont plourent de pitié et font grant deul. Tristan appelle sa fil-
leule la fille Gène, si lui dit : « Belle filleule, je vous aime molt, et sachiés que
se je puis eschapper de cest mal je vous marieray bien et richement. Je vous
pry, et si le veul, qe vous celés mon secret et ce que je vous diray. Vous
yrés chascun matin sur le port de Penmarc, et y serés du matin jusques au
soir, et regarderés se vous verres la nef vostre père venir; si vous diray comme
vous le congnoistrés. S'il ameine Yseult m'amye, que je luy ay envoie querre,
le voile de sa nef sera tout blanc; et s'il ne l'ameine, il sera tout noir. Or
vous en prenés garde se vous le verres, et puis le me vcnés dire. — Sire, dit
la meschine, volentiers. » La meschine s'en ala sur le port de Penmarc, et
estoit illeuc tout le jour et venoit deviser a Tristan toutes les nefs qui par illeuc
passoient. Yseult la femme Tristan se merveilla moult de la meschine pour
quoy c'estoit qu'elle seoit ainsi souvent et tout le jour sur le port et que ce
povoit estre qu'elle conseilloit si souvent a Tristan ; si dit qu'elle le saura s'elle
peult. Lors s'en va au port ou sa filleule seoit, et lui dit : « Filleule, fait
elle, je t'ay molt souef nourrie en ma chambre. Je te conjure de Dieu que tu
<)06 J. BÉDIER
me dies pour quoy tu es ainsi cy toute jour. — Dame, fait elle, je ne puis veir
souffrir ne oir le grant martire et la grant doulour que monseigneur mon
parrain seuffre. Si m'en esbat icy en regardant les nefs qui vont et viennent. —
Certes, fait celle, or sceis je bien que tu m'as menti. Et que vas tu dont si
souvent conseillant a ton parrain.? Se Dieu m'aist, se ne le me dis, jamais
entour moy ne demourras; et se tu me le dis, bien le feras. » Celle ot paour
de sa dame, si lui dit : » Dame, mon parrain a envoyé mon père en Cornoaille
pour querre Yseult s'amye pour amener cha pour le garir. S'elle vient, le voile
de la nef sera tout blanc, et s'elle ne vient pas il sera tout noir; si suis cy pour
savoir se je verroie la nef venir, et se je la veoie je le yroie dire a mon parrain, i
Quant celle ot la parole, si fu (si) courouchie et dit: « Lasse ! qui cuydast
qu'il aimast autre que moy .? Certes ilz n'orent oncques si grant joye l'un de
l'autre comme je leur feroy avoir de doulour et de tristece ! » Lors regarde aval
la mer bien loing et voit venir la nef au blanc voile. Lors dit à la filleule Tristan
« Je m'en vois, et tu demourras ycy. » Moult fu Tristan adoulé : il ne peult
mais boire ne menger, il n'ot ne entent ;j mais toutesvoies appella il l'abbé de
Candon qui devant lui estoit et moult d'autres, et leur dit : a Beaux seigneurs,
je ne vivray gueres, je le sens bien. Je vous pry que se vous oncques m'amastes
que quant je seray mort que vous me mettes en une net et mon espee emprès
moy et cest escrin. Et puis m'envoies en Cornoaille au roy Marc mon oncle, et
si gardés que nul ne lise le brief qui pent a mon espee devant que je soye mort. »
Lors se pasme. Adonc se lieve le cry par leans, et atant es vous venir sa maie
femme, qui lui apporte la maie nouvelle et dit: « He ! Dieux, je viens de devers
cel port, si ay veu une nef qui cha vient de trop grant randon, et croy que nous
l'aurons ennuit céans a hostel. » Quant Tristan ouy a sa femme parier de la
nef, si ouvri les yeulx et se tourne a moult grant peine et dit: « Pour Dieu,
belle 'seur,'dites moy quel estoit le voile de la nef. — Par foy, fait-elle, il est plus
noir que meure. » Helas ! pour quoy le dit elle ? Tant la doivent les Bretons hair !
Tantost comme il ot ce, si sceut que Yseult s'amye ne venoit pas, si se tourne de
l'autre part et dit; « Ha ! doulce amye, a Dieu vous commant, jamais ne me
verres, ne je vous; Dieu soit garde de vous. A Dieu ! Je m'en vois, je vous salue. »
Lors bat sa coulpe et se commande a Dieu. Et le coeur lui crevé et l'ame s'en
va. Lors commence le cry et le deul par leans. La nouvelle va par la ville et par
la marine que Tristan est trespassé. Lors y acourent grans et petis et braient
et crient et font tel deul que on n'y ouyst pas Dieu tonnant. La royne Yseult,
qui fu en la mer, dist a Gènes: « Je voy gens courre et os crier trop durement
je me doubte trop que le songe que j'ay ennuit songié ne soit voir. Car je songee
que je tenoye en mon geron la teste d'un grant sanglier qui toute me honnissoit
de sang et ensanglantoit ma robe. Pour Dieu, je me doubte trop que Tristan
ne soit mort. Faites appareillier ceste !nef et nagerons oultre droit au port, d
Gènes la mist au batel et nagèrent oultre a terre sesche. Quant ilz furent arivés
a terre, elle demanda a ung escuier qui trop grant deul faisoit qu'il avoit et ou
ces gens couroient a tel besoing. « Certes, dame, fait-il, je pleure pour Tristan
nostre seigneur, qui mort est tout maintenant, et la courent ces gens, que vous
veés courre. » Quant Yseult ouy ce, si chiet pasmée a terre et Gènes la
relieve; et quant elle fu revenue de pameson, si s'en vont tant qu'ilz vindrent
LA MORT DE TRISTAN ET D ISEUT 507
en la chambre Tristan, et le treuvent mort, et estoit le corps estendu sur ung
aès, et le lavoit et appareilloit la contesse de Montreiles, et lui avoit ja cauchié
les cauchons. Quant Yseuit voit le corps de Tristan son amy qui illeuc est en
présent, si fait voider la chambre et se laisse cheir pasmee sur le corps. Et quant
elle revint de pameison, si lui tasta au poux et a la vaine, mais ce fu pour néant,
car l'ame se estoit pieça alée. Lors dit : < Doulz amy Tristan, comme cy a
dure départie de moy et de vous! Je vous estoie venu garir. Or ai perdu ma
voie et ma peine ei. vous (perdu.) Et certes puis que vous estes mort je nequier
plus vivre après vous. Car puis que l'amour a esté entre vous et moy a la vie,
bien doit estre a la mort. » Lors l'embrace de ses bras contre son. pis si fort
qu'elle peult et se pasme sur le corps et jette ung souspir, e le cœur lui part i
et l'âme sen va. Tout ainsi furent mors les deux amans Tristan et Yseuit. Quant
Gènes voit celle aventure, si sault hors de la chambre trop grant deul faisant,
et dit que la royne Yseuit est morte sur le corps Tristan. Lors y acoururent
tous, et recommence le deul et le cry si grant que trop eust dur coeur qui n'en
eust pitié. Autre chose n'y ot : les deu.x corps furent ensevelis et appareilliés,
et pristrent conseil comment et ou ilz seroient enfouys. » En nom Dieu, dit
l'abbé deCandom, Tristan nous dit qu'il pendoit a son espee .L brief, et quant
il seroit mort que on le fist lire. » Lors fu l'espee apportée et le brief leu, qui
disoit en telle manière.
« Tristan commande a tous ceulx qui l'amerent que son corps soit porté en
Cornoaille au roy Marc son oncle, et son espee emprès lui, et que nul ne soit
si hardi qu'il oeuvre l'escrin qui y pent devant que le roy le deffcrme et qu'il
veoie qu'il a dedens. » Lors s'accordent que les deux corps soient envoies riche-
ment et honnourablement en Cornoaille; < mais a tous le mains nous en reten-
drons les entrailles, n Lors fu Tristan ouvert et furent les entrailles prises et
enfouyes devant le port, et fu faicte illeuc une riche croix, e lu appellee la
croix Tristan, et establirent ung chevalier qui la. garde et la .renouvelle chascun
an et en tient bonne rente; et s'il ne le faisoit il perdroit sa rente. Puis enbas-
merent le corps et le cousirent en ung cuir de cerf et Yseuit en ung autre, puis
mistrent les deux corps en ung tonnel en une nef, et deux cierges ardans aux
pies, et deux aux chiefs,et mistrent avecques croix et filatieres moult richement,
et l'espee et l'escrin emprés Tristan, puis commandent les corps à Dieu.
Les mariniers r-ntrent en la nef et siglerent et nagèrent tant qu'ilz ariverent
au port soubz Tinthanel, si yssirent hors de la nef et mistrent les corps hors
et les atournerent moult honnourablement, et mistrent les croix et les fillatieres
aux chiefs et deux aux pies, puis les couvrirent de deux draps d'or moult riches
et moult beaux. Illeuc trouvèrent une petite viellote qui venoit des montaignes
du bois. Quant elle voit les croix et les corps si richement appareilliés, si
demanda qui ces corps estoient. Et les mariniers respondirent que c'estoit
Tristan le nepveu le roy Marc, et Yseuit la royne, femme leroy Marc. Quant
la viellote oy ce, si commence a faire le greingneur deul qui oncques mais fust
Ms. pasme.
508 J. BÉDIER
fait par une femme. Les mariniers lui donnèrent dix solz pour garder les corps,
puis rentrent en leur nef et s'en revont en leur pais. Mai: atant leisse le compte
a parler de ceste matière et parole du roy Marc et de ses gens.
Or dit le compte que quant les mariniers curent lessié les corps a garder a la
viellote, elle commence a plourer et a regreter les dis Tristan et ses fais. Les
gens du pais acoururent au deul et au cry, et demandent à la viellote qui ces
corps estoient, et elle leur dit que c'estoit Tristan et Yseult la belle qui fu
femme au roy Marc. Lors recommence le cry et le deul si grant que on n'y ouyst
pas Dieu tonnant. Il out illeuc ung clerc qui leust le brief qui disoit que nul ne
fust si hardi qui deffermast l'escrin qui pendoit a l'éspee et que on ne les enfouyst
devant que le roy Marc les deffermeroiî. Les gens du pais firent faire murs
autour les corps et une chappelle. Illeuc gardèrent les corps nuyt et jour, et
regardèrent par commun accord qu'ilz envoiroientquerre le roy Marc, qui estoit
aie a Cardueil au roy Artus qui l'avoit mandé, si lui envolèrent ung ermite
preudomme et de saincte vie.
L'ermite s'en va et erre tant qu'il encontra le roy Marc a Cachenés, qui ame-
noit ung mainmormet a la royne Yseult, que le roy Artus "lui envoioit. Hélas!
il ne savoit pas qu'elle fust morte, ne Tristan son nepveu aussi. L'ermite salue
le roy et dit: « Roy, cil qui prent (en) deul a son cœur et meurt en yre, il se
part de Dieu et donne son corps et son ame au deable. Et pour ce dy je que
tu ne te mettes en yre pour chose que tu oyes ne veoies. » Le roy ouy l'ermite
qui lui sermonna, si lui dit: a. Se Dieu plaist, je ne seray ja si sourpris que
l'ennemi ait povoir en moy. Dy tout seuremenî (ce) quantque tu vouidras. —
« Sire, dit l'ermite, vous avés moult sagement respondu, pour ce vous diray.
Sachiés certainement que Tristan vostre nepveu et Yseult vostre femme sont
mors, et vous sont envoies de Bretaigne, et a ung brief et ung escrin pendu a
l'espee Tristan, qui deffent que nul ne soit si hardi qu'il defferme l'escrin fors
que vous. Et sachiés que Tristan estoit malade d'une playe dont nul ne le povoit
garir fors que Yseult; si la manda par Gènes qui l'emmena; mais, avant qu'elle
fust la, Tristan fu mort, et elle aussi mourut de deul; si vous en sont les cors
envoies. Si, pour Dieu, près a de trois jours qu'ilz sont au port ; si vous hastés
et veés qu'il a dedens l'escrin, puis faites des corps a vostre volenté ».
Quant le roy oy ces nouvelles, si fu dolent et fust cheu de dessus son cheval
se l'ermite ne l'eust détenu, si dist : « Ha ! Tristan, beau nepveu, tant tu m'as
fait de mal souffrir ! Tu m'as mise a honte et toUue ma femme. Ja par l'ame de
mon père en mon pays enfouy ne seras. » Lors chevauche le roy tant qu'il vint
a Tinthanel au port ou les cors estoient. Le peuple sceut le serment que le roy
sy avoit fait, si s'escrient tous a une voix et dient : « Ha ! roy, pren tout quanque
nous avons, si met a honneur en terre cellui qui toy et ton pays et nous osta
du servage ou nous estions et afranchi, si comme tu le sceis bien. » Quant le
roy ouy si le peuple crier, si en ouït pitié; et prent l'escrin et le defferme, et
avoit dedens une chartre escripte et sellée du seel Tristan. L« roy fait lire a
l'archevesque la chartre, qui disoit :
« A son cher oncle roy Marc de Cornoaille Tristan son nepveu salut. Sire
vous m'envoiastes en Yrlande pour querre Yseult vostre femme. Quant je l'oy
conquise et elle me fu livrée pour amener a vous, sa mère fist faire ung baril de
LA MORT DE TRISTAN ET D'ISEUT 509
vin herbe qui estoit de telle manière qu'il convenoit que cil qui en bevoit amast
celle qui après lui en bevroit et elle lui. Sire, sachiés que cest baril fu baillié a
Brangien a garder, et lui deffendi que nul n'e[nj beust fors vous et Yseult sa
fille la nuyt que vous l'auriés espousee et que vous devriés coucher ensemble.
Sire, quant nous fusmes mis en mer, il faisait si grant chaut qu'il sembloit que
tout le monde estaingnist; si me prist trop grant soif, si demanday a boire, et
Brangien, qui ne s'en donnoit garde, me donna a boire, si bus, et Yseult après,
si que oncques puis ne fu heure que nous ne nous entramissions. Sire, pour
Dieu, si regardés raison se j'en puis mais se j'ay amee Yseult quant je l'ay fait
par force, si en faites vostre plaisir, et Dieu vous gart. » « Sire, dit l'arche-
vesque, de ce qu'il a en ceste lettre dites vostre volenté ».
Quant le roy Marc ot ouy que Tristan avoit amee Yseult par force de vin
herbe et que ce n'avoit pas esté de sa volenté, si fu dolent et courouchié et
commence a plourer et dit: « Hélas! dolent, pourquoy ne savoye je ceste
aventure/ Je les eusse ainchois celés et consentus qu'il se fust ja parti de moy.
Las! or ai perdu mon nepveu et ma femme! « Lors commanda que les corps
soient portés a la chappelle et soient illeuc enterrés si richement comme il appar-
tient a si haulte gent. Leroy fait faire deux sercleux, ung de calcédoine et
l'autre d'un beril. Tristan fu mis eu calcédoine et Yseult ou beril, et furent
enfouys a plours et alermes, l'un d'une part delà chappelle et l'autre de l'autre
part.
Perinis, qui jesoit malade, oy la noise, si se lieve et vient au cry. Quant il
sceut que Tristan et Yseult sa dame furent mors et illeuc enfouys, si commence
sur les tombes a faire trop grant deul, si qu'il n'est nul qui le veist qui pitié
n'en eust, et dit que jamais ne se partiroit d'illeuc se mort non. Le roy lui fist
illeuc faire ung habitacle, quant il vit qu'il ne se vculoit d'illeuc partir. Heudent
le chien Tristan estoit aie en la forest, et avoit trouvé maintes biches, mais
oncques ne verti, et se ala courant droit au port ou les corps avoient esté pre-
mièrement, et commence a abaier et a hufler, et s'en vient par trache droit a
la chappelle ou les corps avoient esté enterrés. Si tost comme il vit Perinis, si
court celle part, et senti a la trache que le corps son seigneur estoit illeuc
enterré, si commence a faire si forte fin que chascun se merveilloit. Illeuc demeu-
rèrent Heudent et Perinis sans boire et sans mangier, et quant ilz avoient fait
leur deul sur Tristan, si aloient sur Yseult. Perinis mande Gouvernai et Bran-
gien par un message en Loonnois, Si tost comme il sceurent la nouvelle, ilz
montent et chevauchent tant qu'ilz vindrent en Cornoaille et trouvèrent Perinis
et Heudent en la chappelle ou les corps estoient enfouys. Gouvernai si tost
comme il vit Heudent si sceut bien que le corps son seigneur estoit illeuc en-
terré, et la ou Perinis estoit, la estoit Yseult enlouye. De dedens la tombe
Tristan yssoit une ronche belle et verte et foillue qui aloit par dessus la chap-
pelle, et descendoit le bout de la ronche sur la tombe Yseult et entroit dedens.
Ce virent les gens du pais et le comptèrent au roy. Le roy la fit par trois fois
coupper: a l'andemain restoit aussi belle et en autel estât comme elle avoit esté
autrefois. Cest miracle estoit sur Tristan et sur Yseult. Gouvernai et Brangien
commencèrent a plourer et a regreter Tristan leur seigneur et Yseult leur dame.
Le roy Marc voulut détenir avec lui Gouvernai et Brangien et faire tout seigneur
r,o J. BÉDIER
et maitre de sa terre ; mais ilz ne vouldrent demeurer, ains prindrent congié et
amenèrent avec eulz Perinis et Heudent. Gouvernai estoit roy de Loonois et
Brangien royne, si firent Perinis seneschal de toute leur terre, et vesquirent
ensemble tant que Dieu les voult prendre a sa part. Si face il de nous! Amen!
Cy finit le Rommant de Tristan et Yseult.
LES FOLIES DE TRISTAN
Dans le « recueil de ce qui reste des poèmes relatifs aux aventures de
Tristan » , publié par M . Francisque Michel ( 1 8 3 5 - 1 8 3 9I , on trou ve deux
poèmes, l'un de 574 vers, l'autre de 996 vers, dont le sujet est le dé-
guisement en fou de Tristan, dans le but de voir Iseut. Le premier de
ces poèmes est tiré du manuscrit de la bibliothèque de Berne 554, où il
va du fol. 1 5 1 verso col. 2 jusqu'au fol. 1 56 verso col. 2. Il sera désigné
par B '. Le second appartient au ms. Douce et va du fol. 12 verso col. 2
jusqu'au fol. 19 recto col. i: il sera désigné par D. Voici le fond
commun aux deux poèmes :
Tristan?, éloigné d'Iseut 4, pense aux moyens de la revoir (D i, 5,
B 1 18, 48, 5 1) pour soulager son tourment ^D 13-14, B 88). Il quitte
son pays [D 61-62, B 1 18), et ne s'arrête pas avant d'arriver à la mer
(D 63-64, B 1 20-1 21), qu'il traverse bientôt (D 65-93, B 127-128).
Marcs le hait (D 161-164, B 4-8), et voudrait le tuer : c'est pourquoi
il faut qu'il se déguise (D 157-160, B 106-107, 1 10-11 3). Comme il
est déjà presque fou d'amour (D 173, B 93, 124-125), il a l'idée de
feindre la folie (D 177-179, B 129, 108). Il tond ses cheveux (D 203-
209, B 132), et se donne l'apparence d'un fou (D 208, B 133-1 34, 1 54-
1 55), va à la cour (D 221, B 1 50), où on le laisse entrer sans difficulté
[B 1 5 1 , D 22 5, 242) . On le hue (D 246-248, B 137). On lui jette des
pierres (D 250, B 1 38), et il frappe les gens avec le pieu qu'il tient à
la main (D 254, B 131). Marc l'appelle (D 261-262, B 157), et lui de-
mande le nom de ses parents (D 268, B 1 59-160); il répond qu'il est le
fils d'une baleine (D 271, B 160) et qu'il a une sœur qu'il veut donner
à Marc en échange d'Iseut ^D 280-282, B 163). Le roi lui demande ce
qu'il fera d'Iseut (D 294-298, B 164]; il répond qu'il la conduira en
l'air où il a une maison (D 299-300, B 166-168). Il se nomme Tran-
îris^ (D 31 5, B 127); il dit qu'il a bu avec Iseut le philtre d'amour
1. Ce travail a été fait à l'instigation et sous la direction de M. Gaston Pa-
ris, à l'Ecole des Hautes Etudes.
2. [Les citations de ce texte, insérées dans ce travail, ont été revues sur la
nouvelle édition donnée par M. Morf. — G. P.]
3. D a Tristran, B Tritanz. — 4. D a Ysolt, B Ysiaul.— 5. D a Marces, B
Mars. — 6. Dans B aussi Picous, et au lieu de Trantris, Tantris.
512 W. LUTOSLAWSKf
(D 467-474, B 174-177) ; tout en simulant la folie, Tristan fait diverses
allusions au passé, ce qui trouble Iseut (D 475-477, B 21 1-2 15). Après
le départ du roi (D 555-536» B 252-255), Iseut va dans sa chambre
(D 545, B 258) et se plaint à Brengien ' en maudissant le fou (D 362-
263, B 585-586). Elle croit qu'il est sorcier (D 561-564, 570, B 378,
520). Elle envoie Brengien trouver le fou (D 598-599, B 269). Celle-ci
y va et voit Tristan resté seul dans la salle (D 607, B 271). Il lui rap-
pelle le philtre d'amour (D 641-656, B 309-317) ; elle le mène dans la
chambre d'Iseut [D 675-676, B 332-334), qui ne le reconnaît pas en-
core (D 707-710, B 357). Après avoir rappelé diverses scènes du passé,
Tristan demande ce qu'est devenu Husdent', le chien qu'il avait donné
à Iseut (D 893-895, B 488). Elle lui répond qu'elle l'a (D 896-898,
B 496-498), et envoie Brengien (D 899-900, B 508) le chercher (D
901-902, B 309). Le chien fait fête à Tristan aussitôt qu'il a entendu
sa voix (D 919-920,907-916, B 510-512, 514-517), ce qui étonne
Iseut (D 917, B 5 19), car Husdent ne permettait à personne de Pappro-
cher (D 921-929, B 504-506) depuis qu'il avait perdu son maître.
Tristan s'écrie que le chien se rappelle mieux les bienfaits qu'il a reçus
que la femme (D 932-936, B 523-5271. Enfin il montre à Iseut l'anneau
qu'elle lui avait laissé en le quittant (D 957, B 528-539); Iseut recon-
naît son amant, et ils se réjouissent (D 974-976, 986-996, B 543-550,
571-5741-
On voit que les deux poèmes commencent et finissent de la même ma-
nière, et que les traits fort nombreux qui leur sont communs suffiraient à
reconstruire un poème hypothétique X qui aurait servi de source à B et
D . Afin de mieux juger cette hypothèse, il faut comparer les deux poèmes,
B étant le plus court et probablement le plus ancien, il sera plus aisé de
suivre l'ordre de ce poème, et de chercher dans D les vers qui corres-
pondent à ceux de B.
1. B 1-2. Tristan est découragé. D 5-24 décrit également le décou-
ragement de Tristan, en y ajoutant des réflexions générales [Mort est
assez kl en dohir vit ; Penser confunî hume et occist) pour expliquer que
Tristan préfère la mort à la douleur qu'il éprouve.
2. B 3, 53. Tristan craint le roi Marc. B 4-44 raconte comment le
roi Marc s'est plaint à ses barons de l'adultère de sa femme, et a promis
des récompenses à ceux qui pourraient saisir Tristan. Dinas, l'ami de
Tristan, lui fait connaître la colère du roi. Tout ce récit paraît être une
1. B Brangien, D Brengien.
2. B Hudent, D Huden.
LES FOLIES DE TRISTAN $1 J
interpolation, et n'est en aucun rapport avec ce qui précède et ce qui
suit. Il contient à son tour plusieurs vers qui l'interrompent. En omet-
tant les vers î-44, on trouve que le vers 45 se rattache parfaitement au
vers 2 sans que le sens ni la rime en souffrent :
I Moult est Tritanz mêliez a cort :
Ne set 0 aille ne ou tort ;
45 N'ose repairier ou païs,
Sovant en a esté fuitis.
3. B 4$-$o, 88, D 5-24. L'éloignement d'Iseut le rend triste et mal-
heureux, et il cherche les moyens de la revoir (B 5 1-52, 90, 94, D 5-4,
IS5-156, 174-176) :
D 14. Tut ensement confuntTristran. B 88. Dex! con sui maz et confonduz.
D 3. Purpenset soi ke faire pot. B 51. Porpanse soi qu'il porra faire.
4. B 54-1 1 5, long monologue de Tristan, qui manque dans D. Ce
monologue contient des répétitions, et surtout plusieurs passages (59-63,
68-70, 97-105, 104-107) qui représentent le voyage en Angleterre
comme un devoir, ce qui est en contradiction avec le reste du poème.
D'autres passages y sont corrompus et obscurs ou sans relation avec le
reste (82-87, 96, 97-103). En omettant les vers 60-89, 94-107, on éli-
minerait tous ces passages suspects, non seulement par leur contenu,
mais aussi par le style :
B 71. Amors qui totes choses vaint B i'^i. E Dex 11 doint joie et santé
Me doint encor que il avaigne S'il vialt par sa doce bonté!
Que a ma volonté la taigne! Et il me doint enor et joie
Si ferai je voir se Deu plait. B 85. Et si m.e tor[t] en itel voie
75. A Deu pri ge qu'i[l] ne me iaist Q^ancor[e] la puisse aviser
Morir devant ce que je l'aie. . . Et li veoir et encontrer 1
5. B M 6- 125, 238, D 59-66. Tristan quitte son pays et ne s'arrête
pas avant d'arriver à la mer. Il va comme un pauvre homme (B 119, D
31-33) à pied.
B 120. D'errer ne fine nuit et jor ; D 63. Il ne finat unke d'errer,
Jusqu'à la mer ne prist sejor. Si est venu droit a la mer.
6. B 126-1 30, D 515, 363,67-94,139-141, 187-222. Tristan tra-
verse la mer et feint la folie : il bat les gens qu'il rencontre (B 131, D
373, 254, 527-530I; il a tondu ses cheveux (B 132, D 203-209], et
tout le monde le prend pour un fou (B 133-135, D 208, 224, 248). On
le hue (B 1 37, D 246-248) et on lui jette des pierres (B 1 38, D 249-
250).
Romanta, XV 33
514 W. LUTOSLAWSKl
Tout ce qui se rapporte aux moyens employés par Tristan pour pa-
raître fou est raconté beaucoup plus amplement dans D. L'auteur paraît
dominer son sujet complètement et le traiter librement. Il nous raconte
par exemple comment Tristan se tondit :
D 203. Tristran unes forces avait :
Il meimes porter les soleit ;
205. De grant manere les amat :
Ysolt les forces lu donat;
207. Od les forces haut se lundi.
Cette histoire paraît inventée par l'auteur de D, car on ne trouve au-
cune allusion à ce don d'Iseut dans les diverses versions de la légende
de Tristan.
7. B 140- 149 contiennent des répétitions et pourraient être omis sans
nuire au sens ni à la rime.
139. Tritanz s'en va, plus n'i areste.
150. Droit a la cort en est venuz :
Onques huis ne li fu tenuz.
Le style de ces vers 140-149 ressemble à celui des vers 60-89, 94"
107 du monologue de Tristan : les phrases sont courtes et sans rapport
entre elles; l'action n'avance pas, et la plupart des pensées qui y sont
exprimées se retrouvent ailleurs dans le poème, ou sont superflues. Leur
banalité ofïre un contraste remarquable avec la plus grande partie du
poème, qui contient des beautés poétiques réelles.
8. B 150-157, D 221, 225, 242, 259-268. Tristan vient à la cour,
on le laisse entrer et Marc l'interroge . L'entrée à la cour a dans D des
développements analogues à ceux du voyage et du travestissement.
9. B 159-161,0 271,280-2,285-292, 513-314. Tristan dit qu'il
est le fils d'une baleine, et qu'il veut échanger sa sœur contre Iseut qu'il
aime. Cette proposition est faite dans D sur un ton plaisant qui manque
à B :
D 285. Reis, je vus durai ma sorur B 161. Une suer ai que vos amoine ;
Pur Ysolt, ki aim par amur. La meschineanon Bruneheut :
Fesumbargaine,fesum change; Vos ravroizetje avrai Yseut.
Bon est asaer chose estrange;
De Ysolt estes tut ennuez:
A une autre [vus] acuintez.
10. B 164-169, D 294-308. Le roi lui demandant où il conduirait
LES FOLIES DE TRISTAN 5 1 S
Iseut, il répond qu'il lui fera une maison au-dessus des nuages. Dans D
cette idée est développée : la maison est déjà faite, et il y a une chambre
de cristal, ce qui rappelle la remarque de Gottfried 16704 : « diu minne
sol auch kristallin durchsihtic und durchluter sin », à l'occasion de la
description du lit en cristal dans la « fossiur a la gent amant ».
11. B 170-180, 308-321, D 46^-472, 641-658. Allusion au breu-
vage d'amour. D'après B c'est Brengien qui a apporté à Tristan et Iseut
le breuvage d'amour, ce qui est en contradiction avec toutes les versions
du roman de Tristan, hors Sir Tristrem. Dans D c'est un valet qui ap-
porte ce breuvage par mégarde. L'idée que le passé pourrait paraître un
songe se trouve dans B et D :
D 456 Iseut dit : B 178 Tristan dit :
Mais vus recuntez vostre sunge. Et si lo tient or a mançonge ;
A nuit fustes ivre al cucher. Don di je bien que ce fu songe,
E le ivrez[e] vus fist sunger. Car je lo songé tote nuit.
— Vers est, de itel baivre sui ivre
Dunt je ne quid estre délivre. »
12. B 181-189. Tristan se plaint des peines qu'il a souffertes à cause
de son amour. Ce passage contient une allusion à une aventure où
Tristan a « sailli ' », qui se rapporte à la version de Béroul en excluant
la version de Thomas.
13. B 190-195, D 369-378. On lui dit de cesser .ses plaisanteries;
il répond comme un fou. Cette réponse ne consiste qu'en paroles dans B.
Dans D Tristan se met à battre tout le monde (D 372 Si se jet ben tenir
pur sot].
14. B 196-209, D 875-892. Tristan raconte la scène où le roi
trouva les amants endormis et laissa son gant près d'eux. B se rattache
à la version de Béroul, tout en introduisant un trait nouveau : Tristan
faisait semblant de dormir. D est parfaitement d'accord avec la version
de Thomas : le roi pardonne à Tristan et Iseut et les rappelle à la cour.
15. B 210-215, D 3 18-324, 365-370, 380-386, 407-41 1, 455-460,
475-477. La reine est fâchée. La colère de la reine est exprimée dans
D six fois, de même que le contentement du roi. Ce contraste n'est pas
aussi prononcé dans B, où le roi lui-même dit à Tristan de cesser ses
plaisanteries.
1. A l'occasion d'un travestissement en pèlerin.
5l6 W. LUTOSLAWSKl
16. B 216-221. Tristan dit à Iseut que si elle savait qui il est, rien
ne la retiendrait. Cette apostrophe audacieuse en présence du roi n'est
pas même modérée par quelques paroles folles qui détourneraient l'at-
tention. Dans D Tristan est beaucoup plus circonspect, et il ne parle
devant le roi que de choses connues de tout le monde : l'allusion au
breuvage d'amour y est si délicate qu'elle ne peut être comprise par
le roi. En outre les allusions y sont entremêlées de boutades folles, pour
détourner l'attention et les soupçons.
17. B 222-227, D 959-957. Tristan dit qu'il a encore l'anneau
qu'Iseut lui avait donné. D raconte la scène en accord avec la version
de Thomas. B s'exprime assez vaguement, mais peut cependant être
rattaché à la version de Béroul. — B 228-247. Tristan se plaint siauda-
cieusement de l'indifférence d'Iseut, et de ce qu'elle ne le reconnaît pas,
qu'il éveille des murmures inquiets dans la salle : ce trait manque dans
D, dont l'auteur écarte toutes les choses peu probables et nous repré-
sente Tristan comme sachant toujours bien calculer l'effet de ses pa-
roles.
18. B 252-257,0 53 j-537. Le roi part pour se divertir, tout le monde
sort. B 258-269, D 559-548, 585-588, 598-600. La reine rentre dans
sa chambre, maudit le fou et envoie Brengien vers lui.
19. B 270-507. Brengien se moque d'abord du fou, elle s'étonne en-
suite de lui entendre dire son nom. Il la prie de l'aider auprès de la reine.
Elle le regarde mieux, et comprend que c'est un chevalier. Elle le prie
de lui pardonner ce qu'elle a dit, et de ne point déshonorer la reine. Le
rôle de Brengien est tout autre dans D.
20. B 508-521, D 641. Tristan rappelle à Brengien le breuvage
d'amour. Il se nomme. B 522, D 61 5-618.
21. B 525-551. Brengien le reconnaît et implore son pardon; c/./2° 19.
22. B 552-554, D 675-676. Elle le mène dans la chambre d'Iseut.
23. B 555-557, D 680-682. Iseut ne sait quel accueil lui faire. Il se
plaint de son indifférence (B 558-556, D 688-705).
23. B 557-566. Brengien reproche à Iseut ses doutes. Cf. n° 19,
Iseut doute que Tristan se soit permis de si mauvaises plaisanteries, B
567-575, et Tristan en explique la nécessité, B 576-579. Tout cela
manque dans D.
LES FOLIES DE TRISTAN 517
25. B 580-401. Tristan rappelle à Iseut qu'il l'a délivrée de Gama-
rien'. Ce nom ne se trouve nulle part dans la légende de Tristan.
Cependant il ne peut désigner personne d'autre que le harpeur irlandais,
auquel il est fait allusion D 765-774, et qui est nommé Gaudin par
Gottfried. H se pourrait que les noms de Gamarien ou Guimarien et de
Gaudin remontassent à une même source. Ce ne peut être Ivain, comme
le veut M. Vetter^, car Tristan dit, B 590-2 : « Resanblé je point a
celui Qui sol sanz aie d^ autrui Vos secorut a ce! besoin? », tandis que
plus tard, B 455, où il fait une allusion plus claire à Ivain, il rappelle
que Governall'a aidé, d'accord avec le poème de Béroul.
26. B 401-405 (D 527-362]. Allusion à la guérison de la plaie que
lui fit le Morhout, et dont Iseut l'a guéri elle-même, ce qui est en con-
tradiction avec la version de Béroul, où Iseut le guérit par l'entremise
de son père, et avec celle de Thomas, où c'est la mère d'Iseut qui le
guérit. D s'accorde bien avec la version de Thomas. Ensuite, B 406-
420, D 414-454, allusion à la guérison de la maladie causée par le venin
du serpent, et au bain où Iseut voulut tuer Tristan. B s'accorde avec la
version de Béroul, D avec celle de Thomas, surtout pour la manière
dont Iseut s'aperçoit de la brèche à l'épée : dans B c'est en essuyant
l'épée, dans D c'est en la tirant du fourreau.
27. B 421-425. Allusion au cheveu.
28. B 426-445, D 641-658. Départ d'Irlande et breuvage d'amour.
Cf. nM I .
29. B 446-465. Allusions au saut de la chapelle, à Ivain, à l'ermite
Ugrin, épisodes connus uniquement par la version de Béroul et man-
quants dans D.
30. B 466-475. Iseut menace Tristan de l'accuser auprès du roi.
31. B 474-485, D 688-706. Tristan se plaint d'avoir perdu son amie.
32. B 486-488, 496-527, D 895-956. Husdent reconnaît Tristan. Ce
passage est des plus remarquables dans les deux poèmes, d'abord parce
que c'est le seul épisode de D qui se rapporte à la version de Béroul, et
I. Cette forme, au moins pour la terminaison, est attestée par la rime. Au
593 le copiste a écrit Gaimarant.
z. F. Vetter, La Légende de Tristan. Marburg, 1882.
5 l8 W. LUTOSLAWSKl
ensuite parce que l'identité des particularités de cette scène dans B e
D est une des preuves les plus claires de leur origine commune. On va
voir en effet que cette identité s'étend même à l'expression, et que les
deux textes ont pour ce récit des vers pareils et jusqu'à un quatrain en.
tier en commun.
D 894. .. vus donai Huden, mun chen.
K'en avez fct ? Mustrez le mai ?
Ysoltrespunt : « Je le ai, parjai!
859. Brengien, ore alez purlecheii. »
903. E ledeslie, aler le lait.
909.Unkes de chen ne oï retraire
Ke poïst maiur2 joie faire
Ke Huden fist a sun sennur.
Tant par li mustre grant amur :
Sur[e] lui cort^ levé la teste ;
Une si grant joie ne fist best[e] :
Bute ; del vis [e] jerl del pé ;
Aver en poust l'en gran pilé.
9i7.Iso!t le tint a grant merveille;
Huntusefu, (si)devint vermaille
De ço k'il /(' ftst le joie,
Tantost cum (il) a sa volz oie.
Kar il art fel e de puite aire,
£ mordeit e saveit mal faire
A tuz icès ki od lu juoent
E tuz icès ki[l] maniomt.
928. Tant par esteit demal'e] maine
Depuis ke il sun mestre perdi.
932. « ... Melz li suvient
Kejol{e) nurri, ki le afaitai,
Ke vus ne fai[t], ki tant amai!
Multpar at enchengrant fran-
[chise
E en femme [rat] grant feintise! »
B 488. Queles! [qu'est] Hudcnt devenu ' ?
^c)6. Certes, jel gart en ma saisine.
508. Damoisele, amenez lo ça!
509. Brangiensi cort, sou dcsloia.
5 1 8. Ses mains loiche, de joie abaie.
5 i^.Sor[e] li cort, liève la teste;
Onques tel joie ne fist teste :
Boute do groin et fiert do pié ;
Toz li monz en aiist pitié.
519. Voit lo \se\it, formant s'esmaie.
5 1 1 . Lo lien fait des mains voler
5 12. A la meschine qui l'amoine.
jio.Qant li brechez ioï parler.
504. Car puis que Tritanz s" an ala
Home de lui ne s'aprima
Qu'il ne voh'isl mangier as danz
523. i ... la norriture
C'ai mise en toi soi beneoite !
Ne m'as mie t'amor toloite :
Moult m'as moutré plus bel sam -
[blant
Que celi cui \'amoie tant ! »
33. B 528-5^9, D 949-9')7. Tristan montre l'anneau.
34. B 540-574 D 974-976, 986-996. Iseut reconnaît Tristan. Fin,
1 . Ed. post meur.
2. Ed. Rute.
z. Les vers B 489-495 interrompent le sens; ils s'accordent bien avec le
poème de Béroui, v. 1413 sqq. Tristan y rappelle la conduite de son chien
lorsqu'il se vit séparé de son maître après le « saut de la chapelle ».
LES FOLIES DE TRISTAN 5I9
En tout, sur les 574 vers de B, il n'y en a que 191 (3, 53, 9-39, 54-
74,89, 104-107, 158, 162, 181-189, 216-221, 248-251, 270-307,
52^55I, ^57-379. 421-42$. 446-473, 489-495I qui n'aient pas leur
équivalent dans D. Dans ces 191 vers nous trouvons surtout plusieurs
traits qui servent à faire paraître Tristan plus audacieux qu'il ne Pest
dans D : n°s 12, 16, 17, 30; quelques passages suspects ou insigni-
fiants : n"' 2, 4 ; et seulement quatre allusions particulières à la version
de Béroul et étrangères à celle de Thomas, n°' 12, 27, 29. Enfin la
différence principale des deux poèmes consiste dans le rôle de Brengien.
D'après D Brengien suppose d'abord que le fou est Tristan, et en-
suite, dans sa conversation avec Tristan, elle lui dit qu'elle ne se rap-
pelle pas du tout les scènes dont il évoque le souvenir. Dans B Brengien
commence par se moquer du fou et l'insulter, ensuite elle le reconnaît
et implore son pardon, fait des reproches à Iseut parce qu'elle ne le re-
connaît pas ; vers la fin elle exhorte Iseut à profiter de l'absence du roi
et exprime le désir que celui-ci ne revienne pas de si tôt. Cette différence
écarte la supposition que D ait travaillé d'après B, tel que nous l'avons
aujourd'hui. Il est plus probable que Dest un remaniement d'un original X,
dans lequel le rôle de Brengien aurait été restreint aux points communs
aux deux poèmes. B serait dans ce cas dérivé de X par un développe-
ment du rôle de Brengien et par l'addition de quatre nouvelles allusions
au passé. Sept allusions auraient pu exister déjà dans X (combat contre
le Morhout, contre le serpent, départ d'Irlande et breuvage d'amour, vie
dans la forêt, harpe et rote, anneau, Husdent), et elles auraient pu y être
exprimées assez vaguement pour que D les développât d'après la ver-
sion de Thomas, B d'après la version de Béroul '. Si X n'avait pas con-
tenu d'allusions, il serait assez surprenant que deux poètes différents
eussent eu la même idée de les introduire dans leurs remaniements de X.
En tout cas, les changements que B a fait subir à X ne sont pas très
considérables; on y voit surtout l'influence du poème de Béroul, Les
différences de D avec X (c'est-à-dire les additions au fond commun de B
et de D) sont plus nombreuses; d'abord le nombre des allusions au passé
de Tristan est si considérable qu'il nous permettrait de reconstruire
toute son histoire. L'auteur aime à raconter avec toute l'ampleur épique :
il nous décrit Tintagel, l'arrivée et le travestissement de Tristan, son
entrée à la cour et la conversation de Tristan et du roi avec une verve
et un art qui témoignent que le poème a été composé à une époque pos-
I. Non sans exceptions; cf. n" 11, 14, 25, 26, et une mention, B 239, d'ur
voyage en Espagne qui ne se trouve que dans la version de Thomas.
5 20 W. LUTOSLAWSKl
térieure à la rude simplicité de B, et par un poète qui n'était pas esclave
de son sujet. A plusieurs occasions il mêle au récit des réflexions géné-
rales, comme : (D 5-20) que la mort est préférable à une longue souf-
france, (049-56) qu'il est bon de cacher ses projets et qu'on court
beaucoup de risques à être trop confiant, (D 288) « Bon est asaer chose
estrange ». Tristan ne sort jamais de son rôle de fou; pour qu'on ne le
reconnaisse pas, il change sa voix et peint son visage ; en entrant il fait
un récit burlesque au portier; après des allusions un peu trop vives, il
bat les gens et rit comme un fou ; c'est pourquoi il n'excite pas de mur-
mures comme dans B, et parvient à amuser le roi, qui exprime son con-
tentement six fois. Tristan adresse ses allusions à la reine et non au roi
comme dans B, et à la fm, malgré tout ce qu'il lui a rappelé de leur
passé, malgré l'anneau qui leur a toujours servi de signe de reconnais-
sance, Iseut ne le reconnaît que quand elle l'a entendu parler de sa voix
naturelle. Ce dernier trait paraît être une invention de D, et il n'est pas
tout à fait d'accord avec le fait que Husdent l'a reconnu à sa voix, avant
qu'il eût cessé de la déguiser.
On voit que les différences des deux poèmes suffisent pour nous faire
douter qu'ils soient faits l'un sur l'autre, mais n'autorisent aucunement à
affirmer, comme le fait M. Vetter ', qu'il est peu probable que les deux
poèmes remontent à la même source. Quant à cette source, X, elle paraît
avoir été un lai indépendant du reste des poèmes de Tristan ; autrement
il serait difficile d'expliquer pourquoi B et D commencent et finissent au
même point. Si X avait fait partie d'un poème contenant le reste des
aventures de Tristan, D ou B auraient sans doute conservé la suite de
ce déguisement de Tristan. En outre B et surtout D ont une introduction
et une fin qui déterminent le poème et ne laissent aucune trace de rap-
ports avec ce qui aurait pu précéder ou suivre.
Cette opinion est confirmée par l'épisode de la folie de Tristan dans
le roman en prose français, que nous trouvons dans le ms. 103 de la
Bibliothèque Nationale - et dans les éditions du xv^ et du xvi^ siècle. Voici
le texte du manuscrit [jol. 375 r^) 3 :
I * (Mais atant ieisse le compte a parler de ceste matière, et compte comment
Tristan aia veir la royne Yseuit s'amye en Cornoaille et comment il fist
le sot. Et commencent cy endroit les soties de Tristan.)
1. Loc. cit., p. 19.
2. On trouvera dans un travail de M. Bédier, imprimé dans le même cahier
de la Romania que celui-ci, le contexte où ce morceau est inséré.
* Les numéros mis en marge servent à taciliter les citations et sont arbitraires,
car le texte ne contient aucune division.
3. La première édition est de 1489 et porte le titre (à la fin) : t Histoire du
LES FOLIES DE TRISTAN S 2 I
2. Or dit le compte ^ que Tristan et son nepveu s'aloient ung jour esbanoiant
j. sur la marine, si souvint a Tristan de la royne Yseult s'amyeî, si dit 4 :
4. « Helas ! amye (doulce si, comment pourray je jamais parler a vous (que je
5. ne soye congneu) ? — Ha 6! sire, (pour Dieu,) fait son nepveu, ne vous
esmaiés, car trop mieulx y parlerons? que oncques mais. Car vous me
ressemblés 8 mieulx sot9, ad ce que vous estes tondu et a la playe que vous
6. avés (eu visagel, que nul hmme qui soit. — Me dis tu voir? fait Tristan.
— Certes, sire, dit le varlet, oyl "'. » (Lors s'en retournent Tristan et son
7. nepveu a Karchès). A l'andemain par matin fait Tristan tailler une gonnelle
d'un ' ' lait burel sans pointes (et sans gérons), mal faite' 2 et mal taillie, et print.
8. C. ss. ' 3 (que nul ne le sceut) ; et voit un viliain qui portoit une (grant) ma-
9. chue '4 (a son col): Tristan vint M a lui et lui toult. Puis s'en va toute la marine,
10. tout nudz pies, la machue au coi '6. (Trop bien ressemble fol de grant ma-
nière.) Si vint 17 au port et trouva une nef, qui estoit a ung bourgois '8 de
1 1 . Tinthanel '9, qui s'en vouloit râler 20 en son pais-'. Tristan prent ses de-
12. niers et les commença a jetter -2 partout en sotois. Quant les mariniers le
15. virent, ils le firent entrer en leur nef et il leur donna tous ses deniers.
14. Tant singla -5 la nef, qu'ils arrivèrent soubz Tinthanel. Le roi -4 Marcs'estoit
1 5 . venu jouer et esbanoier -S au port. Tristan, qui ot prins 26 ung fourmage en
1 6 . ung tonnel »7, sault (sus) de la nef, sa machue au col 28 ; (et) quant le roy 39 le
17. vist, SI l'appella, et Tristan lui court sus comme s'il fust (tout) esragié 3°, et
le roy et tous ses compaingnons 5' commencent a fuir 32 (droit) auchastel 3 3
ide Tinthanel 1, et illeuq s'enferma (le roy pour le fol), et Tristan 34 demeura
18. dehors. Le roy vint aux fenestres et la royne Yseult 35, (et) Tristan qui tout
19. estoit forsené 56 pour s'amour 37 print 38 son fourmage et le commence a
20. menger; (et) le roy (l'appella et) dit : « Fol 39, que te 4° semble de la royne
21. Yseult 4'.? — Certes, fait le fol 4^, se je gesoie'^3 une nuit avec elle, elle me
22 . rendroit tout mon sens que j'ai perdu pour elle. — Fol, fait le roy, ou fus
tu né.? — En Angleterre, fait il.— Et qui fu ton père.? — Ung roucliin44.
25. — Et ta mère.? — Une brebis. Et mon père m'envoya cha 4S toy faire coup. »
24. Lors rougi 46 la royne (et s'embruncha) et lui membra47 de Tristan. « Fol,
très vaillant noble et excellent chevalier Tristan, fils du roi Meliadus de Leon-
nois, imprimé à Rouen en l'ostel Jehan le Bourgois le dernier jour de septembre
mil cccc un xx et ix. t Les variantes de cette édition seront désignées par R,
Les mots du ms. 103 omis dans R sont mis entre parenthèses.
R : 2 conte — 3 de samic la royne Yseult — 4 dist — 5 doulce manque —
6 Haa — 7 car vous y parlerez mieux — 8 semblez — 9 eslre sot — 10 « O'û »
— I I d^ung — 12 faicte — 13 cent soubs, et s'en prent et voit... — 14 massue
— 15 vient — 16 la massue ei son col — 17 (7 vint — 18 bourgoys — 19
Cintagel — 20 retourner — 21 a son paiz — 22 jecter — 23 cingla — 24 roy
— 25 esbanoyer — 26 tonneau — 27 Tristan print — 28 et en son col sa massue
— 29 roy Marc — 30 enrage — 3 1 compaignons — 32 fuyr — -^^ a son chasteau
— 34 et le fol — 35 Iscull — ]G forcené — 37 son amour — ^d> prent — 39 S t
— i\o te — 41 Iseult — ^2 sot — 43 j'estoyc — 44 roucin — 45 f'J pour —
46 rougit — 47 remembra.
522 W. LUTOSLAWSKI
25. fait le roy, qui te fist celle playe? — Je l'oy, fait ' le fol, en ung assauit
(devant celle tour). — Et fus tu oncques a tournoiement 2? (faille roy). —
OyI 5, fait le fol, en Bretaingne4 et en CornoailleS, ou j'en ay occis plus
26. de cent. » (Et) lors commencent tous a rire, et dient qu'il est fol de na-
ture. Le roy le fait^ (appeller et) mettre dedens le chastel? (et le commen-
cha trop a amer pour les soties qu'il disoit).
27. Ung jour vint du monstier^ et s'assist a jouer aux 9 esches a uug che-
lier, (et) la royne s'enclina au gieu 'o. Et Tristan la commence a regarder,
28. ^qui tout ardoit de s'amour, mais) elle (ne le congnoissoit, si) haulce la
main et fiert Tristan au ' 1 col, et dit : « Fol, pourquoi me regardés '2 vous
29. ainsi.? — Certes, dame, fait Tristan, fol suis je. Et sachiés '3 qu'il a'4 passé
huit jours M que nefinay defoloier '6 pour vous; maisse le mal '7 fust a droit
parti'8, vousfoloyssiez:9 (aussi) comme moi. (Etsi)2o vous pry^i pour (Dieu
et pour) l'amour de Tristan (a qui coeur vous avés) que ne me touchiés 22
30. plus. Car (certes) le boire que vous et luy23 beustes en la mer ne vous est
pas si amer (au coeur) comme (il est) au fol Tristan. » (Et tout ce dit il bas
31. que) nul 24 ne l'oy ^s fors seulement 26 (la royne) Yseult. Quant (la royne)
32. l'entent, si se part du gieu 27 (toute) Cûurouchie 28^ et entre 29 en sa chambre
toute yree. Si appelle Camille sa damoiselle; et elle vint 30, si lui demande
33. qu'elle a qui est si yree. « Certes, fait elle, ce fol m'a trop courcuchie 28. U
m'a reprouvé 3' Tristan; mais jamais n'auray joye au coeur 32 si sauray5)
34. qui la parole lui a dite 34. Le roy doit aler 35 cacher 3^, et quant (il y sera
aie et) tout sera vuidié 57, tu yras querre cel fol 38 et le m'amèneras 39, (carje
35. veul savoir qui ce lui a dit, et dont ce vient). — Dame, fait Camille, vo-
lentiers A°. » Le roy va en bois cacher 4' , et Camille va querre le sot et l'am-
meine42 en la chambre; la royne (l'appella et) dit43: «Cha44 venés45, amy.
36. Je vous fery huy par gieu 46; (tenés,) je47 le vous amende 48. » Lors le prist
par la main et l'assist decoste Iuy49 et dit : « Amis, (or me) dites 5° qui
37. vous dit que Tristan m'amoit^'.? —Dame, fait il, vous me le déistes. —
Et quand fust î- ce? fait elle. — Dame, fait-il, n'a pas ung an. — Et qui
es tu donc? — Dame, je suis Tristan. — Tristan! fait elle. — Voire,
dame. — Par ma foy, fait Yseult, vous avés 5 3 menti. Vous ne lui ressem-
38. blés 54 pas. Or tost, fuyés5S de cy S6; (que) maldehais ait acort defol! (Et)
39. certes mal déistes 57 (oncques) que vous estes [Tristan] s8, » Quant il voit
R ; I l'ay eue fait il a ung — 2 tournoiement — 3 ail — 4 Brciaigne — 5
Cornouaille — 6 fist — j chasteau — 8 le roy — <) aulx — \o a jouer au jeu
— \\ sur le — 12 regarder — 13 sachiez — 14)'^ — '5 ^^P^ ^^^ — ^'^
foloyer — ij le jeu — 18 party — \c) joloyassiez — 20 mais je — 21 pri —
22 touchiez — 23 lui — 24 mais nul — 25 entendit — 26 scullement — 27 jeu
— 28 couroucée — 29 s'en entre — 30 vint a elle — 31 car il m'a reproché —
32 au cœur joye — 33 scay — 34 dicte — ^^ yra — 36 chasser — 37 vuide —
^8 ce sot — 39 l'amaineras — 40 \oulcnlitrs — 41 s'en va au boys chassr —
42 l'amaine — 43 lui dit — 44 Ca — 4^ venez — 46 geu — 47 mais je —
^Samenderay — 4c) elle — (,0 dictes — <,i m'ayme — S^ f^t — 53 avez — 54
semblez- 55 juyez — 56 d'icy — si distes — 58 estes Tristan.
LES FOLIES DE TRISTAN $2?
qu'elle le (conjoie si laidement)', si met son^ anel en son doy, qu'elle lui
avoit donné quant il la rendi au roy Marc et le roi Artus en fist la paix, et }
il lui dit 4 qu'elle ne creust de lui chose que on lui deist s devant s'elle ne
40. veoitô l'anel?. Tristan lui (monstre l'anel et) dit : « Certes, dame, il m'est
moult beJS que vous m'avés9 descongiie u 'o. ar or croy je bien que vous
avez fait autre ' ' amy ■ 2 de 1 5 moy ; et puis que 1 4 est ainsi, assés plus belle-
ment le me peussiés ' S avoir dit que moy conjoier '6^ (que vous n'eussiés cure
41 . de moy ; Si m'en fusse râlé '7 en mon pais '^ (arrière) et eusse fait une autre
42 amye''' (que vous). Je vy ja telle heure que vous m'amiés2o bien, mais c'est
coustume de lemme (qui tost a mué son courage) : elle n'amera ja cellui
qui (bien et) loyaument l'ayme^i, mais cellui qui plus lui fera de honte,
43 . cellui 22aimera2? elle detoutson coeur24; (et certes je suis a bon droit clamé
fol, quant je me suis atournéss (comme fol et me suis départi) de mon pays
(et de ma terre), et me fais 26 battre (et ledenger) la dehors a ces pauton-
niers, et mengue es cendres et (me) gis 27 a la terre (toute nue, aussi comme
44. un chien pour l'amour de vous), n'oncques ne m'y avésï^ regardé (ne
congneu). »
45. Quant Yseult voit l'anel et l'ot ainsi parler 29, si le congneut. Lors l'en*
46. brace3o et (acole) et beise?' plus de cent fois 32. et il elle. Lors lui compta 3 3
47. Tristan comment 34 laplaieJS lui fut faitejô par quoy (elle et les autres ront)37
48. descongneu 38, (et lui compte de ses aventures). Elle lui donne robes linges,
49. car d'autres 59 ne veuli il point prendre. La royne dit 4° a l'uyssier4' que
pour Dieu il fist ung lit au fol (en la sale ou que soit) ou il dormist de42
nuit. « Dame, fait il, volentiers. » Si43 lui fist dessoubs ung degré en ung
anglet d'un poy d'estrain et de deux Iincheux44 que la royne lui donna.
jo. (Illeuq gist Tristan par jour et par nuit, et) quand le roy va cacher 4S, Tris-
tan va coucher avec la royne, (si que nul ne le sceit tors seulement Camille),
5 1 . Ainsi fu Tristan deux moys a TinthaneU^ que oncques ne fu47 congneu 48.
52. Ung jourestoit le roy Marc devant sa tour. (Estes vous) 49 ung messager 5°
du roy Artus, qui lui mandoit qu'il alast a lui parler a Carduel (car il avoit
de lui a besoingner; et) quant le roy Marc ouyS' le mandement (du roy
53 . Artus son seingneur), si dit M qu'il yroitn volentiers S 4. Lors s'appareille (et
s'atourne) et s'en va a court. Si tost comme il fu ! 5 parti, Tristan ala S6 cou-
54. cher avec la royne Iseult. L'uyssierl'oy S7 (moult) bien lever (de son lit), si
s'en va (tout coiement garder) s8 au lit du fol, mais il ne le trouva mie 59.
R : I lui donne ainsi congé — 2 ung — 3 si — 4 dist — 5 die — 6 voit —
7 l'ancau — 8 bccia — 0 avez — 1 0 dcscongnu — 11 aallre — 1 2 ami — 1 3 que
— 14 qu'il — 1 5 pcussiez — 16 conjurer — 17 (eusse retourné — 18 paiz —
19 amie — 20 me amiez — 21 l'a-jmcra — 22 celui — 23 amera — 24 courage
2\ pari) — 26 car vous me faites — 27 giz — 28 avez — 29 l'oit ainsi parler
et voit l'ancau — 30 l'enbrasse — 5 1 baise — 32 joiz — 33 conta — 34 comme
— 35 pla)e — 36 avoit esté f aie le — 37 il estait — 38 dcscongnu — 39 aultres
— 40 dist — 41 uissier — 42 par nuit — 4; Lors — 44 linceux — 45
chasser — 46 Cilhagel — 47 fat — 48 congnu — 49 atant vccy venir —
50 mesagier — 51 entent — 52 il dit — 53 ira — 54 voulenturs — 55 fut —
56 s'en ala — ^^7 oit — 58 loult droit — 59 pas.
524 W. LUTOSLAWSKl
55. Lors s'en va (pas après pas) ' après Tristan droit en la chambre a^ la
royne Iseult. Tristan entre en la chambre 5, et Camille (qui l'atendoit) re-
56. clôt l'uys après4 lui, et il ses va coucher emprès 6 la royne (Iseult). L'uys-
sier (l'espia et) dit qu'il sara7 s'il peult qu'il quiert (en la chambre la
57. royne). Lors regarde par une cravache 8 qui estoit en la paroy et voit
58. Tristan couchié9 avec la royne Iseult. Et quant il les areveus'o ensemble,
si " se va coucher en son lit et pensa bien que c'estoit Tristan ' 2. Mais Tris-
tan ne se donnoit garde de ce qu'il l'eust espié.
^9. A l'andemain conta '5 ruyssier'4 aux chamberlans comment 'S il avoit veu
le fol couchié ' 6 avec la royne, et leur dit ' 7 : « Sachiés ' § vraiement que c'est
60. Tristan. » Quant les chamberlans '9 oircnt 2° ce, si furent (moult) 2' courou-
chiés22, et dient2} qu'ils metront (encore nuit de bonnes) espies en la
chambre a la royne Iseult si (soubtilement) que la royne ne s'en (donnera
6 1 . point garde] 24. Quant il fu 2 s nuit, Tristan ala 26 en la chambre de la royne,
62. et s'assist emprès 27 elle. Les chamberlans ont mis leurs espies dedens^s la
63. chambre, dont Tristan ne se donnoit 29 garde. « Dame, dit Tristan a la
royne, il m'en convient aler, car j'ay esté appercheu 5° (et bien le sceis) ; (et)
se le roy venoit et il me tenoit, il me feroit a honte mourir. Je vy hyer
64. l'uyssier et le chambelan parler?' ensemble de moy. » (Et) quant la royne
oy î2 parler Tristan du départir, si commence a plourer (moult tendrement)
65. et (lui) dit 53 : « Ha h! Tristan, beaulx ;s doulz î^amy 37, jesceisî^devoir
que 39 ne vous verray jamais ne vous moy en vie. Or vous prie je pour
Dieu (et requier) que vous me donnés 4° ung don. — Certes, dit 4" Tristan,
ma dame, volentiers42; demandés43 et vous l'aurés44. — Beau (et)doulz4S
amy46 (faitelle), je vous demant47 que s'il avient que vous mourés48 avant
(que) moy, ou que se vous avés49 mal de mort ains que moy, que vous vous
fachiésso mettre en une nef et vous faites P cha S 2 apporter, etgardésS? quela
moitié 54 du voile n qui en la nef sera soit blance S & et l'autre (moitié) noires?.
Et se vous estes mort ou que ce soit mal de mort, que le noir soit
mis au devant, en saine santé S 8, si soit le blanc mis devant et le noir des-
riereS9. Et tout autel feray je de moy s'il avient 60 de moy ains que de vous;
et si tost comme la nef sera venue au port je yray 61 veir mon grant dom-
mage ou mon grant confort, et vous prendray entre mes bras et vous be-
seray62 que ja pour nully ne le leisseray, et puis mourray, si que nous
R : I après Tristan pas après pas — 2 de — 3 chambre de la royne — 4
aprez — 5 s'en — 6 avec — 7 scaira — 8 crcvace — 9 couché — 10 eut veuz
— 1 1 (7 — 12 Tristan de Léonais — 1 3 compta — 1 4 uissier — i ^ comme —
16 couché — i-j dist — 18 sachiez — 19 chamberlens — 20 ouïrent — 21
durement — 22 couroucés — 2] dyent — 2^appercevra ja; Tristan les cuyt bien
parler — 2^ fut nuyt — 26 alla — 27 emprez — 2S en — 29 prenait — 30
apperceu — 3 1 ensemble parlons — ^2oit — 53 dist — 34 Haa — 35 beau —
36 doulx — 37 ami — 38 sccy — 39 ^iie je — 40 donnez — ^i fait — 42 vou-
lenlier — 43 demandez — 44 aurez — 45 doulx — 46 ami — 47 demande —
48 mouvez — 49 avez — 50 facez — 51 faictes — 52 éa — 53 gardez — 54
nioytié — 55 voille — 56 blanche — 57 n'ester mort et que vous soiez —
58 en plainne santé — 59 derrière — 60 advient — 61 iray voir — 62 baiseray.
LES FOLIES DE TRISTAN $2^
serons' tous deux ensembles = enfouys; car puique l'amour est si joincte a
la vie, elle ne (doit) ; pas (estre) dessevree a la mort. Et sachiés4 que se je
muir J avant (que) vous, tout autel feray je. Certes, dame, dit Tris-
tan, (et) je l'octroy. « (Tout)» ainsi se sont entreconvenanciés7, (et) lors
s'entrebeisentS, (et) puis print Tristan congié9 (de s'amye la royne Iseult),
et se '0 part par tel convenant que oncques puis ne s'entrevirent en vie.
66. Quant Tristan ot ' ' prins congic'^d'lseult, si s'en vint' 3 a la mer et trouva
ung marchant de Karahes qui le congnoissoit et moult l'amoit, si le mist
67. en sa nef. Puis singlerentu et nagèrent tant qu'ils arrivèrent 'S au port de
68. Karahès. Moult fist l'en a Tristan grant feste, car ses gens le cuiderent bien
69. avoir perdu. A l'andemainiô par matin (quant il fu jour) comptèrent les
espies aux chambelans que 17 c'estoit Tristan qui (fol se faisoit)'^ et qu'il
70. avoitlanuit '9 geu ^oavec la royne (Iseult). « Ha! Dieu, font ils^i, se le roy
Marc (nostre seingneur) le sceit-^-, il nous destruira et mettra (tous) a mort
71 . pour ce que nous ne l'avons pris -5 et retenu ; or n'y a fors (d'une chose)
que ceste chose soit celée et que monseingneurH ne le sache pas, car s'il le
72. savoitS) ilnousferoit2''tousoccire27(et livrera honte). » Ad^S ces'acordent
7 j . tous qu'iiz29 ne lui diront pas, ne que par eulx ne seroit accusé 5°. (Mais a
tant se taist le compte de ceste matière et de la royne Iseult, et retourne a
parler de Tristan et de Ruvalen et de Gargeolain s'amye.)'
La manière dont est introduit cet épisode, les mots « et commencent
cy endroit les soties de Tristan « (omis dans R), suffiraient à éveiller le
soupçon que le récit de la folie de Tristan a été interpolé. Ce récit, de
même que l'épisode du siège de Nantes qui le précède, interrompt l'his-
toire des amours de Ruvalen et de Gargeolain, et des clefs que Tristan
fit faire pour que Ruvalen pût pénétrer chez son amie. Ce qui complique
la question, c'est que toute la fin du roman, telle qu'elle est dans le ms.
1 G 5 et dans les éditions anciennes, a été empruntée par la source commune
de ce ms. et de ces éditions à un poème perdu (voyez le travail de
M. Bédier) et n'appartient pas en réalité au roman en prose, dont aucun
autre manuscrit ne le présente. Dans cette fin étrangère l'épisode de la
folie de Tristan forme à son tour une interpolation; mais il ne faut pas
croire que cette interpolation ne date que du xv^ siècle, époque de l'ori-
gine du ms. 103. Nous trouvons dans le Tristan d'Eilhart d' Oberg, du
R : I soyons — 2 ensemble — 3 sera — 4 sachez — 5 meur — 6 et — 7
se sont ils accordez — 8 s' entrebaisent — 9 congé — i o s'en — i ] eut — 12
conee — 1 3 vient — 1 4 cinglèrent — 1 5 arrivèrent — 1 6 lendemain — ij les
espies qui en la chambre de la royne estaient contèrent aux chamberlens que — 18
ce faisait le fol — \c)nuyt — 20 jeu — 21 Hz — 22 scait — 23 prins — 24
monseigneur — 25 scait — 26 fera — 27 mourir — 28 ^ — 29 Hz — 30 le
ms. a occise^ ce qui ne donne aucun sens. R: accuse.
I. On voit que la première édition de 1489 s'accorde fort bien avec le ms.
103 ; les omissions ne servent qu'à abréger le texte.
526 W. LUTOSLAWSKl
xii« siècle, la même interpolation. En voici la traduction ' d'après l'édi-
tion de Lichtenstein (Strasbourg, 1878) :
R 5, 47. Vers 8646. Après sa guérison, quand il put aller à pied et à che-
val, Tristrant était devenu tout autre qu'il ne l'était auparavant : il
avait changé son teint et personne ne l'aurait reconnu à son visage,
R 2. si l'on n'avait su qu'il était Tristrant 2. Avec lui était venu de son
pays un enfant, qui était le fils de sa sœur : il l'aimait beaucoup, et
avec raison. Un jour il était allé à la chasse avec son neveu, et ils
arrivèrent à la mer : on ne voyait pas la terre de Cornouaille. Alors
R 3, 4. Tristan dit tout bas : « Hélas! reine bien aimée, je ne te reverrai
donc jamais! Comment cela pourrait-il arriver.? » Son neveu, qu;
R ^. l'entendit, lui répondit : n Mon oncle, j'entends merveille; pourquo
ne pourrais-tu pas la voir? — Non, cela ne se peut pas. — Cela se
peut bien! — C'est impossible. — Pourquoi.? — Quand je l'ai vue
la dernière fois, on m'a découvert, et je n'aurais pu m'enfuir, si je
n'avais eu beaucoup de chance. Un ami 5 m'a caché, et il m'aida à
partir; nous partîmes comme deux garçons 4 et nous avons réussi
avec peine à nous sauver. Une autre fois S on m'avait reconnu aussi,
et je parvins à peine à échapper à la mort; j'étais déguisé en pèlerin;
maintenant je ne puis plus le faire : leur attention est éveillée, et je
n'ose plus aller, hélas! où je pourrais la voir. Que ne donnerais-je
pas pour avoir Kurneval ici.? II me donnerait le moyen d'y arriver
R 5. sans que personne le sache. II connaît beaucoup de ruses. — Mon
oncle, dit le neveu, tu ne pourras jamais la voir à ta volonté mieux
que maintenant. — Comment donc? — Tu es bien autre qu'avant la
maladie; tes cheveux sont tondus, et quelqu'un qui t'aurait reconnu
auparavant ne saura pas maintenant qui tu es, s'il n'apprend ton
nom. Tu devrais aller tout seul par ta ruse : mets un manteau avec
un capuchon 6, prends l'allure d'un fou, alors les gardiens croiront
que tu es vraiment fou. »
E 8710. Le très vaillant Tristan se mit à rire et baisa très affectueusement
l'enfant : « Dieu te récompense, dit-il, mon cher neveu! Je te serai
1. Les numéros en marge se rapportent à R, et désignent les points com-
muns à Eilhart et à R. Dans ce qui suit, Eilhart sera désigné par E, et le ro-
man en prose allemande, qui en est dérivé, par L. Pour ce dernier, j'ai em-
ployé le rajeunissement de Bùsching et Von der Hagen, dans leur Buch dcr
Licbe. Berlin, 1809; vol. I, p. i2-j-[]2, et l'édition de Fr. Pfaff, Tristrant
und Isalde, Prosaroman des xv Jahrhundcrts, Tùbingcn, 1881, p. 182-190.
2. L : Tristrant^ E a généralement Trlstranl, quelquefois Tristrand.
3. Allusion aux vers E 8238 sqq., l'ami était Dinas.
4. Allusion aux vers E 7755 sqq., il fut reconnu par un chevalier qui lui
demanda de faire un saut, de lancer une pierre et de tirer une flèche. La même
allusion se trouve B 184.
5. Avec Kurneval. E garzuns, L gartz.
6. E kogilroc, L narrcn jugel.
LES FOLIES DE TRISTAN ^7
R 7. toujours reconnaissant du conseil que tu m'as donné. » Alors Tris-
R 8, 9. trant s'en aia bientôt, prit le manteau', et partit seul sans regret; il
R 10. portait une grande massue et vint en secret à tous les vaisseaux qui
étaient arrivés de Kurnevales. Ils pouvaient lui être utiles pour son
voyage, et il rôda longtemps aux alentours, jusqu'à ce qu'un mar-
chand, qui était de TintanjoU, l'eût pris. Celui-ci croyait que Tris-
trant était fou, et voulait le présenter en cadeau à son roi et à sa reine.
Je le dis sans mensonge, Tristrant en était bien content. Le mar-
chand le prit avec lui là où il voulait aller, et il fit comme il devait.
Il était bien content du fou. Il leva l'ancre des sables de la mer, et se
dirigea vers la terre. Je dis la vérité, Tristrant fit si bien le fou, que
tout le monde dans le vaisseau en rit beaucoup en le regardant, et
ils dirent que jamais on n'avait vu de meilleur fou. On lui donna du
fromage? pour qu'il le mangeât : il n'oublia passa dame bien aimée,
et il mit secrètement le fromage dans son capuchon, pour l'apporter
R 13. à la reine, et mangea ce qu'il put avoir d'autre. Ils vinrent sans
dommage à Tintanjol, où ils trouvèrent le roi Marc à cheval sur la
plage. Ils ne voulurent pas attendre, et lui donnèrent le fou aussitôt,
R 17. Il avait l'air tellement sot, et se comportait de telle manière, qu'ils
étaient bien sûrs qu'il était fou. On le tira par les oreilles et on
commença a s'amuser de lui: il supporta beaucoup de choses désa-
gréables.
Alors Antred4 le mauvais duc, qui lui avait fait beaucoup de mal
auparavant par des mensonges et des vérités, voulut aussi jouer avec
lui. Le fou le chassa et voulait le tuer : je ne m'en plaindrais pas s'il
l'avait atteint : ses mauvais conseils et ses ruses si fréquentes auraient
été punis sur-Ie champ. Il eut la chance de s'enfuir, et d'emporter
R 17. son corps sain et sauf. Le roi vient à la cour, le fou l'accompagne de
près, et porte sa massue en l'air, en faisant diverses folies. Beaucoup
de chevaliers le suivaient quand il arriva devant la reine. Elle le reçut
comme on reçoit un fou. Alors il s'arrêta devant elle, et voulut qu'elle
k baisât. La reine n'en avait pas envie, car elle ne savait pas qui il
R 18. était. Le fou était devant elle et il la regardait si amoureusement que
le roi lui-même dit : « Eh! bien, fou, laisse donc cela; est-ce que tu
dois regarder si tendrement ma dame.? — Je le dois et je le puis. —
Pourquoi.'' — Parce qu'elle doit être bien disposée envers moi, —
Par quelle raison.? — Je le dirai. — Dis-le. — Elle m'aime. — Tu
plaisantes. — Sire, non. — Tu le lais. — Non, je ne le fais pas; il
R 21, 23. arrivera aisément que je couche avec elle. — Avec qui? — Avec la
reine. — Ma dame? — Oui, ta femme. — Tais-toi, fou; laisse ce
1. L fit faire un habit de fou.
2. L Thyntarol.
3. L du fromage, du pain et autres choses,
4. L Auctrat.
528 W. LUTOSLAWSKl
langage. — Je ne puis pas me taire d'elle. — Parie donc d'autres
femmes. — Mais je ne puis pas mentir. — Maintenant tu mens ce-
pendant. — Ce que je dis est la vérité. — Elle n'a rien à craindre de
toi. — Je ne sais pas si c'est vrai. — Elle peut bien se passer de ton
amour. — Elle m'aime pourtant comme son propre corps. — Com-
ment une femme si belle pourrait-elle faire attention à un fou comme
R 25. toi? — Sire, je suis un bon chevalier et j'ai beaucoup fait pour elle.
— Qu'est-ce que tu as fait.? — J'ai accompli maint travail, et j'ai
eu beaucoup de joie et de douleur pour elle. Dois-je te dire la vé-
R 21. rite.? C'est par elle que je suis devenu fou. Si l'on me tire ici par les
oreilles, je le supporte tranquillement à cause d'elle; elle m'est chère
comme rien au monde, et si vous ne voulez pas y croire, je ne souhaite
pas moins à personne autant de bien qu'à elle. « Il s'assit devant elle
sur le tapis et la regarda dans les yeux. Le' roi l'observait et n'en
R 26. détournait pas ses regards; il devait' toujours le regarder ainsi, car
lui et les autres qui le voyaient croyaient que c'était un fou ■. Mais '
quelques chevaliers et dames sages dirent, tout bas entre eux et non
publiquement : « Il i ne parle pas comme un fou : cela • se voit clai-
rement. — Je ' suis plus sage que vous tous, quoi que vous en disiez.
Vous' êtes des jaloux, et cela ' vous fait de la peine que je sois si
adroit ' ; voyez, je vous montrerai que j'ai pensé avec tous mes sens
a ma dame, puisque je lui apporté de si loin parla mer ce petit sou-
venir. » Il prit le fromage de son capuchon et dit en le montrant :
« Ce' serait dommage si mon travail et ma peine étaient perdus. »
Il dit alors à la reine : « Prenez, ma chère dame; je vous dis par ma
foi que si vous ne m'étiez pas si chère, je ne vous aurais pas apporté
R 26. ce joyau. » Alors ils se mirent tou^ à rire, et dirent qu'il était bien
sijrement un fou et un sot. Il conduisit jusqu'à la fin un discours
sage, et puis il se mit à le détourner de telle sorte que tous auraient
juré que dans aucun royaume ils n'avaient vu un fou plus sot et plus
divertissant.
Quand le roi fut sorti, le fou se comporta de telle manière qu'on
ne le chassa point, et il en était bien content, car il ne trouvait pas
le temps long. Il rompit sur ses genoux le fromage qu'il avait ap-
porté, et qu'il avait tenu sept jours dans son capuchon. Il pria la
reine Isalde de manger avec lui. Malgré ses prières, elle n'en voulut
rien faire. Alors le fou Tristant prit un peu de fromage et le mit à
R 28. la bouche de sa dame. Elle le frappa légèrement à l'oreille. « Ma
dame, dit-il, vous me frappez trop fort ; si vous saviez qui je suis,
R 29. vous ne me battriez pas ainsi. Si Tristant vous est cher, vous ne de-
vez pas me battre. • La dame lui demanda aussitôt ce qu'il savait
de Tristant. Le fou lui dit alors avec ruse beaucoup de choses qui
Cette phrase manque dans L.
LES FOLIES DE TRISTAN 529
R 59. lui étaient arrivées avec elle, et il lui fit voir un anneau qu'elle lui
R 57. avait donné elle-même. Alors dit le vaillant chevalier : « Dame, je
R 41). suis Tristant. i Elle le reconnut aussitôt, et en fut bien contente.
R 49. Elle commanda qu'il fût bien hébergé, et lui fit mettre un bon lit
sous l'escalier dans sa chambre. 11 en était bien content. Alors il eut
R 50, 51. beaucoup de joie : le jour il était fou et la nuit il avait tout son bon
sens, et il allait souvent chez sa dame,- tôt et tard. Il le faisait si
adroitement que personne ne le savait; il parvint à force de ruse à
faire sa volonté secrètement avec la dame. Ainsi passèrent trois se-
maines depuis qu'il était venu.
R H'S^. C'est alors que deux chambellans remarquèrent les amours de l'im-
posteur avec la reine. Ils le dirent en secret à trois de leurs compa-
gnons, qui devaient les aider à le surprendre. Ils vinrent le même
R 52. soir dans la chambre, le roi étant absent. Un d'eux se plaça près du
lit de la reine, deux étaient devant et deux derrière la porte, pour
garder les issues. Ils voulaient tuer ou prendre le héros quand il sor-
R 71, 64. tirait. Tristrant, le vaillant chevalier, aperçut les gardiens; il prit sa
massue à la main et alla chez la dame; nulles menaces n'auraient pu
le retenir, car elle l'aimait, et il l'aimait au-dessus de tout au monde.
Les gardiens perdirent leur courage et ils n'osèrent pas l'attaquer. Il
vint à la dame et l'embrassa amoureusement et dit avec tristesse :
R 63. a II faut nous séparer, c'est tout ce qu'il y a de mieux à faire, parce
qu'on m'a remarqué, et maintenant je ne pourrai plus, hélas! venir
là où je vous pourrais voir; j'en suis bien chagriné. Si je savais ce
que je pourrais faire M Soyez-moi fidèle, et moi je le serai aussi. Sj
un messager vous apporte cet anneau, faites secrètement ce que je
R 65. vous manderai. Dieu maudisse ceux qui nous séparent si tôt. — Et le
diable les prenne aussi! » dit la dame, et elle pleura beaucoup.
Tristan partit, et il portait sa massue en l'air, comme s'il voulait
tuer ceux qui l'avaient attendu pour le prendre. Ils eurent grande
peur quand ils le virent si courageux, et ils n'osèrent pas l'attaquer.
Quand il fut loin, ceux qui étaient à l'intérieur commencèrent à blâ-
mer les gardiens de dehors de ce qu'il leur était échappé sans avoir
été tué ni pris; tous en avaient grande honte; chacun d'eux l'impu-
tait aux autres et ils s'accusaient mutuellement : « Si tu l'avais at-
taqué, je ne t'aurais pas fait défaut! — Ni moi non plus, vraiment. s>
Ils regrettèrent beaucoup de ne pas l'avoir arrêté, et ils le suivirent
en voulant l'attraper; mais quand ils le virent, il leur parut si ter-
rible qu'ils perdirent de nouveau leur courage. Tristan arriva chez
lui sans dommage, et aucun des gardiens n'osa dire ce qui était
arrivé.
I. L Si je savais ce que je pourrais faire peur votre plaisir, rien ne me serai
trop grand ni trop diificile, je ferais tout.
Romania, XV 34
5 50 W. LUTOSLAWSKI
On voit que le récit du xii" siècle a avec celui du xv" de grandes res-
semblances. Surtout le manque du rôle de Camille (correspondant à
Brengien dans B et D) dans la plus ancienne de ces versions confirme la
supposition, exprimée plus haut, que le développement de ce rôle est une
formation postérieure. Les autres différences entre E et R s'expliquent
par la différence de l'âge de ces deux récits et par la différence de la
nationalité des auteurs. Afm qu'on puisse juger de la quantité de points
communs à E et R, en voici l'énumération :
1 . Au commencement, Tristan est convalescent d'une blessure qu'il
a reçue au siège d'une tour; il est chez lui.
2 . Son aspect est changé par la maladie, ses cheveux sont tondus.
3 . Il est au bord de la mer, avec son neveu.
4. Il exprime sa douleur de ne jamais pouvoir revoir Iseut.
5 . Son neveu lui dit que jamais il ne la pourrait mieux voir que
maintenant, et il lui conseille de faire k fou.
0. Tristan se déguise et part bientôt. Il porte une massue.
7. Il vient au port, où il trouve un vaisseau appartenant à un mar-
chand de Tintajol., qui voulait retourner dans son pays. Il s'embarque.
8. Le vaisseau arrive à Tintajol, où le roi Marc se promenait au
bord de la mer. Tristan fait le fou si bien qu'on ne le reconnaît pas.
9. Avec le roi., il arrive devant la reine; son amour est si grand qu'il
éveille l'attention du roi.
10. Tristan dit qu'il couchera avec la reine; qu'il est devenu fou par
elle; qu'il a accompli maint travail de chevalier.
1 1 . Tristan mange un fromage qu'il avait apporté avec lui.
12. La reine le frappe avec sa main ( les motifs de ce coup dif-
fèrent dans E et R) , et il la prie pour l'amour de Tristan de ne pas le
frapper.
13. Il lui montre Vanneau qu'elle lui avait donné.
14. Il se nomme.
1 5 . Iseut le reconnaît.
16. Elle fait mettre un lit pour lui sous l'escalier.
17. Pendant plusieurs semaines (E trois semaines, R neuf semaines)
il reste à Tintajol et couche souvent avec Iseut pendant ce temps.
18. Pendant une absence du roi, on (E deux chambellans, R l'huis-
sier) remarque qu'il couche avec la reine. Plusieurs chambellans forment
le projet de le prendre.
19. Tristan, sachant qu'il est épié (voir le renvoi 88 à R 61), va dans
la chambre de la reine et lui dit qu'il faut qu'il parte, parce qu'il a été
épié. La reine pleure beaucoup.
20. Les deux versions E et R contiennent chacune une autre allusion
LES FOLIES DE TRISTAN H'
à la fin du poème ; dans E allusion au dernier message de Tristan à
Iseut, dans R allusion à la voile blanche ou noire qui devait signifier la
vie ou la mort pour l'un des amants.
2 1 . Tristan part, et les espions n'osent l'attaquer.
22. Les espions, ayant honte de l'avoir laissé s'échapper, et craignant
que le roi Marc ne les punisse s'il apprend que le fou était Tristan, con-
viennent de tenir l'aventure secrète.
Le point 20 paraît confirmer l'opinion que la folie de Tristan a été
interpolée dans l'ensemble du roman. Les autres 2 1 points nécessitent la
supposition d'une source commune, Y, de laquelle serait dérivé le poème
d'Eilhart et le roman en prose française.
Quant au rapport de Y et de X (la source de B et de D', il serait dif-
ficile de les faire dériver l'un de l'autre; leur source peut être une com-
mune tradition ou bien un petit lai, Z, contenant la simple indication
d'un travestissement en fou de Tristan, à l'aide duquel il aurait réussi à
pénétrer auprès de la reine. Ce lai, s'il a existé, serait bien ancien, et
remonterait au moins à la première moitié du xii'' siècle. X y aurait
ajouté les allusions au passé faites par Tristan en présence du roi, le rôle
de Brengien et l'épisode de Husdent; Y aurait introduit l'épisode du
fromage, la scène où Iseut frappe Tristan et où celui-ci la prie au nom de
Tristan de ne plus le faire, le lit sous l'escalier et la scène des espions.
Nous possédons encore deux versions de la folie de Tristan : dans la
suite du poème de Gottfried par Ulrich de Tùrheim et dans la suite du
même poème par Heinrich de F'reiberg', de 1240 et de 1500 envi-
ron. Voici le résumé 2 du récit d'Ulrich, v. 2471-2482 :
Isolt fait dire à Tristan., qui est chez Tinas., son ami, qu'il vienne chez elle dé-
guisé en fou, et il suit ce conseil. Dans le capuchon de son manteau gris il avait
deux fromages, et il portait une massue. Il vient chez la reine, lui parle fami-
lièrement, et lui jette un morceau de fromage. Isolt dit à Marke d'éloigner le fou;
personne n'ose le toucher. Antred l'approche et reçoit un coup qui lui fait perdre
connaissance , Tout le monde s'enfuit, même le roi. Le fou se promène sans empê-
chement. Le nain Melot., qui l'avait dénoncé auparavant, était là; Tristan le prend
par les pieds et le porte ainsi dans la cour; personne ne peut délivrer le nain. Quand
la reine est venue, il le laisse. A la table du roi il prend les mets qui lui plaisent. Le
soir, il se met devant la porte de la chambre d'Isolt et fait semblant de dormir;
// se fait connaître à Brangaene. Quand Marke et Isolt viennent, il chante comme
1. On trouve ces deux poèmes dans l'édition des œuvres de Gottfried de
Strasbourg, par F. H. von der Hagen, Breslau, 1823.
2. Ce sommaire est traduit du sommaire de R. Bechstein, dans son édition de
Tristan (Leipzig, 1875), vol. II, p. 308; ce qui diffère d'E est en italique.
5 52 W. LUTOSLAWSKI
un fou, ensuite il s'élance furieusement et chasse tout le monde, même le roi; il bal
Melot et lui crevé un œil. Isolt en était contente, le roi était fâché.
Le lendemain, le roi alla chasser pour quinze jours. Le fou Tristan pouvait
aisément avoir Isolt. Le jour il fait le fou, la nuit il est avec la reine. Un matin
Antred les surprit, et il s'écria : « Tristan est chez la reine! » Tristan s'éloigne,
obéissant au commandement d'Isolt, et parvient à se frayer une route avec sa mas-
sue. Dans la forêt il rencontre le roi, qui n'avait pas encore appris l'aventure, et il
h chasse avec sa massue. Près d'une rivière il trouve une barque et traverse l'eau.
Pleherin ' l'avait suivi et il l'invite pour l'amour de la reine à s'arrêter. Il obéit et
tue Pleherin avec sa massue. Il traverse l'eau de nouveau, échappe au roi qui le
poursuit, et s'embarque sur la mer. Marke regrette la mort de Pleherin; il vou-
drait enterrer Isolt avec lui, mais ses barons lui conseillent d'apaiser sa collre, car
Antred étant l'ennemi de la reine, il l'a certainement calomniée.
Le récit de Heinrich de Freiberg est beaucoup plus long : en le lisant
on voit aisément que la fantaisie du poète est assez libre pour qu'on
puisse supposer qu'il a fait subir certains changements à sa source. En
voici le contenu * :
V. 5055. Tristan est malade à Litan, ch:z Dinas. Isolt lui envoie, par Paranis
et Tantrisel, une médecine qui le guérit. Tristan soupire après Isolt; Tantriscl lu'
dit qu'il pourrait la voir mieux que jamais. Tristan lui répond qu'il juge comme
un enfantde choses qu'il ne peut apprécier. Tantrisel lui décrit l'aspect qu'il a,
et lui donne le conseil de se travestir en fou, et de parvenir ainsi jusqu'à la
reine. Tristan le loue de son bon conseil, prend un manteau avec un capuchon,
dans lequel il met du fromage. En arrivant à la cour du roi, il adresse à la reine
les mots (5173) : « sit iu diu kuneginne, so gebet mir iuwere minne », et parle
ensuite comme un fou; il jette un peu de fromage à la bouche de la reine (^200),
Marke lui tire les oreilles., et il veut le frapper avec sa massue : c'est Antret qui
reçoit le coup et tombe évanoui. Tantrisel arrive et dit à la reine que le fou est
Tristan. Le lendemain, le roi va chasser pour huit jours et recommande le fou à
la reine. Tristan se nomme Peilnetosi, et Isot comprend que cela veut dire Isotenliep
(a cher à Isot », en lisant à rebours). Le soir il se couche près de la chambre
d'Isot. Celle-ci dit à Brangane de l'amener. Brangane en étant tout étonnée, Isot lui
dit que le fou est Tristan. Brangane l'amené dans la chambre d'Isot, et elle se retire.
Le matin Isot l'éveille, et il sort pour se mettre de nouveau sur son lit. Pfi-
hrin annonce à la reine l'arrivée du roi. Les amants doivent se séparer ; en partant
Tristan fait un saut si extraordinaire que Pfelerin, étonné, demande son nom. Quand
'/ a entendu le nom de Peilnetosi, il comprend que c'est Tristan. Il le poursuit, le
1 . E 684^ sqq. (pas dans la folie de Tristan) raconte aussi que Pleherin avait
poursuivi Peronis, qu'il prenait pour Tristan, et l'avait invité au nom d'Isolt à
s'arrêter, mais en vain. II s'en vanta devant Isolt et la mit ainsi en colère
contreTristan. C'est bien différent!
2. D'après l'édition de Von der Hagen, t. II, p. 74 sqq. Dans ce qui suit,
Heinrich von Freiberg sera désigné par H et Ulrich par U.
LES FOLIES DE TRISTAN 5 ^^
rejoint et lui dit de s'arriter pour l'amour de la reine. Tristan s'arrête, combat avec
Pjekrin et le tue. Le roi qui survient demande qui a tue Pfchrin. Tantrisel lui répond
que c'est le fou. Le roi Marc devine que c'est Tristan, et ordonne qu'on le poursuive.
Il échappe et revient à Lilan chez Tinas. Le roi Marc cesse de soupçonner son neveu
(5718)-
Tout ce qui est souligné manque dans Eilhart ; on voit donc que
Heinrich de Freiberg et Ulrich de Tùrheim ont dû se servir de sources
autres que le poème d'Eilhart ' pour la folie de Tristan. Des points com-
muns à E et R, énumérés plus haut, les numéros i, 3,7, 8, 10, 12, 13,
14, 15, 16, 19, 20, 21, 22 manquent dans H aussi bien que dans U.
Quant au rapport de ces derniers, les différences dans les rôles de Tan-
trisel, d'Antret, de Brangane nous empêchent de croire que H ait tra-
vaillé d'après U; mais les nombreux points communs à ces deux poètes
nous forcent à admettre qu'ils remontent tous les deux à la même source
française*, que nous nommerons W. Ce poème W devait remonter à Z
comme X et Y : il différait de ces derniers en ce qu'au commencement
Tristan n'est pas dans son pays ; qu'il ne traverse pas la mer pour ar-
river en Cornouaille ; qu'Isolt sait avant qu'il soit seul avec elle qui il
est; qu'il tue Pleherin, et que le roi Marc apprend sa présence et le
poursuit. Le fait que H et U introduisent la folie de Tristan à un autre
endroit du poème que E et R est une nouvelle preuve de l'indépendance
primitive de cet épisode.
Voici le rapport des six versions connues jusqu'à ce jour de la folie
de Tristan ; la découverte de nouvelles versions pourrait modifier ces
conclusions ' :
Z'
1
1
X*
1
1
R
1
Y*
1
1
W*
1
1 1
B D
1
E
1 1
H U
W. LUTOSLAWSKI.
1 . Certaines ressemblances pourraient cependant être attribuées à une influence
secondaire d'Eilhart sur Ulrich, qui écrivait soixante ans après lui, et sur Hein-
rich, qui écrivait cent vingt ans après Eilhart. et qui probablement l'a connu.
2. On trouve des mots français dans H.
3. Les astérisques désignent les formes perdues, sources de celles qui nous
restent.
LES ALLUSIONS
A LA
LÉGENDE DE TRISTAN
DANS LA LITTÉRATURE DU MOYEN AGE
Les amours de Tristan et d'Iseut sont une des traditions poétiques
qui ont le plus charmé, le plus frappé les esprits au moyen âge. A côté
des poèmes de Béroul et de Thomas ', qui traitent ce sujet celtique dans
son entier, les nombreuses allusions à ces amours et à leurs péripéties
dont sont parsemés les écrits des poètes, soit provençaux, soit français,
soit même étrangers, entre le xii^ et le xv* siècle, et aussi certains pe-
tits poèmes épisodiques qui se rattachent à cette même légende, nous
sont une preuve précieuse de la connaissance profonde que chacun en
avait et de l'intérêt que les lecteurs de ce temps prenaient à son sou-
venir. Non moins utile d'ailleurs est l'étude de ces allusions et de ces
poèmes épisodiques par les éléments qu'elle peut apporter à l'histoire
de la formation et du développement de la légende. Si beaucoup de ces
allusions en effet peuvent se rattacher directement à des traits renfermés
dans les fragments de Béroul et de Thomas, il en est certaines aussi qui,
se rapportant à des incidents compris dans les traductions des poèmes
anglo-normands, corroborent le témoignage de ces dernières et peuvent
être d'une grande utilité pour la reconstitution du texte mutilé de nos
poètes; enfin il en est d'autres qui sont complètement indépendantes et
des poèmes de Béroul et Thomas et de leurs traductions, qui se pré-
sentent avec un caractère tout à fait particulier et à ce titre méritent
notre attention.
I. Ces poèmes ont été publiés par Fr. Michel, Tristan, recueil de ce qui reste
des poèmes reiaiifs à ses aventures, composés en français, en anglo-normand et en
grec dans les xii« et xiiie siècles. Londres, I et II, 1835; III, 1839.
LES ALLUSIONS A LA LÉGENDE DE TRISTAN 555
Les allusions les plus nombreuses sont naturellement celles qui ont
trait à l'amour de Tristan et d'Iseut considéré en lui-même et indépen-
damment des circonstances où cet amour s'est manifesté. Dans une pièce
qui remonte à 1 1 54, — cette allusion, si elle n'est pas la plus ancienne
des allusions provençales, est du moins parmi les plus anciennes celle à
laquelle on peut assigner une date certaine, — Bernart de Ventadour
nous dit que ses peines d'amour sont plus cruelles que celles dont souf-
frit Tristan :
Tan trac pena d'amor
Qu'a Tristan l'amador
Non avenc tan de dolor
Per Yzeut la blonda'.
A la suite de Bernart de Ventadour, nombre de troubadours proposent
Tristan et Iseut comme les types de parfaits amants, comme des modèles
de constance et de fidélité. Arnaut de Mareuil dit à sa dame qu'Iseut
n'éprouva jamais auprès de Tristan la joie qu'il ressent auprès d'elle :
E Rodocesta ni Biblis
Blancaflors ni Semiramis
Tibes ni Leida ni Elena
Ni Antigona ni Esmena
Ni! bel' Yseus ab lo pel bloi
Non agro la meitat de joi
Ni d'ajegrier ab lor amis
Corn eu ab vos, so m'es avis^.
De même Folquet de Marseille :
Qu'eu sui garenz plus vos am sens enjan
Non fes Yseutz son bon amie Tristan^.
Pons de Chapteuil :
Domna genser qu'ieu sai
Mais vos am ses bauzia
No fes Tristans s'amia
Et autre pro noi ai ''.
1. Ms. de la Bibl. Nat., fonds fr. 856 fol. 50 ; Bartsch, C/^r^5^ pr., p. 63 .
2. Ms. de la Bibl. Nat. 22545, fol. 134. Bartsch, Chrest. pr.^p. 97.
3. Ms. 8h, fol. 64.
4. Ms. 856, fol. 21 verso.
5^6 L. SUDRE
Bem deu valer s'ainors, quar fis amans
Li sui trop mielhs no fo d'Iseut Tristans'.
Aimeric de Pegulhan :
Nis mes Tristans d'amor en tant d'assai 2.
Uc de La Bacalaria :
Tristans ni Amelis
No foron d'amor tant fis '
Peire Cardenal
Etz Tristans fon de totz les amadors
Le plus leals e fes mai d'ardimens '<.
Chez les poètes français, les allusions aux amours de Tristan et d'Iseut
ne sont pas moins nombreuses, et là aussi elles servent généralement de
point de comparaison avec d'autres attachements. Il en est déjà question
dans Huon de Bordeaux (fin du xii" siècle) : Auberon ayant défendu à
Huon de toucher à la belle Esclarmonde, ce dernier désobéit. Aussitôt
une tempête s'élève, et les deux amants sont jetés dans une île. Aux
lamentations d'Esclarmonde, Huon répond :
« Dame, dist Hues, or laissiés çou ester;
Foi que doi vous, n'i valt riens dementer;
Acolons nous, si morrons plus soef.
Tristrans morut por bêle Iseut amer,
Si ferons nous, moi et vous, en non Dés. >>
Dans un fableau du xiii*^ siècle : C'est de la dame cjui aveine demandoit
pour Morel sa provende avoir, il est dit :
Tristans tant corn fu en cest monde
N'anma autant Ysout la blonde 6.
Dans la Châtelaine de Vergi :
Je cuidoie que plus loiaus
Me fussiez, se Dieu me conseut,
Que ne fust Tristans a Yseut7.
1. Ibid.^ fol. 20 verso.
2. Birch-Hirschfeld, Uekr du den provcnzalischen Troubadours des XII und
XIII Jahrhunderts bckannten epischen Stoffe. Halle, 1878, p. 40.
5. Ibid.^ p. 40.
4. Ibid.^ p. 59.
$. Huon de Bordeaux^ éd. Guessard et Grandmaison, v. 6806.
6. Montaiglon et Raynaud, Recueil des fabliaux des xiii" et xiv«5., I, p. 519.
7. Fabliaux et contes, IV, p. 519 20.
LES ALLUSIONS A LA LÉGENDE DE TRISTAN S^l
Vénus, dans le poème de la Déesse d\%mor, présentant un amant, ne
trouve rien de mieux pour faire son éloge que d'affirmer qu'il a souffert
plus que Tristan :
... ne sofFri tant Tristans
... [ne t]ormens ne ahans '.
Thibaut, comte de Champagne, ne manque pas de se comparer à
Tristan :
Douce dame, s'il vos plaisoit, un soir
M'avriez vous plus de joie donee
Conques Tristanz, qui en fit son pooir,
Ne pot avoir tant corne il ot durée 8.
de même :
Car quant je pens a son très doux visage.
De mon penser aim miex la compaignie
Conques Tristanz ne fist Yseut s'amie 5.
Faisant allusion aux amours de Thibaut et de la reine Blanche de
Castille, l'auteur des Chroniques de Saint-Magloire s'exprime ainsi :
Maintes paroles en dist an
Comme d'Iseut et de Tristan 4.
Enfin, en Italie même^ nous trouvons une allusion fort ancienne, da-
tant de la fin du xii* siècle, dans le poème de Henri le Pauvre, curé de
Settimello, qui a pour titre : Elegia de dhersitaie Fortunae et Philosophiae
consolatione. Il y compare son infortune à celle de Titye, de Tantale, de
Job et de Tristan :
Quis ille
Tristanus qui me tristia plura tulits?
Le plus souvent, nos deux amants sont cités à côté des plus célèbres
amants de l'antiquité ou du moyen âge. Ainsi, dans les vers qui pré-
cèdent le passage de Vénus Déesse d'Amor que nous avons cité plus haut,
1. Venus la Déesse d'Amor, p. p. Foerster, Bonn, i88o, p. 302.
2. Poésies du roi de Navarre, II, p. 7.
j. Jbid., p. 144.
4. Fabliaux et contes, II, p. 224.
5 . Leyser, Historia poelarum medii acvi dcccm posl annum a nato Chrisio CCCC
seculorum. Halae Magd , 1721, I, p. 458, v. 97. Une glose reproduite en note
à propos du mot de Tristan est assez curieuse. Elle porte : Tristumus fuit (jui-
dani miles oui multa mala suitinuit. Voir dans Poeii dcl prim. s.c, I, p. 143,
249, 458 des allusions dans des poèmes italiens du milieu du xiiie siècle.
558 L. SUDRE
le nom de Tristan est accompagné de celui de Paris et d'Hélène; de
même dans Gautier d'Aupais :
Ainsi servi Gautier toute une quarantaine,
E soufri tel dolor qu'ainz Tristanz si grant peine
Ne soufri por Yseut, ne Paris por Elaine^
Dans VEmpereris qui garda sa chasteé^, Tristan et Yseut sont com-
parés à Pirame et Tisbé :
Plus vos aim, dame, et plus i bé
Qiie Piramus n'ama Tybé
Ne que Tristan Yseut la blonde;
de même à Erec et Enide dans un poème provençal anonyme cité par
Fauriel^ :
Erecs non araet Henida
Tant ni Yseutz Tristan
Con ieu vos, dona grazida ;
à Lancelot et Guenièvre dans Gower"* :
Ther was Tristram which was byleved
With bêle Isolde, and Lancelote
Stode with Gunnor, and Galahote
With his lady.
Ce même Gower, dans une de ses ballades en français, s'exprime
ainsi au sujet de Tristan et Lancelot :
Communes sont la cronique et l'estoire
De Lancelot et Tristrans ensement,
Encore maint lour sotie en mémoire
Pour ensampler les altres du présent i.
C'est là, on le voit, une critique de l'amour de Tristan et d'Iseut et,
ajoutons-le, c'est la seule que l'on rencontre au moyen âge. Il est vrai,
comme le fait remarquer M. Fr. Michel, que Gower avait le tour d'es-
prit fort sentencieux, qu'il trouvait partout sujet à moraliser. C'est lui
en effet qui tire de l'histoire du philtre amoureux la conclusion tout à
fait inattendue qu'il faut se garder de trop boire 6.
1. Cité par Fr. Michel, I, lxxxii.
2. Méon, II, p. 1 1 .
j. III, p. 484.
4. Cité par Fr. Michel, I, xxiv.
^. Voy. Stengel, John Gowei's MinncSiUig uiui Ehezuchtbiichlem, p. 23.
6. I., p. xcvii.
LES ALLUSIONS A LA LÉGENDE DE TRISTAN $ J9
Tristan est encore placé en qualité d'amant illustre en regard du châ-
telain de Coucy et de Blondel par Eustache le Peintre :
Onques Tristans n'ama de tel manière,
Li chasteiains ne Blondiaus autressi,
Comme j'ai fait, très douce dame chiere^.
Enfin Dante donne place à Tristan parmi les amants qu'il décrit fuyant
à travers les airs comme une compagnie de cigognes :
Vidi Paris, Tristano, et più di mille
Ombre mostrommi e nominolle a dite
Che amer di nostra vita dispartille^.
Bien que ces comparaisons entre l'amour de Tristan et celui d'un
Lancelot, d'un châtelain de Couci, d'un Blondel, aussi bien que les com-
paraisons des troubadours et des trouvères entre eux-mêmes et notre
héros soient assez vagues et ne tendent guère qu'à faire de lui un type
général d'amant fidèle et malheureux, on est pourtant obligé de convenir
que les écrivains qui présentaient ainsi son attachement à Iseut comme
un modèle inimitable, comme un idéal, méconnaissaient le caractère assez
primitif et presque sauvage de cet attachement tel que nous le présentent
Beroul et Thomas. Chez eux, l'amour de Tristan et d'Iseut n'a rien de
commun avec l'amour délicat des chevaliers de Provence ni avec l'amour
mystique des romans de la Table Ronde et de la société qui en faisait
ses délices : il n'a rien de commun surtout avec l'amour de Lancelot et
de Guenièvre, lequel a introduit justement dans la littérature une nou-
velle conception de ce sentiment. En un mot, toutes ces allusions, ou
presque toutes, semblent dériver de la transformation opérée par Chré-
tien de Troyes^ ou par un autre dans l'ancienne tradition des amours
de Tristan et d'Iseut, transformation qui fut continuée et surtout déve-
loppée par les romans en prose sur ce même sujet.
Mais venons aux allusions qui sont plus en rapport avec le fond de la
légende. L'ouvrage où ces allusions sont le plus nombreuses est le Ro-
1. Chansons du Chat, de Coucy, p. loo.
2. Inf., V, V. 67 sq.
5. Dans le roman de Tristan qu'il avait composé et qui est malheureusement
perdu. Il nous apprend lui-même dans les premiers vers de Clig'cs qu'il avait
fait une œuvre sur le sujet de Tristan :
Cil qui fist d'Erec et d'Enidt
Dou roi Marc et d'Iseut la Blonde.
540 L. SUDRE
man de l'Escoafle, du xiii= siècle. La description d'une coupe où sont ci-
selées les amours de Tristan et d'Iseut est en quelque sorte un petit
résumé de la légende, et ce passage est d'autant plus curieux qu'il nous
présente un mélange des versions de Thomas et de Béroul.
La première partie dérive évidemment de la même source que les épi-
sodes qui y correspondent dans la traduction allemande par Eilhart d'un
poème analogue à celui de Béroul :
Dedens estoit portrais rois Mars,
Et s'i estoit comment l'aronde
Li aporta d'Yseult la blonde
Le chevol sor par la fenestre
Et comment Tristrans en dut estre
Ocis en Irlande {éd. Islande) en sa terre
El la nés en qui l'ala querre
Estoit portraite en cel vaisseP.
La mention du cheveu d'Iseut apporté par une hirondelle au roi Marc
est ici caractéristique. Eilhart seul en parle-, tandis que dans les trois
représentants de la version de Thomas c'est par la bouche de Tristan
que Marc apprend la beauté d'Iseut.
De même les vers qui suivent nous ramènent encore à la version de
Béroul :
Defors, enter sur le noiel
Estoit entailliés a esmaus
Tristans et maistre Govrenaus
E Yseult e ses chiens Hudains,
Comment il lor prendoit les dains
E les cers sans noise et sans cris.
Béroul et Eilhart en effet font seuls figurer Gouvernai dans cet épi-
sode ; les représentants de la version de Thomas n'en parlent pas, sauf
cependant Gottfrid de Strasbourg ^ qui semble avoir emprunté ce trait à
Eilhart \
Le poète passe ensuite à l'épisode de la surprise des deux amants par
le roi dans la forêt :
1 . Ce passage et les suivants du roman de VEscoufle sont cités d'après
Fr. Michel, t. III, xi-xv.
2. V. 1370-1418.
5. V. 16407-17710.
4. Velter, La Lé;;endc de Tristan d'après le poème français de Thomas et les
versions principales (jui s'y rattachent. Marburg, 1882, p. 42.
LES ALLUSIONS A LA LKGF.NDE DE TRISTAN 54 1
Sor le covercle estoit li lis
Comment il jurent en la roche
Et comment li brans 0 tout l'oche
Fu trovés entr'aus deus tos nus. . .
La roche dont il est question ici, et qui sert de demeure aux amants,
ne figure pas dans Béroul ; nous n'en trouvons trace que dans la ver-
sion de Thomas, et en particulier dans le Tristan fou du ms. Douce :
A Ifa] forest puis en aiames.
E mult bel liu fnus] i trovames :
En une roche lu cavee'.
Quant à la description du pumel de la coupe, elle rappelle un épisode
qu'il est plus difficile de rattacher à l'une ou à l'autre version :
Sor le pumel estoit li nains
Comment il jut sor les planciés,
Et comment il fu engigniés,
Et comment Yseult l'aperçut,
Et comment Tristrans l'a déçut,
K.i trop sot et d'engien et d'art,
Comment il ocist maugremart(?i.
Il ne peut s'agir ici de l'épisode oh le nain jette de la farine entre les
deux lits 2; car, comme on peut le remarquer par ce qui précède, l'au-
teur du roman de VEscoufle semble suivre l'ordre chronologique des
événements. Or, dans les deux versions, l'épisode de la farine est anté-
rieur à celui de la vie des amants dans la forêt. D'autre part, dans le
Roman de VEscoufle, c'est Iseut, tandis que dans Béroul c'est Tristan
qui aperçoit le nain. De même si l'on se reporte au fragment de Cam-
bridge^, c'est Tristan qui en s'éveillant se voit surpris par le roi et le
nain. N'aurions-nous pas plutôt affaire ici à une scène analogue à celle
qui termine le fragment que nous possédons de l'œuvre de Béroul et
dans laquelle le traître Godoine est aperçu à la fenêtre par Iseut et tué
par Tristan 4 .? La ressemblance est lointaine sans doute, mais le rappro-
chement des deux scènes est possible. Si cette hypothèse était acceptable,
il faudrait évidemment lire mau gré Mart au lieu de maugremart dans le
texte. On pourrait encore supposer que le mot maugremart désigne un
1. Fr. Michel, II, p. 130, v. 861 sq.
2. Tristan fou, ms. Douce, 725-754; Fr. Michel, II, p. 121 sq.; cf. Bé-
roul, v. 590-746, I, p. 32.
3. Archives des Missions scientifiques^ t. V, 1856, p. 97 sq.
4. Fr. Michel, I, p. 209, v. 45 56sq.
542 L. SUDRE
personnage, et alors l'épisode en question serait un épisode à part dont
le roman de VEscoufle seul se serait fait l'écho.
Outre les épisodes auxquels il est fait allusion dans la description de
la coupe, il en est d'autres mentionnés dans la suite du poème, et à ceux-
ci aussi il serait malaisé d'attribuer une source unique. Le don d'un
anneau fait par Iseut à Tristan est rappelé par ces vers :
Or me dira je ne fui mie
De la cortoisie Tristran,
Qui en et un gardé maint an
Por l'amor la roïne Ysout.
Ici l'allusion n'est pas assez détaillée pour qu'on puisse la rattacher
soit à Béroul, soit à Thomas.
Mais en voici deux autres dont la première a plus de rapport avec la
version de Béroul qu'avec celle de Thomas :
Il fu par consaut faus lonc tens
Et mesiaus e faus pèlerins.
Les rédactions du groupe de Thomas ne font pas paraître Tristan dé-
guisé en fou ; il n'y apparaît que comme lépreux et pèlerin'. Cependant
la question ici est assez complexe. Il a pu y avoir en effet influence
exercée par les petits poèmes épisodiques de Tristan fou. Par contre,
les vers
Tût autretel fist Kahedins
Ançois qu'il fust bien de Brangien
renvoient à la version de Thomas, puisque dans le poème d'Eilh'art Ka-
herdin n'aime pas Brangien et n'entreprend nullement son voyage avec
Tristan pour obtenir ses faveurs 2.
Ainsi les allusions à notre légende dans le roman de VEscoufle nous
présentent un mélange incontestable des deux versions; pourtant, à bien
considérer les choses, elles se rapportent beaucoup plus à la version de
Béroul qu'à celle de Thomas.
Les autres allusions relatives à la légende de Tristan se trouvent épar-
pillées dans différents poèmes ou chansons. Nous allons étudier les prin-
cipales en suivant l'ordre des événements.
Le combat du Morhout est rappelé dans le roman à'Erec et Enide de
Chrétien de Troyes, et avec cette particularité que l'île où s'est livré
ce combat y porte le nom de Saint-Samson :
1. Cf. Vetter, p. 59.
2. Cf. Vetter, p. 48.
LES ALLUSIONS A LA LÉGENDE DE TRISTAN ^45
Onques encor tel joie n'ot
La ou Tristanz le fier Morhot
En l'isie Saint Samson veinqui
Con faisoient d'Erec enqui '.
Le roman en prose sur Tristan lui donne aussi cette dénomination.
Quand on apprend au Morhout que Tristan veut lutter avec lui, il en-
voie demander au roi Marc où doit se livrer la bataille : Lors montent et
viennent au roy et lui demandent ou labataillese fera^et il leur disl:C y devant
en l'isie Saint Samson'^. Nous ne trouvons l'île ainsi nommée dans au-
cune rédaction, pas plus que dans aucune autre allusion. Ainsi dans le
roman de Guinglain ou le Bel Inconnu, il est dit que le combat du Bel
Inconnu à Senaudon, dans la Caste Cité, fut plus violent que celui de
Tristan contre le Morhout^; mais l'auteur se garde bien de nous nommer
l'endroit. Ce détail précis donné par Chrétien de Troyes peut, à défaut
d'autres témoignages, faire supposer qu'il avait puisé à d'autres sources
que Béroul et Thomas pour la composition de son Tristan.
Dans ce même roman à^Erec et Enide, Chrétien de Troyes fait al-
lusion à un autre épisode de la légende, celui où Brangien pousse la
complaisance jusqu'à se substituer dans la première nuit des noces à Iseut
qui s'était échappée du lit conjugal :
La ne fu pas Yseuz emblée
Ne Brangien enz en son leu mise^
Ces deux allusions, si nous leur en adjoignons deux autres tirées du
même poème, l'une relative aux cheveux d'Iseut :
Por voir vos di qu'Iseut la blonde
N'ot tant les crins sors et iuisanz
Que a ceste ne fust neanz (v. 418).
l'autre concernant la beauté de la reine :
0 lui une dame tant bêle
Qu'Yseuz semblast estre s'ancele (v. 4909),
ainsi que la mention qui est faite du nom de Tristan dans le poème de
1. Cité par Fr. Michel, III, xx.
2. Histoire des vertueux, nobles et glorieux fditz du chevalier Tristan, fils de Me-
liadus de Leonoys, par Luce, chevalier, seigneur du château de Gast. Rouen, 1849,
fol. 30 verso
3. Romania, t. XV, p. 9
4. V. 2066 (éd. Hauptj
544 L. SUDRE
Philomena\ retrouvé par M. G. Paris au milieu de la traduction des
métamorphoses de Chrétien Legouais de Saint-More, nous donnent lieu
de penser que Chrétien de Troyes avait écrit son poème de Tristan avant
toutes les œuvres que nous connaissons de lui, que ce fut sa première
composition-.
Le philtre d'amour, le « heivre » amoureux qui lie fatalement Tristan
et Iseut, est un des traits de leur histoire pour lesquels nous rencontrons
le plus grand nombre d'allusions. Parmi les troubadours, Augier Novella
est le premier à le mentionner :
Ara sai eu qu'ieu ai begut de! broc
Don bec Tristans qu'anc pois garir non poc^.
puis Aimeric de Pegulhan :
Et ieu dobii la balansa
Quel doble tenc lieis plus car
Totz jorns qu'aissi sai doblar
Doblamen ma malanansa ;
Mas assatz doblet plus gen
Tristans, quan bec !o pimen ;
Quar el guazanhet s'amia
Per so par qu'ieu pert la mia"*.
Deude de Prades :
Beurem fai ab l'enaps Tristan
Amers et eisses les pimens"'.
Bertolomeu Zorgi :
L'amorozeta bevanda
Non feiric ab son cairel
Tristan n'Izoi plus formen
Quant il veniron d'Irlanda^.
En France, nous constatons des allusions à cet épisode dans une des
chansons du Châtelain de Couci :
Tant ai en li ferm assis mon corage
Qu'ailleurs ne pens ; et Die.x m'en laist joïr !
1. Hist. lut. de la France, XXIX, p. 495.
2. Cf. là-dessus, Roma/2w, XII, p. 462, note 3.
j. Raynouard, III, 105; Birch-Hirschfeld, p. 40.
4. Ms. 856, fol. 9^ vers.
5. Raynouard, il, p. 514.
6. Raynouard, II, 315.
LES ALLUSIONS A LA LÉGENDE DE TRISTAN ^4J
Conques Tristan, cil qui but le brevage
Plus loiaument n'ama sans repentir <.
dans une chanson de Thibaut de Champagne attribuée à tort par Wac-
kernagel - et Matzner - à Chrétien de Troyes :
Ains de! beverage ne bui
Dont Tristans fu empuisunés,
Car plus me fait amer que lui
Fins cuers et boines volantes.
Il en est question aussi dans des vers de Heinrich von Veldeke, min-
nesinger allemand, qui mourut avant la fin du xii*" siècle, et le passage
est assez curieux en ce qu'il marque, malgré son ancienneté, un certain
scepticisme à l'égard des amours de Tristan :
Tristan muoste sunder danc
Stete sin der kuniginne,
Wan in der poisun darzuo twanc
Mère dan diu kraft der minne.
Des sol mir diu guote danc
Wizen daz ich solchen tranc
Nie genam, und ich doch minne
Baz danne er 4;
de même dans ce passage de Bernger de Horheim imilieu du xm' siècle) :
Nu enbeiz ich doch des trankes nie
Da von Tristan in kumber kam.
Noch herzelicher minne sie
Dann er Isalden, daz ist min wan.
Daz habent diu ougeu min getan,
Daz leite mich, daz ich dar gie. . . s.
Cette conception de l'amour communiqué au moyen d'un breuvage
et liant fatalement deux cœurs l'un à l'autre pour toujours ou pour un
temps déterminé, conception qui répondait d'ailleurs aux anciennes
croyances sur la vertu magique des plantes, avait naturellement frappé
les esprits ; il n'est donc pas étonnant de trouver le fait si souvent rap-
pelé. Cependant, quelque nombreuses que soient ces allusions, elles
1. Chansons du Ch. de Coucy, éd. Fr. Michel, p. 70.
2. Wackernagel, Altfr. Licdcr, p. 17.
3. Mxtzner, xVtfr. Licder^ p. 64.
4. Von der Hagen, Minne^inger^ I, p. 36.
5. Ibid., p. 520.
Romania, XV.
546 L. SUDRE
ne peuvent servir qu'à prouver la popularité de cette partie des aven-
tures de Tristan et d'Iseut, mais ne jettent aucun jour nouveau sur l'his-
toire de la légende en elle-même ; car, sauf une tençon provençale du
XII*' siècle ' et le passage dont nous avons parlé plus haut de Gower,
dans lesquels il est dit expressément que Brangien présenta elle-même
le breuvage aux deux amants, les autres allusions sont muettes sur les
circonstances qui ont entouré le fait et sur les personnages qui y ont
joué un rôle.
Il est encore question de Brangien dans une pièce du troubadour
Raimbaut, comte d'Orange, et le contenu de cette allusion est si parti-
culier, se détache si bien au milieu des autres allusions plus vagues et
plus générales des poètes provençaux qu'il a servi de base à Raynouard
pour poser l'hypothèse qu'il a existé un roman sur Tristan et Iseut écrit
dans la langue des troubadours. Voici le passage :
Sobre totz aurai gran valor
S'aitals caniisa m'es dada
Cum Iseus det a l'amador
Que mais non era portada.
Tristans meut prezet gent prezen ;
Puis fon breumens conseiilada,
Qu'ilh fetz a son mari crezen
Cane hom que nasques de maire
Non toques en lieis mantenen^.
C'est là, on le voit, une réminiscence de la réponse allégorique que,
suivant Eilhart et les autres rédactions, Brangien fit aux chevaliers en-
voyés par Iseut pour la tuer. Elle leur raconta en efïet que la mère
d'Iseut leur avait donné à chacune, avant leur départ, une chemise neuve,
et qu'Iseut devait porter la sienne la première nuit qu'elle coucherait
avec le roi. Il arriva que la chemise d'Iseut se trouva décousue et dé-
chirée au moment de s'en servir; la reine pria alors Brangien de lui
prêter la sienne, ce qu'elle fit à contre-cœur; c'était là, disait-elle, le
seul grief d'Iseut;. Maintenant peut-on faire fond sur cette allusion de
Raimbaut pour établir qu'il y a eu un roman provençal sur le sujet de
Tristan.'' D'accord avec M. Birch-Hirschfeld, nous ne le croyons pas4.
Car l'allusion de Raimbaut, -- si toutefois elle doit lui être attribuée, —
1. Birch-Hirschfeld, p. 40.
2. Raynouard, II, 312 sq.; V, 402; Birch-Hirsch., p. 39.
3. Cette chemise a été remplacée poétiquement dans les rédactions en prose
par une fleur de lis.
4. P. 43 sq.
LES ALLUSIONS A LA LEGENDE DE TRISTAN ^47
comme toutes les autres allusions provençales, ne remonte pas plus haut
que l'année 1 1 S4- Or, à cette époque, la légende de Tristan était tout
à fait populaire dans le nord de la France ; elle avait été ou allait être
le sujet du poème de Chrétien de Troyes après avoir été, comme nous
le verrons plus loin, le sujet de lais et de poèmes anglo-normands. Les
différents détails de la légende ont donc pu fort bien être connus au delà
de la Loire du temps de Raimbaut, et les vers de ce troubadour sont
plutôt à considérer comme un écho des poèmes français que comme le
témoignage de l'existence d'une œuvre provençale dont on n'a jamais
retrouvé aucune trace.
Il est un autre trait de la légende, particulier celui-là à Béroul et à
Eilhart, qui nous représente Tristan en compagnie du roi Arthur. La lé-
gende de Tristan fut certainement à l'origine indépendante de celle
d'Arthur dans les traditions bretonnes ; ce ne fut que plus tard que les
trouvères les réunirent. D'ailleurs, comme le fait remarquer M. Vetter ',
le passage d'Eilhart concernant le séjour de Tristan parmi les chevaliers
de la Table Ronde pourrait être supprimé sans que cette lacune inter-
rompît en aucune façon le fil des événements; dans Béroul, la présence
d'Arthur est sans doute mieux motivée, mais l'épisode de l'épreuve judi-
diciaire subie par la reine pourrait aussi fort bien s'en passer. Béroul
n'est cependant pas l'auteur de cette innovation dans le traitement de la
légende ; il n'a fait que suivre une tradition déjà en cours avant lui. En effet
un écrivain ecclésiastique du xu'' siècle, Pierre de Blois (f 1200), nous
apprend que déjà de son temps les jongleurs aimaient à réunir le nom de
Tristan à celui d'Arthur ou de ses chevaliers : Saepe in tragoediis et alils
carminibus poeîarum, in joculatorum cantilenis describitur aliquis vir pra-
dens, decorus, fortis^ amabilis et per omnia graîiosus. Recitantar eîiam pres-
surae vel injuriae eidem crudeliter irrogatae, sicut de Arturo et Gaugano
iGauvain) et Tristanno fabulosa quaedam référant histriones, quorum au-
ditu concutiuntur ad compassionem audientium corda et usque ad lacrimas
compunguntur ^ . Quoi qu'il en soit, le pli fut pris désormais, et, à la suite
de Béroul, tous les poètes unirent dans une même tradition les noms et
les exploits de Tristan à ceux des chevaliers de la Table Ronde. La liste
serait longue des écrivains qui continuèrent cette confusion. Citons
seulement pour le xiii" siècle Jacob van Maerlant qui s'exprime ainsi
dans sa vie de saint François :
1. P. 45, note 2.
2. Cité par Von der Hagen, Minnesinger, IV, p. 124, note 2.
548 L. SUDRE
Mer Tristram endè Lanceloet
Perchevael ende Galehoet,
Ghevende namen ende ongheboren
Hier of willen de lieden horen >.
et une chanson populaire italienne du xiv siècle : ^"'
Tristano e Lancialotto,
Ancor nel monde la lor fama vale^?
La vie des deux amants dans la forêt est décrite dans le roman de la
Poïrt'i avec des traits qui, malgré quelques variantes, se rapprochent de
la version de Béroul. Le roi n'est pas amené dans la forêt par le fores-
tier, mais seulement par le plaisir de la chasse :
Alez estoit chacier
En la forest ramée.
Il ne met pas son gant sur le visage d'Iseut, mais s'en sert pour bou-
cher le trou de la hutte qui laisse passer les rayons du soleil :
Li rois doz et plesanz
Ne se volt esmaier;
Sor noz faces luisanz
Vit le soleiil raier
El tro qui n'ert pas granz
Ala son gant plaier.
Mais, comme dans Béroul 4, Tristan et Iseut sont couchés dans une
loge qu'ils avaient fait dresser :
Et ge, por solacier
Avec m'amie amee,
Avoie fet drecier
Geste loge et fermée
Por ma dame embracier
Qui reine est clamée.
Comme dans Béroul encore ?, le roi Marc se repent de sa sévérité :
1. Cité par Fr. Michel, I, viii.
2. Romaniû^ I, p. 119.
3. Li Romanz de la Poire de Messirc Thibaut, p. p. Stehlich, p. 37, v. 143 sq.
4. Fr. Michel, I, p. 88, v. 1764 sq. : La loge fa de vers rains faite, — De
leus en leus ot facile atraite — Et par terre fii bien jonchie.
5. Fr. Michel, I, p. 97, v. 1968 sq.
LES ALLUSIONS A LA LÉGENDE DE TRISTAN 549
Grant joie en soi conçut
Li rois, n'en dotez mie
Quant l'espee aparçut
Entre moi et m'amie ;
Et dit trop le déçut
Celui par sa voidie
Cui conseill il reçut,
Par sa losangerie.
Pourtant il faut encore ici noter une différence. Dans Béroul, les deux
amants dorment réellement ', tandis que dans le roman de la Poire ils
font semblant de dormir ^ :
Sor nos vint, ce m'est vis,
Li rois, fust joie 0 dels,
Et ge m'espee mis
Gésir entre nos deus.
Puis tornames noz vis
Ireuz et engoisseus.
Un des derniers épisodes de l'histoire de Tristan et d'Iseut est celui
de la voile qui cause la mort de notre héros. Iseut, ramenée auprès de
son amant malade, fait hisser, au moment d'aborder, et comme signe
convenu de sa présence, une voile blanche. Iseut aux blanches mains
annonce à Tristan, sans mauvaise intention chez Eilhart, dans le but de
se venger des dédains de son mari chez Thomas, que la voile du vais-
seau est noire ; Tristan meurt aussitôt. C'est à cette fm dramatique que
fait allusion une ballade allemande 3 :
War je mein gleich
Das glaub ich hart,
Fùrwahr! mein Ungefell ist gross ;
Der Sonnen Glast
Ist mir verkert.
Mit klag bin ich Tristans Genoss.
Da ihm verkùndt war der schwarz Segel
Viel kranker Ding
Er da beging,
AIsbald die Glock schlagt zwey aus rechter Regel.
Enfm une romance espagnole du xiii*^ siècle peut nous présenter quelque
1. Fr. Michel, I, p. 89, v. 1792 : Eisi s'endorment li amant.
2. De même dans la Folie Tristan de Berne, v. 200.
5. Cette ballade a été publiée parGôrres. Altteutsche Volks-ui,d Mtistcrliedcr,
Francfort, 1817, ;?. 79 ; le style en est visiblement rajeuni.
5 50 L. SUDRE
intérêt, non parce qu'elle reproduit directement un des traits contenus
dans la version de Béroul ou dans celle de Thomas, mais au contraire
parce qu'elle nous offre un mélange assez curieux de détails originaire-
ment distincts'. Il s'agit dans cette romance de Tristan qui, gravement
blessé par la lance de son oncle jaloux, est visité par Iseut. Tous deux
s'embrassent, baignent le lit de leurs larmes, et à cette place croît aus-
sitôt un lis qui a la propriété de rendre les jeunes filles mères comme
Iseut le devient à ce moment. Dans cette version populaire, où Tristan
est frappé de la lance par son oncle, détail qui nous rappelle la façon
bizarre dont le roman en prose fait mourir notre héros 2, Iseut a pris la
place de Elanchefleur, mère de Tristan, et Tristan celle de Rivvalin, son
père. D'après la version ^de Thomas, en effet, le père de Tristan, se
trouvant à la cour de Marc et ayant accompagné ce prince dans une
guerre, y est blessé mortellement. Elanchefleur, la fille du roi, éprise
d'amour pour lui, vient le trouver dans sa chambre, et c'est à cette en-
trevue que Tristan doit sa naissance 3. Il y a parfaite analogie entre cette
version primitive et la tradition populaire que nous offre la romance es-
pagnole ; le cadre est le même, les .personnages seuls ont changé de
nom. Quant au lis qui croît près du lit des deux amants, outre qu'il nous
rappelle la transformation opérée par le roman en prose dans le dis-
cours allégorique de Brangien, sa présence ici semble dériver de la tra-
dition populaire dont Eilhart s'est fait l'écho 4, et suivant laquelle, sur les
tombeaux des deux amants, s'élevait soit un lis, soit un lierre, soit un
rosier qui les recouvrait. La romance espagnole ne fait pas pousser
ce lis sur leurs tombes ; néanmoins elle a dû emprunter ce trait à la
croyance dont nous venons de parler.
Nous arrivons maintenant aux petits poèmes épisodiques relatifs à
notre légende. Ces petits poèmes sont au nombre de quatre : le Tristan
fou du ms. de Berne, le Tristan fou du ms. Douce, le lai du Chèvre-
feuille de Marie de France et un fragment du Donnet des Am.)nz. Nous
n'étudierons que les deux derniers 5.
1. Voir Fr. Michel, I, xvii, et VondcrHagen, p. ^64. A cette romance es-
pagnole correspond une romance portugaise du xv« siècle, Fr. Michel, II, p 298,
Von der Hagen, p. 577.
2. Il meurt en effet blessé par le glaive envenimé de Bédalis, mari de Gar-
geolain. en allant visiter cette dernière, qui était l'amante de son compagnon
Kaherdin. Voir l'étude de M. Bédier.
3. Vetter, p. 36.
4. Voyez ce qui est dit dans l'étude de M. Bédier sur le dénouement du
roman.
5. Sur les deux poèmes relatifs à Tristan fou, voyez l'étude de M. Lutos-
lawski.
LES ALLUSIONS A LA LÉGENDE DE TRISTAN 55 I
Voici le sujet du Chèvrefeuille. Tristan, chassé de la cour par le roi
Marc irrité contre lui à cause de son amour pour la reine, se retire dans
le pays de Galles, sa patrie. Il ne peut rester longtemps séparé de son
amie, revient en Cornouailles et, pour ne pas se faire reconnaître, il vit,
le jour, dans une forêt et, le soir, il reçoit l'hospitalité chez des paysans
qui lui donnent des nouvelles de la cour. Ils lui apprennent que le
roi doit se rendre avec la 'reine à Tintajoil à la Pentecôte pour y tenir
assemblée. Comme le cortège doit traverser la forêt, Tristan coupe une
branche de coudrier, la taille en carré, et avec son couteau y grave son
nom ; puis il place le bâton sur le chemin où doit passer la reine. Il l'avait
avertie de ce signal qu'il lui donnerait, en lui écrivant qu'il ne pouvait
vivre sans elle, comme elle ne pouvait vivre sans lui, semblables au chè-
vrefeuille et au coudrier auquel ses branches sont entrelacées : si le cou-
drier meurt^ le chèvrefeuille languit aussitôt. La reine, en se dirigeant
avec son escorte vers Tintajoil, aperçoit le bâton, ordonne à ses gens
de s'arrêter et, suivie de sa fidèle Brangien, elle s'engage dans le bois
où elle « meine grant joie « avec Tristan et lui promet d'obtenir sa grâce
auprès du roi ; puis ils se séparent en pleurant. Tristan, de retour dans
le pays de Galles et joyeux d'avoir revu son amie, en fait un nouveau
lai que les .anglais ont appelé goîelef ei les Français chèvrefeuille.
A quelle partie, dans l'ensemble de la légende de Tristan, se rattache
cet épisode tel que nous le présente Marie de France .f' On peut, au pre-
mier abord, en rapprocher des passages correspondants d'Eilhart ' et
de Henri de Freiberg^ où nous voyons en effet une branche d'arbre figurer
comme signe convenu entre les deux amants pour leur entrevue dans la
Blanche Lande. Mais chez l'un et chez l'autre la branche d'arbre n'ap-
paraît que comme un signe et nullement comme une allégorie de leur
amour. Il y a là tout au plus un souvenir lointain, une simple réminis-
cence du lai de Marie de France. De plus, l'épisode dans Eilhart et dans
Heinrich de Freiberg est placé à un moment tout différent de la légende,
dans le second acte, pour ainsi dire, des amours de Tristan et d'Iseut, après
une dernière surprise qui rend le rappel de Tristan entièrement impossible
et le réduit à ne revoir désormais Iseut qu'au moyen de ruses et de dé-
guisements. Dans Marie de France, au contraire, Iseut promet à Tristan
d'obtenir son retour', et, plus loin, Marie dit expressément que cette
faveur lui a été accordée :
1. Buch der Liebe, p. 98.
2. Hcinrichs von Frdbcrg Tristan, hgg. V. Bechstein (Leipzig, 1877), p. 188 sq.
3. V. 97 sq. Die Lais der Marie de France, hgg. von Warnke. Halle, i88<,
181-85.
5J2 L. SUDRE
Tristan en Wales s'en râla
Tant que sis uncles le manda i.
L'épisode dans Marie de France précède donc la séparation définitive
des deux amants. Reste à savoir quels points communs ce lai présente
soit avec la version de Béroul, soit avec celle de Thomas. Sur la cause
de l'exil de Tristan, Marie est à peu près muette ; elle nous dit bien, il
est vrai, que Marc l'avait chassé par encusement ^, mais sans nous
apprendre qui avait accusé le neveu du roi et dans quelles circonstances
il avait été dénoncé. Quand elle ajoute que le roi éprouvait des regrets
de l'avoir exilé et qu'il le rappela?, nous sommes moins embarrassés
pour décider à laquelle des deux versions on peut rattacher, même de
loin, le sujet du Chèvrefeuille. Selon Béroul, les deux amants reconnus
coupables sont condamnés à être brûlés ; Tristan s'échappe et, avec Iseut
qu'il a arrachée des n.ains des lépreux, il va vivre dans la forêt du Morrois
jusqu'à ce que le philtre d'amour ait perdu sa force ; alors Tristan écrit au
roi pour le prier de consentir à reprendre la reine; celle-ci revient à la
cour, mais Tristan s'exile et n'y reparaît qu'à la faveur de subterfuges ; il
n'y est jamais rappelé officiellement. Dans la version de Thomas, au
contraire, Iseut et Tristan sont surpris trois fois : après la première
découverte, Tristan, qui a épargné à la reine un parjure en se laissant
tomber avec elle, va combattre le géant Urgan, pendant qu'Iseut reste à
la cour et le fait bientôt rappeler. Ils sont surpris une seconde fois, et c'est
alors qu'ils vont vivre ensemble dans la forêl jusqu'à ce qu'ayant été trouvés
dans la grotte par le roi ils rentrent à la cour. Enfin survient une troi-
sième découverte, celle que raconte le fragment de Cambridge 4, laquelle
les sépare définitivement. C'est donc entre la première et la seconde
surprise des deux amants suivant la version de Thomas, alors que Tris-
îan est à l'étranger, que l'on peut avec le plus de vraisemblance inter-
caler l'épisode du chèvrefeuille. Le cadre seul du récit de Thomas parait
lui convenir; la source semble avoir été la même pour les deux poètes.
Qu'est-ce maintenant au fond que ce lai de Marie de France .? Le sujet
n'est pas de son invention ; elle prend soin de nous le dire elle-même
tout au début :
Plusur le m'unt cunlé e dit
E jeo l'ai trové en escrit s.
1. V. I9« Sâi
2. V. lui.
j. V. io6.
A,- Arch. des Missions sdaitifiao' s V p. 9f i
5- V. S'
LES ALLUSIONS A LA LÉFENDE DE TRISTAN 553
D'autre pari les vers :
De Tristran e de la reïne,
De lur amur qui tant fu fine,
Puis en mururent en un jur ',
nous indiquent nettement que l'épisode auquel nous avons affaire fait
dans la pensée de l'auteur partie intégrante de la légende, est un de ses
éléments constitutifs. Mais, en laissant même de côté la sécheresse des
détails, le petit nombre des personnages, la forme allégorique donnée à
une partie du sujet, en négligeant tout cet ensemble de traits ca-
ractéristiques qui sont par eux-mêmes des raisons péremptoires et tout à
fait convaincantes, le titre de lai que porte ce petit poème ne nous per-
met pas de croire qu'il est un fragment détaché d'un ouvrage d'ensemble
sur la légende de Tristan. Un lai, pour Marie de France et pour ses
contemporains, était, comme le dit M. G. Paris, « le livret d'une mélo-
die bretonne connue^ «. D'abord composition musicale et distinct du
récit qui en était le sujet, il fmit par être identifié avec lui. Le lai du
Chhrefeuille ne peut pas être autre chose que la traduction en français
du sujet d'un morceau de musique breton sur la légende celtique de
Tristan, traduction à laquelle Marie de France a donné la forme habi-
tuelle des narrations rimées, c'est-à-dire la forme de vers de huit syllabes
rimant deux à deux.
Une preuve de l'existence de ce lai à l'état de composition musicale
nous est fournie par Marie de France elle-même quand elle nous dit que
Tristan l'avait composé :
Tristram, ki bien saveit harper.
En avait fet un nuvel lai 5.
Elle a donc dû l'entendre sous une forme lyrique, ou bien cette der-
nière lui était attribuée par la tradition comme étant sa forme primitive.
En effet, outre sa réputation d'amant fidèle et malheureux, Tristan pos-
sédait celle de musicien consommé. Gottfrid de Strasbourg nous le
représente auprès d'Iseut aux Blanches Mains composant le beau lai de
Tristan « qu'on ne cessera d'admirer, dit le poète, tant que le monde
durera », et à tous ses chants il entremêlait le refrain : Isot ma drue, Isot
m'amie, — En vus ma mort, en vus ma v/e4. Dans le roman en prose, il
est souvent question de lais dont Tristan est l'auteur, en particulier du
1. V. 7 sq.
2. Romania, VII, p. 1. Voir du reste pour les lais en général, et pour ceux
de Marie de France en particulier, ibid., VIII, p. 38 et 630; XIV, p. 604.
3. V. 1 12 sq.
4. Cf. Bossert qui a traduit ce passage, p. 85-86.
5 54 L. SUDRE
lai de plour qu'il avait fait à l'occasion de son premier voyage en Ir-
lande, du lai du boire pesant inspiré par le souvenir du philtre d'amour,
du lai du déduit d'Amours où il chantait son séjour avec Iseut dans la forêt
du Morrois, enfin du lai mortal qui commençait ainsi :
Je feiz jadis chansons et lays,
Mais a cest point toutes les lays.
Amour m'occist : n'est ce bel lays? \ ..
Mais nulle part dans le roman en prose il n'est question d'un lai du
Chèvrefeuille. Seuls, un manuscrit de Berne et un manuscrit de la Bi-
bliothèque Nationale nous ont conservé un lai lyrique de ce nom attribué
à Tristan et dont les paroles sont peut-être encore du xii'= siècle 2. C'est
sans doute à ce lai ou à un autre analogue que fait allusion ce vers de
Flamenca :
L'us viola lais del Cabrefoil 5.
et ce passage du roman de Renart :
De Tristram qui la chievre fist,
Qui assez bêlement en dist 4,
Ce lai lyrique du Chèvrefeuille n'est sans doute que dans un rapport
assez lointain avec le lai narratif de Marie de France; Tristan, nous y
est-il dit dans les derniers vers, lui a donné ce nom à cause de la douce
odeur du chèvrefeuille.
Ke por ceu ke chievrefiaus
Est plus dous et flaire miaus
K'erbe ke on voie as iaus
Ait nom cist douls lais
Chievrefuels li gais.
Nous sommes loin, on le voit, de l'allégorie de Marie de France;
mais nous n'en avons pas moins dans l'existence de ce lai un indice pré-
cieux qui nous permet d'affirmer que Marie a puisé à une source réelle
et qu'elle a donné une forme épique à un sujet lyrique qu'elle avait en-
tendu chanter autour d'elle.
Nous avons vu tout à l'heure Gottfrid de Strasbours; citant en fran-
1. Voir Von der Hagen, p. 581, note \, qui cite ces détails du roman en
prose d'après un ms. du Vatican.
2. Ce lai a été publié pour la première fois par Wackernagel, Altfr. Lieder,
p. 178-79. Il est en outre dans Bartsch, Chreslomathie, 4e éd., p. 227 sq.
3. Le Roman de Flamenca., pp. Meyer, p. 571.
4. Martin, Roman de Renart, I, p. 90, v. 5.
LES ALLUSIONS A LA LÉGENDE DE TRISTAN 555
çais le refrain des chants de Tristan. Pour qu'il ait songé à citer ces
vers, il fallait qu'ils appartinssent à une chanson connue et célèbre à
cette époque. Nous avons vu aussi qu'il était question d'un lai du Chè-
vrefeuille dans le roman de Flamenca ; les vers qui suivent immédiate-
ment ce passage font mention d'autres lais sur ce même sujet de Tristan :
L'us viola lais del Cabrefoil,
L'autre celui de Tintagoil
L'us contava de Governaii
Com per Tristan ac greu trebail.
De même dans le roman de Renart :
t Je fot savoir bon lai breton
Et de Merlin et de Noton,
Del roi Artu et de Tristan,
Del Chevrefoil, de saint Brandan.
— E sez tu le lai dam Iset?
— Ya, ya : godistoët ;
Ge lot saveir, fet il, trestoz 5. »
Dans le roman en prose, il est aussi question d'un lai de la franchise
Tristan que les Bretons auraient composé et chanté à propos de la mort
du géant Nabon que Tristan avait tué;, délivrant ainsi le pays de ses bri-
gandages : Li pays est orendroit apelés li franchise Tristan. Li Breton
firent un lai de ceste aventure qui est appeliez li lai de la franchise Tristan^.
Tous ces passages, ainsi que celui de Pierre de Blois cité plus haut, où
il est dit que Tristan était avec Gauvain et Arthur un des sujets de
prédilection des jongleurs, ne nous prouvent-ils pas que le lai dont Marie
de France a recueilli la tradition faisait partie d'un groupe de morceaux
analogues à lui, non par le fond qui variait de l'un à l'autre, mais par
leur forme brève et musicale, dont chacun chantait un épisode distinct
de la légende de Tristan ? Cette dernière aurait donc été à l'origine mor-
celée et fragmentée avant d'être groupée en un tout par Béroul, Thomas
et Chrétien de Troyes. Maintenant Marie a-t-elle emprunté le sujet de
son lai directement aux Bretons .? C'est peu probable. L'épisode tout en-
tier se passe en Angleterre, et le nom du chèvrefeuille est traduit en
anglais. Si elle a songé à nous renseigner ainsi sur la dénomination que
donnaient les Anglais à ce lai, c'est qu'elle l'avait entendu conter dans
Cité par Von der Hagen, p. 581, n. i
5 $6 L. SUDRE
leur langue et que cette dernière lui a servi d'intermédiaire. D'ailleurs
le mot lovendris [love drink) que nous rencontrons dans Béroul ' vient
confirmer celte assertion qu'une partie des aventures de Tristan et
d'Iseut ont été traduites du breton en anglais avant de passer dans les
œuvres de nos poètes *.
Le second morceau épisodique dont nous avons à nous occuper fait
partie du Donnet des Ainanz^, poème erotique conservé dans un manus-
crit du xiii*^ siècle. Ce fragment s'y trouve intercalé entre le dialogue
d'un amant et de sa maîtresse et l'histoire de Didon et d'Enée. Tristan,
exilé en Bretagne et n'ayant pas revu Iseut depuis un an, pénètre seul
une nuit dans le jardin du roi Marc. Il monte sur un arbre et là se met
à contrefaire le chant des oiseaux les plus harmonieux ; c'était un talent,
nous dit le poète, que Tristan avait appris dès son plus jeune âge. Iseut,
couchée près du roi Marc, reconnaît son ami à ce chant, mais ne sait
comment elle pourra le rejoindre, car tous ses mouvements sont épiés
par dix chevaliers et par un nain plus terrible à lui seul que les dix che-
valiers. Elle ne résiste pas cependant au désir de revoir Tristan, se
lève, passe à travers les chevaliers, qui se trouvaient justement endormis,
et arrive à la porte du jardin. Elle tire la barre, mais le bruit que fait la
chaîne éveille le nain, qui court après la reine et veut la retenir par le
bras. Celle-ci furieuse lui assène un tel coup sur la figure qu'elle lui fait
sauter quatre dents et l'étend à terre tout ensanglanté. Aux cris poussés
par le nain, le roi Marc arrive, et son fidèle serviteur lui expose le fait.
Marc, loin d'être courroucé, repond au nain qu'il s'est mépris, que Tristan
ne peut être dans le voisinage, et qu'on peut laisser la reine se promener
en toute liberté dans le jardin. Iseut va droit à Tristan, et le poète ter-
mine en disant qu'elle n'avait fait que son devoir en se mettant en aven-
ture et en péril pour un homme qui, par amour pour elle,
Rere se fit dreit cum'e] fol
Barbe, guernon [e] chef e col,
E bricun se feseit clamer ....
Aperteinent dunt il mustra
Ke pas en gabere n'ania 4.
Ces derniers vers font allusion à l'épisode de Tristan fou. Voilà tout
ce que, dans ce morceau du Donnet des Amanz, si nous y ajoutons tou-
tefois le séjour de Tristan en Bretagne et la présence d'un nain dénon-
1 . Fr. Michel, I, p. 104, v. 2105 .
2. Voir les observations de G. Paris à ce sujet, Rom., XIV, p. 604.
3. Fr. Michel, II, p. 149-1 57.
4. V. i6j sq.
LES ALLUSIONS A LA LÉGENDE DE TRISTAN 557
dateur, nous trouvons de commun avec les versions connues de notre
légende. Pour l'imitation du chant des oiseaux, nous n'en retrouvons
qu'un lointain souvenir dans un passage d'Eiihart où la reine, répondant
au concert des oiseaux dans la forêt^ trouve moyen en s'adressant à eux
d'indiquer à Tristan où elle sera la nuit, et de lui donner ainsi un ren-
dez-vous'. Enfin nous ne rencontrons dans aucune rédaction un récit
qui, par la mise en scène, par les personnages, soit non seulement sem-
blable, mais même analogue à celui qui fait le fond de cet épisode. Avons-
nous affaire ici, comme pour le lai du Chèvrefeuille, à une ancienne
composition bretonne qui, après avoir été chantée par les bardes, serait
devenue la propriété des harpeurs anglais, puis des jongleurs français ?
Ce serait là une hypothèse assez vraisemblable. Malheureusement nous
n'avons pas pour cet épisode, comme pour l'épisode du Chèvrefeuille,
des témoignages certains de son existence en dehors du Bonnet des Amanz,
des points de repère qui nous permettent de constater dans la littérature
une tradition dont il serait le dérivé. La chose reste donc tout entière
dans le domaine de la conjecture. Une autre supposition, moins sédui-
sante peut-être, mais tout aussi vraisemblable, consisterait à voir dans
cet épisode une variante des nombreux incidents inventés par les poètes à
propos de l'exil de Tristan. Les efforts pour se rapprocherfaits par deux
amants qui ne peuvent plus se voir qu'en cachette et au prix de grandes
difficultés étaient un thème offert à l'imagination des conteurs, et sur ce
thème ils pouvaient broder à l'infini. Béroul et Thomas nous offrent à
chaque page des exemples de cette tendance à compliquer les dangers
dans les entrevues des deux amants; Eilhart fait revenir successivement
Tristan en Angleterre sous quatre déguisements, en lépreux, en pèlerin,
en ménestrel, en fou; les poèmes de Tristan fou, le lai du Chèvrefeuille
dérivent eux-mêmes de cette tendance. A son tour, l'épisode du Donnet
des Amants peut devoir sa naissance à ce penchant tout naturel à pré-
senter un fait connu sous un nouveau jour, à enrichir une situation donnée
de nouveaux imbroglios et de nouvelles intrigues.
Léopold SuDRE.
I . « Sic durfte ihm nicht zusprechen, so weisete sic aber den vogelein ihren
Willen und Meinung, dabei er verstchen mocht, an welchen Ende er sie
funde... )' Bach da Liebc, p. 99. Ajoutons que Siegfried, dans les Nibelungcn,
possède lui aussi le talent de contrelaire le chant des oiseaux.
LA FOLIE TRISTAN
DU MANUSCRIT DE BERNE
L'édition qui suit est faite sur une nouvelle copie des feuilles i j i v" b-
1 56 V'' b du manuscrit n*^ 354 de la bibliothèque de Berne. J'avais, en
prenant cette copie, sous les yeux l'édition de M. Fr. Michel [The poe-
îical romances of Tristan, Lonàou, 1835, t. I, p. 2i$-24i). L'exem-
plaire de ce livre dont je me servais appartient à M. Gaston Paris; il
porte en marge des notes proposant des émendations au texte imprimé.
Ces émendations ont été en partie confirmées par les leçons du manus-
crit (auquel cas elles ne sont pas signalées) ; je me suis servi des autres
pour améliorer le texte de mon édition en les indiquant par P. Les émenda-
tions proposées par M. Michel sont marquées M. Jesignale par « M. lit»
les endroits où Michel a mal lu le manuscrit, mais je ne fais pas mention
des cas assez nombreux où ma ponctuation diffère de la sienne. — Je
sépare les mots autrement que lui dans les cas suivants où il écrit:
■j norine; 23 n'osai; 48 et 49 n'en; 117 s'antorne; 2^ç)l'anbre; 273
et 389 engrande ; 332 et 382 anmoine; 340 ceil. — Je résous les abré-
viations: ml't = mou?, cf. dialt 4J, vialt 83, 255, mais ordinairement
viaut; 9= con, châbre = chanbre, mt = mant, telles qu'elles sont
presque toujours écrites en toutes lettres; q. q ^ que, qui, qui se
trouvent plus souvent en toutes lettres que qe, qi ; n9 = nos ou nus, ce
dernier n'arrive qu'au vers 247; etc. Dans le manuscrit, les noms propres
sont souvent indiqués par la seule initiale (par exemple .Y.) ; les lettres
ajoutées par moi sont en italiques (Ysiaut). — Les quelques lettres que le
copiste a détruites par un point mis au-dessous d'elles sont, excepté aux
vers 1 56, 43 1 tout simplement passées sous silence comme n'offrant aucun
intérêt. J'ai écrit v,j et g, quoique le copiste emploie constamment u, i
et c. — ..... à la fm d'un vers signifient que je suppose une lacune;
LA FOLIE TRISTAN DE BERNE. 559
le manuscrit lui-même n'en indique jamais. — Les vers 4, 5, 26,
27, 32, 58, 104, 109, 1 16, 1 19, 1 56, 221, 263, 293, 537, remplissent
deux lignes chacun, la plupart avec des répétitions des mots finals.
Cl conmance de Tristan.
Moût est Tritanz mêliez a cort,
Ne set G aille ne ou tort. . .
Formant redoute Marc lo roi,
Que rois Mars formant lou menace,
5 Si viaut bien que Tritanz lou sache,
Se de lui puet avoir saisine,
Moût li vaudra po sans n'orine
Que par lui ne reçoive mort.
De sa famé li a fait tort.
10 Clamé s'en est a son barnage
Et de la honte et de l'otrage
Que Tritanz ses niés li a fait.
Honte a de ce qu'il li a fait ;
Ne pot mais aler sanz celer.
1 5 Ses barons fait toz asanbler
Et lor a bien montrée l'ovre, [fol. 152. r". a]
Lo mesfait Tritan lor descovre.
« Seignor, » fait il^ « que porrai faire ^.
Moût me torne a grant contraire
20 Que de Iritan ne pris vangence,
Sel me torne Tan a enfance.
Foïz s'an est en ceste terre
Que je no sei 0 jamais querre,
Car moût l'avrai tôt jorz salve.
25 Se poise moi, por saint Odé. . .
Se nus de vos lou puet parçoivre.
Faites lou moi savoir sanz faille.
Par saint Sanson de Cornouaille,
1 M. lit menez. — 2 M, lit cort. — 5 M.; ms. Si i uaut. — 7 P. ms. son
uorine. — 26 ms. nos au lieu de nus.
JÔO H. MORF.
Quil me randroit, gré l'an savroie
30 Et tôt jorz plus chier l'an avroie. »
N'i a celui ne li promete
Que a lui prandre entante mete.
Dinas li senechax sopire,
Por Tritan a au cuer grant ire,
3 $ Forment l'an poise en son corage ;
Erramant a pris un mesage
Par cui a fait Tritan savoir
Con a perdu par non savoir
L'amor del roi, quil et de mort.
40 Mar vit Trltanz son bel déport.
Par envie est aparceùz ;
Moût en a esté deceùz.
Qant Tritanz oï la novele, [fol. 152. r°. b].
Sachiez ne li fu mie bêle ;
4S N'ose repairier ou pais,
Sovant en a esté fuitis.
Sovant sopire et moût se dialt
De ce c'o lui nen a Ysiaut.
Ysiaut a il, mais nen a mie
50 Celi qui primes fu s'amie.
Porpanse soi qu'il porra faire,
Con la porra a soi atraire,
Car n'ose aler en la contrée,
«■ Ha ! Dex, « fait il, » quel destinée !
5 5 C'ai je sofert en tel amor !
Onques de li ne fis clamor
Ne ne me plains de ma destrece,
Por quoi m'asaut, por quoi me blece ?
Dex ! ce que doi[t] ? qui me sanble...
60 Don ne fai je ce que demande ?
Nenil, qant celé a[i] laissiee
Qui a por moi tant de hachiee,
Tant mal et tant honte [et] anui.
Las ! « fait il, » [he las !] con je sui
65 Malaùrox, etcon mar fui !...
Soferte et tante poine aûe !
Ainz si bêle ne fu veue.
29 ms. Qel. — 32 P.; ms. qui. — 50 nis. pr. a samie.
LA FOLIE TRISTAN DE BERNE. 56 1
Ja n'an soit mais nul jor amez,
Ainz soit tôt jorz failliz clamez
70 Qui de lui amer ja se faim !
Amors, qui totes choses vaint,
Me doint encor que il avaigne [fol. 152. v". a.]
Que a ma volante la taigne !
Si ferai je, voir, se Dex plait.
75 A Deu pri ge qu'i ne me laist
Morir devant [ce] que je [P] aie.
Moût me gari soef ma plaie.
Et Dex me doint encor tant vivre
Que la voie saine et délivre !
80 Encor avroie je moût chier
S'a li me pooie acointier.
Et Dex li doint joie et santé,
S'il vialt, por sa doce bonté !
Et il me doint enor et joie^
85 Et si me tor^t] en itel voie,
Q'ancor^e] la puisse aviser
Et li veoir et encontrer !
Dex ! con sui maz et confonduz
Et en terre moût po cremuz !
90 Las ! que ferai, quant ne la voi ?
Que por li sui en grant efroi
Et nuit et jor et tôt lo terme.
Qant ne la voi a po ne de[r]ve.
Las ! que ferai ? ne sai que faire,
95 Que por lui sont en grant afaire. . .
Morir devant ce que je l'aie ?
Moût me gari soef ma plaie
Que je reçui en Cornuaille,
Qant a Mohort fis la bataille
lûo En l'ile ou fui menez a nage
Por desfandre lo treussaje
Que cil dévoient de la terre : [fol. i ) 2. v". b.]
A m'espee fmé la guerre.
Tenir me porroit por mauvais,
10) Se por nule menace lais
70 P.; ms. amer ne se fait. — 74 P. ; rns. serai. — 99 M. lit Mehort
103 A/: A m'espée [ai] fine la guerre.
Romania, XV 3^
562
Que je n'i aille en tanpinaje
O en abit de fol onbrage.
Por li me ferai rere et tondre,
S'autremant ne me puis repondre.
1 10 Trop sui el pais coneùz :
Sanpres seroie deceûz,
Se je ne puis changier a gré
Ma vesteûre et mon aé.
Ne fmerai onques d'errer
1 1 5 Tant con porrai nés point aler. »
Quant ce ot dit, plus ne demore,
Ainz s'an torne meismes l'ore,
Gerpi sa terre et son roiaume,
Il ne prinst ne hauberc ne hiaume.
120 D'errer ne fine nuit et jor^
Jusq'a la mer ne prist sejor.
A moût grande poine vint la;
Et si vos di qu'il a pieç'a
Tel poine soferte por lis
125 Et moût esté fol, je vos di.
Change son non, fait soi clamer
Tantris. Qant il ot passé mer,
Passez est outre lo rivage. [fol. 153. r'
Ne vialt pas q'en lo taigne a sage :
1 30 Ses dras deront, sa chère grate,
Ne voit home cui il ne bâte ;
Tondre a fait sa bloie crine.
N'i a un sol en la marine
Qui ne croie que ce soit rage ;
1 3 5 Mais ne sevent pas son corage.
En sa main porte une maçue;
Comme fox va : chascuns lo hue,
Citant li pierres a la teste.
Tritanz s'en va, plus n'i areste.
140 Ensinc ala lonc tans par terre
Tôt por YamorYsiant conquerre.
107 P.; ms. félon braie.— 1 14 ms. en mon aer; le copiste paraît s'être trompé
de ligne en copiant encore une Jais la fin du virs 113; /'r final est évidemment
ajouté après coup. Nés point du vers 115=: même un pas [cf. Zcitschrif, II, 409
s.). — 122 ms. grant. — 134 ms Quil.
LA FOLIE TRISTAN DE BERNE. 563
Mout li ert boen ce qu'il faisoit,
Nule rien ne li desplaisoit
Fors ce qu'il n'estoit o Yseut:
145 Celi desirre, celi veut.
N'a encor pas esté a cort,
Mais or ira, a quel qu'[il] tort,
Et se fera por fol sambler,
Que a Ysiaut viaut il parler.
1 50 Droit a la cort en est venuz,
Onques huis ne li fu tenuz.
Qant Tritanz vint devant lo roi,
Auques fu de povre conroi :
Haut fu tonduz, lonc ot lo col,
1 5 5 A mervoiile sambla bien fol,
Mout s'est mis por amor en grand(r e.
Mars l'apele, si li demande: [fol. 153. r" b.]
« Fox, con as non ? » « G'énon Picous. »
« Qui t'angendra ? » « Uns valerox. »
160 « De que t'ot il ? « 0 D'une balaine.
Une suer ai, que vos amoine ;
La meschine a non Bruneheut;
Vos l'avroiz, je avrai Yseut. «
« Se nos chanjon, que feras tu ? »
16$ Et dit Tritanz : « 0 bee[sj tu ?
Entre les nues et lo ciel
De flors et de roses, sanz giel,
Iluec ferai une maison
0 moi et li nos dedt iron
170 A ces Galois, cui Dex doint honte!
Encor n'ai pas fine mon conte.
Rois Mars, demoisele Brangain
Traist, je t'afi enz en(z) ta main,
Del boivre don dona Tritan^
175 Don il sofri puis grant ahan.
Moi et Ysiauî, que je voi ci,
En beùmes : demandez li ;
144 M. lit oy au lieu de 0 Yseut. — 14^ ms. que il veut ûu lisu de celi
veut. — \\G Le copiste a d'abord écrit graindrc, puis effacé /'i. Cj. 389. —
\i>2P.;ms. brunchor. — 172 P.; ms . demoi sece, — 17^ ms. 'i'ain.
564
Et si lo tient or a mançonge ;
Don di je bien que ce fu songe,
180 Car je lo songé tote nuit.
Rois, tu n'iés mie encor bien duit;
Esgarde [moi] en mi lo vis :
Don ne sanble je bien Tantris ?
Je ai sailli et lanciez jons,
185 Et sostenu dolez bastons,
Et en bois vescu de racine,
Entre mes braz tenu raine. [fol. 153. v° a.]
Plus dire, se m'an entremet ;
En terre pose Picolet. »
1 90 « Ce poise moi que tant fait as ;
Lai or hui mais ester tes gas. »
« A moi que chaut s'il vos en poise .''
Je n'i donroie .j. po de gloise. »
Or dient tuit li chevalier :
195 « N'a fol baer, n'a fol tancier ! »
« Rois, manbre os d'un[e] peor grant,
Qant vos nos trovastes gisant
Dedanz la foilliee, estandu
Entre nos .ij. mon branc tôt nu .?
200 La fis je sanblant de dormir,
Car je n'osoie pas foir.
Chaut faisoit con el tans de mai;
Par mi la loje vi .j. rai;
Li rais sor sa face luisoit :
205 Moût faisoit Dex ce qu'il voloit ;
Tes ganz botas enz el pertuis,
Si t'an alas, il n'i ot plus ^
Car je ne voil l'autre conter,
Car il li devroit bien manbrer. »
210 Marc en esgarde la raine,
Et celé tint la chère encline,
Son chief covri de son mantel :
« Fol, mal aient li marinel
Qui ça outre vos amenèrent,,
2 1 5 Qant en la mer ne vos giterent ! »
196 ms. manbre vos. Cf. Rom. XIV, 306. — 203 P.; ms. lo laie. — 208
ms. lordre.
LA FOLIE TRISTAN DE BERNE. $6$
Adonques a Tritanz parlé :
« Dame, cist cox ait mal dahé! [fol. 15^. v». b.l
Se estoiez certe de moi,
Se près vos m'avoiez secroi
220 Et vos saûssiez bien mon estre,
Ne vos tandroit huis ne ffenestre
Ne lo commandemant lo roi.
Encor ai l'anel près de moi
Que me donestes au partir
225 Del parlemant que doi haïr.
Maldite soi ceste asanblee !
Mainte dolereuse jornee
En ai puis aûe et soferte.
Car m'estorez, dame, ma perte
250 En doz baisier de fine amor
Ou enbracer soz covertor.
Moût m'avroiez fait grant confort,
Certes, 0 autremant sui mort.
Onques Yder, qui ocist Tors,
23 $ N'ot tant ne poines ne dolors
Por Guenievre, la famé Artur,
Con je por vos, car je en mur.
Gerpi en ai tote Bretaigne,
Par moi sui venuz en Espaigne ;
240 Onques nel sorent mi ami,
Ne nel sot la suer Caadin.
Tant ai erré par mer, par terre,
Que je vos sui venuz requerre.
Se je ensin m'an vois do tôt,
245 Que l'un en l'autre ne vos bot,
Donc ai je perdue ma joie; [fol. i $4. r". a.]
Ja mais en augur nus ne croie. »
En la sale maint en consoille,
Li uns a l'autre [enz] en l'oroille :
250 « Mien esciant tôt avandroit
Que mes sires cel fol crerroit. »
219 ms. : Se par vos marinet seruoi. — 224 P.; ms. Qui. — 231 P.; ms.
sanz. — 234 P.; ms. Ydel quocist ; M. lit Ysiaut, Del quocist. — 236 ms.
Artus. — 241 P.; ms. candin. — 247 M. lit nos.
S^G
Li rois a demandé chevax,
Aler veoir vialt ses oisiax
La de defors voler as grues :
2 5 5 Pieç'a que n'issirent des mues.
Tuit s'an issent, la sale est [v]uie,
Et Tritanz a un banc s'apoie.
La raine entra en sa chanbre,
Don li pavemanz est de lanbre,
260 A soi apele sa meschine.
Dit li a : « Por sainte Estrestine,
As tu oi del fol mervoilles ?
Maie goûte ait il es oroilles !
Tant a hui mes faiz regreté
265 Et les Tritan, c'ai tantamé
Et fais encor^ pas ne m'an fain !
Lasse ! si m'a il en desdain,
Et si m'an sofre encor a poine.
Va por lo fol, si lo m'amoine ! »
270 Celé s'an torne eschevelee ;
Voit la Tntanz^ moût li agrée.
« Dan fol, ma dame vos demande.
Moût avez hui esté en grande
De reconter hui vostre vie.
275 Plains estes de mélancolie : [fol. 1 54. v°. b].
Si m'aist Dex, qui vos pandroit,
Je cuit que bien esploiteroit. »
« Certes, Brangien, ainz feroit mal :
Plus fol de moi vait a cheval. »
280 « Quel deiable enpané bis (?)
Vos ont mon non ensi apris.? »
« Bêle, pieç'a que je lo soi.
Par lo mien chef, qui ja fu bloi,
Partie est de cest [chief] raison :
285 Par vos est fors. Lo gerredon
Hui cest jor, bêle, vos demant,
Que me façoiz solemant tant
Que la raine me merisse
La carte part de mon servise
255 P.; ms. aleueor. — 256 P. ; M. lit vu — 264 P.; ms. fox. — 285
•vs. sors. — 288 P.; ms. reisse. -
LA FOLIE TRISTAN DE BERNE. 07
290 0 la moitié de mon travail. »
Don sopira a grant baail.
Brangien si l'a bien agaitié :
Biaus braz, bêles mains et biaufx) piéiz)
Li voit avoir a desmesure ;
295 Bien est tailliez par la çainture.
En son cuer panse qu'il est sage
Et [en] meillor mal que (que) n'est rage.
« Chevaliers sire, Dex l'anorit]
Et doint joie, mais qu'il ne tort
300 A la raine a desenor
Ne a moi, qui sui de s'amor !
Pardone m.oi ce que t'ai dit,
Ne m'an poise mie petit, »
« Jel vospardoin, pas ne m'an poise. « [fol.i 54. va.]
305 A tant dit Brangien que cortoise:
« Toe merci porchace t'uevre :
D'autrui que de Tritan recovre . »
« Ja si feroie je mon voil ;
Mais 11 boivres del trosseroil
310 M'a si emblé et cuer et sans
Que je n'an ai autre porpans
Fors que tant en amor servir.
Dex m'an doint a boen chief venir !
Mar fu celé ovre appareilliee:
3 1 5 Mon San ai an folor changiee.
Et vos, Brangien, qui l'aportates,
Certes malemant esploitates.
Cil boivres fu faiz a envers
De plusor herbes moût divers.
320 Je muir por li, ele nel sant :
N'est pas parti oniemant ;
Car je sui Tritanz, qui mar fu. »
A cest mot l'a bien conneû.
A ses piez chiet, merci li crie,
325 Qu'il li pardoint sa vilenie;
Si la relieve par les doiz,
Si la baisa plus de .c. foiz.
306 t'uevre est employé i-ô y.ov^o^; cf. TobUr, Vermischte Beitraege, p. 117.
$68
Or la prie de sa besoingne
Et qu'el la face sans essoigne,
330 Bien s'anporra apercevoir,
Et qu'ele en face son pooir.
Brangien l'an moine par lo poin,
L'uns près de l'autre, non pas loing, [fol. i ^. v. b.]
Et vienent en la chanbre ensanble.
3 3 5 Voit lo Ysiaut, ii cuers li tranble,
Car moût lo het por les paroles
Que il dist hui mati[n] si foies.
Moût boenemant et san losange
La salua, a quel qu'i[l] praigne.
340 « Dex saut, » fait ce il, « la raine,
Avoc li Brangien sa meschine!
Car ele m'avroit tost gari
Por sol moi apeler ami.
Amis sui je et ele amie.
345 N'est pas l'amors a droit partie:
Je sui a doble traveillié.
Mais el(e) n'an a nule pitié.
0 fain, o(i) soif et ou durs Hz,
Pansis, pansant, do cuer, do piz
350 Ai soferte mainte destrece;
N'ai rien mesfait par ma parece.
Mais cil Dex qui reigne sanz fm.
Qui as noces Archedeclin
Lor fu tant cortois botoillier
3 $ 5 Que l'eve fist en vin changier,
Icel Dex me mete en corage
Qu[eJ i[l] me giet d'icest folage ! »
Celé se taist, qui mot ne sone.
Voit laBrangiens, si l'araisone :
360 « Dame », fait ele, « quel sanblant
Faites au plus loial amant
Qui onques fust ne ja mais soit ? [fol. 1 5 5 r". a.
Vostre amor l'a trop en destroit.
Metez li tost voz braz au col !
365 Por vos s'est tonduz conme fol.
348 ms. dur.
LA FOLIE TRISTAN DE BERNE. ^6q
Dame, entandez que je i di :
Ce est Tritans, gel vos afi. »
« Damoisele, vos avez tort.
Car fussiez vos a lui au port
370 0 il ariva hui matin !
Trop a en lui cointe meschin.
Se ce fust il, il n'aùst pas
Hui dit de moi si vilains gas,
Oient toz cez en celé sale.
375 Miauz volsist estre el fonz de fale. »
« Dame, gel fis por nos covrir,
Et por aux toz por fox tenir.
Ainz ne soi rien de devinaille.
La nostre amor trop me travaille.
j8o Po vos manbre de Gamarien,
Qui ne demandoit autre rien
Fors vostre cors qu'il en mena :
Qui fu ce qui vos délivra? »
« Certes, Tritans, li niés lo roi,
385 Qui molt fu de riche conroi. «
Voit lo Tritans, moût li est buen:
Bien set que il avra do suen,
S'amor, car plus ne li demande.
Sovant en a esté en grand(r)e.
390 « Resanble je point a celui
Qui sol, sanz aie d'autrui, [fol. 15$. r». b.)
Vos secorut a cel besoin,
A Guimarant copa lo poin ? »
« Oïl, itant que estes home.
395 Ne vos conois, ce est la some. »
« Certes, dame, c'est grant dolor.
Ja fui je vostre harpeor.
En la chanbre 0 fui venistes
Tele ore que je fui molttristre[s]...
400 Et vos, raine, encor un poi.
Car de la plaie que je oi,
Que il me fist par mi l'espaule,
Siissi je de ceste aule (?),
398 ms. chanbre de lui menistre.
J70
H. MORF.
Me randistes et sauf et sain ;
405 Autres de vos n'i mist la main.
Del velin del cruiel sarpent,
Panduz soie, se je en manî,
Me gar[es]istessanz mehain.
Et quant je fui entrez el bain,
4 1 o Traisistes vos mon branc d'acier :
L'osche trovas a l'essuier;
Donc apelastes Perenis
0 la bande de paile bis
0 la pièce iert envelopee;
41 5 L'acier joinssistes a l'espee,
Quant l'un acier a l'autre joint,
Donc ne m'amastes vos donc point.
Par grant ire por moi ferir
L'alastes a deus poinz saisir : [fol . 1 5 5 . v\ a . ]
420 Venistes ver moi tôt iriee.
En po d'ore vos oi paiee
0 la parole do chevol,
Don je ai puis au grant dol.
Vostre mère sot ce secroi,
425 Ice voijs afi je par foi ;
Don me fustes vos [puis] bailliee.
Bien fu la nés apareilliee.
Qant de haute fumes torné.
Au tiers jornos failli oré.
450 Toz nos estut nagier as rains
Je meismes i mis les mains.
Granz fu li chauz, s'aùmes soif ;
Brangiens, qui ci est devant toi,
Corut en haste au trosseroel ;
43 5 Ele meprist estre son voil:
Do buv[e]rage empli la cope,
Moût par fu clers^, n'i parut sope,
Tandi lo moi, et je lo pris.
Ainz ne iert mal ne après pis
440 Car trop savez de la favele.
Mar vos vi onques, damoise[le].))
41 1 P,,- ms. trouastes. — 417 M. Ut manjastes. — 429 P.; ms. Autre —
4J1 M. lit II. — 439 iert n'est pas tout à fait sûr : ont {M) est certainement une
erreur.
L\ FOLIE TRISTAM DE BERNE. 57I
« De mout bon maistre avez leù !
A vostre voil seroiz tenu
Por Triian, a cui Dex ait;
445 Maistoz eniroiz escondit.
Diroiz vos mais noie novele ? »
« Oil: lo saut de la chapele.
Qant a ardoir fustes jugiee
Et as malades otroiee_, [fol. 155, v". b.]
450 Mout s'antraloient desrainnant
Et mout durement estrivant,
A l'un en donerent le chois,
Li qex d'aux vos avroit el bois.
Je n'an fis autre enbuschemant
45 5 Fors do Gorvenal solement.
Mout me deùssiez bien conoistre.
Car je formant lo fis je croistre.
Ainz par moi n'en fu un desdit,
Mes Gorvenal, cui Dex ait,
460 Lor dona tex cox des bastons
Ou s' apooient des moignons
En la forest fumes un terme,
0 nos plorames mainte lerme.
Ne vit encor.e) l;i) hermite Ugrin ?
465 Dex mete s'ame a boene fin ! »
« Ce poez bien laissier ester;
De lui ne fait mie a parler.
Vos nel resanbleroiz oan .
Il est prodom, et vos truan'z).
470 Estrange chose avez enprise :
Maint engingniez par truandise.
Je vos feroie mout tost prandre
Et au roi vos ovres antandre. «
« Certes, dame, si lo savoit,
475 Je cuit qu'i[l] vos en peseroit.
L'an dit : qui ainz servi amor,
Tôt lo gerredone en un jor.
Selonc les ovres qu'e[n] li voi,
Est ce granz enors endroit moi ? [fol. 156. r" a]
445 Ms. escondiz. — 461 P.; mj. Qui. — 471 M. /ùen gragniez. — 478 m^.
que lioi, ^u/ parait avoir été originairement que uoi.
572 H. MORF.
480 Je soloie ja avoir drue,
Mais or l'ai, ce m'est vis, perdue. »
« Sire, qui vos a destorbé ? »
« Celé qui tant jorz m'a amé
Et fera encor, se Deu plaist.
485 Ne m'est mestier c'ancor me laist.
Or vos conterai autre rien :
Estrange nature a en chien.
Queles ! qu'est Hudent devenu ?
Qant cil l'orent .iij. iorz tenu,
490 Ainz ne vost boivre ne mangier,
Por moi se voloit enragier.
Donc abatirent au bréchet
Lo bel lien 0 tôt Tuisset.
Ainz ne fma, si vint a moi.
495 « Par celé foi que je vos doi,
Certes, jel gart en ma saisine
A celui eus cui me destine
Q'ancor ferons ensanble joie. »
« Por moi lairoit Ysiaut la bloie.
5 00 Car lo me mostrez orandroit,
Savoir se il me conoistroit. » .
« Connoistre ! vos dites richece.
Po priseroit vostre destrece ;
Car puis que Tritanz s'an ala,
505 Home de lui ne s'aprima
Qu'il ne volsist mangier as danz.
Il gent en la chanbre loianz.
Damoisele, amenez lo ça ! »
Brangiens i cort, sou desloia. [fol. i $6. r° b.]
5 1 0 Qant li brechez l'oï parler,
Lo lien fait des mains voler
A la meschine qui l'amoine ;
De venir a Tritan se poine,
S[or]e li cort, lieve la teste :
5 1 5 Onques tel joie ne fist beste ;
Boute do groin et fiert do pié :
Toz li monz en aûst pitié ;
484 ms. dex. — 488 P.; ms. Queles hudent devenu. — 497 M. ens. —
499 M. lit lairoie. — 505 ms. nostre. — $11 P.; ms. mars. — $'4 ^« —
516 P.; ms. grain.
LA FOLIE TRISTAN DE BERNE. J7Î
Ses mains loiche, de joie abaie.
Voit io Ysiaut^ formant s'esmaie,
5 20 Craint que il soit enchanteor
0 aucun boen bareteor :
Tritanz ot povre vesteùre.
Au brachet dit : « La norriture
C'ai mis en toi soit beneoite !
525 Ne m'as mie t'amor toloite.
Moit m'as montré plus bel sanblant
Que celi cuij'amoie tant.
Ele cuide que je me faigne :
Ele verra la destre ensaigne
5 30 Q'ele me dona en baisant,
Qant départîmes en plorant,
Cest enelet petit d'or fm :
Moût m'a estépruchien voisin.
Mainte foiz ai a lui parlé,
5 3 5 Et quis consoil et demandé.
[Et] qan ne me savoit respondre,
Avis m'iert que deiisse fondre.
Par amor bais(s;ai l'esmeraude, [fol. 156. v° a.]
Mi oil moillerent d'eve chaude. »
540 Ysiaut conut bien l'anelet
Et vit la joie del bréchet
Que il fait, a poi ne s'anrage.
Or s'aperçoit en son corage
C'est Tritans a cui el^e) parole.
545 « Lasse ! » fait ele, « tant sui foie!
Hé! mauvais cuers, por que ne fonz,
Qant ne conois la rien el mont
Qui por moi a plus de tormant ?
Sire, merci ! je m'an repant. »
5 50 Pasmee chiet, cil la reçoit.
Or voit Brangiens ce qu'el voloit.
Quant el revint^ es flans l'anbrace ;
Lo vis et lo nés et la face
Li a plus de mil foiz baisié.
5 5 $ « Ha ! Tritanz sire, quel pechié.
542 M.j ms. poi. — Ç44. P. — 552 ms. el .ft.
574
Qui tel poine sofrez por moi !
Don mal soie fille de roi,
S'or ne vos rant lo gerredon !
Quelles ! Brangien, quel la feron ?
560 « Dame, nel tenez mie a gas :
Alez, si li querez les dras.
H est Tritanz et vos Yseut. »
Or voit l'an bien qui plus se deut. .
A molt petitet d'achoison.
^65 Et dit : « Quel aise li feron ? »
« Tandis con vos avez loisir,
Moût vos penez de lui servir,
Tant que Mars viegne de rivière.
« Car la trovast il si pleniere
570 Qu'il ne venist devant .viij. jorz!.
A cez paroles, sanz grant cri,
Con vos avez ici oï,
Entre Tritanz soz la cortine :
Entre ses braz tient la raine.
Berne, le 21 novembre !886.
Henri Morf.
564 M. lit de choison. — 569 M. omet si. — 573 M. lit sor.
SUR l'identité
DU THOMAS AUTEUR DE TRISTRAN
ET
DU THOMAS AUTEUR DE HORN
Le roman anglo-normand de Horn et Rimel, imprimé pour la première
fois d'une manière très insuffisante par M. Francisque Michel, en 1845,
et dont MM. Brede et Stengel ont publié récemment des copies fidèles
d'après les trois manuscrits [Ausgaben und Abhandbngen, viii), com-
mence et finit en indiquant qu'il a pour auteur « mestre Thomas » :
vv. I S{]^. Seignurs, ci avez le vers del parchemin,
Cum li bers Aaluf est venuz a sa fin.
Mestre Thomas ne volt k'il seit mis a déclin,
K'il ne die de Horn le vaillant orphanin;
et à la fin, v. 5245:
Tomas n'en dirrat plus, tu aiiUm chantera.
M. Francisque Michel, dans l'introduction de son édition (p. li), a, le
premier, posé la question de savoir si on doit voir dans ce Thomas le
même personnage que celui qui se donne comme l'auteur des fragments
du roman de Tristan, qu'on appelle d'un nom commun la version de
Thomas, ou s'il faut voir en lui quelqu'un des autres Thomas qui figurent
dans la littérature française ou anglo-normande du moyen âge : Thomas
de Kent, l'auteur d'une version de l'histoire d'Alexandre; — l'auteur
d'un poème anglo-normand sur la mort de la Sainte Vierge ; — enfin le
fameu.x Thomas d'Erceldone « le Rimeur « ^ Après avoir rejeté cette
dernière supposition comme tout à fait inadmissible, M . Michel tâche de
prouver que le Thomas du roman de Horn est le même que le Thomas de
576 W. SODERHJELM.
Bretagne cité par Gotfrid, à savoir l'auteur du roman de Tristran. Son
argumentation est assez faible. Il procède, comme il le dit lui-même,
par voie d'exclusion : il écarte d'abord Thomas de Kent par la raison
que son « roman de toute chevalerie » est en tout point tellement infé-
rieur à celui de Horn qu'il accuse une main différente ' ; il en use de
même à l'égard du Thomas du poème sur la mort de la Sainte Vierge,
parce que le trouvère qui porte ce nom « paraît ne le devoir qu'à une
erreur du copiste et s'être réellement appelé Hermans»; il ne reste donc
que l'auteur de Tristran . Pour appuyer son hypothèse que celui-ci est
aussi l'auteur de Horn^ M. Michel prétend se fonder sur une tirade de
la préface du roman inédit à'Atla -, où l'auteur déclare que les his-
toires d'Aelof, de Tristran et d'autres ont été traduites de l'anglais en
français. « Il faut admettre, » dit M. Michel, « que sous le titre d'his-
toire d'Aelof, l'auteur entendait parler non seulement du roman d'Allof,
mais encore de celui de Horn. qui n'en est qu'une branche, et qu'il a
cité cette histoire en même temps que le roman de Tristran, parce que
ces deux ouvrages provenaient de la même main. » J'avoue que cette
argumentation ne me paraît pas assez forte pour prouver tout de suite
que l'hypothèse de M. Michel est la seule juste. Au reste, il s'en tient là,
sans comparer les deux poèmes entre eux, sans indiquer les ressemblances
éventuelles du style et de la langue.
On en est resté jusqu'ici au même point. L'hypothèse de M. Michel,
qu'il ne présentait que très dubitativement, est devenue un axiome pour
certains romanistes : on l'a acceptée sans se donner la peine d'en chercher
des preuves satisfaisantes. Ainsi M. Stengel, dans la préface de son édition
de Horn 3, se contente de dire que nous pouvons sans hésiter identifier
l'auteur de ce poème à celui du roman de Tristran, et M. Vising, dans
son étude sur la versification anglo-normande 4, s'exprime à peu près de
la même manière,, ajoutant seulement que l'état de la langue corrobore la
vraisemblance de cette opinion.
Il est donc utile d'étudier la question d'un peu plus près.
Mais on voit, dès le premier moment, qu'il ne peut guère s'agir que de
conjectures plus ou moins vagues. La forme extérieure des deux textes
soulève déjà une difficulté considérable pour la comparaison : tandis que
1 . [Il y en a mainlenant une raison encore meilleure : c'est que l'auteur de cette
histoire d'Alexandre s'appelait sans doute non Thomas, mais Eustace; voy.
P. Meyer, Alexandre, t. II, p. 281. — G. P.]
2. [Ou plutôt de Waldef ; voy. Sachs, Beitrdge zur Kande altfranzœsischer.
alUnglischtr und provcnzalischer Liuratur, p. 47. — G. P.]
3. L. c, p. m.
4. P. 74-
LES AUTEURS DE TRISTRAN ET DE HORN. 577
Tristan esi écrit en vers de huit syllabes, c'est l'alexandrin qui règne
dans Horn, lui donnant un tout autre caractère. Puis les manuscrits de
Horn offrent une quantité de fautes de scribe qui rendent surtout les
questions de métrique presque insolubles, à moins qu'on ne se donne la
peine d'essayer une reconstruction critique de tous les 5250 vers. Enfm
il y a dans la langue des deux poèmes très peu de traits de phonétique
ou de tlexion qui, leur étant individuels et différant d'une façon remar-
quable de ceux des autres poèmes anglo-normands de la même période,
puissent faciliter une conclusion décisive. Ce sont là des difficultés qui
empêcheront probablement d'obtenir un résultat tout à fait sûr.
D'abord je donnerai un petit aperçu du contenu du roman de Horn
pour qu'on puisse se faire une idée du caractère et de la composition de
ce poème.
Le roi païen Rodmund, aprèsavoir tué le roi Aalufet s'être emparé de
son royaume de Suddene, fait mettre Horn, le plus jeune fils d'Aaluf, et
ses quinze compagnons dans un vieux bateau pour les laisser périr en
pleine mer. Mais un vent de nord-ouest les pousse au rivage de la Bre-
tagne. Là règne un roi, nommé Hunlaf, qui les accueille avec bien-
veillance et leur fait donner par ses barons l'éducation des chevaliers.
Quand ils ont seize ans, ils paraissent à la cour. Horn est parmi tous le
plus beau : « Dame nel ad veu, » dit le poète, « qui ne seit pasmee ».
Même Rimel ou Rimenhild, la fille du roi Hunlaf, devient si amoureuse
du bel étranger qu'elle est prise d'une folle envie de se donner à lui.
Elle fait appeler Horn chez elle ; il vient non sans peine, mais il refuse
l'amour que lui offre Rimel aussi bien que l'anneau qu'elle veut lui
donner; il dit qu'il n'est qu'un pauvre écuyer, et qu'il doit au moins
gagner ses éperons dans une bataille ou dans un tournoi avant de rece-
voir les preuves d'amour d'une si noble personne.
Bientôt se présente une occasion où Horn peut se montrer digne de
l'honneur que toute la cour lui rend. Deux rois africains, frères de ce
Rodmund qui a tué Aaluf, viennent d'envahir le pays de Hunlaf. Horn
demande au roi la permission de marcher contre les ennemis; Hunlaf la
lui donne et le fait chevalier; après un combat acharné, Horn et ses gens
anéantissent toute l'armée africaine. Le triomphe de Horn est grand. Le
roi le reçoit comme son sauveur, le pays lui témoigne sa profonde recon-
naissance, et Rimel lui offre de nouveau son amour, que Horn ne refuse
point cette fois. Mais sa joie ne dure pas longtemps, car un de ses
compagnons, Wikel, qui l'envie, le calomnie auprès du roi en l'accusant
d'avoir séduit Rimel sans intention de l'épouser. Le roi prie Horn de se
défendre contre cette accusation par un serment, mais Horn prétend
qu'il ne convient pas à un chevalier de se défendre autrement qu'en se
battant avec son accusateur. Le roi tient au serment: si Horn ne veut
Romania, XV. 27
578 W. SoDERHJELM.
pas jurer, il le considérera comme coupable et il sera forcé de le chasser
de son pays. Horn se prépare à partir. Il prend ses armes, rassemble
ses compagnons, et fait ses adieux au roi ; quand il s'approche de la belle
Rimel, elle se pâme; enfm elle lui promet de l'attendre sept ans, et lui
donne un anneau qui doit le sauver de tout danger.
Horn s'embarque sur un navire, dont la destination est Westir. Il ne se
fait plus nommer que Gudmond, pour ne pas être reconnu. Sur la rive de
Westir il rencontre les filsdu roi de ce pays, Gudereche, dont l'un le prend
à son service. A la cour de Westir se répètent les mêmes choses qu'en Bre-
tagne : Horn excite l'admiration de tous les hommes et l'amour de toutes
les femmes. Lemburc, la fille du roi, lui ofîre ses faveurs et des présents,
tout à fait comme l'avait fait auparavant Rimel, et Horn les refuse en
disant qu'il ne les mérite pas. Cinq ans se passent ainsi sans événements.
Horn commence à trouver la vie trop oisive, car il n'y a que des jeux et
des fêtes tout le temps. Cependant il est toujours le premier, dans les
armes,, pour la musique/ aux échecs, et il se concilie la plus haute estime
de tous. Enfm il a le bonheur de rendre un service au roi Gudereche sur
le champ de bataille. Cela se fait de la même manière qu'en Bretagne :
les Africains, conduits par deux frères de Rodmund nommés Hydebrant
et Herebrant (curieux noms africains !) , se sont jetés en grande foule sur la
frontière du Westir ; Horn est envoyé à leur rencontre, et une bataille
terrible s'engage. Les fils du roi et plusieurs nobles du royaume tombent,
mais enfin Horn décide la victoire en tuant les princes africains. Alors
le roi Gudereche lui offre de partager son royaume et d'épouser sa fille
Lemburc. Mais Horn refuse, se rappelant sa promesse à la belle Rimel.
A ce moment arrive à la cour un « paumer pèlerin » ; en apercevant
Horn, il se jette à ses genoux, l'appelle de son vrai nom et le prie de
venir aider son père, le sénéchal du roi Hunlaf, qui par les ruses du
traître Wikel a été privé de tous ses biens. Horn essaie d'abord de
garder son incognito, mais quand le pèlerin lui raconte que Rimel va être
contrainte d'épouser le roi deFenoie, Modin, si Horn ne vient pas à son
aide^ il avoue au roi son nom et son origine, et se prépare à partir, suivi
d'un grand nombre de chevaliers Westiriens. Après trois jours de voyage
on arrive en Bretagne. Horn s'en va seul vers la cour pour s'informer.
Il rencontre un mendiant, change d'habits avec lui et attend près du
château le cortège nuptial. Il le voit passer: Wikel et le fiancé de Rimel
vont ensemble, et Horn ne peut s'empêcher de leur lancer des invec-
tives. Ensuite Horn pénètre dans le château, après avoir lutté avec les
portiers ; il se mêle aux pauvres, qui sont servis à la fin de la fête
par la princesse. Horn parle, le visage couvert, à Rimel ; elle le re-
connaît enfin à l'anneau donné jadis. Horn retourne près de ses compa-
gnons, un tournoi est préparé par Rimel, le roi de Fenoie est vaincu, tout
LES AUTEURS DE TRISTRAN ET DE HORN. 579
le monde passe du côté de Horn, et celui-ci va assiéger la ville ; mais le
roi Hunlaf voit qu'il a eu tort, et le mariage de Horn et Rimel est célébré
par une grande fête. Wikel, le traître, obtient son pardon.
Ici se présente une lacune de plusieurs vers. On y racontait probable-
ment comment Horn se justifia auprès du roi, comment il retourna dans
son pays de Suddene, que possédait encore Rodmund, et comment il
y retrouva un ami nommé Hardré. Le récit reprend là.
Par la ruse de Hardré l'armée de Rodmund tombe dans une embus-
cade oili il est facile à Horn de l'anéantir. Rodmund est tué de la propre
main de Horn, celui-ci devient maître de tout le pays, les païens sont
forcés d'abjurer leur foi ou de mourir, on bâtit des églises et des cou-
vents. La renommée de Horn se répand par le monde entier et arrive
enfin jusqu'à la mère de Horn, qui après la mort d'Aaluf s'était retirée
dans les Ardennes [sic]. Elle se rend à la cour, et son arrivée donne lieu à
une grande fête. Tout va bien, jusqu'à ce que Horn, qui a laissé sa
femme en Bretagne, ait une nuit au sujet de Rimel et de V/ikel un songe
si affreux qu'il se sent forcé d'aller là-bas pour voir ce qui se passe. En
effet, Wikel est de nouveau en possession du pouvoir, et se prépare à
épouser par force Rimel. Mais Horn le vainc et lui fait subir, en le tuant,
le sort commun de tous ses ennemis. Puis il va visiter le Westir avec
le roi de Fenoie, qui tout à coup est devenu son cousin et bon ami ; il
marie Lemburc à celui-ci, et il retourne ensuite en Suddene avec
Rimel, qui pendant ce temps lui a donné un fils, le plus beau du monde,
Hadermod, le vainqueur futur de toute l'Afrique. C'est ce prince dont
le fils de l'auteur, Gilimot, « ki la rime après mei bien contruverat »,
devait plus tard chanter les hauts faits.
Il est facile de voir, je crois, que le caractère de ce poème n'offre
guère de ressemblance avec celui de Tristran. Tandis que celui-ci est un
des romans du cycle breton les plus caractéristiques, un de ceux quj
portent le plus cette marque de sentiment et de lyrisme qui leur est
propre, Horn nous frappe au contraire par les rapports très étroits qu'il
a avec les chansons de geste d'un côté et avec l'épopée germanique de
l'autre. En effet, il offre un mélange curieux des traits de ces deux
genres de poèmes épiques et de la poésie du cycle breton. Nous y
voyons les caractères principaux des chansons de geste, la lutte entre
les chrétiens et les païens, la glorification de la rude bravoure et des
actions d'éclat sur le champ de bataille ; nous y rencontrons le ton des
poèmes allemands, où les héros sont certainement très amoureux,
mais où ils ne le montrent que par des actions guerrières ; enfin nous
y voyons, comme dans les romans de la Table Ronde, des scènes
d'amour, des descriptions des habitudes élégantes des cours, et des per-
fection viriles et chevaleresques. Mais, pour le dire tout de suite, il me
580 W. SÔDERHJELM.
semble que c'est le cycle breton qui a le moins contribué à former le
fond et le style du poème : d'abord le sujet est d'origine germanique (on le
retrouve dans de nombreuses légendes anglaises, danoises et suédoises),
puis ce sont les scènes belliqueuses ainsi que les jeux et les fêtes de la
cour que le poète a traités avec le plus d'habileté et le plus de prédi-
lection. On pourrait dire que le Horn est un reflet de l'épopée germanique
projeté sur le fond des chansons de geste françaises ; ce mot résume,
selon moi, la tendance et les qualités de ce poème, en tant qu'on n'a pas
besoin de le rapprocher des romans bretons pour le comprendre et l'ex-
pliquer.
Le jugement que je viens de porter implique par lui-même les diffé-
rences principales entre les deux poèmes qui nous occupent. Un examen
détaillé nous les montrera plus clairement encore.
Le roman de Horn raconte les exploits et les aventures d'un chevalier
depuis sa naissance jusqu'au moment où, après avoir remporté une mul-
titude de victoires sur les païens, il va se reposer dans le royaume pa-
ternel. C'est une histoire dont l'action se développe lentement par une
suite de scènes guerrières et dont le contenu essentiel consiste surtout
dans la description de ces scènes. Chaque fois que l'auteur trouve l'oc-
casion de parler d'un combat ou d'un jeu de force, il se jette là-dessus
avec une vraie volupté et nous en donne en plusieurs pages les détails
les plus complets. On dirait que le premier sujet qu'il avait emprunté
aux légendes anglaises, c'est-à-dire les amours de Horn et Rimel, ne
l'a pas suffisamment intéressé ; il inclinait plutôt vers la poésie épique
proprement dite, et il a insisté le plus possible sur les endroits qui
pouvaient lui donner occasion de développer ses aptitudes naturelles
pour les descriptions de ce genre. De plus, les siennes ressemblent sou-
vent d'une manière surprenante à des passages correspondants dans les
chansons de geste. L'auteur nous raconte comment, pendant les combats
contre « les feluns sarazins», tel ou tel de nos chevaliers se bat avec tel ou
tel païen, comment la lutte s'engage et devient acharnée, comm.ent tous
attendent des secours du héros principal, comment le chrétien frappe le
païen tant
Ke le quir e le fust tut quaisse et départ,
E par mi le hauberc il ront et char et lart,
et comment la bataille a été telle que
Pus ce! jor ne fud mais bataille meuz férue.
Tout cela n'est-il pas bien dans la manière stéréotypique que nous
connaissons d'après toutes les chansons de geste .'* Puis, ce qu'on
trouve aussi dans la Chanson de Roland, les vainqueurs lancent des in-
sultes aux vaincus et s'exhortent eux-mêmes après un coup heureux ; ils
LES AUTEURS DE TRISTRAN ET DE HORN. 581
donnent aux vaincus le choix entre la mort et l'abjuration de leur foi, etc.
— Roland et Durendal sont même nommés. En un mot, dans les pas-
sages pareils règne le style des chansons de geste, spécialement des plus
anciennes, et ces passages occupant une partie considérable du roman
entier, celui-ci ne peut pas manquer de produire par le caractère général
de son style, surtout quand on y ajoute la forme extérieure, les longues
tirades de vers alexandrins monorimes, etc., un effet qui est bien différent
de celui que fait le Trlstnin.
Quant aux personnages que mettent devant nos yeux l'auteur de Nom
et l'auteur de Tristran, ils portent eux aussi un cachet très différent,
et cette diversité résulte de celle que j'ai indiquée entre les deux poèmes.
Nous retrouvons d"abord dans le roman de Horn les deux types propres
aux épopées françaises: le héros et le traître, Horn et Wikel. Celui-ci
est aussi félon qu'un personnage quelconque de la fameuse f:imille de
Ganelon, et sa haine contre Horn a pour cause l'ambition; quant à Horn,
il offre de son côté beaucoup plus de ressemblance avec les héros de l'épo-
pée française qu'avec Tristran. Tandis que Horn est toujours le vaillant,
le superbe et le fier, qui a consacré sa vie tout entière à venger la mort
de son père, à lutter contre les païens et à se perfectionner dans toutes
les qualités du chevalier, tandis qu'il ne s'abandonne pas aux jouissances
de l'amour avant d'avoir rempli tous ses devoirs de soldat et de ser-
viteur fidèle du roi et l'avoir ainsi mérité [un trait germanique du reste),
Tristran se conduit d'une manière presque tout à fait contraire : il est le
type du héros des romans bretons; il passe son temps à languir et à
soupirer del'aoïour le plus tendre; l'auteur nous dit à tout moment qu'il
a « mult grant dolur «, qu'il est « pale de vis », qu'il « plure des
oilz » etc; il se mêle assez peu, et par hasard plutôt que par entraî-
nement, d'entreprises belliqueuses, et elles sont d'ailleurs d'une espèce
toute différente de celles de Horn. Quant à Wikel, le traître, il n'y
a pas de personnage correspondant dans la version de Thomas, car
Cariado joue un rôle tout à fait différent, et le sénéchal Meriadoc ou
Mariado, le compagnon de Tristran, qui dans les traductions islandaise,
anglaise et allemande, est le premier à dénoncer au roi les amours de
Tristran et Iseut, le fait d'une manière si différente de celle qu'emploie
Wikel, que ce trait (Wikel est jaloux de Horn à cause d'un beau
cheval, Meriadoc de Tristran à cause d'Iseut) serait déjà suffisant pour
suggérer le soupçon d'une diversité d'auteurs.
Les caractères féminins eux aussi sont très différents dans Horn et
Tristran. Je ne sais si ce n'est pas une exagération de prétendre avec
M. Wissmann ' que les femmes, par exemple Rimel, nous dégoûtent par
1. King Horn. Quellcn 11. Forschungen, XVI, p. 118.
582 W. SÔDERHJELM.
la manière dont elles s'offrent elles-mêmes. Je ne crois pas qu'il faille
compter si rigoureusement avec la pudeur féminine au moyen âge, et
d'ailleurs que de Rimels ne trouve-ton pas dans les chansons de geste !
Mais il faut avouer pourtant que la reine Iseut est, comme personnage
poétique, bien supérieure à Rimel et à Lemburc; elle est plus femme,
plus gracieuse et charmante, plus tendre dans son amour et plus noble
dans sa manière de l'exprimer. D'ailleurs^ les caractères de Rimel et de
Lemburc sont à peine ébauchés; l'auteur ne s'embarrasse pas d'analyser
leur passion ni les actes qu'elle leur inspire. On est frappé tout d'abord
de voir combien l'observation psychologique est superficielle ; on cherche
en vain dans les caractères féminins du rom.an de Horn ces peintures du
cœur que nous trouvons dans les personnages d'Iseut la blonde et même
d'Iseut aux blanches mains. Le personnage de Rimel est naturellement
le plus travaillé ; or elle ne nous admet guère à la confidence de ses
sentiments ; ainsi elle ne nous ouvre pas son âme quand il s'agit
d'événements aussi capitaux que son mariage forcé avec le roi de
Fenoie ou avec Wikel ; comparez les discours sincères et expansifs
d'Iseut avec Brengain et Tristran, où elle nous montre les mouvements
les plus intimes de son cœur. — Entre Brengain et Herselot, la chambrière
de Rimel, il n'y a pas de ressemblance: l'une joue un rôle considérable à
côté de sa maîtresse, tandis que l'apparition de l'autre est momentanée
et sans aucune importance pour la composition.
Nous voyons donc que l'auteur de Horn et l'auteur de Tristran orrt
traité des caractères qui se présentaient à peu près dans les mêmes con-
ditions d'une manière essentiellement différente.
Il y a encore un trait dans le caractère général du roman de Horn qui
l'éloigné du roman de Tristran en le rapprochant des chansons de geste :
c'est l'absence complète de ce qui est ou pourrait paraître merveilleux
ou surnaturel. Un seul point fait exception, mais c'est justem.ent l'unique
élém.ent de merveilleux que contiennent les chansons de geste : c'est « le
songe épique, » comme l'appelle M, Gautier, auquel les trouvères ont
l'art de donner un caractère prophétique ; nous le retrouvons dans ces
imaginations nocturnes qui troublent le repos victorieux de Horn et le
forcent de retourner en Bretagne.
C'est pour rendre plus claire la différence qu'offre le caractère général
de nos deux poèmes que j'ai rattaché le roman de Horn aux chansons de
geste. Pourtant, je l'ai dit au commencement de mon étude, je ne voudrais
pas, comme l'a fait M. Gautier, ranger sans restriction ce poème
parmi les épopées françaises. Il y là trop de chevaleresque, trop de des-
criptions de la vie qu'on menait en temps de paix à la cour, on voit trop
bien l'intention qu'a l'auteur de plaire aux lecteurs les plus délicats, pour
qu'on ne soit pas porté à penser à des éléments étrangers. Mais par cette
LES AUTEURS DE TRISTRAN ET DE HORN. ^8^
direction de ses tendances poétiques il ne se rapproche pas non plus de
l'auteur de Tristran, qui regarde les fêtes brillantes de la cour comme des
sujets aussi peu appropriés à son talent que les guerres et les combats.
Il les décrit rarement et, comme nous le verrons plus tard, sa force de
peinture ne suffit pas à les rendre aussi vivantes, aussi colorées que
les rend l'auteur de Horn.
On peut dire en un mot que l'imagination poétique de l'auteur de Horn
est tournée vers le monde extérieur^ tandis que l'auteur de Tristran est
exclusivement contemplatif, sentimental et moraliste. C'est ce que nous
apprenons tout de suite par un examen du caractère général des deux
poèmes, et, quoique ce jugement puisse sembler prématuré, je suis porté
déjà à tirer de cette dissemblance une conclusion que je soutiendrai plus
loin par des preuves détaillées. Il est, à mon avis, presque inadmissible
qu'un même poète du moyen âge ait pu composer deux ouvrages d'un
caractère aussi différent que le sont le roman de Horn et le roman de
Tristran ■ ; la chose est encore moins vraisemblable dans ce cas-ci, car il
faut supposer que, si l'auteur du roman de Tristran s'était proposé de
traiter un sujet comme les amours de Horn et Rimel, où il aurait trouvé
tant d'occasions d'abonder dans le sens de ses aptitudes, il l'eût fait
d'une manière analogue à celle qu'il emploie dans un autre cas sem-
blable. Je crois qu'il aurait pris les événements militaires comme cadre,
sans en faire la matière même de son poème, qu'il aurait transformé le
héros belliqueux en un amoureux sentimental, et qu'il aurait mis le per-
sonnage de Rimel au premier plan de l'action, en traitant les développe-
ments de passion avec plus d'intérêt et plus de soin. En un mot, il aurait
rapproché son poème, qui offrait un sujet si propre pour cela, des romans
bretons, au lieu de l'en éloigner,, comme l'a fait notre auteur.
Nous allons voir maintenant que l'examen plus détaillé du style de
ces deux poèmes appuie l'opinion que je viens d'émettre.
Prenons d'abord au hasard quelques passages à peu près correspon-
dants pour constater la façon différente dont ils ont été traités au point
de vue du style.
Voici par exemple les vers (ms. Douce 501 sqq.) où Tristran revient
déguisé en mendiant, et l'endroit où Horn, en habit de pèlerin, va s'in-
former des nouvelles de la cour (v. 3966 sqq.K Dans le premier morceau
on raconte très simplement comment Tristran se déguise:
I. Je n'oublie pas qu'un même poète du moyen âge a pu employer di-
verses formes (Wace, Adenet le Roi) ; mais le caractère du conteur n'a pas
essentiellement changé avec la forme.
584 W. SÔDERHJELM.
Or(e) s'aturne de povre atur,
De povre atur, de vil abit,
Que nuls ne que r.ule [ne] quit
Ne aperceive que Tristran seit.
Par une herbe tut les deceit :
Sum vis em fait tut eslever,
Cum se malade fust, enfler
Pur sei seurement covrir, etc.
Dans Horn, au contraire, la scène du déguisement est très vive. Horn
rencontre le pèlerin et change d'habits avec lui, pièce à pièce ; il lui dit :
« Pur la cote qu'avez avérez bliaud purprin,
L'esclavin avérai joe e vus cest mantel hermin,
E pur ces trebuz ces chauces d'osterin,
Pur cest vustre burdun cest mien amoravin,
Pur la paume del col ' cest bon brant acerin;
Pus si tendez a Deu, paumer, vostre chemin
E jou irai a la curt pur veier lur covin. »
On les a tous deux devant les yeux, on les voit s'éloigner de divers
côtés, le mendiant sur son beau cheval, fier de ses nouveaux et riches
habits, et Horn courbé sous les haillons du mendiant. — De même dans
la suite la sécheresse du style de Tristran continue à s'opposer au style
coloré et vivant de Horn. Les deux héros voient passer devant eux le
cortège qu'ils ont attendu: l'auteur de Tristran (Michel, III, 85) se con-
tente de nommer les divers genres de passants et de faire échanger à
Tristran et à Kaherdin quelques mots dans leur cachette. Cette scène est
pourtant une des meilleures et des plus vivantes de cette espèce qu'ait
produites l'auteur de Tristran. Mais l'auteur de Horn le surpasse en
habileté poétique. Il fait jouer à Horn le rôle principal: Horn, qui attend
Wikel et Modin, est extrêmement attentif: il regarde les passants, mais
se tait et reste immobile quand il reconnaît que ce ne sont pas ceux qu'il
attend ; le poète raconte tout, pour ainsi dire, par les impressions de
Horn, sans s'y mêler lui-même :
E vont vers la cité tuz les chemins herbuz ;
Contre ciel flambeient lur espiez, lur escuz ;
De la u fut dan Horn les ad bien coneuz.
Ne se movera d'iloc tresque seient venuz,
E a ceus qu'il voldra si rendra ses saluz.
Les premiers laist passer, tut koi se tint e muz :
On connaît l'usage des pèlerins de porter une palme bénite au cou.
LES AUTEURS DE TRISTRAN ET DE HORN. 585
Kar çoe sunt esquiers, genz, enueisez e druz ;
E après si vienent li jofne prim barbuz,
De novel adobez, chevaliers bien vestuz,
E ceus lait si passer ; ne lur est mot renduz.
Cette scène vraiment dramatique, nous la cherchons en vain au lieu
correspondant de TmVan. Tout est là plus effacé, plus monotone et
objectif :
Vienent garzun, viennent vallet,
Vienent seuz, vienent brachet,
E li curliu e li veltrier,
E li cuistruns e li bernier...
Après lui espessist li rangs
De chevaliers, de dameisels,
D'ensegnez, de pruz e de bels '
Chantent bels suns e pastureles.
Après vienent les dameiseles,
Filles a princes, a baruns,
Nées de plusurs regiuns;
Chantent suns e chant delilus.
Dans une occasion à peu près semblable, Tristran, méconnu par Iseut,
se laisse malmener et chasser ; Horn est aussi arrêté par les portiers,
mais — détail caractéristique — il se fraie un chemin en les bousculant.
Voici les deux passages; d'abord Tristran t. II, p. 26 ; t. III, p. 92) :
Tristan la veit, del sun li prie,
Mais Isolt nel reconnut mie
Grant eschar en ont li serjant.
Cum la reine vait sivant,
Li uns l'enpeint, l'altre le bute
E sil metent hors de la rute ;
L'un menace, l'altre lu fiert.
Horn v. 4082 du ms. de Cambridge! :
Tant ad erré dan Horn qu'a la porte est venu ;
Mes nel lessent entrer, car n'i fud coneu,
Çoe si est une rien dunt il fud commeuz
E dunt li portiers ot trestuz el ke saluz :
Kar dan Horn s'aprosma cum horn k'ert irascuz,
I. [Leçon corrigée; celle du manuscrit est altérée. Dans les autres passages
de Tristran, nous avons aussi introduit quelques corrections nécessaires. — G. P.]
j86 W. SÔDERHJELM.
Sus le prist bien en haut par les cheveus menus,
E a sei le sacha cum cil ki ert de vertuz.
11 l'enpeinst e retraist ke treis cops out feruz :
Sil referist le quart, a tuz dis fust perduz.
Suz le punt le jetad enz es parfunz paluz.
Pus entra a bandun, si s'est absconduz.
La différence me semble évidente ; il y a dans le récit de Horn une
fraîcheur, un mouvement et un accent de réalité qui sont étrangers au
Tristran. — Plus loin nous avons la rencontre entre Tristran et Iseut, entre
Horn et Rimel, quand les deux héros sont reconnus par leurs dames :
l'auteur de Tristran nous raconte en quelques vers bien courts comment
Tristran pénètre dans la chapelle et se fait remarquer par ses cris et
comment Iseut le reconnaît d'après son hanap :
Ysolt en est tut ennuiee,
Regarde le cum femme iree,
Si se merveille que il ait,
Ki pruef de li itant se trait.
Veit le hanap qu'ele cunuit,
Que Tristrans ert ben s'aperçut
Par Sun gent cors, par sa faiture,
Par la furme de s'estature ;
En sun cuer en est effreee
E el vis teinte e culuree.
L'auteur de Horn ne se contente pas d'une pareille simplicité quand il
décrit la jolie scène correspondante qui se passe entre Rimel et Horn
le jour des noces de celle-ci avec le roi Modin et que je vais résumer.
D'abord, c'est au milieu de la grande fête nuptiale qu'ils se ren-
contrent; la fête est, comme d'habitude, longuement racontée. Quand
le dîner est fini, Rimel doit offrir du vin aux convives : elle va s'habiller
richement, ensuite elle vient avec trente dames de la cour et passe
quatre fois autour de la salle en servant du « piment » et du « claret » aux
invités; — quand elle veut faire ce tour pour la cinquième fois, Horn la
saisit par le bras et la blâme de ne servir que les riches : elle devrait
aussi se rappeler les pauvres. Rimel est étonnée de cette hardiesse, mais
elle trouve que c'est bien dit :
N'i direit milleur sermun evesque ne abbez,
et offre à Horn un hanap de vin. Celui-ci refuse. L'étonnement de Rimel
va grandissant :
4193 . Forment s'en merveille, si ne sout que penser ;
Mut ententivement le cummence a viser :
LES AUTEURS DE TRiSTRAN ET DE HORN. 587
El vit la cheir blanche e le visage cler.
Bien parut k'il nen ot lung temps esté paumer,
Ne k'il hom ne semblot ki menast tel mester.
Rime! demande pourquoi il ne veut pas boire. Hom répond qu'il est accou-
tumé à prendre son vin dans de plus riches coupes, mais qu'il ne veut
pourtant pas lui refuser, qu'il consent à boire dans un « corn « à cause
de Horn (Mes corn apelent horn li engleis laîimier). En entendant ce
nom, Rimel est près de se pâmer; elle croit que cet homme est un
messager de Horn. Elle va chercher du vin; ensuite
Quant el vint devant lui en la main li bailla,
E il prist sun anel, suef enz le jeta,
Mêmes cel que Rigmel al partirs li bailla.
Pus si but la meitié e vers lui se turna,
Rova li k'el beust cum el li comança
Puramur iceli ke desorainz noma :
Or verreit si fust veirs qu'ele jadis l'ama.
Ele prist, si en but e le corn enclina,
E l'anel od le vin a sa bûche hurta;
E quant el le senti, si s'en espoenta.
El l'ad pris, sil conut taunt tost cum lesgarda.
Bien conut que ce iert cil que dan Horn enporta,
Quand il prist le cungié e de lui s'en ala.
Rimel lui demande s'il lui apporte des nouvelles de celui qui lui a donné
cet anneau ; Horn fait semblant de ne pas comprendre : il dit seulement
qu'il est attaché à l'anneau et à la dame de laquelle il l'a reçu ; il con-
tinue en métaphores poétiques :
Joe fu javalleton nurri en cest pais.
Par mun servise grant un ostur i conquis:
Ainz que l'oi afaitié enz en mue le mis,
Près ad ja de set anz , bien poet estre sursis.
Or le vienc reveeir, quiels il seit, de quel pris,
S'il veut estre maniers u veut estre jolifs ;
E s'il est si entier cum il iud a ces dis.
Quant joe turnai de ci, dune iert mien, çoe plevis:
Od mei l'emporterai de ci qu'a mes amis ;
E s'il est depecié u en coe malmis,
Ke penne ait brisée, dunt rien li seit de pis,
Ja mes pus nen iert miens, si m'ait saint Denis.
Alors Rimel le reconnaît parfaitement :
Quand Rigmel l'ad oi, si ad jeté un ris ;
Dune dit mut bonement: « Du mal k'oi or garis.
588 W. SÔDERHJELM.
Amis Horn, c'estes vus, bien conois vostre vis.
Si m'ait li haut rei ki meint en parais
E !e mund ad formé dunt il est poestis,
Li ostur dunt parlez, ja mar seez pensis,
Par tut est bien gardé si cum çoe vus pramis '. »
Que de vie dramatique, que de couleur et de talent descriptif dans ce
récit! Il est bien plus long et étendu que celui de Tristran, mais il
a aussi beaucoup plus de relief et il est beaucoup plus saisissant. Outre
la beauté que la situation offre par elle-même, c'est essentiellement la
richesse des détails qui contribue à ce résultat; de petits traits (comme
ceux-ci: l'habile jeu sur les mots cor/z et /^orr/ et la manière fme par laquelle
Horn peut ainsi parler de lui-même; Rimel prend la corne et boit en l'in-
clinant toujours davantage, si bien qu'avec le vin l'anneau coule dans sa
bouche) donnent au récit un effet très vif de réalité. Ce sont justement
des traits de ce genre qu'il nous serait impossible de trouver dans le
roman de Tristran.
Quant au contenu de cette scène dont je viens de parler, quelqu'un
pourrait peut être trouver dans sa ressemblance avec la scène de Tristran
ci -dessus racontée un argument en faveur de l'identité d'un auteur
avec l'autre. Mais il n'en est rien : les sources respectives devaient offrir
ce thème, car il se rencontre bien des fois dans la poésie du moyen âge
comme dans l'épopée de peuples très divers.
Revenons à notre comparaison. Dans les deux poèmes il y a un
tournoi. Le passage est intéressant dans Tristran, car il s'y agit non seu-
lement d'une fête de cour, mais aussi de la prédominance de Tristran
sur les autres chevaliers, c'est-à-dire des choses qu'on trouve si souvent
dans le Horn. Voici comment tout cela est raconté.
A une feste que Mars tint
Grant fu li poples qui i vint.
Après manger déduire vunt,
E plusurs jus comencerfunt,
D'eskermies e de palestes :
De tuz i fut Tristrans li mestres.
E puis firent uns sauz waleis,
E uns qu'apelent waueleisC?),
E puis si portèrent cembeals,
E si lancèrent od roseals,
I. Cette métaphore n'est certainement pas de l'invention de l'auteur de Horn ;
mais s'il était le même que celui de Tristran, il aurait sans doute employé de
semblables métaphores dans l'autre poème aussi.
LES AUTEURS DE TRISTRAN ET DE HORN. 589
Od gavelos e od espiez:
Sur tuz i fud Tristrans prcisez,
E enpruef de li Kaherdins
Venqui les altres par engins.
Comparez la fête que donne le roi de Westir à la Pentecôte, les jeux
auxquels on se livre et les victoires remportées par Horn dans tous ces
jeux. Chacun d'eux est particulièrement et longuement décrit; l'inter-
vention et la victoire de Horn sont racontées avec une vivacité presque
moderne : on apprend non seulement qu'il « de tuz fud mestres » et
« sur tuz preisez » comme Tristan, mais encore comment il en fut ainsi.
Par exemple dans le jeu de la pierre : Egfer, le maître de Horn, lance
la pierre trois pieds plus loin que les autres ; Eglof, l'écuyer de Gufer,
encore à cinq pied de plus. Alors Egfer prie Horn de le venger. Horn
se dit peu exercé à ce jeu, mais il consent à essayer; il prend la
pierre, qui lui semble aussi légère qu'un gant, et la lance aussi loin
qu'Eglof. Celui-ci d'un nouveau coup le dépasse d'un pied; la lutte se
continue ainsi jusqu'à ce que Horn lance la pierre à une distance de
sept pieds de plus qu'Eglof. De même au jeu des échecs, au jeu de la
harpe, etc. Toujours chez l'auteur un besoin d'expliquer les choses tout
au long, un besoin de vie et de réalité, dont fauteur de Tristran ne
s'embarrasse pas du tout.
Continuons: Tristran prend part au tournoi, Kaherdin tue Cariado et
tous les deux s'enfuient.
Tristrans i fud reconeuz,
D'un Sun ami aperceuz.
Dous chevals lur dona de pris :
N'en aveit melliurs el pais.
Car il aveit malt grant pour
Que il ne fussent pris al jur.
En grant aventure se mistrent.
Deus baruns en la place ocisrent:
L'un fud Kariado li beals,
Kaherdin l'occist as cembeals
Pur tant qu'il dit qu'il s'en fui
A l'altre feiz qu'il s'en parti :
Aquité ad le serement
Ki fud tait a l'acordement ;
E puis se metent al fuir
Amdeus pur les lur cors guarir.
Le récit n'est pas plus long dans le Horn^ mais pourtant il est d'une
force et d'une vivacité bien supérieures :
H. C. 4474. Quant çoe eut comandé, od sul dis est eissuz;
Vers le turnei s'en vint, galopant les herbuz.
590 W. SODERHJELM.
Mut i vont fièrement cumme gent irascuz:
Chascun choisi le soen. Après se sunt feruz
Qu'a cel cop premerein en ont dis abatuz :
Li un d'els fud Modin, ke Horn et cuneuz
Ke sis heaumes lusanz soillé fud de! paluz.
On pourrait encore citer beaucoup d'exemples pareils, mais je m'arrê-
terai ici pour ne pas devenir trop long. Les passages cités prouveront,
je crois, suffisamment, qu'il y a une différence capitale entre le style de
l'auteur de Tristran et celui de l'auteur de Horn. Comme le talent poétique
du premier a surtout pour domaine l'observation intérieure, son style se
façonne d'après ces tendances de son esprit, qui restreignent sa faculté
d'expression aux choses de la vie morale. Mais il a sur ce terrain un don
remarquable, et il en profite pour multiplier ces thèmes en leur donnant
les formes les plus diverses possible. Pourtant son expression n'est
jamais très précise; elle est aisée, coulante et même agréable quelquefois,
mais elle n'épuise jamais l'idée. Quand il s'agit de faits réels, il n'a pas
la faculté de les mettre clairement devant les yeux du lecteur, il passe
par-dessus en quelques lignes plus ou moins banales. Tout cela donne à
sa manière d'écrire une couleur terne et vague qui devient encore plus
frappante par le manque chez lui de tout sens épique : il s'interrompt
souvent dans son récit, et il y mêle des choses qui n'ont rien à y faire et
qui gênent la clarté de l'exposition.
Combien le style de l'auteur de Horn n'est-il pas contraire ! Chez lui
il ne faut pas chercher cette espèce de langue poétique, qui nuance les
mouvements du cœur et qui, avec une variété inépuisable d'expressions,
nous montre les luttes intimes d'une âme humaine. Quand il traite cet
ordre de sentiments, il ne l'exprime que par ses effets extérieurs: quand
Rimel ou Lemburc souffrent des peines d'amour, elles font appeler
Horn pour s'abandonner à lui, elles lui envoient des cadeaux, Lemburc
veut entrer dans un couvent parce qu'il ne l'aime pas, elles se pâment
rien qu'en le regardant. Mais quand il s'agit de faits réels et surtout
de faits auxquels on peut donner un vernis d'élégance, alors sa muse
est dans son élément. Il a l'œil fin pour les choses extérieures, et il
a un style très bien approprié à ce genre de descriptions; il voit dans
son imagination comment tout se passe, il saisit le moindre mouvement,
les moindres traits de l'action et de l'extérieur des personnages agissants,
et il les fixe immédiatement en les présentant sous la forme la plus vive
et la plus pittoresque. C'est par cette accumulation de petits faits, dont
aucun n'échappe à son imagination et qu'il exprime avec tout leur relief,
que ses tableaux ont tant de vivacité et donnent au lecteur une impression
de vérité si frappante. Seulement cette inclination même de son talent
et la satisfaction qu'il éprouve à se sentir sur son véritable terrain l'ont
LES AUTEURS DE TRISTRAN ET DE HORN. 591
entraîné bien des fois trop loin. Comme la plupart des poètes épiques du
moyen âge, il n'a pas eu le sens de la composition et il s'est livré à de
véritables débauches de descriptions de combats et de fêtes.
Ajoutons encore quelques traits spéciaux qui caractérisent le style de
Horn.
Horn parle quelquefois en belles métaphores, qui donnent à la des-
cription une élévation très poétique : j'ai déjà cité le passage de «l'ostur «
et je rappelle son discours avec Wikel et Modin, ob. il parle du poisson
qu'il a dans son filet. Ce n'est pas une métaphore inventée par l'auteur,
mais il aie mérite de l'avoir employée. — Tristran est toujours plus
sobre.
Conformément à ses tendances raisonneuses l'auteur de Horn ne laisse
rien passer sans en donner les causes : l'entrée et la sortie des person-
nages sont toujours longuement motivées, le lecteur n'a jamais besoin de
se demander comment tel ou tel acteur a paru tout à coup, son arrivée
est toujours annoncée à l'avance. Quel besoin on a de lui et à quoi il
sert dans l'ensemble, c'est au contraire une question qu'on peut se
faire assez souvent. — Dans Tristran cela n'a pas lieu.
L'auteur de Horn brille par une connaissance des noms géographiques
qui serait vraiment surprenante, si on pouvait supposer qu'il sait aussi
où sont situés tous les pays et toutes les villes qu'il indique. Mais on
peut en douter, car il mêle tout ensemble; il a probablement puisé sa
provision dans diverses épopées. Il s'agit tantôt de villes italiennes, de
Rome, Pise, Pavie, Milan, tantôt de villes françaises, Paris, <' Lions «
(c'est là que doivent avoir lieu les noces de Rimel et de Modin)',
a Mascun en Bourgoigne », « Peitieres» etc., tantôt de pays étrangers
« Norweie», « Frise», Russie, Palestine, « Hungerie », « Albanei »,
« Fenoie », le règne Persan, Chanaan, etc. La grande Bretagne n'est
pas expressément nommée, mais l'auteur nous dit que Westir est l'ancien
nom de l'Irlande :
En Westir volt aler k'est règne preisez:
Irlande ot si à num el tens d'antiquitez.
Les païens viennent à la ville de Divelin, qui est naturellement
Dublin, et le frère du roi de Westir est le roi d'Orkanye (les iles
Orcades). Suddene doit signifier le sud de l'Angleterre, car c'est un
1. Il est pourtant admissible que « Lions » soit Carlion. Mais le voyage
de Westir jusqu'à cette ville a duré trois jours, mais auparavant Horn a fait le
voyage de la cour de Hunlaf jusqu'à Westir, et il est expressément dit qu'au
retour « bon fud li orez ». C'est ce qui m'a tait croire que a Lions » était peut-
être Lyon et la capitale du royaume de Modin.
J92 W. SÔDERHJELM.
vent de nord-ouest qui pousse le bateau de Horn et de ses compagnons
de Suddene à la côte de la Bretagne. Du reste^, dans une forme anglaise
du roman, Horn Cliilde, le père de Horn est appelé roi d'« Ingland ».
Thomas semble avoir emprunté ces noms à son original ; je ne sais
s'ils se trouvent chez aucun autre poète anglo-normand. L'auteur de
Tristran ne les emploie pas, comme nous le savons. Ses notions géogra-
phiques sont du reste beaucoup plus simples. Les fragments français ne
nomment que la Bretagne, l'Espagne et l'Afrique, mais les versions alle-
mande et islandaise indiquent pourtant quelques autres pays.
Quant aux noms des personnages, on en trouve dans Horn une aussi
grande abondance que de noms géographiques. Seulement il est regret-
table que dans cette multitude d'indications il n'y ait rien où se prendre,
rien qui puisse nous suggérer quelque conjecture sur la personnalité de
l'auteur. Le roman d'Aaluf, dont il parle au commencement, on ne le
connaît pas et on ne sait même si cet Aaluf a été un personnage histo-
rique, si c'est lui qui est nommé sous le nom d'Alof dans la Vita Here-
wardi Saxonis comme roi de Cornubie. — En outre il existe dans Horn
un vrai pêle-mêle de noms, qu'on ne peut pas appliquer à des person-
nages historiques et dans lesquels on ne saurait voir des allusions à cer-
taines légendes. Ilsontpourla plupart une forme germanique (quelquefois
anglo-saxonne, p. ex. Godspi, v. 852) et certains d'entre eux appuient la
supposition ci-dessus émise que l'auteur a connu la légende épique
de l'Allemagne, p. ex. Hydebrant et Herebranî. Les dieux païens Mahun^
Tervaganî et ApoUin sont nommés très souvent, comme plusieurs autres
figures de l'épopée française (même Rollant], et nous rencontrons même
des noms comme César, Constantin, elc.^èi côté de Lowis, comme réminis-
cences françaises, et Whegod, de source Scandinave ou gothique. Le nom
Godmund est peut-être une altération de Gormund ou Gormont, qui est em-
ployé très souvent dans l'épopée française comme nom d'un héros africain
ou normand [Gormont et Isembart, Enfances Vivien, Hugue Capet, Daurel et
Beton\. Il est clair que les Normands ont dû céder ici, comme partout,
la place aux « feluns sarazins ». — Je n'ai pas besoin de dire que toutes
ces particularités sont entièrement étrangères à l'auteur de Tristran et
qu'en revanche des allusions qui se trouvent chez lui, — p. ex. à Artur,
à la légende de Guiron, etc. — aucune ne se rencontre dans Horn.
L'auteur de Horn fait d'innombrables allusions à la Bible : Moïse,
Daniel et d'autres reviennent souvent. Dieu et les saints sont invoqués
à chaque instant, tout est attribué à la puissance de Dieu, les person-
nages sont mus par le sentiment religieux, et les prières sont assez fré-
quentes; il termine aussi par le liturgique Tuautem! Rappelons-nous
par contre la fm du roman de Tristran, si caractéristique par son style
tendre:
LES AUTEURS DE TRISTRAN ET DE HORN 595
Tumas fine ci sun escrit :
A tuz amanz saluz i dit,
As pensis e as amerus,
As emvius, as desirus... '
Voila ce que je trouve de plus remarquable dans le caractère généra
et dans le style spécial des deux poèmes dont il s'agit. A côté des grandes
différences que je viens de relever et sur lesquelles je base mon opinion
que ces deux poèmes ne partent pas de h même main, il y a peut-être
de petits traits qui coïncident ; je n'ai pas attiré l'attention sur eux
parce que je les considère comme trop peu importants. Quelquefois,
comme nous l'avons vu, il y a une ressemblance légère entre les sujets,
mais alors l'origine en est clairement la légende primitive, Quelquefois
on rencontrs les mêmes expressions [Tr. cume femme iree — H. r.iime
home irascuz, etc.), mais on peut à juste titre attribuer ces coïncidences
au hasard.
Reste à cet égard une objection éventuelle à repousser. On pourrait
dire que les différences caractéristiques résultent de la diversité des
sources originales et que c'est en les suivant consciencieusement que les
auteurs semblent incliner dans des sens divers. Mais les légendes primi-
tives qui ont pu former la source de l'auteur, ou dont il existe des trans-
formations poétiques à côté de notre roman 2, nous montrent que l'auteur
du roman anglo-normand de Horri a ajouté au sujet prim.iiif une multitude
de descriptions de combats et de fêtes, qu'il a supprimé ce qui pourrait
sembler merveilleux, etc., — c'est-à-dire que ces changements ont
introduit dans le poème justement ce que nous y avons indiqué comme
le plus caractéristique.
La langue de Horn, comme on le voit au premier coup d'œil, appar-
1. Il me semble inutile d'insister sur les « procédés de style » qu'emploie
l'auteur. Ils sont rassemblés dans l'ouvrage récemment paru de M. Nauss: Dcr
Styl des agn. Horn (Halle, 1885). Presque toutes les particularités de styie que
l'auteur a trouvées dans Horn — surtout celles qu'il indique pp. 5, 8, 28,
42, 39, 4^, ^9 — sont étrangères au Tnstran et appartiennent entièrement au
style proprement épique.
2. La question de la source du roman français de Horn n'est pas résolue;
M. Wissmann a tort quand il prétend que Horn est une transformation de King
Horn; il ne semble pas avoir tenu compte de la langue de notre poème, d'après
laquelle on ne peut placer le roman français qu'au milieu ou à la fin du
XIP siècle, tandis que King Horn date d'une époque plus récente (Wissmann, /.
c. p. 58). L'erreur de M. W. a été déjà remarquée par M. Vising {Sur la
vcrsificallon anjo-nornmndc, p. 7, note i).
Romanidj XV 38
594 W. SÔDERHJELM
tient au dialecte anglo-normand, et, à cause des grandes ressemblances
qu'elle offre avec celle des poèmes anglo-normands dont on a le moyen
de fixer la date au milieu ou vers la fin du xii'' siècle, on peut rap-
procher la composition de notre roman de ce temps-là.
Comme je l'ai dit plus haut, la langue de Horn offre peu de traits qui
ne se trouvent pas dans d'autres poèmes de cette même période^ dans le
Tristran de Béroul et dans celui de Thomas, dans le Brandan^ dans VEstone
de Gaimar, dans la chronique de Fantosme ou enfin dans la Vie de suint
Gilles. Dans le Tristran de Thomas, je crois cependant avoir observé
quelques traits qui peuvent servir pour appuyer mon hypothèse qui
l'auteur de ce poème n'est pas celui de notre roman. On peut ob-
verver que le Horn offre au point de vue de la langue une singularité,
qui correspond à celle que nous avons remarquée dans le contenu, c'est-
à-dire qu'il est composé de plusieurs éléments divers, éléments plus
anciens et éléments plus récents. C'est ce qui, selon moi, rend difficile la
détermination exacte du temps où Horn a été écrit.
Mais cette question ne nous regardant pas pour le moment, nous nous
occuperons seulement des diversités de la langue de Tristran et de celle
de Horn.
Quant à la versification, j'ai peu à remarquer, n'ayant pas pu m'oc-
cuper d'une reconstruction parfaite de tout le texte. Je crois cependant
que les vers sont bons et qu'on n'aurait pas à y relever de faits sin-
guliers en comparaison avec le Tristran. C'est pourquoi je n'attribue pas
grande importance à des différences comme les suivantes : que Ve
atone forme le plus souvent hiatus dans Horn ' tandis que l'élision est
générale dans Tristran ^, que dans Horn quelquefois me te se le de forment
hiatus contrairement à la règle, que l'article féminin la semble être
toujours élidé dans Horn mais se trouve trois fois en hiatus dans Tristran,
que l'ace, sing. de l'article le forme deux fois hiatus dans Tristran mais est
toujours élidé dans Horn, enfin que se (lat. si) et que (conjonct. et
ace. sing. du pronom) semblent former plus souvent hiatus dans Horn
que dans Tristran; ces choses-là ne prouvent pas grand chose, car une
correction pourrait peut-être effacer la diversité, ou elle dépend plutôt
du hasard que d'un principe fixe chez l'auteur. Il n'y a que deux diffé-
rences plus saillantes dans la versification des deux poèmes: i° dans
Horn Ve atone dans l'intérieur d'un mot devant une voyelle tonique
compte pour la 'mesure beaucoup plus rarement que dans Tristran; 2" dans
1. Brede, Ueber die Handss. der Ch. ^ê H., § IV, 253,
2. Rôttiger, Ueber den Tristran des Thomas, p. 28.
LES AUTEURS DE TRISTRAN ET DE HORN 59^
cedernier poème on a constaté environ 12 % derimes riches de diverses
espèces' tandis que dans Horn on n'en trouve guère que quand une for-
mation adverbiale ou une terminaison verbale la facilite. Mais on n'aura
sans doute pas tort en attribuant la plupart de ces différences au
caractère diff'érent du vers employé par les auteurs.
En étudiant le vocalisme nous aurons à faire des observations plus
importantes pour notre but.
a. L'auteur de Trisiran îaiinmer la terminaison -alemavecla terminai-
son latine -e 11 u m, ainsi ^Uc7 (nucalem) : flavel (flabellum) D. 5 1 5.
Dans le Horn la terminaison -alem, qui se trouve dans une multitude de
laisses, se maintient comme al; un seul mot fait exception, à savoir leel,
mais d'après Suchier- ce mot est un anglonormannisme, et d'ailleurs il se
trouve neuf fois rimant en al, contre deux fois en el, tandis que dans
Tristran le même mot rime plusieurs fois avec -ell um et ne se trouve
jamais sous la forme leal. On peut dire en général que le Horn maintient
plus strictement que tous les autres poèmes de la même période la ter-
minaison al (p. ex. Noal i8$o, Noauz 2592, dans le vers).
b. Dans Horn, an et en sont parfaitement distincts ; la rime penitance-,
ance, qui se rencontre chez plusieurs poètes anglo-normands et aussi
dans Tristran, ne se trouve pas ici, quoique cette terminaison soit em-
ployée dans plusieurs laisses. — Quant aux participes présents, l'auteur
de Tristran ne se permet pas les mêmes libertés que prend l'auteur de
Horn en employant les deux formes -ent et -ant; quelquefois l'emploi
des form.es diverses dépend de leur sens verbal ou adjectival, mais dans
d'autres cas le poète les traite tout à fait arbitrairement '. Tristran n'em-
ploie que la forme plus récente en -ant.
c. Le Horn a cinq fois dans la rime la forme esta ( : ja, : a, : la etc.)
comme 3*= pers. du prés, de l'indicatif de verbe «/er. Cette forme est
étrangère à l'auteur de Tristran.
d J se confond dans Tristranaxec ai, surtout avants (S^* 641, D 527,
574) 779)- Dans Horn ils sont rigoureusement distincts).
e. e ne semble pas rimer avec ie dans Tristran 'i; ces deux rimes sont au
1. Rottiger, p. 23.
2. Zeitschr f. r. Pti., III, 141 .
3. Nons trouvons pourtant dans Horn un participe de la 1" conjugaison rimant
dans une laisse en -cnt: trenchent ^205 : respicnt, prcnt, etc. Mais d'abord c'est
le seul cas et nous n'avons qu'un manuscrit (0) pour vérifier ce lait ; puis
la forme juste ticnclunt se trouve dans le vers 1998. Il est donc très probable
que l'original contenait un autre mot.
4. Comp. Rottiger, p. 55 sq., qui regarde, avec raison, les quatre rimes /s; «
comme assez douteuses, parce qu'elles ne se trouventque dans un seul manuscrit.
596 W. SÔDERHJELM
contraire entièrement confondues dans Horn. Dans chaque laisse on les
trouve ensemble: ie de c bref latin rime avec e fermé de a latin (piez:
nez: buntez v. 16, etc.), avec couvert tonique [entier [intëgrumj: cler
V. 120I avec ie de a [ier [hëri]: chier v. 1201 etc; le verbe aider, qui
dans Tristran ne rime qu'avec i:, rime ici avec ie et e sans distinction.
/. Dans Tristran Vô de bon se trouve diphtongue ou non ; dans Horn cet
0 ne se diphtongue pas, mais se maintient comme 0 dans son intégrité
rimant avec 0.
g. Aiei ei sont constamment confondus dans Tristran devant une nasale
(D. $69, 765, 1299, etc.'i, tandis que dans Horn ces deux diphtongues
ne riment jamais ensemble.
h. Quant aux consonnes, il n'y arien à remarquer. Les rimes toujours
masculines et en général très pures de Horn ne nous permettent pas de
savoir si l'auteur fait rimer / et n mouillées avec / et n pures comme le
fait Thomas dans Tristran. D'autres traits remarquables, la distinction
de s et z, la chute de la dentale finale après une voyelle tonique, sont
les mêmes dans les deux poèmes, quoique la graphie des scribes de
Horn fasse quelquefois supposer le contraire.
/. Pour la flexion on ne trouve pas beaucoup non plus dans les rimes de
Horn. La déclinaison semble être encore plus ruinée que dans Tristran
(les exemples du cas régime au lieu du cas sujet se trouvent à chaque
page et en beaucoup plus grand nombre que dans Tristrarv, tandis que
les form.es de conjugaison employées à la rime sont très rares et
ne nous montrent que peu de faits qui coïncident avec les formes corres-
pondantes de Tristran. il semble pourtant qu'on pourrait trouver, après
la reconstruction critique du texte, plusieurs différences entre la flexion
verbale de l'auteur de Tristran et celle de l'auteur de Horn.
Je me contenterai pour le moment des observations phonétiques que je
viens de faire pour appuyer mon opinion. Les recherches plus appro-
fondies que j'ai déjà commencées montreront, je l'espère, sûrement que
l'auteur de Horn appartient à une époque plus récente que celui de
Tristran. Peut-être pourra-t-on expliquer les contradictions de ses
principes phonétiques de la même manière dont on a expliqué le mé-
lange des formes archaïques et nouvelles dans la langue de Guillaume de
Berneville.
Helsingfors.
W. SÔDERHJELM,
NOTE
LES ROMANS RELATIFS A TRISTAN
Les travaux qu'on vient de lire sont sortis, — sauf l'édition de
M. Morf, que je lui ai demandée, — de la conférence que j'ai tenue
chez moi le dimanche, pour l'Ecole des Hautes Etudes, pendant l'année
1885-1886. Outre MM. Bédier, Lutoslawski, Sudre et Soderhjelm, en
faisaient partie MM. Muret, Lôseth, et, passagèrement, [MM. Grand,
Ernst et Bonnier. MM. Muret et Lôseth ont commencé d'importants
travaux, l'un sur la source d'Eilhart d'Oberg, l'autre sur le roman de
Tristan en prose; le premier de ces travaux sera très prochainement
publié ; le second se fera sans doute un peu plus attendre. M.W. Meyer,
privat-docent à Zurich, qui prenait aussi part à la conférence, a copié le
fragment de Béroul Michel, t. I) sur le ms. de la Bibliothèque Natio-
nale, et j'espère qu'il nous en donnera bientôt une édition.
Déjà il y a quelques années j'avais choisi les romans sur Tristan pour
sujet de ma conférence du dimanche. Ceux qui y prirent part alors étaient
notamment MM. Fécamp, Thomas, Gilliéron, Ulrich, Vctter et Nyrop.
M. Vetter y conçut le plan d'une édition nouvelle des fragments du poème
de Thomas, dont il a depuis longtemps réuni les matériaux, et dont il a
donné en partie l'introduction dans sa dissertation parue en 1882. Mal-
heureusement M. Ve;ter, je ne sais pourquoi, malgré des sollicitations
souvent répétées, n'a pas encore mis la dernière main à son travail, et
je ne saurais dire dans combien de temps on peut espérer de le voir
paraître.
Les études publiées ci-dessus apportent à la critique des récits relatifs
à Tristan quelques données intéressantes. Notons d'abord ce qui résulte
tant des remarques de M. Sudre 'p. 555] que du passage du roman de
598 G. PARIS
ly^We/ rappelé par M. Sôderhjelm (p. 576) : c'est, au moins en partie,
par un intermédiaire anglais que les récits sur Tristan ont passé aux
conteurs français (cf. Rom. XIV, 604 ss.). Ce résultat important con-
corde avec le fait curieux de l'absence à peu près complète du nom de
Tristan dans ce qui nous reste de la littérature galloise du moyen âge.
L'épopée nationale des Bretons avait été accueillie, grâce àleurs chanteurs
errants, par les Anglais dès avant 1066, et elle passa ainsi aux Nor-
mands; dans sa propre patrie, elle paraît avoir été presque oubliée au
bout d'assez peu de temps. On trouve cependant encore en gallois des
traces assez nombreuses de l'épopée proprement arthurienne, qui
d'ailleurs, en général, ne coïncident guère avec ce que nous en con-
naissons par les poèmes français; mais l'épopée particulière de Tristan a
péri à peu près entièrement sous sa forme originaire ; nous n'avons non
plus rien qui s'y rapporte en anglais (en dehors du Sir Tristrem, de
provenance française), de sorte que nous ne la connaîtrions aucune-
ment si les Normands n'avaient pénétré en Angleterre juste à temps
pour recueillir, soit de la bouche des chanteurs bretons, soit de celle des
conteurs anglais, les récits qui circulaient, sous des formes variées, des
aventures héroïques et amoureuses du héros gallois.
Il serait d'ailleurs tout à fait déraisonnable de révoquer en doute
l'origine celtique de ces récits. Le roi Marc, avec ses oreilles de cheval,
suffirait par son nom à l'attester {marc en celtique signifie « cheval »).
Le Morholt, qui joue ici le rôle du Minotaure, est originairement un
monstre marin, qui porte aussi un nom bien celtique, dans lequel le
premier élément est visiblement le mot mor, « mer ». Le théâtre de la
scène^est alternativement en Léon (ou Galles du Sud, voy. Marie de
France), pays de Tristan, — en Cornouaille, pays de Marc, — en Ir-
lande, pays de la première Iseut, — et en Petite-Bretagne, pays de la
seconde Iseut. La mer, qu'on traverse à chaque instant, met en commu-
nication constante ces quatre lieux de l'action, ce qui nous reporte à
une époque assez ancienne; car au xii^ siècle il semble qu'on ne voya-
geait plus aussi facilement de Bretagne en Armorique et en Irlande qu'on
l'avait fait au temps où les Bretons avaient peuplé l'Armorique et où les
Gaëls d'Irlande avaient occupé les côtes occidentales de la Bretagne.
Cette domination des Irlandais au moins sur la Cornouaille paraît avoir
laissé sa trace dans l'épisode, d'ailleurs mythologique au fond, du
Morholt. Bien d'autres traits pourraient servir à démontrer le caractère
celtique des récits relatifs à Tristan. Ce n'est pas non plus exclusive-
ment par le canal des Anglais que les trouveurs français out connu ces
récits, puisque le Breri auquel se réfère Thomas est bien probablement le
célèbre fabiilator gallois dont parle Giraud de Barri (voy. Roin.VUl, 42 5).
Il faut donc laisser aux Celles la gloire d'avoir créé, en face de
LES ROMANS DE TRISTAN 559
épopées plus héroïques que d'autres races ont produites ou qu'ils ont
enfantées eux-mêmes, l'incomparable épopée de l'amour.
Les poèmes anglo-normands sur Tristan, qui ont toujours pour sujet
essentiel l'amour fatal qui l'enchaîne à Iseut, femme de son oncle, se
divisent, comme on sait, en deux groupes principaux. L'un comprend le
long fragment où se'trouve le nom de Béroul et le poème allemand d'Eil-
hart d'Oberg, l'autre le poème de Thomas, conservé par fragments
seulement en français, à moitié dans l'imitation allemande de Gotfrid
de Strasbourg, sous une forme très altérée dans Sir Trisirem, enfin en
entier et dans une traduction abrégée mais fidèle dans la version nor-
végienne de frère Robert. Ce second groupe, en attendant l'édition de
M. Vetter, est aujourd'hui facile à étudier grâce à l'excellente édition
des versions norvégienne et anglaise qu'on doit à M. Kôlbing et à
l'ample introduction qui les précède. En faisant connaître dans son texte
le plus ancien et en comparant à la fin du poème d'Eilhart le précieux
dénouement qu'un copiste, au xiv« ou au xv* siècle, s'est avisé d'em-
prunter à un vieux poème pour le substituer au dénouement du roman
en prose, M. Bédier a enrichi notablement notre connaissance du
premier groupe. C'est à ce groupe, on peut l'affirmer d'ores et déjà
d'après quelques indices qui seront réunis ailleurs, que se rattachait
le poème perdu de Chrétien de Troies.
La question du rapport des deux petits poèmes épisodiques sur le
déguisement de Tristan en fou n'avait pas été jusqu'ici traitée avec toute
l'attention et la critique désirables. L'étude de M. Lutoslawski, qui a
soumis à la comparaison les quatre autres formes du même récit, nous
permet de remonter à la forme originaire et très simple de ce thème,
qui n'est autre au fond qu'une variante de l'histoire du retour d'Ulysse,
méconnu par sa femme et reconnu par son chien. Les allusions à l'his-
toire antérieure de Tristan ajoutées à ce thème dans B et D donnent un
intérêt tout particulier à ces deux lais, qui ont en outre une véritable
valeur poétique. Grâce à M. Morf, nous avons maintenant de la Folie
Trisîran de Berne une édition aussi bonne que possible; nous en auront
sans doute bientôt une, meilleure que celle qui existe, de la Folie Tristran
du ms. Douce.
Le poème de Thomas est une des œuvres les plus remarquables de
cette poésie anglo-normande qui prend chaque jour une place plus con-
sidérable dans l'histoire de la poésie du moyen âge. Une autre œuvre
anglo-normande très remarquable aussi, mais par des qualités d'un autre
ordre, le poème de Horn, est également d'un auteur nommé Thomas.
On a supposé que ces deux poètes distingués n'en faisaient qu'un, et
cette hypothèse a été admise avec une faveur, trop empressée sans doute.
600 G. PARIS
L'étude fine et pénétrante de M. Sôderhjelm montre déjà qu'elle a peu
de chance d'être vraie ; l'auteur se réserve de traiter un jour plus à fond
cette question intéressante.
A côté des deux groupes de récits indiqués ci-dessus, il a circulé en
Angleterre sur les amours de Tristan et d'Iseut d'autres contes épisodiques,
tels que celui du Chèvrefeuille^ celui du rossignol que nous offre le Donat
des Amants, elc... M. Sudre a demandé aux allusions si nombreuses à
ces amours que contient la poésie française, provençale, allemande, an-
glaise, italienne, espagnole du moyen âge, des renseignements sur
quelques-uns de ces contes, sur la date des poèmes connus de nom ou
de fait, sur la popularité plus ou moins grande de chacun d'eux. Son
travail, qui avait été préparé par les recherches de M. Francisque
Michel, pourra recevoir plus d'une addition; il offre déjà à l'étude une
base intéressante et de solides points de repère.
En dehors de tous les récits en vers se présente à nous la masse
énorme et bizarre du Tristan en prose. Personne n'a encore osé en
aborder de front l'étude longue et en bien des points fastidieuse. Mon
ami J. Brakelmann, au moment où le devoir militaire le rappela en
Allemagne en juillet 1870, était engagé en plein dans un travail sur ce
sujet dont il avait à peu près rédigé certaines parties. On sait qu'il
trouva la mort à Gravelotte. Ses notes, confiées à M. Zacher, m'ont été
communiquées il y a quelques années: j'y ai vu les preuves d'un travail
persévérant et consciencieux ; mais, ayant fait moi-même des voyages
de découverte assez variés danslelabyrintlie du Tristan, W m'a étépromp-
temenl manifeste que Brakelmann s'y était égaré dès le début et avait
suivi Tune après l'autre, — car il est souvent revenu sur ses pas pour
changer de direction, — plusieurs fausses pistes. On a publié récem-
ment [Zeitschrift Jiir deuîsche Philologie^ t. XVir, p. 81-94) une partie
de ses recherches, ce qui concerne le rapport des différents manuscrits en
prose. Sans entrer dans le détail, je remarquerai simplement que toutes les
allégations qui se trouvent dans les manuscrits relativement à Robert de
Boron et Élie de Boron sont de pures « bourdes, » sans aucune
espèce de valeur. C'est ce que je montrerai dans un travail d'ensemble
sur les romans bretons en prose; mais un simple fait suffit à mettre en
pleine lumière, pour le Tristan, l'imposture de toutes ces prétendues
mentions. D'après le soi-disant Élie de Boron, un chevalier appelé
Luce du Gast avait écrit un roman sur Tristan, le plus ancien de tous
les romans de la Table Ronde, puis lui, Élie, l'a continué et amplifié
et en a fait un livre qu'on appelle le Bref, mot dont on a vainement
cherché l'étymologie jusqu'à présent. Or, une suite en prose du Merlin de
Robert de Boron, conservée dans un seul manuscrit, etqui va paraître inces-
LES ROMANS DE TRISTAN 6oi
samment dans hcolkcùondehSociété des Anciens Tex/w, nous apprend ce
qu'il faut penser de ce fameux Bret. L'auteur, qui se donne pour Robert
de Boron (avec autant de droit que tous ces prosateurs en ont a s'affubler
de noms usurpés), après avoir fait allusion à une aventure, ajoute : « De
ceste aventure que je vous devise chi ne parole pas chis livres, pour chou
que li contes de! brait le devise apertement. Et saichiés que li brais dont
maistre Helies fait son livre fu li daerrains brais que Merlins gieta en
la fosse ou il estùit.... Et de! brait dont je vous parole fu la vois oie par
tout le roiaume de Logres si grans et si Ions coume il estoit '. » Ce titre
du Brait se retrouve dans le titre d'un roman espagnol : El Daladro de
Merlin, qui fut imprimé à Burgosen 1498, et dont on ne connaît aujour-
d'hui qu'un seul exemplaire. Voici, d'après M. de Gayangos (L/i^ro^s Cabal-
leria, p. x) le titre et le résumé du ch. CCCXXXIX : « Del gran
baladroque diô Merlin é de cômo maria. Cuenta cômo al morir el nigromante
diô un grito tan espantoso que fué oido sobre las otrasvoces, é sonôtres
léguas a todas partes. » Le Brait était donc un roman qui racontait
r « entombement « de Merlin, en y mêlant (comme nous le dit le
roman de Merlin que je viens de citer} quelque histoire où figurait Tris-
tan. Ce roman du Brait était d'un certain maître Élie. L'auteur de la
rédaction du Tristan en prose qui a jugé bon de se donner le nom
d'Élie de Boron a connu le titre de ce roman, sous la forme de Bret et
non de Brait (c'est une graphie fréquente ; voy. Godefroy], et il a su que
Tristan y figurait; mais, ne comprenant pas ce que le mot Bret voulait
dire, il en a fait une histoire de Tristan et a prétendu être lui-même
l'auteur de ce Bret. En maint autre passage, l'ignorance et l'audace
de ces remanieurs pseudonymes se décèlent aussi manifestement.
(^uant à Luce du Gast, l'auteur prétendu de la rédaction primitive du
roman en prose, rien ne s'oppose à ce qu'il ait existé et écrit un livre
quelconque sur Tristan; mais il est certainement impossible de démêler
ce qui peut être de lui dans l'immense et indigeste compilation à laquelle
son nom est aujourd'hui attaché avec celui du prétendu Èlie de Boron.
Tous les manuscrits qui contiennent le prologue où ce soi-disant cheva-
lier anglais, seigneur d'un château près de Salisbury-, parle si allègre-
ment de lui même à la première personne, le font suivre d'une introduc-
tion, aussi ennuyeuse que longue et inutile, sur les ancêtres de Tristan,
1. Merlin, p. p. G. Paris et J. Ulrich, t. II, p. 198.
2. Luce, ou celui qui prend son nom, dit expressément qu'il est du châ-
teau dn Gast [Gail, Gant, Gat, etc.) près de Sdlisbury ; il faut vouloir absolu-
ment fermer les yeux à l'évidence pour aller chercher, comme le fait M. Suchier
{Zeilschr. /. d. Fhil. XVIII, 81), ce château en Normandie. De même il est
602 G. PARIS
farcie de réminiscences mythologiques, et de fictions d'une monotone
absurdité. Cette introduction devrait être attrib\iée à Luce du Gast ; or
il paraît impossible de faire remonter si haut une pareille fabrication.
Dans la suite, la classification que Brakelmann a cru pouvoir faire des
diverses rédactions du roman me parait chimérique ; mais il faudrait
pour le critiquer reprendre et poursuivre par le menu le difficile
examen de tous les manuscrits. J'ai voulu seulement indiquer ici le peu
de fond qu'il convient de faire sur les allégations des manuscrits
relatives aux auteurs, aux rédactions diverses, à l'ordre de succession de
ces étranges compositions qui sont les grands romans en prose de la Table
Ronde. J'ajouterai que le Tristan me paraît avoir pour base un poème,
et sans doute, autant qu'on peut le supposer, le poème de Chrétien de
Troies. Ce sont les œuvres du poète champenois qui ont été, en France,
le principal point de départ de toutes les imitations de contes bretons;
j'ai montré ailleurs que le Lancelot en prose avait copié le poème de
la Charrette : que le Tristan en prose ait eu pour premier noyau une imi-
tation du Tristan de Chrétien, c'est ce qui me paraît, pour plus d'une
raison, très vraisemblable.
Mais j'arrête ici ces remarques occasionnelles. Il y a encore beau-
coup à faire pour débrouiller l'histoire poétique de Tristan, en retrouver
la forme la plus ancienne, en classer les diverses variantes. Je suis heu-
reux d'avoir engagé plusieurs jeunes travailleurs à tourner leurs recherches
de ce côté, et j'espère que celles que nous leur devons déjà en feront
bientôt naître d'autres.
Gaston Paris.
commode de supposer (ib.) qu'Élie de Boron a commis un malentendu en décla-
rant que le Tristan de Luce est le plus ancien des romans en prose, mais c'est
Luce lui-même, dans son prologue, qui déclare que personne avant lui n'avait
rien traduit du prétendu livre latin du Saint Graal. Si Luce n'a pas voulu dire
ce qu'entend Élie de Boron et si celui-ci s'y est trompé, il faudra bien recon-
naître qu'il n'était pas le contemporain et le collaborateur de Robert de Boom.
MELANGES
I.
LE CHASTIE-MUSART
d'après LE MS. Harléien 43 33.
La description du ms. 4333 (Musée Britannique) a été publiée dans
le tome I de la Romania, pp. 206-9. Lorsque je rédigeai cette notice, je
n'avais à ma disposition que les deux premiers vers du petit poème qui
sera publié ci-après. Ne m'étant point rappelé que ces deux vers figuraient
à une autre place, dans le Clustie-Miisart, et induit en erreur par la ru-
brique, c'est l'évangile de faines, je ne réussis point à identifier cette
composition. Depuis, ayant examiné de nouveau le ms., je reconnus
sans peine qu'il contenait, sous un titre nouveau, un texte assez court
du Chastie-musart^ poème publié depuis longtemps. Si je mets au jour
actuellement la copie que je fis, il y a plusieurs années, de ce texte,
c'est parce qu'un travail récent a rappelé l'attention sur le Chastie-musart.
En effet, M. Tobler a édité dernièrement ' d'après un ms. delà collec-
tion Hamilton un long poème en quatrains, composé dans l'Italie septen-
trionale, et qui n'est autre chose qu'un recueil de lieux communs sur les
femmes, ou plutôt contre les femmes, ce qu'indique d'ailleurs assez bien
la rubrique initiale: Proverbia que dicuntur super naturel feminarnm. Or
il existe entre ce poème italien et notre Chastie-musdrt des rapports
d'idées, souvent même d'expressions qui ne peuvent être fortuits. C'est ce
qu'a parfaitement établi M. Tobler par des rapprochements qui ne laissent
subsister aucun doute. On peut donc considérer comme certain que
'auteur du poème italien a connu le poème français et s'en est inspiré à
I. Zeitschrilt f. roman Philologie, IX, 287-331 ; cf. l'important article de
M. Novati, dans le Gwrnalt stonco délia letteratura italiana, VII, 432.
604 MÉLANGES
diverses reprises. Cette circonstance assigne une valeur particulière au
Chasite-musart, qui d'ailleurs, envisagé en lui-même, ne manque pas
d'intérêt.
En France même le Chasîïe-musart parait avoir obtenu un assez grand
succès. Ce qui nous le fait croire, ce n'est pas précisément la quantité
des copies qu'on en a conservées : ces copies sont, jusqu'à présent du
moins, au nombre de six seulement ', en comptant le ms. Harléien, et
pour certains poèmes moraux en quatrains, tels que le Doctrinal de Sau-
vage, ou la Pleur e-chanîe, nous avons trois ou quatre fois autant de
manuscrits ; mais les différences qui distinguent nos copies font supposer
que le poème a dû être très répandu.
M. Tobler, s'aidant de renseignements fournis par M. G. Raynaud,
a dressé la liste des cinq copies connues jusqu'ici^ et a même essayé de
donner un tableau de l'ordre des couplets dans les trois que possède la
Bibliothèque nationale. Ce tableau, dont la disposition est loin d'offrir
toute la clarté désirable, désigne chaque couplet par un numéro d'ordre.
Or, de ces trois copies, une seulement est publiée, et les couplets n'y
sont pas numérotés. Par conséquent le tableau dressé par M . Tobler
ou par M. Raynaud reste actuellement inintelligible.
Les textes du Chastie-musart sont, à part celui qui sera publié ci-après,
contenus dans les mss. dont l'indication suit :
Paris, Bibl. nat. fr. 19152 (ancien Saint-Germain français 1239),
fol. 105 etsuiv. Contient 84 couplets publiés par Jubinal
en appendice à son édition de Rutebeuf 12^ édition, III,
382-9:;i.
— Bibl.nat.fr. 159?, fol. 159 et suiv. Contient seulement $0'
couplets, dont neuf ne se trouvent pas dans le ms. pré-
cédent.
— Bibl. nat. fr. 12405. Ce ms., dont il a été plusieurs fois question
dans \a Ro mania [xolrnolâmment XIV, 442), ne contient
qu'un choix de strophes du Chasîie-musart; il y en a 21
parmi lesquelles cinq ne se trouvent point dans le ms. 1 9 1 5 2 ,
mais existent dans 1 59>.
Rome, Vatican, Reg. 1323, fol. !$i etsuiv. Copie de la fm du xv^,
dont Keller a publié \Romvart, p. 145-6) les six premiers
couplets, et qui d'après des renseignements fournis par
M. Tobler [Zeitschrift, p. 330) diffère notablement des
1. L'une de ces six copies n'est, comme on le verra p! s loin, qu'un cour
extrait composé de cinq couplets.
LE CHASTIE-MUSART 605
autres textes^ et renferme une suite d'environ 1 2$overs qui
ne paraissent pas se trouver ailleurs.
Oxford, Bodléienne, Digby 86, fol. 114. Cinq couplets seulement
insérés dans un poème en vers octosyllabiques, et publiés
par M. Stengel, dans sa notice de ce ms., p. 59. Quatre
de ces couplets existent dans le ms. 191 52; ce sont les
couplets qui correspondent aux vers 65-8, 93-6, 195-200 de
l'édition Jubinal ; celui que ne contient pas le ms. 1 9 1 5 2 se
retrouve dans le ms. 1593 et est publié d'après ce dernier
ms. dans la Zeïtschriju p. 329.
Le texte de Londres se compose de vingt-neuf couplets dont vingt-
deux sont compris dans la leçon du ms. 191 52. J'ai indiqué, à la suite
de chaque couplet, la concordance avec l'édition que Jubinal a donnée
de cette leçon'. Des sept autres couplets, quatre, les derniers du
morceau, se retrouvent dans le ms. 1595; les deux derniers sont aussi
dans le ms. 12483. Enfin il y a trois couplets (XIX, XXIV et XXV)
qui ne paraissent pas s'être conservés ailleurs, à moins toutefois qu'ils
se rencontrent dans le ms. du Vatican, ce que j'ignore.
Mon but est simplement de mettre un nouveau texte à la portée de qui
voudra entreprendre un travail critique sur les leçons diverses du Chasiie-
musarî. Ceux qui après moi, jetteront les yeux sur le ms. jugeront que,
pour être simple, ia tâche n'était pas aisée. A partir de ce morceau, en
effet, l'écriture devient extrêmement fine, et de plus est, par places,
effacée. Ce n'est pas sans fatigue que j'ai collationnécet été les épreuves
avec le manuscrit. J'ai jugé inutile de joindre à la copie du ms. Harléien
les variantes des autres copies. Le texte de Londres n'ayant qu'un petit
nombre de strophes, ce travail n'eût pas dispensé ceux qui s'occuperont
dorénavant du sujet d'avoir recours aux manuscrits.
P. M.
C'tsi l'évangile de faines . (P'ol. 1 1 3 i)
L Anmors art, anmors [point] et si esprent trop fort;
Anmors sanz desirier a meint preudomme mort,
Kar qui a anmor de famme s'acostume et amorl
Bien porchace sa honte, son domage et sa mort.
(S.-C, V. 49-^2.)
1. Je rappelle que cette édition reproduit le ms. 19152 que je désigne par
S. -G. (Saint-Germain).
6o6 MÉLANGES
II. Fanme n'enmera ja, se Dex iii'eint et secore,
Celui qui por s'anmor pleint et sospire et plore ;
Mais celui qui la bat et le sien li dévore,
Celui prise ele et ainme et tient chier et honere {sic}.
[S.-G., V. 61-4.)
III. Biens, honors et avoirs faut par fanme et avorte;
Fanme n'e[n]mera ja qui foi n'enmor li porte,
Mais celui qui la bat tant qu'i la lait por morte,
A celui se déduit et solace et déporte.
{S.-G., V. 69-72.)
IV. Se sens d'onme vaut pou, sens de fa. vaut meins,
Q^ue, puisque la chalors li est montée es rains,
Ne se garde de nu! qui ele tiegne a meins,
Qués issoit' , clers ou lais, granz ou petiz ou neins.
(S.-G., V. 81-4.)
V. Por ce di ge que nus qui ait sens ne savoir
Por nule anmor de f. ne doit grant joie avoir :
Aussi tôt le het ele, ce sachiez vos por voir.
F. ne bée a riens qu'a honme décevoir.
(S.-C.,v. 85-8.)
VI. Et qui bée a tel f. grant peine li est sorse ;
F. si bée a bons plus qu'a miel ne fait ourse 2;
Tiex anmors n'est pas droite, ainz est vix et reborse,
El(e) ne vient pas de cuer, ainçois vient de la borse.
(S.-G., V. 93-6,- Digby.)
VII. Trop set f. de mal, de barat et de lobe;
Honme qui la viet croire barate et guile et bole;
Tôt petit a petit le despole et desrobe,
(S.-G., V. 109-12.)
VIII. Ja ne troverai f. qui de ce me desmente :
Se d'avoir bêle robe se depleint et démente,
4. Pour (7 soit.
5. Vers proverbial: Femme convoite avoir plus que miel ne fait ourse (L'Evan-
gile desfamcs,iah'm?i\, Jongl. et Trouv., p. 27; Constans, Marie de Compiegne.1
p. 67).
LE CHASTIE-MUSART 607
S'ele n'a dont les ait, ne chatel ne rente (sic),
Qu'ele ne mete ainçois ses denrées en vente.
(S.-C, V. 129-32.)
IX. F. sanc et sustance trait d'onme débonnaire,
Cote et sorcot et chape, pelice, robe vaire,
Garnison a l'ostel, deniers au despens faire:
Ja f. ne laira reins qu'ele en puisse traire, (fol. 1 14)
(S.-C, )'. 117-20.)
X. De tant corn la f. est plus mignote et plus cointe,
De tant est plus musarz et plus soz qui l'acointe :
Ne li chaut qui li hurt sur son cul de sa pointe,
Mais qui li doint deniers ou robe ou coutepointe '.
(S.-C, V. 137-40.)
XI. Lors ne fit Diex tignex ne camus ne truant,
Avugle ne contrait ne boçu ne puant.
Se il li viet donner largement etsovent,
Qui n'en ait bêle chiere et f. remuant.
(S.-G./v. 133-6.)
XII. Ja mar avrez en f. fiance ne atente,
Tant soit ja bobenciere, mignote. cointe et gente,
S'ele puet gahengnier, que jamais se repente,
Que por un lecheor en vorroit avoir trente.
{S.-C, V. 141-4.)
XIII. Celé qui plus s'orguele et qui plus se desroie,
Qui samble que soit danme de Provins ou de Troie 2,
Ne li chat cui el mete ou em point ou en roie,
Por un toissu d'argent ou por une corroie.
(S.-C, V. 145-8.)
XIV. F. est plus connue que mareschauz qui ferre'j;
Pris, honor et renon va porchacier et querre
1 . Ms. Cdlepointc.
2. On pourrait supposer qu'il y a ici un indice de l'origine du poème;
remarquons toutefois au'il y a de Peronne ou de Roie dans S. -G. On' peut donc
hésiter entre la Picardie et la Champagne.
3. Corr. conn[c]ùe? Ce vers ainsi isolé, n'a guère de sens ; dans S. -G. il est
suivi du V. 4 de la présente leçon : Fcme a plus d'acointa:'.ce que mareschal qui
ferre \ A toz ces chevaliers qui vont., etc. La leçon du ms. 1 593 (fol. 140 d) est
toute différente.
6o8 MÉLANGES
Par toz les lix do mont, soit en pais soit en guerre
Si com .j. chevaliers qui va errant par terre.
(S.-G., V. 169-72.)
XV. Tôt aussi com hom dit: « Cit est bons, cit est biaus,
« Cit a le cercle d'or et cit a les osiaus,
(i Cit joute me.x que nus et cil meinne cembiaus,
11 Et cit a sor son point l'ostoir qu'est plus iniax » ;
{S.-G.,v. 173-6.)
XVI. Autel dit om des f. orendroit a cors,
Par citez, par chatia.x par viles et par bors :
0 Ceste a non Jehannete et ceste Erambors,
« Ceste 3 les crins pendanz et ceste les a blons '. »
{S.-G., V. 177-80.)
XVII. De la loiie au f. est partot la parole,
Chacur.s s'en gabe mais, et chacuns en parole;
F", het le moutier, si ainme la karole;
A poinnestrov' on mais f. qui ne soit foie.
(S.-G., V. 185-8 )
XVIli. Por ce dit com cortois et conme sage mètre •',
Com cil qui bien conoist lorcovineet lor estre :
F. qui bien se veut vestir et bien chaucier et peitre
N'iert ja saole d'onme ; lassée en puet ele estre.
(S.-C, V. 249-52.)
XIX. Nus ne se doit fier, certes, nés en sa suer.
Quant il samble que f. n'ait point joie a son cuer,
Que ele brait et crie, giete larmes et pluer,
C'est toz baraz et guile, que nos (s;V) fait pas de cuer.
XX. Trop setf. bien faire chiere dolente et mate;
Nus n'en a bia samblant se mo (sic) chier ne l'achate. {h)
F. set trop de mal, de guile et de barate,
F. samble trois choses : lou et vorpil et chate.
[S.-G.., V. 269-72.)
1. Couplet très corrompu: V. i, S.-G. orendroil tout a cors; v. 4 : ceste les
a icbors.
2. II faut probablement malgré l'accord du ms. S.-G., corr. ./. mestre; et ce
maître, cité de seconde main, est, selon toute apparence, Juvénal.
LE CHASTIE-MUSART 609
XXI. Lous et vorpil et cliate sunt trois bestes de proie:
Chaz surche', vorpix gaite, li lous robe et proie.
F. sovent engigne celui qui plus la proie,
Qui plus fouxement l'ainme et plus bevra la proie 2.
{S.-G., V. 27J-4,)
XXII. D'une chose me fait f. molt esbahir :
Celui qui plus l'ennore et plus la sert d'ahir
El fet sa volenté het ele et viet trahir,
Et celui sert et ainme qui ele doit haïr.
(iS93,/o/. 140.)
XXIII. Honiz soit quiaf. son corage descuevre,
Ne qui le sien li dôme, a qui ele recuevre,
Car a f. ne chat qui la jambe li huevre :
Toz jors vorroit la f. c'om li fut en tel o[e]vre.
iS.-G., V. 241-4.)
XXIV. F. se change et mue .xx. [foiz] le jor ou .xxx.
Plus a le cuer movant que nacele en tormente.
Une or la viet (sic), or est liée, or dolente ;
Por ce est fox qui son cuer i met trop ne s'entente.
XXV. Or viet estre entre genz et or viet estre en mue,
Or jengle conme jais, et or devient si mue
Qu'ele ne puet mot dire : ainsi se change et mue,
Et viet, que qu'ele face, estre danme et cremue.
XXVI. Sachiez, se f. avoit trestot le vostre eu,
Et mueble et héritage tôt mengié et beù,
Se vos feroit Testrange et le mesqueneû,
Ausi corn s'onques mais ne vos avoit veii.
(1595, fol. 140. a b.)
XXVII. Pou en veez mais nule ne ferme ne estable [})
De loiauté tenir; ne cuidiez que soit fable,
Que a tant mal en f., ce est parole estable
Que l'en dit que f. a un art plus que diable 3 .
1593, fol. 141 d.)
1. S.-G. cherche. L. Chatc surche, vorpix g., lous r. et proie.
2. Les vers 3 et 4 sont tout différents dans S.-G.
5. C'est en effet un proverbe fort répandu. Le Roux de Lincy, Livre des prov.
224, ne le cite que d'après un recueil du xv siècle, mais on le trouve à la
Romama, XV J9
6lO MÉLANGES.
XXVIII. F. s'esforce a faire tôt ce que l'en li vée ;
Nés de trover mençonge ne sera ja lassée,
Por nul méfait dont elesoit grevée';
S'ele a le cul covert, ja n'iert prise provée.
(i 593, fol. 141 c; 12483, loi. 25 ! b.)
XXIX. Car ce que les genz sevent .xiij. ou .xiiij. ou .xx.,
Comment cil i ala et uns autres en vint,
Noie ele, tence et jure la mort que Deus sostint,
Que c'est orde mençonge, c'onques ne li avint.
(1 593, fol. 141 c; 12483, fol. 251 b.)
LE CONTE DE LA REINE Q^UI TUA SON SENECHAL.
Depuis que j'ai publié dans ce recueil (t. XI, p. 581 ss.) un article
sur le conte dont on vient de lire le titre, j'ai eu connaissance d'une
version irlandaise, qui se trouve dans le « Livre de Leinster » 2. Je ne
l'ai d'abord connue, ne possédant pas la langue irlandaise, que par le
court résumé de l'éditeur (p. 279 a, 1. 35 — 280 a, 1. 42); M. Thur-
neysen a bien voulu en faire pour moi une traduction complète 5.
Voici le contenu du récit irlandais.
La fille d'un roi des Grecs, aussitôt après sa naissance, avait été fiancée
au fils d'un noble, né la même nuit qu'elle, comme c'est l'usage chez les
Grecs. Mais quand elle fut grande elle s'éprit d'un beau garçon qui fai-
sait partie de la domesticité et eut avec lui le commerce le plus intime.
Un jour ils étaient ensemble au lit, quand le roi vint visiter sa fille et
cria à la porte : « Ouvrez ! « Elle se leva, jeta un coussin sur le jeune
homme et ouvrit. Le roi s'assit avec sa fille sur le coussin et s'entretint
longtemps avec elle. Quand enfin il partit, le galant était mort. La prin-
fin de certains textes du Blâmt des femmes (cl. ci-dessus, p. 359), dans
un des cxcmpla recueillis par Th. Wright dans ses Latin i/ona (London, 1842)
p. 1 5 : « Sccundum quod solet dici, mulier habet unam artem, id est unum
« decipiendi modum, plus quam diabolus ». Cf. aussi Le grand Parangon des
JVouvÊ//£i «o/;vc'//«i, de Nicolas de Troyes, éd. Mabille (1869), pp. 128 et 134.
1 . Corrigez nul m. du mont ou clc s.
2. The Book of Leinster, someûme called the Book of Gleendalough, a collection
j puces {prose and '
of the Xlith centur)
oj puces {prose and verse) in the Irish language, compiled^ in part, aboui the middle
of the Xlith century : now for the first lime published from the original Manuscript
in the Library of Tnnity Collège, Dublin, by the Royal Irish Acadcmy, r/ith.
Introduction, Analysxs of Contents^ and Index, by R. Atkinson. Dublin, 1880.
3. Cette traduction, revue par M. d'Arbois de Jubainviile, paraîtra dans la
Revue Celtique.
LECONTE DE LA REINE (^1 TUA SON SÉNÉCHAL 6ll
cesse appelle un vigoureux rusire, qui charge le mort sur ses épaules, ct
va avec lui sur le haut d'un rocher, d'où il doit jeter le ca-Iavre. Arrivés
là, elle le précipite lui-même avec le corps. — Bientôt il lui faut épouser
son fiancé ; elle craint que sa mauvaise conduite passée ne soit décou-
verte et qu'elle ne soit brûlée. A sa demande, une de ses suivantes, qui
est vierge, prend pour une heure sa place dans le lit nuptial. Mais, le
marié endormi, la servante se refuse à céder cette place. La princesse
alors met le feu à l'appartement, et, comme la suivante veut puiser de
l'eau dans un réservoir pour éteindre la flamme, elle la saisit par les
janibes et lui tient la tête sous l'eau jusqu'à ce qu'elle soit morte. Cepen-
dant le marié a éteint le feu, et la princesse se lamente de ce que sa sui-
vante est noyée. — Après qu'elle a été mariée assez longtemps, son père
meurt, puis son mari. Comme elle confesse ses péchés au confesseur du
nouveau roi, il lui fait des propositions d'amour ; elle les repousse, et
alors le prêtre révèle sa confession au roi, qui ordonne de l'enferm.er
dans une logette de bois près d'un carrefour. Elle vit là pendant sept ans
de ce que des gens charitables lui font passer par les petites fenêtres de
la logette. Au bout de sept ans, le roi, apprenant qu'elle vit encore, la
fait sortir, et, sur sa demande, fonde pour elle un couvent et une église.
Le confesseur aussi, pendant ce temps, avait fait pénitence ; lui et la
princesse, après leur mort, allèrent au ciel, et de grands miracles eurent
lieu à cause d'eux. Une ville s'était formée autour du couvent: c'est la
meilleure ville de prières chez les Grecs.
La version irlandaise est beaucoup plus proche du récit persan du
Bahar-Dunush que du conte et du miracle français et du conte anglais.
Les versions irlandaise et persane ont en commun que dans l'une et
l'autre l'héroïne est une fille de roi qui a un amant en secret, [et que
cet amant, obligé de se cacher à la suite de la visite imprévue du roi,
meurt étouffé. La version irlandaise est en un point plus voisine de la
version anglaise que des autres : dans toutes deux l'homme qui doit
jeter dans un puits profond, du haut d'un rocher, le corps de l'amant, y
est précipité lui-même par l'héroïne avec ce cadavre attaché sur ses
épaules.
Reinhold Kœhler.
NOTE ADDITIONNELLE SUR JEAN DE GRAILLI,
COMTE DE POIX.
P. Meyer a montré [Rom. XIV, 227) que la devise : J'ay belle dame,
qui se trouve sur quatre manuscrits provenant de la bibliothèque des
6l2
MÉLANGES
comtes de P'oix, était celle de Jean de Grailli, comte de Foix, de 1412
à 1456. Les doutes que l'on pourrait encore conserver sur cette attri-
bution sont levés par un passage du Débat des deux fortunés d'Amour (ap-
pelé souvent aussi le Débat du Gras et du Maigre) d'Alain Charlier. Deux
chevaliers, en présence des dames, soutiennent, l'un qu'il y a plus de
biens que de maux en amour, l'autre l'inverse. Quand ils ont fini, on
cherche un juge ' :
Q_ui pour gaignier cueur d'amoureux
Or l'a il belle. [enflame.
Cil doit sçavoir qu'est Tardant cstin-
[celle
Et coiignoistre le plaisir que l'on celle,
F.t bien jugier sans que nul en apelle.
Ainsi conclurent,
Et d'un accord dames et servans lurent;
Aussi les deux de bon cuer le voula-
[rent,
Et bien firent, quant si bon juge es-
Sans respiîer, [lurent
Qui en haulx faiz se scet bien déliter
Et par honneur loyaulté acquicter
Et a Phebus de vertus hériter,
Qui tant fut preux
Et tant hay chetifz faiz et honteux,
Et tant ama les déduis deliteux,
Tre.'îdur aux fiers et aux humbles pi-
Comme je sent. [teux,
Or fut alors le noble conte absent,
En ost armé comme honneur le consent;
Pour ce furent tous d'un commun as-
Qu'on cscriroit [sent
Tout le débat ou tant qu'il souffiroit,
Et qu'au retour lors Phebus le liroit,
Et s'il lui plaist son advis en diroit;
Et je qui iere
Seul clerc présent, escoutant par der-
[riere
Tout le débat, lespoins et la manière,
Fus lors requis par courtoise priera
Que je l'escrive...
Une dame, quant el vint a sa foiz,
Alla nommer le bon conte de Foiz,
Sage et entier,
Noble Jehan, de Phebus héritier,
Et qui porte son escu en quartier.
Et de tousjours suit l'amoureux mes-
Quant l'ont ouy [tier.
Ainsi nommer, chascun s'en esjouy^
Corn decelluy qui d'onneur a jouy,
N'onques nulz d'eulx sa court n'en
[deffouy,
Ains se soubzmisdrent
En son décret, et ainsile promisdrent,
El devant luy en jugement se misdrent,
Et les dames leur pouoir luy commisd-
[rent
En son absence.
Toutes dirent qu'il a sens et science
Et de chascun escouter pacience,
Et en amours tresgrant expérience
Et grant sçavoir,
Valeur, bonté, hault cueur et bon
[devoir,
Et bon advis pour congnoistre le voir,
Et qu'il vaut bien a belle dame avoir ;
Aussi son port
En fait assez tesmoignage et raport;
Car en son mot il porte par déport,
Comme celluy qu'Amours maine a bon
J'ji telle dame, [po^t :
Qui sans peine n'advint oncques a
[a me
Et sans sentir le mal et Tardant flamc
I. Je donne ces vers d'après les mss. de la Bibl. Nat. 1642 et 2262; l'édition
de Galliot du Pré offre plus d'une faute, et la langue y est constamment rajeunie.
NOTE SUR JEAN DE GRAILLI, COMTE DE FOIX 613
Cette circonstance que le comte de Foix était absent pour peu de
temps et occupé à une expédition militaire parait dater le poème d'Alain
de 1425 ou 1426 (voyez Flourac, Jean l"', comte de Foix, p. 103 et
suiv.). Le vers Or Va il bêle semble faire allusion au second mariage de
Jean, avec Jeanne d'Albret, en 1423.
On voit que le comte Jean de Foix ne se bornait pas à aimer les livres,
mais que, comme d'autres grands seigneurs de l'époque, il s'intéressait
à la poésie contemporaine, et particulièrement à la poésie galante.
G. P.
IV.
UN ARTICLE DU DICTIONNAIRE DE M. GODEFROY.
Je ne connais pas de lecture plus agréable que celle du Dictionnaire de
M. Godefroy ; on y apprend toujours, et on s'y amuse souvent. En l'ou-
vrant au hasard, comme je le fais quand j'ai quelques minutes de loisir,
je tombe sur l'article Lèche ,t. IV, p. 749I, que je signale au laborieux
lexicographe pour que, dans son Supplément, il le corrige ou plutôt le sup-
prime. Ce mot, qui s'écrivait aussi leiclie et lesche, signifierait « appât,
amorce, friandise ». Quatre exemples sont donnés à l'appui. 1° Si comme
H poissons s'amort A lèche quant boue la sant ; il est clair qu'il faut lire A
l'eche. 2° Biauié et 'grasse sont deux lèches qui font fuir (1. soffrir) maintes
destreches As amans. Si au lieu d'emprunter cette citation de Jean de
Condé à Dinaux, M. G. avait consulté l'édition d'A. Scheler, il aurait
vu qu'il y a teches et non lèches. 4« Regardez cy la villainie De ce gentil
genin de lesche, dit Ch . Fontaine ; mais Jenin de Lesche est un nom
propre : c'est le nom d'un « badin » fort connu à Paris au commence-
ment du xvi'' siècle fvoy. Montaiglon et Rothschild, Recueil, t X, p.
569). — Reste le troisième exemple, emprunté au livre du chevalier de
La Tour Landri ; l'édition de M. de Montaiglon porte bien /e/c/;e fp. 234),
mais ce mot, d'un sens vague, est sans doute une faute que la compa-
raison des manuscrits ferait disparaître.
En somme, le mot lèche au sens indiqué par M. Godefroy n'existe pas
dans l'ancienne langue française.
G. P.
COMPTES-RENDUS
Geschichte desdeutschen Kultureinf lusses auf Frankreich, mit
besonderer Berûcksichtigung der litterarischen Ein^virkung.
Von Professer Dr. Th. Supfle. Erster Band. Von den œltesten germanischen
Einflùssen bis auf die Zeit Klopstocks. Gotha, Thienemann, 1886, in-8'^,
xxii-359 pages.
Ce livre, dont le sujet est intéressant, paraît bien fait et instructif pour la
période moderne ; mais pour celle qui précède le xvi'^ siècle, et qui nous inté
resse seule ici, il ne tient pas ce qu'on pourrait en attendre. L'influence germa-
nique sur la France du moyen âge revient tout entière aux temps mérovingiens;
elle a été considérable, et s'est exercée sur la langue, sur la poésie (épopée), sur
la société. L'auteur annonce qu'il étudiera plus profondément qu'on ne l'a fait
la pénétration, dans ces trois sens, de l'élément germanique en France ; mais ce
qu'il nous donne n'a ni grande nouveauté ni grande valeur. Pour la langue, i'
se borne à peu près à une liste (établie sans critique) des mots allemands dans
le français moderne, tandis qu'il y avait tant à puiser dans l'ancien français et
le provençal. Pour la poésie, il ne connaît pas le livre de Pio Rajna. Pour
la véritable « Kulturgeschichte », où il y avait tant à dire, il se borne à
quelques indications sommaires et presque toutes de seconde main. Le sujet qu'il
n'a fait qu'effleurer reste à traiter, et mérite d'être traité avec l'érudition et la
pénétration nécessaires pour en tirer tout ce qu'il contient. — Nous avons voulu
simplement signaler l'esquisse de M. Supfle à nos lecteurs, qui sur la foi du titre
auraient pu croire que son livre avait pour nos études une importance qu'il n'a
pas. Répétons qu'il n'en est pas ainsi pour ce qui concerne l'histoire littéraire
moderne ; sur le xviii« siècle notamment nous y avons trouvé une grande
richesse d'informations et partout un jugement impartial et modéré ; la suite,
qui traitera de l'influence intellectuelle de l'Allemagne depuis Klopstock, sera
sans doute encore plus importante.
Das S vor Consonant im Franzœsische.!... von Wilhelm Kœritz.
Strasbourg, Bauer, 1886,. in-S*^, viii-135 pages (diss. de docteur).
La dissertation de M. Kœritz mérite d'être signalée à l'atte ition. Elle traite
un point important et jusqu'à présent mal éclairci de l'histoire de notre langue ;
KŒRiTZ, Das s ror Consonant im Franzœsischen 6 1 5
elle le traite avec méthode, intelligence et conscience, et les résultats généraux
auxquels elle aboutit peuvent être considérés comme acquis. Il est vrai qu'ils
devaient déjà être évidents, au moins dans leur partieessentielle, pour tous ceux
qui professent les doctrines de la linguistique moderne ; mais quand on voit que
des philologues de premier ordre, à commencer par Diez, ne les ont pas nette-
ment discernés, on reconnaît que le jeune auteur, en faisant son possible pour
les démontrer et les mettre hors de doute, a bien mérité de la science. A
côté de ce réel mérite, on peut signaler, dans ce travail d'ailleurs bien fait, des
lacunes et des erreurs', et il ne sera pas inutile de l'examiner avec quelque
détail.
La règle générale, en français, est que Vs qui précède une autre consonne
à l'intérieur d'un mot tombe, d'abord dans la prononciation, puis dans l'écri-
ture. Cependant, sans parler de termes techniques d'introduction évidemment
savante, on trouve dans nos dictionnaires français un grand nombre de mots
qui conservent 1'^. « L's, dit Diez, persiste fortuitement dans quelques anciens
mots...» Et cette appréciation n'a jamais, au moins publiquement, été formelle-
ment contredite ; elle a même été récemment donnée comme incontestable î.
M. K. l'a soumise à un examen critique d'où il résulte, comme on pouvait s'y
attendre, qu'elle repose sur une vue trop hâtive des faits. Il prend l'un après
l'autre tous les mots du français moderne qui présentent une s devant une
consonne et montre qu'il n'y en a pas qui méritent vraiment la qualification de
mots « anciens » que leur donne Diez. Il les divise en six classes : 1° Mots pour
lesquels Us gr.vnmainens du xvp s. attestent l' amiïi s sèment de l's (grâce au livre de
Thurot, l'auteur a pu réunir des renseignements nombreux et précis). — 2°
Mots empruntés à des langues étrangères (italien, espagnol, anglais, allemand) à une
époque relativement moderne. — j*» Mots anciens, mais tombés en désuétude, et repris
dans les livres parles lettrés (il est bon de les indiquer: destrier, escrimera,
geste (chanson de), ménestrel, ost (au xviF siècle on prononçait encore 6t),
^ènestre). — 40 Mots qui., outre qu'ils conservent l's, violent encore une autre loi
phonétique (c'est là qu'on trouve les mots cités par Diez, estimer, estomac,
esclandre, espace, espérer, esprit ; un seul fait réellement difficulté, c'est espérer
avec ses congénères espoir et espérance ; M. K. a très finement remarqué
qu'espérer n'est pas la forme régulière de sperare: on devrait avoir espérer
comme on a mener., celer, serein; si espérer a subi pour la voyelle l'influence du
latin 4, il a pu et dii la subir aussi pour la consonne, ou plutôt « le mot savant
1 . On pourrait aussi y relever trop de fautes d'impression, et, comme dans beaucoup
d'ouvrages philologiques allemands, une typographie d'un aspect désagréable et d'une
disposition incommode
2. Voy. Fœrster, De Venus, p. 60. Sur le mot esquiver, incontestablement italien,
voy. Kœritz. p. 7}.
3. L'explication de ce mot est bien douteuse. L'anc. fr. ne donnait (\\x'escremir et
escremie; comment a-ton pu en tirer escrimer et escrime > Escrime se dénonce comme
étranger par son / aussi bivn que par son s. Le mot n'apparaît d'ailleurs qu'au xvi'= siècle
(1 exemp'.e de Bouciquaut dans Littré est plus que suspect) ; il provient du prov. cat.
escrima ou de l'esp. esgrima.
4. Ce changement d'« fém. en è par imitation du latin n'est pas rare.
6l6 COMPTES-RENDUS
espérer a supplanté le mot populaire épercr, et a amené à la suite la prononcia-
tion espoir pour époir; cf. nùnestnl à côté de mcnéuier »). — 5° Mots dans
lesquels la prononeïal'.on est ou a été incertaine (l'auteur montre qu'au moyen âge
on a dû prononcer par exemple /u/ir, Irite^, céléte, à côté de juste, triste, cèkstti
prononciations savantes , comme on a prononcé longtemps honeste à côté
d'honnête qui, ici, a triomphé). — 6° Mots qui ne violent que la règle de la chute
del's; ce sont d'après M. K. astuce (dans Gaimar il faut lire non astucie, mais
astutie =^ estultie], haste (qui, comme le dit fort bien l'auteur, n'a rien à faire
avec l'a. fr. hanste, cf. Rom. VII, 467^ langouste (mot venu récemment du midi >
l'a. fr. langoste, « sauterelle », vît dans les patois sous la forme langoute, langôteY
pasteur, questeur, respirer, conspirer ; il n'a pas de peine à montrer que ce sont
des mots savants. — Reste, comme 7"= classe, « un seul mot, dans lequel la con-
servation de Vs n'est pas expliquée »; c'est forestier. Il est clair que ce mot,
surtout si on le rapproche de foret, ne peut rien prouver (il doit probablement
sa forme à l'influence du hùn forest.iiius, employé dans les ordonnances et éta-
blissements de charges), et l'auteur est parfaitement autorisé à conclure « qu'on
ne doit plus, au moins à l'aide des mots qui présentent s devant une consonne,
révoquer en doute l'axiome de la valeur absolue des lois phonétiques ». —
L'ordre qu'il suit prêterait à la critiquez, ce qui d'ailleurs, grâce à l'index
alphabétique, a peu d'importance ; mais toute cette partie du livre est très
louable ; l'auteur y fait preuve d'un discernement remarquable, et il a souvent
des vues ingénieuses, comme quand il montre par quels équivalents l'ancien
français remplaçait tel ou tel mot qui nous semble n'avoir jamais pu manquer
à la langue populaire.
Mais M. Kœritz ne s'est pas contenté de cet examen des mots oili \'s est con-
servée, qui occupe plus de la moitié de son travail. Dans deux chapitres préli-
minaires, il étudie le phénomène de la chute de 1'^ dans le temps et dans l'es-
pace. Cette introduction, d'une portée scientifique plus grande, amène aussi
l'auteur sur un terrain moins sûr et plus dangereux. Tout en montrant là encore
de solides qualités, il n'a pas obtenu de résultats aussi certains que dans ce qui
fait d'ailleurs le véritable sujet de sa thèse.
I. Epoque de l'amuissement de /'s. Les deux seuls auteurs qui aient touché
cette question sont, d'après M. K., MM. Fœrster et Neumann 3 ; encore ne l'ont-
ils touchée qu'indiretemenl, lepremier en disant que « l'^s'est amuïe (en normand)
d'abord devant / et n, peut-être aussi devant m, » et que « ce procès, dans le
cours de la seconde moitié du xiF siècle, s'étendit aussi à 5 -j- muette et devint
toujours plus général »; le second en attribuant au français de l'est, comparé à
celui de l'ouest, un certain retard dans l'accomplissement du phénomène. M. K.
commence par écarter les mots qui ne peuvent donner de résultats certains
1 Au reste, on a dit régulièrement jast et trist; ce dernier dans la Passion est une
forme aussi bien française que provençale.
2. 11 suffisait en réalité de deux classes: mots savants ou étrangers, mots oh la pronon-
ciation de /'s est plus ou moins récente.
]. Voyez cepeadant les passages auxquels renvoie la table de la Romania (p. iji) et
notamment l'étude fort louable de M. Scholle.
KŒRiTz, Das s ror Consonanî im Franzœsischen 6 1 7
(composés avec de ou des, avec re ou res^ trebuchicr ou tresbuihier, suffixes des
ordinaux), puis il cherche les plus anciens exemples de la chute de 1'^ ; il trouve
la preuve de celte chute soit dans les rimes, scit dans la graphie (suppression
de \'s. remplacement de Vs par une autre lettre, addition de I'j contrairement à
l'étymologie). Il examine successivement les textes anglo-normands (Philippe de
Thaon, Brandan, les Psautiers, Rois, Gaimar, Fantosme) et continentaux (La-
pidaire, Etienne de Fougères, S. Etienne, Guillaume de Saint-Pair, Wace,
Beneeit de Sainte-More, Marie de France, Garnier, le Chevalier au lion, les Dia-
logues de Grégoire, Job, Scrmo de Sapientia^ Brut de Munich, Philippe Mousket,
Baudouin et Jean de Coridé). Ce choix est évidemment beaucoup trop restreint,
et le travail dont M. K. a eu l'initiative devra être repris sur une plus vaste
échelle. Les chartes notamment, qui ont l'immense avantage d'être exactement
datées, sont pour une recherche de ce genre la mine la plus sûre. Les poètes
du XII'" siècle sont beaucoup trop peu représentés. M. K., sauf la Vie de saint
Thomas, n'a consulté que des poèmes écrits en rimes plates, ce qui lui a sug-
géré des observations d'ailleurs assez fines pour expliquer la rareté des rimes
probantes ; mais ces observations ne s'appliqueraient pas aussi bien aux chan-
sons lyriques, aux œuvres dramatiques, aux poèmes écrits en laisses monorimes.
Une source de première importance, les glosses et glossaires hébraïco-trançais,
a été laissée complètement de côté, ainsi que les transcriptions en langues étran-
gères. L'auteur conclut que l'amuïssement doit être reporté au plus tard au
commencement du xii« siècle ; il dit avec raison que s'il apparaît plus tôt en
Angleterre que sur le continent, ce n'est que par suite de circonstances exté-
rieures : le phénomène étant inconnu à l'anglais, les écrivains anglo-normands
ne le présentent que parce qu'il existait déjà en français. Mais ici se pose une
question que M. K. a traitée avec peu de précision et de clarté, et qui est de
première importance : c'est la question indiquée par M. P'œrster.
« L'opinion de Fœrster, dit M. K., d'après laquelle 1*5 s'est amuie devant
les .liquides plus tôt que devant les muettes, n'est pas soutcnable, comme le
montre la rime met : est dans Philippe de Thaon ; du moins on ne peut la sou-
tenir avec les matériaux qu'il emploie. Il n'y a que les mots français de la
'angue anglaise qui appuient cette vue, car nous y voyons, en regard de mots
avec s -j- liquide où s est muette (cf. islc, maie, valet, dini] le groupe des mots
avec s -f muette, p. ex. beast, feast, forest, tempest, etc., où s se prononce
encore aujourd'hui. En outre comparez des cas comme to effra-j (v. fr. esfreir^^
to efforee (esjorcier)^ to defeat {desfait). D'après cela l'amuïssement de l'i devant
les liquides et/a précédé la transplantation du français en Angleterre; l'amuïsse-
ment continental de Vs devant les muettes, au contraire, n'a eu lieu que plus
tard, mais encore avant la fin du xi» siècle. Cf. aussi l'anglais liideous, a. fr.
hisdousi. B L'observation, quoique mal formulée, est juste, mais la portée en
est plus grande que ne l'a cru l'auteur. En réalité, la chute de Vs devant les
1. M. K. donne à tort es fraier.
2. L'auteur ajoute comme étymologie hispidosns, mais \'h étant aspiréf, cette
origine est impossible. Pour trouver l'étymologie, il faut partir de hisde.
6l8 COMPTES-RENDUS
consonnes comprend deux séries de faits qui sont parfaitement distinctes: i" s
devant les spirnntes (/, /. v^, les sonores {b, d, g), et les liquides (/, m, n, r) ;
2° s devant les sourdes (/', t, c). Dans la première série l'^ est tombée bien
avant l'époque où elle est tombée dans la seconde ; aux mots anglais cités, qui
nous la montrent tombée devant /, n, f, t\ d, on peut en ajouter d'autres qui
nous la montrent tombée devant b, m, r '. D'ailleurs il est facile de voir, dans
les textes mêmes qu'a étudiés M. K., que la chute de Vs pour la première série
se produit dans de tout autres conditions que pour la seconde. A côté de formes
très nombreuses où 1'^ tombe devant les consonnes de la première série 2, on ne
trouve, pour l'époque ancienne, à peu près aucun exemple de la seconde série
(voyez plus loin). Mais il y a un fait aussi probant que la séparation des deux
groupes en anglais, et dont M. K.. n'a pas tenu compte. Le wallon, comme il
le constate dans :on second chapitre, conserve jusqu'à nos jours Vs devant les
muettes sourdes ; mais il ne l'a pas devant les sonores. M. K. aurait dû remar-
quer que devant b, d, g, /, m, r, n, f, v, / il n'y a pas un exemple d's en
wallon ; il cite lui-même elère, ema'i, raine (à'araisnicr)^ valet, venredi, todi [tos
dis)^ pâmé, rêjoihi, jeudi^ mardi, mainime, même, amoune, mais il suppose à tort
que ce sont des mots d'importation étrangères. Autre remarque, qui converge
avec les autres : le remplacement de Vs par (/,g, h ou r, ne se trouve que devant
des consonnes de la première série, /, n,f ; il en est de même de l'assimilation.
C'est qu'en réalité dans la chute de Vs de la première série et dans la chute de Vs
de la seconde il s'agit de deux phénomènes différents: la première s est une s
sonore, la seconde est une s sourde. L'altération de Vs sonore s'est produite bien
avant celle de 1*5 sourde et tout à fait indépendamment d'elle 4.
A cette question se rattache aussi celle des lettres qu'on trouve employées
dans difféients te.xtes pour remplacer Vs de la première série. M. K. regarde
toutes ces lettres comme des signes muets, mais il est certainement dans l'erreur.
Ces lettres sont J, g, h, r ; examinons-les successivement.
r Z) est propre aux textes anglo-normands. Il figure devant / dans Philippe de
Thaon (uile^ gredle) et dans les Rois (medler, vadlet, madle), devant n dans les
Rois seulement [adtu, maidnee, chaidne, podnce, didne)'i, c'est-à-dire devant deux
1. Par exemple debauch, blâme, v. a. emoven, v. a. arace, etc.
2. Déjà dans le Rollant le fait que blasme, pasmc peuvent figurer à l'assonance en a
nasal prouve que Vs y était tombée.
3. M. K. dit bien légèrement que, le patois de Liège conservant IV , le Dialogue de
Grégoire ne peut être de la région de Liège, ou en montre les formes mêlées avec celles
du français central, puisque ce texte témoigne en diverses manières de l'amuïssement de
Vs. Or le Dialogue, sauf sopezons et descroissanz qui ne prouvent rien (confusion de suf-
fixes), n'a d'exemples de la chute de l'j que devant /, n, m, f, g, c'est-à-dire qu'il se
comporte non seulement comme le liégeois, mais comme tous les dialectes wallons.
4. M. K. dit avec raison (p. 33) que la chute de Vs est analogue à celle des muettes
précédant une autre muette, à la vocalisation de 1'/, à la perte des nasales dans les
voyelles précédentes ; mais ces différents phénomènes, s'ils proviennent d'une même ten-
dance, se sont produits à des époques fort diverses. Us n'ont pas non plus pour cause
< une des lois les plus générales de la langue française » qui serait a la suppression de
toute consonne qui clôt une syllabe » ; car dans forest, vaut, sent, etc., la première con-
sonne ne clôt pas la syllabe.
5. Je me borne aux textes cités par M. Kœritz ; on en trouverait d'autres exemples en
Angleterre.
KŒRiTZ, Dus S vor Consonant im Franzœsischen 6 1 9
liquides dentales ; cette observation suffit à montrer qu'il s'agit bien là d'un phé-
nomène phonétique '. M. Forster a déjà fait remarquer que l'angl. meddic a
conservé le d de l'anglo normand medler ; il faut y ajouter medlar = meslier, en
sorte que ces deux exemples se fortifient ; il est vrai que ù/c, ma!e, valet présen-
tent la chute complète du i/, mais dans des mots d'emprunt ces irrégularités
n'ont rien de surprenant. On peut regarder le d comme un développement pro-
pre à l'anglo-normand, devant / et n, du son particulier qu'avait pris dans ce
cas Vs sonore ; c'était sans doute une espèce de th doux.
2' G. La question est ici plus compliquée. Le g ne se trouve pour 5 que
devant n et après / (ig^^l-, maignit), c'est-à-dire dans les conditions où d'ordi-
naire il indique \'n mouillée. M. K. pense que le g, dans plusieurs groupes
composés de gn, étant muet, il a été employé ici comme signe muet, peut-être
marquant l'allongement de la voyelle précédente. Le fait allégué est vrai pour
certains mots savants dont les correspondants latins avaient gn^ comme digne^
signe, règne ^ ; en outre dans certains dialectes, le gn s'est réduit à n. Mais en
France c'est un phénomène assez récent et qu'on ne peut faire remonterau haut
moyen âge. Si la graphie ign = isn ne se trouvait que dans des textes anglo-
normands, l'explication de M. K. serait admissible 3 ; mais on la rencontre dans
des textes appartenant à des régions très différentes. Il est donc plus probable
que \'s sonore devant n a pris parfois après ; un son particulier qui, en se com-
binant avec n, s'est au moins beaucoup rapproché de \'n mouillée 4. Ce qui
confirme cette manière de voir, c'est que dans certains mots le son mouillé s'est
effectivement substitué à celui de sn : en Champagne aujourd'hui on dit des egnes
pour l'a. fr. aisnts = acinos; le mot mais nie est devenu mcgnic aussi bien
que mlnie, etc. On pourrait, il est vrai, croire que l'^ est simplement tombée et
que i'n mouillée est résultée du contact d'( (= y) etn ; mais ce qui rend le fait
douteux, c'est qu'il ne s'est pas produit (sauf cà et là par confusion de suffixes)
pour les mots qui n'ont pas d's entre 1'; et Vn. C'est un point intéressant, qui
demande une étude particulière.
30 H. M. Kœritz ne s'occupe pas spécialement de ce substitut de Vs ; il mérite
cependant l'attention. Il ne se trouve que dans des textes orientaux et même
wallons {Dialogues, JobS) , et seulement devant n {maihnie, raihnable, ahnessc)
ou /;; (blahmcr). Si cette h était un signe du genre de notre accent circonflexe,
pourquoi ne l'emploierait-on que devant n et m ? Je la regarde comme l'expres-
1. C'est aussi l'opinion de M. Schlœsser (/. c. infra, p. 73).
2. Il n'y a que les mots de ce genre qui fournissent, en dehors des poèmes anglo-nor-
mands, les rimes mixtes citées par M. Kœritz: les autres reposent sur de mauvaises
graphies : ainsi dans Gu. de Saint- Pair, 1. grifaigne, essoine, areine, Campaine ; dans
VVace Ciemogne {chavctaine est bon), dans Mousket Septimagne, maintienne, Cam-
pane, etc. — C'est à tort que M. K. voit dans cisne une graphie inverse pour cigne :
cisne — cicinum.
3. Les objections de M. Schlœsser ne sont pas péremptoires.
4. Sur l'hypothèse de M. Suchier, d'après laquelle le g aurait ici sa valeur ordinaire,
voy. Schlœsser, /. c. infra.
5. Ici encore on pourrait alléguer plusieurs autres textes. Citons seulement \e Poème
moral (voy. V Introduction de M. Cloetta, p. loi).
620 COMPTES-RENDUS
sion du son particulier que \'s sonore devant les nasales avait pris dans la région
wallonne ; on peut en rapprocher le changement d'5 sonore intervocale en h qui
s"est produit plus tard dans la même région et dans la région lorraine {rahi =
raisin, ohcu = oiscmi, etc . ) 1 .
4" R. L'r se substitue à s sonore devant / [varkt, mark, muter, parle), j
(murjoe, torjors), n {ainc^,almornc), j [orfraie], v [derver), et cela particulièrement
dans la région picarde M. K., qui ne cite que varkt, derrèi, voit encore là un
signe muet, s'appuyant sur ce que dans différents textes r devant une consonne
n'empêche pas la rime avec cette même consonne (de/ors : endos, large : sagt'»).
Cela prouve simplement une prononciation faible de l'r; mais il est impossible
de soutenir que dans les mots cités l'r, qui se prononce encore en français dans
orfraie, soit un signe muet. D'ailleurs ce phénomène n'est pas particulier au
français. M. K. aurait pu voir dans Diezi les exemples semblables de l'italien
(ciurma, orma), du portugais {cirnt), dn provençal (azermar, varvassor, almorna)^.
L'r ne remplace d'ailleurs que 1'^ sonore 7 : c'est un fait du même ordre que la
substitution d'r à s sonore (ou réciproquement) intervocale observée à une cer
taine époque en français et en provençal 8.
Résumons-nous. Vs sonore, devant les sonores, les spirantes et les liquides,
s'est de bonne heurealtéréed'une manière qui en a amené la chute complète, dans
certains cas au moins, dès avant le milieu du w" siècle 9. Cette altération a pris
des formes variables, généralement transitoires, dont quelques-unes cependant ont
persisté : devant /, n on trouve en anglo normand un d prononcé sans doute
très mollement ; devant m, n en wallon une h ; devant/, v, /, n en picard et en
français une r ; Vs précédée d'z a eu une tendance à mouiller Va qui la suivait.
L'ébranlement de Vs sonore dans ces conditions et sa chute définitive (sauf
quelques traces comme orfraie, aignc) sont, avec les variations indiquées plus
haut, des faits communs à tous les dialectes, et qu'on n'a aucune raison de regar-
der comme plus anciens dans l'un que dans l'autre 'o.
1 . Sur /i pour s sourde, voyez plus loin.
2. Voy. Rom. XllI, 259.
3. En revanche il allègue des exemples qui n'ont rien à faire ici : dans hesbergier,
mescredi, l'r est tombée pir dissimilation et Vs est un signe muet (cf. musdre. Poème
moral, p. ici); il faut juger de même sotrait (voy. ci-dessus) ; sourduire = souduire est une
confusion de suffixes.
4. La rime tertre senestre s'explique de même : senestre = senetre.
5. Gramm., trad. fr., I, 221. Voy. aussi Joret, de Rhotacismo.
6. Pour le provençal, ajoutez les exemples cités par P. Meyer, Rom. IV, 184.
7. Il semble que Vs provenant d'jj dans ossifraga, vass( a)llettum doive être
sourde; mais cf. la juste remarque de Diez, Gramm., I, 274, note. Le changement d'5
sourde en r est un phénomène d'un autre ordre, et qui me paraît inconnu en français; on
le trouve par exemple en limousin (Chabaneau, Gramm. limousine, p. 78).
8. Voy. Rom. IV, 184; VI, 261 ; V-II, 633 ; IX, 622.
9. Voy. ci-dessus, p. 618, n. 2, ce qui est dit du Rollant. Dans le Domesday Book on
ne trouve qu'un exemple: Gillebert à côté de Gislebert [Zeitsehr. VIII, 362).
10. Signalons une erreur de détail. D'après M. K. (p. 18) graisle est une graphie in-
verse; la bonne forme est graile. Mais gracile m i donné graisle comme acinum_,
c ici nu m ont donné aisne,cisne; si le c avait été traité comme dans -aculum, on aurait
grail et non graile (dans le pr. graile. Vs est tombée). Je crois aujourd'hui qu'il faut
KŒRiTZ, Das s lor Consonant iin Franzœsischen 621
Passons maintenant à la chute de \'s de la seconde série, c'est-à-dire de l'i
sourde devant p, r, c. C'est, comme nous l'avons vu, un phénomène indépen-
dant du premier, et postérieur ; il est inconnu à l'anglo-normand d'une part et
au wallon de l'autre. Il est vrai que pour l'anglo-normand M. Kœritz allègue
d'assez nombreux exemples, soit de rimes, soit de graphies, mais il faut d'abord
écarter tous ceux qui touchent des formes verbales. De très bonne heure il y
eut en Angleterre des gens qui écrivaient (dans tous les sens> le français sans
bien le savoir ; aussi m les rimes ni les graphies où -ist, -asl sent confondus
avec -it, -al ne prouvent-elles rien (ces rimes se réduisent d'ailleursà deux rimes
fort douteuses de Philippe de Thaon et à deux autres de Gaimar). Il faut juger
de même, quoique le cas soit plus rare, de la rime de me^t = mittit avec est
dans Phil. de Thaon (Best., v. 428 ')• Les autres exemples allégués sont à peu près
tous faux 2. —Sur le continent, la chute de Vs sourde est incontestable; nous la
trouvons attestée d'abord par des rimes de Wace, de Beneeit de Sainte-More,
de Guillaume de Saint-Pair 3, de Marie de France, de Garnier de PontSainte-
Maxence (douteux), c'est-à-dire d'écrivains normands. Graphiquement, elle appa-
raît avant la fin du xn" siècle dans le S. Etienne. Ce n'est pas avec le maigre
apparat fourni par M. K. qu'on peut étudier le phénomène dans les autres ré-
gions ; bornons-nous à rappeler que Chrétien de Troies ne le connaît pas (voyez
V Introduction de M. Fœrster à Cligcs, p. LXXIII4). Tout ce que nous pouvons
dire, c'est qu'il est postérieur à la conquête de l'Angleterre, qu'il se montre
d'abord dans la région occidentale, et qu'il avait atteint au xiir siècle son
étendue actuelle!. Il n'a jamais pénétré dans le wallon ; c'est ce qui distingue le
plus remarquablement ce grand parler des autres dialectes français, et ce serait
peut-être un caractère suffisant pour lui tracer des limites conventionnelles.
Quant à la façon dont le phénomène s'est opéré, elle nous échappe plus encore
expliquer de même \tfraisk du ms. L A' Alexis, ce. qui enlève à M. K. .son plus ancien
témoignage (par graphie inverse) pour la chute de Ys. Fragilem, ai-je dit autrefois
et dit M. K., n'a pu donner que/r^i'/f; mais en réalité fragilem n'aurait donné que
frail, Ve ne s'explique pas sur tstrilk — strigila cf. it. stregghia]. Je suppose que fra-
gilem, sous l'influence de gracilem , est devenu fracileni (cf. grevem à cause de
brevem et levem, destrum à cause de sinistrum, et sinestrum à cause
de destrum), et dès lors a donné régulièrement /rû(.r/£.
1. Le ms. de Copenhague confirme ici la leçon du ms. imprimé.
2. Respleniz [Biandan] est une confusion avec les mots commençant par r« ; amestistcs
(id.)tst un mot étranger; deque (Ps.M.) n'est pas deusque ; toutes les formes alléguées
des Rois [trépassant, ancêtres, vôtres, mécréantes, repentance, escrist) sont de mauvaises
leçons de Le Roux de Lincy fvoy. Schlœsser, Die Lautverhaltnisse der Quatre Livres des
Rois), excepté descrud, qui ne prouve rien, et asquanz, qui se retrouve souvent et
provient sans doute d'une confusion. Reste uniquement checun dans Brandan ; l'éty-
mologie de ce mot est fort douteuse ; les autres langues romanes semblent bien attester
Vs ; mais en français la brièveté de Va de chaque, chacun, parlerait plutôt pour une forme
sans s (cf. le prov. cac, quecs).
3. Guillaume n'a pas écrit en I ijo, comme ledit M. K.; nous savons seulement
qu'il a composé son poème el tens Robert de Torigné, c'est-à-dire de 1 1 54 à 1 186.
4. Chrétien prononce mffmfj, veïmes, et revide, c'est-à-diie supprime Vs sonore,
mais seulement celle-là ; ametite pour ametiste e:t amené par crisolite etc.
5. Sur la chute de Vs an xur siècle, voyez notamment l'article cité de M. Scholle et
le glossaire hébreu-français publié par M. Bœhmer {Rom. Studien, 1).
622 COMPTES-RENDUS
que pour la chute de Vs sonore. L'opinion de M. Neumann, d'après laquelle Vs
aurait passé par li , me paraît appuyée non seulement par les rimes des poètes
allemands du moyen-âge (forcht : sleht^ etc.), mais par l'induction phonétique et
par le fait de l'allongement de la voyelle précédente. Il est évident que paste
n'est pas devenu tout d'un coup pdte; la transition la plus naturelle (en dési-
gnant par h toute une série de dégradations successives) est pahte ; on sait
d'ailleurs l'affinité de Vs et de Vh , et nous avons vu que le changement d'^
sonore en h en certains Cds est positivement attesté. Les objections de M. K.
(p. 34) ne sont pas solides ; on peut lui accorder sa conclusion, que « les dia-
lectes français qui au moyen âge font rimer par exemple Uh et vcske ne possé-
daient pas ou ne possédaient plus, quand ils admettaient de pareilles rimes, ce
son de transition ». Encore est-il clair que l'aspiration qui avait pris la place
de 1*5 a pu être simplement très affaiblie et permettre ainsi la rime (cf. ce qui
s'est passé pour l'r) ; d'autre part, l'existence de cette aspiration pouvait empê-
cher de rimer sans aucune hésitation les terminaisons pareilles avec et sans s.
C'est ce qui peut aussi faire comprendre la persistance en somme surprenante
de la graphie avec 5 ; quelle que soit la force de la tradition en pareille matière,
il est naturel de penser qu'un obstacle réel l'a aidée à empêcher la vérité phoné-
tique de se produire '.
II. Limites de ïamaisscmcnt de /'s en français. Cette partie du travail de
M. Kœritz est assurément la plus faible; on l'excusera en songeant qu'elle com-
porte un matériel considérable qu'il n'avait sans doute pas à sa disposition. I]
aurait fallu établir : i» les limites, en regard des autres parlers français, du phé-
nomène wallon de la persistance de Vs sourde avec amuïssement de 1*5 sonore ;
2" les limites, en regard des parlers méridionaux, du phénomène français de
d'amuïssement de Vs tant sourde que sonore. M. K. n'a rempli la première
tâche que fort superficiellement, à l'aide de quelques dictionnaires patois ; il
n'a pas même abordé la seconde, se bornant à renvoyer au travail de MM. Brin-
guier et de Tourtoulon pour la fixation de la limite entre la langue d'oui et la
langue d'o. C'est une étude à reprendre 2. En revanche, il prouve longuement,
1 . On pourrait demander pourquoi on ne trouve pas ehtre, evehque, puisqu'on trouve
maihnie. blahmer. Ces formes, et par conséquent l'usage graphique de \'h en ce cas,
appartiennent au wallon, qui ne connaît pas les faits de la seconde série. — Cet article
était à l'impression quand j'ai eu connaissance de l'excellent travail de M. Behrens sur le
français en Angleterre [Franz. Sîudien,\', 2). L'auteur distingue à peu près comme je l'ai
fait la destinée de Vs sonore et de l'j' sourde. Pour ce dernier cas, il cite le témoignage
précieux de VOrthographia gallica, qui ne m'était pas revenu à la mémoire : « Item
quedam sillabe pronunciate quasi cum aspiratione possunt scribi cum s et t, verbi gracia
est, plest, cest », et ailleurs: a Quant s est joynt a la t, ele avéra le soun de h, corne
est, plest seront sonez eghî, pleght ». Il en rapproche des graphies anglo-normandes
comme osaht, vousiht, miht, feiht. L'anglais, soit qu'il ait pris ses mots au français avant
l'époque de ce phénomène, soit qu'en anglo-normand la prononciation de ï's devant p, t,
c, après avoir été ébranlée, se soit raffermie, ne connaît pas (sauf un très petit nombre
d'exceptions d'origine moderne) la chute de Vs dans ce cas.
2. Il serait intéressant de suivre en provençal les exemples d'amuïssement de l's devant
une consonne 11 semble que le phénomène ne se soit presque produit, au sud d'une cer-
aine ligne, que pour \'s sonore; encore n'est-il pas général et paraît-il se produire à
es dates diverses.
wiLMOTTE, L'Enseignement de la philologie romane 623
par des exemples inutiles, que, sauf le wallon, tous les dialectes français suppri-
ment i's devant les consonnes; il suffisait de l'énoncer.
Malgré ces restrictions, le travail de M. Kœritz, je le répète en terminant,
est digne -i'éloge. Il fixe un point important et obscur de la grammaire française;
il en commence l'histoire, s'il ne la faitpascomplètement ' ; il apporte une preuve
de plus à la théorie désormais innébranlable du caractère absolu des lois phoné-
tiques. L'auteur de cet utile travail y montre tout le temps de l'intelligence et
de la méthode; espérons qu'il les appliquera encore dans le domaine où il a
marqué ses premiers pas.
G. P.
L'Enseignement de la philologie romane à Paris et en Alle-
magne (1883-1885). Rapport à M. le ministre de l'Intérieur et de l'Ins-
truction publique, par M. Wh-motte, professeur à l'Ecole Normale des Hu-
manités. Bru.xelles, imprimerie Pollenuis, 1852, in-S», de 52 p.
M. Wilmotte a reçu du gouvernement belge une mission pour perfectionner,
d'abord en France, puis en Allemagne, ses études de philologie romane. Il
n'avait pu suivre en Belgique de cours spéciaux sur ce sujet, et l'enseignement
qu'il a vu donner à Paris, à Berlin et à Halle a été pour lui une véritable rêvé"
lation. Il a noté les impressions qu'il en a reçues avec une sincérité parfaite et
un enthousiasme dont il n'a pas voulu, après réflexion, atténuer la première
vivacité. Le meilleur éloge que M. Wilmotte puisse faire des maîtres dont il
parle avec tant de sympathie, c'est de prouver qu'il a bien profité de leurs leçons ;
il a déjà commencé à le faire : nous avons signalé et nous signalerons encore de
lui d'intéressants articles, et dans cette brochure même, à la suite de son rap-
port, on trouve deux petites études dont nous allons dire un mot. M. Wil-
motte, et nous l'en félicitons, manifeste l'intention de consacrer surtout ses
efforts à l'investigation historique et contemporaine du wallon ; c'est là pour la
Belgique une œuvre vraiment nationale, et il ne faut pas qu'elle la laisse
aux étrangers. Mais pour s'en acquitter dignement, il faut naturellement, et
M. Wilmotte l'a compris, posséder les principes et les résultats de la gram-
maire romane en général, et connaître à fond la littérature française du moyen
âge. Le jeune professeur liégeois, en donnant à ses études ce centre et ce rayon-
nement, se rendra tout à fait digne d'inaugurer dans les universités de son pays
l'enseignement de la philologie romane.
La première des études indiquées plus haut est une note sur l'auteur d'une
Vengeance d'Alexandre, appelé depuis Fauchet Jehan le Nevclois. M. Wilmotte,
contrairement aux habitudes trop répandues d'un étroit patriotisme, refuse d'an-
nexer ce poète à la Belgique en en faisant un habitant de Nivelle. Il remarque
I. En réalité, l'histoire de ramuïssement de \'s devrait comprendre \'s finale, qui est
tombée d'abord devant une consonne initiale, par conséquent dans les mêmes conditions
que \'s médiaie. Le cas embarrassant de /oa(jue, ;>uà^ue, presque, que M. K. a d'ailleurs
raité avec finesse, montre l'étroite liaison des deux ordres de faits.
624 COMPTES-RENDUS
que la forme de son nom la mieux appuyée par les manuscrits est le Vendais.
P. Meyer dans son Alexandre (II, 268 ss.) arrive à peu près aux mêmes con-
clusions. Ce que je connais du poème de Jean ne me fait pas paraître aussi
invraisemblable qu'à Meyer qu'il ait vécu au xii^ siècle et qu'il ait écrit pour le
comte Henri de Champagne. Les vers imprimés par M. W. prêteraient à cer-
taines critiques au point de vue de la reproduction typographique, notamment
en ce qui concerne l'emploi des majuscules (V. 52 lisez gran: pitiez)^ mais en
somme ils sont bien publiés.
Sur les publicatious des Louanges de la Sainte Vierg--, qui termine l'opuscule
de M. Wilmotte, je ne puis que renvoyer aux remarques intéressantes de
M. Suchier dans le n" de février 1887 du Literaturb lait fiir germanise!' e iind
rcmanische Philologie.
O.P.
PÉRIODIQUES
I. — Revue des langues romanes, je série, XV; janvier 1886 — P. 1-16.
Castets, Recherches sur les rapports des chansons de geste et de F épopée chevale-
resque halienne (suite). L'auteur continue l'analyse du Renaut de Montauban
que renferme le ms. de Montpellier (voy. Rom., XIV, 302). Mais il est impos-
sible de donner une idée nette de cette rédaction sans la comparer avec les
autres rédactions (mss. de Paris, de Venise, de Londres, d'Oxford, de Metz, etc.)
que M. C. ne connaît pas ou du moins n'a pas à sa portée. Les pages 9-16 sont
occupées par des observations assez vagues sur Maugis d'Aigrement., dont le
même ms. de Montpellier contient un texte qui, lorsque je l'ai étudié il y a
près de trente ans, m'a paru abrégé. — Variétés. P. 55-6. P. Fesquet, houle.
Ce mot, et son correspondant espagnol ola, viendraient d'undula. Nous
croyons que letymologie reste encore à trouver. — Bibliographie. P. 41-3.
Documents historiques bas-latins., provençaux et français concernant principalement
La Marche et le Limousin, p. p. A. Leroux, E. Molinier et A. Thomas, 2 vol.
in-S", 1883-5(0. C; critiques de détail). — Périodiques. M. Chabaneau
reproduit, d'après le Bulletin de la Société archéologique de Tarn-et-Garonne
(XII, 1884), des fragments de vies de saints très courtes en prose provençale.
L'écriture de ces fragments, qui ont appartenu à un ms. de Moissac, est du
XIV'^ siècle.
Février 1886. — P. 53. P. Vidal, Documents sur la langue catalane des
anciens comtés de Roussillon et de Ccrdagne (de 1 3 1 i à 1380). Feu Alart avait
publié dans la Revue des langues romanes une quantité considérable de documents
ne dépassant pas l'année 1311. « Mais », dit M.Vidal, « nous savons positive-
t ment que l'idée de notre savant ami était de pousser cette publication jusqu'à
i l'année 1380, époque où la langue catalane peut être considérée comme fixée ».
Aussi M. Vidal se propose-t-il de continuer la collection jusqu'à 1380. Il lui
faut vingt pages pour arriver à la fin de 131 3. Nous croyons qu'un recueil
aussi étendu ne peut se passer de tables, et par conséquent perd beaucoup de
son utilité à être publié par petites fractions dans une revue, où un index des
mots et des noms ne saurait prendre place. — P. 77. E. Revillout, Grandeur
et décadence du mot « méchant » au XVIh siècle. — P. 93-7. « De Lombarde et
Lumaca », poème latin du moyen âge Mnbué à Ovide; d'après le ms. lat. 6111
de la Bibl. nat. Tiré des papiers de feu Boucherie. — P. 99. Boucherie,
gandin., gourgandine; Boucherie hh venir ces deux mots du patois du Jura!
Remania, XV 40
626 PÉRIODIQUES
Il n'y avait pas lieu de publier ces notes posthumes. Au moins fallait-il prendre
la peine de consulter le supplément de Littré, où il y a pour gjn</(;) une origine
qui paraît bien vraisemblable.
Mars 1885. — P. 105. Castets, Recherches sur les rapports des chansons de
geste et de l'épopée chevaleresque italienne. Cet article se compose des 986 premiers
vers de Maugis d'après le ms. de Montpellier, qui est souvent mauvais. L'édi-
teur a fait en tout quatre corrections (pp. 110, 1 1 1 et 120). Mais il y en avait
bien d'autres à faire. V. 55 « Prist la dame ses mains », lis. ses maus (il s'agit
d'une femme qui accouche); v. 246, dcritre^ lisez dcrier \ v. 532, antour., I.
autour, etc. Plusieurs vers sont trop courts. M. C. ne paraît pas savoir
dans quelles conditions nous est parvenu le texte qu'il publie. Il connaît sans
doute, par l'Histoire littéraire., le ms. 766 de la Bibl. nat., mais il ignore dans
quel rapport il est avec le ms. de Montpellier. Il ne .sait pas non plus qu'il y
a à Cambridge un fort bon ms. du même poème découvert et signalé il y a
douze ou treize ans {Romania., III, 507). Les deux mss. de Paris et de Cam-
bridge contiennent à peu près le même texte; le ms. de Cambridge m'a paru
le meilleur des deux. Le poème, dans ces deux copies, a environ 8,000 vers.
Si j'ai bonne mémoire, le ms. de Montpellier n'a guère que 5,000 vers qui
tous, ou presque tous, se retrouvent dans l'autre leçon. Ainsi les deux tirades
en / et en iés, qui dans Montpellier occupent trente vers (v. 237 à 266), n'en
ont pas moins de soixante dans l'autre version. Les trente vers de Montpellier
se retrouvent parmi les soixante de Paris-Cambridge, les trente vers qu'ont en
plus ces deux derniers mss. étant un pur remplissage. Il n'y a que deux hypo-
thèses possibles. Ou bien la copie de Montpellier est l'œuvre d'un homme ami
de la concision, qui a supprimé tout ce qui faisait longueur dans le texte qu'il
avait sous les yeux, ou bien la leçon la plus longue est un plat développement
dû à un remanieur qui s'est étudié, non pas à récrire le poème en le développant,
mais à y intercaler de place en place des vers sans grande signification. Je me
rappelle qu'autrefois, lorsque je devais publier ce poème pour la collection des
anciens poètes de la France, je tenais pour la première hypothèse ; actuellement,
n'ayant plus mes notes et mes extraits, et me défiant de mes opinions anciennes,
je n'oserais plus me prononcer. C'est à M. Gilliéron, qui a préparé il y a plu-
sieurs années, pour la Société des anciens textes français, une édition de
Maugis, qu'il appartient de résoudre cette question épineuse'. — P. 133.
I. Pour que le lecteur, et aussi M. Castets, puisse se faire une idée de la question, je
transcrirai ici une courte laisse de Montpellier que je ferai suivre de la leçon correspon-
dante de Cambridge. Je mettrai en italiques, dans le second texte, tous les vers qui
manquent au premier.
Montpellier.
A l'enfant sunt andui les bestes reperiés
Pour chen qu'il fu petit, fu forment convoitiés.
260 Le liepart saut avant, puis s'estoit avanchiés.
Quant le lion le voit, moût en fu airiés ;
Ne veut que il i soit de noient parchonniers.
De lui est le liepart fièrement rechigniés;
Mes, sachiés, le liepart fu fier et eilgaigniez.
265 Quant le lion le voit venir si esragiés,
Adonc est li estour merveilleux commenchiés.
PÉRIODIQUES 627
E. Revillout, Le mot t paire » et les noms français qui n'ont pas de singulier.
— P. 145. L. Lambert, Contes populaires du Languedoc (suite).
Avril ib!86. — P. 157. Chabaneau, Vie de Saint Hermcntaire (premier ar-
ticle). M. Roque Ferrier avait cru pouvoir attribuer à Raimon Feraud, l'auteur
de la Vie de Saint Honorât, une vie de saint Hermentaire perdue sous sa forme
originale, mais dont on connaissait, à l'état fragmentaire, une traduction en
prose française (voy. Romania., X, 620, XI, 161). M. Chabaneau a retrouvé
une copie complète de la vie en prose de saint Hermentaire et il montre que
loin d'être l'œuvre de R. Feraut, elle a été fabriquée beaucoup plus tard, et,
selon toute apparence, par Jean de Nostre-Dame, à l'aide de la vie de saint
Honorât. M. Ch. publie in extenso cette fabrication qui, son caractère une fois
établi, n'offre évidemment plus aucun intérêt. — P. 175. Le P. Bougerel,
Parnasse provençal, ou les poêles provençaux qui ont écrit depuis environ le milieu
du .\VI« siècle jusqu'à présent. — P. 207, Puitspelu, Calcaria, « tannerie ».
P. M.
II. — Zeitschrift fur romanische Philologie, IX (1885-86). — l. P.
I, Pfeffer, les Formalités du combat judiciaire dans l'épopée française ; excellent
travail, qui montre l'importance de l'épopée comme source juridique principale-
ment pour l'époque oià les textes proprement juridiques font le plus défaut. La
matière est bien divisée, l'exposition claire, méthodique et intelligente. On peut
seulement signaler quelques points qui auraient demandé plus d'éclaircissements,
comme le terme rccrcire, employé pour les otages. De même à propos du serment,
l'usage de faire dire par un des juges du camp la formule du serment, que répè-
tent les combattants (usage plus fréquent que ne le dit l'auteur et qu'il n'explique
Cambridge.
Quant des testes fu si trestoz II cors mengiez
De l'esclave., et a duel et a tort dépêchiez.
Fors del chief seulement que d'aux n'est atochiés,
A l'enfant sont niout tost et errant adrecié.
Por ce qu'il ert petiz fu forment rovoitiez.
Or le garisse Dex, par la soe pitiez !
Li lieparz saut avant; forment s'est aprochiez.
Quant li lions le vit, forment en fu iriez,
Ne velt que il en soit de néant parçoniers.
De lui fu li lieparz fièrement rechigniez,
Mèsli lieparz fu fel et niout mal engroigniez.
A l'enfant est venus ; ne s'i est atargkz.
Quant li lions le voit, vers lui s'est avanciez ;
Ne velt que il en soit de néant parçoniers.
D'aux .ij. est li estours maintenant comenciez.
Li ./. encontre l'autre est fièrement drcciez.
Et des poes devant sont si entrelacié
Endui s'entremenguent ; moût se sont damagié ;
A la gale lor est li sanz ver maux raiez.
Tût ice voloit Dex, de verte le sachiez,
For le petit enfant qu'a mort ne fust Iretiez.
Il ne puet rien cremir cui il velt bien aidier.
Il est certain qu'à en juger par ce seul morceau, on serait bien tenté de regarder la
leçon la plus longue comme une mauvaise amplification de la plus courte.
628 PÉRIODIQUES
pas bien) est exprimé par les deux mots cscharir et eschavir le screment, sur
lesquels on aurait attendu des explications. — P- 75, Hammer, la Langue du
Branda« anglo-normand ; intéressant particulièrement pour les questions de ver-
sification, fort bien traitées ; sur d'autres points, le travail de M. Brekke est plus
complet et plus original. — [P. 1 16, Schultz, Sur les vies de quelques trouba-
dours. Recherches historiques, en général bien conduites, sur quelques trouba-
dours du XIII" siècle presque tous provençaux : Pujol, Bertran del Pojet, Ber-
tran de Gourdon, Gui de Cavaillon, Bertran d'Avignon, Blacatz, Folquet de
Romans, Bertran de Lamanon. On y remarque toutefois beaucoup de petites
inexactitudes dont plusieurs ne sont sans doute que des fautes d'impression. Il y
a notamment de nombreuses erreurs dans les renvois aux sources. M. Schultz a
raison d'identifier le Pojet d'où Bertran del Pojet tirait son surnom avec Puget,
canton de Cuers, arr. de Toulon, et de repousser l'identification avec Puget-
Théniers (p. 1 18), mais il s'est trompé sur le sens de Teuncs, qui est le comita-
tus Telonensis^ c'est-à-dire le Toulonnais. Sarrcnom (p. 131) n'existe pas ; il laut
dire Seranon. P. 126, note 4, la Vaucluse devient un arrondissement. Partout
Vaissette au lieu de Vaissete, etc. — P. M.].
Mélaxges. p. 156, List, Fragment de P'ierabras; précieux comme provenant
d'une rédaction assez difTérente des autres. — P. 138, Mussafia, Sur le conte du
Juïtel ; additions et corrections à la publication de M. Wolter. — P- 1 38, Knust,
k nom Lucanor ; rend vraisemblable qu'il provient, par diverses altérations, de
Lucaman — Loqman dans la Disciplina clcncalis. — P. 140, Horning, Ëtymolo-
gies françaises : cacher, allécher (*coa cticare, *allecticare ; ces formations
sont faciles à imaginer, mais trop faciles ; je penche plutôt à croire aue cacher
vient du provençal ; il n'apparaît qu'au xiv^ siècle en Franche-Comté ; quanlàallê-
chcr, l'étymologie paraît plus probable), /a/2e (de /^7(i/Vr, qui viendrait de latiare,
mais n'existe pas ; laize est en a. fr. laisc, qui est une forme de latitia parral-
lèle A laece ; voy. Godefroy à ce mot ; de là lisière., pour la'isiere leisicre?), mitan
et plus loin $11 (médium temp u s, à cause de la forme lorraine mut^ô, cf
to — tempus ; ce mot difficile appelle une explication, qui ne sera sans doute
pas celle de M. H., si on songe au dérivé mitanier — métayer au xiv" siècle) ;
acovateir (de *adcopertare ; mais le mot n'est pas seulement lorrain, et le fr.
acouveter n'a pu perdre \'r : c'est sans doute un dérivé de couver) ; lorr. xtrôfd,
vanter (e x t r i u m p h a r e ; mais c'est sans doute un mot moderne et formé d u français
triompher). — P. 142, Horning, les suffixes -Tcius, -Icius; M. H. reconnaît
l'existence, qu'il avait jadis oubliée, et la fécondité du suffixe -"ici us. — P. 143,
W. Meyer, Sur les lois des finales en roman ; observations rattachées à l'article
de M. Neumann sur la phonétique syntactique, très profondes, mais en partie
contestables (illoque ne semble pas avoir pu faire illoc ; lac, 5uc sont assuré-
ment savants ; antic en fr. n'existe pàs) ; la remarque sur m dans l'imparfait
(i" personne) en sarde et en roumain est d'un grand intérêt. — P. 146, Baist,
Le passage d'si à z en espagnol ; M. B. établit, bien qu'il reste quelques points
douteux (notamment gozo), que ce phénomène n'existe que dans des mots pris à
l'arabe, ou qui ont passé par l'arabe. — P. 149, Tobler, a. jr. arere ; prouve
contre moi (Rom. XllI, 1 30) l'existence de ce mot. — P. 150, Schultz, la
Raverdie (nom en a. fr. d'une sorte de chanson printanière).
PÉRIODIQUES 629
Comptes-rendus. P. 151, Bolctin folklorico espûîiol ; Pitre, Curiosità popo-
Liri, MI (Liebrecht). — P. 155, Buck, Ràlische Ortsnamcn (Gartner : très bon).
— P. 156, Rœmer, Die volksthiimlichcn Dichtungsarten dcr altprovenzalischcn
Lyrik (Schuitz : travail qu'il aurait mieux valu ne pas concevoir et ne pas im-
primer). — P. 1 58, Brekke, Etude sur la flexion dans le voyage de S. Brandan
(Grœber : observations de détail ; notons que !'<; a été nasalisé aussi bien dans
année que dans an).
II-III. — P. 161, Mail, Sur l'histoirede la fable au moyen âge et en particulier
sur l'Esope de Mariede France. Dans ce travail capital M. Mail établit d'abord que
tous nos manuscrits de R** (c'est le recueil que M. Hervieux appelle le dérivé latin
du Roniulus de Marie de France) proviennent d'un original qui avait aitéré, par
suite d'un accident, l'ordre des cahiers, en sorte qu'une fable et sa morale se
trouvent dans tous faire les n°^ 35 et 73 (ou 75), séparés par des fables qui de-
vraient être à la fin du recueil. Passant ensuite à Marie, il prouve définitivement,
par l'évidente (et très méritoire) explication du mot scpanJe — angl. sippande,
« créateur », qu'elle travaillait sur un texte anglais. Il démontre aussi que le
texte sur lequel reposent Marie et R**, et que j'ai appelé le Romulus anglo-
latin, a pour une de ses sources le Romulus de Nilant. Enfin d'après lui, et
il rend cette opinion très vraisemblable, les fables de R** qui ne sont pas dans
Marie ont été reprises par le rédacteur de R** au Romulus ordinaire. Ce que
M. Mal! veut ensuite établir me paraît moins assuré, et je ne'crois pas être guidé
par un attachement obstiné à une opinion que j'ai émise (Journal des Savants,
févr. 1885). J'avais pensé que R* (Romulus Roberlï) provenait directement de
l'original latin du recueil anglo-saxon traduit par Marie, et que R** était une
traduction latine de ce recueil anglo-saxon. M. Mail croit au contraire que R*
et R** sont simplement des traductions de Marie de France, le premier (qui ne
contient que 18 fables) avec addition en tête de quatre fables prises à Romulus,
le second avec l'addition de 23 fables prises à Romulus et avec des emprunts de
détail à diverses sources latines. Il croit mettre celte opinion hors de doute en
montrant un contre-sens commis par R** sur le texte de Marie : dans la fable
du Rat qui veut prendre femme, Marie appelle le héros un mulet., c'est-à-dire
un mulot, ou quelque chose d'approchant (et non un muset., comme le porte
Roquefort) : R** en fait un mulus., ce qui rend toute la fable absurde. Assuré-
ment la coïncidence est bizarre; mais ne peut-on l'expliquer autrement .? Le mot
mulus a été pris en bas-latin dans le sens de mulot ; on trouve par exemple dans
les gloses de Reichenau : talpe muti qui terram fodunt ; quelque inepte que
puisse être parfois l'auteur de R**, peut-on vraiment croire qu'il ait fait dire à un
mulet, en parlant du rat : filia ipsiui neptis mea est., et inlendebam aliunde partn-
telam contrahere, ut genus meum nobihtarem ? Si l'anglais avait mol ou un mot
semblable (p. ê. mul?)., les deux traducteurs ont pu mettre indépendamment l'un
mulet, l'autre mulus. Il faut noter que Marie de France n'est pas partout aisée
à comprendre, et qu'en cherchant avec soin de quoi étayer sa thèse, M. Mali
n'a pas trouvé d'autres cas vraiment graves de traduction infidèle. En ce qui
concerne le Romulus Roberti.^ les coïncidences qu'il signale avec le texte de Marie
paraissent plus frappantes ; j'avais cru cependant faire des observations contraires
6}0 PÉRIOOIQUUES
à l'hypothèse du savant allemand. Je ne me prononce assurément pas : M. Mail
veut bien dire que si je me suis trompé, c'est à cause de l'insuffisance des maté-
riaux à ma disposition ; il possède au contraire tous ceux qui sont nécessaires
et les étudie depuis longtemps avec une grande intelligence. Pour le contredire
ou se ranger résolument à son avis, il faudrait un examen minutieux que je ne
puis faire ; tout ce que je veux dire, c'est que les arguments qu'il apporte
aujourd'hui ne semblent pas d'ores et déjà décisifs (il cite lui-même des traits
communs à R* et à R** qui manquent dans Marie, ce qu'il a bien de la peine
à expliquer). Au début de son article, il nous dit sommairement que le Purga-
toire de S.Patrice a été traduit par Marie du latin de Henri de Salîerey, composé entre
1185 et 1 190; or « les arguments linguistiques et les preuves externes «montrent que
ce poème est le premier ouvrage de Marie ; donc « le roi anglais auquel sont dédiés
les lais ne peut plus être Henri II... tout indique au contraire Richard Cœur de
Lion' ». On est impatient de connaître les preuves en question. En somme, ce
nouveau travail du futur éditeur de VEsope montre avec quelle conscience il se
prépare à sa tâche, mais malheureusement il nous annonce aussi que nous ne
sommes pas près de la voir accomplie. — P. 204, Settegast, L'idée de l'honneur
dans la Chanson de Roland. — P. 222, W. Meyer, Contributions à la phoné-
tique et à la morphologie romanes. II. Le parfait Jaible. I. \^ et 4* conjugaisons ;
l'auteur, avec la science et la force de raisonnement qu'on lui connaît, recons-
truit ces parfaits en latin vulgaire à l'aide de toutes les formes romanes, en
expliquant les déviations. On peut persister à croire que le parf. delà i« conju-
gaison en provençal, amet, provient de la seconde , c'est-à-dire de dédit ; si on
suppose, par exemple, que anar so\i pour andar et vienne d'addare = addere,
le parfait anei = addedi n'a-t-il pu servir de transition ? Je ne suis pas non
plus convaincu que le fr. amat soit analogique et vienne de habet ; )e ne vois
pas d'autres raisons contre a m a v t que le besoin d'avoir a m a u t en latin vulgaire ;
mais on peut bien admettre qu'en gallo-roman le changement de -avten -aut
n'a pas eu lieu. 2. 2* conjugaison {2" et 3« latines). Le résultat est qu'il n'y a
pas de type communaux diverses langues romanes. Le français a remplacé par le
parf. de la 4'^ conj. (dormit) l'ancien parf. faible de la seconde (vendiet) ; l'expli-
cation donnée de cette substitution est un peu laborieuse. 3. Les parfaits en-u.
Le français est omis, à cause d'un travail annoncé sur ce sujet par M. Seelmann.
4. Sur les parfaits du type dedi, et]^. Parfaits italiens en -s. Remarques de détail.
— P. 268, Krause, La valeur de l'accent dans le vers français au point de vue du
sens. L'auteur veut démontrer que l'alexandrin a quatre accents, et prend pour
une loi rythmique ce qui ressort de la nature même de la langue et de l'accen-
tuation françaises. — P. 280, Heller, La Clemenza di Tito de Métastase. —
P. 287, Tobler, Proverbia que dicnntur de naiura feminarum ; curieuse satire ita-
lienne contre les femmes, publiée d'après le ms. Hamilton avec des remarques
I. J'ai dit par un lapsus {Rom. XIV, 60}) que M. Mail, dans cet article, faisait
vivre Marie sous Henri III ; il ne la fait descendre que d'un règne. Mais il semble, vu
les circonstances des règnes de Richard et de Jean, que la dédicace des fables ne con-
vienne guère qu'à Henri II ou Henri III, et celui-ci est certainement écarté.
PÉRIODIQUES 6?I
critiques et littéraires et un glossaire. M. Tobler a constaté que l'auteur italien
s'appuie en partie sur le poème français appelé Chastumusart, et, outre le rap-
prochement de couplets déjà publiés, il en a imprimé quelques strophes tirées
d'une récension inédite. On a pu lire ci-dessus, p. 605 ss., un texte écourté, jus-
qu'ici inconnu, de ce poème. Quant au morceau publié dans les Reli^uiae anli-
quac, I, 162, que M. T. (p. 290) regrette de ne pas connaître, c'est un fragment
du Char dt Bozon, comme on l'a établi. — P. 352, Decurtins, Une chroni^juc
ladinc rimêe. — P. 360, C Michaelis de Vasconcellos, Communications de manus-
crits portugais (fin). — P. 575, Dreser, Additions au dictionnaire italien-allemand
de Michaelis. Sans aucun intérêt. Il est singulier que la Zcitschrift continue la
publication de cette inutile compilation, après le sévère avertissement que lui a
donné le Giornale storko dclla Ictt. it.., IV, 325. — P. 396, Reifferscheid, L'ac-
tivité de Diez comme professeur; relevé, d'après les actes officiels, des cours faits
par le maître de 1822 à 1875.
Mél.wges. P, 40^, Schuitz, Sur les troubadours génois. — P. 407, Stengel,
Le développement de /'alba provençale. — P. 41 2, Mussafia, Sur le Juïtel ; nouvelle
version. — P. 413, Tobler, Sur les poèmes du Rendus de Moilicns ; observations
de détail. M. Tobler critique avec raison les formes latines barbares jointes dans
plusieurs glossaires aux mots en guise d'étymologie. — P. 418, Tobler, Sur les
exemples en anc. italien p. p. Ulrich (cf. Rom., XIV, 162). — P. 419, Schwie-
ger. Remarques critiques sur Amis et Amiles, éd. Hofmann. — P. 425, Gaspary,
Le développement du sens factit-f dans les verbes romans ; bonnes et fines observa-
tions. Les passages en anc. fr. sont bien interprétés (deviez dans le Charroi est
une leçon mal établie) ; dans les deux derniers exemples italiens, on peut com-
prendre un peu autrement rimasto et rimanere. — P. 429, Ulrich, Verbes romans
dérivés avec le suffixe -le- . Exemples fort douteux; notons que le fr. attaquer \\eni
de l'italien, et que pitanza est sans contestation possible le bas-latin pietantia.
Co.MPTES-RENDUS. P. 43 1 , Habicht, Bciirâge zur Begrûndung der Stcllung
von Subjekt und Prâdikat im Neufranzosischen (Schuize : travail sans base
historique).
IV. P. 437, Crescini, Idalagos ; première partie d'un travail sur les confi-
dences autobiographiques de Boccace. — P. 480, Horning, Etudes sur le
wallon; remarques phonétiques, grammaticales et lexicologiques d'après le par-
ler d'une femme des environs de Liège. — P. 497, Horning, Etudes sur les dia-
lectes des Vosges et de la Lorraine ; choix de mots difficiles en général fort bien
expliqués. L'hypothèse sur salade paraît peu utile : les formes lorraines prouve-
raient seulement qu'on a dit satarde pour sakde par élymologie populaire, et que
la chute de l'r devant d est postérieure à l'introduction du mot. Etant donné le
mot pantaisier, de phantasiare, en en a varié le suîfixe, mais l'étymologie n'est
pas douteuse. Pois de pu 1 su m est plus qu'invraisemblable; c'est le lat. vulg.
pulvus, pulveris (W. Meyer). Sur néjol' cf. le fr. nois jauge, gauge = nux
gallica, le seul reste vivant du vieux nom des Gaules (car l'ail. Walnuss n'est
pas le même mot). L'étymologie proposée pour magnié est peu probable en
6]2 PÉRIODIQUES
regard de l'a. fr. maigmen^ it. magnano. — P. 513, Hirsch, Phonétique et mor-
phologie du dialecte de Sienne (première partie). — P. 571, Gaspary, Sur le t. III
des Antiche Rime volgari publiées par d'Ancona et Comparetti ; remarques litté-
raires et critiques. — P. $90, Tiktin, La place des pronoms et des formes verbales
atones en roumain. — P. 597, W. Meyer, Etudes franco-italiennes, I. M. M. se
propose d'étudier scientifiquement à tous les degrés le mélange linguistique qui
s'est produit entre le français et le vénitien (puis entre le vénitien et le toscan)
par la transplantation de la poésie française (notamment épique) en Italie. II com-
mence par le cas le plus simple, celui d'un texte français copié par un Italien,
et prend d'abord la version italianisée d'Anseïs de Carthage, dont il publie quel-
ques centaines de vers avec le texte français en regard. Puis il étudie les altéra-
tions phonétiques, grammaticales et lexicologiques que ce texte a subies.
P. 641. Table du volume.
G. P.
III. ~ MoDERN Language Notes. A monthly publication (for eight months
in the year) devoted to the interests of the Académie Study ofEnglish, German,
and the Romance Languages, published by A. M. Elliott, James W. Bright,
Julius Goebel, H- A. Todd of Johns Hopkms University, Baltimore, Md. Vol.
in-S", 1-8, Jan.-Dec, 1886. — La création de ce premier recueil périodique
américain consacré exclusivement à la philologie germanique et romane et
l'accueil de plus en plus encourageant qu'il a reçu pendant le cours de sa
première année suffisent à prouver que l'étude des langues modernes (spécia-
lement celle des langues teutoniques et des langues romanes) commence à
être appréciée en Amérique. Les directeurs annonçaient dès le début (I, col. 2)
qu'ils voulaient donner à ce recueil « as scientific a character as may be pos-
sible, considering the présent status of modem language study in America »,
sans toutefois exclure la discussion des questions pratiques et pédagogiques,
et ils ont tenu parole. C'était à mon avis prendre un parti très sage que de
ne pas se placer à un point de vue trop exclusif. La mission du recueil est
de conquérir l'esprit du grand public des instituteurs et même des professeurs
pour l'étude scientifique ; cela ne pouvait se faire qu'en intéressant ce grand
public, et il a fallu lui faire des concessions. La forme delà publication s'adapte
bien à une Lirge circulation, le recueil étant publié chaque mois de l'année
scolaire et à un prix très modéré (un dollar par an). C'est évidemment le
« Literaturblatt fur germanische und romanische Philologie » qui lui a servi de
modèle, quoiqu'il ne soit pas aussi exclusivement destiné à des comptes-rendus
critiques. Voici maintenant les articles des huit premiers numéros qui peuvent
intéresser les lecteurs de la Romania.
1. Janvier. Col. 7-10, Stengel, Le Théâtre d' Alexandre Hard-j (Elliott: repro-
duction d'un article de V American Journal of Philology, vol. VI. pp. 360-62).
— C. 14-15,0. Paris, La poésie du moyen âge (Todd : grand éloge mérité). —
C. 20-21, A. Williams, The Syntax of the Subjunctive Mood in French (Elliott :
très bien fait).
2, Février. C. 31-35, A. Tilley, The Literature of the French Renaissance
^Todd : bon comme essai d'introduction). — C. 46-48, H. Schmidt, Das Pro-
PÉRIODIQUES 6^^
nomcn bn Mol'ùrc im Vcrgkich zii dem hculigm u. dcm altfranz. Sprachgebrauch
(Bowen : travail utile et bien fait).
3. Mars. C. 71-75, Sievers, Gnindzùge dcr Phonctik^ 3. Auflage (Sheldon:
fait d'utiles remarques sur le passage de / latin à d roman). — C. 75-77, E.
Courtonne, Langue inttrnûùonale néo-latine (v. Jagemann : sans valeur).
4. Avril. C. 106-8, The Paradiso oj Dante edited with translation [en prose]
et notes by A. J. Butler (Walter). — C. 1 12-4, Clédat, Grammaire élémentaire
de ta vieille langue française (Portier : élogieux, mais faible). — C. 124, Li Ro-
mans de Carité et le Miserere du Rendus de Moiliens p. p. van Hamel (notice
sommaire).
5. Mai. C. 125-29, Lang, Contributions to Spanish Grammar. M. L. prouve
par de nombreu.x e.xemples tirés surtout des anciens auteurs espagnols: i) que
les pronoms démonstratifs ello et es{s)o sont souvent employés dans un sens dis-
tributif (v. Diez, Gram. III, 69) ; 2) que les substantifs christiano, moro, judio,
pagano, cosa et cosiella remplacent le pronom indéfini surtout dans une proposi-
tion négative (Diez, III, 79-80); 3) qu'une trentaine de noms en dehors de ceux
notés par Diez (III, 399) servent comme complément de la négation. — C. 140-
41, Stùrzinger, The Oaths oj Strasburg. Réfutation de la correction de Bonamy
proposée de nouveau par M. Clédat (R. des l. rom.^ oct. 1885, p. 309 ; cf. ci-
dessus, p. 471). Quoique la même correction ait été faite depuis par M. Kars-
ten {Mod. Lang. Notes, juin 1886, col. 172-5) et par M. Settegast {Zeitschrift
fur rom. Philol., X, 169-70), je n'ai pas changé d'opinion. Il me semble que le
contexte et la version allemande ne comportent guère la correction. C'est sur-
tout la proposilion comparative si cum om per dreil son fradra salvar dift qui
me paraît la rendre invraisemblable. On n'a qu'à lire le passage en entier,
tel qu'il a été corrigé : si salvarai eo cist meon jradre Karlo et in aiudha [fi] er in
cadhuna cosa si cum om per dreit son fradra salvar dift, et on s'apercevra que si
cum om per dreit son fradra salvar dift ne répond qu'à une des deux propositions
précédentes, et encore est-ce à la plus éloignée. Il y a donc désaccord entre la
proposition subordonnée, qui ne suppose qu'une seule proposition principale,
avec le verbe salvar, et les deux propositions principales. Or ce désaccord n'est
dû qu'à la correction, car la leçon du ms. n'a qu'une seule proposition princi-
pale et justement celle qui a pour verbe salvar, la seconde étant réduite à un
simple attribut adverbial de salvar sous la forme de et in aiudha et in cadhuma
cosa. Tout est donc en parfaite harmoniedans la leçon du ms , et la correction,
qui vient embrouiller la phrase, est à rejeter. Quant au texte allemand, que
l'avais invoqué en faveur de mon opinion, il ne confirme certainement pas la
correction, quoi qu'en dise M. Karsten. Je conviens que ce n'est pas un fort
argument non plus pour mon opinion, puisque la version allemande a tout sim-
plement omis et in aiudha et in cadhuna cosa. Mais il me semble toutefois que
l'omission d'un simple attribut adverbial peut se justifier mieux que celle d'une
proposition entière qni introduit une idée nouvelle '. D'autres difficultés ont été
I. [Je partage absolument, pour ma part, l'opinion si bien appuyée par M. Stùrzinger.
G. P.|
6^4 PÉRIODIQUES
signalées par les auteurs mêmes de !a correction. — C. 145-50, Siede, Syn-
taktische Eigentûmlichkeiten der Pariser Umgangssprachc in den Scènes populaires
von H. Monnier (Garner : travail utile). — C. 156-57, Vising, Sur la versifi-
cation anglo-normande (Zdanowicz). — C. 161, Gonçalves Vianna e de Vâs-
concellos Abreu, Bases da orlographia portuguesa (notice sommaire).
6. Juin. C. 172-75, Karsten, Zu den Strassburger Eiden. M. K. se prononce,
quoiqu'en hésitant quelque peu, en faveur de la correction de Bonamy dont nous
venons de parler. — C. 189-96, Boehmer's RomanischeStudien, Hefl XX et XXI
(Stùrzinger : fait qq. additions et corrections aux différents travaux rétoromans
d'ailleurs très consciencieux et importants, que contiennent les deux numéros).
— C. 202-5^ La Chanson de Roland p. p. Clédat (Colin : article sévère).
7. Novembre. C. 219 27. Karsten, Lateinisch-franzosischer Vocalschwund.
M. K. cherche à expliquer le traitement différent que le c latin devant e, i a
subi dans faire, dire, duire, etc. d'un côté et dans disme, graisle, aisne de l'autre
comme étant dû à une différente accentuation de ces mots à l'intérieur de la
phrase. Un faccre tt un decimum fortement accentués auraient gardé tous les
deux la voyelle de la pénultième jusqu'après l'assibilation du c précédent,
tandis que les mêmes mots dans une position plus ou moins atone auraient
perdu cette même voyelle pénultième avant l'assibilation du c. De chacun de
ces mots il y aurait donc eu des doublets syntactiques. De ces formes doubles
on n'en aurait ensuite gardé qu'une, soit la forme atone comme dans faire,
dire, duire, soit la forme accentuée comme dans disme, graisle, aisne. C'est une
hypothèse fort ingénieuse, mais ce n'est qu'une hypothèse. L'article a le même
inconvénient que les autres qui ont mis en jeu la phonétique syntactique,
c'est qu'il suppose trop et ne prouve pas assez. En principe il n'y a rien à dire
contre la phonétique syntactique, mais qu'on n'en fasse pas, comme comme on
a fait de l'analogie, la panacée pour tous les cas difficiles à expliquer. Qu'on
se rappelle que toutes les lois phonétiques ne nous sont pas encore connues et
que l'existence de celles qui sont aujourd'hui admises a dû être prouvée. Qu'on
nous prouve donc aussi pour chaque cas l'influence prétendue de la phonétique
syntactique. — C. 233-40, Todd, Knapp's Spanish Etymologies. M. K. dans sa
« Spanish Grammar » et surtout dans le vobabulaire de ses « Spanish Rcadings t
s'est souvent écarté sans aucune nécessité des etymologies de Diez. M. Todd
rétablit celles-ci pour plus de cent mots. Ce n'était guère nécessaire; un éty-
mologiste qui tire hidalgo de italiens quoiqu'il connaisse l'ancienne forme fijo
dalgo ne peut lutter contre Diez et ne méritait pas l'honneur d'une réfutation
aussi détaillée. — C. 249, E. Pelissier, French Roots and their Familles. A syn-
thetic vocabulary based upon dérivation (v. Jagemann).
8 Décembre. C. 284-90, Todd, Knapp's Span. Etymologies. Conclusion de
l'article du numéro précédent. — C. 294-97, Schuchardt, Romanisches u. Kel-
tisches (Grandgent : publication charmante).
Chacun de ces huit numéros se termine par des notices, une bibliographie assez
étendue et des annonces; il n'y a que le dépouillement des périodiques qui
manque.
J. Stùrzinger.
PÉRIODIQUES 6lS
IV.— Traksactioxs of THE MoDERN Lakguage Associatiox of America
1884-5. Vol. I. Baltimore, 1886. — La Société américaine des langues modernes
dont la formation a été annoncée ici (XIV, 312) vient de publier le premier vo-
lume de ses travaux. Il se compose de dix-huit mémoires lus aux deux réunions
annuellesde 1884 et 1885. , Voici ceux qui ont trait à la philologie romane.
— P. 64-83, V. Jagemann, On tht dnitive in OldFicnch. C'est l'exposition de
l'emploi du génitif dans Villehardouin, Les faits sont donc connus, mais l'auteur
les a présentés en très bon ordre.— C. 96-1 i 1, Fortier, The French Languagcin
Louisiane and the Negro-French Dialect. Ce n'est que la seconde partie de cette
h.\\iàt^ Il patois créole ('Ç). loi-iii), que nous aurons à signaler, la première
étant tout historique. Cette esquisse rapide de la transformation des sons et des
formes de la langue française dans la bouche des nègres ajoute quelques faits de
détail à ce que nous savions déjà de ce parler nègre par la remarquable étude
comparative des patois créoles de M. Cot\\\o {Doktim da Sociedadede geographia
de Lisboa 1880, p. 129-96). Ainsi pour la transformation des sons on peut
noter: i» la nasalisation de la voyelle finale, si elle est précédée immédiate-
ment d'une consonne nasale: conni/î (connais 103, connu 104), c/o/ïni/i (donné 104),
moin (moi 103), zamain (jamais 110), main (mais no), laimin (aimer 109),
gaignin (gagner 109); 2» la labialisation de la voyelle par la consonne précé-
dente: moman (maman 103), popa (papa 103); 3" la transformation d'un 0
fermé en e fermé et d'un 0 ouvert en e ouvert: zié ' (yeux 103), vit (vieux 103),
Djé (Dieux 104), pc (peu 1 10), dé (deuz 106) — bonair (bonheur 103), lomair
(honneur 103), in (un 106). Dans la partie morphologique la forme de l'article
pluriel ye qui suit toujours le nom est à remarquer, ainsi que l'emploi de qui pour
quel. Le futur est indiqué par le verbe aller (malè coupé =z moi aller couper
« \e couperai) », le conditionnel par sré \mo srè coupé zr moi serais couper), la
voix passive par la troisième pers. plur. de l'actif (ye laimin moin =z eux aimer
moi). L'adverbe a la forme de l'adjectif précédé de bcn ou tre (/;' mouriben brave
ou tre brave). Quant aux remarques générales sur ce patois créole, l'auteur les
aurait sans doute modifiées s'il avait connu le travail de M. Coelho.— P. 1 3 3-48,
Lang, The Collective Singular in Spanish. Cet article prouve une lecture atten-
tive et intelligente des anciens textes, l'auteur ayant rassemblé plus de 1 50 pas-
sages dans lesquels des noms génériques comme homme., femme, chrétien, cheval,
arme., grain, pierre, etc. sont employés au singulier avec la signification du
pluriel, puisqu'ils sont dans la plupart des cas accompagnés d'adjectifs multi-
plicatifs comme tanto., quanto, mucho. Si M. L. a bien fait de signaler cet
emploi, il a tort d'adresser une sévère réprimande à Diez pour ne pas
l'avoir remarqué; le fait n'est pas assez important pour qu'une grammaire
tracée à grandes lignes ne le puisse négliger; y a-t-il en effet quelque chose de
plus simple que l'emploi d'un nom générique dans un sens collectif.? —
P. 204-15, Stùrzinger, Remarks on the Conjugation of the Wallonian Dialect.
I. Zié représente plutôt des yeux, car lez est certainement dû à \'s de l'article comme
ailleurs et non pas au y comme dit M. F. (p. 10} et 105).
S'^ô PÉRIODIQUES
Ces observations ne s'appliquent proprement qu'au patois moderne de Mal-
médy; le titre plus général de dialecte wallon peut toutefois se justifier par le
fait que les points sur lesquels portent ces observations sont en général les
mêmes pour tout le pays wallon malgré les variations des formes dans les diffé-
rentes provinces. Il s'agit de la réduction des formes que l'analogie a fait subir
à la conjugaison. Cette réduction a été portée si loin qu'il n'y a plus qu'une
seule manière de conjuguer pour tous les verbes, les deux auxiliaires exceptés;
car toutes les formes de la flexion forte ont été abandonnées et remplacées par
des formes faibles, à l'exception de quelques infinitifs et participes passés; les
trois conjugaisons ont été réduites à une, essentiellement à la première, et les
six terminaisons personnelles à deux, l'une employée au singulier et l'autre au
pluriel. Cette simplification a surtout envahi les formes des temps passés.
J. Sturzinger.
V. — Revue Critioue, 1886. — Art. 18, Meyer, Gïrart de Roussillon
(A. Thomas). — 35, Fœrster, ■// Sermon saint Btrnart (L. Clédat). — 63,
Berger, la Bible française au moyen âge (A. Thomas). — 66^ Schuchardt, Sur
les lois phonétiques (V. Henry ; voyez p. 294 la réponse de M. Schuchardt). —
80, 1 5 1 , Godefroy, Dictionnaire de l'ancienne langue française, htlTÇS l, J (A.
Jacques). — 109, Voizard, Etude sur la langue de Mortaigne (A. Delboulle :
livre « à recommencer »). — 126, Zotenberg, Notice sur le livre de Barlaam et
Joasaph {G. P.). — 139, Estienne, Dialogues du langage français italianizé,
p. p. Ristelhuber (T. de L.). — 1 57, Constans, Supplément à la Chrestomathie
de l'ancien français (L. Clédat). — 192, Bibliothèque populaire de la Société cata-
lane d'excursions (A. Morel-Fatio). — 225, Espagnolle. L'Origine du français
(A. Delboulle: livre absurde). — 228, Appel, Les manuscrits berlinois de Pé-
trarque (P. N.). — 249, Tougard, l'Hellénisme dans les écrivains du moyen âge
(A. Delboulle).
CHRONIQUE
A partir de 1887, la Romania sera imprimée dans un autre caractère, un peu
moins serré que celui dont elle s'est servi jusqu'à présent. On se mettra en
mesure d'avoir tous les signes typographiques qui seront nécessaires à l'impres-
sion des articles de linguistique.
— MM. Gilliéron et Rousselot vont publier une Rmie des patois gallo-ro-
mans ; nous donnerons dans notre prochain cahier le prospectus de cette très
intéressante entreprise.
— M. J. Leite de Vasconcellos a entrepris la publication d'une Rcvista
Lusilana, qui sera e.xclusivement consacrée à la linguistique et à l'ethnographie
portugaise, en prenant ces mots dans leur sens le plus compréhensif. Parmi
les noms des collaborateurs annoncés, nous trouvons ceux de MM. Gonçalves
Vianiia, A. Coelho, G. de Vasconcellos Abreu, Th. Braga, Z. Consiglieri
Pedroso, et celui de Madame Michaelis de Vasconcellos. C'est dire que la
Revista présente les meilleures garanties non seulement de solidité, mais d'ori-
ginalité scientifique. Nous lui souhaitons le succès que mérite une aussi excellente
conception. Le premier numéro doit paraître en janvier 1887. On s'abonne
chez Lopes et G», rua do Almada, 119 a 123, Porto. Le prix, pour les pays
européens en dehors du Portugal, est de 12 francs par an.
— Nous avons le regret d'apprendre la mort de M. Hugo de Feilitzen,
jeune romaniste suédois, doccnt à l'université d'Upsala. M. de Feilitzen s'était
déjà fait avantageusement connaître par divers travaux, notamment par son
édition des Vers del juïse (voy. Romania^ XIV, 146) et l'importante publication,
entreprise en commun avec M. Cari Wahlund, des Enfances Vivien. M. de Fei-
litzen est mort à Stockholm, le 19 janvier, après une longue et cruelle mala-
die; il n'avait que trente-deux ans.
— M. Alfred Risop, de Berlin, prépare une édition critique du Florimont
d'Aimon de Varennes, pour laquelle il a déjà réuni presque tous les matériaux.
— L'Académie royale de Berlin a désigné M. Johannes Schmidt pour rem-
placer M. Waitz dans le comité directeur de la fondation Diez.
— Il vient de se fonder en Allemagne une Association de « néophilologues »,
c'est-à-dire essentiellement de romanistes et d'anglicistes, tant professeurs d'uni-
versité que professeurs de gymnase. La nouvelle société, qui compte déjà près
de trois cents membres, a tenu sa première réunion, son premier « Neuphilo-
638 CHRONIQUE
logentag » à Hanovre, le 4 octobre et jours suivants. MM. les professeurs
Kœrting, de Munster, Koschwitz, de Greifswald, Stengel, de Marbourg, ainsi
que MM. Zupitza, de Berlin, Trautmann, de Bonn, Wûlcker, de Leipzig, et
Kœlbing, de Breslau, y assistaient. M. Van Hamei, de Groningue, y représen-
tait les études romanes des Pays-Bas. Les délibérations ont eu un caractère
pratique plutôt que scientifique ; elles tendaient surtout à donner aux profes-
seurs des gymnases allemands des directions utiles pour la réforme de l'enseigne-
ment du français et de l'anglais dans ces établissements. M. Kœrting y a exposé
un plan très étendu et très sérieux d'études universitaires de philologie romane
et anglaise. M. Trautmann, le phonétiste bien connu, a entretenu l'assemblée du
« Zaepfchen-r » et du « Zungen-r ». D'après lui IV grasseyée n'est qu'une mau-
vaise habitude de prononciation paresseuse que les Français ont prise au milieu
du xviie siècle et que les Allemands ont adoptée au xviii'= siècle par pure imita-
tion du genre français. Il a terminé sa communication parun ardent plaidoyer en
faveur de IV linguale. Le prochain « Neuphilologentag » se tiendra à Francfort,
vers la Pentecôte.
— Livres adressés à la Romania :
Die Geschichte des consonanlischen Auslauts im Franzôsischtn. Von Paul Kauf-
MANN. Lahr, Kaufmann, 1886,8°, 71 p. (dissert, de Fribourg en Brisgau).
— Ce travail d'un élève de M. Neumann n'est ici imprimé qu'au quart;
nous en parlerons quand il sera complet.
Devinettes de la Haute-Bretagne, par Paul Sébillot. Paris, Maisonneuve, 1886,
8', 26 p. (extrait des Mémoires de la Société d'émulation des Côtes-du-Nord). —
Joli recueil.
Infinitiven i det fornsp.mska Lagsprâket... af Gustaf LiLjEauiST. Lund,
Berling, 1886, 4', 110 p. — Etude syntactique sur l'emploi de l'infinitif
dans les documents juridiques espagnols du xiiie siècle.
Gilles de Rais, maréchal de France, dit Barbe-Bleue (1404-1440), par l'abbé
Eugène Bossard, d'après les documents inédits réunis par M. René de
Maulde. Paris, Champion, 1886, 8', \'ix-426-cxlviii pages. — Nous
mentionnons ici ce livre tout historique, parce qu'il contient un longchapitre,
fort peu concluant d'ailleurs, sur le rapport du célèbre Gilles de Rais avec
le héros du conte de Barbe-Bleue. Le seigneur de Tiffauges et autres
châteaux a pu laisser un souvenir vague dans la mémoire des populations
que ses crimes étranges avaient terrifiées, mais rien ne prouve que le sur-
nom de Barbe-Bleue lui ait été donné avant notre siècle, et sous l'influence
du conte de Perrault, qui ne provient certainement pas de son histoire.
Zur Lautlehre des Franzôsischtn, von Wilhelm Duschixsky. Sechshaus, 1886,
Seibstverlag des Verfassers, 8°, 32 p. (extrait du douzième Jahres-Bericht
de la Realschule de Sechshaus près Vienne).— Après des remarques géné-
rales peu neuves, vient une nouvelle tentative pour découvrir en français une
accentuation différente de l'accentuation étymologique.
Das altfranzôsische Rolandslied. Text von Paris, Cambridge, Lyon und den
sog. Lothringischen Fragmenten, mit R. Heiligbrodt's Concordanztabelle
CHRONIQUE 639
zum altfranzosischen Rolandslied herausgegeben von Wendelin Foersthr.
Heilbronn, Henninger, 1886, 12* xxii-577 p. — M. Fœrster a rapide-
ment et parfaitement exécuté le plan qu'il s'était proposé de mettre à la
disposition dessavants tous les renouvellements du RolLuit. Une disposition
très commode, etqu'il n'était pas facile detrouver, permet d'embrasser d'un
coup d'œil les quatre textes, tous incomplets, de la seconde famille de ces
renouvellements. M. F. songe encore à donner, dans un troisième volume,
« les parties correspondantes au Roland français des rédactions suédoise et
danoise, de la Spagna en vers et en prose et du Galicn », et même « à
réunir dans un seul volume, avec une disposition typographique spéciale,
toutes les rédactions françaises. » On aura ainsi sous la main tous les maté-
riaux nécessaires à la reconstruction, qui ne sera jamais qu'approximative,
du Rolbnt du xi<= siècle. Notons une distraction du savant éditeur. « L'es-
pérance de voir reparaître quelque part et de pouvoir utiliser le manuscrit
vendu à Londres le 6 février 1858 {Catalogue Savile^ 5 5)>ne s'est mal-
heureusement pas réalisée. ■> Li Romania (XU, 5) a signalé ce manuscrit à
Cheltenham, en a fait connaître le contenu et en a publié des fragments. La
table de concordance due à M. Heiligbrodt rendra les plus grands services ;
M. F. demande que tous ceux qui en feront usage lui communiquent les
erreurs, inévitables dans un pareil travail, qu'ils pourraient rencontrer.
Enfin l'infatigable philologue annonce une édition critique du texte primitif;
on ne niera pas qu'il ne se soit sérieusement préparé à l'entreprendre.
Phonologie des patois du canton de Vaud, par Alfred Odin. Halle, Niemeyer,
1886, 8», vni-i6C p. — Nous reviendrons sur cet ouvrage fort intéressant:
mais nous voulons signaler tout de suite l'explication proposée par l'auteur
d'un phénomène singulier, que présentent, non seulement les parlers vaudois,
mais tous ceux du domaine appelé franco-provençal par M. Ascoli. On
sait que dans ce domaine a tonique persiste, mais qu'il se change en ié sous
l'influence d'une palatale précédente; canta{r) mais mangic{r) ; ce qui a été
jusqu'à présent inexplicable, c'est que le participe passé ne se comporte pas,
dans le second cas, comme l'infinitif : à côté de mangiér = manducare
on a manjd = manducatum. On avait bien remarqué, mais sans en tirer
de conséquences, que dans le participe passé le masculine! le féminin étaient
identiques. M. Odin pense, pour le patois qu'il étudie, que le masculin
a pris la forme du féminin, et que pour le féminin la forme mj:ijd est con-
forme à la phonétique. Une explication pareille^ quoique peut-être un peu
différente, conviendrait au même fait dans les parlers dauphinois, et il ne
nous paraît pas impossible qu'elle donne la clef du problème. Voilà encore
un cas, si le fait est prouvé, où un caprice apparent du langage est ramené
à la règle etoij la phonétique et l'analogie triomphent en commun.
Dic altfranzosischen Liederhandschnften, ihrVerhaeltniss, ihreEntstehung und ihre
Bestimmung, eine litterarhistorische Untersuchung von Dr. EduardScHw.w.
Berlin, Weidmann, 1886, 8", v-275 P^g^s. — Nous nous bornons pour
le moment à annoncer cette intéressante publication, sur laquelle nous
reviendrons.
640 CHRONIQUE
Das Imperfckt mdPlusqmmptrfeclum des Futurs im Altfranzôsischen. Von Dr. Otto
BuRGATZCKY. Greifswald, Abel, 1886, 8", 196 p. — Bonne étude de syn-
taxe historique, un peu plus longue qu'il n'était nécessaire. L'auteur dé-
montre, ce qui d'ailleurs aujourd'hui est admis généralement, que le condi-
tionnel (ou futur imparfait) est un temps de l'indicatif et non pas un mode ;
et partant de là il en suit tous les emplois dans les textes français du moyen
âge. 11 est à remarquer que le français moderne fait de ce temps un usage
presque tout à fait semblable à celui très varié qu'en faisait l'ancienne
langue.
L'emploi des temps et des modes dans les phrases hypothétiques commencées par se
en ancien français depuis les commencements de la langue littéraire jusqu'à
la fin du XIII" siècle. Par J.-H.-R. Lenander, docteur es lettres. Lund,
Berling, 1886, 8', iv-150 p. — Ce travail, écrit dans un français quelque
peu embarrassé, est utile par le soin qu'a pris l'auteur de donner in extenso
tous les exemples qu'il cite. La matière est bien disposée, mais les divisions
sont trop nombreuses et parfois peu claires. Deux points sont à contester.
L'auteur pense que le plus ancien français employait encore le futur après se
dans les phrases hypothétiques; mais, quoi qu'il en dise, les exem-
ples empruntés au Ps. 0., étant calqués sur le latin, ne prouvent
rien; quant à l'exemple de Wace (p. 25), il repose sur une erreur:
se point il aidereiz dépend de dites mei, c'est-à-dire appartient à une
tout autre construction . — Les exemples cités de l'emploi du subjonctif
présent après se appartiennent tous à des textes anglo-normands, et cet
usage ne peut par conséquent être attribué au français (est-il en rap-
port avec la construction anglaise du subjonctif après (/ ?) ; la question est
de savoir si dans le Rollant (dans le vers 1 307 de Gui de Bourgogne, cité
p. 94, lisez que pour qui) cette construction appartient à l'auteur ou au
copiste. Cela étant établi, la question traitée en appendice par M. L. est
par là même résolue : dans les locutions si ou se m'ait Deus, si ou se Deus
m'ait, si est le latin sic ; 5« a été substitué à si par une confusion explicable,
et cette confusion a entraîné la modification de l'ordre des mots. (Depuis que
j'ai écrit cette note, j'ai relevé quelques exemples vraiment français de se
avec le subjonctif, ce qui d'ailleurs n'empêche pas l'explication donnée ci-
dessus pour 5£ m'a/f D;eu5 d'être bonne (cf. Rom. XII, 628.) Il y aurait
quelques autres remarques à faire sur ce travail, d'ailleurs méritoire et
consciencieux.
Beitrage ziir Geichichte der romanischen Philologie in Deutschland. Festschrift fur
den ersten Neuphilologentag Deutschlands zu Hannover, von Edmund Sten-
GEL. Marburg, Elwest, 1886, 8^,44 p. —Cet opuscule contient d'abord
quelques renseignements sur les premières gramm aires françaises à l'usage des
Allemands (Pillot, Garnier, Du Vivier, Cauchie), puis une courte notice sur
Valentin Schmidt, une note sur la correspondance de Fr.Wolf, etdes extraits
de la correspondance de Lemcke (entre autres trois lettres de Diez).
Die Sprache des Roman du Mont-Saint-Michel von Guillaume de Saint-Paicr . . .
von Karl Huber. Braunschweig, 1886, 8°, 110 p. (dissert, de Strasbourg).
CHRONIÇ^UE 641
— Ce travail est fait avec soin ; mais il ne saurait être définitif, l'auteur
n'ayant pu utiliser le second manuscrit du poème.
Dlc Lautverh'xhnissc dcr quiitre livres des Rois. . . Von Paul Schlœsser (disser-
tation de Bonn). Bonn, Georgi, 1886, 8", 96 p. — Le résultat essentiel de
cette étude, qui parait bien faite, et à laquelle est jointe une utile collation
de l'édition de Le Roux de Lincy, est de mettre hors de doute l'origine
anglo-normande de la célèbre traduction des Quatre livres des Rois.
Les Trouvères et leurs exhortations aux croisades. Par J.-H.-H. Trebi;. Leipzig,
Hinrichs, 4", 23 p. (progr. du Realgymnasium de Leipzig). — Sans
valeur.
Note sur le patois deCouvin, par R. Wilmotte. Gand, 1886, 8', 12 p. — Utile
contribution à l'étude, qui commence à faire tant de progrès, des patois
wallons.
Das Rolandslied des pfaffen Konrad, seine poetische Technik im Verhaeltniss zur
franzœsischen Chanson de Roland. . . Von Wolfgang Golther. Mùnchen,
Straub, 8", 48 p. (dissert, de Munich). — Cette étude ne forme qu'une
partie d'un mémoire honoré d'un prix par la Faculté de philosophie de
Munich, et nous la retrouverons sans doute sous une forme plus complète.
L'auteur y étudie avec sympathie, mais impartialement, les traits par les-
quels Conrad se distingue de son modèle français. Ce qui nous intéresse le
plus est l'hypothèse d'une source française perdue pour l'introduction du
Rolandslid, qui, comme on sait, ne se trouve dans aucun te.xte français ;
c'est une question à reprendre et à examiner de près.
Die Berliner Handschriften der Rime Pctrarcas, beschrieben von Cari Appel.
Berlin, Reimer, 8», 108 p. — Il s'agit de sept manuscrits des Rime acquis
par le roi de Prusse dans la coliection Hamilton.
John Gowefs Minnesang und EhezuchlbiichUin. LXXII anglo-normanische Ba!-
laden... neu herausgegeben von Edmund Stexgel. Marburg, Friedrich,
1886, S", 28 p. — Cette plaquette, imprimée par M. Stengel à l'occa-
sion du mariage de M. W. V^ietor, contient 72 ballades françaises de Gower,
tort dignes d'intérêt, et qui étaient comme inédites, ayant été imprimées en
1818, pour le Roxburghe-Club, à un nombre extrêmement restreint d'exem-
plaires. Inutile de dire que l'édition de M. Stengel est d'ailleurs meilleure ;
elle est accompagnée de quelques remarques.
Dictionnaire étymologique et explicatif de la langue française et spécialement du
langage populaire par Charles Toubin. Paris, Leroux, 1886, 8", 774 p. —
Il suffira, pour faire apprécier cet ouvrage aux lecteurs de la Romama, de
citer l'étymologie de ménagerie., « du gr. âjjia, ensemble, et Èvay^iooj, réunir,
assembler, 1 et celle de troubadour, « de la racine /r marquant passage d'un
lieu dans un autre et sansc. pat., aller, gr. [îxtc'ov y. Le livre est dédié à
M. Emile Burnouf. La Revue des Deux-Mondes a fait l'éloge du dictionnaire
de M. Toubin. disant que tout n'y était peut-être pas bien assuré, mais
qu'il aurait du moins l'avantage « d'inquiéter certains philologues sur la
solidité de leurs positions ». Voyez d'ailleurs Rom., XIV, 633.
Romania, XV. 41
642 CHRONIQUE
Répertoire des ouvrages pédagogiijues du xvi'= siècle (bibliothèques de Paris et des
départements). Paris, Imprimerie Nationale, 1S86, 8", xii-735 p. — Ce
catalogue, publié par les soins du ministère de l'Instruction publique, n'est
pas complet, naturellement, et pourrait être mieux fait, mais il est déjà
précieux et contient des renseignements peu connus. Nous signalerons,
comme pouvant intéresser les études romanes, les grammaires, colloques et
dictionnaires.
Essai sur un piitois vosgien (Uriménil). Dictionnaire phonétique et étymologique par
M. Haillakt. Epinal, chez l'auteur, 1886, 8", 608 p. — Cette œuvre
consciencieuse a le grand mérite d'être essentiellement fondée sur le parler
d'une seule commune ; dans le détail de l'exécution, il y a bien des petites
choses à reprendre, mais le répertoire n'en est pas moins utile et digne de
confiance.
Die Fabcl vonder Krdhc^ die sich mit fremden Federn schmùckt, betrachtetin ihren
verschiedenen Gestaltungen in der abendL-endischen Litteratur. .. von Max
FucHS. Berlin, Schade, 8", 46 p. (dissert, de Berlin.) — Recherche faite
avec soin et méthode, mais qui laisse à désirer sur quelques points.
Les Œuvres de Hugues de Saint-Victor. Essai critique par B. Hauré.\u, mem-
bre de l'Institut. Nouvelle édition. Paris, Hachette, 1886, 8'^, ix-238 p.
— Travail plein d'érudition et de critique, oij on trouve beaucoup de faits
nouveaux pour l'histoire littéraire du moyen âge latin.
Glosario elimolâgico de las palabras espanolas (castellanas, catalanas, gal-
legas, mallorquinas, portuguesas, valencianas y vascongadas) de ori'gen
oriental (arabe, hebreo, malayo, persa y turco). Por D. Leopoldo Eguilaz
y YA\'GUAS,cateddratico de literatura gênerai y espanola en la Universidad
de Granada. Granada, imprenta de la Lealtad, 1886, pet. in-4°, xxiv-
591p. — Ouvrage considérable, sur lequel nous espérons bien revenir en
détail, mais que nous n'avons pas voulu tarder à signaler à nos lecteurs.
Petrarca in der dcutschcn Dichtung. Von Dr. W. Soderhjelm. Helsingfors,
1886, in-40, 44 p.
L'Opéra Salernitana Circa Instans « ed il tisto primitive del « Grant Herbier en
françoys » seconde due codici del secolo xv conservati nella regia Biblio-
teca Estense, per Giulio Camus, professore nella reale scuola militare.
Modena, 1886, in-40, 155p. — Très intéressante contribution à la con-
naissance de la nomenclature botanique du moyen âge, particulièrement en
ancien français.
Les Enfances Vivien, chanson de geste, publiée pour la première fois d'après
les manuscrits de Paris, de Boulogne, de Londres et de Milan par Cari
Wahluxd et Hugo von Feilitzen, professeurs agrégés à l'université
d'Upsala. Paris, Vieweg, 18S6, in-4'', 89 p. — Nous reparlerons de cette
très importante publication quand elle sera terminée ; nous nous bornons à
dire aujourd'hui qu'elle marquera une date dans l'histoire de la mise au jour
de nos chansons de geste. Les deux savants éditeurs (dont l'un vient d'être
enlevé à la science, voy. ci-dessus, p. 637) ont reproduit intégralement et
CHRONIQIIE 643
diplomatiquemeut les textes des manuscrits qui contiennent le poème, et les
ont disposés d'une manière ingénieuse qui permet aux lecteurs de se rendre
pour chaque vers un compte exact de leurs rapports.
Miracles de Nostre-Dame collccteJ by Jeun Mielot, secretary to Philip the Good,
duke ofBurgundy. Reproduced in fac-simile from Douce Manuscript 374
for John Ma'.coim of Poitailoch, wilh text, introduction and annotated
analysis by George F. Warxer, M. A. Westminster, Nichols, 1885, gr.
in-4'', XLViii, 82 p. — Magnifique publication, tirée à peu d'exemplaires,
importante surtout au point de vue de la reproduction des miniatures, mais
intéressante aussi par le commentaire dont l'éditeur a accompagné chacun
des miracles racontés par Jean Mielot.
Précis de grammaire historique de la langue française, avec une introduction sur
les origines et le développement de cette langue par Ferdinand Brunot,
ancien élève de l'Ecole Normale, supérieure, maître de conférences à la
Faculté des Lettres de Lyon. Paris, Masson, 1887, in-12, vni-692 p. —
Ouvrage important et digne d'éloges, qui mérite un examen détaillé.
Franzosische Grammatilc fiir den Schulgebrauch, von Hermann Breymann. Zweiter
Thcil : Satziehre. Mùnchen, Oldenbourg, 1886, in-S", x-108 p.
Ueber die Betheiurungs und Beschnorungsformeln in den Miracles de Nostre Dame
par personnages... son K\z\\2iT A BfscH, Darmstadt, Brill, 1886 (diss.de
Marbourg). — Ce mémoire sera inséré dans les Ausgabcn und Abhandlungen
publiées par M. Stengel.
Catalogue des manuscrits néerlandais de la Bibliothèque Nationale.^ par Gédéon Huet.
Paris, 1886, in-S", 174 p.
L'Image du Monde., poème inédit du milieu du xiii'= siècle, étudié dans ses
diverses rédactions françaises d'après les manuscrits des bibliothèques de
Paris et de Stockholm par Cari Fant. Upsala, 1886, in-8'', 78 p. — Ce
travail est intelligent et contient des observations intéressantes; mais on sait
que P. Meyer a récemment découvert sur Vlmage du monde de nouvelles
données, qui permettront sans doute d'arriver à des résultats plus précis que
ceux qu'on a pu atteindre jusqu'à présent. Il les communiquera dans une pu-
blication prochaine.
Verslehre und Stil der românischen Volkslieder... von Cari Fr. W. Rudow.
Halle, 1886, in-8', 45 p.
Ueber die Ausdrucksweise des altfranzôsischcn Kunstromans... von Herrrann
GuNTHER. Halle, 1886, in-80, 27 p. — Travail intelligent.
Dis erste Person Pluralis des Verbums im Allfranzôsischen... von Albert
Lorentz. Hidelberg, Homing, 1886 (diss. de docteur), in-S", 45 p. — Ce
sujet intéressant est traité ici avec une critique judicieuse.
Ueber die Sprache des altfransosischcn Gregors B... von Karl Kuchen'backer.
Halle, 1886, in-8*, 29 p. — Nous aurons prochainement l'occasion de
revenir sur les rapports des diverses versions du poème français sur saint
Grégoire.
644 CHRONIQUE
Sur les éléments turcs dans la langue roumaine... parle professeur B. P. Hasdeu.
Bucarest, 1886, in-8', 21 p. — Cette note, communiquée en octobre 1886
au congrès des Orientalistes à Vienne, a surtout pour but d'établir que les
éléments turcs du roumain ne sont pas tous proprement turcs, que plusieurs
remontent au coumain ou à l'ancien bulgare ; il y a là une indication qu'il
sera intéressant de suivre et de vérifier.
Zur Lanvalsage. Eine Quellenuntersuchung, von D"" Anton Kolh. Berlin,
Heltler, 1886, in-8°, 67 p, — Ce travail, présenté sous une forme toute
schématique, intéresse presque exclusivement les versions anglaises du récit.
Cependant l'auteur établit, par la comparaison d'un assez grand nombre de
vers, qu'il y a un lien étroit entre le Lai de Lanval de Marie de France et
le Lai de Gracient .^ qui n'est sûrement pas d'elle. Reste à savoir si les deux
poèmes ont une source commune, ou si l'un a influencé l'autre.
Recherches sur les rapports des chansons de gestes et de l'épopée chevaleresque
italienne, avec textes inédits empruntés au ms. H 247 de Montpellier, par
Ferdinand Castets. Paris, Maisonneuve, 1887, iii-S", viii-260 p. — Ex-
trait de la Revue des langues romanes.
TABLE DES MATIÈRES
Pages.
G. Paris. Etudes sur les romans de la Table Ponde. Guinglain ou le Bel Inconnu. i
A. Thomas. Les Proverbes dt Guyiem de Cervera, poème catalan du xii" siècle. .. 25
E. Rolland. L'Escriveto, chanson populaire du midi de la France m
P. Meyer. Notice d'un manuscrit messin (Montpellier 164 et Libri 96) 161
A. Morel-Fatio. Mélanges de littérature catalane. — III. Le Livre de Courtoisie. 192
P. Meyer. Les manuscrits français de Cambridge. — II. Bibliothèque de l'univer-
sité 236
E. Picot. Le Monologue dramatique dans l'ancien théâtre français (premier ar-
ticle) " 358
J. BÉDiER. La mort de Tristan et d'Iseut, d'après le ms. fr. 103 de la Bibliothèque
Nationale comparé au poème allemand d'Eilhart d'Oberg 481
VV. LuTOSLAwsKi. Les Folies de Tristan 5 1 '
L. SuDRE. Les allusions à la légende de Tristan dans la littérature du moyen âge. $34
La Folie Tristan du ms. de Berne, p. p. H. Morf jjS
W. Sœderhjelm. Sur l'identité du Thomas auteur de Tristan et d^i Thomas au-
teur de Horn 575
G. Paris. Note sur les romans relatifs à Tristan , 597
MÉLANGES.
Le décasyllabe roman (L. Havet) 125
Alcuni appunti sui « Proverbi volgari del 1200 », éd. Gloria (Ad. Mussafia). . .... 126
Un nouveau manuscrit du roman de Jules César, par Jacot de Forest (P. M.). . . 129
Quelques particularités grammaticales du dialecte wallon au xiii° siècle (E.
Pasquet) 150
L'adjectif possessif féminin en lyonnais (J. Cornu) 134
La Poétique de Baudet Herenc (G. P.) 13$
Sul métro di due componimenti poetici di Filippo de Beaumanoir, éd. Suchier (Ad.
Mussafia) 423
Le possessif tonique du singulier en lyonnais (E. Philipon) 430
L'adjectif pronom possessif en lyonnais (Puitspelu) 434
Ant en langue d'oc (Puitspelu) 435
Acala en auvergnat (Puitspelu) 436
Le Chastie-Musart d'après le ms. harléien 4333 (P. M.) 603
Le conte de la reine qui tua son sénéchal (R. Kœhler) 610
646 TABLE DES MATIÈRES
Note additionnelle sur Jean de Grailli, comte de Foix (G. P.) 611
Un article du Dictionnaire de M. Godefroy (G. P.) 61 j
COMPTES RENDUS.
Caix, voy. Miscellanea.
Canéllo, voy. Miscellanea.
CAnETE (M.), Teatro espanoi del siglo xvi (A. Morel-Fatio) 462
Clédat, voy. Roland.
Heeger (g.), Die Trojanersage der Britten (G. P.) 449
Henry (V.), Contribution à l'étude des origines du décasyllabe roman (G. P.). . . . 137
Kœritz, Das .f vor Consonant im Franzœsischen (G. P.) 614
KoscHwiTZ (E.), Commentar zu den ae'.testen franzœsischen Denkmslern, I,
(G. P.) ■ 443
Miscellanea difilologia e Unguistica in memoria di N. Caix e V. X. Canello (G.
P., P. M., A. M.-F.) 455
Nyrop (K.)., Adjektivernes Kœnsbœjning i de romanske Sprog (G- P.) 437
Roland {La Chanson de), nouvelle édition classique, par L. Clédat (G. P.) 138
SÛPFLE (Th.), Geschichte des deutschen Kultureinflusses auf Frankreich, I 614
ToBLER (A.)., Vermischte Beitraege zur franzœsischen Grammatik (G. P.) 439
VisiNG (G.)., Sur la versification anglo-normande (P. M.) 144
WiLMOTTE, L'enseignement de la philologie romane en France et en Allemagne
(O.P.) 623
LIVRES ANNONCES SOMMAIREMENT.
APPEL, die Berliner Handsrhriften des Petrarca 642
Bladé, Contes populaires de la Gascogne 477
BossARD, Gilles de Rais 658
Breul, Sir Cowther 1 60
Breymann, Franzœsische Grammatik 643
Broberg, Det store Testament af Villon 159
Brunot, Précis de grammaire historique 643
Burgatzcky, Das Imp. und Plusqupf. des Fut. im Altfranzœsischen 640
BuscH, Die Bethheuerungsformeln in den Miracles de N. D 643
Camus, L'Opéra Salernitana Circa Instans 642
[Casini], Le Rime provenzali di Rambertino Buvalelli 158
Casin!, I Trovatori nella marca Trevigiana 158
Castets, Recherches sur l'épopée chevaleresque : 644
Delisle, Discours prononcé à la Société d'histoire de France 157
DuscHiNSKY, Zur Lautlehre des Franzœsischen 638
EcKLEBEN, Die ae'teste Schilderung vom Fegefeuer des h. Patricius 159
Eguilaz. Glosario etimolôgico de las palabras castellanas de origen oriental 642
Elliot, Contributions to a history of the french language of Canada 1(8
Fant, Vlmage du Monde 643
F1NAM0RE, Tradizioni populari abbruzzesi 477
Fœrstkr, Das Rolandslied. Texte von Paris, Cambridge, Lyon 638
FucHs, Die Fabel von der Kraehe 642
GoLTHER, Das Rolandslied des Pfaffen Conrad 641
GoNÇALES Vianna y Vasconcellos Abreu, Orthographia portuguesa 477
TABLE DES MATIÈRES 647
Gramitta Xerri, Racconti populari siciliani 480
Crœuer, Grundriss der romanischen Philologie, I 479
GuNTHER, Die Ausdruckswçise des franz. Kimstromans 64}
Haillant, Essai sur un patois vosgien, m 642
Hasdeu, Les éléments turcs du roumain 644
Hauréau, Les œuvres de Hugues de Saint-Victor 642
HuBER, Die Sprache des Romans du Mont Saint-Michel 640
H UET, Catalogue des manuscrits néerlandais de la B. N 645
lARNiK et Barsean, Doine si strigature din Ardeal . , 478
JuuERT, La Chanson de Roland traduite en vers 478
Kaufmann, Die Geschichte des consonantischen Auslauts im Franzœsischen. . . . . . 6}8
Kœrting, Encyklopaedie und Méthodologie der rom. Philologie, III 477
KoLH, Zur Lanval-Sagc 644
KoscHwiTZ, Les plus anciens monuments de la langue française, 4' éd 478
Kuchenbacker, Die Sprache des Grcgors B . . 64 5
Lenander, Des temps et des modes dans les phrases hypoth. de l'anc. français. . . 640
LiLJFQi;isT, Infinitiven i det fornspanska Lagspraket 638
LoRENTZ, Die erste Person Fluralis im Altfranzœsisclien 643
Morel-Fatio, Libro de los hechos de la Morea i j9
Mussafia, Zur Katharinen- Légende 478
Neuhaus, Adgar's Marienlegenden 160
Odin, Phonologie des patois du canton de Vaud 639
Parodi, Osservazioni a proposito del lessico genovese di Flechia 477
Pennier, Les noms topographiques devant la philologie 480
Peters, Der Roman von Mahomet (voy. Zialecki) . . 159
Pieri, Note sul dialetto Aretino 479
PoLiTis, Le Chant du frère mort 478
Répertoire des ouvrages pédagogiques du xvi'= siècle 642
RiTTER, Recueil de morceaux choisis en vieux français 160
RuDow, Verslehre und Stil der rumsnischen Volkslieder 64}
Rustebuef's Gcdichte, herausgeg. von Kressner 477
Salomone-Marino, La Trasuta di Garibaldi 480
ScHLŒSSER, Die Lautverhseltnisse der Livres des Rois 64 1
ScHRŒDER, Glaube und Aberglaube in den altfr. Dichtungen 480
ScHUCHARDT, Romanisches und Keltisches 478
Schwan, Die altfranzœsischen Liederhandschriften. 639
Sebillot, Devinettes de la Haute-Bretagne 6}8
Seifert, Glossar zu den Gedichten des Bonvesin da Ripa 479
Sœderhjelm, Petrarca in der deutschen Dichtung 642
Stein, Der Einfluss Crestien de Troies auf die altengl. Literatur 477
Stengel, Beitraege zur geschichte der rom. Philologie 640
Stencel, Gower's Minnesang und Ehezuchtbùchlein 64 1
TouBiN, Dictionnaire étymologique de la langue française 64 1
Trebe, Les Trouvères et leurs exhortations aux Croisades 64 1
Wahlund et Feilitzen, Les Enfances Vivien, 1 642
Warner, Miracles de Nostre-Dame collected by J, Mielot 643
WiLMOTTE, Note sur le patois de Couvin 641
Zialecki, Der Roman von Mahomet 478
ZoTENBERG, Notice suf Ic livrc de Barlaam et Joasaph 159
648 TABLE DES MATIÈRES
PÉRIODIQUES.
Annales de la Faculté des Lettres de Lyon, III, I l j j
Bulletin de la Société des Anciens Textes, 1 886, I 474
Bulletin de la Société Dunoise, 1 886, juillet 474
Mélanges publiés par l'Ecole de Rome, I, II, V 152
Modem Language Notes, i88j 632
Revue Critique, avril-décembre 1 88 j i S 4
— janvier-décembre 1886 6j6
Revue des langues romanes, juillet-août 1 88 < 149
— — septembre 188 j 469
— — octobre-décembre 1885 470
— — janvier-avril 1886 62 j
Rivista délia letteratura Italiana, 1 884 471
— - 1885 47}
Romanische Forschungen, 1,3 150
Romanische Studien, VI, 1-3 149
Transactions of the Modem Language Association of America 634
Zeitschrift fur romanische Philologie, 188$ 627
CHRONIQUE.
Janvier 1 5 j
Avril-juillet 476
Octobre 637
Le gérant: F. VIEWEG,
Chartres. — Imprimerie DURAND.
I
BIN: MN 2 9 1968
PC Romania
2
R6
V.15
PLEASE DO NOT REMOVE
CARDS OR SLIPS FROM THIS POCKET
UNIVERSITY OF TORONTO LIBRARY